Le TAIJI QUAN Conferences Afdt
Le TAIJI QUAN Conferences Afdt
Le TAIJI QUAN Conferences Afdt
association
AU FIL DU TEMPS
(AFDT)
Sommaire
Le TAIJI QUAN Par Cyrille Javary ...................................................................................................... 5
Le TAIJI QUAN Par Catherine Despeux ............................................................................................. 7
La rencontre avec l'exercice, la sensibilit et la technique Lionel Seit .............................................. 11
L'ENERGIE au travers du MOUVEMENT Par Li Ghanghua ........................................................... 21
La force intrieure Par Catherine Despeux ......................................................................................... 23
Les TROIS aspects du TaiChi Chuan par Jean-Claude Sapin ............................................................ 29
Les principes essentiels du TaiJi Quan De Yang ChenFu .................................................................. 39
Lgende et Histoire du Tai Chi Chuan Synthse par Au Fil Du Temps ............................................. 43
Le grand Ta Chi et le petit Ta Chi Par Matre Tung Kai Ying ......................................................... 49
Les Chevaliers errants Par Catherine Despeux ................................................................................... 53
Le Taiji Quan Art Martial Par Catherine Despeux ............................................................................. 57
HUANG SHAN, les montagnes clestes ............................................................................................. 59
Structure de l'occasion (moment opportun) par Franois Jullien ...................................................... 65
Le Vide Mdian par Franois CHENG ................................................................................................ 71
La Tradition de l'Ecole Yang Par Jean Gortais .................................................................................... 75
La notion de Centre, La Sagesse et la Connaissance par Jean Claude Sapin ...................................... 87
Citations des Textes Classiques sur le Taijiquan Synthse AFDT ...................................................... 91
Wu-Wei, le principe de non-agir Par Roland Habersetzer................................................................. 95
Pr-mouvement et Organisation gravitaire Par Hubert Godard ........................................................... 99
Yin Yang le milieu juste par Cyrille JAVARY ................................................................................ 103
Le Bouddhisme et son influence en Chine Par Cyrille Javary .......................................................... 115
La tranquilit, arme secrte du Tai Chi. Par Bob Mendel.................................................................. 133
ENERGIES, les diffrentes expressions du Souffle par Michle Petit .............................................. 139
Et la Respiration ? par Rolland Gaillac .............................................................................................. 151
Nourrir le Souffle par Chen Gong...................................................................................................... 159
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Le Tai Ji Quan (parfois crit Tai Chi Chuan) est un art corporel de plus en plus pratiqu en Occident.
Les deux premiers caractres de son nom, "Tai Ji", sont ceux qui dsignent le dessin du " grand
retournement ". Le dernier, "qun", compos du signe de la main surmont d'une forme ancienne qui
voque l'ide d'un enroulement montrait l'origine une main s'enroulant.
Le Tai Ji Quan est constitu d'une suite de mouvements lents et fluides destins favoriser et
rguler la circulation du souffle vital l'intrieur du corps. partir de traditions trs anciennes, ses
diffrentes formes actuelles ont t systmatises et dveloppes au XIXe sicle par les socits
secrtes qui cherchaient dlivrer la Chine de l'occupation trangre, mandchoue et occidentale.
Comme la logique de beaucoup de ces mouvements est issue des ans martiaux, les coloniaux, fort
intrigus par ces exercices, imaginant que ceux qui les pratiquaient taient en train de boxer avec leur
ombre, les avaient appels Boxers. De cette mprise vient la traduction souvent propose de
l'appellation Tai Ji Quan : boxe du fate suprme, voquant un sport brutal au service d'on ne sait
quelle ralit transcendantale ! Plus conforme sa pratique, dans laquelle la main parfois enroule,
parfois tendue, voque la grande loi dont il s'inspire : tout ce qui s'tire (Yang) finit par revenir, tout
ce qui se contracte (Yin) finit par s'expanser, serait de l'appeler : l'art (martial) du grand
retournement.
La pratique du Tai Ji Quan est complmentaire avec une autre discipline physique chinoise
galement de plus en plus en plus pratique en Occident : le Qi Gong. Alors que le premier vise
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En France, le tai-chi chuan (et, en pinyin, taiji quan) tait encore peu connu en 1971, alors que je
finissais d'crire ma thse sur ce sujet. C'tait principalement le style Yang qui tait enseign par
quelques personnes, lesquelles, de par leur formation, insistaient soit sur l'aspect esthtique de cette "
danse avec l'ombre ", soit sur le travail corporel une poque laquelle toutes sortes de mthodes,
telles la mthode Feldenkrais, la mthode Garda Alexander ou ce qu 'on a appel l'" anti-gymnastique
", commenaient fleurir. Son rle martial tait alors quasiment ignor, si ce n'est de quelques-uns
ayant appris le tai-chi de l'cole Wu.
Nous sommes en 2009, quarante ans plus tard. Aprs avoir connu une clipse en Chine durant une
priode autour de la Rvolution culturelle (entre 1966et 1980), le tai-chi chuan a pris un nouvel essor
pour atteindre aujourd'hui un dveloppement sans prcdent. Les coles se sont reformes, des
documents nouveaux sont apparus sur le village de Chenjiagou dans le Henan, berceau de cette
discipline, et les monts Wudang dans le Hubei, lieu d'origine lgendaire du tai-chi chuan, ont vu
fleurir des coles d'arts martiaux. En Occident aussi, cet art de combat est devenu florissant, la
littrature sur le sujet abonde, diffrents styles sont enseigns : ceux de l'cole Chen, trs martiale, de
l'cole Yang, la plus rpandue, des coles Wu, Sun et Li, moins populaires. Nombreux sont ceux qui
y trouvent une source d'enrichissement et de renouvellement.
Dsormais, le tai-chi chuan fait partie du monde occidental, que ce soit dans le domaine des sports,
des pratiques de sant, des arts martiaux ou encore des disciplines psychosomatiques alliant travail du
corps et panouissement de la personne.
Il convient de noter cependant qu'en Chine, ces multiples fonctions sont rarement spares les unes
des autres. S'il s'agit bien l'origine d'acqurir une matrise martiale par la technique, celle-ci ne peut
s'acqurir sans une connaissance de soi et de l'autre qui implique une discipline spirituelle pour
parvenir ce que les Chinois nomment la " ralisation du dao ". Lors d'un voyage aux monts Wudang
en juin 2009, j'ai pu constater que les jeunes taostes s'exerant au tai-chi chuan manifestent la
perfection du geste et leur belle connaissance de l'art martial, mais aussi dploient une intriorit
issue de leur longue pratique quotidienne de la mditation laquelle ils s'exercent dans l'cole d'arts
martiaux, dans un temple ou dans un ermitage sur la montagne.
Comme dans les arts martiaux japonais, la puissance intrieure et martiale ne saurait tre dveloppe
sans une matrise de l'esprit, car l'art du combat est aussi un combat avec soi-mme pour ne pas avoir
lutte.
...
L'exercice du tai-chi ne se limite pas au temps de la pratique de l'enchanement ou de la pousse des
mains ("tuishou") ; il est constant. Je me souviens de deux occasions au cours desquelles Yao Longji,
un lve de Gu Meisheng venu en France nous donner des cours, m'a conduite vers cette attention de
chaque instant. La premire fois, c'tait un jour o nous devions aller la mairie du 12me pour
tablir sa carte de sjour. Je marchais devant lui dans la rue de Charonne, presse d'arriver avant la
fermeture des bureaux. Il me rattrapa et m'arrta brusquement pour me tancer vertement : je marchais
sans tenir compte des principes essentiels du tai-chi chuan. Il m'expliqua comment toute situation doit
devenir un tai-chi, une unit ; je me pliai cette leon impromptue et bien sr nous trouvmes porte
close la mairie du 12me.
La seconde fois, c'tait alors que je faisais la vaisselle et nettoyais les assiettes par des mouvements
qui ne partaient pas du yao, ce point ou cet axe central entre les deux reins ; il me montra comment le
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mouvement du bras devait tre la rsultante d'un mouvement de tout le corps formant un tout et
tournant comme une roue autour du moyeu qu'est le yao. J'eus droit ensuite une dmonstration de
balayage : le balai, prolongement de lla main, excutait des cercles qui partaient toujours du yao, une
vritable danse qui, hormis la beaut esthtique, avait l'avantage de se montrer trs efficace moindre
effort.
Il existe constamment un va-et-vient entre l'exercice des rgles de base, telles que " maintenir
l'nergie au sinciput ", " distinguer le vide et le plein ", " former une roue avec les pieds et les mains
autour de la taille (le yao) ", " effacer les traces ", " couter avec les mains, puis avec les yeux ", et le
yi, l'intention ou pense cratrice qui guide la pratique ainsi que l'esprit d'o provient la pense.
L'auteur nous rappelle que l'observation des rgles dans le tai-chi est importante, mais que l'essentiel
se trouve dans la dmarche du pratiquant qu'il dcrit avec prcision et justesse. Il part d'une formule,
par exemple " effacer les traces ", qu'il prend pour l'exercice du jour, puis se prte un va-et-vient
entre le mouvement, la perception qu'il en a, son esprit, ce qui change ; puis il revient la
concentration quand l'observateur se disperse trop et, progressivement, cela vit en lui, sans effort pour
observer, sans conscience d'tre observateur, sans intervenir : le wuwei de Laozi, non-agir ou noninterfrence dans le cours des choses.
Un principe ne peut rester purement thorique, il doit se raliser travers l'exercice, notamment celui
du corps. C'est ainsi que doit tre comprise et vcue la pense chinoise. Une amie chinoise me voyant
crire un article acadmique sur un point de l'histoire de la mdecine chinoise me demanda brlepourpoint : " Mais quoi a sert ? Quand tu tousses, tu n'es mme pas capable de te soigner!"
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branle par cette remarque, j'en fis part un ami, minent japonologue et acadmicien, et lui
demandai : " Mais quoi servent toutes nos recherches acadmiques ?" Sur-le-champ et avec verve il
me rpondit : " Mais la connaissance, bien sr ! "
Dans les disciplines chinoises relatives la sant ou l'panouissement de soi, les exercices du ch'i,
le souffle/nergie, remplacent bien des gards le travail occidental avec la parole au cours d'une
analyse : construction ou dconstruction de soi, de son rapport l'autre et l'environnement. Il existe
partir des exercices du ch'i un vritable apprentissage d'une faon d'tre au monde beaucoup plus
facile dvelopper pour un Chinois qui baigne dj dans cette approche que pour un Occidental qui a
t coup de cette attention son corps interne, au sentir, l'espace dans lequel il volue.
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La pratique, au sens noble du terme, n'est pas simplement l'apprentissage d'une forme particulire de
mouvement; c'est aussi une perception sensible et ouverte. Aussi le sens de l'exercice n'est pas la
ralisation rigide, automatique d'un geste ou d'une posture dj connus, mais le dveloppement,
travers la pratique, d'une sensibilit nouvelle en relation avec l'espace et l'nergie cosmique. Le cur
de l'exercice est chaleur, coute dans la stabilit, silence dans le mouvement.
Etre prsent dans les postures, dans les gestes des diffrents exercices du TaiJi Quan & Qi Gong, il
n'y a pas autre chose chercher. Extrieurement le mouvement est sans rupture. Intrieurement son
got devient plein et ouvert l'espace. Ce got ne peut tre saisi, il apparat avec la pratique et
rsonne au-del de la pratique. Cela demande de l'attention.
Devenir de plus en plus sensible dans le mouvement ne signifie pas s'y diluer sans racines. Devenir
de plus en plus prcis dans la technique ne signifie pas devenir technicien. Il arrive que, dans la
pratique, on ait l'impression de gagner en sensibilit et de lcher un peu la technique ou bien de
gagner en prcision et d'tre moins sensible. Mais la pratique bien sentie unit ces deux ples. Il s'agit
progressivement de devenir un avec la technique. Etre la technique, au sens profond, c'est tre
prsent, c'est sentir, c'est s'oublier dans le mouvement. Alors le TaiJi Quan & Qi Gong est un art et
une mditation.
Yang-Lu-Chan
Yang-Cheng-Fu
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Ancrage
Enracinement des pieds et des jambes, du bas du corps vers le sol
Stabilit en fente avant (65% jambe avant - 45% jambe arrire),
Sustentation par un rapport quilibr longueur largeur du pas
Bords interne et externes des pieds colls au sol
Arc de jambes, jambe arrire flchie, genoux ouverts, position basse
Pratique assidue de l'arbre
Assise
Le bassin est la coque du " bateau-corps ". S'y installer avec confort, l'habiter compltement pour
favoriser l'assise sur " les flots " et ne pas tanguer. La taille est le matre de tout le corps, les pieds
n'ont de la force et le bassin de l'assise que si l'on est capable de relcher la taille. Les passages du
vide au plein s'effectuent partir des mouvements tournants de la taille. L'intention du mouvement
part du cur-esprit, le souffle se met en branle dans le tantien et le mouvement dbute du centre,
rencontre des axes du corps, et des nergies. Le bassin sous la conduite du centre impulse la direction
du mouvement tantt par lger enroulement du sacrum dans le sens de la ligne de l'action, tantt par
une rotation de l'assise autour de l'axe vertical, c'est la notion de pivot crateur.
La rtro ou l'antversion du bassin se mesure partir de l'pine (crte) iliaque suprieure. Si elle
avance dans le mouvement, la partie basse du bassin recule, il y a antversion qui creuse les
lombaires. Si elle recule, la partie basse du bassin avance, il y a rtroversion et tirement de la zone
lombaire. Pour ne pas rester dans une interaction fixe, verrouille, et ferme, s'ajoute cette
ventuelle rtroversion du bassin, un travail subtil l'intrieur du bassin qui tend rapprocher le
sacrum du pubis (non pas par contraction des fessiers qui ferme) et permet de librer la coxo
fmorale et le plancher pelvien pour laisser passer la fluidit de l'nergie. Nutation et contre nutation.
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Conserver l'image que le sacrum ne s'inflchit pas tout de suite ; il s'carte d'abord (recule) puis
plonge ensuite vers le bas.
Axe vertical
La colonne vertbrale est le pilier vertical, le mat du bateau-corps, le vhicule de transit principal de
la remonte de l'nergie vers le haut du corps par le mridien merveilleux Du Mai, mridien contrle
et gouverneur mre des yang. La colonne vertbrale est souplement tire par une ventuelle lgre
rtroversion du bassin et un enroulement du sacrum vers le pubis permettant l'ouverture des
lombaires, une nuque ouverte par un menton lgrement baiss, par une conscience de notre lien vers
le ciel qui nous connecte et nous maintient dans cette verticalit.
Tung-Ying-Jie
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Verticalit anti-gravitaire
Centrer le corps biomcaniquement, sur n'importe quelle position des formes et des chi gong,
correspond la recherche d'une position de la coque (bassin) dans l'espace horizontal (avant, arrire)
tel que le " poids " de la gravit sur le squelette verticalis soit le plus minime possible. Position
prcise de l'alignement dit anti-gravitaire o les chanes musculaires ne luttent pratiquement plus
contre la chute gravitaire, d'o l'acquisition d'un relchement global du corps, confortable en son
bassin, remonte de l'nergie par le dos et processus de circulation nergtique plus fonctionnel.
Cette recherche dbouche le plus souvent chez l'lve pratiquant par un recul du bassin vers l'arrire
calant ainsi l'axe vertical sur la ligne verticale de rfrence dite anti-gravitaire. C'est ce qui
correspond galement " moins dans les genoux et plus dans les plis de l'aine " ou " repasser par son
centre puis le garder avant d'exprimer un nouveau mouvement ".
Etat d'esprit
Chercher le calme par la centration mditative. Centrer son esprit, c'est parvenir ramener son
attention, ses motions, et son centre de gravit affectif au plus profond de soi-mme, et vers le bas
du corps (rtablir le contact la terre ou s'enraciner), pour ne plus que le quotidien ait d'emprise sur
les sentiments (avoir la tte ailleurs, dans les nuages). Que seul, par cette mditation _silence
recherch et l'esprit vide de toutes penses o l'instant est entre parenthses du pass et de l'avenir_ le
dialogue du " cur-esprit " et du corps puisse s'tablir. Alors le travail de la recherche de l'harmonie
entre ces deux derniers peut commencer pour qu'ils puissent enfin voluer de concert, en conscience
et proprioception.
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Yin Yang
Afin d'avoir une base de recherche empirique lors de la pratique, transfrable ensuite sur un " art de
vie ", apprciation des aspects relatifs et complmentaires du couple synergtique " yin/yang".
Connaissance thorique ncessaire des rgles gnrales des mutations et des alternances, croissance
et dcroissance, des quatre phases du nycthmre
Tung-Hu-Ling
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Conscience du centre
Le Tan-tien bas ou champ de cinabre bas est le centre nergtique en Nei Dan (Styles internes type
Wudang), lment majeur dans la pratique nergtique TAI CHI. Il se situe 3 cm au-dessous du
nombril et un tiers de la distance entre le ventre et le dos. Il peut tre compar l'image d'un
chaudron de stockage (condensation) et de barattage de la " vapeur " CHI issue et produit de la
rencontre de Kan le CHI eau, celui des reins, et de Li le CHI feu, celui du cur. Kan, l'eau,
reprsente le Yin relativement Li, le feu, qui reprsente le Yang. Le Tan-tien moyen ou champ de
cinabre moyen est le centre nergtique en Wai Dan (Styles externes type Shaolin). Il se situe entre le
diaphragme et le plancher pelvien (le " hara ").
Energtiquement le centre est compos la fois du tan tien bas et du tan tien moyen. C'est un lieu de
rencontre et de diffusion des forces, un lieu de convergence et d'quilibre des nergies " du ciel et de
la terre ", un lieu d'changes entre les forces qui enfantent le mouvement. Bio-mcaniquement, la
rgion de ce centre o se cre l'alchimie des nergies, est la croise des chemins entre deux
triangles de muscles souples ( tirer) dont les pointes se confondent : c'est sur cette rgion qu'il faut
porter son attention car le mouvement doit tre anim, dirig par l'intention qui part du centre.
"Enrouler le fil de soie avec nergie".
Mouvement holistique
Toutes les parties du corps sont lies et participent la ralisation du mouvement global. Non localis
un seul groupe d'articulations chaque mouvement contient toute la pratique. Le corps, l'me et
l'esprit participent galement de faon inter-lie au droulement de l'action, c'est ce que l'on entend
par rechercher l'harmonie du corps et de l'esprit.
Relchement
Suprmatie de la souplesse et de l'lasticit pour le profit d'une " puissance vitalise ". Les muscles et
le mental doivent tre relchs et souples ; c'est la condition sine qua non pour qu'ils puissent
dialoguer et se " nourrir de tous les plus " que la pratique propose. Il faut apprendre se relcher
pendant la pratique lente, et non aprs. Le " lcher-prise " et " se laisser porter par la vague " en font
partie. La sensibilit de proprioception d'un muscle est plus dveloppe lors de l'allongement. Les
tirements ant et post-pratique sont utiles.
Harmonies
C'est ce qui va permettre l'optimisation du dveloppement de l'nergie et son utilisation pendant la
ralisation des mouvements. Etude avance des coordinations, alignements et connexions.
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Rgularit de la pratique
Sans elle, rien ne pourra se dvelopper au niveau nergtique et psychique.
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Dveloppement du Jing
La dtente du corps et le calme du mental, associs au travail du souffle effectu lors de
l'enchanement, vont permettre le dveloppement d'une force intrieure appele JING, que les matres
de Taiji quan opposent la force musculaire considre comme infrieure et limite. Le terme jing
tait employ dans les textes anciens bien qu'assez rarement avec le sens de force. A l'heure actuelle,
il dsigne dans le langage courant le ressort d'un individu, sa vitalit, son dynamisme, en mettant
l'accent sur l'intriorit de cette force (force intrieure / art interne), qui prcde la forme musculaire
et lui prside, et qui est lie l'attitude psychologique d'un individu. C'est aussi le sens qu' ce terme
dans le Taiji quan.
Yi, Intention du cur-esprit
A un haut niveau de ralisation, l'Intention du cur-esprit, le Yi, guide le souffle et l'action.
L'intention qui prside au mouvement part du cur-esprit, le souffle se met en branle dans le tantien
et se met circuler. Le mouvement dbute du centre, rencontre des axes du corps, et des nergies. Le
bassin sous la conduite du centre impulse la direction du mouvement. L'nergie est dirige jusqu'aux
quatre "extrmits du corps" (pointes des deux mains et des deux pieds). C'est l'exemple de l'nergie
de la mer, ncessaire pour pousser la dernire vague sur le sable.
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Chaque mouvement correctement accompli, et stable, est un exercice de l'nergie qui s'accrot
graduellement. L'eau peut user les montagnes. Par la douceur on vient petit petit bout de ce qui est
dur. Cette nergie intrieure nourrie par le souffle et l'esprit est bien plus forte que la force extrieure.
C'est pourquoi on dit: " tre d'abord dans l'intention et ensuite dans le corps " et " l'nergie s'obtient
par la souplesse ".
Les mouvements sont raliss sans rupture d'une manire harmonieuse, de bas en haut et de haut en
bas, de droite gauche et de gauche droite, selon des lignes circulaires. C'est ce qu'on appelle
nergie d'enroulement. La direction de l'nergie se change tout le temps en suivant les gestes partir
de l'axe vertical. Il est profitable de connatre et de sentir o se trouve la pointe d'nergie, c'est--dire
son point d'arrive et le parcours de l'nergie.
Selon la pratique du Tiji qun l'nergie vient des pieds qui sont les racines, passe par les jambes,
monte la taille qui est le centre de contrle et s'panouit dans les mains et les doigts. Le parcours
des pieds aux jambes et la taille est absolument homogne. Ainsi on peut avancer et reculer l'aise,
utilisant l'nergie au moment voulu et la condition requise. Cela veut dire que, dans l'entranement,
l'nergie doit suivre son parcours naturel d'une manire harmonieuse et quilibre. Les fleurs
s'panouissent grce la sve intrieure.
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Durant le dplacement du centre de gravit de l'arrire vers l'avant, la taille s'levant d'abord et
s'abaissant ensuite, effectue une lgre courbe afin de canaliser l'nergie et contrler le mouvement.
De mme pour les pivots du corps, c'est la taille qui dirige le mouvement et canalise l'nergie. " La
taille est le centre du contrle ", c'est--dire qu'elle est le moyeu, le centre du mouvement.
A travers le dos et la colonne vertbrale, l'nergie s'tend et se dirige vers les paules, les coudes, les
paumes qui s'appuient vers l'avant jusqu'aux doigts qui sentent parfois l'arrive de l'nergie. C'est ce
qu'on appelle " l'nergie s'lance du dos et se manifeste dans les doigts ".
Il convient de noter que chaque dplacement de la pointe d'nergie doit suivre le mme processus :
pieds, jambes, taille, dos, bras, mains. Cependant, en dpit des gestes successifs, il faut viter des coups, des saccades, et plus forte raison des interruptions. Le tout se ralise d'un seul trait. Une
partie bouge, la totalit bouge, une partie s'arrte, la totalit s'arrte. La poitrine et le ventre se
meuvent suivant la direction de la taille; il ne faut pas crisper les rgions pectorales et ventrales et les
retenir immobiles. Ainsi le Taiji demande une grande harmonie des gestes qui, dans l'alternance et la
complmentarit du Yin et du Yang, sont conduits dans une forme spirale. Yin et Yang forment un
cercle sans faille.
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Les matres dfinissent le jing comme la manifestation du " souffle vritable " sous sa forme
dynamique. Ils tablissent donc une distinction entre le souffle, lment circulant dans le corps, et la
force issue de ce souffle. Mais cette distinction semble assez superficielle, car les textes utilisent
parfois le terme de souffle l o l'on attendrait celui de force intrieure et vice versa. C'est
vraisemblablement pour se distinguer de l'cole exotrique " shaolin " (ndlr) que les matres de l'cole
sotrique " wudang " ( ndlr) se sont servis du mot jing et l'ont rig en un nouveau concept.
Le jing est aussi dfini comme le " souffle central qui part du cur ". Chen Fake dfinit la force
intrieure du sinciput comme " le souffle central du cur au point Baihui (sinciput) ".
Le souffle central part du cur, passe dans les vertbres cervicales, parvient au point Baihui ; les
artres de souffle sont dbloques et la force intrieure se rpartit dans les quatre membres. Le jing
ne peut en effet apparatre que si le souffle circule sans aucune gne dans toutes les parties du corps,
d'o la ncessit d'un entranement intensif l'enchanement individuel, avec lenteur et souplesse,
accompagn de tous les exercices de respiration et autres, permettant de dbloquer le souffle dans le
corps.
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Samourai de Chomo
Le jing est conu dans le Taiji quan comme une force enroule, force de repli ou de dploiement, fine
et ininterrompue. Les matres de l'cole Chen ont forg l'expression " force enroule comme un fil de
soie " (chansi jing). Cet enroulement ne caractrise pas la force elle-mme, mais la faon dont on doit
l'utiliser. Et Chen Fake, matre contemporain de l'cole Chen, nous prcise que " la force intrieure
du Taiji n'est pas un cercle horizontal, mais une spirale qui s'lve dans l'espace. "
Dans le Taiji quan tushuo de Chen Pinsan, nous trouvons deux illustrations de la force enroule
comme un fil de soie. Il est noter que Chen Pinsan emploie parfois pour le jing dsignant la force
intrieure, le caractre homophone jing dsignant " l'essence sminale ", ou la quintessence d'une
chose.
Le premier schma reprsente la force enroule qui doit tre utilise dans les membres :
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Le second schma a pour titre : " Dessin de l'essence (force) enroule comme un fil de soie dans le
Taiji quan " et est accompagn du commentaire suivant : " J'ai tudi la reprsentation circulaire du
Taiji selon les diffrents philosophes, et je me suis rendu compte, que pour excuter (correctement) le
Taiji quan, il faut comprendre ce qu'est l'essence enroule comme un fil de soie. L'enroulement
comme un fil de soie est la mthode pour faire mouvoir le souffle central. Qui ne le comprend, ne
comprend pas la boxe. Les premires spirales blanche et noire reprsentent le Yin et le Yang du Taiji
existant naturellement au sein du Wuji" . Les deuximes spirales blanche et noire reprsentent le Taiji
engendrant les deux principes primaires (le Yin et le Yang) ; les deux principes primaires sont le Yin
et le Yang, ou le ciel et la terre. Les troisimes spirales blanche et noire reprsentent l'homme.
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C'est par les souffles du Yin et du Yang et des cinq lments que l'homme existe. La quatrime
spirale noire reprsente ce que Mencius appelle " le souffle cosmique ". La quatrime spirale noire
reprsente le souffle et le sang du corps humain ; unis au sens juste du Dao, c'est le souffle correct,
c'est--dire le souffle cosmique. La cinquime spirale blanche reprsente ce par quoi l'esprit du Dao
dirige le souffle. Le souffle sans le Principe ne peut se manifester, c'est un principe inhrent toute
chose. La cinquime spirale noire reprsente l'esprit de l'homme, ou ce que les Sages ont appel
rcemment " l'ego ". Le point blanc au sein du noir reprsente les penses contrles, le point noir au
sein du blanc reprsente les penses gares.
Le Sage, lui. garde les penses contrles et chasse les penses gares. Les penses gares ont t
nommes par Gaozi la nature des dsirs et des apptits . Tous la possdent, mais celui qui peut
chasser cette seule ide du moi et faire en sorte qu'elle ne naisse plus jamais devient purement comme
le ciel et excute les mouvements du Taiji quan en accord avec le mouvement du mcanisme cleste.
Il n'est rien qui ne soit spontane, vivacit l'image du Taiji, et qui ne s'coule de notre corps. Les
trois grandes spirales intrieures expliquent l'origine du Yin et du Vang. Les trois spirales intrieures
indiquent que le Yin et le Yang ont un gouverneur (L'ide des trois cercles intrieurs est entirement
dans le troisime cercle intrieur, qui est le fondement donn l'homme. Ce n'est pas la peine d'en
faire un autre schma). "
crits chinois relatifs aux arts de la guerre. Ainsi, dans le Sumi bingfa, Sunzi crit-il : " Les forces
extraordinaires s'achvent puis se reforment, cycliques comme les mouvements du soleil et de la
lune. Elles expirent puis renaissent la vie, se rptant comme les saisons qui passent . "
2) La force intrieure enroule en sens inverse (ni chansi jing) dploye quand les paumes des mains
sont tournes de l'extrieur vers l'intrieur. La force part alors des doigts, circule dans les paules et
parvient au cur. Elle est aussi appele " la force qui tire en arrire " (lu jing).
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Dans son ouvrage, Chen Pinsan donne deux schmas reprsentant ces deux forces enroules autour
du corps. Le commentaire suivant les accompagne : " Tout le corps est une force spirale. L'on
distingue globalement une force enroule vers l'intrieur et une force enroule vers l'extrieur ; l'une
ou l'autre est mise, selon le mouvement excut... Il y a une seule force et non plusieurs : c'est le
souffle mis du cur. Si l'on est bien centr, il est le souffle central qui lorsqu'il est entretenu devient
le souffle cosmique. "
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Avant-propos
La sduction de la culture orientale n'a jamais t aussi forte qu'aujourd'hui. Cette tentation pour un
Orient peut apparatre lgitime pour deux raisons :
- D'abord parce que notre culture nous, l'occidentale, a privilgi le discours et l'intelligence ; les
deux ont port leurs fruits, mais il apparat de plus en plus nettement que les fruits en question se
dcouvrent des angles acrs et que le chemin qui a de l'intelligence commence faire peur.
Nombreux sont ceux qui vont alors traquer dans les spiritualits hindoues ou chinoises, dans les
diverses traditions " la voie qui a du cur ".
- Mais il y a une deuxime raison : la curiosit, le dsir de possibilits mentales enfouies dans le
cerveau de l'homme, mais dont il ne possderait pas le mode d'emploi. Ainsi les neurobiologistes
commencent admettre ce que, avec une autre formulation, l'Orient a toujours affirm : l'ide d'un
fonctionnement psychologique diffrent. Alors se trouve ractualis le nihuan des taostes, la porte
mystrieuse localise au centre du cerveau qui, franchie, permet de dcouvrir la " source " qui est en
nous depuis le commencement. Mais la tradition a de l'avance sur la " parapsychologie " dans la
mesure o elle prtend possder les mthodes pour parvenir au surgissement de cette nouvelle
conscience, travers la ralisation de ses matres ou gourous. C'est ainsi qu'un mot ancien,
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Ce qu'il faut ncessairement constater, c'est que cette approche de l'Orient et d'un comportement de
mditation est difficile pour une forme de culture qui s'est dveloppe selon d'autres valeurs.
Succinctement, nous pouvons nous dfinir comme une culture fascine par les mots et dcapite pour
ce qui concerne le corps. Je ne pense pas tre excessif. L'Orient c'est tout le contraire : mfiance pour
toute dmarche exclusivement intellectuelle, conviction que l'essentiel ne peut tre " engrang " et
transmis par des mots. Pour s'en convaincre, il suffit de comparer les trajets respectifs des matres
penser des deux cultures : Socrate, Platon, le Christ d'une part, le Bouddha, par exemple, de l'autre.
D'un ct nous avons des histoires d'intarissables bavards, remplies de miracles et de dmonstrations,
de l'autre l'histoire d'un muet qui se contente d'une assise silencieuse, interrompue seulement, raconte
la tradition, par le mouvement furtif d'une fleur dans sa main en direction du disciple privilgi dont
la comprhension sera immdiate. Et pourtant, que la tentation est grande de parler de ce que
promettent les spiritualits hindoues ou chinoises, ne serait-ce que pour trouver un alibi une critique
de notre propre culture. Ce qui est vident, c'est que toute notre ducation nous porte beaucoup plus
discuter qu' exprimenter ou prouver. Qu'est-ce que la libert, qu'est-ce que la passion, qu'est-ce
que le Tai-chi chuan ? demande l'lve occidental avec beaucoup de courtoisie, mais sans raliser
l'extrme violence de son interrogation qui exige une rponse, un claircissement thorique immdiat
pour un problme qui n'a jamais t pos, affront par celui qui interroge.
Pour la tradition, le droit la question suppose pour l'lve une rflexion prliminaire,
l'aboutissement d'une recherche personnelle. Mais l'Orient, c'est aussi la certitude surprenante que le
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corps est un moyen lumineux de parvenir la ralisation, l'Eveil spirituel. Nos coles prparent des
bacheliers capables de disserter sur l'unit du corps et de l'me chez Platon mais qui, par ailleurs, se
trouvent en grande difficult pour porter leur attention (sinon leur me) sur leurs sensations ou sur le
rythme de leur respiration ; ou bien encore, dans le mme temps, ils persvrent ne voir dans le
Bouddha qu'un " gros type " qui se tient d'une manire curieuse. voquer une position correcte
permettant un bon placement du bassin et de l'axe vertbral n'est efficace que si l'on fait allusion au
dficit de la Scurit sociale aggrav par la pathologie du dos. L'ide d'un homme estimant qu'il est
mieux plac que n'importe quel professeur pour trouver ce qui est en lui, jugeant prioritaire de se
comprendre lui-mme avant d'expliquer aux autres comment ils fonctionnent (pour autant qu'il faille
l'expliquer), est une ide " originale " dans notre mentalit.
Dans son livre " Hara " K.-G. Drckheim (Le Courrier du Livre, 1982) constate que la culture
occidentale est une culture sans ventre, et qui ne peut s'investir qu' un niveau de tte. Cette difficult
approcher le corps, " dgeler " le ventre, je l'ai rencontre dans une cole secondaire o un groupe
d'lves pratiquait le Tai-chi chuan. Il nous a fallu plusieurs mois pour parvenir oublier le regard
extrieur et fermer les yeux en seiza (assise silencieuse), pour que rchauffement partir de
massages individuels (ou sur le dos du copain) ne soit pas compens par des rires ou des plaisanteries
susceptibles de... mettre l'aise. La dmarche n'impliquant aucune comptition ou comparaison avec
le partenaire, mais rclamant une attention soi et l'autre, tait vcue comme extrmement difficile
et nouvelle. A cela s'ajoutait la ncessit de substituer un mouvement lent et continu, anim de
l'intrieur, une occupation du temps discontinue et dcide de l'extrieur. Enfin, le Tai-chi
vhiculait un certain nombre d'ides qui s'opposaient aux principes habituels et redoublaient son
tranget :
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- Nous l'abordions comme une technique de " dgonflement " privilgiant le vide, l'expiration, la
rduction du thorax et la dtente du ventre. Toute leur formation (comme la ntre) reposait sur des
notions opposes : aspiration esthtique d'une cage thoracique dveloppe et d'un ventre gomm
correspondant sur le plan intellectuel l'ambition lgitime de " se gonfler " de connaissances pour
russir aux examens ou dans la vie. Il leur tait demand de passer de l'inspiration permanente et
conseille l'expiration mal vue, mal note.
- Nous insistions sur l'aspect mouvement, changement perptuel du Tai-chi chuan. Pratiquer une
dmarche o l'on est propritaire de rien, o l'installation n'est pas possible ni souhaite, leur donnait
l'impression de jouer les camlons tristes. Et puis un jour, sans le vouloir bien sr, Jacques Brel
m'aida par l'intermdiaire d'un lev qui rapporta une boutade du chanteur apparemment trs...Tai-chi
: " Moi, j'habite toujours ma valise ! " De cette manire, le mouvement n'tait plus synonyme
d'indiffrence et il devenait possible d'tre attentif ce qui surgit et disparat.
dans sa tentative d'approcher la qute des traditions orientales, ne me semble pas vritablement
fonde. L'Art, vers lequel nous ne tournons pas suffisamment le regard, participe d'intentions qui
n'ont rien envier aux recherches hindoues ou chinoises. Nous aurions gagner tre attentifs nos
musiciens, peintres et potes. Il est vrai que nous sommes loin de les considrer comme des gourous
dignes d'coute.
Mditation, gymnastique et acupuncture en mouvement, art martial : les aspects du Tai-chi chuan
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sont multiples, mais supposent tous l'actualisation et l'utilisation d'une nergie particulire appele
ch'i. Cette nergie est comparable au sang, non seulement parce qu'elle est conue comme
absolument ncessaire, mais aussi parce qu'elle circule galement travers le corps en suivant des
voies de passage nommes " mridiens ". La notion de ch'i s'exprime dans le deuxime groupe du
caractre chinois, o l'on voit un homme de profil dont la main droite sait transformer l'nergie issue
de la bouche (nutrition).
La notion de mditation dans sa relation au Tai-chi chuan est dfinir deux niveaux :
- II est vident que lorsque la " Longue forme " (l'enchanement des mouvements) est acquise,
matrise et respire, on dispose d'un moyen de relaxation physique et mentale particulirement
efficace. Je ne connais pas de styles externes ou internes offrant un mouvement-kata aussi long que le
Tai-chi, et cela a sans doute compt pour beaucoup dans sa popularit. Ds ce premier niveau, la
dmarche nous introduit dans une situation d'espace et de temps trs diffrente du quotidien : le plus
souvent, nous ne sommes pas l - ici et maintenant - mais nous digrons du pass et dlirons de
l'avenir, capturs par l'imaginaire entre des vnements finis et des moments ross qui n'arriveront
jamais ou qui n'arrivent pas toujours de la manire escompte. D'une faon lapidaire, disons que le
mouvement tai-chi nous oblige cesser de " bourdonner ", c'est--dire focaliser notre attention sur
chaque instant prsent, sur le surgissement du geste nouveau dans celui qui s'efface. Mais les matres
de Tai-chi chuan ont eu, pour leur art, d'autres prtentions qu'une simple finalit de relaxation, si
intressante soit-elle.
