LeFana de Laviation HS10 2018

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ad e ll’Aviation numéro
’Aviation n 581
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HORS-SERIE NO 10

A-10
la terreur vient du ciel
Le redoutable avion d’attaque
Le A-10 en action. (USAF)
au sol en action sur tous les fronts
Par Frédéric Lert

E-mail : [email protected]
9, allée Jean-Prouvé. 92587 CLICHY CEDEX
PRÉSIDENT DU CONSEIL DE SURVEILLANCE
Patrick Casasnovas
PRÉSIDENTE DU DIRECTOIRE
Stéphanie Casasnovas
DIRECTEUR GÉNÉRAL
SOMMAIRE
Frédéric de Watrigant
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
ET RESPONSABLE DE LA RÉDACTION :
Patrick Casasnovas
6 Chapitre 1
ÉDITEUR : Karim Khaldi • LES RACINES DU MÂLE
RÉDACTION
Tél. : 01 41 40 34 22
Rédacteur en chef : Alexis Rocher • FAIRCHILD SORT DES SENTIERS
Rédacteur en chef adjoint : Xavier Méal BATTUS ET L’EMPORTE !
Rédactrice graphiste : Brigitte Laplana
Secrétaire de rédaction : Françoise Foulon
Secrétariat : Nadine Gayraud • LE CANON GAU-8, PIÈCE MAÎTRESSE DU A-10
PROMOTION • UN A-10 BIPLACE OUI,
Carole Ridereau. Tél. : 01 41 40 33 48
SERVICE DES VENTES
MAIS POURQUOI ET COMMENT ?
(réservé aux diffuseurs et dépositaires) • LE A-10 AURAIT PU ÊTRE
Chef de produit : Camille Savolle
Tél. : 01 41 40 56 95 UN AVION À HÉLICE !
IMPRESSION :
Imprimerie Compiègne • UN FRANÇAIS SUR A-10
3, rue Nicéphore Niepce,
ZAC de Mercières
BP 60 524, 60205
Compiègne.
Papier issu de forêts gérées dura-
blement. Origine du papier : Italie.
Taux de fibres recyclées : 0%.
Certification :
PEFC / EU ECO LABEL.
38 Chapitre 2
Eutrophisation : 0,018 kg/tonne
• DES CHOIX TECHNIQUES AUDACIEUX ET DÉCISIFS
• L’ARRIVÉE DE L’AVION EN EUROPE
• LE A-10 FAIT SON TROU DANS LE GOLFE !
DIFFUSION : MLP
Printed in France/Imprimé en France • TOUCHÉ SUR LE KOSOVO, MAIS PAS COULÉ !
SERVICE PUBLICITÉ • LES A-10 EN AFGHANISTAN
Directeur de publicité : Christophe Martin
Assistante de publicité : Nadine Gayraud ET DANS LA DEUXIÈME GUERRE DU GOLFE
Tél. : 01 41 40 33 14 - Fax : 01 41 40 35 12
E-mail : [email protected] • AFGHANISTAN : LES A-10 SAUVENT LA PEAU
PETITES ANNONCES CLASSEES
Tél. : 01 41 40 34 22 DES FORCES SPÉCIALES BRITANNIQUES
ABONNEMENTS • 2007 : LE A-10C ENTRE EN SCÈNE
ET VENTE PAR CORRESPONDANCE
(ANCIENS NOS/DOCAVIA/MINIDOCAVIA)
Tél. : 01 47 56 54 00
Fax : 01 47 56 54 01
E-mail : [email protected]
E-mail : [email protected]
TARIFS ABONNEMENT :
France Métropolitaine:
1 an soit 12 nos + 2 HS : 89,50 €
Autres pays et par avion : nous consulter
Correspondance : Editions Larivière,
Service abonnement ou VPC 86 Chapitre 3
9, allée Jean Prouvé 92587 Clichy cedex
Le Fana de l’Aviation est une publication • LE A-16 : L’HISTOIRE DU F-16
des EDITIONS LARIVIERE ; S.A.S. au capital de
3 200 000 € ; dépôt légal, 2e trimestre 2018. QUI VOULUT JOUER AU A-10…
Commission paritaire : n° 0722 K 82003.
ISSN : 0757-4169 • QUEL SUCCESSEUR POUR LE A-10 ?
N° de TVA intracommunautaire :
FR 96 572 071 884 ;
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Toute reproduction, même partielle,
des textes et illustrations publiés dans Le Fana
de l’Aviation, est interdite sans accord préalable
de l’éditeur. La rédaction n’est pas responsable
des textes et illustrations qui lui sont envoyés
sous la seule initiative de leurs expéditeurs.
INTRODUCTION
DE MANHATTAN À HIROSHIMA

Un avion, une mission

La mission CAS exige un lien très étroit avec les troupes au sol pour comprendre la situation
tactique, obtenir les meilleurs résultats et limiter les risques de tirs fratricides. Hors de question
de conduire une telle mission depuis la moyenne altitude ! (USAF)

l’accord, parfois appelé accord de Key


Le A-10 est l’avion du Close Air Support. West, qui fut mis au point en 1948
Mais de quoi s’agit-il exactement ? entre les grands responsables mili-
taires à l’issue de la Seconde Guerre
mondiale. Un accord qui faisait des

L
e Close Air Support (CAS) terriblement complexe dans son exé- forces armées américaines «  une
ou, en bon français, l’appui- cution. Du point de vue des troupes équipe efficace réunissant les forces
feu rapproché, est l’une des au sol, les qualités requises sont la pré- de terre, de mer et de l’air ». Et au sein
branches du combat air-sol. cision des tirs, la capacité à suivre de ce partage des tâches qui en ré-
Il se différencie des autres l’évolution de la situation au sol pour sultait, l’USAF se voyait attribuer
missions, comme la mission de péné- éviter les tirs fratricides, la perma- comme principale mission le soutien
tration, l’« Air Interdiction », ou le nence de l’appui avec le carburant et des troupes au sol aussi bien en ma-
« Strike », parce qu’il sous-entend la les quantités de munitions qui vont tière de CAS que de logistique, avec
présence de troupes amies au voisi- avec afin de ne pas laisser d’oppor- également le ravitaillement par air, la
nage immédiat des zones de tir. Pour tunité à l’ennemi, et enfin la capacité reconnaissance tactique, l’attaque
être réussie, la mission CAS exige une à délivrer un échantillonnage varié contre les moyens de communication
interaction étroite avec les troupes au d’armements pour faire face à un large ennemis. Ce Yalta entre les trois
sol, la capacité à délivrer très rapide- panel de situations tactiques. branches militaires américaines tirait
ment de l’armement de façon très pré- Historiquement c’est à l’US Air bien entendu toute sa légitimité des
cise et parfois même contre un en- Force qu’est revenue la responsabi- combats du second conflit mondial.
nemi en contact direct avec les forces lité de la mission CAS au profit de Un homme avait particulièrement
réclamant un appui. Parce que les po- l’US Army. Même si, au gré des cir- cultivé la logique du soutien de
sitions peuvent être mouvantes au sol, constances, l’US Navy et l’US Marine troupes au sol  : le général Elwood
parce que la séparation entre forces Corps ont pu également offrir un «Pete » Qesada. Commandant la 9th
amies et ennemies peut être des plus appui à l’Army. Du point de vue de Air Force pendant la campagne eu-
réduites, parce que les combats peu- cette dernière, le CAS doit être la pre- ropéenne après le débarquement en
vent être longs et se développer de mière mission de l’US Air Force à son Normandie, le général Quesada s’était
jour comme de nuit, par toutes les profit en cas d’engagement sur le ter- investi comme nul autre officier
conditions météo, la mission CAS est rain. C’est du moins ce qui ressort de général de l’Air Force dans cette
4
Thomas Christie, Franklin « Chuck » Spinney et Pierre Sprey photographiés début 2018. Fins connaisseurs
du programme A-10, ils tiennent un tube du canon GAU-8, l’arme de prédilection du A-10. (Frédéric Lert)