- La mditation propre au Tai-chi chuan est clairer partir du taosme, et nous reviendrons sur
cette forme de spiritualit chinoise et ses intentions. Nous prciserons cette mditation qui prsente
deux pratiques essentielles : une attitude mentale (Cunsi ou le " Cur vide ") et une recherche
particulire au niveau de la respiration et de l'nergie (Taixi ou la " Respiration embryonnaire ").
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II est tout fait lgitime d'assimiler le Tai-chi chuan une gymnastique douce. " La " Longue forme
" est un exercice pour se connatre soi-mme ", disent les matres chinois. La signification de la
phrase traditionnelle implique une approche du corps et du mouvement partir d'une triple
proccupation :
- Dcouvrir, observer comment " Je fonctionne " dans le mouvement, qui domine et entrane : les
paules ? les bras ? le ventre ou les jambes ? D'habitude, nous ne nous posons pas de telles questions,
et grande est la surprise de celui qui dbute de constater qu'un corps - le sien en l'occurrence - est fait
de parties, d'lments qui n'acceptent pas toujours de vivre ensemble ou alors qui s'opposent, que
l'autogestion dsire au niveau social n'est dj pas trs claire, facile, au niveau corporel, individuel.
Le Tai-chi chuan exige une conscience de la totalit du corps, mais le mouvement doit tre anim,
dirig par le ventre. Cette conscience imprative du ventre est une des plus grandes difficults de la
dmarche. On entend, on comprend, on pense ce qu'il faut faire, mais on constate que c'est le pied ou
la jambe qui ont dcid et entran le corps. Ainsi, le bassin/ventre est transport par la priphrie et
ne joue aucun rle. La coordination, l'articulation du mouvement supposent un dplacement ventre,
paules, coudes, et poignets/mains. Je prends souvent l'exemple de la mer, milliards de vagues dont
l'nergie est ncessaire pour pousser la dernire vague sur le sable.
- Rechercher constamment l'nergie minimum pour dvelopper le mouvement et assurer tous les
dplacements dans l'espace. Ide chinoise ancienne, mais aussi trs moderne : l'nergie est donne
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l'origine, mais son entropie invitable est une bonne raison pour ne pas la gaspiller.
- Gommer les tensions afin d'conomiser l'nergie, mais aussi pour gagner en sensibilit et en
attention : une contraction est toujours une rupture, donc une vulnrabilit.
Je ne voudrais pas prsenter le Tai-chi chuan comme la panace. Cette dernire est toujours un choix
individuel et c'est bien ainsi. Il s'agit pour chacun de trouver ce qui lui convient le mieux, et cela peut
tre aussi le yoga, la danse, la gymnastique classique, le karat, etc. Nanmoins, sans entrer en
comptition avec la gymnastique europenne qui garde sa spcificit et son efficacit, le Tai-chi avec
ses mouvements lents est trs bnfique au niveau musculaire ; les muscles n'ont pas tre brutaliss
pour se dvelopper harmonieusement. Cela permet galement la dmarche d'tre pratique
n'importe quel ge, sans aucune contre-indication en ce qui concerne l'axe corporel.
A Hong Kong, un matre de Tai-chi m'a racont une petite histoire qu'il pensait clairante sur son
art... " II tait une fois un vieux matre qui posait un oiseau dans sa main - sans doute une hirondelle
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de Chine - et ceux qui l'entouraient pouvaient s'tonner de voir les efforts inutiles de l'oiseau pour
s'envoler. Minuscule force incapable de trouver un point d'appui, sentie et capte par un autre
mouvement invisible : l'extrme sensibilit de la paume ouverte. " J'ai beaucoup march Hong
Kong, mais je dois avouer ne jamais avoir rencontr le vieux Chinois de l'anecdote paisible.
Nanmoins, elle illustre bien la recherche et la spcificit du Tai-chi chuan en tant que technique de
combat.
Les arts martiaux chinois se rpartissent en styles externes (wai chia / coles exotrique) et en styles
internes (nei-chia / cole sotrique). Dans les premiers, il s'agit _ mme lorsque les intentions sont
plus ambitieuses _ de dvelopper essentiellement la force musculaire et la rapidit ; en d'autres
termes, de bloquer l'nergie de l'autre et de dtruire sa capacit d'agression. Le Shaolin qui,
transform Okinawa sera l'origine du Karat, en est l'exemple type. Le Tai-chi chuan est class
dans les styles internes avec le Pa Kua chuan (ou boxe des 8 trigrammes). Ce qu'il faut dvelopper
ici, c'est une nergie particulire qui s'obtient la fois par une matrise de la force musculaire et une
position du corps respectant des exigences trs prcises, enfin par un travail particulier et
fondamental de la respiration.
Pour ce qui concerne les styles internes, il s'agit de " prendre " et de " ressortir " l'nergie qui agresse.
Tout cela est bien sr facile dire et crire, mais beaucoup plus difficile raliser. J'ai travaill
Taipeh avec un matre qui n'tait pas trs vieux, qui ne fixait pas les oiseaux dans sa main et qui
pourtant avait un grand art pour " ressortir " la force. En riant, il projetait .plusieurs mtres, d'une
simple caresse _ apparemment _ le partenaire qui lui avait frapp l'paule. Chacun des spectateurs
avait la possibilit de tenter l'exprience en disant au matre : " Ce n'est pas possible qu'un petit coup
puisse dsquilibrer ce point "... Essai immdiat et gratuit, sans douleur, mais qui " blanchissait " le
cerveau durant une seconde fulgurante.
La question de savoir si les styles internes ont prcd les styles externes ou si, l'inverse, le Tai-chi
chuan s'est dvelopp partir du Shaolin est frquemment pose. La rponse est souvent lie la
dmarche d'lection. Ce qui est certain, c'est que Shaolin et Tai-chi constituent une des grandes
origines des arts martiaux orientaux ; ce qui est galement vident, c'est que ceux qui pratiquent les
formes martiales dures fondes sur la rapidit et la force finissent souvent par une recherche de
l'nergie interne lie une plus grande relaxation musculaire. Cela revient retrouver, consciemment
ou non, les intentions du Tai-chi chuan sculaire. Ainsi, le plus ancien se dcouvre le plus actuel.
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4) Relcher la taille :
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La taille est le matre de tout le corps. Les pieds n'ont de la force et le bassin de l'assise que si l'on est
capable de relcher la taille. Les passages du "plein" au "vide" s'effectuent partir de mouvements
tournants de la taille. C'est pourquoi l'on dit : "La source du commandement est la taille". Le
manque de force provient de la taille et des jambes.
de la pense et de l'esprit. Si l'intrieur et l'extrieur peuvent tre unis en un seul souffle, tout est
parfait.
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En Chine, les monts Wudang sont aux arts internes ce que le temple de Chaolin est aux arts externes.
C'est dans ces monts, hauts lieux renomms du Taoisme, dans les brumes de la province du Hbai,
que se trouvent les sources des arts internes. Les monts Wudang sont associs au personnage de
Zhang Sanfeng, philosophe et ermite taoste qui y sjourna et qui vcut entre le dbut du XII sicle et
la fin du XIIIme sicle. On lui attribue la cration du Tai Chi Chuan...
La lgende :
Le sage Chang San-Feng tait natif de I-Chou dans la province de Liaotung. Il tait haut de sept
pieds, charpent comme une grue et avait l'allure d'un pin. Son visage tait comme une ancienne
lune, avec de gentils sourcils et des yeux gnreux. Ses moustaches taient tailles comme des lances
et, t comme hiver, il portait le mme large chapeau de bambou. Portant un cache poussire en crin
de cheval, il pouvait parcourir un millier de miles en une journe. Au dbut du rgne de Hung-wu, il
voyagea jusqu'aux montagnes T'ai-ho dans le Sichuan pour pratiquer les arts taostes et s'tablit dans
le Temple du Jade Vide. Il pouvait rciter les classiques par cur aprs une seule lecture. Dans la
vingt-septime anne du rgne de Hung-wu, il se rendit dans les monts Wudang, dans le Hubei, o il
aimait discuter des classiques et de philosophie avec la population locale.
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Un jour, il tait l'intrieur rcitant les classiques lorsqu'un oiseau plein d'allgresse se posa dans la
cour. Son chant sonnait comme les notes de la cithare. Le sage observa l'oiseau de sa fentre
L'oiseau reprit de l'altitude, puis scruta, tel un aigle, un serpent lov sur le sol. Les cris aigus,
courroucs, de l'oiseau percrent la quitude de la chaude journe d't : l'oiseau hsite, rde dans le
ciel bleu pendant un moment ; quand tout coup il pointe son bec afft et attaque en piqu pour
tuer.
Mais le serpent est alerte. Il esquive de la tte en un mouvement ais et spiral. L'oiseau fonce de
nouveau en se battant avec ses ailes ; le serpent se contorsionne encore. Le long serpent agite la tte,
ondulant et l pour chapper aux ailes de l'oiseau qui, frustr et dconcert, retourne en altitude.
Puis encore et encore, l'oiseau plonge frntiquement, mais le serpent vite tout effort avec talent, et
se porte hors de danger grce un nouveau mouvement en spirale. Le serpent feint alors la fatigue en
invitant l'oiseau l'approche. L'oiseau tombe dans le pige et le serpent se dresse et enfonce ses dents
dans la victime surprise.
Pendant ce combat pour la survie, les yeux de Chang Sen-Fong, surveillent attentivement. Intrigu
par l'habilet du serpent viter soigneusement les froces coups d'estoc de son adversaire, le
philosophe tudie et mmorise ses mouvements. L'oiseau fait des mouvements saccads et disperss.
Le serpent se meut en souplesse et en cercles. Il comprend alors que la souplesse et l'attention
gagnent sur la raideur et la dispersion.
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De ce combat, Chang San-Feng reut une rvlation : le serpent alliant force et souplesse refltait,
dans sa forme love, l'image des nergies yin et yang, symbole du Tai Chi Chuan, comprenant le
principe du souple enveloppant le dur. Se fondant sur les transformations du Tai Chi (le Grand
Ultime), le sage dveloppa le Tai Chi Chuan pour cultiver l'nergie et l'esprit (shen), le mouvement et
le repos, croissance et dcroissance Chang commena par travailler sur un systme de self dfense
bas sur les mouvements du serpent et les principes du Yin et du Yang. Ses efforts ont marqu les
dbuts du Tai Chi Chuan en Chine. Il pratiquait chaque jour pendant des heures avant d'enseigner la
nouvelle forme de self dfense quelques tudiants choisis. Le secret ne fut pas dvoil au grand
public avant le XXme sicle.
La chronologie historique :
L'essence de la cration du Tai Chi Chuan provient d'lments divers apparus au fil du temps et des
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3500 av JC:
Premires traces de la pratique de la mdecine traditionnelle chinoise.
1400 av JC :
Premires traces de la pratique martiale en Chine sur poteries et fresques.
3me s. av JC :
Hua To, mdecin cre une gymnastique thrapeutique, jeu des 5 animaux.
4me s. ap JC :
Ge Hong, taoste introduit des exercices respiratoires dans la pratique martiale.
6me s. ap JC :
La rencontre de diffrentes disciplines -arts martiaux, mdecine chinoise, techniques de mditationfonde l'origine des arts martiaux "internes ".
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L'univers est un grand Ta Chi et le corps humain est un petit Ta Chi. Comme le corps humain
possde les caractristiques du Ta Chi, tout tre humain peut pratiquer le Ta Chi Chuan. En
s'accordant l'esprit interne chacun peut re-cultiver l'nergie et la sant qu'il a possdes, dvelopper
ses potentialits. Le corps humain est comme une machine qui se rouille si elle n'est pas utilise
pendant longtemps. La rouille peut bloquer le passage du Chi ou nergie vitale, et la circulation du
sang. Ainsi commencent tous les mauxSi quelqu'un veut discipliner son corps, la pratique du Ta
Chi Chuan est le meilleur exercice. En pratiquant, il faut accomplir le Chi par l'esprit et la nature et
non par l'exercice physique de la force. Ainsi n'y a-t-il pas souffrir de fractures osseuses, de lsions
musculaires ou d'corchures sur la peau.
Mais s'il n'y a pas d'effort physique, d'o vient donc la force ?
L'explication est celle-ci : pendant les exercices, les paules du pratiquant doivent tre relches, les
coudes abaisss, la respiration descendue au"Tantien (rgion situe en arrire du nombril). Le Tantien
est le quartier gnral du Chi. C'est l que le Chi prend son dpart pour circuler travers le corps, les
organes et les extrmits. Lorsque quelqu'un a pratiqu le Ta Chi Chuan pendant un certain temps,
son esprit peut diriger le Chi volont, sa force est illimite.
Le Ta Chi Chuan est bas sur un systme interne d'exercices. Celui qui veut dvelopper sa force et se
garder en bonne forme, quel que soit son ge, son sexe et sa vigueur, peut l'apprendre. Aprs
quelques mois d'tude et de pratique, l'lve constatera une amlioration graduelle de sa sant et sera
familiaris avec les formes de base. Aprs trois ans de pratique attentive, les formes pourront tre
bien excutes et, ainsi, appliques automatiquement. L'tudiant qui pratique jour aprs jour
deviendra plus talentueux. Le guide ci-dessous l'y aidera.
- Il est prfrable de pratiquer chaque jour, matin et soir. Deux ou trois fois par jour, c'est bien.
- Reposez-vous au moins une demi-heure ou une heure aprs un repas avant de pratiquer.
- Ne surestimez pas vos forces. Ne faites que ce que votre force et votre sant vous permettent de
faire. Si vous avez t soign pour une indisposition, ne pratiquez pas tout de suite - attendez d'avoir
rcupr.
- En t, ne vous baignez pas dans l'eau froide aprs avoir t chauff par l'exercice. Des bains
froids risquent de renfermer hermtiquement la chaleur dans le corps, ce qui peut tre nocif. Reposezvous un moment et prenez le temps de vous rafrachir.
- En hiver, mettez un manteau tout de suite aprs avoir pratiqu pour viter de prendre froid.
- Ne vous asseyez pas tout de suite aprs l'exercice. Marchez quelques minutes pour faciliter la
circulation du Chi ou nergie interne, et pour quilibrer la circulation sanguine.
- Pendant la pratique ne laissez pas votre esprit devenir la proie des soucis et des proccupations. Il
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doit tre vide, sauf d'une totale concentration sur le Ta Chi Chuan.
- Le dbutant, au dpart, n'apprend qu'un ou deux pas la fois. Il doit essayer d'tre dtendu et, en
mme temps, srieux dans son tude.
- Le Ta Chi Chuan semble bien difficile quand on commence l'apprendre. Mais une fois que les
formes de base sont devenues familires, pratique et tude sont plus aises.
Citations
de Yang Chenfu :
" Je souhaite que les lves futurs ne soient pas dtourns par les formes externes, mais recherchent
toujours la vrit interne."
de Tung Kai Ying :
" Le TaiJi doit tre aspiration la srnit et la rvlation de soi. C'est vraiment un exercice
intrieur....C'est aussi une mthode de self dfense trs labore et efficace...Plus de pratique
permettra d'acqurir une subtilit sans fin. "
"Le propos du TaiJi n'est pas l'talage de la force ou de la puissance, mais la recherche de la srnit
intrieur et de la dcouverte de soi. La pratique reconstruit le soi intrieur tout autant que le corps. "
" Le propos de base du TaiJi c'est de vivre en meilleure sant par des exercices appropris.
Cependant, il en dcoule deux autres desseins : l'application de l'art au sport, et l'application de l'art
la self dfense. Pour apprcier pleinement l'aspect exercice, l'tudiant doit se familiariser avec le
principe du Ta Chi Chuan (Fate Suprme). Le Chi est considre comme le coeur central du Ta Chi
Chuan (Poing du Fate Suprme). C'est un concept semblable celui du Ki en Akido. C'est une force
mentale qui donne celui qui l'utilise plus de puissance et de vigueur quand elle se combine la
force physique. "
" Le TaiJi ne se copie pas; il faut apprendre ce qu'il y a sous la technique."
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de Tung Ying-Jie :
" Pour devenir habile, vous devez suivre votre instinct : vos mouvements et votre repos, ombres et
lumires, ouvertures et fermetures, tout se met peu peu en ordre ; alors votre instinct se rvle
pleinement. "
" Au dbut de l'exercice, on ressent des courbatures dans tout le corps. C'est la transformation de la
force brute. Il n'y a lieu ni de s'inquiter, ni de se dcourager. Au bout de quinze jours, lombes et
jambes deviennent lgers et allgres ; l'esprit et le souffle s'amplifient. .Avant la pratique de l'art
martial, les vaisseaux sont bloqus ; les tendons se rtractent et se raccourcissent ; c'est pourquoi la
force se fixe aux paules et au dos. Aprs l'entranement, les vaisseaux communiquent librement ; les
tendons s'allongent et la force se dploie. Des paules et du dos, elle passe par le bras, le poignet et se
manifeste aux doigts. Progressivement, on abandonne ainsi la nature acquise et on retrouve la nature
inne. Si l'on acquiert la capacit de la nature inne, c'est la merveille prodigieuse."
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Pour l'Occident, la Chine, lorsqu'elle n'est pas envisage sous son aspect actuel, n'est trop souvent
que l'empire du Milieu, celui des lettrs, des calligraphes, la recherche du raffinement en toutes
circonstances. C'est oublier la ralit quotidienne d'un peuple innombrable et essentiellement rural,
oublier que la Chine fut sans cesse menace par les guerres frontalires autant qu'intrieures, et
qu'elle a par consquent dvelopp une forte tradition d'autodfense. Les arts militaires ont donc de
tous temps jou un rle important dans la civilisation chinoise, dont l'idal tait d'ailleurs un quilibre
entre les vertus civiles et les vertus militaires. Le Taiji quan est l'une de ces techniques d'autodfense.
Ce terme signifie " technique de combat main nue du Fate Suprme " ; il s'oppose au Taiji jian "
technique de l'pe du Taiji " ou Taiji dao, " technique du sabre du Taiji ". Il a t class par les
Chinois dans les arts martiaux (wushu).
Dans la tradition chinoise, la force guerrire n'est pas tant destine attaquer, qu' se dfendre et
instaurer la " grande paix " (taiping), un thme que l'on retrouve tout au long de l'histoire de l'empire.
Cet idal de la grande paix, des groupes ou des socits secrtes aussi bien que certains individus se
prsentant comme dfenseurs de la justice, se sont efforcs de le concrtiser. A ct de l'arme
impriale, des hros sont apparus dont l'idal tait de prner la justice, allant pour cela jusqu'
sacrifier leur vie, et n'hsitant pas s'opposer l'ordre imprial lorsqu'il tait source d'injustice. Un
adage chinois dit leur propos : " Ds qu'ils trouvaient du dsordre sur leur chemin, ils sortaient leur
sabre pour apporter leur aide. " On s'en doute, ces actions chevaleresques taient fort respectes et
admires d'un peuple qui avait parfois autant souffrir de la rapacit des fonctionnaires que des
attaques de brigands.
La littrature populaire abonde en histoires de ces hros, prsents en modles au lecteur. Parmi les
plus clbres, citons le roman Au bord de l'eau de la dynastie des Ming, qui retrace les exploits de
chevaliers redresseurs de torts, et reflte fort bien l'tat de la socit paysanne de l'poque. Tout aussi
clbre est le Roman des Trois Royaumes, rcit des exploits de Zhang Fei, Liu Pei et Guanyu, ce
dernier ayant d'ailleurs t divinis pour devenir le protecteur des villages. La dynastie des Qing
(1644-1912) a connu une floraison de ces romans de cape et d'pe, dont les hros sont dots de
maints pouvoirs surnaturels.
L'existence de ces hros chevaleresques si populaires a t considre par Sima Qian, premier
historien officiel de la Chine, comme un phnomne suffisamment important pour qu'il leur consacre
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dans ses Mmoires historiques deux biographies, la " Biographie des assassins " et la " Biographie
des chevaliers errants ", cette dernire tant introduite par cette citation du Hanfeizi, ouvrage lgiste
du IIIe sicle av. J.-C. : " Les Confucens embrouillent la loi avec leurs crits, les chevaliers errants
violent les interdits en usant de leur force, tous deux sont dsapprouver. "
Sima Qian tant historien de la Cour ne pouvait nous livrer directement son opinion personnelle,
mais il semble bien qu'en mettant cette citation en tte de ces biographies, il veuille se dmarquer de
la suite du texte, qui laisse percer une certaine sympathie pour ces chevaliers dont il nous rapporte
l'existence. Ces chevaliers errants taient un objet de crainte de la part du pouvoir central, auquel ils
n'hsitaient pas s'opposer, crainte justifie puisqu'ils participrent au renversement de plusieurs
dynasties, telle celle des Yuan.
Dans ces biographies, Sima Qian distingue plusieurs sortes de chevaliers : les chevaliers plbiens,
les chevaliers des villages et ceux des villes. Cependant, les diffrentes tudes consacres ces
hommes ne s'accordent pas pour en faire un groupe social particulier. Ces chevaliers errants et ces
hros agissaient le plus souvent la tte de milices qu'ils constituaient eux-mmes ou qu'ils
trouvaient dj constitues dans les villages. Il semble qu'au cours de l'histoire chinoise, la plupart
des villages se soient dots d'une structure d'autodfense plus ou moins labore suivant leur
importance. Ce pouvait tre ainsi une famille entire au sein de laquelle se dveloppait
l'enseignement des arts martiaux. Quant l'origine sociale des membres de ces milices, la littrature
populaire la prcise rarement, encore qu'il semble tabli qu'elles accueillaient un grand nombre de fils
de familles pauvres.
C'est dans l'une de ces milices paysannes que le Taiji quan apparut au XVIIme sicle. La plupart des
matres tant de basse extraction, nombre d'entre eux ne savaient ni lire ni crire ; les documents
authentiques, crits par les matres eux-mmes, sont donc fort rares et relativement rcents. Cet
ouvrage a donc t ralis la suite d'une enqute sur le terrain combine une exprience
personnelle du Taiji quan, ce qui nous a permis de recueillir oralement un certain nombre
d'informations introuvables dans les crits. De plus, l'existence de documents de qualit n'a gure t
favorise par le mpris des lettrs pour les paysans souvent incultes qui pratiquaient les arts martiaux,
ni par les rivalits entre les milices, qui maintenaient jalousement le secret de leur enseignement.
De fait, ce n'est qu'entre la fin du XIXme sicle et le dbut du XXme que certains boxeurs se sont
efforcs de noter ce qu'ils savaient ou de transcrire les paroles de leur matre. Mais le plus souvent.
l'art se transmettait oralement de pre en fils, au sein d'une mme famille ou d'une mme milice. Une
exception cette rgle fut constitue par Yang Luchan, matre de boxe qui se rendit dans la famille
Chen dont il reut l'enseignement du Taiji quan, qu'il propagea par la suite Pkin. C'est partir de
ce mme Yang Luchan que le Taiji quan volua de la technique de combat vers la discipline
psychosomatique et le sport popularis. A partir de 1925, on essaya de l'introduire dans l'ducation
scolaire et il fut enseign aux professeurs de gymnastique. Les mouvements difficiles excuter
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furent supprims pour mettre sa pratique la porte des vieillards et des amateurs, mme non
spcialistes d'arts martiaux. Il est donc devenu surtout une gymnastique, mais aussi une technique
thrapeutique. C'est ce dernier aspect qui tend se dvelopper actuellement en Chine populaire. Par
ailleurs, cet art martial faisant usage et dveloppant une nergie intrieure par un travail du souffle, il
s'apparente aux techniques taostes de longvit et est aussi considr comme un art de longue vie.
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L'observateur occidental qui assiste au droulement du Taiji quan a peine croire qu'il s'agit l d'un
art martial, la mme raction pouvant tre le fait des jeunes Chinois qui se rient de cette gymnastique
et lui prfrent des sports plus combatifs et aussi plus agressifs.
Pourtant, les anciens matres considrent le combat comme la fonction premire du Taiji quan, et
certains de plus en plus rares, y tmoignent de capacits impressionnantes. Il faut noter aussi que
l'aspect martial est plus vident dans l'cole Chen qui n'a pas pouss l'extrme la notion de
souplesse et la lenteur (cole Yang) et a conserv une excution plus martiale et plus sche du
mouvement.
D'un point de vue tant historique que pratique, le Taiji quan participe de la tradition chinoise de la
stratgie et de l'art du combat. Plusieurs passages du Daode jing traitent de stratgie et I'on peut se
demander si ce n'tait pas l'origine un des aspects majeurs de cet ouvrage. Il faut d'ailleurs prciser
que la notion de combat en Chine ne se rduit pas l'ide de lutte contre un adversaire rel, mais
englobe aussi bien les combats contre les dmons (tels que ceux engags lors de rituels et des
exorcismes), contre les tendances profondes, contre tout obstacle rencontr dans son existence.
S'il est vrai donc que l'excution de mouvements d'une lenteur extrme, sans l'usage de la force, peut
paratre constituer un curieux entranement au combat, il ne faut pas oublier que cet enchanement
n'est que la premire tape, le travail prliminaire.
La dtente et le travail du souffle effectus lors de l'enchanement vont permettre le dveloppement
d'une force intrieure et illimite appele jing, que les matres de Taiji quan opposent la force
musculaire considre comme bien infrieure et limite.
Le terme jing tait employ dans les textes anciens bien qu'assez rarement avec le sens de force. A
l'heure actuelle, il dsigne dans le langage courant le ressort d'un individu, sa vitalit, son
dynamisme. en mettant l'accent sur l'intriorit de cette force (force intrieure / art interne), qui
prcde la forme musculaire et lui prside, et qui est lie l'attitude psychologique d'un individu.
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Le Huang Shan se trouve dans la province centrale de An-hui, immdiatement au sud du fleuve
Yang-ts. Immense chane de montagnes, le Huang Shan est compos d'une multitude de monts dont
les plus renomms, selon la tradition, sont au nombre de soixante-douze. Au milieu de cet ensemble
impressionnant se dressent une vingtaine de sommets aux falaises abruptes et aux ravins profonds.
Les trois plus hauts, tous au-dessus de 1800 mtres sont la Capitale du Ciel au sud, le Lotus-clos
plus l'ouest, et la Cime-lumineuse plus au nord. Au triangle que forment les trois pics viennent se
joindre deux autres pics, moins hauts mais quips de structures d'accueil : le Paravent de Jade, situ
entre la Capitale du Ciel et le Lotus-clos, et puis l'Oie-blanche, dans le secteur des Mers du Nord.
Ces cinq pics principaux, relis entre eux par des chemins, forment ainsi, au cur du Huang Shan,
une constellation qui offre, partir de n'importe quel point, de vertigineuses perspectives
Entre toutes les montagnes de Chine, clbrons le Huang Shan. Elue entre toutes en effet, cette
chane de montagnes, situe au cur de la Chine. Par la splendeur de ses sites qui composent un
ensemble la fois contrast et harmonieux, par l'trange dialogue nou entre ses pins et ses rochers
l'aspect vivace ou fantastique, dialogue que ponctuent les chos des sources et des cascades, par la
prsence de ses brumes et nuages, fascinants de nuances colores et de mouvements varis et qui
l'aurolent d'un mystre sans cesse renouvel, et enfin, par tous les mythes attachs ce haut lieu
hant par des figures lgendaires et par les meilleurs peintres et potes travers les sicles, elle
incarne, par excellence, ce qu'il y a de plus constant et de plus profond dans l'imaginaire chinois.
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Pourpres ou azurs, passs au lavis ou nimbs d'un halo lumineux, brumes et nuages ont leur palette
en accord avec celle des rochers et de la vgtation. On les voit monter de la valle vers le sommet et
voluer d'un mont l'autre, les entranant dans un processus de mtamorphoses perptuelles. Comme
pour accomplir un rituel sacr, avant l'aube on se rend sur la haute terrasse ou sur le mont Lionaccroupi pour voir les flots de nuages dchirs par le soleil levant, et le soir, irrsistiblement, on se
dirige vers l'ouest, jusqu'au belvdre Nuages-dferlants pour voir les mares de nuages emporter le
soleil couchant. A ces heures la nature mme, avec ses monts, ses pins, ses rochers, le Singecontemplant-l'ocan, la Desse-offrant-des-fleurs, l'Immortel-schant-ses-bottes, silhouettes soudain
figes l, au premier plan, semble frappe de stupeur. Spectacle grandiose auquel on ne se lasse pas
de participer, tant il change de lumire et d'aspect chaque instant.
Faute de mots, l aussi, pour les dcrire, nous nous contentons de souligner, une fois encore, les
sentiments profonds que nourrissent les Chinois pour les brumes et les nuages. Matire insaisissable
et vanescente entre toutes, ceux-ci leur apparaissent pourtant comme des substances charnelles. Ds
lors, ils entretiennent avec eux des rapports quasiment "sensuels". Les potes ne parlent-ils pas de
"dormir au sein des brumes et nuages" ou de "caresser brumes et nuages"? Et les adeptes du taosme
conseillent, eux, de se "nourrir de brumes et nuages".
Tout Chinois qui parvient au Huang Shan prouve l'trange sensation de retrouver "son lieu et son
milieu", de "toucher au but". Pour peu qu'il s'y attarde toutefois, il fait l'exprience d'un amour
passionnel qui le dpasse, il prouve la prsence d'un tre combien rel et pourtant dsesprment
inaccessible, la fois combl de beauts palpables et charg d'indicibles mystres, tour tour attirant
et fuyant, rvlant et cachant... Rien d'tonnant ce que, de tout temps, potes et peintres le
comparent une ensorcelante figure fminine qui hante et fconde leur imagination.
Une question surgit : que signifie donc, aux yeux des Chinois, la montagne? Pour y rpondre, il nous
faut faire un lger dtour, en voquant brivement la cosmologie chinoise. D'aprs celle-ci, le souffle
primordial manant du Vide originel se divise en deux souffles vitaux Yang et Yin, lesquels, par leur
continuelle interaction, rgissent le fonctionnement de Dix mille tres du monde cr. Le Yang et le
Yin, reprsentant respectivement le principe de la force active et celui de la douceur rceptive,
s'incarnent, diffrents niveaux de l'univers vivant, dans des entits formant couple. C'est ainsi que le
Ciel-Yang s'accouple avec la Terre-Yin ; dans l'ordre cleste, leur tour, le Soleil-Yang s'accouple
avec la Lune-Yin, et dans l'ordre terrestre, la Montagne-Yang avec l'Eau-Yin, etc.
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Il ne s'agit point, entre les entits accouples, d'une opposition rigide et statique. Grce au Vide
mdian, les deux entits s'attirent dans la tension et se compltent dans l'harmonie. Elles sont dans un
rapport de devenir rciproque. Chaque entit, doue de sa propre nature Yin ou Yang, est amene
solliciter l'autre et acqurir par-l les vertus de son partenaire. En sorte que dans l'idal le vritable
Yang doit contenir du Yin, et le Yin du Yang. Comme dans un couple humain o il convient que
l'homme possde des vertus fminines et la femme des vertus masculines, la Montagne, par exemple,
n'est pas mure dans sa nature Yang. N'oubliant pas qu' son origine, elle n'tait que "vague fige",
elle n'a de cesse de s'approprier les qualits de l'Eau. Quant l'Eau, Yin en son tat naturel, ne se
rvle-t-elle pas capable du Yang lorsqu'elle se mue en vague puissante?
Ainsi, la Nature, sous son apparente fixit, se prsente comme un ensemble dynamique, en perptuel
devenir. Soulignons, cependant, que la Montagne constitue une entit exceptionnelle entre toutes,
possdant une sorte de compltude en elle-mme. Avant tout Yang par ses rochers et ses pics, elle
n'est point dpourvue de Yin grce ses sources et ses cascades. Et surtout elle recle en son sein
brumes et nuages qui l'entranent sans cesse dans de secrtes mtamorphoses. En effet, selon
l'imaginaire chinois, le nuage, la fois condensation de l'eau et en mme temps, forme de montagne,
est minemment un Vide mdian qui participe des deux natures. Avec brumes et nuages baignant ses
flancs, la Montagne semble prte plonger pour se fondre dans l'Eau, et l'Eau, elle, monter pour
s'riger en Montagne. Ainsi, la Montagne ralise en elle-mme un mouvement circulaire aussi
fondamental qu'exemplaire.
Les sages et artistes en Chine l'ont compris, eux qui ont cherch avec tant d'ardeur communier avec
la Montagne. Ils se perdent volontiers au cur des "mille cimes et dix mille grottes" pour admirer
quelques beaux sites certes, mais avant tout pour se ressourcer aux forces vitales, celles-l mmes qui
animent l'Univers, rtablissent l'alliance entre Terre et Ciel et confirent, selon le rve taoste,
l'immortalit. Rien d'tonnant d'ailleurs ce que le mot dsignant un Immortel soit en idogramme un
compos du signe "l'homme" et du signe "Montagne". Et le mot en son entier est emblmatique d'une
sagesse millnaire authentiquement vcue. Au VIIIe sicle, Li P, le grand pote de la dynastie
T'ang, toujours en qute de rencontres avec des ermites et de cet tat de communion totale avec la
Cration, faisait de frquents sjours en montagne. Il n'est pas un sommet de quelque renom en Chine
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o il n'ait laiss ses traces. Ses riches expriences, il les rsumera dans un clbre quatrain intitul:
"A un ami qui m'interroge":
Pourquoi demeurer au cur de ces vertes montagnes?
Je souris, sans rpondre, le cur tout serein.
Fleur de pcher, au gr de l'eau : mystrieuse voie...
Un ciel-terre autre, non celui des humains!
Ce paysage si typique du Huang Shan, constamment baign dans une brume colore et mobile,
incarne l'idal de la peinture chinoise. D'ordinaire, pour qualifier un tableau de paysage bien excut,
on dit qu'il est "plus vrai que nature". Ici, au sein du Huang Shan, le visiteur subjugu ne manque
jamais de s'exclamer: "Mais c'est plus vrai que la peinture chinoise!" En effet, cette peinture montre
souvent des paysages si thrs, comme irrels, que ceux-ci donnent l'impression d'avoir t
purement imagins par les artistes. Or, le Huang Shan est justement un de ces lieux en Chine qui
dmentent cette impression. S'il a depuis toujours inspir les peintres, c'est surtout partir du dbut
du XVIIe sicle, lors de la chute de la dynastie Ming, qu'il a partie lie avec l'art pictural. Un groupe
de peintres minents - Hungjen, Mei Ts'ing, Shih T'ao, K'un Tsan, etc. - s'y retirrent alors, en plus
ou moins longs sjours, et formrent une cole de peinture. Depuis lors le Huang Shan est devenu un
vritable berceau de l'art.
A chaque mouvement de renouveau, c'est l qu'on vient puiser nergie et inspiration ncessaires.
Pour ne citer que les plus grands noms de l'poque moderne, un Huang Pin-hung, un Chang Tach'ien, un Fu Pao-shih, se sont pris de vritable passion pour lui. Aprs la terrible priode de la
Rvolution Culturelle, les peintres, une fois de plus, n'ont rien trouv de mieux que le Huang Shan
comme lieu de ressourcement, pour tenter de renouer avec la grande tradition du pass. Un besoin
urgent, presque pathtique, pousse des centaines, voire des milliers d'entre eux entreprendre le
plerinage du Huang Shan, y venir et revenir.
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Comment d'ailleurs ne pas tre frapp, ici, par la prsence odorante et bruissante de ces fameux pins
de Huang Shan, dcoupant dans le vide leurs silhouettes majestueuses ou tourmentes? Certains
s'lancent en vritables seigneurs du lieu, esquissant les gestes d'un crmonial millnaire: le pin
Accueillant-les-htes, le pin Coussin-de-prire, etc. Aussitt aprs les pins, s'imposent les masses
noires des rochers granitiques aux formes fantastiques et portant des noms vocateurs: le rocher
Ecureuil, le rocher Immortel, le rocher Paon-jouant-avec-le-lotus, etc. Et si l'on pousse plus loin la
promenade, on aboutit au rocher Venu-d'ailleurs-en-volant, juste titre clbre. Sur le sommet plat
d'un prcipice, se dresse verticalement un roc prcairement pench comme la tour de Pise, haut de 12
mtres et pesant 360 tonnes. Vestige de l'poque glaciaire comme tous les autres rochers, il a t pos
l, dans une attitude "ternellement provisoire", pareil un oiseau gant faisant halte un instant avant
de reprendre son envol.
Signalons ici un fait particulier qui a sa signification profonde: au Huang Shan, les pins et les rochers
sont intimement lis; plus que solidaires, ils sont insparables. Beaucoup de pins poussent en effet
mme le rocher, s'arrachant du dur carcan avec une force stupfiante. Leurs racines scrtent un acide
qui rode la pierre et la transforme en une sorte d'humus. Malgr vents et temptes ils tiennent bons.
Il s'tablit alors entre pins et rochers un jeu de contrepoint jamais lassant, tant sont varies les
attitudes qu'ils prennent et contrasts les rapports qu'ils entretiennent. D'un ct, les rochers aux
teintes mauves claires ou noires luisantes; les uns austres, veillant avec gravit, les autres presque
tendres, arrondis comme des mamelles; de l'autre ct, les pins couleur d'argent ou d'meraude, tantt
lancs, les bras ouverts vers le haut, tantt recourbs, jouant avec les ombres. Toutefois, si les
Chinois sont sensibles au jeu formel entre ces deux espces minrales et vgtales, ils le sont encore
plus au dialogue essentiel, plein de connivence qu'elles nouent entre l'enracinement dans la Terre et
l'lan vers le Ciel, entre la rigueur et la grce, dialogue auquel participe en profondeur l'esprit
humain. On se trouve en prsence de ce mouvement circulaire de devenirs rciproques dont nous
avons parl propos de la cosmologie chinoise. Un pome d'inspiration taoste ne dit-il pas :
Rocher propulsant arbre
Arbre aspirant rocher
Cercle ouvert renouant l'alliance terre et ciel
Cercle ferm renouvelant le mystre trois faces
Dans l'ombre offerte homme errant
Asseoit enfin son royaume.