mission d’appui-feu au profit des cement à la mission CAS que fut lancé très particulier que l’US Air Force
troupes au sol. Il en avait développé le programme AX dans des circons- tente, année après année, de le tuer,
les outils et les procédures, allant jus- tances aussi troubles que conster- au prétexte qu’il ne serait plus assez
qu’à placer des pilotes faisant office nantes, développées dans les pages moderne pour les guerres actuelles et
de contrôleurs aériens avancés dans suivantes. Le programme AX donna à venir. Ecrire l’histoire du Fairchild
les chars Sherman. Quesada ne s’em- naissance à un avion d’appui-feu A-10, c’est retracer celle d’un avion
barrassait pas du « qu’en-dira-t-on », qui fut aussi bon dans sa mission qu’il hors norme, que tout distingue des
il réfutait vigoureusement toutes les fut mal-aimé par son utilisateur. autres. Un appareil sans équivalent,
querelles de clocher et entretenait Un cas exceptionnel dans l’histoire qui montre que penser en dehors du
une très grande proximité avec ses de l’aviation ! cadre imparti peut parfois déboucher
homologues de l’US Army. Le résul- Et c’est toujours dans ce contexte sur quelque chose de grandiose. ■
tat avait été une relation efficace entre
les forces au sol et les avions chargés
de les appuyer, avec de très beaux suc- Pete Quesada, un traître pour l’éternité ?
cès tactiques après le débarquement Franklin « Chuck » Spinney fut analyste pendant plus de trente ans
en Normandie. au Pentagone. Le récit qu’il donne montre que,
Après la guerre, le général Que- 45 ans après sa démission de l’Air Force, pro-
sada fut le premier commandant du noncer le nom du général Quesada dans les
Tactical Air Command à partir de hautes sphères de l’US Air Force pouvait être
1947. Il fut alors bien placé pour com- synonyme d’excommunication !
prendre combien l’aviation tactique « En 1986, je suis appelé par le général McPeak
était en fait négligée, au bénéfice ex- qui est alors directeur des programmes de l’US
clusif du Strategic Air Command. Air Force ; il deviendra par la suite chef d’état-
Désabusé, il quitta l’Air Force en 1951 major. McPeak veut me voir après la publication
à l’âge de 47 ans. Le seul commande- de plusieurs de mes études sur le Close Air
ment qui importait était le Strategic Support qui ne plaisaient pas aux hautes
Air Command et, à sa création, le Tac- sphères… Je rejoins donc son bureau au
tical Air Command n’avait de tactique Pentagone, sa secrétaire m’annonce et il m’ouvre
que le nom. Son équipement se fai- la porte avec ces mots : “ La raison de cette
sait avec des avions de plus en plus réunion est que je veux connaître mon ennemi. ”
lourds, complexes et chers (trois ca- On parle de mes publications et, dans le cours de
ractéristiques qui vont très bien en- la conversation, je lui suggère d’aller se rendre
semble), essentiellement conçus pour à Tampa (Floride) pour rencontrer le général
délivrer une bombe atomique en ter- Quesada et comprendre comme il avait réussi à
ritoire ennemi, avec comme Graal des obtenir un close air support efficace pendant la
vitesses et des altitudes toujours plus guerre. La réponse a fusé immédiatement : “ I’m not going down to talk to him because
élevées. L’idée même de se battre sur he is a traitor ! ” (1). Et la réunion s’est terminée là-dessus. Quarante ans plus tard, le gé-
une ligne de front pour appuyer néral Pete Quesada était encore considéré comme un traître au sein de l’Air Force en
directement des troupes au sol héris- raison de sa trop grande proximité avec l’Army pendant la guerre ! »
sait l’Air Force.
C’est dans ce contexte de renon- (1) « Je ne vais pas aller lui parler parce que c’est un traître ! »

5
CHAPITRE 1

Les racines du mâle

pour une fraction du coût des avions


Le besoin était bien là et pourtant la mise plus modernes. Mais tout cela était
au monde du A-10 fut difficile. C’est que venu bien tard, au son de l’improvi-
sation et sans l’ambition d’une vraie
la sage-femme, l’US Air Force, ne voulait pas réflexion sur l’équipement des forces.
On l’a compris, la mission CAS n’in-
délivrer le beau bébé ! téressait pas l’Air Force.

L
a guerre du Vietnam a été Repérer le Viêtcong habilement ca- Jugement de Salomon
l’occasion d’une prise de mouflé en filant en ligne droite à plus
conscience douloureuse pour de 400 kt au ras du sol, engoncé dans L’US Army avait quant à elle bien
l’US Army, qui s’était trou- une armure d’acier, n’était pas une saisi le jeu de l’Air Force et chercha
vée bien mal appuyée dans partie de plaisir. Comme on pouvait donc à subvenir à ses propres besoins.
ses missions de combat par sa jeune s’y attendre, le résultat ne fut pas à la Elle avait même songé, dès le début
et arrogante sœur, l’US Air Force. hauteur des attentes… Après avoir des années soixante, à se doter de ses
Pour répondre aux besoins en Close perdu quantité d’avions fort coûteux propres avions d’appui, poussant l’ar-
Air Support (CAS), cette dernière pour des résultats insuffisants, l’Air rogance jusqu’à évaluer deux avions
n’avait pu proposer dans un premier Force changea donc son fusil d’épaule en 1961 : le Northrop N156 (qui de-
temps que les chasseurs-bombardiers et remit en service des avions qu’elle viendra plus tard le F-5) et le Fiat
de son Tactical (sic) Air Command. alla chercher dans ses surplus. T-28, G-91. Elle se fit même présenter un
Des appareils lourds et peu manœu- A-26 Invader et surtout A-1 Skyrai- prototype venu de Grande-Bretagne,
vrants, optimisés pour aller vitrifier der alignaient puissance de feu, en- un certain Hawker P.1127 qui allait
les bases aériennes soviétiques. durance et manœuvrabilité, le tout plus tard devenir le Harrier. Tout ceci
6
L’AH-56 Cheyenne, parangon
des exigences techniques
débouchant sur des impasses
opérationnelles, financières,
technologiques. Comment des
millions de dollars suffisent à
effacer les lois de la physique
et du bon sens… (Lockheed)

constituait un sérieux casus belli pour de l’Air Force. Cette dernière s’en ti- chef navigateur du célèbre raid sur
l’Air Force qui ne voulait pas voir rait bien. Quant à l’Army, elle était Schweinfurt en août 1943.Après 1945,
l’Army piétiner ses plate-bandes de doublement cocufiée : d’abord en re- Avery Kay s’était occupé de la for-
la mission CAS, même si celle-ci ne cevant en guise de paiement une pro- mation des navigateurs, mettant l’ac-
l’intéressait pas le moins du monde. messe de l’Air Force que celle-ci cent sur les vols de pénétration en Eu-
« Le chien n’aime pas le maïs, mais il n’avait aucune envie de respecter. En- rope à basse altitude. Dans les années
ne veut pas que la poule en mange » suite en misant tout sur l’hélicoptère, soixante, on le retrouvait au bureau
dit un proverbe créole. y compris dans les missions d’appui- « concept et doctrines » qui rendait
En 1966, le sémillant Robert Mc- feu, avec le résultat catastrophique compte directement au chef d’état-
Namara, jeune secrétaire à la Défense qui fut enregistré quelques années major de l’USAF. « Son vrai rôle était
venu du monde de l’industrie, rendit plus tard pendant la guerre du Viet- en fait de défendre le budget de l’Air
un jugement de Salomon pour mettre nam. Mais ceci est un autre sujet… Force contre ceux de l’Army et de la
un terme à l’affrontement entre les Navy, ce qui est un travail à plein temps
deux armées. Interdiction était faite Trahison ! mobilisant quantité de gens brillants »,
à l’US Army de disposer d’avions de souligne Pierre Sprey (voir encadré).
combat. Mais en échange, celle-ci re- La cheville ouvrière pour la né- En rédigeant cet accord, le colonel
cevait l’emploi majoritaire des héli- gociation de cet accord du côté de Avery Kay pensait réellement que l’Air
coptères sur le champ de bataille, mais l’Air Force était le colonel Avery Kay. Force était sincère et qu’elle respecte-
aussi la promesse de l’Air Force de Un homme scrupuleusement hon- rait son engagement. Quand il com-
s’investir plus et mieux dans la mis- nête, à en être presque naïf, qui avait prit qu’il avait été trahi, que l’Air Force
sion CAS. L’Army renonçait égale- été navigateur affecté sur bombardier ne souhaitait pas investir ailleurs que
ment à ses avions de transport tac- lourd pendant la Seconde Guerre dans des appareils de supériorité aé-
tique qui allaient réintégrer le giron mondiale. Il avait notamment été le rienne ou de pénétration, mais jamais
7
LES RACINES DU MÂLE

Le A-1 Skyraider s’illustra au Vietnam dans la mission CAS,


incitant l’USAF à s’intéresser à ce rôle. (USAF)

dans des avions d’appui direct, il dé- l’œuf le Cheyenne et un moyen très méro 1 de l’Air Force. Et c’est ainsi
cida de s’engager corps et âme dans la simple d’y parvenir était de dévelop- que je l’ai vu arriver un matin dans
conception d’un avion optimisé pour per un avion optimisé pour la mission mon bureau : il s’est présenté, il m’a
la mission CAS. Et là, face à l’institu- CAS et qui serait plus rapide, plus expliqué avoir lu mon étude qui l’avait
tion, c’est lui qui fut le plus malin… » puissant, plus solide et moins cher que beaucoup intéressé. Il m’a proposé de
Pour faire passer son idée auprès l’hélicoptère. l’aider dans son travail de définition.
des hautes sphères de l’Air Force, le Je n’avais pas le droit d’accepter, je
colonel Kay s’appuya sur le projet L’ennemi public numéro 1 n’étais pas censé concevoir un avion
d’hélicoptère de combat AH-56 pour l’Air Force. Mais son offre cor-
Cheyenne en cours de développement Le général McConnell accepta la respondait exactement à ce que j’avais
par Lockheed et l’US Army dans le proposition qui donna naissance au eu envie de faire après avoir rédigé
cadre du programme AAFSS (Ad- projet A-X, lancé à la mi 1966. On mon étude : créer l’avion idéal pour la
vanced Aerial Fire Support System). peut légitimement penser que la mission que j’avais identifiée comme
Il devait s’agir d’un appareil capable motivation première était de couper étant la plus importante de toutes.
d’avancer à plus de 400 km/h en vol l’herbe sous les pieds de l’Army. Et c’est ainsi que je suis devenu le di-
horizontal sans toutefois enfreindre L’AX ne l’intéressait pas en tant que recteur technique officieux du projet
la loi tacite interdisant la mise en tel et, une fois le Cheyenne enterré, AX ».
œuvre d’avions de combat à l’Army. il serait toujours temps d’arrêter le Le projet AX est sans doute l’un
Cette dernière, pensant avoir trouvé projet. Néanmoins le colonel Kay y des plus étranges de l’Air Force,
la ruse définitive, souhaitait de faire croyait quant à lui dur comme du puisque celle-ci s’en désintéressait to-
de l’AAFSS non pas un avion, mais titane et poursuivit méthodiquement talement, à l’exception de son chef
un hélicoptère d’une nouvelle espèce : son travail. Pour ébaucher le cahier d’état-major qui donna l’impulsion
un compound, avec un rotor pour la des charges du projet AX, il s’entoura initiale, appuyé par le Secretary of
sustentation et le vol vertical, et une d’une équipe très réduite qui se ré- Defense (ministre). Le Congrès libéra
hélice propulsive pour l’obtention sumait à trois pilotes de l’Air Force les crédits et une Request for Propo-
d’une grande vitesse horizontale. tout juste rentrés d’un tour d’opéra- sal (demande de proposition) fut
Le Cheyenne était un bijou techno- tion au Vietnam sur Douglas A-1 adressée à 27 sociétés en mai 1970
logique, un monument de sophistica- Skyraider. Ces pilotes avaient une so- (voir pages suivantes). Le besoin était
tion bien parti à l’époque pour lide expérience du combat et du Close exprimé en termes très généraux, lais-
coûter plus cher qu’un chasseur-bom- Air Support à bord de ce qui était sans sant la possibilité aux avionneurs de
bardier F-4 Phantom II ! Stupeur et doute le meilleur appareil du moment s’éloigner largement des sentiers bat-
tremblements au sein de l’Air Force, pour cette mission. Mais il manquait tus pour proposer des idées nova-
qui craignait de perdre le monopole au colonel Kay un savoir-faire tech- trices.
des joujoux volants hors de prix. Le nique. Il chercha à recruter auprès de Pierre Sprey était aux manettes
colonel Kay arriva sans difficulté à l’Air Force Research Laboratory de en coulisse et exigeait notamment
convaincre son chef d’état-major, le Wright Patterson, mais sans succès. deux choses : la première était que les
général John McConnell, que le Aucun général de l’Air Force ne sou- propositions des industriels tiennent
Cheyenne représentait un danger haitait s’impliquer dans le projet sur trente pages, pas une de plus. Autre
pour l’Air Force : si l’Army arrivait à AX en « prêtant » des officiers de va- point essentiel, deux finalistes de-
le vendre au Congrès, son finance- leur. vraient être sélectionnés et le vain-
ment avait toutes les chances de si- « Le travail du colonel Kay était queur final serait déterminé au terme
phonner le budget de l’Air Force clairement saboté par la bureaucratie, d’essais comparatifs très complets, en
consacré à la mission CAS. « Vous ne résume Pierre Sprey. Jusqu’au jour profitant d’une politique de construc-
voulez pas être le chef d’état-major qui où il mit la main sur une étude que tion des prototypes récemment re-
aurait laissé filer ce budget  ?», de- j’avais signée quelques mois aupara- mise au goût du jour.
manda en substance Kay au patron vant sur le Close Air Support et qui L’équipe du colonel Kay s’était
de l’Air Force. Il fallait alors tuer dans avait fait de moi l’ennemi public nu- installée dans un bureau à l’extérieur
8
du Pentagone et Pierre Sprey la re- lement un brillant tacticien, une voix
joignait chaque soir, après sa journée très écoutée en matière d’entraînement
de travail officielle. En s’appuyant sur et de C3 (1), et un commandant d’unité
une culture historique encyclopé- très respecté. Pendant la phase de
dique, il posa les bases de ce que de- définition préliminaire, j’avais donc
vrait être le futur avion d’appui-feu, demandé à tous les membres de
capable de faire face à un très large l’équipe de lire son livre afin de bien
éventail de situations tactiques : de- comprendre les caractéristiques es-
puis l’engagement dans un combat de sentielles que l’on pouvait attendre
faible intensité jusqu’à une situation d’un bon avion CAS. Ce livre était un
de guerre totale, pour faire face à la document essentiel pour moi. Une de
déferlante soviétique. Tirant profit leçons que j’avais retenues à sa lecture
des leçons de l’Histoire, il s’intéressa portait sur la mobilité opérationnelle
de très près à l’emploi du Junker de l’avion : à plusieurs reprises, l’unité
Ju-87 « Stuka » par les Allemands au de Rudel fut déplacée d’un terrain à
cours de la Seconde Guerre mondiale. un autre en quelques heures pour venir
Il était fasciné non seulement par renforcer le front ici ou là ou faire face
l’avion et l’emploi qui en avait été fait, à une pénétration russe. Le futur AX
mais aussi et surtout par l’expérience devait également avoir cette capacité
d’Hans Rudel, pilote de Stuka et por- à passer rapidement d’un terrain à un
teur des plus grandes décorations du autre, en opérant depuis des installa-
IIIème Reich. Le pilote allemand avait tions très rustiques, avec un échelon Ci-dessus : Hans Rudel fut le pilote allemand
survécu à 2 530 missions de guerre sur technique des plus réduits. Le livre le plus décoré de la Seconde Guerre
le front de l’Est, et comptait sur son de Hans Rudel rappelait également mondiale. Spécialiste de la lutte anti-char,
tableau de chasse 800 véhicules, combien il était important d’intégrer il savait exactement comment détruire
519 blindés, 150 pièces d’artillerie, dans tout avion spécialisé et, dès un char avec moins de cinq obus de 37 mm,
neuf avions, quatre trains blindés, plu- sa conception, des blindages efficaces, en visant très précisément ses zones
sieurs ponts, un destroyer et deux croi- des équipements de lutte contre le feu, de faiblesse. (DR)
seurs de bataille… des qualités de vol mettant l’accent Ci-dessous : le canon de 37 mm installé
« Rudel était certainement un ex- sur l’aile du Stuka. Il se montra redoutable
pert dans la destruction des blindés, contre les chars et les véhicules sur le front
raconte Pierre Sprey. Mais il était éga- (1) Command Control & Communication. de l’Est. (DR)