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64
1.
Le hasard d'une part, l'art de l'autre : entre tuch et techn, un troisime terme s'interpose pour penser
l'action - l'occasion (kairos). Qu'il s'agisse de la navigation, de la mdecine ou de la stratgie, telles
que Platon les aligne la suite, entre ce qui, d'un ct, relve de la fortune (ou de la " divinit ") et, de
l'autre, ce qui est " ntre " (la technique), l'occasion oprerait la jonction d'o provient l'efficacit :
elle est le moment favorable qui est offert par le hasard et que l'art permet d'exploiter; grce elle,
notre action est en mesure de s'insrer dans le cours des choses, elle n'y fait plus effraction mais
russit s'y greffer, profitant de sa causalit et s'en trouvant seconde. Grce elle, le plan concert
trouve s'incarner, cet -propos nous donne prise, il assure notre matrise. En politique aussi,
reconnat le philosophe, "j'attendais toujours pour agir le bon moment ". Car l'occasion est ncessaire
pour qu'il puisse esprer mettre en pratique la "thorie ". But-action-occasion : le schma dsormais
est complet, l'occasion venant ajuster l'un pour assister l'autre. Car " la fin de l'action " est elle-mme
" relative l'occasion", rappelle Aristote.
Dernire coordonne prendre en compte, par consquent, pour penser l'action efficace, celle du
temps Car l'occasion est cette concidence de l'action et du temps qui fait que l'instant soudain devient
une chance, que le temps alors est propice, qu'il parat venir notre rencontre, occurrit, qu'il est une
occurrence. Temps favorable, qui conduit au port, "opportun" - mais temps fugace aussi : temps
minimal en mme temps qu'optimal, qui point peine entre le pas encore et le dj plus et qu'il faut "
saisir" pour russir. Alors que la science porte sur l'ternel (ce qui est toujours identique et qu'on peut
dmontrer: toujours l'idal des mathmatiques), l'utile est minemment variable, reconnat Aristote :
car "ceci est utile aujourd'hui mais ne le sera pas demain". " En vue de la fin qu'il faut ", convient-il
donc de prciser de la faon qu'il faut et quand il faut : le bien se trouvant dcliner selon les
catgories, ds lors qu'on ne croit plus une ide du Bien qui soit gnrale, l'occasion sera le bien
selon la catgorie du temps, autrement dit "le temps en tant qu'il est bon". Et mme l'intrieur de
cette catgorie du temps, "ce sont des sciences diffrentes qui tudient des occasions diffrentes", et
l'occasion se concevra diffremment en mdecine et en stratgie; la limite, il y aurait mme autant
d'occasions spcifiques que de situations. Mais du mme coup - et c'est l nouveau le contre-coup
de la critique adresse Platon, l'occasion court le risque d'tre insaisissable. Car, parpille comme
elle est travers la diversit de ses occurrences, peut-elle tre encore objet de "science", et mme de
"technique" - puisque la technique aussi veut du gnral ?
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L'importance de l'occasion - kairos - n'en est pas moins affirme d'un bout l'autre de notre
Antiquit. "Rien ne vaut mieux que de la connatre" (Pindare) elle est "le meilleur des guides dans
toute entreprise humaine" (Sophocle), sa "toute-puissance" est affirme. Ds les premiers potes,
Homre et Hsiode kairos apparat li la dfinition de l'acte efficace, nous dit Monique Trd, et
"c'est bien l, semble-t-il, la cl de la notion", laquelle l'essor des techniques, au Ve sicle,
confrera son plein dveloppement : dans son entreprise de persuasion, l'orateur ne s'aide pas
seulement du raisonnement pour mettre en valeur le vraisemblable (eikos), il s'attache galement
tirer parti des circonstances en saisissant l'occasion et s'exprimant propos (de Gorgias Isocrate);
de mme, la mdecine hippocratique se dfie des prceptes trop gnraux et vise adapter la
thrapeutique, en l'absence de tout lment "stable" (kathestekos), la particularit et la "bigarrure "
des cas rencontrs : non seulement en vue de raliser le bon dosage - et le kairos mdical est d'abord
une affaire de mesure - mais aussi, au cours du traitement, en rponse la " crise ", pour intervenir
quand il faut.
Sous le fond d'vidence qu'ils ont fini par tisser, au point que notre pense de l'occasion parat
dsormais aller de soi (ou ne serait-ce pas plutt notre "im-pense"?), nous commenons d'apercevoir
les partis pris thoriques de ce "temps opportun" - autrement dit, quelles sont les composantes
grecques de l'occasion. Car son arrire-plan n'est autre que celui de l'ontologie en opposant l'tre au
devenir, le " stable " au " mouvant " c'est pour adapter la rgle l'instabilit des choses - ou plutt
pour que celle-ci s'y trouve enfin adapte - qu'on "attend" l'occasion; de mme sa conception reposet-elle sur la relation qui a le plus marqu l'essor de la philosophie, celle du particulier et du gnral au
point mme d'en radicaliser l'opposition (et, s'enfermant alors dans la particularit, comme chez
Aristote d'chapper la thorie). Elle est alors l'ultime ressource qui nous reste dans un monde priv
de la fixit des essences, livr au temps et dans lequel nous sommes forcs d'agir; mais ressource
nanmoins parce quelle reste habite par l'harmonie : entre le trop et le trop l'occasion est summetros,
elle rejoint l'idal grec du nombre et de la mesure. Enfin, c'est partir des technai, qu'est conue
l'occasion, et celle-ci l'est en relation a l'action. Aussi la question ne peut-elle tre vite : que reste-til de cette conception du temps opportun (et s'agit-il encore de " temps "?), ds lors qu'on la sort de
ces choix implicites : ds lors que nous ne l'envisageons plus dans la perspective de l'action, mais
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selon cette autre logique que nous avons commenc de suivre - celle de la transformation? Si
l'"occasion" n'en disparat pas pour autant, sa structure, en revanche, on le conoit d'avance, est
repenser.
2.
Nous trouvons pourtant aussi, en Chine, la notion de moment opportun, "adapt", "ne pas manquer"
(au risque sinon de perdre son efficacit stratgique). La aussi, le bien se voit distribu selon une
multiplicit d'aspects : de mme que pour l'"esprit " le bien est la "profondeur", ou pour "les affaires"
la "capacit" pour la "mise en mouvement" il est le "moment " et ce moment du "dclenchement" ne
doit pas tre "retard ". Reste voir de plus prs comment l'ancienne littrature stratgique comprend
celui-ci. A la suite du potentiel de situation illustr par le torrent qui, dans son lan, est mme de
charrier les pierres, ce moment du dclenchement est voqu par l'image de 1'oiseau qui, fondant
soudain sur sa proie, d'un seul coup lui rompt les os. C'est qu'il a frapp pile l'instant qu'exigeait la
distance le sparant de sa cible (cf. la notion de jie dsignant d'abord le nud de la tige du bambou
puis de l la conjoncture et la juste mesure); et si l'attaque dclenche possde alors le plus
d'intensit, au point de briser net le corps de la victime, c'est qu'un maximum de potentiel est
accumul. Car, comme le prcise un commentateur (Wang Xi), "l'lan foudroyant de l'oiseau de proie
rsulte du potentiel de situation", l'instar du torrent qui charrie les pierres, et "c'est du potentiel de
situation que dcoule ensuite le moment qui convient pour attaquer". Ou, selon le texte canonique, le
potentiel cre la tension vertigineuse d'o vient l'lan, aprs quoi le moment adapt est trs "court".
l'accentuation pralable, et progressive, s'oppose le bref instant de la prise; mais l'enchanement se
poursuit au sein d'une mme image : "le potentiel de situation est comme bander l'arbalte et le
moment opportun est comme en dclencher le mcanisme ".
Voici donc que s'esquisse une autre conception de l'" occasion " : non plus comme la chance qui
s'offre au passage, par un heureux concours de circonstances, incitant l'action et favorisant son
succs; mais comme le moment le plus adquat pour intervenir au cours du processus engag (au
point que, la limite, cette intervention n'en est plus une - tellement on y est pouss), celui o
culmine la potentialit progressivement acquise et qui permet de dgager le plus d'efficacit. Comme
le prcise un commentateur (toujours Wang Xi), ce potentiel de la situation " vient de loin " mme si
le moment de l'attaque est si bref. Dans l'optique de la transformation, l'occasion n'est plus que
l'aboutissement d'un droulement, et la dure l'a prpare; d'o, loin de survenir l'improviste, elle
est le fruit d'une volution qu'il faut prendre son dpart, ds qu'elle apparat.
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Cette occasion est autre, ou plutt elle est double, puisqu'on la rencontre aux deux bouts de la dure :
derrire l'occasion qu'on croit voir surgir l'improviste, et dont il faut savoir l'instant profiter, s'en
profile une autre, en amont d'elle, qui est le point de dpart du processus engag et dont celle-l
procde au terme du droulement. Nous avons affaire, en effet, non pas un mais deux instants
cruciaux (i.e., au dbut et la fin de la transformation) : celui, terminal, o l'on tombe enfin sur
l'ennemi avec un maximum d'intensit, au point que celui-ci se trouve aussitt dfait; et celui, initial,
o a commenc s'oprer le clivage partir duquel le potentiel a progressivement bascul d'un des
cts. Autant, au stade terminal, l'occasion est devenue flagrante, autant, son stade initial, elle n'est
encore que trs difficilement perceptible; mais c'est cette premire dmarcation qui pourtant est
dcisive, puisque c'est d'elle que dbute la capacit d'effet et que l'occasion finale n'en est, somme
toute, que la consquence. Il tait donc logique que la rflexion stratgique, en Chine, reporte son
attention du moment du dclenchement au moment initial o s'esquisse la tendance qui conduit
celui-ci. La rflexion s'attache discerner le " potentiel de la situation " son stade " embryonnaire",
" l'tat d'amorce". Car, nous l'avons vu, le stratge pourra ensuite compter sur son dveloppement et
se laisser porter par lui ; plus tt donc il percevra cette amorce de potentiel et mieux il saura en
profiter. Tout se joue au stade du plus infime et le moindre processus qui s'engage, serait-ce l'" envol
d'un insecte " ou le " rampement d'un ver ", tel le battement d'aile du papillon, de Lorenz Prigogine,
a lui aussi son incidence.
Et la sagesse, sur ce point encore, recoupe exactement la stratgie. Car qu'il s'agisse de se conformer
en soi-mme la moralit, ou de dployer dans le monde son efficacit, l'un et l'autre, sage et
stratge, sont conduits scruter le point de dpart de la tendance, et c'est mme l leur premier souci.
Si minime soit-elle, en effet, ds lors qu'elle s'affirme, la tendance modifiera infailliblement la
situation : le premier scrute la moindre dviation de son for intrieur car, moins qu'il ne la corrige
aussitt, elle l'cartera de plus en plus de la voie; le second scrute la moindre propension favorable
qui s'amorce au sein du monde car, ds lors qu'il la repre, il pourra s'appuyer sur elle jusqu' soi
aboutissement. Au moment de l'amorce, en effet, rien ne se voit encore mais dj une orientation est
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engage Ou, comme l'explicite un commentateur propos de la morale, aucune marque sensible ne
s'est encore actualise mais la mise en mouvement a dj lieu, et cet branlement infime, si l'on n'y
prend garde, aura des consquences infinies. Car, peine commence-t-il poindre qu'il inflchit dj
le cours des choses (ou de la conscience) et peut dployer de plus en plus loin ses effets - la longue,
dans la dure. De cette prcieuse notion d'amorce, la leon est donc facile tirer : le potentiel de la
situation qu'on voit surgir l'occasion tait dceler sa premire prfiguration; car, au lieu que
cette occasion soit fugitive, on pouvait en suivre alors pas pas le dploiement et donc tre sr - et
prt - de frapper au bon moment.
Toute l'attention stratgique est donc reporter ce stade initial, en amont de l'" occasion ", moment
discriminant bien que non encore patent, qui fait imperceptiblement pencher la situation, et d'o
dcoulera progressivement le succs. L est le premier dclenchement, secret mais commandant
l'autre, o se " tranche " de la faon la plus subtile ce qui fera ensuite tout basculer. En mme temps
que l'occasion se ddouble, la notion de "crise" (krisis au sens de "dcision") est donc elle-mme
repenser. Car le moment critique ne correspond plus au stade de la manifestation (cf. dans la
mdecine hippocratique o la crise est le moment o la maladie se "juge "), mais se dplace en amont
jusqu'au stade le plus infime - celui de l'amorce - o commence s'oprer le clivage et qui est "
dcisif". Il n'est plus li au spectaculaire, comme dans l'action thtrale, mais au plus discret. Mais
sait-on le dtecter, on peut alors prvoir l'volution et la grer; et la " crise " peut tre dsamorce.
69
70
Selon la juste vision du Tao, le Vide mdian intervient chaque fois que le yin et le yang sont en
prsence. Drainant la meilleure part des deux, il est ce troisime souffle qui lve l'un et l'autre vers
une transformation cratrice, et leur permet de se dpasser. Tant il est vrai que l'accomplissement de
chacun n'est point en soi, mais en avant de soi. Les anciens Chinois - notamment du ct des taostes,
mais les autres courants de pense, sur ce point, ont fini par pouser leur vue - ont dvelopp une
conception unitaire, et organique de l'univers vivant o tout se relie et se tient. la base de cette
vision originale : le souffle. Le souffle primordial constitue l'unit originaire ; de tous les lments et
ne cesse d'animer toutes choses vivantes, les reliant en un gigantesque rseau d'engendrement et de
circulation, appel le Tao : "la Voie".
Comment se manifeste la fcondit du souffle ? Son mouvement fondamental est ternaire, selon les
sages de la Chine antique qui se fondaient sur une approche phnomnologique de la vie en son
infinie varit, travers les "Dix mille" tres. Ces penseurs distinguaient trois types de souffle
manant tous du souffle primordial et agissant de faon concomitante : le souffle yin, le souffle yang
et le souffle du Vide mdian. Le yin et le yang commencent tre familiers l'esprit occidental. On
sait que le premier incarne la douceur rceptive, que le second incarne la puissance active. Chaque
tre acquiert sa spcificit en entrant en interaction avec d'autres tres, et en premier lieu avec son
partenaire privilgi, son complmentaire. Car la vie s'exprime naturellement par paire. Ainsi en va-til de l'homme et de la femme, du mle et de la femelle, bien entendu. Mais la dialectique du couple
rgit aussi les grandes entits de l'univers : le ciel yang et la terre yin, le soleil yang et la lune yin, la
montagne yang et le fleuve yin, le rocher yang et l'herbe yin, l'oiseau yang et les fleurs yin...
Mais si l'on s'en tient cette simple numration binaire, on pourrait croire que la pense chinoise est
duelle, voire dualiste. C'est que l'on oublie souvent le Vide mdian, ce grand Trois n du Deux, et qui
permet au Deux de se dpasser. Le Vide mdian, tirant son pouvoir du Vide originel, intervient
chaque fois que le yin et le yang sont en prsence. Dans l'idal, il a le don de crer un espace vivifiant
et d'y entraner le yin et le yang en vue d'une crative interaction. Drainant la meilleure part des deux,
il les lve vers une transformation bienfaisante. Cette circulation ternaire a lieu aussi bien
l'intrieur d'une entit vivante - puisque tout tre est habit par le yin et le yang, avec un ple plus
marqu pour l'un ou pour l'autre - que dans la relation entre toutes les entits vivantes. La montagne
et le fleuve, par exemple, ne sont pas seulement deux partenaires qui se trouvent en vis--vis. Ils
entretiennent un rapport bien plus intime, une relation d'entrecroisement, d'interpntration, de
devenir mutuel - les Anciens ne racontent-ils pas que la montagne est forme l'origine par des "
vagues figes " ? Et les eaux du fleuve, en s'vaporant vers le ciel chaque instant et en se
transformant en pluie pour r-alimenter la source au sein de la montagne, ne montrent-elles pas
qu'elles habitent la montagne, tape temporaire dans leur incessante circulation ? Oui, le vrai
mouvement de l'tre est circulaire, il se fait non en ligne droite mais en cercles concentriques, ce qui
lui permet d'aller sans cesse la rencontre d'autres cercles ns d'autres tres.
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D'o l'importance accorde par les Anciens au rle constant jou par le souffle du Vide mdian, et
par suite, tout ce qui se passe entre. " Dans l'idal ", avons-nous dit. Mais ce qui se passe entre ne
relve pas toujours du bien, tant s'en faut. L'humain fait souvent l'exprience du contraire, fausses
rencontres ou changes nfastes qui n'engendrent que blessures, souffrances ou mal extrme - ralits
que nous n'entendons pas luder dans notre posie. S'impose donc la ncessit d'un critre de valeur.
Celui qui est avanc par les matres du Tao est au demeurant simple, pour ne pas dire lmentaire.
L'un des commentaires du Livre des mutations (Yi Jing) n'affirme-t-il pas : "La Vie engendre la Vie,
il n'y aura pas de fin " ? Ainsi, la bonne relation est celle qui va dans le sens de la vie ouverte, celle
qui porte leur plus haut degr promesses et virtualits en vue d'une ralisation plnire, l'instar
d'un arbre ou d'une fleur dont la croissance tend vers la plnitude de leur forme.
Ainsi centre sur l'entrecroisement et le relationnel - et proche en cela de l'ide de " chiasme " prne
par Merleau-Ponty -, la pense chinoise a peut-tre manqu de porter l'attention ncessaire sur le
statut des tres en soi et sur le droit qui les protge. Mais elle s'est avre particulirement oprante
dans le domaine esthtique : ds le IVe sicle environ, s'tait labore une philosophie esthtique qui
tentait de penser la " beaut " rvle par l'intime dialogue entre l'homme et la nature, et par les
diverses formes de la cration artistique. Une telle philosophie s'appuyait sur les deux grandes figures
rhtoriques issues de la trs ancienne tradition du Livre des Odes, savoir le bi, comparaison par
laquelle l'homme cherche dans la nature un lment pour illustrer un sentiment jailli en lui, et le xing,
incitation par laquelle certains lments de la nature veillent en l'homme des sentiments latents. De
ces deux ides fondatrices, les matres ont dgag un ensemble de rflexions qui se cristalliseront
plus tard, sous les Song (XII-XIlI sicle), autour de la notion centrale de qing-jing, "" sentimentpaysage ". Celui-ci dsigne l'interpntration de l'esprit humain et de l'esprit du monde, tous deux
tant censs mus par le mme qi, "souffle-esprit", et par le mme yi," dsir, lan, intentionnalit ".
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Selon une clbre pense de Confucius, " l'homme d'intelligence aime l'eau, l'homme de cur aime la
montagne ". Qu'est-ce dire ? Que la vision des lments naturels est de mme essence que la vision
du monde intrieur de l'homme. Cette ide de " sentiment-paysage ", son tour, connatra au cours
des sicles un approfondissement continu. Elle s'exprime tout entire dans cette parole de Shitao, le
grand peintre du XVIIe sicle : "Je dtiens le nud de la montagne, son cur bat en moi. " On
pourrait d'ailleurs en trouver un cho lointain et inattendu chez le peintre occidental le plus proche
des grandes intuitions chinoises, Paul Czanne, qui disait propos de la Sainte-Victoire : "La
montagne pense en moi, je deviens sa conscience. " Czanne comme Shitao savent que toute uvre
d'art est justement un Trois qui, drainant la meilleure part du Deux, permet aux deux - l'artiste et son
sujet - de se transcender. Ainsi s'panouira une grande tradition de pense, valable aussi bien pour la
posie que pour la peinture, et dans laquelle la " beaut " est essentiellement considre comme un
processus de devenir rsultant d'une rencontre. Le pote ou l'artiste passe par une transformation
initiatique dont le rythme est encore ternaire, et dont les phases ont pour nom yin-yun, " lments en
interaction ", qi-yun, " souffles rythmiques ", puis shen-yun, " rsonance divine ". Au fate de cette
lvation il atteint l'tat suprme, lequel sera suggr par des expressions d'inspiration souvent
bouddhique telles que xiang wai zhi xiang, " essence par-del les figures " et yi-jing kong-ling, "
l'me humaine rsonant l'unisson de l'me universelle ".
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Rien de nouveau sous le soleil ? Certes. On a dcouvert tous les continents et recens (presque)
toutes les espces. On a mme lu tous les livres. Mais n'ayons garde d'oublier les innombrables "
entre " qui ont lieu tout instant sous nos yeux. Acceptons le constat que ce qui surgit entre les
vivants, fait d'inattendus et d'inesprs, est toujours neuf. Assurment, le Tao se manifeste dans ce
qui est pleinement donn, l. Mais il se dvoile tout aussi bien, sinon davantage, dans ce qui se
devine, dans ce qui advient au creux des interstices. Nous ne doutons pas que c'est au "royaume de
l'intervalle", dans la "valle o poussent les mes " - selon l'expression de John Keats - qu'en ralit
chacun des vivants prend conscience de son unicit et devient par-l prsence. Et, de prsence en
prsence, le Tao offre ceux qui savent l'accueillir la dimension ouverte de la Transfiguration.
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SENTIR LE MOUVEMENT
Chaque mouvement nat, se dveloppe, dcline et n'est pas spar de celui qui le prcde ni de celui
qui le suit; il est partie intgrante d'un mouvement plus vaste qui se dploie sans rupture, tel un flot
continu. La pratique du Tiji qun permet de percevoir et d'quilibrer notre dynamisme vital intrieur
et extrieur. Elle nous met en relation avec le grand cycle de la vie et nous aide conduire l'nergie
sans effort dans la stabilit. Le premier mouvement que ralise un dbutant contient dj toute la
pratique. C'est pourquoi sentir le mouvement ne dpend pas simplement de la difficult technique de
l'exercice. C'est un tat d'attention, d'ouverture et de calme. La constance de la pratique dveloppe
cette prsence soi-mme Sur la base des principes du Tiji, la technique apparat non pas une
recherche de performance mais devient, au contraire, le support qui permet de dvelopper la stabilit,
d'enrichir la crativit, de s'ouvrir plus largement soi-mme aux autres, l'espace.
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LA SENSIBILIT ET LA TECHNIQUE
Devenir de plus en plus sensible dans le mouvement ne signifie pas s'y diluer sans racines. Devenir
de plus en plus prcis dans la technique ne signifie pas devenir technicien. La pratique, au sens noble
du terme, n'est pas simplement l'apprentissage d'une forme particulire de mouvement; c'est aussi une
perception sensible et ouverte de l'nergie et de l'espace. Il arrive que, dans la pratique, on ait
l'impression de gagner en sensibilit et de lcher un peu la technique ou bien de gagner en prcision
et d'tre moins sensible. Mais la pratique bien sentie unit ces deux ples. Il s'agit progressivement de
devenir un avec la technique. Etre la technique, au sens profond, c'est tre prsent, c'est sentir, c'est
s'oublier dans le mouvement. Alors le Tiji est un art et une mditation.
L'COUTE DU SILENCE
L'attention silencieuse veille un sentiment de prsence dans la pratique. Ce silence n'est pas
simplement celui que procure un endroit calme. C'est un silence intrieur o l'activit mentale
s'apaise pour s'ouvrir la perception sensible du ici et maintenant. Dans l'exprience consciente de la
posture et du geste silencieux se dcouvre alors l'union de l'immobilit et du mouvement.
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Le matre YANG LU CHANG mit au point le grand enchanement de la forme longue dite 108 du
syle Yang.
Le matre YANG CHENG FU, l'un des petits fils de YANG LU CHANG, dmocratisa la pratique
du TaiJi Quan, jusque l rserve des cercles ferms.
Le matre TUNG (DONG) YING CHIEH, principal assistant de YANG CHENG FU durant plus de
30 ans, transmit part l'intermdiaire de ses descendants, jusqu' nos jours, le style YANG de forme
TUNG.
Le matre TUNG (DONG) KAI YING, l'un des petits fils de TUNG YING CHIEH, retransmet
travers le monde le Tai Chi Chuan tel que vous le pratiquez actuellement.
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Les conseils suivants sont ceux de TUNG YING CHIEH, tirs de sa longue exprience :
1 - Le taiji appartient l'cole interne de boxe. La force brute (li) sort des os ; la force interne (jing)
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s'accumule dans les tendons. On n'y recherche, ni duret de peau, ni dveloppement musculaire. La
profondeur du souffle allie une ossature solide, est sa finalit. Ecartant agitation et fatigue inutiles,
on cherche suivre le cours naturel et cultiver les capacits innes. C'est un travail (gongfu) de
retour aux racines et la source originelle (fan ben gui yuan).
3 - Si les postures ne sont pas conformes, si l'esprit et la pense n'arrivent pas se diriger, mme en
travaillant jusqu' la vieillesse, on n'aboutit rien ; c'est comme si on faisait bouillir une marmite vide
sur le feu. Il existe un dicton railleur : "Dix ans de taiji quan, ne valent pas trois ans de boxe de l'cole
externe." C'est pourquoi il faut, premirement s'appliquer. En second, pntrer par l'intelligence. Le
niveau de l'entranement dpend de l'intelligence, mais l'assiduit peut suppler le manque
d'intelligence ; effort et persvrance sont indispensables.
4 - Pendant l'exercice, on doit respirer naturellement (huxiziran) ; ne pas se forcer une respiration
profonde. Lorsqu'on arrive un niveau lev, la respiration devient naturellement rgulire et
homogne. Dans le cas contraire o on forcerait cette respiration, il n'y aurait qu'inconvnients et
absence de bnfice.
5 - Les treize postures du taiji sont, vrai dire, l'exercice du daoyin. Le daoyin, c'est diriger le souffle
(qi) et le sang (xue). A. un niveau lev, le souffle et le sang circulent un rythme rgulier ;
prvention et gurison de toutes les maladies. Que l'lve se croyant intelligent, surtout n'ajoute rien
(zi xuo cong ming) ; par exemple en appliquant la langue sur le haut du palais, ou en s'efforant de
faire descendre le souffle au dantian (bas ventre). Lorsque le niveau sera atteint, le souffle,
naturellement descendra au dantian et circulera dans tous les vaisseaux. C'est l'ordre et le principe de
la nature. On ne peut l'imposer par la force.
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6 - Dtendre les paules et baisser les coudes ne veut pas dire, accumuler la force dans les paules et
dans le dos. Il faut que la force arrive jusqu' l'avant-bras. Comprendre ceci, doit venir de soi-mme
et ne peut tre transmis par la parole. L'lve doit s'efforcer de le ressentir et non de le raliser en s'en
tenant la lettre, en bloquant les paules et baissant lourdement les coudes, ce qui empcherait
agilit, souplesse et efficacit.
7 - Redresser le vertex et suspendre l'entrejambe. Pour redresser le vertex, il faut tenir droite la
colonne vertbrale et la tte. Suspendre l'entrejambe, c'est faire monter l'nergie par le coccyx.
Lorsqu'on concentre la force, la poitrine rentre lgrement et lorsqu'on projette la force, la colonne
vertbrale se redresse lgrement. On ne doit surtout pas contracter la poitrine, ni courber le dos.
8 - L'exercice doit tre rpt au minimum trois fois. La premire, fois, pour assouplir tendons et
vaisseaux. La deuxime, pour corriger les postures. La troisime, pour coordonner esprit et
mouvement Une fois bien entran, ds qu'on se lance, esprit et mouvement se confondent et on
progresse trs rapidement.
9 - La sensibilit permet d'apprhender la force, il convient donc de s'exercer assidment aux tuishou,
afin de saisir la subtilit d'adhsion - coller et suivre, ou cder - Si on n'a pas de partenaire, il faut
sans se lasser, pratiquer les postures et avec les bras constamment rechercher o est la force en
s'imaginant attaqu par un adversaire et en se demandant comment le matriser. Avec le temps, on
arrive aussi apprhender la force.
11 - Les exercices de taiji peuvent se faire dans n'importe quelle position ; en marchant, debout, assis
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ou couch. Le principe reste le mme : toujours diriger le souffle par la pense, afin de ressentir
(acqurir la sensibilit). Par exemple, tudier la sensation dans le geste de prendre une tasse de th,
avec ou sans effort ; marcher en levant les pieds, avec ou sans effort. Se tenir debout appuy sur un
pied ou sur deux pieds. On peut faire l'exprience de tout cela.
12 - Au dbut de l'exercice, on ressent des courbatures dans tout le corps. C'est la transformation de
la force brute. Il n'y a lieu ni de s'inquiter, ni de se dcourager. Au bout de quinze jours, lombes et
jambes deviennent lgers et allgres ; l'esprit et le souffle s'amplifient.
13 - Lorsqu'on est bien entran en postures, on commence tudier le tuishou pour s'exercer
acqurir les diffrentes forces. Dans l'art martial du taiji, il y a la force du mouvement collant, la
force de suivre, la force de souplesse agile, la force de fermet, la force interne, la force de traction,
la force de frottement, la force de ptrissage, la force d'adhsion, la force d'appui, la force de
ttonnement, la force de pression, la force de pntration jusqu'aux os. la force de jeter terre, la
force d'accrochage, la force de secouer, la force d'entrer en action, la force minime, la force lgre, la
force de faire trembler, la force de partir, la force du coup inattendu, la force de mesure, la force de
rserve, la force de tirer des flches, la force d'attente, etc... Plus haut, nous n'avons fait qu'un expos
approximatif. Pour se rendre compte des diffrentes forces, il faut les rechercher en s'entranant la
perception. Les rechercher seul, est plus difficile ; les rechercher deux, est plus facile, car l'homme
est un tre vivant En plus de la force d'entrer en action, il possde aussi la capacit d'intuition. Il faut
la chercher dans le corps de l'homme. S'il n'y a pas de partenaire et qu'on la cherche dans l'air, c'est
comme si l'on tapait dans un sac de sable ou que l'on roulait des boules en acier - c'est totalement
inutile.
14 - Le trait sur le taiji dit : "L'nergie" prend racine dans les pieds. Elle chemine dans les jambes,
est dirige par la taille et se manifeste dans les doigts. C'est le principe du dveloppement de la force
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Oing). Les interdictions sont celles-ci : quand on plie les jambes, le genou ne doit pas dpasser la
ligne de la pointe du pied. Quand on tend le bras. la main ne doit pas dpasser la ligne du nez. Quand
on lve la main, celle-ci ne doit pas dpasser la ligne des sourcils. Quand on appuie avec la main, ne
pas dpasser le creux de l'estomac. Ce sont les enseignements laisss par les anciens. Si on enfreint
ces interdictions, on est dpossd de sa force. La subtilit des transformations est dirige par la taille
; par exemple, si on pousse quelqu'un, avec la main droite, de biais vers la gauche et qu'on dpasse la
pointe du nez, la force est perdue. Mais si on rentre lgrement la poitrine vers l'arrire en poussant
un peu la taille vers la gauche, la force redevient suffisante. Ces changements s'effectuent par la
poitrine mais sont en fait dirigs par la taille. Se manifester dans les doigts signifie que le corps
restant dtendu et souple, la duret de la force (jing) se situe dans les doigts. C'est comme si
l'extrmit souple d'une baguette d'acier, il y avait un marteau de fer. Lorsque celui-ci est projet en
avant, rien ne rsiste son coup destructeur. L'lve attentif approfondir tout ceci, pourra sous peu,
apprhender la vritable force de l'cole interne. Ces interdictions ne s'appliquent pas aux procds
spciaux.
15 - L'homme, comme l'animal, possde des rflexes. Si je lui donne un coup de poing, il va l'carter
avec sa main ou l'esquiver. Il ne reste certainement pas l, immobile, attendre de recevoir le coup.
Rsister, est l'instinct de l'homme. Les objets immobiles ne sont pas ainsi. Si un sac de sable est
suspendu, il reste suspendu sans bouger. On lui donne un coup de poing, il se balance d'avant en
arrire. Mais ces balancements ont une trajectoire fixe. Si on le frappe du ct gauche, il va aller
droite ; l est la raction des objets. Pour l'homme, ce n'est pas ainsi. Si on le frappe du poing, il peut
rsister ou reculer ; c'est imprvisible ; ce sont des ractions d'homme. Dans les arts martiaux, il y a
trois mots clefs : stable, prcis, froce. Tant que j'attends, je ne lance pas la force. Mais ds que je la
lance, elle est irrsistible. Mais comment faire pour arriver stable, prcis, froce ? Il faut d'abord
acqurir l'intuition. Comment l'acqurir ? Le lecteur doit chercher dans le chapitre prcdent (Au
sujet de la pratique de l'entranement - Texte de matre Wang Zongyue). A savoir si l'adversaire ne
bouge pas, je reste immobile. Ds qu'il commence bouger, je bouge avant lui. Il faut dans l'instant
o il semble qu'il va bouger mais n'a pas encore boug, ou que sa pense n'a pas encore surgi et son
corps, pas encore boug, que je prenne les devants et lui porte un coup irrsistible.
16 - Certains disent qu'aprs s'tre entran en taiji, il ne faut pas soulever d'haltres ; pas employer la
force brute. Ce n'est pas tout fait exact. Avant d'apprendre le taiji on tait plein de force brute ; le
corps entier tait tendu, contract. Aprs avoir appris le taiji, tout le corps est dtendu, les tendons
allgs ; le souffle circule sans entrave. Il ne faut pas s'exercer supprimer la force brute du corps
entier mais il faut la conserver. Par la dtente gnrale, elle devient une vraie force (zhen /jing).
Autrefois, on appelait la force brute, luli (l : pine dorsale), (li : force), car cette force se situe entre
les paules et l'pine dorsale. Elle ne peut pas tre dirige par la taille, ni se manifester au niveau des
doigts.
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17 - Le Canon dit : "Un yin, un yang , c'est le dao" (La Voie). Le taiji est le ying et le yang. A notre
"poque atomique", qu'est-ce qui n'est pas le ying ou le yang ? C'est pourquoi dans " Au sujet de la
pratique de l'entranement ", il est dit : "Si l'on plonge d'un ct, on perd l'initiative. Si on appuie des
deux pieds, on est bloqu. Car plonger d'un ct et appuyer sur les deux pieds, c'est le dsquilibre du
yin et du yang. Aussi le pratiquant doit-il faire attention, lorsqu'il lve la main ou avance le pied ; un
yin, yang ; un vide, un plein. Laozi dit : "Les rserves permettent l'efficacit". Pensez cela et
essayez de l'appliquer.
18 - En ce qui concerne l'explication du taiji civil et militaire, civil, c'est prendre soin de sa sant ;
militaire, c'est se dfendre.
19 - Les articles ci-dessus proviennent tous de l'exprience. Plus que dans la thorie, il faut surtout
chercher tout cela dans les treize postures. Lorsque l'entranement a atteint l-maturit, on saisit
naturellement la subtilit de l'unit de l'esprit et d geste. Quand on s'entrane, le mieux c'est de ne
pas trop rechercher la thorie et faire davantage d'exercices. Nous disions que les anciens taient forts
en art martial et les modernes, forts en thorie. En fait, ds que l'on fait trop de thorie, on ne
s'applique pas l'entranement et le progrs ralentit Les adeptes des arts martiaux accordent une
grande importance la loyaut. L'lve doit respecter son matre et tre dvou son Art. Si on
remercie de faon gnreuse le matre pour son enseignement, le matre sera touch et instruira avec
tout son cur. (Les coutumes chinoises sont ainsi, on ne peut pas les ignorer). Ceux qui aimeraient
apprendre le vritable art martial, doivent y faire d'autant plus attention.
20 - Mencius dit : "Celui qui cultive parfaitement son intelligence, connat sa nature. Celui qui
connat sa nature, connat le ciel." La flamme du feu monte vers le haut. c'est sa nature. L'eau fconde
coule vers le bas, c'est sa nature. Ceci est la nature des choses. Fleurir au printemps, dprir en
automne, c'est la nature du ciel. Dtester la peine, aimer le plaisir, craindre la mort, tenir sa vie,
c'est la nature de l'homme. Cependant le feu peut rencontrer le vent qui le souffle vers le bas ; l'eau
peut rencontrer le feu qui la fait s'vaporer vers le haut. Le pin et le cdre ne perdent pas leur
feuillage en automne. L'homme qui connat le "rite", accomplit courageusement ce qu'il voit tre son
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devoir. C'est changer la nature acquise pour retrouver la nature inne. Avant la pratique de l'art
martial, les vaisseaux sont bloqus ; les tendons se rtractent et se raccourcissent ; c'est pourquoi la
force se fixe aux paules et au dos. Aprs l'entranement, les vaisseaux communiquent librement ; les
tendons s'allongent et la force se dploie. Des paules et du dos, elle passe par le bras, le poignet et se
manifeste aux doigts. Progressivement, on abandonne ainsi la nature acquise et on retrouve la nature
inne. Si l'on acquiert la capacit de la nature inne, c'est la merveille prodigieuse. L'apprenti qui
obtient cette force, saura que mes paroles ne sont pas fausses.
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- La notion de Centre :
Considrons le T'ai-Chi inscrit au centre du cercle o sont localiss les 8 trigrammes. Lieu de
projection de tous les autres points du cercle, il peut nous sembler facile de comprendre en quoi le
centre est privilgi. Tout aussi clair et vident peut nous apparatre l'organisation de l'espace selon
les croises cardinales. En d'autres termes, cela revient dire, se dire : " II y a le Nord, il y a le Sud,
l'Est, l'Ouest, et moi qui sais cela, centr, je peux m'orienter et me situer. "
Attitude parfaitement juste, mais aussi parfaitement insignifiante en regard de ce que veut nous dire
la tradition taoste. Pour le tao-shi le privilge du T'ai-chi n'est pas de l'ordre du constat gomtrique.