9
LES RACINES DU MÂLE

LTV proposa, pour le concours AX, le V507,


avec les deux réacteurs montés sur les ailes. (LTV) sur une manœuvrabilité exceptionn-
nelle, avec la capacité d’enchaîner très
rapidement les passes de tir. L’avion
idéal devait également être doté d’un
canon de fort calibre, être capable
de voler sous un plafond très bas,
moins de 500 ft (environ 150 m), et
d’enchaîner plusieurs sorties par
jour. »
Plus tard au cours du développe-
ment de l’avion, Pierre Sprey et
l’équipe du AX firent même venir
Hans Rudel à Washington pour ra-
conter de vive voix son expérience et
ce que pouvait véritablement repré-
Maquette de soufflerie du projet AX de Boeing. Le nombre de bombes emportées senter la mission CAS en temps de
est une exigence de l’Air Force, qui se révélera nocive. (Boeing) guerre.
« Rudel ne disait pas grand-chose
mais il allait à l’essentiel, relate Pierre
Sprey. Il avait une mémoire extraor-
dinairement précise de son expérience
de pilote. Pour beaucoup de ceux qui
vinrent l’écouter, ce fut une révéla-
tion. »
Conséquences de ces réflexions
puisées aux meilleures sources, les
qualités exigées par Pierre Sprey pour
le futur avion prennent totalement à
contre-pied les performances habi-
tuellement attendues pour les avions
de l’Air Force. Le futur appareil doit
combiner la capacité d’emport et l’en-
durance du A-1 avec une vitesse
1,5 fois supérieure pour les vols de
transit. Malgré tout, l’appareil doit
avoir une très grande manœuvrabi-
lité pour permettre au pilote de tour-
ner autour de son objectif sans jamais
le perdre de vue. Il est souhaité une
capacité d’emport en charges externes
de 7250 kg, échangeable contre du
carburant complémentaire ou un total
de 1350 obus emportés en interne. En
d’autres termes, l’AX devra être ca-
pable d’emporter 4300 kg de charges
Intéressante maquette de soufflerie du projet de Fairchild. externes, le plein en munitions pour
La dérive centrale disparaîtra rapidement. (Fairchild) un canon de 30 mm tout en offrant un
10
rayon d’action de 460 km couplé à
la capacité d’orbiter dans sa zone d’ac-
tion pendant deux heures sans ravi-
Pierre Sprey
taillement en vol. Pierre Sprey est né à Nice à une époque où ses parents fuyaient l’Allemagne nazie, ce qui lui
«  Au-dessus de 300 nœuds valut un prénom français. Il a commencé sa carrière chez Grumman de 1958 à 1965 avant de
(555 km/h), la vitesse est plus handi- rejoindre l’équipe des « Whiz Kids » (traduction : les petits génies) du secrétaire à la Défense
capante qu’autre chose quand il s’agit McNamara. Il se lie d’amitié au Pentagone avec quelques autres figures éminentes avec
d’observer le sol, explique Pierre lesquelles il va porter à bout de bras le projet d’un chasseur léger. Un projet qui aboutira finale-
Sprey. Il n’était donc pas nécessaire ment, après plusieurs années d’une extraordinaire guérilla bureaucratique, à la création et la
pour notre projet d’exiger une vitesse mise en service du F-16. Simultanément, et bien qu’il ait quitté le Pentagone dès 1971, Pierre
maximale particulière. Le cahier Sprey ferraille également en faveur d’un avion spécialisé dans les missions d’appui-feu. Face à
des charges final n’en comportera une obstruction encore plus forte de l’establishment bureaucratique, il remporte une nouvelle
d’ailleurs pas. Mais nous avions be- victoire en menant à son terme le projet A-10. Pierre Sprey a depuis participé à la création
soin d’une grande manœuvrabilité près d’un mouvement réformiste au sein du Congrès américain, militant pour un meilleur contrôle
du sol, avec à la clef la possibilité pour et un emploi plus avisé des dépenses militaires américaines.
l’avion de revenir à la charge très ra-
pidement après une première attaque.
Nous voulions un rayon de virage in-
férieur à un quart de miles (400 m)
pour autoriser une succession très ra-
pide d’attaques. Ce besoin était lié à
une autre exigence essentielle : l’avion
devrait emporter une quantité impor-
tante de munitions pour avoir de quoi
placer successivement vingt passes de
tir au cours d’une même mission ! Ce
chiffre était intimement lié à notre
conviction qu’un bon avion d’appui
devait être disponible longtemps sur
le champ de bataille pour assurer une
couverture continue des troupes au sol.
C’est aussi pour cela que nous exigions
une endurance de deux heures (sans
ravitaillement en vol) avec des emports
importants, ou quatre heures avec une
charge plus légère. »
La vitesse réduite doit également
permettre à l’avion de voler très bas,
sous l’horizon radar bien entendu,
mais également sous l’horizon de l’œil
humain, sous les nuages, dans des
conditions météo qui cloueraient au
sol les autres avions dans les missions
d’attaque au sol : 300 m de plafond et
moins de deux kilomètres de visibi-
lité horizontale. Et, face aux météos
marginales caractéristiques de l’Eu-
rope, il devait faire bien mieux que
voler, il devait aussi pouvoir attaquer
l’ennemi.
Trois autres points essentiels sont
soulignés par l’équipe AX auprès des
soumissionnaires. En premier lieu, la
capacité à encaisser les coups venus
du sol est jugée essentielle. C’est un
point de bon sens pour un avion d’at-
taque au sol et qui pourtant paraît
alors très innovant. Protection du pi-
lote, des réservoirs, des moteurs, du-
plication et dispersion des systèmes
à bord. Il faut même que l’avion puisse
continuer à voler après avoir perdu
des morceaux de voilure ou d’em-
pennage. Autre caractéristique mise
en avant, la simplicité et l’économie
d’emploi en temps de paix. Une exi-
gence qui ne déplaît pas à l’Air Force,
dont le projet F-X qui débute alors, Et si le A-10 avait été un avion à hélice ? Ici le projet de Northrop,
et qui aboutira à la mise en service du doté de deux turbopropulseurs rassemblés dans le fuselage. (Frédéric Lert)

11
LES RACINES DU MÂLE

Projets AX de Lockheed.
(Alain Ratinaud)

F-15, commence une ascension bud- devra être taillé pour opérer au plus multiples critères, le projet de Fair-
gétaire stratosphérique ! Dans l’es- près de la ligne de front, avec l’em- child est finalement déclaré vain-
prit de Pierre Sprey et de ses acolytes, preinte logistique la plus faible pos- queur.
l’économie de mise en œuvre en temps sible. Voici donc que le AX prend figure,
de paix doit servir à fournir des heures Quatre mois seulement après la alors même que l’US Army a
de vol à très bas coût pour permettre clôture de la compétition et la remise renoncé entre-temps à son AH-56
aux pilotes de s’entraîner de manière des propositions d’une demi-dou- Cheyenne révolutionnaire. Que va-t-
intensive. Il est alors expressément zaine d’avionneurs, l’USAF annonce il alors advenir du programme AX ?
demandé que l’AX fasse l’économie avoir retenu deux finalistes : Northrop Pour l’Air Force, il serait tentant de
de toute technologie nouvelle ou non et Fairchild. Chaque avionneur fa- placer les deux prototypes dans des
prouvée. L’usage opérationnel de briquera deux prototypes, les YA-9 et musées et de clore le chapitre des
l’avion devra aussi, et c’est le troi- YA-10. A l’issue d’une compétition avions CAS pour se concentrer en-
sième point, se caractériser par une rigoureuse (voir pages suivantes) qui tièrement aux avions sérieux : mach
très grande simplicité. Le futur AX voit s’affronter les deux avions sur de 2 à 60 000 ft (18 000 m) ! Mais entre-