Et lorsque le matre de T'ai-chi chuan demande son lve de se placer au centre de l'espace, il ne se
rfre pas une connaissance scientifique ou intellectuelle de l'espace. C'est tout autre chose qui est
recherch et exig ; d'une certaine manire c'est mme tout le contraire. Le centre n'est pas conu
dans le taosme comme rceptif, point de rfrence, mais comme pivot crateur et origine d'un
dploiement. Il est " la perle " dont parle la tradition, " l'il du ciel ", mais en tant que matrice du
temps et de l'espace. Ce point pivot dont mane le monde, c'est aussi l'homme uni au Tao, le T'chen
Jen.
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Ainsi, familiaris avec la mentalit occidentale qui dcouvre des rptitions, formule des lois
capables d'applications partir de sa comprhension de l'espace et du temps, nous nous trouvons
confronts la position inverse : temps et espace ne sont pas le produit d'une connaissance gnrale,
mais dpendent d'une cration individuelle.
Ainsi l'indication du matre de T'ai-chi chuan ne vise pas se situer dans un espace connu, parce que
pens et mathmatis. Ce que le matre pourrait dire, si son intention n'tait pas de faire ressentir c'est
que vivre le T'ai-chi chuan ne consiste pas oprer un mouvement face au Nord ou au Sud, mais que
l'un et l'autre sont dcouvrir, natre dans le mouvement mme. Mais avant de dvelopper " l'il du
ciel ", il faut tourner le regard vers l'intrieur, et le premier dploiement sera celui du Ch'i partir du
centre du corps-univers, le Tan tien infrieur.
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- La Sagesse et la Connaissance :
Dialogue entre un pratiquant et un Matre :
Le pratiquant :
" En Chine, il y a des bouddhistes, et il y a aussi des taostes. Et il est bien clair qu'ils ne sont pas
identiques. Puisque le but est le mme, c'est donc par leurs mthodes pour y parvenir qu'ils diffrent
les uns des autres. "
Le Matre:
" Alors ce dont vous avez soif, ce n'est pas la sagesse, mais des connaissances ! Quel dommage ! La
sagesse est presque aussi satisfaisante qu'une bonne bouillie de millet. Tandis que la connaissance a
moins de corps que de l'eau tide verse sur de vieilles feuilles de th. Mais puisque c'est cela que
vous tes venu me demander de vous servir, je vais vous en donner autant qu'en pourrait contenir
votre ventre si maltrait. Je me demande quelle sorte de vieilles feuilles de th vos matres
bouddhistes peuvent employer. Nous autres taostes, nous en utilisons de toutes sortes... Ceux qui
cherchent les connaissances ressemblent des ruisseaux de montagne qui sont un millier de lieux
de la mer. Ils se htent et puis lanternent, et se jettent dans de profonds prcipices ! Mais au fur et
mesure que le cours d'eau s'largit, il s'apaise et prend conscience de son but. Il devient une rivire.
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Alors quel calme, quel silence ! A l'approche de l'ocan, la rivire parat mme ne plus bouger. Vos
matres vous ont offert la sagesse ; alors pourquoi perdre votre temps acqurir des connaissances ?
Maintenant, comprenez-vous ? "
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partie du corps se repose, toutes les autres le font galement. Un mouvement apparent est un repos
rel et un repos apparent, un mouvement rel. A l'intrieur, il renforce l'esprit, et l'extrieur, il fait
preuve de calme et d'aisance. Calme comme la montagne, mouvant comme le fleuve. Faire un pas
comme au bord d'un abme,dployer sa force comme pour filer la soie. Le qi, directement cultiv,
n'est pas nuisible; la force, indirectement accumule, donne de l'excdent. Le Qi est enracin dans les
pieds, passe par les jambes, est contrl par la taille et s'panouit dans les doigts. C'est pourquoi des
pieds aux jambes, puis la taille, on doit excuter les mouvements de faon cohrente.
rsultats que l'on pourra comprendre cette thorie merveilleuse. La pratique de la boxe permet de
rgulariser le sang et le qi et de rendre la respiration naturelle; ... rajuster la respiration doucement et
renforcer l'nergie primordiale dans le corps et- prter attention au dantian; ... se dplacer lentement,
s'arrter silencieusement et se mettre en mouvement avec l'intention. L'esprit doit tre vide. Quand
l'esprit est vide, toutes les parties du corps sont vides. Le dantian, la taille et les talons doivent tre
pleins. Quand ces trois parties sont pleines, toutes les parties vides du corps deviendront pleines.
C'est ce qu'on appelle "du vide au plein". Quant aux mouvements des mains et des pieds, ils
s'effectuent en suivant une ligne courbe, non droite. Les cercles dcrits sont verticaux ou obliques.
Nanmoins, un cercle reprsente un taiji. Le mouvement est sans rupture dans le calme et sans hte.
La pratique de la boxe dpend de la position initiale, quand celle-ci est correcte, vous excuterez les
mouvements sans encombre. Il faut maintenir la tte droite tout au long de la pratique, pour ne pas
perdre l'appui des quatre membres et disperser l'esprit. La tte peut guider les mouvements du corps
entier. Pour pratiquer le taijiquan, il y a trois points retenir: Premirement, au dbut, vous devez
pratiquer lentement sans raideur; deuximement, pratiquez un rythme acclr, sans confusion;
troisimement, pratiquez doucement de nouveau aprs avoir excut des mouvements rapides. C'est
la vraie douceur qui abrite la fermet aprs une longue priode de mouvements doux. La fermet est
dans la douceur et la douceur dans la fermet.
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Trois principes convergent dans ce sens : celui du wu-wei (" le non-agir " : ne jamais forcer en rien
pour ne pas contrecarrer par des gestes intempestifs le rythme naturel des choses; ne pas faire, mais
laisser SE faire), celui du wang o (faire le vide en soi, s'oublier soi-mme, afin d'tre rceptif), celui
du tzu jan (l'efficacit du spontan, de l'immdiatet).
Wu-wei rfre la non-action, la non-ingrence, au lcher-prise (le wei est une action qui
contrecarre le rythme des choses). Ce n'est ni l'indiffrence ni le laisser-aller, c'est la recherche du
naturel, de l'ouverture d'esprit, du dtachement des choses et, plus loin, de la tolrance, de la
souplesse, de l'abngation du " moi " en tant que crateur d'illusions, donc ennemi du vrai. Wu-wei
vise l'tat sans dsir, la quitude, la srnit, facteur de ralisation.
Un esprit agit dforme la ralit et perd tout contrle sur le corps ; la pense doit rester claire, non
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agite par des passions perturbatrices; elle devient alors parfaitement rceptive aux faits les plus
inattendus, et le corps suit. L'action qui dcoule alors d'une telle attitude est si franche et si naturelle
qu'elle dpasse la porte de l'action ordinaire, " vulgaire ", toujours prcde d'hsitations. Une telle
action est vraiment efficace parce que en conformit avec le Dao. Seule la spontanit cre le
mouvement parfait, car il s'inscrit alors, en dehors de soi, dans l'harmonie du grand mouvement
cleste.
Wu-wei est donc une passivit cratrice. De la non-action surgissent toutes les potentialits d'action ;
ne rien faire, c'est par l mme tout faire. L'esprit du wu-wei est partout en Chine. Kuo Ksiang dit : "
Par wu-wei, il ne faut pas entendre ne rien faire, il faut entendre qu'on laisse chaque chose se faire
spontanment, de sorte tre en accord avec les lois naturelles " et Lin Yu-tang : " c'est l'art de
matriser les circonstances sans leur opposer de rsistance ; le principe d'esquiver une force qui vient
sur vous en sorte qu'elle ne puisse vous atteindre. Ainsi, celui qui connat les lois de la vie, jamais ne
s'oppose aux vnements ; il en change le cours par son acceptation, son intgration, jamais par le
refus. Il accepte toutes choses jusqu' ce que, les ayant assimiles toutes, il parvienne leur matrise
parfaite. "
Non-rsistance, non-violence; laisser couler autour de soi la violence dont on peut devenir l'objet;
rpondre en faisant le vide, comme l'eau qui cde au couteau, mais demeure invulnrable. Raliser
l'art du Tai ji quan, ce qui va bien au-del de sa seule perfection physique, c'est tre imprgn de cette
vision chinoise de l'univers. Il ne nous a pas paru inutile d'en voquer les grands principes, car il est
impossible d'voquer le Tai ji quan sans faire tat de ce fond culturel indissociable, mais aussi dans
l'espoir de susciter une curiosit qui pourrait devenir le point de dpart d'un fantastique vcu
personnel. Car :
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Dveloppons la notion de " pr-mouvement " ou le langage non conscient de la posture. La posture
rige, au-del du problme mcanique de la locomotion, contient dj des lments psychologiques,
expressifs, avant mme toute intentionnalit de mouvement ou d'expression. Le rapport avec le poids,
c'est--dire avec la gravit, contient dj une humeur, un projet sur le monde. C'est cette gestion
particulire chacun du poids qui nous fait reconnatre sans erreur, et au seul bruit, une personne de
notre entourage qui monte un escalier. Inversement, en apesanteur, comme les cosmonautes nous le
montrent, l'expressivit est radicalement autre, car le repre essentiel qui nous permet d'interprter le
sens d'un geste est profondment modifi.
Nous nommerons " pr-mouvement " cette attitude envers le poids, la gravit, qui existe dj avant
que nous bougions, dans le seul fait d'tre debout, et qui va produire la charge expressive du
mouvement que nous allons excuter. La mme forme gestuelle - par exemple une arabesque - peut
tre charge de significations diffrentes selon la qualit du pr-mouvement, qui subit de trs grandes
variations alors mme que la forme perdure. C'est lui qui dtermine l'tat de tension du corps et qui
dfinit la qualit, la couleur spcifique de chaque geste. Le pr-mouvement agit sur l'organisation
gravitaire, c'est--dire sur la faon dont le sujet organise sa posture pour se tenir debout et rpondre
la loi de la pesanteur dans cette position. Tout un systme de muscles dits gravitaires, dont l'action
chappe pour une grande part a la conscience vigile et la volont, est charg d'assurer notre posture
; ce sont eux qui maintiennent notre quilibre et qui nous permettent de tenir debout sans avoir y
penser. Il se trouve que ces muscles sont aussi ceux qui enregistrent nos changements d'tat affectif et
motionnel. Ainsi, toute modification de notre posture aura une incidence sur notre tat motionnel,
et rciproquement tout changement affectif entranera une modification, mme imperceptible, de
notre posture.
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Ces muscles gravitaires, parce qu'ils sont chargs d'assurer notre quilibre, anticipent sur chacun de
nos gestes : par exemple, si je veux tendre un bras devant moi, le premier muscle entrer en action,
avant mme que mon bras ait boug, sera le muscle du mollet, qui anticipe la dstabilisation que va
provoquer le poids du bras vers l'avant. C'est le pr-mouvement, invisible, imperceptible pour le sujet
lui-mme, qui met en uvre en mme temps le niveau mcanique et le niveau affectif de son
organisation. Selon notre humeur et l'imaginaire du moment, la contraction du mollet qui prpare
notre insu le mouvement du bras sera plus ou moins forte et donc changera la signification perue. La
culture, l'histoire d'une personne, et sa manire de ressentir une situation, de l'interprter, va induire
une " musicalit posturale " qui accompagnera ou prendra en dfaut les gestes intentionnels excuts.
Les rsistances internes au dsquilibre, qui sont organises par les muscles du systme gravitaire,
vont induire la qualit et la charge affective du geste. L'appareil psychique s'exprime travers le
systme gravitaire, c'est par son biais qu'il charge de sens le mouvement, le module et le colore du
dsir, des inhibitions, des motions. Le tonus rsistant du systme gravitaire s'induit avant mme le
geste, ds le moment o se formule le projet d'une action, et ce l'insu du sujet, en amont de sa
conscience vigile.
Dans le film Zegfeld Follies de Vincente Minelli (1945), Fred Astaire et Gne Kelly excutent un
duo o ils ralisent en mme temps et prcisment les mmes gestes. Cependant, pour chacun des
danseurs, l'effet produit est radicalement diffrent. Comment expliquer cette diffrence ? Le passage
du film au ralenti, image par image, nous montre que malgr leur intention de produire les mmes
mouvements, l'anticipation de l'attaque du geste - le pr-mouvement - est l'oppos chez l'un et
l'autre : Gne Kelly s'assure d'abord du sol par un mouvement de jambes et de rassemblement du
corps (mouvement concentrique) puis s'oriente dans l'espace par le regard ou le bras et amorce son
attaque dans un repouss du sol, suivi d'une extension dans la direction choisie. Il organise son
rapport la gravit de bas en haut, du dedans vers le dehors. Fred Astaire, l'oppos, commence
toujours par un mouvement d'orientation dans l'espace, regard, tte ou bras : cela provoque d'abord
une extension, une suspension (mouvement excentrique), puis entrane un dsquilibre qui est ensuite
stabilis par un mouvement de jambes vers le sol. Il organise son rapport la gravit de haut en bas,
du dehors vers le dedans. Dans le ralenti, Gne Kelly dmarre toujours lgrement plus tard, mais
arrive avant, tant cette concentration anticipatrice lui donne une qualit " explosive ", particulire la
qualit fline de son mouvement. La manire de Fred Astaire est plus tale dans le temps, par la
grce de son inimitable suspension.
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Ces flux d'organisation gravitaire, qui se jouent avant l'attaque, vont alors modifier profondment la
qualit du geste et le colorer de nuances qui nous " sautent " aux yeux, sans que nous puissions
toujours en donner la raison. On peut ds lors distinguer le mouvement compris comme un
phnomne relatant les stricts dplacements des diffrents segments du corps dans l'espace - mme
titre qu'une machine, produit un mouvement - et le geste qui s'inscrit dans l'cart entre ce mouvement
et la toile de fond tonique et gravitaire du sujet : c'est--dire le pr-mouvement dans toutes ses
dimensions affectives et projectives. C'est l que rside l'expressivit du geste humain, dont est
dmunie la machine.
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Parler du Yin/Yang, c'est dcrire les couleurs de l'ombre. Sa danse spirale ne passe pas par les mots,
elle est plus subtile. Comme tout ce qui nous vient de Chine, le Yin/Yang ne se prouve pas, il
s'prouve. Seul le corps peut se mettre son coute, vibrer son unisson. La simple pratique du
"mouvement deux" en apprend beaucoup plus sur le Yin/Yang que tous les discours. Ce
mouvement se nomme en chinois Dui Shou [1], ce qui veut signifie littralement "couplage (par les)
mains". Un nom qui s'explique par le contact, caractristique de ce mouvement, mais qui parle aussi
d'une autre mise en relation, plus subtile, plus personnelle : celle de chaque partenaire avec le rythme
profond du Yin/Yang.
Ce rythme, pour l'esprit chinois, se confond avec le rythme mme de la Vie. Or la vie, en Chine
comme ailleurs, ne s'explique pas ; le corps la ressent, pas l'esprit. Sur cette vidence, les Sages de
l'Antiquit chinoise ont reli le corps et l'esprit dans une relation nergtique. Un des rsultats de ce
point de vue est cet art physique que vous pratiquez, que vous tudiez, que vous enseignez : le Tai Ji
Quan (Tai Chi Chuan). Pour le profane, cela ressemble une gymnastique lente, mais vous savez
mieux que moi que a n'a rien voir avec une gymnastique. Ce n'est pas de muscles qu'il s'agit. la
source du Tai Ji Quan, il n'y a pas tellement le corps, mais plutt la vie. Le corps ne sera que le
violon sur lequel chacun jouera, sa faon, sa partition dans la grande mlodie de la vie qui anime
toutes choses "sous-le-Ciel". Du corps humain lui-mme, de cet instrument subtil, les Chinois ont une
perception compltement diffrente de la ntre. Compare aux autres grandes civilisations du globe,
la civilisation chinoise est une de celle qui s'est le plus proccupe du corps humain. Pourtant, il
conviendrait mieux de parler de son fonctionnement plutt que du corps humain proprement parler.
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En effet, ils ne le voient pas comme un ensemble de chairs, mais comme un rseau de flux. Tout se
passe comme si il n'y avait pas en Chine d'image du corps. De fait, ils en ont carrment nglig la
reprsentation dans leur art. La culture chinoise, qui a cr une mdecine tonnante, toute faite
d'nergie et de massages, d'aiguilles et de plantes, ne s'est jamais proccupe d'anatomie. Les peintres
et les sculpteurs encore moins. Les rares portraits de personnages rels ou mythiques qu'elle nous a
lgus sont figs et conventionnels, seul le regard vit. Quant aux statues, d'empereurs, de hros ou de
dieux, elles sont absentes des palais, trs rares dans les temples et toujours noblement vtues.
Quant au style de statues gantes qui a prvalu des annes cinquante aux annes quatre-vingts, il
appartient plus au stalinisme russe qu' la tradition chinoise. L'art du nu y est inconnu, mme dans un
domaine o il semblerait avoir sa place, comme les estampes rotiques. Les personnages reprsents
en train de faire l'amour sont toujours moiti habills et leurs corps sont bauchs sans la moindre
trace de sensualit. Cela nous choque, parce que la reprsentation du corps humain fait partie depuis
longtemps de notre univers mental occidental. Depuis nos arrire-grands-pres les Grecs, qui nous
ont appris l'art et la civilisation, d'innombrables statues moiti dnudes peuplent nos villes et nos
palais, nos temples et nos glises, jusqu'au frontons des gares du XIX sicle. Tenez, regardez dans
votre portefeuille, vous y trouverez sur les billets de 100 F un tableau de Delacroix reprsentant "la
Libert guidant le peuple" ... sous l'apparence d'une femme les seins l'air.
En Chine, le corps de chair ne sera ni encens, ni rejet ; il sera vcu comme une incarnation
phmre de souffles Yin/Yang. En consquence, ce n'est pas l'image du corps, sa reprsentation qui
les intressera, mais celle de l'nergie qui y circule, cette nergie qui est commune toutes les choses
vivantes et qui donc relie l'tre humain chacune d'entre elles. Cette ide ouvre une toute autre
perspective sur l'art chinois. Les peintures de paysages, par exemple, semblent reprsenter des
montagnes perdues dans les nuages et d'o s'coulent des cascades et des fleuves. Mais les regarder
plus longtemps, on s'aperoit que l'artiste n'a pas du tout cherch reprsenter un paysage rel, la
forme de telle montagne, la courbe de tel fleuve. C'est l'nergie de la montagne, l'nergie de l'eau
qu'il veut nous voquer. La peinture de paysage ne cherche pas dcrire un paysage naturel, mais
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l'nergie qui le traverse. Son but n'est pas naturaliste, mais moral, elle cherche nous apprendre
percevoir et dvelopper en nous la fermet de la montagne et la souplesse de l'eau.
Mais comment dfinir cette nergie qui continuellement flue et reflue l'intrieur des tres ? Les
Chinois parlent de Qi [2]. C'est un mot qu'on peut traduire par "souffle", bien qu'en fait, il ne veuille
pas dire grand-chose de prcis. C'est justement ce qui le rend trs utile, parce que son flou permet de
parler avec efficacit de quelque chose qui, une fois encore, ne peut que s'prouver, pas se dire. Le
Qi, c'est ce qui passe entre Yin/Yang. On ne peut le dcrire avec prcision, mais a n'empche pas de
travailler dessus, C'est le matriau de base du Tai Ji Quan (Tai Chi Chuan) et du Qi Gong [3], cet
autre art chinois du corps. Voila sans doute la raison pour laquelle dans le nom chinois de ces deux
disciplines, il n'y a aucune rfrence au corps lui-mme.
Pour expliquer le sens de Tai Ji Quan, commenons par le mot Quan [4]. Il s'crit en chinois en
combinant un idogramme signifiant la main, et un autre qui concerne tout ce qui est roul. Des
tableaux sur soie qu'on roule pour les ranger aux "rouleaux de Printemps" en passant, et c'est ce qui
nous intresse, par le geste du chevalier saluant son suzerain : une main le poing roul, l'autre la
recouvrant, l'ensemble port hauteur du visage lgrement inclin. Ensuite, par analogie de forme,
ce signe du "poing roul" a t utilis pour crire : boxe. Le Tai Ji Quan est parfois appel "boxe
chinoise", mais c'est une facilit de langage. Vous savez trs bien que cela n'a pas grand-chose voir
avec le Noble Art que pratiquait George Carpentier, le champion qui est ddi cette halle o se
droule la Fte de la Fdration. On utilise aussi quelque fois l'expression "Boxe avec son ombre".
Ce n'est pas une bonne traduction des mots Tai Ji Quan, mais c'est dj une meilleure vocation de ce
qu'ils voquent. Art de combat, le Tai Ji Quan l'tait certainement l'origine, mais son aspect de lutte
n'apparat plus, c'est d'un combat avec soi-mme qu'il s'agit. Pratiquer le Tai Ji Quan, c'est
fondamentalement faire allgeance la vie qui nous possde et nous relie au mouvement cosmique. Il
faut chercher la raison de ce poing roul du nom du Tai Ji Quan dans cette soumission volontaire d'un
libre chevalier son suzerain. La langue chinoise le confirme bien, avec une expression forme du
redoublement de ce "poing roul" : quan quan, qui signifie : avec empressement, avec diligence, avec
efficacit, comme doit se comporter le vrai chevalier.
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Les deux idogrammes qui restent, Tai Ji, forment un tout. C'est le nom d'un dessin, un diagramme
fort connu : le Tai Ji Tu, le dessin (tu) du Tai Ji.
Pour son emblme, l'ex-FTCCG a choisi cette figure, mais dans un autre style de reprsentation, tout
aussi traditionnel, mais plus dynamique car il souligne mieux le mouvement qui anime les parties
noires et blanches.
C'est aussi celui que l'on retrouve sur la pavement du tout nouveau muse de la ville de Zhengzhou
dans la province du Henan, un des berceaux de la Chine ancienne
En Occident, on entend souvent cette figure nomme "le dessin du Tao". C'est assez vocateur, mais
un peu inexact, dans la mesure o, comme le dit Lao Zi : "Le Dao qu'on peut voir, ou qu'on peut
noncer, n'est pas le Dao vritable" [5]. Il ne s'agit donc pas plus de cela que de boxe. Pour
comprendre ce dont il est question, il faut donc creuser un peu plus les deux idogrammes qui
composent cette expression.
Le premier (Tai) est une sorte de superlatif d'un caractre qui veut dire "grand". Tai signifie donc
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"immense, suprme", le grand du grand. Mais l'criture chinoise n'est jamais description statique des
choses ; elle est avant tout dynamisme. "Suprme", travers l'ide d'apoge, contient naturellement
l'ide de culmination, de finalit vers quoi cet "immense" tendait et donc, de mutation. Comme dans
le Dui Shou, l'apoge d'un mouvement dans un sens entrane aussitt la naissance d'un mouvement
la fois oppos et corrl. Le second idogramme, Ji, dsigne au sens propre la poutre la plus haute
dans la charpente du toit d'un btiment. C'est pour cette raison que Tai Ji a t souvent traduit par
"poutre fatire", voire "fate suprme". Ces expressions ont t introduites par les missionnaires du
XIX sicle colonial. Pareille traduction avait leurs yeux un grand mrite, elle renvoyait une
certaine notion de "Seigneur d'en haut", sommet du toit couvrant la terre, vers lequel convergent
toutes les charpentes des constructions terrestres, fussent-elles de l'esprit. Voila qui leur tait vritable
pain bnit. En effet, ce "fate suprme" devenait ipso facto un symbole du "Fait Suprme" : le Dieu
des Chrtiens. Par ce jeu de mots, ils travaillaient plus pour leur propre boutique que pour la
comprhension en profondeur de la pense chinoise, ils se souciaient plus d'amener les "indignes"
leur idologie qu' chercher la raison qui avait amen les Sages chinois choisir pareille image pour
nommer ce dessin.
Elle est pourtant simple et, comme bien souvent les raisons chinoises, trs terre--terre. Pour la saisir,
il suffit de changer de perspective. Cette poutre d'en haut du toit, il ne faut pas la regarder de
l'intrieur, comme un absolu, une convergence inaccessible, mais de l'extrieur, c'est--dire en
intgrant le ciel dans l'ensemble Yin/Yang que le btiment qu'il recouvre forme avec la terre.
Aussitt, ce n'est plus l'lvation suprme du toit qu'elle emblmatise, mais bien plutt l'endroit, o il
change de pente. Vous connaissez les toits chinois avec leurs coins recourbs comme des "ailes de
phnix". Si on suit des yeux la pente du toit, on monte, on monte de plus en plus haut, jusqu'au
moment o l'on parvient la poutre fatire qui n'est pas situe sous la couverture, mais l'extrieur
du toit et, dans les btiments importants, dcore aux deux extrmits de sculptures de dragons,
gnies des eaux, pour protger la construction des risques d'incendie. Parvenu cet endroit, le
mouvement du toit redescend. La poutre fatire extrieure marque donc non le point culminant de
l'ensemble, mais le point d'inflexion, celui o la pente du toit change de sens, mute, s'inverse, passant
de Yang (monte) Yin (descente). Dans cette perspective, l'expression Tai Ji prend tout son sens,
elle symbolise le retournement de toutes choses. Il faut donc traduire Tai Ji Tu, comme "Diagramme
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du Grand Retournement". N'est-ce pas d'ailleurs exactement ce que suggre la danse immobile des
deux "gouttes" l'une noire (Yin) et l'autre blanche (Yang) de cette pure ?
Yin et Yang, comme Qi, sont des mots trs flous. Leur sens particulier est relativement imprcis,
disons simplement qu' l'origine, ils signifiaient : adret & ubac, le versant d'une montagne expos au
Sud et celui expos au Nord. Mais cette imprcision ne porte pas consquence car on ne peut gure
parler de Yin ou de Yang de manire isole. Ils n'ont de sens qu'en tant que duo d'opposs
complmentaires. C'est leur couplage qui en fait les emblmes du changement, de la mutation.
Pareille complmentarit deux est exprime en chinois par un idogramme : le caractre Dui, celui
qui est employ dans l'expression Dui Shou. Imaginerait-on pratiquer le Dui Shou sans partenaire ?
Sans la prsence d'un complice accompagnant la pousse que j'accomplis, et accomplissant la
pousse que j'accompagne, comment prouver dans mon corps l'importance, la ncessit et la
difficult de ces moments o la pousse de l'autre parvenue sa culmination extrme, se transforme,
sans violence et sans ambigut, en son contraire, pour devenir alors rceptacle de cette pousse ne
de ce retournement mme ? Si le Tai Ji Quan nous apprend tre dans le mouvement, le Dui Shou
nous fait vivre la mutation dans notre chair.
La mutation, le changement, c'est ce que nous avons le plus de mal raliser en Occident. Parce que
toute notre manire de penser est base sur l'ide qu'au-del du monde sensible de tous les jours, il
existe un fondement immuable, absolu et ternel. Pour Platon, c'tait le monde des Ides, pour les
religions judo-chrtiennes, c'est Dieu. Quel que puisse tre notre sentiment intime sur ce sujet, la
caractristique de ce "Fait Suprme" est qu'il est irrductiblement extrieur notre univers quotidien,
parce qu'absolu et ternel. L'ternit est une notion que les Chinois ont du mal imaginer. Comme
me le disait un jour un ami chinois, c'est une ide qui manque d'avenir. Il voulait dire par l que c'est
une manire de voir qui s'oppose l'vidence chinoise du changement exprime par Yin/Yang. C'est
cette diffrence fondamentale qui rend inutile en fait la traduction de ces idogrammes. Car ds qu'on
va les rendre avec des mots pris dans notre langue, on va tuer leur fonction essentielle : rendre
compte de la mutation, base chinoise de la ralit. Pourtant on entend trop souvent pour ces termes
l'quivalence Yin = fminin ; Yang = masculin ! Il est difficile d'imaginer plus dsastreuse
simplification. En donnant ces attributs du changement les noms des catgories les plus stables qui
soient - car de rares exceptions prs, femme on nat, femme on meurt ; homme on nat, homme on
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meurt - on passe toute l'originalit de la pense chinoise l'eau de Javel : tout est blanchi, il ne reste
plus rien de jaune. On peut alors tout loisir blablater sur le Yin/Yang sans avoir faire le moindre
effort pour chercher comprendre ce que ces mots expriment de radicalement diffrent par rapport
notre manire habituelle de penser. Autant alors pratiquer le Body Building !
Ce que le Yin/Yang indique, ce que le Tai Ji Tu reprsente, ce que le Tai Ji Quan incarne, c'est une
ide la fois simple et complexe : toute chose parvenue son extrme, mute, et se transforme en son
contraire. Comment imaginer l'expliquer avec les mots fminin et masculin. Pourtant, cette vidence
du Yin/Yang, nous la vivons tous les jours. C'est ce qu'on pourrait appeler la thorie de la crme au
chocolat. Vous connaissez bien la crme au chocolat : la premire bouche, c'est dlicieux, la
deuxime bouche, c'est excellent, la troisime, c'est trs bon, la quatrime c'est bon, la cinquime, a
va encore, et la sixime ... Ce n'est pas la crme au chocolat qui a chang, ni notre got pour la crme
au chocolat, c'est simplement la tendance. Le simple fait de dguster ce merveilleux dessert, pouss
son extrme l'a transform en son contraire, le plaisir est devenu coeurement. Cette loi immuable du
changement, est aussi surprenante pour les Chinois que pour nous. Mais eux, se sont donn depuis
fort longtemps un outil pour la comprendre et s'y conformer. Cet outil, c'est le Yi Jing (que l'on voit
souvent crit "Yi King"), le grand livre du Yin/Yang.
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Ce livre est sans doute un des livres parmi les plus tranges jamais rvs par une civilisation [6]. C'est
en effet un livre qui ne se lit pas, et cela pour deux raisons. D'abord parce que l'essentiel du Yi Jing
n'est pas un texte, mais un ensemble de figures linaires formes d'un empilement de 6 traits pleins
ou briss. Ensuite parce que, comme le Tai Ji Quan, on n'y pntre vraiment que par la pratique. Et
cette pratique remonte aux plus anciens moments de l'histoire de la Chine, aux tout dbuts de son
histoire, l'Age du Bronze, il y a environ trente-cinq sicles. Depuis lors, le Yi Jing a t tenu en si
haute estime que, par exemple, l'poque impriale, sa connaissance tait exige de tout candidat aux
examens officiels pour devenir mandarin. Confucius lui-mme, le plus respect de tous les Chinois
avait dit-on us trois rouleaux du Yi Jing force de l'tudier. Et il disait encore que si le Ciel lui
permettait de vivre encore quelques dizaines d'annes supplmentaires, il les passerait tudier
encore plus profondment le Yi Jing, et qu'alors, peut-tre, il ne commettrait plus d'erreurs. Mais ce
qu'il y a de plus intressant pour nous dans ce livre, ce n'est pas tant qu'il soit un des monuments les
plus imprissables de la civilisation chinoise, c'est qu'au niveau de la vie quotidienne, il nous apporte,
nous qui ne sommes pas chinois, le mme genre de rponse que celle que le Tai Ji Quan nous
apporte au niveau de l'instant : l'attitude juste un moment donn. Cette attitude, elle est faite d'une
balance harmonieuse et efficace entre toutes les composantes de ce moment, quelles qu'elles soient,
comme nous gardons notre corps toujours quilibr, mme dans les mouvements o l'longation est
extrme. Comment le Yi Jing peut nous enseigner cela, je ne vais pas vous l'expliquer ici, ce serait un
peu trop long, et puis il existe maintenant des lieux en France o c'est possible [7]. Mais je voudrais
simplement vous prciser un peu ce qu'on entend en Chine par une position "juste", celle dcrite par
le mot chinois Zhong [8].
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Cet idogramme reprsentait l'origine une flche qui atteint le milieu de la cible, qui "tape dans le
mille". C'est pourquoi, avant de s'tendre "juste", son sens tait "milieu". Et puis comme les anciens
Chinois vivaient leur pays comme une le de civilisation au beau milieu d'un ocan de nomades
barbares, il en est venu signifier la Chine elle-mme. C'est d'ailleurs toujours son nom en chinois,
Zhong Guo, le pays (guo) du Milieu Juste (zhong). J'ai bien dit le "Milieu Juste" et non pas le juste
milieu ; la nuance est d'importance. Le juste milieu est quelque chose qui n'est gure intressant. C'est
dans notre langue une attitude molle et hypocrite qui arrondit les angles en vitant les extrmes, la
politique de l'eau tide. Rien voir avec l'idal que proposait Confucius. Zhong n'a pas du tout ce
sens l en Chinois. Il signifie un accord juste entre une attitude et un moment, au sens ou les
musiciens entendent le terme d'accord juste. Il s'agit d'une rsonance profonde, mme si la note est
stridente ou suraigu. Car l'attitude juste d'un confucen si elle est toujours rflchie et mesure, sait
tre folle quand la situation l'exige. Bien qu'elle se traduise souvent par une attitude de modration, il
s'agit toujours d'une attitude de totale implication. Des confucens, c'est--dire des tres libres, qui se
sont forms eux-mmes par l'tude des paroles du matre et des textes qu'il recommandait comme le
Yi Jing, il en a toujours exist en Chine, et il en existe encore. Et nous en avons vu un, il y a
maintenant quatre ans passs. Je pense cet obscur pkinois - heureusement pour lui rest anonyme qui, au lendemain de Tian An men, a eu l'audace folle de s'opposer physiquement l'avance d'une
colonne de chars. Quelques dizaines de kilos de chair vivante stopprent alors plusieurs centaines de
tonnes d'acier meurtrier. La situation tait excessive, son attitude aussi. Voila l'quilibre chinois
accord au moment, voila le Milieu Juste, voila ce qu'apprend le Yin/Yang : se tenir droit, mme face
un raz-de-mare.
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Aussi, pour finir, je voudrais vous parler d'un sport trs moderne qui pourtant aurait bien plu
Confucius, le surf. Avez-vous remarqu que depuis que les premiers clubs de surf se sont forms, il y
a une trentaine d'annes sur la cte californienne, ils ont tout de suite choisi comme emblme le Tai Ji
Tu ? Quand on rencontre un de leurs membres et qu'on l'interroge sur les raisons de ce choix, a priori
tonnant, les rponses deviennent hsitantes "Oh, ben ... a reprsente des vagues !" Eh bien les
surfeurs californiens avaient tout compris, mais ils n'imaginaient pas l'importance de ce qu'ils avaient
compris, ou bien ils n'avaient pas les mots pour le dire. Ils avaient ressenti que ce qui s'appelle
Yin/Yang en gnral, Tai Ji Quan quand il s'agit du corps et Yi Jing quand il s'agit d'agir, c'est ce que
Confucius nommait le Milieu Juste. Les vagues, celles de la mer, celles de la vie, sont toujours l,
mme quand nous n'y pensons pas. Elles roulent, elles dferlent, libres et puissantes, magnifiques et
indiffrentes aux tres humains. Mais chacun d'entre nous peut, par son observation et son
intelligence les utiliser. Qui sait se placer l'endroit favorable d'une vague, au point o culmine
l'quilibre Yin/Yang entre vitesse et portance, peut alors magnifier ses forces et raliser un certain
temps le miracle de voler la surface de l'ocan. Voila le trsor que nous offrent les Chinois. Le
Yin/Yang, le Yi Jing, le Tai Ji Quan, chacun sa faon nous enseigne la mme chose. La vie n'est
que mares d'nergie et les vagues du Qi roulent et dferlent continuellement en nous, comme en
toute chose sur terre. Si seulement nous savons trouver chaque instant notre Milieu Juste
l'intrieur de ce mouvement, alors nous pouvons dcupler notre puissance d'action en magnifiant
notre dignit d'tre humain.
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" Les enseignements des Cinq Classiques ne contiennent pas tout. Mme si le Bouddha n'y est pas
mentionn, est-ce l une raison d'en douter? Selon les critures bouddhiques, tous les tres entre
lesquels coulent du sang appartiennent au clan du Bouddha. C'est pourquoi je rvre ces critures
sans pour autant rejeter celles de Confucius et de Lao Zi. L'or et le jade ne se nuisent pas l'un l'autre.
Dire qu'autrui est dans l'erreur c'est se tromper soi-mme" .
En ce matin de Printemps de l'an 61 de notre re, dans Luoyang sa capitale fleurie de pivoines,
l'empereur est troubl. Son esprit est habit par le songe qu'il fit la nuit prcdente. Il y voyait un
magnifique cheval blanc portant sur son dos un bagage d'o filtrait une lueur la fois singulire et
rassurante. Apparaissait ensuite un mystrieux personnage, assis, les jambes croises sur une fleur de
lotus. Il portait une tunique dont le drap retombait en plis gracieux, mais son paule droite tait
dcouverte comme celle des chevaliers vaincus qui implorent merci. Ses cheveux, noirs comme ceux
des Chinois, sont tonnamment boucls et ramens en un chignon diffrent de celui des lettrs. Son
habit aussi n'tait pas chinois. Et dans son regard l'empereur ne lisait pas cette respectueuse frayeur
que ses sujets manifestent habituellement en sa prsence, mais une infinie mansutude. Il y songeait
encore quand son chambellan lui annona l'arrive d'une caravane venue du lointain Occident lui
apporter hommages et prsents.
S'tant avanc jusqu'au parvis de la salle d'honneur de son palais, l'empereur, stupfait, vit alors les
chefs de la caravane pousser vers lui un splendide cheval blanc, semblable celui de son rve. "
Notre prsent, dirent alors les trangers, sont des textes o est enseigne la plus grande sagesse au
monde ; ainsi qu'une statue du prince " veill ", le sage qui leur avaient transmis ce joyau ".
L'empereur en fut trs surpris. Non qu'on lui ft des cadeaux, c'tait l chose normale, mais que le
prsent soit une statue.