Sur le projet de General Dynamics,


les réacteurs à double flux sont placés sous
les ailes, près du sol. Tout sauf une bonne
idée pour un avion appelé à opérer depuis
des terrains sommaires. A noter, la voie
relativement étroite du train d’atterrissage,
qui n’est pas sans rappeler celui du
A-7 Corsaire II. (Alain Ratinaud)

12
L’AX en version biturbopropulseur
présenté par Boeing. La dérive paraît
singulièrement sous-dimensionnée…
(Alain Ratinaud)

temps est arrivé James Schlesinger à F-16. C’est un marché impossible à de la pyramide avait donné son ac-
la Défense. Le nouveau secrétaire refuser, car l’Air Force craint avant cord, mais cela n’empêchait pas tous
d’Etat, qui prend son poste en 1973, toute chose une réduction de sa taille les échelons inférieurs de l’US Air
est convaincu de l’intérêt non seule- avec la fin des combats au Vietnam. Force de traîner des pieds en cherchant
ment de ce qui est devenu le A-10, Le marché est donc conclu entre le à saboter le programme », se souvient
mais également du F-16 qui est aussi secrétaire d’Etat et le chef d’état- Thomas Christie, qui termina sa car-
en phase de développement à cette major : l’armée de l’air américaine rière au Pentagone comme directeur
époque. Pour contourner la résistance augmente son envergure en com- Operational Test & Evaluation.
prévisible de l’Air Force, il propose mandant plusieurs centaines d’avions « Avant même d’arriver en escadron,
alors un étonnant marché au chef auxquels elle ne croit pas, et qui pour- le A-10 sera l’objet d’une guérilla conti-
d’état-major du moment : le finance- tant feront ses beaux jours au cours nuelle pour tenter de faire avorter le
ment de six escadres supplémentaires des décennies suivantes. L’ironie de programme. » Une guérilla qui conti-
(près de mille avions tactiques !) en la situation est colossale ! nue encore aujourd’hui, quarante ans
échange de la commande des A-10 et « Le chef d’état-major au sommet plus tard. ■

Vision intéressante du projet de


Cessna avec les réacteurs installés sur
l’extrados de l’aile. Une configuration
qui les éloigne du sol et permet le
masquage des tuyères par la voilure.
L’avion est toutefois énorme
comparé à la silhouette du pilote !
(Alain Ratinaud)

13
CHAPITRE 1

Fairchild sort des sentiers


battus et l’emporte !
Au début des années 1970, Fairchild et
Q
uatre mois seulement
après le lancement de la
Northrop s’affrontent pour doter l’USAF avec compétition, l’USAF an-
nonce donc que Northrop
le A-10 et le A-9. Le Corsair II joue les invités et Fairchild vont en finale.
de dernière minute avant le choix du A-10. Une rapidité exceptionnelle qui va de
pair avec une décision tout aussi hors
norme : les prototypes des deux fina-
listes sont évalués simultanément
avec une étude intensive des carac-
téristiques des appareils et de leur
adaptation à la mission. Une Joint Test
Force est spécialement mise sur pied.
Avec cette confrontation directe,
14
En haut à gauche : la silhouette du
A-10 nous est à présent familière, mais
il faut se souvenir qu’à l’époque de
la compétition, l’avion avait des allures
d’OVNI dans le paysage aéronautique.
(Fairchild coll F. Dosreis)
Ci-dessus : Par analogie avec les «Skunk
Works » de Lockheed, Fairchild baptise
officieusement son atelier prototype
le « Tiger Works ». (Fairchild)
Ci-contre : Superbe décoration qui
rappelle que le « Thunderbolt II »
est le dernier d’une longue lignée de
« Thunder » hérités de la firme Republic.
(Fairchild)
Ci-dessous : Le premier prototype
après son « roll out » devant l’usine de
Farmingdale d’où sont sortis dix ans plus
tôt les F-105 Thunderchief. (Fairchild)

il s’agit notamment de tirer les leçons


du fiasco F-111, au cours duquel les
problèmes étaient apparus pendant
le développement et durant la mise
en production. Ce qui avait débouché
sur de nombreux retards et une hausse
vertigineuse des coûts.
Avec l’idée du « fly before buy »
(traduction : vol avant achat), le nou-
vel avion doit être testé en profon-
deur au sol et en vol avant d’être
acheté et lancer la fabrication en série.
Il s’agit également de maintenir la
pression sur les deux finalistes pour
15
FAIRCHILD SORT DES SENTIERS BATTUS ET L’EMPORTE !

Le prototype YA-10A fait la démonstration de sa capacité d’emport. L’avion se distingue des suivants
par la forme un peu moins bien profilée de la verrière. (Fairchild)