115
Les Chinois d'alors ne sculptaient ni leurs dieux ni leurs sages. Ils ne ralisaient des statues que pour
un usage bien particulier : en garnir les tombes. Substituts de la ralit, les sculptures reprsentaient
tous les lments de la vie quotidienne des grandes maisons des souverains et des princes, les dames
de cour, les chambellans, les serviteurs, les musiciens, les gardiens, les cuisiniers mais aussi, le
poulailler, le chenil, la porcherie, les fosses d'aisance, etc., bref tout l'attirail de ce qui pouvait servir
leur matre dans le monde invisible mais rel o il se rendait aprs son dcs. Les guerriers en terre
cuite de Qin Shi Huang Di rpondaient cette proccupation, un empereur se doit d'tre protg par
son arme o qu'il aille. Dans cette optique utilitaire, l'ide de reprsenter une personne noble et sage,
et cela dans le but de la vnrer, paraissait tout fait exotique.
Quand la statue offerte l'empereur fut dbarrasse des tissus qui la protgeaient, celui-ci ne put
retenir un geste de saisissement : le personnage qu'il avait devant lui tait exactement celui qu'il avait
vu dans son rve. L'infinie sollicitude du sourire de la statue l'envotait. Jamais en terre de Chine on
n'avait vu pareille reprsentation de la douceur, de la compassion.
" Si les textes que leur a transmis ce sage comportent autant de bienveillance que ce visage - pensa-til en lui-mme - il faut qu'ils se rpandent dans tout mon empire ". Et pour que cela advienne,
l'empereur promit aussitt de faire btir un temple assez grand pour les entreposer et pour que
puissent s'y installer les doctes personnes venues des confins occidentaux pour en expliquer le sens
aux habitants du Milieu.
C'est ainsi que la tradition rapporte l'arrive du Bouddhisme au pays de Confucius, son implantation
sous la protection des empereurs de la dynastie des Han de l'Est et la cration vers la fin du premier
sicle de notre re, Luoyang, du plus ancien temple bouddhiste de Chine. Ce temple existe toujours,
il s'appelle Bai Ma Si : le Temple du Cheval Blanc.
116
Lgende, bien sr, que tout cela, c'est--dire vrit la chinoise. Car ce que proclame le nom de ce
temple, plusieurs fois dmoli et reconstruit, mais jamais dbaptis, c'est que le Bouddhisme est entr
en Chine par l'Ouest dont la couleur symbolique est, dans le systme chinois des cinq orients, le
blanc, et qu'il venait du pays des chevaux. Pour le reste, les choses se sont videmment passes
autrement.
Le Bouddhisme est n en Inde, au V sicle avant notre re et il se fonde sur un certain nombre de
croyances et de mode de vie emprunts son aire d'origine. cette poque, c'est l'Indouisme et
l'enseignement des Vda qui dominent. De ce socle, le Bouddhisme garde la doctrine de la
transmigration des mes, appele Samsara (littralement : l'coulement circu-laire) selon laquelle
tous les tres vivants, y compris les dieux, sont engags dans un cycle incessant de naissance, de vie,
et de mort, ainsi que la loi de la rtribution des actes appele Karman. Mais il se dgage radicalement
des conceptions hindouistes sur trois points :
- il accorde au Karman une valeur primordiale : l'tre humain sera, dans sa vie future, ce qu'il a fait
dans sa vie actuelle.
- il ne reconnat pas l'ide d'un principe permanent en l'homme (Atman) se rincarnant au cours des
vies successives, principe qui est une sorte d'quivalent de ce que les religions monothistes
appelleront l'me.
- il rfute enfin le vaste systme socio-religieux des castes et des classes issu des Vda, ainsi que le
statut mprisable dans lequel il enferme les femmes.
117
1) un homme minent : le prince Sakyamuni (560-480) appel : l'tre " veill " (Bouddha) la
vrit.
2) une loi (le Dharma) qu'il fait dcouvrir tous ceux qui s'attachent ses pas : les quatre " nobles
vrits " :
- l'omniprsence de la douleur
- la cause de la douleur, qui est la soif d'existence
- la possibilit de l'extinction de ce qui cause la douleur
- la voie de la dlivrance de la douleur, c'est--dire les huit voies correctes d'existence qui s'ordonnent
au-tour de trois ples : moralit, concentration et discipline mentale dtermine par le discernement
ncessaire pour pouvoir percevoir l'illusion de la ralit du monde et son caractre fondamentalement
soumis au changement. Ce dernier point sera une grande porte d'accs du Bouddhisme vers le mode
de pense chinois, form depuis longtemps dj au balancement Yin Yang du Yi Jing, le Livre des
Changements.
3) une communaut (la Sangha), osmose organique des religieux et des lacs unis par des liens de
dons mutuels. En subvenant aux besoins des moines, les lacs esprent que le fruit de leur gnrosit
les fera accder une vie future moins douloureuse, voire la dlivrance.
Mme si, aux environs du tournant de notre re, le Bouddhisme s'est divis en deux grands courants :
le Grand Vhicule (Mahayana) et le Petit Vhicule (Hinayana), il n'a pas gnr, d'" coles " ou de "
chapelles " proprement parler, comme les religions monothistes. Un matre attirait lui des
disciples qui se regroupaient dans un monastre; par la suite, diffrentes communauts pouvaient se
rassembler par affinits lectives, mais la transmission se faisait toujours d'un patriarche un
disciple. Le mot chinois utilis pour dsigner les diffrentes " coles " du Bouddhisme asiatique est
zong, dont la signification propre : anctre, clan, etc., montre bien le primat de l'ide de lignage, de
filiation, de famille spirituelle, assez diffrent de l'esprit " missionnaire " qui animera les religieux
europens partir du XVI sicle, ainsi que les querelles entre les diffrents ordres religieux
catholiques, qui iront jusqu' provoquer en Chine des proscriptions impriales.
118
Des caravanes marchandes franchissaient souvent les portes majestueuses de la capitale des Han. Ce
qui avait motiv la pousse des Han vers le couchant n'tait pas le seul intrt commercial, c'taient
aussi les chevaux, les solides chevaux afghans qui quipaient les cavaliers des peuples nomades des
steppes d'Asie centrale. Ces chevaux, les meilleurs du monde, avaient dj excit la convoitise de
Cyrus le perse et aprs lui d'Alexandre. Le premier n'y fit qu'un raid temporaire, le second y installa
de faon permanente des hommes lui, dont les descendants formaient le prospre royaume des
Sleucides, conservatoire des traditions artistiques de la Grce classique, point mdian de cette route
transeurasienne o, l'ore du second sicle avant notre re, transitaient marchandises prcieuses et
ides nouvelles.
cette poque vivait en Inde le roi Asoka qui, fervent bouddhiste, en favorisa l'expansion autant vers
le Sud-Est que vers le Nord-Ouest. C'est alors que, franchissant la Khyber Pass, les paroles du
Bouddha retentirent en Afghanistan. Et c'est ainsi que trs loin de l'endroit o il avait dit ses
disciples " ne faites pas d'images de moi ", des artistes habitus faire des reprsentations sculptes
de leurs dieux et de leurs hros ralisrent les premires statues de l'veill, lui qui jusqu'alors n'avait
t figur que par des symboles : empreintes de pieds, roue de la loi, parasol, arbre de l'veil, trne
vide, etc. Pour sa coiffure, ils s'inspirrent de celle des Indiens, mais pour ses vtements ils imitrent
les tuniques de lin dont Phidias savait si bien modeler le pliss. De cette rencontre insolite natra l'art
grco-bouddhique du Gandhara qui, tout au long de la Route de la Soie, depuis Bmyn l'Est de
Kaboul jusqu' Longmen tout prs de Luoyang, allait grainer ces gigantesques statues directement
tailles dans le flanc des falaises.
En Chine comme ailleurs, le Bouddhisme s'est rpandu la manire des fraisiers. Sa diffusion
constitue mme un exemple parfait de marcottage spirituel. Le marcottage (appel provin quand il est
appliqu la vigne) est une forme de propagation naturelle par laquelle une plante mre projette des
sortes de ramifications ariennes qui se dveloppent en l'air puis, s'alourdissent; ces surgeons
touchent terre, s'enracinent et finalement la nouvelle implantation devient autonome et son tour
projette alentour de nouvelles ramifications. C'est pour cette raison que les plants de fraisiers doivent
au dpart tre plants trs espacs les uns des autres, car si la terre est bonne, ils auront tt fait de
couvrir toute la surface disponible. Cette image horticole prend tout son sens lorsqu'on considre
l'expansion du bouddhisme du point de vue conomique. Dans ce point de vue, les communauts
bouddhistes constituent " des groupes purement parasitaires, puisqu'ils se composent de religieux
mendiants qui vivent uniquement de dons, mme pour leur nourriture quotidienne. Le territoire d'une
telle communaut est la sima, le " circuit de la mendicit" dont les limites sont dfinies par la
distance que le moins mendiant peut parcourir pied dans ses tournes journalires. Sa superficie est
donc trs restreinte. D'autre part, la communaut a normalement tendance grandir et, comme la
marge de surproduction - c'est--dire la capacit entretenir un groupe conomiquement parasitaire est limite dans toute conomie pr moderne, cette croissance s'accompagne ncessairement d'un
processus d'migration. Les moines en surnombre s'en vont, suivant les grandes routes commerciales
pour tablir leur propre communaut. Ils choisissent pour cela des endroits conomiquement bien
situs : soit une rgion agricole prospre, soit proximit d'une grande ville au carrefour de grandes
routes aux lieux saints qui attirent des plerins, en un mot partout o se trouvent des danapati, des "
seigneurs du don " c'est--dire des lacs gnreux. C'est ce processus qui a servi la diffusion du
bouddhisme en Inde, mais aussi qui l'a emmen au loin de sa patrie d'origine, car parmi les "
seigneurs du don ", se trouvent volontiers les commerants et les caravaniers qui traversent ocans et
dserts en craignant pour leurs marchandises " .
119
Alors qu'en bien des contres trangres, comme par exemple au Tibet, le bouddhisme apportait avec
lui l'criture, l'art et une vision philosophique cohrente et salvatrice qui permettait la spiritualit
populaire d'aller au-del de la magie ancestrale, il en fut tout autrement en Chine, pays de vieille
culture prise de logique et rompue aux exercices de la pense.
Parmi les difficults auxquelles se heurtrent les propagateurs du bouddhisme les questions de
traduction prirent une importance norme, car la langue idographique chinoise, l'inverse du
sanscrit, est par nature peu adapte aux modes de pense abstrait et au style souvent discursif ou
hyperbolique des littratures indiennes.
An Shigao, le premier traducteur des textes bouddhiques dont l'histoire ait conserv le nom arriva
dans la capitale chinoise en 148 de notre re. Il s'installa bien entendu au Temple du Cheval Blanc et
y traduisit plus d'une centaine de textes emprunts aux divers canons se rfrant plus spcialement au
yoga bouddhique, sans doute parce que les pratiques indiennes visant apaiser l'esprit et mditer
sur la vrit se rapprochaient beaucoup de celles qui taient l'honneur dans les milieux taostes.
Cela venait d'une simple constatation que faisaient les taostes de cette poque : au cinquime sicle
avant l're commune, Lao Zi, notre matre, est parti vers l'Ouest, mais nous ne savons pas o il a
abouti. vous entendre, cette question est rsolue ; il est all jusque dans votre pays et il y a
enseign votre matre ; ainsi, notre vocabulaire idographique est-ce lui qui est le plus appropri pour
transcrire les enseignements du disciple de notre matre.
C'est ainsi que, par analogie, les premiers introducteurs du Bouddhisme en Chine utilisrent
particulirement le vocabulaire du taosme pour rendre des notions tout fait trangres l'esprit
120
chinois. Par exemple l'" veil " (bodhi), comme le terme gnrique de " yoga " fut rendu par dao la "
voie ", concept qui est la base du livre de Lao Zi. " Sutra ", dont le sens d'origine en sanscrit " fil "
le rattache au " droit fil de la pense " et de l l'ide de " rgle ", fut traduit par jing, un idogramme
dont le sens propre est " fils de chane (du mtier tisser) " d'o lui vient son sens figur de " texte
canonique (servant d'armature une pense intellectuelle ou religieuse) ". La notion de " saint "
(arhat) sera rendue par celle de zhen ren, l'" tre vrai " pleinement ralis de l'idal taoste. Quant
celle d'" extinction " (nirvana) c'est par la formule "wu wei", littralement " non agir " qu'elle sera
exprime .
Parmi ses disciples, Yan Fodao considr comme le premier moine purement chinois, traduisit
surtout des textes appartenant la tradition du Grand Vhicule et particulirement l'enseignement de
Vimalakirti.
Si les enseignements du Grand Vhicule orients la fois vers l'universalit du salut et l'intriorit du
sage ont emport bien plus largement l'adhsion des Chinois que ceux du Petit Vhicule qui s'est
surtout dvelopp en Asie du Sud-Est, c'est vraisemblablement parce que Confucius avait depuis
longtemps dj convaincu les Chinois de la perfectibilit de la nature humaine et de sa propension
naturelle la moralit.
C'est dans ces termes que s'est pos le problme de l'individualit et de l'impersonnalit.
finale de toute existence individuelle montre la forte rticence de la mentalit chinoise l'gard de la
notion d'impersonnalit. Dans la tradition chinoise, mme ceux qui devenaient immortels
conservaient un corps, thr certes, mais rel et distinct, tout comme ils conservaient une identit
personnelle. On peut en voir un exemple dans cette dissertation de Fan Zhen, un confucen du V
sicle de notre re :
" Le corps est la matire de l'esprit ; l'esprit est la fonction du corps. Ce ne saurait tre deux choses
diffrentes, plutt deux noms distincts pour la seule et mme entit. L'esprit est la matire ce que le
tranchant est au couteau ; le corps est la fonction ce que le couteau est au tranchant. Le terme "
tranchant " ne dsigne pas le couteau ; le terme " couteau " ne dsigne pas le tranchant. Et pourtant,
tez le tranchant, il n'y a plus de couteau ; tez le couteau, il n'y a plus de tranchant. Or, on n'a jamais
entendu dire que le tranchant subsiste aprs la disparition du couteau, alors comment l'esprit pourraitil subsister quand le corps a disparu ? " .
Dans le systme imprial total qu'avaient instaur les Han, la nouvelle religion avait peu de place
pour se dvelopper. Ce n'est qu' partir du moment o l'empire s'effrita de toutes parts que le
bouddhisme commena vraiment se dvelopper. Les noms officiels de la longue priode (elle s'tire
sur quatre sicles) qui fait suite l'imposant empire des Han : les " trois royaumes ", suivis des "
seize royaumes " puis des douze dynasties " du Nord et du Sud " en disent long sur l'tat de division
d'anarchie et de guerres continuelles qui ravagrent la Chine d'alors. Dans cette poque de violences
et de malheurs, le bouddhisme reprsentait pour beaucoup la seule consolation possible.
douleurs. La paix suprme, illusoire sur terre, pouvait pourtant s'atteindre en abolissant tous ses
dsirs. L' " entre dans le nirvana " s'effectuera au terme d'un long parcours spirituel scand par des
rincarnations multiples. Les lettrs les plus pris d'absolu pouvaient mme tenter ds cette vie
l'accs l'illumination et la dlivrance suprme : le Chan que les Japonais nomment Zen natra de
cette rencontre entre la rigueur confucenne et l'absolu bouddhiste.
Le processus des rincarnations plaisait aussi aux mes simples et tous les bons vivants. Elle tait
rassurante puisque chacun disposait dsormais non plus d'une seule vie, mais de plusieurs, pour
assouvir ses apptits avant d'y finalement renoncer.
Dans la Chine du Nord soumise aux invasions des peuples nomades d'Asie qui dferlent sur la grande
plaine du Fleuve Jaune, le bouddhisme deviendra trs important pour d'autres raisons encore. C'tait
l'poque la plus grande religion internationale. Elle avait montr, traversant l'Inde, l'Afghanistan, les
oasis d'Asie centrale, son aptitude s'adapter des socits compltement diffrentes. Il plat aux "
barbares " car il ne heurte pas leurs anciennes traditions chamaniques. Mais comme il plat aussi aux
Chinois, il cre une sorte d'galit culturelle entre occupants et occups qui adoucissait la situation
politique en retirant aux conqurants le complexe d'infriorit que les cavaliers des steppes d'Eurasie
ont toujours prouv devant la somptuosit culturelle chinoise.
Il y avait pourtant un principe du bouddhisme qui paraissait particulirement trange aux Chinois,
c'tait l'attitude qu'il proposait devant la vie elle-mme. Respecter toutes les formes de vie, tant
animales qu'humaines tait une ide tout fait nouvelle dans l'empire des clestes o les animaux
sont le plus souvent considrs uniquement sous l'aspect de leur intrt culinaire, et o maintenant
encore il est fait un usage immodr de la peine de mort.
Dans la conception bouddhiste, l'existence individuelle prenait galement une importance accrue
dans la mesure o l'idal confucen d'une bonne ducation de ses enfants dans le respect des rites de
la pit filiale et du culte ancestral ne suffisait plus assurer le repos de l'me pour l'ternit. Les
fautes commises devenaient plus lourdes dans la mesure o il allait falloir en subir les consquences
durant plusieurs rincarnations successives. Malgr les rites fidlement rendus par leurs descendants,
les criminels ne pourraient esprer aucune paix dans les temps au-del, et ils auraient souffrir pour
apprendre modrer leurs passions. Au modle de l'harmonie sociale le bouddhisme substituait celui
de la paix intrieure. Le principe moral du karman recueillait chez les gens du peuple soumis
l'arbitraire imprial un assentiment croissant, car les classes laborieuses y dcouvraient une
galisation devant la morale que le confucianisme d'Etat leur avait toujours refuse. C'tait comme
une fentre d'amnit qui s'ouvrait dans la muraille rigide l'intrieur de laquelle tait enferme la
socit chinoise.
123
Cependant, de toutes les innovations apportes par le bouddhisme, la plus difficile accepter pour les
Chinois traditionalistes fut sans aucun doute l'institution qui tait au cur mme de la religion
bouddhique : l'ordre monastique, la communaut des moines qui, niant les vanits de la vie sociale et
y substituant la recherche du salut personnel, avaient rompu tout lien avec la vie profane en
s'adonnant un genre de vie compltement spar de celui du monde lac, avec ses propres rgles
disciplinaires. " La formation d'un clerg qui dpassait les structures familiales et politiques
constituait un phnomne social sans prcdent en Chine, qui devait tre l'origine des plus violentes
perscutions anti bouddhiques " .
Pourtant la socit sculaire chinoise s'est toujours bien accommode de la prsence de marginaux
aux marges de son territoire cultiv. Les taostes quant eux avaient une longue tradition d'ermites et
d'anachortes qui fuyaient le monde pour en apprhender l'ultime ralit et s'installaient dans des
endroits aussi splendides qu'isols, le plus souvent dans les montagnes (le caractre chinois qui
signifie : adepte du taosme (xian) n'est il pas compos des signes " tre humain " et " montagne " ?).
Cependant que ce que visaient les religieux bouddhistes n'avait pas grand-chose voir avec la
recherche taoste de la " Longue vie ", mme s'ils furent longtemps les seuls le savoir.
Pour l'autorit chinoise, le coup fut rude lorsqu'au tournant du quatrime sicle le ministre Huan
Xiun, s'enqurant des problmes de prsance et de protocole, s'entendit rpondre sans ambages par
le moine bouddhiste Hui Yuan qu' la diffrence du commun des mortels qui tait naturellement tenu
d'observer l'tiquette en usage la cour, les religieux pour leur part ne seraient plus dans l'obligation
de se prosterner devant l'empereur.
Lent se dvelopper, le mouvement monastique fut, partir du V sicle, prsent dans toute la
Chine. Il y en eut dans les grandes villes (Luoyang comptait 1327 monastres l'avnement des
124
Tang), il y en eut galement qui s'tablirent dans les valles rocailleuses o aucune tendue plate ne
permettait de faire pousser le riz ou mme de planter des mriers. Endroits si dsols et si rocailleux
qu'ils n'intressaient mme pas les paysans et que les percepteurs impriaux avaient depuis longtemps
renonc en tirer impt. Ce dnuement ne rebutait pas les croyants dont la premire de leur loi
exigeait, pour leur rappeler quotidiennement la modestie et la solidarit humaine, qu'ils se nourrissent
d'abord du riz de l'aumne. Cependant aucune prescription n'enjoignait de s'en tenir l et de
complter cet ordinaire frugal en amnageant d'troites terrasses o s'panouissaient lgumes
sauvages et arbres fruitiers venus des rgions d'Asie centrale. L'interdit sur la consommation de la
viande ne paraissait pas disproportionn au petit peuple chinois qui de toute faon n'en consommait
que fort rarement en dehors des grandes ftes annuelles. En revanche on apprciait et respectait bien
volontiers la rigueur morale de ces hommes qui savaient si bien amnager la pauvret et juguler leurs
apptits.
Cependant, le plus grand scandale vint des femmes, lorsque celles-ci leur tour s'organisrent en
communauts monastiques. Qu'un homme se retire du monde et refuse la procration, bien qu'avec
peine, cela pouvait encore se comprendre - la renonciation aux dsirs ne passe-t-elle pas d'abord par
la renonciation au dsir ? Mais qu'une femme se refuse la maternit, sa seule raison d'tre aux yeux
125
Mais les femmes chinoises, elles, voyaient trs bien ce que leur apportait cette religion venue de
l'tranger. " Pour la premire fois depuis les deux millnaires que comptait dj la civilisation
chinoise, il leur tait offert une image fminine gracieuse et compatissante. Non que dans le panthon
animiste de la Chine ancienne il n'y et point de divinits fminines (comme par exemple Xi Wang
Mu la " Reine Mre d'Occident ") ou de dits secourables, mais celles de la vie quotidienne n'taient
gure valorisantes. Parmi les plus implores il y avait Zi Gu, la " Jeune Fille Pourpre " qui tait
surtout connue sous le nom de " Desse des Latrines " parce que, concubine d'un homme riche et
ayant suscit la jalousie de l'pouse principale, elle y fut jete par son mari et s'y noya " . Il y avait
aussi la " Souveraine Originelle des Nuages Iriss " (Bi Xia Yuan Jun) qui protgeait les femmes en
couches, mais c'tait parce qu'elle-mme avait connu l'horreur de recevoir la mort en donnant la vie.
Il se produisit alors un phnomne trange. Les femmes du peuple de Chine qui enduraient chaque
naissance des enfers de douleur et de sang, crurent distinguer dans la religion nouvelle une autre
divinit secourable : Avalokitsvara, un des principaux bodhisattva du Mahayana. Vieille divinit
brahmanique dont on trouve trace dans les Veda, c'tait l'origine un homme, le dieu des chevaux
qui reprsentait la fois compassion et puissance . Il fut trs tt intgr au bouddhisme quand apparut
la notion de bodhisattva, ces tres qui renoncent goter eux-mmes l'apaisement du Nirvana tant
qu'il resterait des humains dans la souffrance. Que voil un tre pntr de grande noblesse se dirent
les femmes de Chine qui bientt transformrent le bel Avalokitsvara en l'une des leurs. Il devint "
Guanyin " celle qui regarde (guan) avec considration et coute avec attention les cris (yin) des
humains en proie la souffrance. Pour figurer son omniprsence consolante, la tradition chinoise la
figura bientt pourvue de onze visages et de mille mains tenant chacune un emblme salvateur. "
Alors que l'univers confucen, focalis sur le culte ancestral dont la pit filiale est la manifestation
premire, ne rendait la mre que des devoirs et des marques de sollicitude manifestant comme une
sorte d'interminable paiement des bienfaits rendus pendant l'enfance et que l'univers taoste
substituait aux femmes relles une idalisation d'essence fminine du monde, Guanyin tait toujours
accessible. Elle ne demandait que des prires ferventes et de l'encens parfum. toutes celles et
tous ceux qui l'imploraient, Guanyin, qui n'excluait rien ni personne, apportait protection et
esprance. Grce elle la fminit dans sa valeur maternelle de protection et de recours ultime
trouvait enfin sa place " .
" Cette image de douceur et de bienveillance sans rciprocit qui dpassait l'ironie parfois cruelle des
taostes et la justice parfois rigoureuse des confucens, tait dans le droit fil des rcits de la vie du
Bouddha. Ces rcits rpts par les conteurs de rues, reprsents sur les murs des temples, montraient
des personnages fminins dont la fonction principale tait d'adoucir ce monde-ci, d'y rpandre la
mansutude, d'y dvelopper l'indulgence et d'y dmultiplier la bienveillance autant que faire se peut
en attendant de renatre au paradis d'Amithaba - tape dcisive sur le chemin de l'illumination qui
suscita en Chine beaucoup plus d'enthousiasme que l'austre perspective de l'entre dans le nirvna "
.
Et voil que des femmes chinoises, et pas toutes des moins que rien, jetaient leurs grossesses futures
ou passes par dessus les moulins pour se regrouper en communauts. Elles se vtaient d'une robe
mal fagote, ridicule et incommode parce que conue pour d'autres climats, pis encore, voil qu'elles
se rasaient entirement la tte troquant la parure de leur coiffure pour l'insupportable prsence de leur
crne. Et enfin pire que tout si l'on peut dire, voil que ces religieuses avaient l'outrecuidance
d'organiser elles-mmes leurs communauts. Non seulement elles se passaient d'hommes, mais elles
126
se passaient aussi de leur naturelle autorit en se mettant sous la souverainet d'une des leurs, d'une "
mre ", comme les filles qui peuplaient les vertes maisons du monde flottant des lupanars. Et tout
cela pourquoi ? Pour mener une vie exemplaire de dvouement et de prire qui rendait le scandale
encore plus scandaleux aux yeux de ceux qui le dnonaient. l'inverse des femmes, les intellectuels
chinois mirent trs longtemps s'apercevoir des bienfaits que lui apportaient ces institutions
nouvelles.
Il existait en effet une faille de taille dans le rigoureux systme social conu soi-disant par les sages
de l'antiquit et surtout codifi avec rigueur par les Han : c'tait les femmes esseules.
Il y avait d'abord celles qui, malgr les efforts des entremetteuses, taient restes seules parce
qu'aucun homme n'avait voulu les pouser cause soit de dfauts physiques, soit de disgrces
morales, soit de discrdits sociaux pesant sur leurs familles. Bien qu'videmment assez dsagrable
vivre, cette situation n'tait pas, de loin, la plus grave. Raille par ses voisins, mprise par sa famille,
la jeune fille restait chez ses parents. Devenant vieille fille, elle tchait de compenser par un
dvouement exemplaire le souci qu'elle causait et de faire oublier par une pit filiale remarquable la
bouche supplmentaire nourrir qu'elle constituait, alors que cette bouche aurait normalement d tre
remplie par une autre famille.
La situation tait beaucoup plus grave pour les femmes qui avaient t maries et qui, pour diverses
raisons, ne l'taient plus. Les malheureuses qui taient rpudies en raison de leur caractre jug
mauvais ou cause de la jalousie excessive d'une autre pouse, quand elles chappaient au sort
funeste de la Desse des Latrines, taient la plupart du temps rendues leur famille d'origine, comme
des marchandises impropres. On imagine bien que celles-ci, outre la honte sociale qui les accablait,
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ne voyaient jamais d'un bon il le retour en leur sein d'un lment dont elles avaient t
gnralement fort heureuses d'tre dbarrasses. Dans les familles riches, le problme se posait en
termes de culte ancestral : la rpudie, efface de la ligne de son mari ne pouvait pas cependant
rintgrer celle de son pre ; elle errait entre deux descendances. Non seulement la rpudie n'avait
plus de place dans sa famille mais son retour constituait une catastrophe conomique, car il fallait
rendre la famille de son ex mari une somme quivalente aux cadeaux reus lors des fianailles.
Dans les familles pauvres, qui constituaient la majorit des cas, le problme se posait d'une manire
plus crment conomique. Quand le lopin ou l'atelier ne fournissent que chichement la portion
familiale, chaque bouche compte et l'pouse avait vite t remplace par une bru qui, tenant
prserver pitance autant que prrogative, voyait ce retour d'un il torve. Pire encore enfin, la femme
rpudie perdait aussi ses enfants car, sauf cas exceptionnels, ils restaient dans la famille de leur pre.
Pour toutes ces raisons, les ruptures taient rares et les femmes rpudies ne reprsentaient qu'une
infime portion en comparaison d'une autre catgorie de plus malheureuses encore et qui sera sans
cesse grandissante, celle des veuves.
Lorsqu'elles faisaient montre d'une fidlit inbranlable au souvenir de leur mari dfunt, les veuves
bnficiaient au moins de la considration gnrale. Aux plus mritantes d'entre elles on levait
mme des pailou ces sortes d'arches ou de portiques qui ornaient les rues et servaient l'dification
de tous. Les potes ne manqurent jamais de s'apitoyer avec talent sur ces femmes vertueuses dont le
destin tait pourtant parfois trs cruel, surtout quand la pauvret les unissait trs jeunes avec un riche
barbon et qu'elles se retrouvaient veuves la fleur de l'ge. Les censeurs, toujours pour des questions
de lignage ancestral, prnaient avec vigueur l'impossibilit du remariage. qui attribuer, disaient-ils,
quel homme, quel clan assigner dans l'au-del une femme qui se serait marie plusieurs fois ?
Pour les hommes, la question ne se posait pas: l'pouse en titre avait sa place dans le caveau familial
et le mari survivant pouvait contracter d'autres unions puisque considres comme secondaires, elles
n'affectaient pas l'ordonnancement sculaire des rites ancestraux.
Tout dpendait pour le sort de la veuve de ses maternits. Si avant le dcs de son mari elle tait
devenue la mre d'un garon, elle perdait certes un poux mais ayant donn la famille de son mari
un hritier porteur du nom et continuateur du culte familial, elle gardait dans la famille de son dfunt
mari, place, rang et prsance. Mais qu'elle devienne veuve sans avoir enfant d'hritier mle et alors
le malheur s'abattait sur elle. Or cela pouvait survenir de manire particulirement cruelle en raison
de la coutume des mariages d'enfants qui se pratiquait trs couramment ds l'ge de six ou sept ans.
L'union n'tant jamais vraiment considre comme une affaire personnelle mais comme une alliance
entre clans, quand, pour le bien des deux familles, elle avait t " marie " ds son plus jeune ge un
garonnet et que le malheur veuille que le petit fianc n'atteignt point l'ge adulte, alors sa petite
promise, le plus souvent dj installe chez ses futurs beaux-parents se voyait relgue au rang le
plus bas, sorte de petite esclave domestique soumise aux avanies de sa belle-mre qui entendait bien
lui faire payer le sort injuste qui lui avait enlev son fils chri et non cette bru stupide dont elle n'avait
ds lors plus rien faire. On cherchait la caser ailleurs n'importe quel prix, c'est--dire le plus
souvent vil prix. Triste tait le sort de ces petites veuves enfants, condamnes rester striles leur
vie durant car, tant officiellement maries, toute liaison qu'elles pouvaient contracter l'ge adulte
tait considre comme adultre et le plus souvent punie de mort. Non par les lois qui n'taient pas
trs claires ce sujet mais par la coutume qui prvalait, les magistrats ne se mlant gure de ces
sortes d'affaires, considres comme internes aux familles, pourvu qu'une apparence de maladie ou
d'accident permt de sauver la face en dguisant suffisamment ces crimes internes. Qu'on ne croie pas
cela comme rcit d'un pass depuis longtemps rvolu : il y a moins d'un sicle, c'tait encore pratique
courante et le beau film de Chen Kaige donne voir une famille des annes trente o une pouse est
128
pousse discrtement vers la corde qui tranglera son crime sans autre forme de procs.
Il y avait pourtant situation plus dramatique encore, celle de l'pouse qui, rejete par son mari,
esclavagise par sa belle-mre, moque par ses beaux-frres et mprise par le reste de la famille ne
voyait que dans la fuite une issue son enfer quotidien. la diffrence de la divorce qui, si elle
devait abandonner ses fils, pouvait au moins emmener avec elle ses filles, la fugueuse n'ayant pour se
nourrir le plus souvent d'autre issue que la prostitution, partait seule, car emmener ses filles avec elle
aurait signifi les y condamner aussi.
Dans cet enfer sans issue o taient enfermes les femmes chinoises, les communauts bouddhiques
ouvraient un espace qui fut un rayon de soleil. Le principe des monastres tait simple en effet,
pourvu qu'on s'engage respecter les cinq principes de l'enseignement du Bouddha, quiconque
pouvait y trouver refuge, quels que fussent son ge, son sexe ou sa condition sociale. La vie y tait
dure, mais la rgle tait juste et la mme pour tous. Il fallait apprendre se passer de la plupart des
plaisirs de la vie et plus encore de l'apptit de vivre, mais on y chappait aux mesquineries de la vie
sociale et aux cruauts qui s'acharnaient sur les veuves inutiles et les pouses striles.
Mais le plus important pour les femmes chinoises c'est que dans l'enceinte d'un monastre elles
dcouvraient une ralit extraordinaire dont jamais personne, pas plus les taostes que les confucens,
ne leur avait jamais parl auparavant, une vidence si extravagante qu'aucun sage de l'antiquit ne
l'avait jamais imagine : elles taient reues pour elles-mmes. Elles qui depuis toujours n'existaient
qu'en tant que filles de leur pre, femmes de leurs maris, mres de leurs fils, voil que brusquement
on s'intressait elles en tant que personne propre; voil qu'on prenait en considration leur salut
personnel. Jamais auparavant en Chine on ne s'tait adress aux femmes de la sorte. Le Bouddha en
129
revanche, dans ce sermon prch vers la fin de sa vie avait bien insist sur le fait que chacun, y
compris les femmes, pouvait atteindre l'veil, devenir un bouddha et sortir de la souffrance . Ce
sermon, le sutra du lotus de diamant connut en Chine un succs extraordinaire. Il fut mme le premier
texte au monde tre imprim, ds le 9 sicle. Confucius et Lao Zi dans les fondements qu'ils
avaient pos n'avaient fait aucune place aux femmes. On justifie cela habituellement en disant qu'
leur poque, les femmes ne comptaient pas. Pourtant le Bouddha historique vivait cette poque-l.
Non seulement les monastres donnaient la vie des femmes un sens personnel qui ne devait rien
personne d'autre, mais cette ouverture ne se faisait pas dans une perspective goste. Elle se ralisait
au travers d'un accomplissement social qui profitait tous ; les uvres de bienfaisance que le clerg
bouddhiste prenait sa charge, rconciliaient les nonnes avec la socit qui les avaient brises.
soulager ceux qui se trouvaient encore plus malheureux qu'elles, transformant leur malheur en
compassion, elles retrouvaient ainsi une dignit humaine et une utilit sociale que la socit chinoise
leur avait le plus souvent dni.
Cette influence bienfaisante du bouddhisme se manifestera durant toute la priode des Tang (6 - 9
sicle) qui sera un ge d'or pour les femmes chinoises. Jamais on ne les verra aussi heureuses. Toutes
les reprsentations que nous avons de cette poque, les tableaux sur soie, les fresques, les statuettes
funraires, les romans et les rcits de l'poque montrent des femmes heureuses, cratives et
panouies. Aucun des plaisirs de l'poque ne leur tait ferm. Elles se vtaient avec des robes d'une
somptuosit et d'un raffinement tels qu'on les croirait tires d'actuels romans de science fiction ; elles
peignaient, composaient des pomes, jouaient au Wei Qi (un jeu d'chec chinois que nous
connaissons sous son nom japonais de jeu de Go), montaient cheval et pas en amazone s'il vous
plat, allaient la chasse (avec un petit flin apprivois juch sur la croupe de leur monture et qui se
chargeait pour elles de la partie vio-lente et meurtrire de la chasse), elles jouaient au polo, dansaient,
faisaient de l'acrobatie. Libres et belles, on les sent toujours exulter de joie de vivre dans ces
magnifiques petites statuettes qui peuplaient les tombes de cette poque et qu'on a juste titre appels
les " Tanagra " chinois. Qu'elles se htent de jouir de la vie et du corps que la nature leur a donn, les
femmes de Chine, car bientt une grande nuit va s'abattre sur elles, et pour de longs sicles, sous la
forme d'une des plus monstrueuses contraintes physiques jamais impose un tre humain : le
bandage des pieds.
" Comme tous les comportements qui finissent par emporter l'adhsion complte d'une socit,
personne ne peut dire avec prcision ni o ni quand le phnomne commena " . Tout au plus peut-on
souligner qu'il est contemporain du mouvement de raction philosophique connu sous le nom de noconfucianisme et dont le chef de file sera Zhu Xi, dont les commentaires des classiques seront lettres
d'vangile durant plus de sept sicles. Presque jusqu' l'aube du XXme sicle, durant lequel Mao
Zedong dut encore rappeler avec vigueur ses compatriotes que " les femmes portent la moiti du
Ciel ".
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- Le discours de la Tortue. Dcouvrir la pense chinoise au fil du Yi Jing par C. Javary. ditions
Albin Michel.
- Yi Jing, le livre des Changements traduction originale par C. Javary commente avec l'aide de P.
Faure ditions Albin Michel.
- Les Rouages du Yi Jing, introduction au Livre des Changements par C. Javary. ditions Philippe
Picquier.
- Le Yi Jing, par C. Javary. Editions du Cerf, collection Bref, n 20.
- Le Yi Jing en Dessins. Bande dessine bilingue, traduit du chinois par C. Javary & Wang
Dongliang. Editions You-Feng
131
132
La tranquilit, arme secrte du Tai Chi. La raison ? On cherchait l'tat appel "mushin no shin, pas
d'attitude mentale afin d'agir spontanment face l'attaque. Les tapes avances du Kung Fu et les
enseignements du Karat s'occupent aussi de perception et de tranquillit. Ce qui rend le Tai Chi
Chan unique, c'est qu'en dpit de la rputation qu'il a de dvelopper lentement l'tudiant, il est une
voie directe et simple vers le calme et son utilisation matriser le mouvement. Il est appel
mditation en mouvement parce qu'il commence par accentuer la tranquillit dans le mouvement. Et
il fait de mme face l'attaque. Les classiques du Tai Chi Chan disent "s'il ne bouge pas, je ne
bouge pas. A son moindre moi j'ai dj anticip et boug le premier."
Comment le Tai Chi Chan permet-il cela, demandons-nous Master Tung Kai Yin ? "Quand vous
tes relaxs, vous tes plus rapides, rpond-il, et vous pouvez savoir plus facilement ce que va faire
votre adversaire. Il est aussi important d'tre relaxs, parce que vous vous sentez mieux". "Bien des
mouvements dans le Tai Chi Chan aident l'tudiant dtendu. Les pousses aident assouplir les
poignets. Quand vous pratiquez le Tai Chi Chan, vous devez tre relax, et non pas mou. C'est
relax avec l'nergie. C'est la souplesse au dehors mais l'nergie ou la robustesse au dedans. Comme
une barre de fer enveloppe dans du coton". Master Tung souligne une vue traditionnelle du Tai Chi
Chan, par des phrases concises mais claires, usant parfois d'une ide ou d'une image familire des
crits traditionnels sur cet Art. Pour cultiver l'nergie dtendue lorsqu'on rencontre un adversaire, le
Tai Chi Chan comporte un exercice appel Tui Shou, ou pushing hands.Dans la pratique du Tui
Shou, les tudiants se placent deux par deux, en rangs et en ligne, et tracent un cercle avec leurs
133
L'quilibre, voil le but du Tai Chi Chan, et l'approche qui en fait un art unique est l'alternance du
yin et du yang, de l'pais et du subtil. Le calme dplacement de la pesanteur est enseign
graduellement par la lente et mticuleuse rptition des 108 mouvements de l'enchanement du
systme yang. Les postures varies fortifient les jambes, construisent l'quilibre et font circuler le Chi
travers le corps. Selon la tradition, l'nergie prend ses racines dans les peids, se dveloppe dans les
jambes, est dirige par la taille, et atteint les doigts. Les formes individuelles du Lent sont une base
du Tui Shou, d'une certaine faon. Les mouvements originaux du Tai Chi Chan taient au nombre
134
de 13, correspondant aux 8 directions et aux 8 trigrammes du Yi King, plus les 5 lments. Ces
postures fondamentales sont tisses dans les modles continus de pushing hands. Et, de mme que
dans le lent, pendant le mouvement, il faut toujours viter la double pesanteur. 'Vous pouvez bouger
plus vite, dit Master Tung, avec le poids sur une jambe, plutt que sur les deux. Tous les mouvements
du Tai Chi Chan sont en partie pleins, en partie vides. Cette alternance du solide et du vide, du
souple et du dur, fait partie de la tradition taoste qui a donn le jour cet Art.
On connat bien l'histoire du sage Chang San Feng, observant le combat d'un serpent et d'un oiseau ;
le mouvement insaisissable du serpent illustre bien le principe taoste (de soumission la force). Le
Tai Chi Chan tire tout son intrt de l'abandon. Cder et absorber le mouvement de l'attaque,
accepter et dtourner mille livres avec une pichenette de la force de quatre onces. Cder, contrer, et
alors frapper sec en retour. Mais quelle sorte de force utilise-t-on pour ce retournement ? Le Tai Chi
n'utilise-t-il que quatre onces de force ? "L'ide de quatre onces ne se rapporte qu'au fait de dtourner
les attaques, dit Tung, de se dbarrasser de l'assaillant. Autrement, l'on utilise autant de force que
possible". Le Tai Chi Chan cultive plus d'une sorte de force, affirme Tung, ajoutant qu'il y a une
longue puissance l o le mouvement va vers l'extrieur longuement. Il y a une courte puissance,
comme un clatement. Il y a une puissance saisissante, une puissance soulevante... toutes bases sur
le Chi". "Ce qui est intressant, continue Tung, c'est que vous vous connatrez vous mme et vous
connatrez votre force. Vous pourrez connatre les autres, et quelle est leur force. Mais s'ils ne vous
connaissent pas, c'est prfrable". Bien que la puissance du Tai Chi Chan soit base sur le Chi et
souligne sa circulation par la relaxation et la posture correcte, Tung ne croit pas aux exercices de
dveloppement du Chi. "Inutile de s'occuper de cela, dit-il, car le Chi est l. Le Tai Chi s'occupe de
ce que vous en faites".
Master Tung note que, au fur et mesure que l'tudiant s'entrane, il trouve la libert dans les formes.
Il dit '. "au dbut, vous vous occupez de penser effectuer la forme,... si c'est correct. Puis vous
n'avez plus vous occuper de cela, ce n'est plus que le Chi. Alors, vous pouvez l'exprimer au dehors,
au-del du mouvement'. "D'une certaine faon, c'est comme dans l'entranement aux armes, continue135
t-il, car les armes sont essentiellement un prolongement de la main. Nous enseignons le sabre, l'pe
et la lance... chaque arme tant d'une taille diffrente, et demandant une attention diffrente. Si vous
regardez la longueur d'une pe, c'est peu prs comme si vous exprimiez votre Chi sans elle. Mais,
dans l'utilisation des. armes vous ne focalisez votre attention que sur la pointe de l'arme. Avec les
mouvements main nue, vous pouvez tendre le Chi au del de la main. L'insistance sur l'utilisation
du Chi fait aussi partie des enseignements du Kung Fu, mais il est rarement conduit au coeur de
l'instruction comme il l'est dans les systmes internes. C'est ce qui fait du Tai Chi Chan la source
des Arts Martiaux. La tonification interne des organes pour quilibrer l'nergie et dvelopper !a sant
et la vitalit faisaient partie intrinsque de la tradition du Yoga taoste, et Chang San Feng, le
fondateur, tait connu pour sa connaissance de cette tradition.
On dit que cet Art fut gard par les lves de Chang San Feng, puis par la famille Chen Honan qui
prserva le secret de ces techniques pendant des gnrations. Il advint qu'un homme du nom de Yang
Lu Chan entendit parler de cet Art et se dbrouilla pour faire partie de la maison Chen afin de
l'apprendre. II fut dcouvert, mais ses dons talent si grands que la famille Chen le lui enseigna de
bon gr. Yang Lu Chan se rendit Pkin o on l'appela Yang l'Insurpassable pour son talent au
combat, et il enseigna le Tai Chi Chan. Ses deux fils, leur tour, continurent cet enseignement,
maintenant connu sous le nom de style Yang. Parmi les lves du petit fils de Yang, Yang Chen Fu, il
y avait Tung Ying Chieh, qui devint clbre pour ses crits sur le Tai Chi Chan et pour la cration
d'un enchanement rapide qui complte le style Yang. C'tait le grand pre de Kai Yin Tung, et le
Fast Set (ou Kwai Chan), fait partie de la tradition familiale de Tung.
L'Enchanement Rapide de la famille Tung donne l'tudiant une chance de dcouvrir quelque
chose des applications des formes lentes en self-dfense, et dveloppe la sensibilit l'mission de
l'nergie. Il est bas sur l'enchanement lent de style Yang, mais effectu avec vivacit, avec plus de
force et de manire plus "serre", plus compacte. Tung aime le voir pratiqu avec ardeur ... Bouger,
respirer, transpirer, mais toujours quilibrer, centrer, matriser, parce que c'est en plein mouvement
que le Tai Chi Chan cherche le calme. Pour tre capable d'user du calme comme d'un jouet, que ce
soit en affrontant un adversaire ou dans la vie quotidienne, nous devons nous familiariser avec lui.
136
Aussi, dit Master Tung, le Tai Chi Chan est, en vrit, un exercice de l'esprit. Master Tung souligne
la concentration, l'attention aux formes, que ce soit dans le Lent ou dans le Rapide, qu'il s'agisse d'un
dbutant ou d'un pratiquant avanc. L'attention aux dtails dans l'excution est encourage dans les
limites des possibilits de l'lve.
L'approche traditionnelle du Tai Chi Chan, qui est celle de Tung, est une approche du calme
intrieur au coeur de la philosophie et de l'exprience asiatique. Approche qui semble la fois
raisonnable et pragmatique, autant que bien des styles modernes ; mais contrairement certains
d'entre eux, il dmontre le sens de l'quilibre et de la plnitude.
137
138
Nous avons prcis ailleurs, le rle de YUAN QI ; rappelons seulement qu'elle ne fait que s'puiser et
que seuls les choix de vie que nous faisons peuvent combler le dficit inhrent notre existence
mme. YUAN QI prsente dans toutes les cellules, accompagne, en tant que concrtisation de l'inn,
toutes les autres modalits de l'nergie reprsentant les transformations de l'acquis. L'nergie YUAN
est comme le pouvoir donn chacun, afin qu'il continue le mystre de l'humain, partir de sa propre
ligne, mais videmment dans une perspective et une recherche continuelle de transformation et de
139
dpassement.
On traduit gnralement WEI QI par nergie de dfense, mais c'est un sens restreint. Il faudrait y
ajouter le sens d'une nergie qui amne l'tre humain se dterminer par rapport aux phnomnes
environnants comme quelque chose de dynamique qui est proche de l'essence du YANG. Aussi, on
peut dire que WEI QI est une dynamique de relance, pulsionnelle, guerrire, farouche, trs associe
l'nergie ancestrale et lie l'adaptation de la personne dans le monde. En effet, sans cesse la
personne est dpendante et ventuellement contrarie par les rythmes du cosmos ou de
l'environnement et sans cesse, donc, elle doit y rpondre en s'ajustant au mieux.
140
La production d'nergie WEI s'organise au Foyer infrieur : c'est la transformation du reliquat de tout
ce qui reste de l'alimentation ; ce sont les rsidus et les lies qui peuvent encore tre brls ce niveau.
WEI QI rythme la veille et le sommeil : ds l'ouverture des yeux, il y a mise en jeu de tout l'appareil
sensoriel de la vie de veille ; on se met debout sur ses pieds. (Il y a une relation nergtique trs
importante entre les yeux et les chevilles par l'intermdiaire de certains grands mridiens curieux.)
Lorsque l'on ferme les yeux pour dormir la nuit, alors WEI QI va uvrer dans la profondeur et le
mystre des organes : son mode d'expression concrte tant en particulier la production de rves.
L'nergie WEI s'exprime et rythme les dfenses, aux frontires ; elle surgit rapidement, voire
violemment et alors on assiste aux diverses manifestations de l'allergie. WEI QI circule en fonction
du Soleil et des toiles. En vingt-quatre heures, elle fait cinquante cycles dans le corps : durant le jour
elle fait vingt-cinq tours et se distribue dans tous les niveaux nergtiques ; la nuit, vingt-cinq tours
galement pour aller visiter les Cinq Centres subtils suivant le cycle KE. C'est en mme temps une
voie de justice et de rparation (Reins, Cur, Poumons, Foie et Rate, puis retour aux Reins et cela
cinq fois par nuit). Autrement dit, pendant le sommeil, WEI QI va visiter les Cinq Organes/fonctions
et pendant la veille, elle va dans les quatre membres et les articulations par les mridiens tendinomusculaires entre autres. Les articulations sont des lieux de dcisions et de choix ; on laisse l'nergie
y passer ou pas. Les exercices de TAI JI QUAN, QI GONG, DAO YIN et YOGA travaillent en
profondeur sur ces lieux.
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WEI QI produite au Foyer infrieur est tributaire de l'alimentation ; ainsi suivant ce qu'on mange et
comment on mange, on produit une nergie WEI plus ou moins chaotique ! D'autre part, le pouvoir
de ractivit de WEI QI, rpond aussi la vitalit du Foyer infrieur associ au dsir, la peur et la
sexualit. C'est l'expression du vouloir-vivre personnel avec tout ce que cela comporte de mlanges et
de conflits ; manifestations d'autant plus violentes que cette volont personnelle (manifestation de nos
petites volonts) est loigne du plan dcid par notre Etre profond, c'est--dire de la ralisation du
vritable mandat dont il est dpositaire. Le ressort, la pulsion de WEI QI sont en relation avec la
pousse de l'nergie du Foie vers le haut (phase montante diagramme du TAI JI) ; ceci fait appel au
rle du Foie dans sa gestion dynamique du sang ; par exemple, tout coup, le rouge monte au visage
: c'est l'aspect subtil de SHEN, ici appel le HUN qui pousse vers l'extrieur, le haut. C'est aussi lui
qui nous pousse en avant, qui nous fait avancer sur la route...
Le cheminement de WEI QI se fait dans les espaces hors mridiens ; on dit qu'elle se propage par
nappe. Il y a dans cette propagation, la fois une notion de rempart et de creux. En effet, WEI QI
circule dans les mesos (membranes) et les fascias (feuillets), c'est--dire les plans de clivage situs
entre les muscles, les tendons, les os... ; ce qu'on appelle, en mdecine chinoise, " l'intervalle de la
division des chairs ". Elle voyage aussi dans les grandes cavits thoracique (le Clair) et abdominale
(le Trouble). Nous connaissons le rle du Gros intestin et de la Vessie dans la production des liquides
utilisables par l'organisme. Le mridien principal du Foie, le REN MAI et le CHONG MAI jouent un
rle dynamique important dans cette ascension de WEI QI, associe l'eau. D'autre part, il est trs
important de souligner que WEI QI et RONG QI se rencontrent partout et sont ncessaires partout.
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Gnralement, on compare WEI QI dont la trajectoire se fait en nappe, la mre. Peut-on entendre l
une rfrence la mre matricielle mouvante et fluctuante, sachant que WEI QI est une nergie
trouble ; trouble parce que issue du Foyer infrieur et parce qu'elle s'appuie sur YUAN QI, l'nergie
ancestrale et donc sur la transmission des lignes ; alors que RONG QI est une nergie claire dont la
trajectoire est linaire : on la compare au pre - " Le Pre, c'est la colonne " - par son mode de
distribution - la sve dans les canaux du tronc et des branches. Mais ce rapprochement symbolique de
la gestion des deux nergies est propos dans un but opratif. On ne saurait surtout pas en faire une
rcupration bon march tant dans le domaine de la psychanalyse ou de la psychothrapie que dans le
domaine social. N'oublions pas que le monde dans lequel nous vivons actuellement mlange tous les
niveaux dans le but inavou de faire ressortir telle ou telle thorie tronque, pour mettre en exergue
des pseudo-dialectiques qui ressortirent plus du chaos du Foyer moyen que de la transparence du
Foyer suprieur et de SHEN ! De plus ce serait oublier qu'auprs de WEI QI il y a le dynamisme du
Foie, d'ordre masculin et que RONG QI est nourricire et labore par la Rate, d'ordre fminin. En
fait, plus nous frlons le paradoxal, plus nous sommes proches du Mystre dont, en ralit, on ne peut
rien dire, mais que l'on est amen vivre de plus en plus intensment.
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RONG QI est une nergie dynamique de cohsion, ncessaire pour harmoniser l'ensemble du corps
afin que les diffrents secteurs tiennent entre eux. Elle le nourrit et est porteuse du Principe vital.
RONG QI, l'nergie nourricire, est dans une relation trs intime avec les systmes artrio-veineux,
lymphatique et le systme nerveux dans sa globalit. Les points d'acupuncture ne sont pas des points
mais, en ralit des cavits relies des paquets vasculo-nerveux et lymphatiques.
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L'nergie RONG circule dans les douze mridiens en vingt-quatre heures. Lors de l'tude de chaque
centre subtil, l'horaire des mares nergtiques des mridiens a t prcis. Il est ncessaire
maintenant de les visualiser globalement. (Les heures indiques sont les heures solaires.) Le schma
prsente trois boucles se reliant entre elles :
- La boucle interne de 3 heures 11 heures correspond aux Poumons/Gros intestin et
l'Estomac/Rate.
- La boucle externe de 11 heures 19 heures relie les Curs/Intestin grle et Vessie/Reins.
- La boucle intermdiaire est une zone charnire d'changes nergtiques qui rpond trs rapidement.
Les mares correspondent ici 19 heures-3 heures du matin, soit aux heures du Matre Cur/Triple
Rchauffeur et Vsibiliaire/Foie.
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Remarquons trois moments trs importants qui marquent les changements de niveaux nergtiques
dans la circulation de l'nergie nourricire. Ce sont des temps de mutation interne :
- 3 heures : passage de l'expression nergtique du mridien du Foie celui des Poumons : un cycle
nycthmral se termine, un autre commence.
- 11 heures : passage de la Rate au Cur.
- 19 heures : passage des Reins au Matre Cur.
Reprenons les trajets des mridiens principaux, nous verrons que ces trois temps de mutation
s'effectuent en un seul lieu : la profondeur du thorax. Il est intressant de se regarder vivre ces
moments-l. On peut tre interpell trs subtilement lorsqu'une certaine vigilance s'installe de
manire spontane. Il y a une relation trs forte entre l'expression de cette nergie et l'image que l'on
se fait de soi. Une prise de conscience progressive, l encore, peut, dans le lcher-prise, amener la
personne changer certains schmas : soit parce qu'il apparat que ce sont seulement des modles
imprims de longue date et qui n'ont plus cours maintenant ; ils nous encombrent inutilement. Soit
parce qu'ils font appel des manques importants et qu'il y a peut-tre une demande intrieure,
profonde et insistante pour modifier la faon de vivre.
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ZONG QI coordonne :
- le rythme respiratoire et l'expression des Cinq Centres subtils reprsents par l'arbre des Trois
Foyers ;
- le rythme respiratoire en relation avec les pulsations cardiaques ;
- et tout ensemble la grande symphonie des trois rythmes respiratoire, cardiaque et nergtique.
Si ZONG QI est abondant, on respire bien. Cette notion de respiration dpasse largement le
mcanisme de la respiration de l'air.
E. Le Grand Souffle DA QI
C'est le Souffle arien, c'est par lui que nous recevons " l'Unit qui vient du Ciel ". Ce souffle est bien
sr directement utilisable puisqu'il est le Souffle en provenance du cosmos, expression de l'Univers
(Terre/Ciel). Les textes, quant son mode de circulation, nous disent : " Il rentre UN et il sort trois. "
(Les chemins des Trois Foyers, par exemple.)
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149
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La vie de l'homme commence par une inspiration. Elle se termine par une expiration. Quoi qu'il
arrive. Entre les deux, et tout le reste du temps, les simples tres humains que nous sommes avalent
l'air du bout des lvres, avec conomie ou goulment, pour assurer la fonction de base qui prside
aux changes gazeux entre nos organismes et le milieu extrieur. Ils toussent, reniflent, raclent leur
gorge, suffoquent, s'tranglent, expectorent, ahanent... Mais bien peu respirent, au sens cosmique du
terme. Bien peu parviennent se mettre au rythme de l'univers pour ne constituer qu'un seul souffle
avec lui. "Le" souffle. Celui du flux nergtique ; celui qui fait vibrer toute chose ; celui qui prside
tout, au "un", que! que soit le nom qu'on lui donne, et indpendamment de tout contexte religieux.
Les grandes religions, d'ailleurs, se sont toutes appuyes leur origine sur l'aspect cosmique de la
respiration pour tablir ce lien - le seul tangible - entre le ciel, la terre et l'homme. Et lui donner un
nom... Mais bien respirer, au fond, c'est quoi ? Ou plutt, c'est comment ?
Bien respirer, " c'est ", simplement. Et c'est par l qu'il faut commencer. Ni la posture, ni la pratique,
ni le mental ne vous donneront une bonne respiration, quoi que vous fassiez, si vous n'tes pas
conditionn pour. Car c'est de la respiration que tout dcoule : la posture, la pratique, le mental; et
non le contraire.
On voit arriver de temps en temps, lors de cessions diverses, Tai Chi Chuan, Chi Gong, Yoga, ou
151
autre, des gens qui vous disent : " Je suis venu parce que je ne sais pas respirer! J'ai lu qu'ici on
pratiquait la respiration abdominale. Puis-je m'inscrire ? " Quelques jours plus tard, vous les
retrouvez, plus appliqus que jamais. Ils tiennent vous montrer qu'ils ont compris. Qu'ils "savent",
dsormais, respirer. Et c'est alors terrible ! La sance peine commence, vous fermez les yeux ; et
vous avez soudain l'impression d'tre entr par hasard dans un pressing Certes, la respiration doit
tre ample, longue, profonde. Mais elle ne peut en aucun cas tre force, exagre. Elle doit rester
silencieuse, naturelle, entirement libre. A votre image. Ou plutt l'image du chi, ki, prana, comme
il vous plaira de l'appeler. A l'image de cette nergie qui passe travers vous. Et qui conditionne
chacune de vos attitudes, chacun de vos actes...
Au-del des dogmes, des querelles d'cole, des pratiques religieuses, il n'existe que deux faons de
respirer : la bonne et la mauvaise. Pour la mauvaise, c'est simple : il suffit de regarder autour de soi
dans la rue, les transports en commun, les lieux publics. Les gens malgr eux avachis, vautrs, sans
tenue. Comment pourraient-ils respirer ? La bonne faon, en revanche, est plus difficile dcrire. Car
si la technique, dite abdominale est simple matriser en elle-mme, ce qui la sous-tend est en fait
plus complexe. Si le rle de la respiration consiste tablir un lien, un fil invisible destin relier
l'homme l'univers, les formidables effets qu'elle engendre sur l'organisme sont, eux bien terrestres.
Et tout fait mesurables.
Contrairement ce que pensent beaucoup de gens, la respiration ne se fait pas au niveau des
poumons. Elle s'effectue en fait au niveau cellulaire, et mme au niveau molculaire, dans des
organites spcialiss, vritables centrales nergtiques qui portent le nom barbare de mitochondries.
Les changes gazeux se font bien entendu au niveau des alvoles pulmonaires, mais l'oxygne est
conduit des poumons la cellule par le sang. C'est l que s'effectue la vritable respiration. Cellule
par cellule. Le taoste Tchouang Tseu, affirmait que les gens du commun respiraient avec la gorge,
tandis que l'homme vritable devait le faire avec tout le corps, jusqu'aux talons, ce qui signifiait que
la respiration s'accompagne d'un processus de prise de conscience qui peut s'tendre aux jambes.
152
L'acte respiratoire en effet, pour tre pleinement efficace, doit procder de tout le corps. Nombre de
stress, de troubles psychosomatiques, de dysfonctionnements organiques, de fatigues chroniques sont
dus cette incapacit.
Or !a difficult de vivre des civiliss vient de l'antagonisme de ces deux cerveaux, et de l'importance,
de plus en plus grande, de par nos activits crbrales intenses, que s'adjuge le " petit dernier". Ainsi,
durant le jour, une partie des fonctions automatiques de l'organisme est assure par le systme
sympathique. Lorsque ce systme, excit par les motions, l'activit crbrale, le stress, est trop
sollicit, survient un tat de surtension. Le parasympathique entre alors en jeu, afin d'liminer ces
tensions par des processus chimiques complexes, (neurotransmetteurs notamment), et maintenir
l'quilibre du systme nerveux autonome. C'est ce qui se produit pendant le sommeil par exemple, ou
le sympathique (dominant le jour) cde la place au parasympathique (dominant la nuit) pour
dfatiguer notre corps et notre esprit, et leur rendre la vigueur ncessaire un fonctionnement correct.
Or l'activit intellectuelle, trop importante, des crbraux que nous sommes devenus (au sens
fondamental : motions, angoisses, etc.) donne trop d'importance au systme sympathique, et
empche, plusieurs heures durant, le parasympathique de reprendre les commandes. C'est ce qui fait
que vous entendez souvent des gens dire : "Je ne comprends pas. Cette nuit, j'ai dormi dix heures et je
153
A l'inverse, les pratiquants de Tai Chi Chuan, Chi Gong, ou Yoga, par exemple, dorment moins. Mais
avec une trs grande efficacit rparatrice... Ce qui nous ramne la respiration ventrale. A la
respiration longue, profonde. Et son rle en la matire... La respiration comporte trois temps :
l'inspiration, l'expiration, et une pause, plus ou moins longue, situe entre expiration et inspiration,
dont peu de gens ont conscience. Un temps mort hors du temps. Entre tension et dtente. Un peu
d'ternit. L'tat du Bouddha, comme le moment qui spare deux penses
L'inspiration est produite par une contraction du diaphragme et des muscles intercostaux, qui dilate la
cage thoracique et donc les poumons, colls la paroi, provoquant ainsi une aspiration. L'expiration
naturelle est due, quant elle, l'lasticit de la cage thoracique et des poumons, cherchant revenir
l'tat d'origine. L'air est alors expuls, simplement. Au contraire, la respiration abdominale fait
intervenir un concept totalement diffrent : celui d'nergie cosmique, ou de Chi. Ce n'est plus juste de
l'air qui entre dans les poumons, mais quelque chose d'autre. Indfinissable. Indterminable. Le "a",
aux proprits extraordinaires, que l'on va chercher jusqu'aux confins de l'univers. Que l'on absorbe
au fond, tout au fond de soi. Que l'on dirige jusqu'au centre de gravit de l'organisme, au tan tien
(chine) ou au seika tanden (japon), en un point situ au milieu d'un triangle dont le sommet serait en
dessous du nombril, trois centimtres environ, et les deux cts au niveau de la troisime lombaire
et de l'anus. Et que l'on expulse ensuite, lorsqu'il a fait son office, aux confins de l'univers. Une
nergie que l'on peut aussi diriger : par les mains, par les yeux, par la pense... Sur les autres ou sur
soi-mme... Qui vous donne des facults que d'aucuns qualifieraient d'"extraordinaires" et qui ne sont
pourtant que l'expression de la nature.
154
Le troisime millnaire verra l'tude systmatique de l'origine de ces forces, et enseignera chacun
leur utilisation rationnelle. Pour y parvenir, on peut utiliser les techniques de visualisation par
exemple. Ou n'utiliser aucune technique du tout. On peut se concentrer sur une pratique : le ventre se
gonfle l'inspiration, puis se creuse et vient appuyer sur le diaphragme l'expiration. Ou mettre
l'accent sur la longueur de l'expiration, comme dans le bouddhisme tantrique ou Zen... Ou travailler
au contraire la longueur de l'inspiration, comme dans les exercices respiratoires de l'Akido. On peut
faire, ou ne pas faire. Pourvu que la respiration soit vraie. Dans tous les cas, des effets tonnants se
feront alors sentir. Que l'on adhre ou non ces ides. Et a, ce sont des faits. Bien-tre, joie de vivre,
sensations oublies depuis l'enfance vont rapparatre. Pourquoi ? Auto-hypnose ? Effet placebo ?
Point du tout... Revenons aux effets physiologiques de la respiration. La longvit des prtres
bouddhistes, et notamment des bouddhistes zen, est bien connue depuis toujours. On a d'abord
cherch du ct de l'alimentation, vgtarienne - elle joue aussi, sans aucun doute, son rle -, avant de
se pencher sur celui de la respiration. Les prtres bouddhistes rcitent des stras (okyo en japonais),
d'une voix caverneuse, aux paroles prononces l'expiration, qui exercent une forte pression sur
l'abdomen. Les Tibtains ont pouss cette pratique au niveau de l'art, avec une force dans le souffle
que rien n'gale. Les prtres shintostes galement. Les prtes occidentaux, n'ayant, comme force
d'appui, que les sons fragiles du " notre pre " vivent, c'est un fait moins longtemps. Car leur voix,
plus haute, plus faible, ne permet pas d'exercer cette respiration profonde qui exerce une action
dterminante sur la sant.
155
La ralit physiologique d'une bonne respiration est simple. La phase d'inspiration, lorsqu'elle est
suffisamment longue, ample, exerce une pression sur un des centres fondamentaux de l'organisme
charg de rguler les fonctions involontaires dont nous parlions auparavant : le systme limbique, ou
rhinencphale, qui est pratiquement un second cerveau. Cette partie du systme nerveux est situe
derrire le nez. C'est pourquoi certains exercices du yoga s'appliquent faire travailler l'inspiration
par une narine, puis par l'autre, afin de donner une meilleure conscience du travail respiratoire.
L'expiration lente, son tour, en agissant de faon progressive et soutenue sur le diaphragme, va
stimuler les fibres nerveuses dont la concentration est trs grande au niveau du plexus solaire. Le
diaphragme, ainsi sollicit l'inspiration comme l'expiration, va amliorer ses capacits de
fonctionnement, entranant une plus grande oxygnation de l'organisme et ses corollaires : une
meilleure combustion, une limination plus rapide des dchets mtaboliques, souvent gnrateurs de
fatigue. Par ailleurs, le foie, qui est accol au diaphragme, monte et descend avec cet organe chaque
inspiration. Il subit ainsi, lors des phases de rtraction, un vritable massage... La plupart des organes,
d'ailleurs, situs sous le diaphragme, subiront galement un massage et une meilleure oxygnation :
rate, reins, colon...
A la technique se joint l'tat d'esprit : on doit pratiquer sans but, sans volont de quelque gain que ce
soit. La voie consiste seulement porter attention sa respiration, sans autre dsir. Anpnasati : Ana
: inspiration. Pana : expiration. Sati : la prise de conscience. Pour arriver la libration de l'esprit et
parvenir l'veil. Peut-tre... Et tant pis si j'en vois qui soupirent, au lieu de respirer, tout simplement...
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L'intention et le souffle sont dans le corps humain sans forme ni couleur et invisibles pour les yeux.
Mais il faut savoir que le souffle remplit tout le corps et nourrit le sang. Le souffle est la
transformation du feu de la porte de la vie et de l'essence. Les taostes l'appellent l'tat d'quilibre
entre le feu et l'eau ou encore le Dan intrieur. Il rside et s'accumule dans le Dntin.
Les taostes l'apprcient extrmement, alors que les gens estiment ordinairement que le sang est le
plus prcieux dans le corps humain. En effet le souffle est plus important que le sang parce que le
souffle est principal et le sang est auxiliaire. Si le sang est insuffisant, on peut encore survivre, mais
si le souffle vient manquer on est en pril tout de suite. C'est pourquoi la chose la plus importante
c'est de nourrir le souffle.
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La particularit du Tiji qun, outre son bienfait pour le corps humain, est de favoriser le
dveloppement du souffle. Le proverbe dit: " On exerce extrieurement les nerfs, les os et la peau; on
exerce l'intrieur une bouche de souffle ". Quand on pratique le Tiji qun dans le Grand
Enchanement, dans Dispersion des Mains ou dans le Grand Dplacement, la respiration demeure
naturelle, le visage ne change pas de couleur et le souffle emplit tout le corps. On se trouve dans un
tat plus confortable qu'avant l'exercice; cela montre que l'exercice de Tiji qun est bienfaisant et
enrichit le souffle.
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Quand le souffle est plein, le sang est abondant; quand le sang est abondant, le corps est fort. Si le
corps est fort, l'intention est ferme. Quand l'intention est ferme, le corps est vigoureux. Cette vigueur
produit la longvit et l'on peut devenir expert. On confond souvent l'intention avec le cur ou le
cur avec l'intention, mais ils sont diffrents. Le cur est le matre de l'intention et l'intention est
l'auxiliaire du cur.
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Quand le cur se met en mouvement, l'intention commence. Quand l'intention commence, le souffle
la suit. Autrement dit ces trois lments, le cur, l'intention et le souffle, sont en interaction. Quand
le cur est dispers, l'intention est en dsordre. Quand l'intention n'est pas concentre, le souffle est
flottant. Au contraire, quand le souffle s'enfonce, l'intention est ferme. Quand l'intention est ferme, le
cur est stable. C'est pourquoi ces trois lments s'emploient mutuellement et se trouvent dans une
relation insparable. Quand le souffle circule naturellement, il peut activer le sang et en mme temps
animer l'esprit.
162
S'il y a la thorie sans la mthode, on ne peut tout comprendre. S'il y a la mthode sans la thorie, on
commence par la queue. L'intention, le souffle et la pratique ont une relation rciproque. Si on
explique aux dbutants ce que sont l'intention et le souffle, cela est difficile. Mais cela ne signifie pas
qu'on ne puisse pas passer la porte de la pratique. Par exemple, pour exercer les treize gestes ou un
seul mouvement, il faut commencer par l'imagination. Ainsi, lorsque les deux mains ralisent le
mouvement d'appuyer, il faut imaginer qu'il y a un adversaire devant; ce moment, mme si le
souffle ne sort pas des paumes, on doit supposer qu'il circule depuis le Dntin, vers les lombes, le
dos, les paules, les bras et les paumes afin que l'nergie s'exprime et arrive au corps de l'adversaire.
Cette supposition, pour les dbutants, est plutt vague. Mais aprs une priode d'exercice, on peut
l'employer aisment.
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Il existe deux histoires du Taiji Quan, celle raconte dans les textes classiques et l'histoire transmise
oralement dans toutes les coles de chaque style. D'une manire curieuse, l'histoire et les lgendes
contes dans les diverses coles convergent toutes et dcrivent les mmes histoires.
L'origine du Taiji Quan plonge ses racines dans la philosophie du Tao. La Chine ancienne prsentait
alors une structure fodale et les arts martiaux taient l'objet d'une qute vitale et secrte, chaque
disciple voulant connatre le summum de son art et chaque matre dsirant rserver ses meilleures
techniques ses lves les plus dous et les plus loyaux. En outre, l'apprentissage des arts martiaux
tait souvent li une ordination formelle dans le cadre du taosme, puis plus tardivement dans le
cadre du bouddhisme.
Bien que les monastres taostes fussent naturellement ddis aux pratiques spirituelles, les arts
martiaux taient cependant enseigns pour former les moines la discipline et au contrle de leurs
nergies. Ces arts martiaux dits "internes" taient aussi un vecteur pragmatique d'volution spirituelle
par leurs idaux et pratiques. L'enseignement restait donc l'apanage des moines, dans un cadre bien
diffrent de l'entranement des guerriers et mercenaires de cette poque. C'est pourquoi le Taiji Quan
et le Kung Fu originels sont teints d'une indicible couleur spirituelle et d'une notion initiatique ou
165
filiale.
Ainsi, le Taiji Quan puise-t-il sa thorie dans la connaissance du Yijing (en particulier dans ses
versions taostes), dans la thorie mdicale taoste ancienne et dans l'alchimie interne de la circulation
des souffles de l'nergie interne et externe (Neijing Qi et Wei Qi).
Selon l'cole taoste du Mont Hua, l'empereur mythique Shen Hung, agriculteur et herboriste, serait
l'origine de la thorie nergtique cosmologique des huit trigrammes (Ba Gua) du Yijing et des huit
mouvements primordiaux du Taiji Quan : reculer-tirer vers l'arrire-pousser-presser-tirer vers le basse pencher en arrire-pousser avec l'paule-pousser avec le coude. Chaque mouvement semble ainsi
en liaison avec le concept dynamique de chaque trigramme. Cet enseignement purement taoste du
Taiji Quan existe encore dans certaines coles.
On raconte encore que le grand empereur Yu (2000 environ. avant J.-C.) cra une sorte de danse
cosmique destine se mettre en harmonie avec les forces telluriques. Ce style de pas magiques
existe encore aujourd'hui dans certaines coles du taosme religieux. Yu pensait que, tout comme
l'eau stagnante est souvent infeste de parasites, la stagnation des liquides vitaux et du sang apporte la
maladie. Il posa ainsi les origines de la conception taoste du mouvement hyginique.
L'empreinte de la philosophie naturelle du Tao est vidente dans les textes classiques du Taiji Quan,
on y trouve notamment cette maxime :
Rejeter le souffle ancien et inspirer le souffle neuf, se mettre dans la posture de l'ours et s'tirer
166
comme un oiseau.
On retrouve d'ailleurs dans le Taiji Quan de tous les styles cette rfrence l'oiseau, tant dans le nom
des postures que dans la forme en "bec" du poignet et des doigts.
On vient de dcouvrir en 1973 un texte important sur le yoga taoste datant de 108 avant J.-C., dans
une tombe du Hunan. Sur les quarante figures, certaines indiquent clairement l'imitation du
mouvement d'animaux comme l'ours, l'aigle et le singe. Les autres dessins montrent que certains de
ces exercices taient utiliss pour gurir certaines maladies physiques ou psychologiques. Plus tard,
sous la dynastie des Han, le clbre acupuncteur Hua To mit au point une srie de mouvements bass
sur l'imitation des animaux. On considre que ces mouvements de Dao Yin furent l'Origine des
postures du Kung Fu.
D'autres exercices sont considrs comme d'origine divine, tels les clbres Batuajin - les huit pices
de brocart ou huit merveilles - pratiqus de faon intensive de nos jours par toute la diaspora
chinoise. Le taoste Lu Don Bin serait l'origine de ces mouvements copis sur la danse des dieux.
Plus concrtement, on considre que ces enseignements furent rvls par la voie du rve ou par le
contact avec des Xian pendant de longues retraites de mditation. Ainsi le Taiji Quan aurait t
enseign l'ermite taoste Zhang Sang Feng par l'immortel de l'toile polaire : Hsuan Tien Zhang Ti
167
l'aube du premier millnaire ; selon d'autres sources le Taiji Quan tait dj pratiqu cette poque
sur les cinq pics sacrs du Wudang.
D'une certaine manire, on peut affirmer que personne n'a cr le Taiji Quan mais qu'il est le fruit
d'une volution la croise de plusieurs influences. La tradition orale de certaines coles attribue la
premire forme de Taiji Quan au moine taoste Zheng Yi Dao Ren qui vcut 500 ans avant notre re.
Il ne reste bien sr aucune trace de cet art interne que l'on nommait " la boxe prnatale ", en rfrence
l'arrangement originel des huit trigrammes du Yijing dcrivant la formation du monde.