qu’ils présentent des prototypes très «Sam » Nelson. Le YA-9 va le suivre Le 24 octobre 1972, conformé-
aboutis et performants. à 20 jours d’intervalle. Le deuxième ment au calendrier, la JTF prend en
YA-10A décolle pour la première fois compte officiellement les deux avions
Une compétition serrée le 21 juillet, suivi du second YA-9A qui sont alors confiés aux pilotes d’es-
le 23 août. Les deux avionneurs dis- sais et à l’équipe technique de l’Air
Les deux prototypes du A-10 sont posent alors de cinq mois pour mettre Force. Au programme, évaluation des
assemblés par les « Tiger Works » (1) au point leurs avions avant de les qualités de vol des appareils, mais
dans l’ancienne usine Republic de confier à la Joint Test Force. Une fois aussi de leurs contraintes de mainte-
Farmingdale, à Long Island (New entre les mains de la JTF, les avions nance. Les essais prévoient 123 heures
York). Trente ans plus tôt, des P-47 y ne pourront plus être modifiés en pro- de vol par avion mais ils vont en fait
étaient fabriqués comme des petits fondeur, sauf pour des raisons de sé- en faire un peu plus : 146 heures en
pains… Les délais sont excessivement curité : ainsi le veut le règlement de 92 sorties pour le YA-9 et 138,5 heures
contraignants, le contrat de dévelop- la compétition. Le seul changement en 87 sorties pour le YA-10. Un tiers
pement prévoyant la sortie d’un pre- notable apporté au YA-10A pendant des vols est consacré à la prise en main
mier prototype un an seulement après cette période d’essais en vol porte sur des avions et à l’évaluation des qua-
sa signature. l’alimentation en air des réacteurs : à lités de vol et des performances. Les
Les prototypes de Northrop et forte incidence, les entrées d’air re- avions tirent au canon (il ne s’agit pas
Fairchild sont amenés par la route à çoivent un flux d’air perturbé qui en- alors du GAU-8 qui est encore en dé-
Edwards, où ils sont remontés et pré- traîne l’étouffement des moteurs. Le veloppement, mais plus simplement
parés en vue de leur premier vol. Le problème est vite et facilement réglé d’un M61 plus classique – ce dernier
YA-10A est le premier à prendre l’air en installant un bec fixe sur la partie est le canon standard des chasseurs
le 10 mai 1972, aux mains de Howard centrale de la voilure. américains) et larguent des bombes
lisses. Aucun armement guidé n’est
testé à ce stade.
En marge des essais militaires, les
grandes manœuvres se placent éga-
lement sur le terrain politico indus-
triel. Il s’agit de maintenir la base in-
dustrielle du pays en répartissant plus
ou moins équitablement les crédits.
La patrie de l’économie de marché se
fait en l’espèce le chantre de la pla-
nification et de l’intervention de l’état
fédéral (du pur communisme en
somme…) les plus débridées ! Et de
ce point de vue là, Fairchild fait figure
de favori. L’arrêt l’année précédente
du projet SST de supersonique civil
(Boeing 2707) a porté un rude coup
à la firme de Long Island, qui faisait
partie des sous traitants majeurs. Au
bord du gouffre, le projet AX est son
unique planche de salut. Est-ce pour
cela que son bureau d’études, le cou-
teau dans le dos, a fait preuve d’une
L’avenir de Fairchild, avec un plan de charge des plus réduits pour son usine plus grande créativité que son rival ?
de Farmingdale, a sans doute joué un rôle dans la sélection du A-10. (Fairchild) Sans aller jusqu’à totalement inver-
16
ser une décision technique de l’Air notamment quelques modifications et n’a pas reçu son HUD(3). La com-
Force, nul doute que la pression po- aérodynamiques : l’envergure est aug- paraison se limite alors à des simula-
litique était parfaitement capable de mentée de 76 cm, la verrière est lé- tions d’attaque, à la capacité des
faire pencher la balance du bon côté gèrement redessinée. Les pylônes sou- avions à trouver les objectifs, les at-
en cas de match serré. Et effective- tenant les moteurs sont réduits et taquer et renouveler très rapidement
ment, le match fut bien serré comme mieux profilés. Et enfin les carénages ces attaques. Visibilité, manœuvrabi-
se souvient Pierre Sprey : abritant le train principal sont égale- lité, facilité de mise en œuvre et qua-
«  Pendant les essais en vol, l’ap- ment revus pour en diminuer la traî- lités de vol sont évaluées. Les mis-
pareil de Northrop fit la preuve d’une née. Les becs de bord d’attaque fixes sions sont simulées sous différents
aérodynamique et de qualités de vol installés sur le premier prototype sont niveaux de plafond nuageux. Aucun
sensiblement supérieures à celles du remplacés par des becs mobiles au- armement n’est réellement tiré et les
YA-10 de Fairchild. Le A-10 avait tomatiques. Autant de modifications quatre pilotes essayeurs sont égale-
quant à lui démontré une légère supé- intégrées aux appareils de présérie. ment invités à faire part de leur res-
riorité dans le domaine de la mainte- Techniquement, les choses avancent senti.
nance. Il avait par ailleurs montré une vite et bien. Mais le sort de l’avion L’affaire est vite pliée : elle montre
supériorité plus nette encore dans le n’est pas encore scellé et la bataille la supériorité du A-10 dans la mission
domaine essentiel de la survivabilité ». se poursuit en coulisses à Washing- CAS, particulièrement contre des ob-
L’architecture du A-10 traduisait bien ton, entre le Congrès et le Pentagone. jectifs bien camouflés, en raison de sa
l’idée que Fairchild n’avait pas hésité visibilité et de sa vitesse plus faible.
à sortir des sentiers battus pour l’em- Le A-7 balayé… Le A-10 est conforté dans sa victoire
porter sur ce terrain-là. L’installation sans même que sa survivabilité soit
des deux moteurs en nacelle à l’exté- Ling-Temco-Vought (LTV), qui étudiée de près, mais celle-ci est jugée
rieur du fuselage, avec un masquage fabrique le A-7 Corsair II pour l’US très supérieure en raison des choix
des émissions infrarouges par l’em- Navy et l’Air Force, tente un dernier techniques ayant présidé à la concep-
pennage double, était très innovante. coup de dé en essayant de déloger le tion de l’avion (4).
Northrop avait fait preuve d’un plus A-10 au profit de son chasseur-bom- Les pilotes sont également una-
grand conformisme sur son YA-9, avec bardier. Appuyé par ses lobbyistes, il nimes pour souligner sa manœuvra-
l’accrochage des moteurs contre le fu- réussit à imposer un fly off (2) entre bilité en basse altitude, essentielle
selage. son avion et le A-10, mettant en avant dans la mission CAS. En juillet 1974,
Le 18 janvier 1973, deux semaines l’autonomie de son avion et sa vitesse. alors que le canon GAU-8 n’a pas en-
à peine après la fin des essais com- Le face-à-face est finalement accepté core tiré depuis l’avion, le feu vert est
paratifs, l’USAF annonce la victoire par l’Air Force en 1973 et débute en donné pour le lancement de la pro-
du A-10 de Fairchild. Dans la foulée, avril de l’année suivante à Fort Riley, duction des 52 premiers avions
le Pentagone passe commande de au Kansas. Quatre pilotes, qui ont l’ex- (48 prévus au début du programme
dix avions de développement test et périence de la mission CAS sur F-4 auxquels s’ajoutent les quatre avions
évaluation (DT&E). Un chiffre qui ou F-100, sont sélectionnés pour tes- retirés de la présérie).
sera par la suite ramené à six, les ter les deux appareils. Pour ne pas La production est lancée dans
quatre autres avions étant intégrés fausser leur jugement, ils n’ont l’usine de Farmingdale et c’est une
dans le premier lot de fabrication en d’ailleurs aucune expérience préa- grande première pour Fairchild  :
série. Pendant ce temps, les deux pro- lable ni sur le A-7, ni sur le A-10. l’avionneur n’a plus construit d’avions
totypes poursuivent leurs essais de Le A-10, encore en développe- depuis les derniers Republic F-105
développement depuis la base d’Ed- ment, ne dispose pas à l’époque de dix ans plus tôt. Les techniciens les
wards en 1973 et 1974. son canon GAU-8 ; il ne peut pas en- plus qualifiés ont pris leur retraite
Le deuxième prototype apporte core tirer le missile air-sol Maverick ou bien ont changé d’adresse et les

Le A-7 Corsair II pouvait impressionner par sa capacité d’emport, mais il restait mal adapté à la mission CAS
et trop vulnérable pour évoluer en basse altitude. (USAF)

17
FAIRCHILD SORT DES SENTIERS BATTUS ET L’EMPORTE !

Le prototype YA-9A de Northrop a démontré, semble-t-il, de meilleures qualités de


vol que l’avion de Fairchild. Mais cela n’a pas suffi pour le faire gagner… (Northrop)

outillages sont bien anciens. Un offi- soit 144 par an. Les avions arrivent
cier de l’USAF dira même que cer- très vite en unité mais, paradoxale-
tains étaient utilisés pour fabriquer ment, le A-10 va faire les frais de l’ar-
les P-47 pendant la guerre : « C’était rivée du président Ronald Reagan à
le retour à Rosy la riveteuse !... » Sous la Maison Blanche et de sa politique
l’impulsion de l’Air Force, la pro- de réarmement. « Quand on parlait
duction est réorganisée, il est fait un du programme AX au début des an-
plus grand appel aux sous-traitants et nées 1970, la cible évoquée était très
Fairchild investit dans des machines supérieure à 800 avions, se souvient
à commandes numériques, les toutes Tom Christie (5). Par la suite, le chiffre
premières de son histoire ! Toutefois, fut ramené à 750 avions. Puis, quand
le terrain de Farmingdale ayant été Ronald Reagan relança une quantité
vendu par Fairchild et accueillant une de programmes très coûteux comme
large activité d’aviation générale, il le B-1B pour l’Air Force ou le AV-8B
devient difficile d’y organiser les vols des Marines, il chercha à donner le
de réception. Il est alors décidé de dé- change et montrer qu’il faisait des ef-
placer la chaîne d’assemblage final et forts par ailleurs pour maîtriser les dé-
les vols dès réception vers la ville de penses. Il se tourna vers Caspar Wein-
Hagerstown, dans le Maryland, à une berger (6), qui se tourna à son tour
heure de route de Washington. La vers l’Air Force pour lui faire des sug-
décision prendra effet à partir du gestions. Celle-ci sauta sur l’occasion
onzième exemplaire de série. et proposa de réduire la quantité de
Le premier avion de série sort de A-10. En 1982, le nombre total de
chaîne entre-temps en octobre 1975 A-10 fut donc ramené à 707 avions.
et il est officiellement remis à l’Air Ce fut le seul programme sacrifié au
Force le mois suivant. Cet appareil et Pentagone, avec la perte d’une cin-
les trois autres, qui auraient dû faire quantaine d’exemplaires. C’était une
partie du lot DT&E, rejoignent le pro- bonne indication de la popularité de
gramme d’essais à Edwards. Les pre- l’avion au sein des hautes sphères… » ■
miers avions arrivent dans les forces
à partir de mars 1976 et la première (1) Clin d’œil de l’équipe de Fairchild aux
unité servie est le 333rd Tactical Figh- fameux Skunk Works de Lockheed…
ter Training Squadron (354th Tactical (2) Compétition en vol.
Fighter Training Wing) basé à Davis (3) Head Up Display : affichage tête
haute.
Monthan. Deux ans plus tard, cent (4) Inversement, le A-7 a la réputation
avions sont déjà livrés. d’un avion qui s’enflamme facilement...
La montée en cadence est rapide, (5) A cette époque, Tom Christie était
l’avion est simple à fabriquer et la pro- responsable de l’aviation tactique au sein
du bureau System Analysis du secrétaire
duction a atteint son plus haut niveau américain à la Défense.
en 1980, avec 12 appareils par mois, (6) Secrétaire à la Défense de 1981 à 1987.