On considre donc Zhang San Feng (qui vivait aux environs de l'an 1000 de notre re) comme le pre
du Taiji Quan actuel. Cependant, la vie de ce taoste lgendaire ne fut dcrite que dans des textes
beaucoup plus tardifs, au XVIme sicle. La lgende et la tradition orale nous laissent un portrait
haut en couleurs de cet homme : d'normes yeux et de grandes oreilles, de long cheveux tresss en
chignon, ne portant qu'une seule robe en t comme en hiver, mangeant de copieuses quantits de
nourriture, grimpant les montagnes comme s'il volait. Zhang San Feng est considr comme l'un des
six grands immortels de l'cole taoste des "immortels cachs" qui florissait encore au dbut de ce
sicle sur le mont Hua.
L'histoire du Taiji Quan est intimement lie cette cole dont on disait que les matres avancs
pouvaient rencontrer les matres du pass. Ainsi, Zhang San Feng "apparut" plusieurs disciples
jusqu' au XVme sicle. On attribue la rdaction de l'ouvrage "La Pratique du systme du Taiji Quan
" Zhang San Feng, et l'on cite souvent ce passage descriptif de cet art :
Le Taiji Quan dpasse l'effort. La mditation, qui en est le premier pas, indique l'effort dans la
168
quitude et la croissance intrieure. Les mouvements du Tai Chi Chuan sont la partie externe de cette
croissance. On doit combiner l'externe et l'interne, le doux et le dur pour atteindre le but suprme.
Zhang San Feng laissera l'image d'un tre spirituellement ralis qui calqua les mouvements du Taiji
Quan sur le combat gracieux et mortel d'un oiseau et d'un serpent.
Quelques sicles plus tard, Chen Wangting, gnral en retraite de l'arme de la dynastie des Ming,
axa un style de Taiji Quan bas sur le Livre classique de la boxe et sur sa pratique de cette forme de
combat qui comportait diverses squences. Cette version de la naissance de tous les styles du Taiji
Quan moderne est confirme par le matre Dong Hao (1897-1959) et recueille l'approbation de
presque toutes les coles. Chen Chen Hsing cra ainsi le style "Chen" qui donna ensuite naissance
toutes les autres coles du Taiji Quan: Style Yang, style Wu (il existe deux styles Wu distincts dont
l'orthographe en criture chinoise est diffrente), style Sun, style Guang Bin...
Ce combattant est lui aussi nimb d'une aurole de gloire dans la province du Shandong, il apportait
de nouvelles mthodes martiales certainement issues du Kung Fu de Shaolin d'influence bouddhiste.
*La coordination entre les mouvements et la respiration (souvent absente de certains styles enseigns
en Occident).
169
Le style Chen est caractris par une succession de mouvements tour tour lents et rapides et les
coups de pieds surgissent parfois d'une faon explosive.
Ce style comprenait deux formes de mouvements originales qui se sont transmises le long de dix-sept
gnrations, de la famille Chen jusqu'au dernier matre : Chen Fake (1887- 1957).
Mais revenons en arrire, l'un des premiers matres Chen : Chen Hsiang qui dveloppa la forme de
108 mouvements et enseigna Yang Lu Chan (17221872), fondateur du style Yang, bien connu en
Occident. Peu de temps aprs naquit le style Wu de Wu Yu Hsiang, qui tudia la fois le style Chen
ancien et le style Yang.
Au cours de son histoire, le style Chen s'enrichit d'une "forme nouvelle" destine plus
particulirement entraner et chauffer le corps et plus rcemment d'une forme simplifie en 38
mouvements de Chen Xiawang (19eme gnration de la famille Chen depuis Chen Wang Ting),
pratique actuellement en Chine o le style Chen connat un "renaissance" due ses mouvements la
fois toniques et harmonieux, reprsentant au mieux l'alternance Yin-Yang de la philosophie naturelle
des taostes. Il faut aussi distinguer l'volution de ce style selon les rgions de la vaste Chine et on
compte aujourd'hui un style Chen du Nord et un autre du Sud !
170
A l'poque de la rvolution de 1911, le Taiji Quan tait la mode Pkin, cela surtout cause de sa
rputation de mthode curative. On dit mme que la plupart de pratiquants taient alors uniquement
proccups par son ct curatif, c'est pourquoi cette poque naquirent des formes dulcores de cet
art martial "interne". La pratique de la boxe du Tai Chi apportait la valeur d'une recherche taoste
pour " obtenir un cur serein et un esprit concentr ". Cependant, le renouveau actuel de la forme
Chen oriente le Taiji Quan, la fois vers ses applications martiales et la pratique d'une mthode de
sant. De plus, les exercices complmentaires visant entamer l'nergie le long de spirales de forces
(le Chan Jun Chin) renouant avec l'nergtique chinoise et avec les mouvements lies aux huit
trigrammes du YijinJing.
Du point de vue thrapeutique, les recherches chinoises ont montr que la pratique du TAIJIQUAN
apportait des rsultats sensibles dans les troubles suivants : La neurasthnie, les nvralgies
chroniques, l'hypertension, les gastrites et tous les troubles digestifs chroniques, les maladies
cardiaques, la tuberculose, l'arthrite, le diabte et les maladies chroniques en gnral.
171
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Ce diagramme, maintenant familier aux Occidentaux tant il est repris dans de nombreux logos
publicitaires, est trs souvent appel "le dessin du dao ". Bien que surprenante de prime abord - le
dao, indfinissable par essence, ne peut tre reprsentable - cette dnomination se rvle finalement
d'assez bonne sagesse puisque ces deux " gouttes" noire et blanche donnent voir la rythmique du
battement Yin/Yang, qui est bien la manifestation de ce fonctionnement des choses au niveau
sensible. Pourtant, ce n'est pas ainsi que les Chinois dsignent ce dessin. Ils l'appellent tai ji tu, c'est-dire le dessin (tu) du Tai Ji
Tai Ji n'est pas une expression banale. Ces deux idogrammes, ceux par lesquels s'ouvre le passage
du Grand Commentaire qui a intress SHAO Yong, occupent une place importante dans la pense
traditionnelle, raison qui sans doute leur a valu des traductions assez tonnantes.
Dans l'encyclopdie informatique d'un important fabricant de logiciels, on trouve par exemple "Tai
Ji, en chinois: Grand Ultime ". L'expression sonne bien, elle emporte l'adhsion. Mais ce n'est pas
une traduction, plutt une projection, le placage d'une ide mtaphysique occidentale sur une
abstraction chinoise.
Franois Jullien l'a remarqu quand il souligne propos du passage du Grand Commentaire que "
173
c'est surtout le premier terme de cette numration (tai ji) qui, dans la mesure o il peut servir
reprsenter l'origine, a retenu l'attention des philosophes ultrieurs. (...) En effet, influenc par
l'exigence mtaphysique nouvelle que le bouddhisme a introduite en Chine, les penseurs no
confucens de la dynastie Song ont t conduits voir en ce terme la cl de vote de tout le systme :
il est cens, en servant ainsi de terme premier, fournir son concept l'absolu, tablir le fondement de
la ralit. Le pas est facile franchir alors qui conduit riger la notion en entit mtaphysique. "
Ce pas, les missionnaires le sauteront sans tats d'me. L'un des plus clbres d'entre eux traduira par
exemple le mme passage : " Il y a dans les transformations le grand Premier Commencement. Celuici engendre les deux puissances fondamentales. Les deux puissances fondamentales engendrent les
quatre images. Les quatre images engendrent les huit trigrammes ". Et il le commente ainsi : " Le
grand Premier Commencement joue un rle considrable dans la philosophie naturelle ultrieure. A
l'origine, ji est la poutre fatire, donc un trait simple, symbolisant la pose d'une unit .Mais en posant
l'unit, on pose la fois la dualit, car en mme temps on fait apparatre un dessus et un dessous.
L'lment conditionnant est ensuite dsign comme ligne non divise, tandis que l'lment
conditionn est reprsent par une ligne divise , ce sont l les deux puissances fondamentales
polaires qui sont par la suite dsignes comme Yang le lumineux et Yin l'obscurs. "
" Grand Premier Commencement ", " Grand Ultime" (on trouve aussi "Fate Suprme"), toutes ces
dnominations ont un point commun: leurs initiales en majuscules. Nous sommes tellement habitus
cet artifice typographique, propre notre manire d'crire, que nous en oublions souvent l'effet
psychologique et idologique qu'il induit. Pourtant, l'initiale en majuscule correspond "une
modification du sens qui mtamorphose le mot, volatilise sa valeur concrte et le projette un autre
niveau de rsonance". Toutes choses impossibles concevoir par l'esprit chinois. Comment voulezvous en effet appliquer une initiale en majuscule un dessin? Un caractre n'est pas seulement
invariable, il est aussi immuable.
Ces majuscules donnent aux expressions " Grand Ultime" ou " Fate Suprme" des allures de
divinits primitives qui les rapprochent de nos dieux indo-europens. Cela n'tait pas indiffrent aux
milieux missionnaires. Ils tenaient avec cette interprtation de l'expression tai ji un tmoignage de la
croyance chez les indignes chinois un pouvoir suprieur dont dcoule tout ce qui existe qui
arrangeait bien leur activit missionnaire.
Il importe donc, avant de voir l'usage qu'en fera SHAO Yong, de comprendre plus prcisment ce
que les Chinois entendent par cette expression. Pour y voir plus clair, commenons par le troisime
caractre, le plus gnral.
Ce caractre (qui se prononce " tou " est trs courant. Dans les classifications des bibliothques
174
impriales, il dsigne d'une manire gnrale les plans, cartes, graphiques, diagrammes, tout ce qui,
dans un monde d'idogrammes, sans tre un signe d'criture, est un dessin signifiant. " Schma"
semble plus appropri pour le traduire que " dessin ", qui a en franais un ct artistique absent du
terme chinois, qui n'est employ que pour des ralisations caractre pratique, laissant un autre
idogramme (hua) celles caractre esthtique
Sur la nature de cet objet, tout le monde est d'accord. Il s'agit de la poutre matresse, celle situe au
plus haut de la charpente et sur laquelle s'appuient et se rejoignent les deux pentes du toit. Comme il
ne fait aucun doute non plus que ce terme technique n'est pas employ ici dans son sens propre mais
comme une image, la symbolique que l'on peut en tirer dpend troitement du point de vue partir
duquel on considre cette poutre.
Si l'on se place l'intrieur d'un btiment, cette poutre sera vue comme ce qui couronne et maintient
la charpente, la cause premire de sa stabilit, image qui va se superposer avec une mtaphore trs
familire aux chrtiens, celle de la cl de vote des coupoles des glises romanes.
Pierre ronde situe au sommet de la vote et sur laquelle s'appuient toutes les autres pierres de la
coupole, la cl de vote deviendra une des images fortes de l'difice intellectuel de la chrtient
mdivale, une allgorie globale de la cration au sommet de laquelle se tient Dieu, cause de toutes
les causes, origine unique faisant tenir tout l'difice.
Transposant cette mtaphore sur les difices chinois, les missionnaires regarderont tout naturellement
cette poutre fatire comme un "faite suprme ", qu'il suffira d'orner de majuscules pour qu'il
devienne une sorte d'avatar oriental du " fait suprme " crateur de toutes choses au Ciel et sur la
Terre. Paul Claudel, qui par ailleurs a crit des pages magnifiques sur la Chine et l'amour qu'il lui
porte, est lui aussi tomb dans ce genre de pige smantique lorsqu'il fait du dao taoste une
dnomination exotique du Dieu qu'il prie. Malheureusement, les anciens Chinois ne connaissaient pas
175
les glises romanes et ils n'ont que fort rarement lev des votes en pierre ; dans le caractre ji, rien
n'indique une quelconque transcendance. Mme dans ses graphies les plus anciennes, l'idogramme
montre le ciel et la terre compris comme les constituants d'un tout organique.
L'assimilation par les Occidentaux de cette poutre matresse la cl de vote de leurs glises ne vient
pas tant de la poutre elle-mme que de l'endroit d'o on la regarde. La cl de vote ne peut se
contempler que de l'intrieur - de l'extrieur elle est recouverte par la toiture -, la poutre matresse des
btiments chinois, en revanche, est invisible de l'intrieur, car elle est masque par les caissons
formant plafond. Mais de l'extrieur, dpassant largement du sommet du toit et le plus souvent
magnifie par d'normes ttes de dragon qui l'embouchent chacune de ses extrmits, elle est
particulirement apparente.
176
Cette signification figure d'un retournement faisant suite une culmination explique l'emploi de
l'idogramme "poutre " dans des expressions proverbiales comme par exemple :
qui signifie " [lorsque] la joie (le) atteint son apoge (ji), [alors] nat (sheng) la tristesse (bel.) " ; ou
bien encore cette autre, construite sur le mme modle :
signifiant " [lorsque] la prosprit (tai) atteint son apoge (ji), [alors] nat (sheng) l'adversit (pi) " et
qui prsente en outre la particularit de mettre en relation le nom de deux hexagrammes
(PROSPRIT, l'hexagramme 11, et ADVERSIT, l'hexagramme 12 dont les architectures linaires
jouent elles aussi sur le retournement entre un mouvement de monte suivi d'un mouvement de
redescente.
177
On peut penser que l'emploi de ce superlatif leur offrait un double avantage; d'abord induire la lecture
symbolique de l'expression entire et ensuite confirmer qu'il s'agit bien d'une culmination, donc d'un
retournement et non d'une simple lvation.
Dans une perspective du Yin/Yang, toute chose une fois parvenue son extrme se transforme en son
contraire. En mettant l'accent sur l'extrme de la grandeur, la prsence de ce superlatif opre comme
une sorte de prslection du sens, insistant sr la future transformation qui attend cette grandeur. Il
confirme que l'expression tai ji est bien l'vocation dynamique du " grand retournement "
caractristique du "fonctionnement" de toutes choses.
Mais cela ne suffit pas pour en conclure que la reprsentation des deux gouttes noire et blanche
entrelaces est ce que dsignent les mots tai ji. Ce serait confondre un dessin avec le nom qui lui est
attribu, et oublier qu'en la circonstance un millnaire les spare.
178
La Mdecine traditionnelle chinoise dcrit chez l'tre humain, dans l'optique qui lui est propre, des
mcanismes de la vie. Situons-les d'abord globalement. Notre corps est administr comme un pays ou
un empire. Un gouvernement form de dix viscres en est charg. Le Cur-administrateur, au centre,
le prside ; il est entour de ses ministres : le Poumon, le Foie, les Reins et la Rate. Sous la
dpendance de la Rate, les entrailles (Vsicule biliaire. Estomac, Intestins et Vessie) grent tous nos
territoires, dont, en premier, le corporel.
ZANG ET FU
Les viscres sont classs en deux groupes, Yin et Yang, les Zang-Organes et les Fu-Entrailles. Les
Zang-Organes thsaurisent, les Fu-Entrailles sont des lieux de transit et de transformations. Zang
renvoie aux Cur, Poumon, Foie, Rate et Reins. Fu reprsente la Vsicule biliaire, l'Estomac, les
Intestins et la Vessie.
179
Le caractre Zang est fait de l'idogramme Cang auquel est contrapose la cl de la " chair " pour
signifier que l'on parle du corps humain. Cang signifie cacher, dissimuler, mettre en rserve,
emmagasiner, conserver, thsauriser. Le rle fondamental des Zang est de thsauriser les Jing et Shen
correspondants. Pour mieux comprendre, souvenons-nous que Jing et Shen sont, avec Qi, l'origine
de la vie. Ils se diversifient, entre autres, en cinq Jing et cinq Shen qui rpondent aux cinq ZangOrganes et fondent leur fonctionnement. Il est donc capital qu'ils y soient conservs. La plnitude des
Zang est dite Man : tout est rempli, on ne peut rien y ajouter. Que peut-on ajouter en effet Jing,
Shen et Qi ?
Fu s'crit avec le mme radical, celui de la chair, et a pour sens dpt, recueillir, rsidence, prfecture
de premier ordre. On y dpose des objets prcieux. De grands personnages y rsident. Leur plnitude
est dite Shi : aboutissement des transformations, elle implique une fructification dbordante,
exubrante. En relation avec l'autel du dieu du sol et des moissons, les Entrailles-Fu ont pour fonction
de grer tous nos territoires, corporel, affectif, professionnel. Elles les dlimitent, irriguent,
ensemencent, nourrissent, font fructifier, drainent et coordonnent.
Il y a donc, idalement, deux sortes de ministres, ceux qui thsaurisent l'essentiel et l'originel et ceux
qui reoivent, transforment et font fructifier. Cette symbolique dfinit deux attitudes conjointes pour
gouverner : s'enraciner dans le fondamental, conserver l'essentiel pour recueillir, transformer et faire
fructifier. Sans ces principes, nous ne gouvernons pas, nous grons notre vie au jour le jour, sans
vision.
180
LES ORGANES-ZANG
LE COEUR
Le Cur est l'Empereur. Fils du Ciel, Miroir du Shen, Tanzhong : ces termes recouvrent une mme
position mdiatrice entre le Ciel archtypal et le corps. Le rle du Cur est de faire en sorte que tout
ce qui est d'ordre universel soit color par notre nature singulire :
- il abrite Xing, notre nature propre, et " rgit le sang ", support de notre spcificit et de nos
caractres chromosomiques ;
- il est " logis du Shen ", de cette vibration primordiale qui, se refltant sur le miroir de notre Cur,
devient notre Shen;
- il " commande aux Mai ", vaisseaux qui vhiculent et particularisent les lois archtypales qui nous
rgissent ;
- nomm Xin Shu, " ce par quoi le Cur commande ", il administre notre corps dans une activit non
agissante, dans une action, mdiatrice, de prsence ;
L'Empereur est aussi le soleil de l'Empire. Le Cur est notre soleil, et par l Feu, source de vie,
chaleur et lumire. D'o sa relation avec l't dans les Wu Xing-cinq agents. Citons nouveau Marcel
Granet pour illustrer la fonction essentielle du cur : " Avant d'aller distribuer les Insignes en
circulant sur terre la manire d'un Soleil [...], l'Empereur devait, pour mriter le titre de Fils du Ciel
et d'Homme Unique, s'lever, tout droit et confondu avec l'axe du Monde, sur la Voie (Wang Tao)
par laquelle, des instants sacrs, le Ciel et la Terre entrent en communion." L'Empereur est en nous
et nous invite ces instants sacrs.
.
Le 14 V.C., mdian, deux distances sous le sternum, est le logis du Feu du Cur.
Une femme de trente et un ans me fait part de ses angoisses importantes, solaires, paralysantes,
accompagnes de diarrhes, tachycardies, tremblements et de sensations de froid profond,
"jusqu'aux os". Elle dort mal, se rveille souvent, son sommeil est de mauvaise qualit, sans rves. Je
relve dans ses antcdents une hypothyrodie avec froid intense, fatigue, constipation et prise de
poids. Le pouls du Cur est insuffisant. Elle a perdu son pre et son frre; elle rencontre des
problmes avec son fils de huit ans. Sa meilleure amie est en train de mourir d'un cancer. Elle ne
veut prendre aucun traitement en dehors des extraits thyrodiens. Ses symptmes voquant
Cur,insuffisance et froid, disent que le " Feu du Cur est en insuffisance ". Je tonifie le 14 V. C. et
le chauffe avec des btons d'armoise. L'amlioration est rapide et spectaculaire compte tenu du
contexte.
Le 11 V.G., mdian, situ sur le "Vaisseau Gouverneur", est li au Palais de l'Harmonie prserve,
dont nous avons vu qu'il tait, au centre de la Cit interdite, le lieu o l'Empereur, dans une activit
non agissante, gouvernait l'Empire.
181
Une patiente de trente-cinq ans, mre d'un garon de sept ans, me parle de sa dpression et de ses
troubles fonctionnels cardiaques avec tachycardie et douleurs prcordiales. Elle a perdu son entrain,
sa joie de vivre. Elle a bien digr le cancer du sein pour lequel elle a t traite, il y a trois ans.
Mais elle est toujours englue dans un conflit avec sa mre qui l'a amene recommencer une
psychothrapie, il y a un an. Aujourd'hui, elle se sent incapable de " gouverner sa vie ". La prise des
Pouls selon la M. T. C. confirme le " vide de Cur ", la dficience du Cur en tant qu 'il prside, au
centre, au gouvernement du corps. La puncture du 11 V.G. contribuera sensiblement amliorer sa
dpression.
Le 15 V., li au Souffle de cet organe, appelle au repos, la concentration, au sommeil, surtout dans
les atteintes rcentes ou aigus. Il apaise et calme. Le 15V. peut tre mis en relation avec le Palais de
l'Harmonie parfaite : ils ont en commun le repos, la concentration, le calme, l'apaisement et le retour
sur soi.
Une jeune femme de vingt-huit ans atteinte d'une maladie neurologique grave, pour le moment
stabilise, arrive en larmes, trs agite : "Je suis trs angoisse; la psychothrapie ractualise cette
semaine des angoisses de mort qui m'ont envahie pendant toute mon enfance et que j'avais occultes.
" Devant cette urgence, le 15 V. me parat tout indiqu. Une demi-heure aprs, elle est dtendue et
paisible.
LE POUMON
182
Le Poumon est dit tre le " Premier ministre " du Cur. Etre le Premier ministre, c'est tre le plus
proche. Le Poumon est le plus proche car il incarne le Soufflet qui, dans le Vide Mdian, entre Ciel et
Terre, gnre les dix mille tres, permet aux Qi de se condenser, de se transformer et de circuler.
Sachant la relation entre Vide Mdian et Cur, nous comprenons la proximit de ces deux organes.
Par ailleurs, le Poumon est l'manation de son Shen, le P, qui gre " les entres et les sorties ",
commencer par la " sortie dans la vie ", impliquant une prise de forme du Qi qui nous est allou la
conception. Si une partie de ce Qi n'est pas incarne, pour une raison ou une autre, nous avons,
associe des troubles respiratoires, " envie de tuer et/ou de mourir ", comme si le Qi non utilis se
retournait, avec sa vocation de vie ou de mort, contre la personne.
Le Poumon est dit tre le " Toit des viscres ", abaissant vers le petit bassin les Qi, circulants et
respiratoires, ainsi que les Liquides organiques qui confluent son niveau. Le souffle inspir
s'abaisse, du " Ciel vers la Terre ", dans le pelvis, o il est " accueilli par les Reins ". A l'expiration, il
prend appui sur cette rgion pour remonter " de la Terre vers le Ciel " et tre expuls. C'est dire
l'importance de la relation Poumon-Reins et thorax-pelvis dans la respiration. Cette physiologie
voque le toit des maisons traditionnelles chinoises; il comporte en son centre un orifice qui permet
aux influences clestes de pntrer dans la maison et aux souffles domestiques d'tre vacus vers le
ciel.
Par ailleurs, le Poumon est en relation avec l'Automne, saison de la rcolte, du ramassage, de la
descente des souffles du Yang vers le Yin, du Ciel vers la Terre. En automne, le Ciel se retire, la
Terre et l'Homme " resplendissent dans la paix, la clart et la tranquillit ".
Ainsi, les fonctions des Poumons s'enracinent dans un mouvement du Ciel qui s'investit sur Terre
puis se retire, laissant l'Homme libre, paisible et tranquille. Le rle essentiel du Poumon rside
certainement dans sa capacit assumer, l'automne de sa vie, adulte, libre, autonome, tranquille,
juste et pur, spar du pre et de la mre, " sa nature et sa destine ". La relation tant troite entre
Poumon, entre justice et injustice, entre puret et impuret, la capacit d'tre juste et pur est ici
fondamentale.
Un homme de cinquante-deux ans souffre d'une bronchite voluant depuis trois mois, malgr tous les
traitements et des bilans paracliniques normaux. C'est inhabituel chez lui. Il est d'ailleurs rarement
malade. A la question, rituelle pour un acupuncteur en pareil cas, " avez-vous eu la sensation de
subir une ou plusieurs injustices importantes ? ", il me rpond par l'affirmative. Directeur de banque,
il a "fait la fortune de son agence " ; deux mois avant que sa bronchite ne se dclare, pour des
raisons inconnues de lui, le prsident de la banque l'a marginalis. Cet homme " tait comme son
pre ", son vrai pre tant dcd peu aprs sa naissance. Son poumon disait sa souffrance,
l'insupportable de cette injustice, d'autant plus qu'elle venait d'une personne incarnant une image
paternelle, cleste. La puncture du 22 Rn. a guri sa bronchite en quarante-huit heures. L'action de
ce point est notoire en acupuncture dans cette indication.
183
LES REINS
Les Reins sont doubles, symboliquement doubles : " deux Jing (du paternel et du maternel)
s'empoignent, s'treignent ", un tre est conu. Les Reins ont en charge la transmission de la vie, la
procration, et donc la sexualit ; toutes les crations, y compris artistiques et spirituelles ; les
passages " du Ciel antrieur au Ciel postrieur ", c'est--dire de la puissance l'acte, du potentiel au
rel; le mandat qui, Mingmen, entre les deux Reins, nous est donn de nous recrer chaque
souffle.
Les Reins sont emblmatiquement lis l'Eau, " premire origine de la naissance et de la vie ",
essence, matrice, origine invisible mais aussi puissance, puissance de la graine qui, sous terre,
contient l'arbre en devenir. " Lieu et source des transformations ", ils sont la force profonde o
s'enracinent la vie, les Jing-quintessences (des aliments comme des liquides sminaux), les cinq
Zang-Organes, le Cerveau, les Moelles et les Liquides organiques. Les Reins-Eau sont en rapport
troit et antagoniste avec le Feu-Cur : la perturbation de cette relation peut tre l'origine
d'hypertension, de tachycardie...
Le Shen des Reins est le Zhi, force instinctive, cratrice qui nous pousse vivre et survivre dans les
pires conditions : une fatigue de type Zhi est physique, psychique, intellectuelle et sexuelle.
La saison correspondant aux Reins est l'Hiver, moment o la vie s'enfouit sous terre, comme le germe
contenant des potentialits qui jailliront au Printemps. Ainsi les Reins rpondent l'assise, la
fondation terrestre sur laquelle la vie s'appuie pour se construire et jaillir. Ils sont ici en relation avec
184
le Poumon, cleste. Toit des viscres, dont ils accueillent les souffles. Nous avons souvent rtablir
une relation Poumons-Reins pour traiter des troubles respiratoires rebelles. La puissance des Reins se
manifeste, en M.T.C., dans les os, les lombes, les cheveux et l'oue.
Une femme de quarante-sept ans, sculpteur, massive et puissante, me consulte pour des migraines et
une fatigue. Ses maux de tte, invalidants, datant de l'adolescence, mensuels ou bimensuels, sont
unilatraux, droite ou gauche, localiss sur le ct du crne, sur le mridien Shao Yang. Violents,
non influencs par les rgles, le climat, le froid, la chaleur, l'alimentation, ils durent en gnral
trente-six heures et sont mal matriss par les diffrentes thrapeutiques. On n'en connat pas
l'tiologie. Sa fatigue, physique (moins de force, de rsistance), psychique (moins d'entrain), sexuelle
(moins de dsir), intellectuelle (moins de concentration et de mmoire), est avant tout matinale : elle
est si intense au lever qu 'elle se demande comment elle pourra affronter sa journe. Survenue
insidieusement, elle s'est aggrave progressivement. Dans les antcdents, je note deux coliques
nphrtiques sans calculs. Les pouls des Reins sont profonds. Passionne par son mtier, elle
regrette de n 'avoir jamais pu avoir d'enfants. Un point me parat indiqu. Situ sur Shao Yang
(trajet des cphales), rpondant aux Reins, il met en mouvement l'nergie du corps, le matin en
particulier : le 25 V.B. Sa puncture, mensuelle, amliore rapidement ses migraines et sa fatigue : "
Vous avez mis en mouvement la force de mes reins ", dit-elle fort justement.
Les Reins, et en particulier leur fonction de thsaurisation du Jing, de la quintessence, sont souvent
concerns dans certains surmenages importants, comme dans les dpressions du post-partum. La
puncture du 52 V. participe reconstituer ce Jing... si l'tre ne le dpense pas aussitt en continuant
mconnatre ses limites.
185
LE FOIE
Le Foie est sous-tendu par Hun, les " alles et les venues ". Sa fonction est d'aller et de venir
librement, avec aisance, souplesse, libert, sans entraves, le plus loin possible, jusqu'aux extrmits
des branches et des racines. Aller et venir permet de voir clair et large ; de prvoir comme " le
gnral des armes " dont le sens tactique est tel qu'il gagne les batailles sans avoir les livrer ;
d'tablir un " plan ", de dresser des dfenses ; de stocker, de faire des rserves ; d'liminer les dchets,
de drainer et purer ; " d'aplanir et de rguler " le Qi, le sang, les liquides, les motions et les
sentiments... Aller et venir implique le mouvement : le Foie commande aux fonctions musculaires
comme il permet d'aller et venir librement, le plus loin possible, dans le conscient et l'inconscient,
l'imaginaire, le sommeil et les rves.
J'accompagne une femme de cinquante-trois ans depuis 1994. Battante, pleine d'nergie, elle souffre
de ballonnements abdominaux, d'une mauvaise limination des toxines avec constipation, d'urines
rares, de sueurs odorantes, d'dmes priodiques au visage et aux mains, d'un foie sensible la
plupart des mdicaments, mme mineurs, avec nauses et troubles de la vue, d'une rhinite allergique
aux acariens. Accentus depuis sa prmnopause, tous ses symptmes se sont nettement amliors
par un drainage des monctoires. Elle se rveille assez souvent la nuit et, malgr son nombre
d'heures de travail, elle ne ressent pas de grande.
186
LA RATE
La Rate est, au centre de l'Empire, aux cts de l'Empereur tourn vers le Ciel, le hros prpos aux
rites terrestres. Elle est, avec l'Estomac, le " Ministre des greniers " : on y engrange pour redistribuer.
Elle a en charge la nutrition ; elle humidifie et fertilise ; elle participe l'extraction de la quintessence
(dite Jing du Ciel postrieurl) des aliments qu'elle dcompose pour nous construire, aprs les avoir "
transforms et transports ".
La Rate a pour Shen le Yi, mise en forme active guide par le Cur, passage et transition. Elle rgit
les passages l'acte, chaque instant, tous les plans, et relie, comme " la pense, le propos, le sens,
l'intention " qui sont autant de traductions possibles de ce caractre.
Centrale, elle irrigue les quatre membres et la " chair " du corps. Si elle est insuffisante, on se sent
lourd, sans force, fatigable, les quatre membres sont faibles, et, bien videmment, on digre mal. Elle
rpond la Terre, qui, au centre des cinq mouvements des Wu Xing, " reoit les semences et donne
les rcoltes ". Elle a sous sa dpendance les Entrailles-Fu qui grent nos territoires, corporel,
professionnel, familial,social, affectif...
Un cinaste de quarante-sept ans, longiligne, est puis, en particulier aprs les repas, avec des
creux onze heures et dix-sept heures. Il ressent en permanence un blocage de l'estomac, qui lui
donne l'impression de ne jamais se vider. Il tolre mal les graisses et l'alcool. Son corps pse des
tonnes. Tout cela l'angoisse. Il comprend comment il en est arriv l : il n 'a jamais tenu compte de
ses limites, encore moins ces deux dernires annes professionnellement trs difficiles dans ce mtier
combien alatoire. L'enduit de la langue et les pouls confirment le vide de Jing de la Rate. Le 49
V., point du Yi, amliore singulirement son tat en trois sances.
187
LES ENTRAILLES-FU
L'ESTOMAC
Au centre du territoire, l'Estomac est sur le versant de l'Eau, la Vsicule biliaire sur celui du Feu.
L'Estomac qui reoit, cuit et putrfie les aliments est " le lieu et la source des transformations " : il est
de l'ordre de l'Eau. Il est la " Mer des eaux et des grains " et " pourvoit aux quatre saisons ", c'est-dire tout l'organisme. Il est " la racine des organes et des entrailles " ; " ainsi le souffle des cinq
organes est toujours mlang au souffle de l'estomac et ne peut agir seul ". Il est la Mer du souffle, du
sang et de tous les viscres. Avec la Rate, il a la charge des " granges et des greniers ". La prsence
du souffle de l'estomac est ainsi d'importance vitale : " un souffle de l'estomac trop affaibli signe une
mort prochaine " . En affinit avec les Reins-Eau, il est la source du Qi des Reins. Il est en
contradiction avec le Cur-Feu. Jenes de l'Estomac et du Cur dialoguent. Un "Feu du Cur" en
excs peut tre l'origine d'un ulcre de l'Estomac. Il est aussi " Vide et Plein " : il rgit la capacit
se remplir, se nourrir soi-mme, de soi-mme, tre vide, jener, se priver de soi-mme.
Une femme de cinquante-six ans souffre, depuis trente ans, de migraines intenses, gauches, tirant
l'oeil vers le fond de l'orbite, ne rpondant aucune thrapeutique. Elle se plaint aussi d'un sommeil
superficiel, rarement rcuprateur et, si elle ne se contente pas de petits repas, d'un estomac qui ne
se vide pas. Elle sait pourquoi : "Jusqu' mon dpart de la maison, vingt-cinq ans, les repas
familiaux se sont drouls dans la haine. " Selon moi, ces trois symptmes sont lis : leur origine est
l'Estomac, ce que confirment les Pouls. Je puncture le point indiqu quand l'Estomac " ne peut
contenir ", le 20 E. J'y adjoins, pour les migraines, le point du mridien de l'Estomac situ au crne,
le 8 E. gauche. L'amlioration des trois symptmes, esquisse ds la troisime sance, est acquise
aprs la cinquime, y compris au niveau d'un rhume des foins qu'elle avait omis de me signaler et qui
rpondait, bien videmment, au mme mridien.
188
LA VESICULE BILIAIRE
La Vsicule biliaire est, au centre du territoire, de l'ordre du Feu. " Tous les viscres viennent y
prendre leurs ordres " : elle a vocation d'initiative, de mise en route des transformations (digestives,
mais pas seulement). Dans le "juste et le mdian ", elle est le " juge qui dcide et condamne " ; elle "
rgit tous les commencements " ; elle permet qu'ils se fassent aux justes temps et lieux, l'instar de
l'Empereur qui initie le dbut de l'anne l'est et au printemps, faisant concider le temps et l'espace
correspondants. Seule entraille " pure " qui ne soit pas au contact des aliments, elle fait partie, en
outre, de l'ensemble des Entrailles curieuses, dont le but est la prennit de l'tre. Vsicule biliaire et
Cur, tous deux de l'ordre du Feu, sont trs lis en physiologie comme en pathologie.
Mme C. me consulte pour des symptmes rfrant la Vsicule biliaire (nauses, bouche amre,
vertiges, point douloureux vsiculaire) et retentissant sur l'Intestin (spasmes intestinaux avec gaz
malodorants, douleur la main et l'paule droites sur le mridien correspondant). Quelle en est
l'origine ? " Spirituellement, je suis en marche, je suis toujours en qute de mon tre essentiel. Mais
je ne suis pas reconnue par mon mari et mon fils. J'ai peur d'tre exclue. C'est un problme
d'existence au quotidien, me confie-t-elle. - Un problme de territoire existentiel? Lui demandai-je. Exactement" fut sa rponse. Je puncture un point qui rgit le centre du territoire, avec la Vsicule
biliaire, l'Estomac et la Rate, le 11 V.C.
<
189
LES INTESTINS
L'Intestin grle a pour fonction de rcolter, recevoir, planifier et faire prosprer. " Les choses ou
matires (wu) transformes (hua) en sortent. " II reoit ce qui vient de l'Estomac, le transforme et le
fait fructifier sous l'action du Feu du cur qu'il reoit (il en est la Terre'). Il accueille aussi le Shen du
Cur. S'il ne peut le faire, ce Shen, non amarr, volatil, se dgage, entranant angoisses, insomnies,
difficults se centrer et se concentrer, labilit motionnelle avec, bien sr, des troubles
intestinaux. Deux points rpondent ces fonctions terrestres, les 23 E. et 24 E. Le premier est
uniquement sensible au stress et l'angoisse. Le second l'est aussi certains aliments, les crudits en
particulier.
Thierry, six ans, accompagn de son pre, me consulte pour une nursie quotidienne. La naissance
de son frre, il y a deux ans et demi, n'y a rien chang. Je ne relve aucun autre symptme ou
antcdent en dehors de quelques diarrhes motives. " C'est un enfant angoiss, dit le pre, avec
une sensibilit excessive, un souci de perfection, un besoin de ritualisation protectrice; il
communique facilement. " Puncture la quatrime sance, le 23 E. entrane rapidement une
gurison de l'nursie et une nette diminution de ses angoisses en enracinant sur la Terre
correspondante le Shen du Cur.
Le Gros Intestin, " Terre du Poumon ", accueille tous les Souffles et Liquides abaisss par cet
organe, " Toit des viscres ", et les transmet, achemine et coordonne. "Toutes les transformations en
sortent. " Son rle de transmission et de coordination le fait intervenir dans le fonctionnement du
systme nerveux et dans certaines paralysies.
Un homme de cinquante-six ans se plaint de douleurs intermittentes des membres infrieurs, diffuses,
sans trajet particulier, "lectriques", comme neurologiques, toujours accompagnes de faiblesse et
de difficults la marche. Ses crises ont dbut il y a six ans. Fait remarquable et inexpliqu, elles
sont toujours accompagnes de troubles intestinaux avec douleurs spasmodiques, alternances de
constipation et de diarrhe. Le patient voque une fragilit intestinale depuis l'enfance, avec
intolrance au lait. Pouls et langue tant normaux et, devant l'absence de toute autre
symptomatologie, je puncture le V.G. 3. Les douleurs ont disparu dfinitivement aprs la seconde
sance.