18
Le positionnement des réacteurs, plus vulnérables que sur le A-10, est ici bien visible. L’avion aurait sans doute été
également plus sensible au phénomène d’ingestion de corps étrangers sur les pistes non préparées… (Northrop)

Une dérive de très grande taille donnait à l’avion une excellente manœuvrabilité même à basse vitesse.
L’architecture du YA-9A était simple et efficace, mais Fairchild sut sortir des sentiers battus… (Northrop)

19
CHAPITRE 1

Le canon GAU-8,
pièce maîtresse du A-10
désirable était le canon de gros calibre, pilotes face à des fils de paysans ju-
Il n’y aurait pas très puissant, avec un nombre impor- chés sur des avions assemblés par des
eu de A-10 sans tant d’obus, synonyme de permanence
sur la zone d’action. Mieux, le canon
prolétaires mal nourris. Eh bien oui,
mais l’efficacité au combat peut par-
l’exceptionnel canon et sa munition devaient être une pièce fois être inversement proportionnelle
centrale du projet AX. » au PIB des pays belligérants… Au
de 30 mm. Les leçons Pierre Sprey se base également Vietnam toujours, les Américains font
du passé furent par- sur l’histoire de la Seconde Guerre
mondiale pour étayer son raisonne-
également face, à partir de 1972, à l’ir-
ruption des premiers blindés sous les
faitement apprises ment. Et en particulier l’expérience couleurs communistes. L’idée d’une
du Ju-87G « Gustav » équipé de deux confrontation classique reprend du
et appliquées pour canons de 37 mm placés en gondoles crédit face au scénario apocalyptique
le développement sous les ailes, utilisés avec le succès
que l’on connaît par les Allemands
d’une guerre nucléaire. Il va falloir
casser du char et de camions à bombes.
de cette arme et son sur le front de l’Est. Le Stuka aurait Le futur AX devint donc une arme
dû être remplacé par le Henschel 129 anti char de choix.
installation à bord armé d’un unique canon de 37 mm
de l’avion. dans le nez, par la suite remplacé par
une arme de 75 mm dérivée du canon
Le développement
antichar PaK 40. Avion intelligent au du GAU-8

A
u cours des études portant demeurant, bien armé, blindé, bimo- Les Américains ont donc rapide-
sur le projet AX, Pierre teur mais malheureusement pour lui ment compris qu’avec leur canon M61
Sprey et ses acolytes dé- doté d’une motorisation inadaptée. de 20 mm, ils n’avaient pas le bon ca-
terminent qu’un avion tra- le Hs 129 n’aura donc pas d’impact libre. En l’absence d’armement plus
vaillant exclusivement sur sur les opérations contre les armées puissant, le Pentagone lance donc le
la ligne de front aurait à faire face à soviétiques. développement d’une arme excep-
une grande variété de cibles : des vé- Vingt ans après la Seconde Guerre tionnelle spécifiquement taillée pour
hicules (blindés ou pas) bien entendu, mondiale, c’est du Moyen-Orient que répondre aux besoins du programme
mais aussi des emplacements de tir, vient un autre exemple probant de AX, et qui lui donne tout son sens :
des armes automatiques, des sites de l’intérêt du canon comme arme anti- ce sera la GAU-8 Avenger.
défense sol-air, etc. En revanche, l’at- char. Pendant la Guerre des Six jours, La demande de propositions est
taque de bases aériennes, d’usines, les Israéliens font la démonstration formalisée en 1970 : il doit s’agir d’un
de bâtiments lourdement protégés ou que les canons DEFA de 30 mm du canon de 30 mm avec une vitesse ini-
d’objectifs stratégiques ne serait pas Mystère IV font de redoutables armes tiale de 1 000 m/s au moins et une ca-
de son ressort. « En passant en revue contre les blindés qu’ils attaquent par dence de tir de 4000 coups par mi-
les différents objectifs que l’avion au- derrière. Inversement, le canon de nute. Une telle cadence impose un
rait à traiter, et en particulier les chars 20 mm est insuffisant dans ce rôle. canon de type Gatling, à plusieurs
de combat lourdement blindés, nous L’US Air Force en prend bonne note tubes. Le 30 mm est un compromis
avons exploré toutes les options pos- et décide donc d’exiger ce calibre pour entre la masse et l’encombrement de
sibles, raconte Pierre Sprey. Le Pen- son futur avion d’attaque. L’arme de l’arme et des munitions. Il s’agit éga-
tagone avait développé la Mk20 Roc- 30 mm est notablement plus encom- lement de pouvoir emporter plus de
keye, une bombe à sous munitions qui brante que celle de 20 mm et elle exi- mille obus dans le fuselage, ce qui se-
se révéla aussi chère qu’un missile et gera donc un avion taillé sur mesure rait hors de propos pour un calibre
d’une très faible efficacité pour l’at- pour l’emporter. Ça tombe bien, le plus élevé ! La très haute vitesse ini-
taque d’objectifs ponctuels. Nous projet AX part d’une feuille tiale en sortie de tube doit donner aux
avons étudié également l’efficacité de blanche… La guerre du Vietnam in- obus une trajectoire tendue (gage de
nombreux missiles guidés. Nos études flue également beaucoup sur la pen- bonne précision à plus d’un kilo-
en Europe ont montré que le tir d’un sée américaine en réhabilitant l’idée mètre) ainsi qu’une énergie cinétique
missile guidé par voie optique était très même du canon embarqué. Les dé- considérable à l’impact. Avec ses sept
dépendant des conditions météo (sou- boires des premières versions des tubes et son tambour à munitions,
vent mauvaises en Europe) et en plus F-4 Phantom II de l’US Air Force dans le futur GAU-8 devient du jour au
synonyme d’une très grande vulnéra- les combats air-air ont fait monter le lendemain l’arme la plus volumineuse
bilité de l’avion : nous ne pouvions pas rouge au front des généraux de l’Air jamais montée sur un avion de
nous permettre d’utiliser une arme exi- Force. Rouge de honte de s’être si combat, éclipsant même les canons
geant dix à vingt secondes pour viser, lourdement trompés sur la qualité des de 75 mm qui équipèrent certains
tirer et guider. Nous en avons conclu missiles et le choix des armes, rouge B-25 et Hs 129 pendant la Seconde
que l’arme la plus efficace et la plus de rage devant l’impuissance de leurs Guerre mondiale. Malgré leur calibre
20
Le canon occupe une place
essentielle à l’avant du fuselage,
avec le tambour à munitions
installé derrière le cockpit.
(Fairchild)