190
LA VESSIE
La Vessie assume " l'organisation des territoires et des cits ". Elle les dlimite (comme le chat qui
urine la priphrie de son domaine), y trace des canaux, les irrigue et les draine. Pour cela, elle
reoit les Liquides organiques venant de l'Intestin grle et des Reins, les trie et les fait circuler : elle
est la " Terre des Reins ". Sa fonction rappelle les travaux de l'empereur mythique Yu le Grand, qui
sauva la Chine du dluge en faisant s'couler les eaux vers la mer, en endiguant les neuf lacs, en
comblant et faisant s'goutter les neuf voies d'eau, en faisant communiquer les canaux et en drainant
les eaux uses. Arpenteur, il ramnagea la terre, qu'il ft mesurer, la parcourant en tous sens.
Forgeron (Eau et Feu), il fondit neuf chaudrons, emblmes du pouvoir imprial. A l'image de cet
Empereur qui reut d'un dragon les huit trigrammes du Yijing, la Vessie applique les rgles clestes1
l'organisation territoriale du corps humain.
Une patiente de quarante et un ans, nergique, vite rvolte, vivait seule depuis toujours. Il y a deux
ans et demi, elle a nou une relation amoureuse. Six mois aprs, elle habitait avec son ami dans un
studio de quarante mtres carrs, o elle s'est trs vite sentie l'troit. A partir de ce moment-l, les
cystites qu 'elle prsentait de temps temps se sont aggraves en frquence et en intensit, avec
envies pressantes d'uriner, brlures profondes, pesanteur pelvienne et quelques incontinences. La
relation entre cette aggravation et les problmes de territoire tait vidente. Le 28 E. fut pour ce cas
trs utile.
191
192
Au cours de leurs sept mille annes d'histoire, les Chinois ont connu toutes les souffrances et toutes
les douleurs humaines. La culture chinoise est une vieille femme qui a tout vu et tout vcu, tout ce
qu'il y a de douloureux dans la vie des hommes. Toutefois, cette exprience lui a galement permis
d'accumuler une immense somme de connaissances. Comme en tmoignent sa littrature et ses
peintures, que l'on compte parmi les plus grandes ralisations de l'esprit humain, elle est le reflet de
tout ce que l'humanit connat comme joies et comme peines, plaisirs et souffrances, paix et guerres,
le reflet de sa vitalit, de sa faiblesse, de sa mort. Baign dans cet environnement culturel et
historique complexe, le peuple chinois a longuement recherch les solutions qui lui procureraient une
vie plus saine et plus heureuse. Toutefois, alors mme qu'il s'appliquait rechercher les voies d'un
mieux tre et d'une lvation spirituelle, il avait galement tendance croire que tout ce qui arrivait
tait le fait de la destine, et que tout tait dj dtermin par les Cieux. Malgr cette croyance, il sut
tout de mme chercher chapper l'apparente fatalit de la maladie et de la mort.
Dans l'espoir de comprendre le sens de la vie, les Chinois ont consacr une grande partie de leurs
efforts intellectuels l'tude de soi et au dveloppement personnel. Ce sentiment et ce regard tourn
vers soi, cette recherche spirituelle, sont devenus l'un des principaux fondements de la religion et de
la mdecine chinoises. Le chi, l'nergie du corps humain, a t attentivement tudi. mesure que
l'on percevait la relation entre le chi du corps humain et le chi existant dans la nature, on commena
esprer que ce chi serait le moyen qui permettrait l'homme d'chapper la maladie et la mort.
Avec les annes, on tudia le chi et ses applications dans les diffrents domaines de la socit
chinoise.
193
Dans l'histoire de toutes ces recherches, celle des lettrs et des mdecins est la plus longue, et a
considrablement contribu approfondir le niveau de comprhension du chi. Ce sont eux qui ont
enseign les mthodes de prservation de la sant et de traitement des maladies. Cette recherche dans
le domaine du chi reprsente les fondements sur lesquels a t btie la mdecine chinoise. Lorsque le
bouddhisme indien fut introduit en Chine, la culture en fut profondment influence. Bien
videmment, le chi-kung chinois a galement subi l'influence des pratiques de mditation
bouddhistes. La religion taoste est issue de la rencontre du taosme traditionnellement enseign et du
bouddhisme. Depuis cette poque, le chi-kung bouddhiste et taoste figure parmi les plus grandes
ralisations de la culture chinoise.
Le taosme et le bouddhisme ont permis au peuple chinois de bnficier d'une philosophie de l'esprit
empreinte de srnit et capable de dnouer les mystres de la vie humaine et de la destine. Ils ont
galement suscit un espoir, celui de voir les progrs en chi-kung et en tai chi chuan permettrent
l'tre humain de mener de son vivant une vie saine et heureuse. la lumire de ces antcdents
historiques, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi, si l'on excepte les domaines de la guerre et
de la mdecine, la plus grande partie de la culture chinoise de ces deux cents dernires annes se
fonde sur les philosophies taoste et bouddhiste, ainsi que sur les sciences de l'esprit humain.
L'importance accorde la vie spirituelle plutt qu' la vie matrielle est l'un des aspects
fondamentaux qui diffrencie la culture orientale de la culture occidentale. La question relative au
maintien de la sant illustre bien cette diffrence: alors qu'en Occident l'on s'occupe presque
exclusivement du corps physique d'une personne, en Orient, on traite galement son quilibre
spirituel et mental. La plupart des Occidentaux croient qu'en rendant leur corps physique plus
vigoureux, ils amliorent du mme coup leur sant. Ils privilgient l'exercice et l'entranement de leur
corps physique, mais ignorent l'quilibre de leur nergie corporelle interne (chi), qui dpend
194
galement des motions et de la recherche de la paix de l'esprit. Les taostes appellent cela Cong Wai
Jian Gong (Btir la force de faon externe) ou Yuan Xin Zhi Wai Gong Yun Dong (Exercices
externes de l'esprit distant), qui sont des exercices externes sans concentration ni attention mentale.
Ceux qui font beaucoup d'exercices et dont le corps est extrieurement fort ne sont pas
ncessairement en meilleure sant ou plus heureux que les autres. Pour bnficier vritablement d'une
meilleure sant il faut avoir un corps sain, un esprit sain, mais aussi une circulation du chi quilibre
et rgulire. Selon la mdecine chinoise, de nombreuses maladies sont le fait de dsquilibres
psychiques. L'inquitude et la nervosit peuvent par exemple perturber l'estomac ou endommager la
rate . La peur ou l'effroi peuvent entraver le fonctionnement normal des reins et de la vsicule
biliaire. Ceci parce que l'nergie interne (la circulation du chi) est troitement lie l'esprit. Pour tre
vritablement en bonne sant, il faut avoir la fois un corps physique en bonne sant et un esprit
calme et sain. La bonne sant authentique est la fois externe et interne.
195
196
Un des axes qui me guident dans la pratique, c'est le dveloppement de la conscience du squelette.
PRATIQUER
C'est faire, refaire, exprimenter, ressentir, rechercher, s'interroger, dcouvrir, observer, comprendre
et affiner la forme. Mais c'est aussi transmettre et enseigner. C'est galement tre mis l'preuve :
celle d'tre confront ses limites, ses insuffisances, celle de refaire la mme chose sans se rpter
celle de se discipliner.
FORME
La forme c'est un enchanement dfini, codifi de mouvements. Comme toute forme corporelle le Tai
Chi Chuan possde une structure spatiale ( les directions du mouvement par exemple), une structure
temporelle ( la squence des mouvements) et s'inscrit dans la gravit (la notion d'axe dans le Tai Chi
Chuan ou le fait de pivoter sur le pied plein ou vide suivant les coles).
197
LE SQUELETTE
Elment de structure du corps humain, est donc un lment prendre en compte dans la pratique de
la forme. C'est en effet le squelette qui dfinit les mouvements possibles entre les diffrentes parties
du corps au niveau des articulations. C'est galement le squelette qui est le mieux mme de
transmettre les efforts (poids, actions diverses) sans fatigue et sans effort. Au niveau des articulations
les mobilits entre les os sont dans pratiquement tous les cas des rotations et non pas des glissements
( sauf par exemple au niveau de l'articulation entre la clavicules et l'omoplate). C' est ainsi que l'on
peut dire que le Tai Chi Chuan, et ses mouvements bass sur des cercles et des spirales, et le
squelette, sont faits l'un pour l'autre. Le dveloppement de la conscience du squelette me parat
important en tant que pratiquant comme en tant qu'enseignant.
Combien y a-t-il de personnes qui placent l'articulation de la hanche au niveau des crtes iliaques ? Et
comment peut-on flchir les jambes et descendre avec cette image du corps ? Combien de personnes
ont conscience des diffrents mouvements de l'omoplate sur la cage thoracique ? Comment peut-on
relcher les paules sans cette conscience ? Combien de personnes ont-elles conscience du volume et
de l'emplacement des vertbres lombaires, pratiquement au centre du ventre, ce qui fait une
diffrence pour se centrer ? ou de l'emplacement de l'articulation du crne sur les cervicales prs de la
ligne des oreilles, ce qui fait une diffrence pour allonger la nuque ? Ces quelques exemples montrent
quel point la forme pratique peut tre enrichie, affine par une ide plus prcise du squelette et des
mobilits des os les uns par rapport aux autres. Et de mme la pratique permet d'enrichir l'image que
l'on a du squelette, ce qui influe sur l'image de soi et retentit sur tous les aspects de la vie. C'est
pourquoi je pense que cet axe de travail est un guide fiable pour la pratique.
198
FORME LENTE
La grande originalit du Tai Chi Chuan par rapport d'autre pratiques corporelles c'est bien sur la
lenteur des mouvements. Cette lenteur provoque et permet plusieurs choses, entre autres : un
fonctionnement mental diffrent du fonctionnement courant dans nos socits en amenant le cerveau
gauche se taire et en laissant la place au cerveau droit de porter l'attention la faon dont bougent
les diffrentes parties du corps, d'en exprimenter d'autres et de dcouvrir les liens entre toutes ces
parties, entre le centre et la priphrie de prendre conscience des appuis au sol, de la manire dont le
corps s'inscrit dans et rpond la gravit (l'axe), du lien entre les actions (pousse par exemple) qui
sont relies aux appuis des pieds. De dcouvrir qu'il existe d'autres manires de faire, de bouger, de
penser que celles qui sont habituelles. La lenteur des mouvements est ainsi un moyen privilgi pour
dvelopper la conscience du squelette.
FORME FLUIDE
D'une certaine faon (bien chinoise), il existe une opposition, un paradoxe entre ces deux mots : une
forme fluide est en quelque sorte une forme qui se dforme constamment. Une forme corporelle peut
pourtant tre fluide si elle s'appuie et respecte la structure et les mobilits du squelette qui est une
structure trs dformable. Au niveau de chaque articulation il existe une position neutre. Cette
position, qui peut voluer, correspond l'endroit o les parties relies par l'articulation ne sont ni
199
droite ni gauche, ou ni devant ni derrire, ou bien ni en haut ni en bas. La recherche des ces
positions qui permettent, avec la mme aisance, d'aller dans toutes les directions, ou qui permettent,
avec la mme aisance, de passer d'un mouvement un autre, est aussi une voie vers la fluidit, tout
en procurant calme, relchement et ouverture. La fluidit du mouvement s'obtient au fur et mesure
que les structures sur lesquelles s'appuie le pratiquant ne sont plus extrieures et deviennent
intrieures (c'est dire lorsque le mouvement s'organise partir du squelette), ce qui permet au
pratiquant d'tre centr, d'avoir les pieds sur terre, d'tre moins entran par les lments extrieurs,
mais au contraire d'y coller, de s'y adapter, de les utiliser.
200
R. - Si on exerce le Tiji qun et l'assise, cela est d'autant plus bnfique pour la sant et pour carter
les maladies. Mais il est difficile de comprendre le principe et la pratique de l'assise. Si on en a une
mauvaise comprhension, cela entrane souvent des consquences nfastes. Non seulement on ne
peut en bnficier, mais on se fait mal. Si on veut pratiquer l'assise sans recevoir d'enseignement
verbal, il est ncessaire de pratiquer selon la mthode de Tiji qun. On s'assied la manire du
Yoga, mais il faut avoir la sensation d'une nergie qui pousse vers le haut depuis la tte; le coccyx se
trouve au juste milieu; les deux yeux sont mi-clos, les deux mains reposent l'une sur l'autre devant le
Dntin.
Sans voir ni entendre, laisser la lumire intrieure se rflchir et prter attention aux cinq voleurs afin
d'viter d'tre vol. Attention aux yeux: si les yeux ne voient pas l'extrieur, l'me retourne au foie.
Attention aux oreilles . si les oreilles n'entendent pas, l'essence retourne aux reins. Attention la
bouche: si on se tait, l'esprit retourne au cur. Attention au nez : si on ne sent pas au-dehors, la
vigueur retourne aux poumons. Attention l'intention: si on n'est pas distrait, l'intention retourne au
pancras. L'me, l'essence, l'esprit, la vigueur, l'intention correspondent au foie, aux reins, au cur,
aux poumons et au pancras. Cela correspond aux cinq lments. Le mtal est en relation avec les
201
poumons; le bois est en relation avec le foie; l'eau est en relation avec les reins; le feu est en relation
avec le cur; la terre est en relation avec le pancras. Si les oreilles, les yeux, la bouche, le nez,
l'intention retournent leur source, on peut se voir soi-mme et l'esprit s'claire naturellement; un
sentiment particulier apparat diffrent de ce qu'on sent ordinairement.
Apprcier le vent et le feu. Le feu signifie l'esprit, le vent signifie la respiration prnatale. Comment
peut-on transformer l'esprit en souffle ? De la mme faon que l'eau dpend du feu pour tre
transforme en vapeur. L'essence signifie l'eau dans le corps. Il faut employer le feu de l'esprit pour
chauffer l'essence afin de la transformer en souffle. Parfois il est possible que le feu de l'esprit ne soit
pas assez fort pour descendre et chauffer vers le bas. C'est pourquoi on souffle le vent du Sud-Est afin
de le mouvoir et le feu devient fort, comme un alchimiste active le vent de la forge pour nourrir le
feu. Le Tiji qun peut rgulariser la respiration, comme on emploie le feu et le vent. De la mme
manire, la machine vapeur utilise le feu pour chauffer l'eau et la transformer en vapeur; un poids
de plusieurs tonnes peut tre alors mis en mouvement par cette vapeur. Les trois trsors, l'essence, le
souffle, l'esprit, dans le corps humain, peuvent s'exercer. Il en rsulte un succs impensable.
202
Depuis que la relation entre chi et sant a t dcouverte, voila plusieurs millnaires, toutes les
couches de la population chinoise ont pratiqu le chi gong un moment ou un autre. Quatre coles
principales ou catgories ont t cres par diffrentes classes de la population. Les lettrs, les
mdecins, les adeptes des arts martiaux et les moines ont tous form leur propre catgorie de chi
gong. Le chi gong martial a encore t divis en styles interne de type Wudang et externe de type
Shaolin, et le chi gong religieux a t divis en styles bouddhiste, taoste et tibtain.
Les coles de chi gong ont toutes soulign l'importance du maintien de la sant et de la prvention
des maladies. Selon elles, de nombreuses maladies trouvent leur origine dans des excs de nature
mentale ou spirituelle. Si les penses d'une personne ne sont pas calmes, quilibres et sereines, ses
organes ne fonctionnent plus normalement. La dpression, par exemple, peut provoquer des ulcres
d'estomac et des indigestions; la colre, un dysfonctionnement du foie; la tristesse, une stagnation et
une tension dans les poumons; la peur peut perturber le fonctionnement normal des reins et de la
vessie.
Certaines personnes pensent que le chi est de bonne qualit quand il n'est ni trop yin, ni trop yang.
Elles se trompent. Lorsque le chi n'est ni trop yin, ni trop yang, cela ; signifie que le niveau du chi est
correct. Il s'agit d'un tat quantitatif plutt que qualitatif. La qualit du chi fait rfrence sa puret,
203
ainsi qu' son contenu. Cette qualit dpend de la provenance du chi et de la faon dont il est gnr.
Habituellement, la qualit du chi dtermine son comportement et ses effets sur le Yin et le Yang du
corps lorsqu'il circule.
l'intrieur du corps humain, les pratiquants de chi gong ont gnralement class le chi en chi Feu et
chi Eau pour exprimer la puret qualitative du chi. Les termes Feu et Eau sont une indication des
effets produits par le chi sur le corps. Lorsqu'un chi impur ou de qualit mdiocre circule dans le
corps humain, il peut provoquer de la chaleur dans le corps et les organes, et les rendre trop yang.
C'est pourquoi on l'appelle chi Feu. Lorsqu'on revanche le chi est pur, propre et circule facilement, il
permet au corps de rester calme et de fonctionner correctement, et l'esprit d'tre pos et clair. Ce chi
est appel chi Eau parce qu'il permet au corps de rester calme et frais, tout comme l'eau.
Les pratiquants de ces coles taient conscients du fait que pour viter de tomber malade, on devait
apprendre quilibrer et dtendre sa pense et ses motions. C'est ce que l'on appelle " rguler sa
pense ". C'est la raison pour laquelle les lettrs mettaient l'accent sur la ncessite d'acqurir un esprit
serein grce la mditation.
Dans la mditation immobile, la plus grande partie de l'entranement consiste se dbarrasser de ses
penses afin que l'esprit devienne clair et calme. Lorsque nous sommes calmes, le flot des penses et
des motions se rduit, et nous nous sentons mentalement et motionnellement neutres. Ce type de
mditation peut tre considr comme une pratique de matrise de soi sur le plan motionnel. Dans
cet tat d'absence de penses, le corps se dtend en profondeur jusque dans ses organes internes. La
circulation du chi devient alors naturellement plus rgulire et plus puissante.
204
Le souffle est l'une des clefs du mouvement de l'nergie, l'intention en demeurant la cl principale.
Ce sont ces clefs qu'utilisent les arts martiaux pour accrotre la force, la vitalit, la sant, et bien
d'autres lments essentiels contribuant enrichir une vie ; les exercices de Chi Gong sont d'un usage
gnral ou particulier, selon l'objectif que l'on s'est fix.
L'image de l'arc et de la flche peut nous aider dans un trs bon exercice de Chi Gong caractre
gnral et tonique. Cet exercice sera plus intressant si vous le pratiquez avec la respiration
abdominale normale et la respiration inverse, qui ont toutes deux leur place dans la pratique des arts
internes. Imaginez qu' l'intrieur de votre corps, se trouve un arc dont une extrmit est votre tte, et
l'autre vos pieds.
Utilisez d'abord la respiration abdominale normale. La corde de l'arc se trouve face votre corps.
Quand vous inspirez, elle se tend (votre ventre se dilate), et quand vous expirez (votre ventre se
contracte), la flche va se ficher dans votre dos (au point Ming Men). Effectuez l'exercice jusqu' ce
qu'il ne ncessite aucun effort physique ou de rflexion.
205
prsent, pratiquez la respiration abdominale inverse. Imaginez la corde de l'arc dans votre dos.
Quand vous inspirez, elle se tend vers votre dos, qui est amen se dilater (votre ventre se contracte),
et quand vous expirez (votre ventre se dilate, votre dos se contracte), la flche va se ficher l'avant
(au Tan Tien). Respirez ainsi jusqu' ce que cela vous soit naturel. Ne forcez pas la respiration, et
vitez les tensions.
Le but de cet exercice est d'abord d'exprimenter les deux types de respiration, et ensuite d'apprendre
faire circuler l'nergie (en ouvrant les communications) entre l'avant et l'arrire, entre le Tan Tien et
Ming Men, ce qui est essentiel pour atteindre le plus haut niveau de la pratique des arts internes.
Consacrez peu de temps, mais beaucoup d'attention cet exercice, et notez le style de respiration qui
vous convient le mieux et votre capacit de changer de style volont...
206
Chaque civilisation enfante ce qui lui manque. L'Inde brlante et brutale a scrt la non-violence ;
l'Occident goste et rapace, la religion du Dieu d'amour; la Chine, passionne et motive, la
recherche de l'harmonie. Mais l'harmonie chinoise n'a pas grand-chose voir avec le nirvana indien
ou le paradis chrtien. Ce n'est pas une rcompense ou un aboutissement, c'est une manire d'agir, un
but stratgique. Il vaudrait mieux alors parler d'harmonisation, puisqu'il s'agit d'une propension
La grande diffrence est que l'Occident indo-europen s'imagine depuis toujours l'harmonisation
comme une fusion, une unification. Or " un ", depuis toujours, en Chine, se conoit, se vit et se
construit, comme " deux". Ce duo porte un nom : Yin/Yang.
Attention, il ne s'agit pas de (la rpartition entre) Yin et Yang, mais prcisment de l'unit consonante
de leur couplage. " La vision chinoise du rel n'est pas conue comme manant d'une unit
primordiale d'o dcoulent toutes les units diverses " pose Franois Jullien qui poursuit en disant :
"Partant d'une conception bipolaire, les Chinois voient le rel comme le rsultat d'un continuel
processus d'actualisation dcoulant du seul effet de l'interaction en jeu. Selon l'chelle o on se place,
ce sera, au niveau le plus grandiose, l'action concertante du ciel et de la terre, au niveau le plus
gnral celle du Yin et du Yang et au niveau de chacun d'entre nous, le rapport entre le dehors et le
dedans, c'est--dire entre ce que je sens et ce que je ressens, entre ce que je vois, entends, etc., ce qui
fait motion de l'extrieur vers moi et ce qui fait motion de l'intrieur de moi. Le monde comme flux,
est un branlement rciproque et continu. "
207
Pour que cet branlement continu ne reste pas un bruit de fond, admis mais lointain, pour qu'il
devienne un rythme reprable, il faut des outils pour le penser et des signes pour l'exprimer. Pour cela
les Chinois choisiront deux idogrammes qui existaient depuis longtemps dans leur langue : Yin et
Yang. Leur grande astuce fut d'utiliser des termes anciens pour nommer des ides nouvelles. Yin et
Yang, vraisemblablement aux alentours du IIIme sicle avant notre re, furent lus par les lettrs qui
rflchissaient sur le Yi Jing comme emblmes de la mutation dans son ensemble, comme repres
dans le battement continuel du changement.
Yin et Yang ne sont pas des ralits par eux-mmes, ce sont des indications de mouvement, des
descriptions d'agencements qui n'ont de sens que relativement, l'une par rapport l'autre. On s'en
aperoit mieux en regardant la manire dont sont crits ces deux idogrammes grce auxquels la
perception de l'vidence du changement a pu devenir une stratgie de l'action.
Sans avoir besoin d'une loupe, on remarque tout de suite en considrant ces deux caractres qu'ils
possdent une partie commune : le signe ressemblant une sorte de P majuscule sur la gauche de
chacun d'entre eux. Reprsentant l'origine les tertres rituels levs pour les crmonies ddies aux
esprits chamaniques et aux dieux du sol, tmoignage de l'animisme archaque qui s'est perptu tout
au long de l'histoire chinoise et dont, aujourd'hui encore, des figures vivantes se rencontrent au cur
des campagnes, ce signe proclame d'abord que Yin et Yang, l'instar de soleil et pluie, ne sont rien,
ne valent rien l'un sans l'autre. Comme adret et ubac, leur sens d'origine, ils sont les deux versants
d'une mme montagne, pile et face de la mme ralit que seule leur partie droite va distinguer.
Commenons, une fois n'est pas coutume, par le Yang. On voit une certaine ressemblance entre la
partie droite de l'idogramme et le caractre " changement ".
En haut se retrouve le signe du soleil et en bas celui de la pluie ; la diffrence vient du trait horizontal
sparant nettement le signe du soleil de celui de la pluie. Alors que le caractre " changement "
exprime la continuelle succession du soleil et de la pluie, ici l'accent est mis sur leur diffrenciation.
208
Ce n'est plus le fonctionnement global du processus qui est signifi, mais un de ses instants : le
moment o le soleil est en train de gagner sur la pluie, quand il fait de plus en plus clair, de plus en
plus chaud, quand le ciel semble monter, l'horizon s'agrandir. Dans la ronde des changements de
temps, c'est une fin d'orage qui est reprsente, comme une invitation sortir.
En cho, la partie droite de l'idogramme Yin reprsente elle aussi une scne d'orage. On y trouve
deux signes superposs, mais cette fois ils ne sont souligns par aucune sparation. En bas se trouve
le caractre " nuages " et au dessus un signe voquant une ide d'accumulation et de potentialit.
L'association des deux voque donc un moment durant lequel des nuages porteurs de pluie sont en
train de s'amasser : il fait de plus en plus sombre, de plus en plus froid, le ciel semble s'abaisser,
l'horizon se rtrcir. l'oppos du caractre Yang qui montrait un soleil apparaissant de plus en plus,
comme un orage se dissipant, le signe Yin voque un orage se formant, et constitue donc une
invitation rentrer.
Orage se dissipant, orage se prparant, ces images climatiques avec lesquelles les Chinois ont " crit "
Yin et Yang, ils vont les peindre inlassablement. Franois Jullien ouvre ainsi son livre sur la peinture
par cette citation : " "La montagne sous la pluie ou la montagne par temps clair sont, pour le peintre,
aises figurer" avertit, laconique, QIAN Wenshi, un critique chinois des Song (...). "Mais le beau
temps tendant vers la pluie, ou la pluie tendant au retour du beau temps (...), voil ce qui est difficile
figurer". " Et il poursuit : " Plutt que de figurer des tats distincts et s'opposant, le peintre chinois
peint des modifications. Au-del de ses traits distinctifs, il saisit le monde dans son essentielle
transition (...). Derrire le rideau de pluie qui balaie l'horizon, on pressent dj,, la luminosit qui
point, que ce mauvais temps va se lever ; le temps clair, de mme, n'est pas si longtemps sans laisser
percevoir quelques signes prcurseurs de son voilement. "
Grce ces repres, une organisation la fois cardinale et saisonnire va se mettre en place. Entre les
positions extrmes du changement, le plein soleil associ au Sud et l't, et la pluie battante
associe au Nord et l'hiver, Yin et Yang posent des indications dynamiques qui aident "
assaisonner " son agir, c'est--dire l'assortir avec la saison. Yang, plac l'Est; deviendra symbole de
la floraison printanire et de la propension agir et s'extrioriser ; Yin, plac l'Ouest, sera
symbole de la fructification automnale et invitation rentrer et restaurer ses forces. Partant de la
description de l'ternit des changements de temps, l'criture chinoise aboutit une reprsentation
vectorise des temps du changement. Et cela toujours dans le mme but: non prciser un tat mais
reprer une tendance. Yin et Yang ne sont ni des qualits ni des attributs mais des orientations et
partant des injonctions.
209
210
Du yin et du yang
Tirer l'lan
Tirer l'clat
Vers le plus tendu
de l'interaction
Vers la culminance
du cercle rythmique
La chair s'y accomplit
dans l'inaccompli
Le fruit s'y clt
dans l'inclos
L'inpuisable saveur
Ne de l'ternit
d'une saison
N'est autre que la promesse
Enfin tenue
entre deux mains.
211
Souffle
Esprit
Cette conception cosmologique fonde sur le Souffle-Esprit entrane notamment trois consquences
concernant notre manire d'apprhender le mouvement de la vie.
Premire consquence : cause de la nature dynamique du Tao, et surtout de l'action du Souffle qui
assure, depuis l'origine, et de faon continue, le processus qui va du non-tre vers l'tre - ou plus
prcisment, en chinois, du wu " il n'y a pas " vers le you " il y a " -, le mouvement de la vie et notre
participation ce mouvement sont toujours un permanent et mutuel jaillissement, comme au
commencement. Autrement dit, le mouvement de la vie est peru chaque instant plutt comme un
avnement ou un " rebondissement " que comme une plate rptition du mme. Pour illustrer cette
forme de comprhension, nous pouvons citer comme exemples deux pratiques qui ont travers le
temps et qui demeurent vivaces : le taijiquan et la calligraphie.
Deuxime consquence : le mouvement de la vie est pris dans un rseau de constants changes et
d'entrecroisements. On peut parler l d'une interaction gnralise. Chaque vie est relie, mme son
insu, aux autres vies ; et chaque vie, en tant que microcosme, est relie au macrocosme dont la
marche n'est autre que le Tao.
Troisime consquence : au sein de la marche du Tao qui est tout sauf une rptition du mme,
l'interaction a pour effet la transformation. Plus exactement, dans l'interaction du Yin et du Yang, le
Vide mdian, drainant la meilleure part des deux, les entrane dans la transformation mutuelle,
bnfique pour l'un comme pour l'autre. Signalons que le Vide mdian agit dans le temps aussi. Si le
fleuve est l'image du temps qui s'coule sans retour, la pense chinoise peroit que l'eau du fleuve,
tout en coulant, s'vapore, monte dans le ciel pour devenir nuage, retombe en pluie pour ralimenter
le fleuve la source. Ce mouvement circulaire m par le Vide mdian est bien celui du
renouvellement
212
La conception taoste des nergies humaines s'exprime sur le papier par des dessins symboliques,
voire sotriques. La figure ci-dessus reprsente les nergies de transformation dans le corps.
Au sommet du crne est reprsent le point de contact avec les nergies Yang les plus spirituelles.
Les deux yeux sont reprsents symboliquement par le soleil et la lune. En fait, les taostes
considrent les yeux comme la partie la plus Yang du corps. Certaines pratiques de purification
213
visent provoquer des larmes par une intense concentration sur la flamme d'une bougie. Ce
processus est utilis, notamment, pour nettoyer l'nergie Yang des impurets et des maladies. Le
travail des yeux est aussi pratiqu dans certaines mthodes pour fixer l'nergie dans le centre
ombilical du Dantian.
Au niveau de la glande pituitaire, derrire les yeux on dessine souvent un vieil homme qui reprsente
la sagesse et la puret.
Les glandes salivaires sont nommes le " lac de la tte " d'o coule le nectar salivaire qui va
descendre renforcer le Qi du Dantian. En fait, il s'agit de la salive produite pendant les exercices de
souffle, qui est considre comme une vritable mdecine.
214
Les deux mridiens : frontal (Jenmai ) et dorsal (Dumai ) sont souvent dcrits comme deux arcs-enciel. Ils connectent les nergies fondamentales.
La langue pointe vers la racine des dents de la mchoire suprieure est parfois reprsente par un
vieux moine au regard bleu. Il symbolise la connexion entre les deux mridiens sus-cits Ce point de
connexion est appel le "Pont de Pie" en hommage la constellation cleste.
Au centre du Dumai du milieu est reprsent un enfant debout sur des pices d'or, il touche l'toile
polaire. Le message est le suivant : si l'on peut retrouver la spontanit d'un enfant, on peut atteindre
le cur de l'univers.
Le foie et son nergie sont indiqus sous la forme d'arbres, l'lment bois de la tradition des cinq
lments dynamiques.
La jeune tisserande travaille au centre ombilical et prpare l'nergie de la soie, bien connue des
adeptes du Tai Chi Chuan. Cette force est destine gravir le mridien Dumai le long de la colonne
vertbrale.
215
Le point oppos au nombril est souvent reprsent par une flamme. Il s'agit du Ming Men, la porte de
la destine. Ce point doit tre actif pour que le Qi monte le long du Dumai. C'est en fait le moteur de
l'nergie ascendante de type Yang.
Au milieu du ventre se trouve le Dantian infrieur, souvent dessin sous la forme d'un Yin-Yang qui
irradie dans toutes les directions. C'est l'endroit o le Qi est stock, creuset de l'alchimie taoste.
Souvent un buffle de fer reprsente l'nergie sexuelle et l'essence vitale, le Jing. Cette nergie, l'un
des trois trsors, va nourrir les moelles et le cerveau.
A la base de la colonne vertbrale, deux enfants (le Yin et le Yang) activent la pompe du sacrum qui
stimule la monte du Qi destin tre purifi.
216
217
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Mai 2008
KAN et LI, la rencontre de l'Eau et du Feu
Compilation Au Fil Du Temps
Avril 2008
Etude sur le TAO
par Grard Edde, puis Nathalie Chasseriau
Mars 2008
Sur le Chemin du TAO
par Valrie Bnzet-Muller
Fvrier 2008
YI, La pense cratrice
Synthse Au Fil Du Temps
Janvier 2008
La tranquilit, arme secrte du Tai Chi
par Bob Mendel
Dcembre 2007
Les principes essentiels du TaiJi Quan
de Yang ChenFu
220
Novembre 2007
Le Bouddhisme et son influence en Chine
par Cyrille Javary
Octobre 2007
La Mdecine Traditionnelle Chinoise et Mdecine moderne
par Fritjof Capra & par Claudine Brelet
Septembre 2007
La boxe de l'Ecole des trois Pics
par la SEDGT
Juin 2007 :
Le Voyage du Tailleur de pierre
conte taoiste
Mai 2007 :
La voie de POOH
par Benjamin Hoff
Avril 2007 :
Yin Yang le milieu juste
par Cyrille Javary
Mars 2007 :
Les Trois Etapes Fondamentales
par la SEDGT
Fvrier 2007 :
Pr-mouvement et Organisation gravitaire
par Hubert Godard
Janvier 2007 :
Wu-Wei, le principe de non-agir
par Roland Habersetzer
Dcembre 2006 :
Citations des Textes Classiques sur le TaiJiQuan
Synthse Au Fil Du Temps
Novembre 2006 :
La notion de Centre / La Sagesse et la Connaissance
par Jean Claude Sapin
Octobre 2006 :
Maintenant, l'Instant
Synthse Au Fil Du Temps du collectif Desjardins - Ravigant - Rajneesh
Septembre 2006
TUNG, une famille de Matres
par Anya Mot
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Juin 2006 :
Art martial Interne
par Jan Silberstorff
Mai 2006 :
Croissance et Dcroissance par le Peintre Traditionnel
par Jean-Marc Eyssalet
Avril 2006 :
Vingt Propos tirs de l'exprience de Tung Ying Chieh
par J. et M.T. Liron / AFDT
Mars 2006 :
La Tradition de l'Ecole YANG
par Jean Gortais
Fvrier 2006 :
Le Souffle, le Trac, le Signe
par Thomas Johson
Janvier 2006 :
Les festivits du nouvel an Chinois
Synthse Au Fil Du Temps
Dcembre 2005 :
Le Vide Mdian
par Franois Cheng
Novembre 2005 :
Les rgles gnrales des mutations
par Antoine Ly
Octobre 2005 :
Les jing mai (mridiens) et leurs xue (points)
par Jean Marc Eyssalet
Septembre 2005
L'apprentissage traditionnel, La matrise du naturel
par Antoine Marcel
Juin 2005 :
L'art des jardins, Le vide et la Forme
par Antoine Marcel
Mai 2005 :
Energies et Allergies
par Patrick Shan
Avril 2005 :
Le Cur, L'artiste et le monde, l'esprit et la forme
par Yolaine Escande
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Mars 2005 :
Styles et Magie de la Calligraphie Chinoise
Synthse Au Fil Du Temps
Fvrier 2005 :
Structure de l'Occasion
par Franois Jullien
Janvier 2005 :
D' Encres et de Chine, Philosophies et Peinture
Synthse Au Fil Du Temps
Dcembre 2004 :
Huang Shan, les montagnes clestes
par Marc Riboud, texte de Franois Cheng
Novembre 2004 :
L'Energie ?
par Odile Rouquet
Octobre 2004 :
Circulation nergtique
par Thrse Bertherat
Septembre 2004
Le Taiji Quan Art Martial
par Catherine Despeux
Juin 2004 :
Les sagesses Chinoises
par Raphal Enthoven
Mai 2004 :
La Peinture traditionnelle Chinoise
Synthse Au Fil Du Temps et Galle Fleur Debeaux
Avril 2004 :
Un homme seul avance...
par Claude Larre
Mars 2004 :
De l'indistinct au nomm
par Jean-Marc Eyssalet
Fvrier 2004 :
Chemin de vie ou la lgende personnelle
par Michel Odoul
Janvier 2004 :
Les Chevaliers errants
par Catherine Despeux
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Dcembre 2003 :
Grand Ta Chi et petit Ta Chi
par Matre Tung Kai Ying
Novembre 2003 :
Lgende et Histoire du Tai Chi Chuan
Synthse Au Fil Du Temps
Octobre 2003 :
Le Qi
par Antoine Ly
Septembre 2003
Courants Internes et Externes
Synthse Au Fil Du Temps
Juin 2003
L'interprtation des 3 entits de l'Univers : Ciel, Terre, Homme
par Antoine Ly
Mai 2003
Le grand Enchanement
Par Jean Gortais
Avril 2003 :
Monde visible et monde invisible
par Bovay, Kaltenbach et De Smedt
Mars 2003
Vacuit et Lcher Prise / Le Chi dans les autres cultures
par Jean Nol Ortega
Le point central de l'entranement repose sur la tradition orale et le lien entre le matre et le disciple.
Comme l'ont soulign les premiers sages connus du Tao Laozi et Zhuangzi, la voie ne peut
s'exprimer par les mots. Il faut donc chercher derrire les mots et saisir l'intuition fulgurante de la
vrit spirituelle. Zhuangzi l'exprime dans son langage allgorique : Un tudiant se tourne vers son
matre : " Comment connatre le temps avant la cration ? " " Oui, rpondit son professeur, on peut
le connatre, c'tait le mme que notre temps. " A ces mots l'tudiant rpondit : " Mais oui je
comprends ". Cependant, il revint le lendemain et expliqua : " Hier je vous ai pos une question et la
rponse tait claire, aujourd'hui, je ne comprends plus ! " Le matre lui dit : " Votre clart d'hier
venait de la comprhension directe de mes mots, aujourd'hui vous avez perdu la comprhension
directe spirituelle et l'analyse ne vous mne rien. "
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