21
LE CANON GAU-8, PIÈCE MAÎTRESSE DU A-10

impressionnant, ces armes étaient A-9 et du A-10 sont équipés de M61. mament Development and Test Cen-
d’ailleurs loin d’offrir la cadence et le « L’US Air Force a même voulu lan- ter d’Eglin AFB, en Floride. Les es-
niveau d’énergie du GAU-8. cer la fabrication d’une première série sais se font dans un premier temps
Comme pour l’avion, l’arme est d’appareils qui n’auraient été équipés avec un seul tube, puis avec l’ensemble
sélectionnée au terme d’une compé- que de M61, se souvient Pierre Sprey. des sept tubes jusqu’à atteindre la ca-
tition mettant aux prises plusieurs Nous avons tout mis en œuvre pour dence recherchée de 4000 coups par
concurrents : General Electric, Philco nous opposer à ce schéma qui aurait minute. General Electric part avec
Ford, Hugues et General American signifié la mort du A-10 : l’installation une longueur d’avance, non seule-
Transportation sont sur les rangs. Le du M61 aurait été un premier prétexte ment grâce à sa longue expérience du
premier, qui maîtrise bien et depuis pour renoncer au GAU-8. Puis sans Gatling, mais aussi en raison de re-
longtemps la technique du Gatling GAU-8, l’avion aurait perdu tout in- cherches entamées depuis plusieurs
avec son M61, fait logiquement figure térêt et il aurait pu être rapidement années déjà sur les munitions de
de favori. Deux finalistes sont rete- écarté… » 30 mm. Et c’est en toute logique que
nus : General Electric et Philco Ford, Au moment où l’Air Force an- la firme est sélectionnée en juin 1973
qui reçoivent chacun 12,1 millions de nonce sa décision en faveur du pro- pour la phase deux du développe-
dollars pour construire des proto- jet de Fairchild et du réacteur TF-34, ment, avec, à la clef, un nouveau
types. Dans l’attente du développe- les deux prototypes du GAU-8 com- contrat de 23,7 millions de dollars
ment de l’arme, les prototypes du mencent leurs essais au sein de l’Ar- pour la fabrication de onze armes de

Une photo promotionnelle qui a fait le tour


du monde et qui continue d’impressionner…
Le tambour à munitions, capable de recevoir
1350 obus, occupe toute la largueur du fuselage.
(Fairchild coll F. Dosreis)

22
préproduction : trois sont destinées à problème d’importance : la combus- la puissance de l’arme. Les blindages
des tests statiques au banc d’essais, tion des gaz dans le canon est impar- sont percés, mais surtout les engins
les huit autres devant être montées faite et crée des boules de feu devant sont détruits par les incendies créés
sur les appareils de présérie. l’avion. Le problème est résolu en par les obus. Liquides hydrauliques
Trois types de munitions sont éga- changeant la composition chimique et carburant prenant feu sont la pre-
lement développés : perforant incen- de la poudre propulsive. Quant au mière cause de pertes de blindés au
diaire (Armour Piercing Incendiary risque d’étouffement des réacteurs combat et c’est bien sur cet effet que
– API), explosif incendiaire (High par les gaz de combustion, il est jouent le A-10 et son canon. Les
Eplosive Incendiary - HEI) et en- également réglé par l’installation essais montrent également que le
traînement (Target Practice). Les mu- de disperseur de gaz à la sortie des GAU-8 permet de détruire un char à
nitions contiennent de l’uranium tubes. plus d’un kilomètre avec un pour-
appauvri, à la densité très élevée, Les premiers tests en vol du canon centage de réussite supérieur à 75%
ce qui fera la renommée des muni- monté sur le deuxième prototype du sans rien ôter de sa mobilité à l’avion.
tions. A-10 confondent les plus septiques : C’est bien mieux que n’importe quel
Une première arme est installée une poignée de M-48 et de T-62 missile dont les performances en pra-
dans le premier prototype de l’avion (capturés par les Israéliens sur leurs tique sont toujours très éloignées des
en septembre 1974 et les essais de tir voisins arabes et aimablement four- attentes théoriques vendues par les
en vol montrent immédiatement un nis à l’US Air Force) fait les frais de industriels. ■

Le A-10, bombardier
nucléaire ?
Question : quel était le bombardier
nucléaire tactique le plus efficace au
début de la guerre froide ? Le F-100,
le F-101, F-105 ? Vous n’y êtes pas.
C’était le A-1 Skyraider. Le vénérable
chasseur bombardier à hélice, dessiné
en 1944, arrivé quelques semaines
trop tard pour participer à la Seconde
Guerre mondiale, était celui qui tirait
toujours son épingle du jeu dans les
grands exercices de protection du
territoire national du NORAD. Pendant
que les chasseurs de la « century
serie » se faisaient virtuellement
shooter en plein ciel de gloire et à
la vitesse de la lumière, le Skyraider
traînait gaillardement bombe Mk7
de 730 kg sur la balance à la vitesse
ébouriffante de 250 km/h, dans
le fond des vallées, à la hauteur des
poteaux télégraphiques, ou même
– ça s’est vu - dans les méandres du
Grand Canyon. Une belle mission sans
retour pour le pilote, certes, mais
un avion impossible à repérer et à
intercepter… Dans la même veine,
le A-10 aurait il fait un bon
bombardier nucléaire ? On ne le saura
sans doute jamais, mais on faillit le sa-
voir. En 1975, l’Air Force fit une étude
en ce sens. Rien d’étonnant à cela,
la mode était à la bombe atomique et
le Pentagone mettait un point d’hon-
neur à en coller partout : dans les obus
d’artillerie, les roquettes air-air, les
torpilles etc. Une étude financière pré-
liminaire fut faite pour emporter les
bombes B43, B57 et B61, mais appa-
remment les efforts s’arrêtèrent là…

23
CHAPITRE 1

Un A-10 biplace oui, mais


pourquoi et comment ?

A
lors que le A-10 entre tout envisagé l’installation d’un deuxième
Hans Rudel, juste en service, l’Air Force poste de pilotage dès le lancement du
l’aviateur allemand et Fairchild réfléchissent à
la possibilité d’en faire un
programme AX : le volumineux tam-
bour à munition est disposé de telle
le plus décoré de appareil tout temps et apte
aux missions de combat de nuit. Les
manière qu’il peut rester en place,
le deuxième cockpit prenant place
la Seconde Guerre discussions commencent fin 1977 et par-dessus. Il « suffit » pour cela de
mondiale, avait Fairchild reçoit finalement le feu vert
pour modifier un appareil de déve-
déplacer des boîtiers électroniques
que l’on recase alors dans le carénage
sa petite idée… loppement en avril 1978. Il s’agira de
la version N/AW  : Night/Adverse
prolongeant la nouvelle verrière.
Facile. La place arrière reçoit des com-
Weather. A l’issue d’un chantier de mandes de vol et un niveau de pro-
13 mois, l’appareil changé en biplace tection passive identique à celui de la
effectue son premier vol le 4 mai 1979. place avant. L’intérêt de l’avion ré-
La modification a été grandement fa- side bien évidemment dans la greffe
cilitée par le fait que Fairchild avait d’une avionique devant ouvrir en
24
La place arrière sur le biplace est pilote. Ce dernier est maître de l’uti-
installée au-dessus du tambour à lisation du canon tandis que la place
munitions. Sa position surélevée arrière garde principalement la main
augmente un peu plus encore la sur les munitions guidées. L’avion est
taille de l’avion qui est déjà consi- donc évalué entre 1979 et 1982, ac-
dérable. Le A-10 est un « gros cumulant un peu moins de 300 heures
avion », à la sauce américaine… de vol. Mais tel qu’il se présente, il ne
(Fairchild coll F. Dosreis) s’agit encore que d’un appareil de dé-
veloppement : Fairchild propose en
effet de mieux intégrer les équipe-
ments nouveaux, en plaçant le FLIR
et le radar dans les carénages de train,
la caméra BNL et le télémètre laser
dans le bord d’attaque de la voilure.
L’avionneur prépare également une
nouvelle verrière monobloc et ex-
plique pouvoir produire l’avion à par-
tir de 1983. Mais l’Air Force y renonce :
le développement de la technologie
et des automatismes, la miniaturisa-
tion et le gain en performances des
équipements de vision nocturne, tout
laisse à penser que les missions de nuit
seront bientôt à la portée des mono-
places. Ce que confirmera l’avenir…
Il est toutefois amusant de constater
que l’USAF passe tout de même com-
mande de trente biplaces en 1981.
Mais il ne s’agit alors que d’avions à
double commande, sans système de
mission particulier, destinés à la garde
nationale et aux unités de l’Air Force
Reserve. Cette commande est finale-
ment annulée en 1982, le Congrès
américain étant soucieux de montrer
qu’il fait faire des économies (de bouts
de chandelle…) au Pentagone pen-
dant que les programmes les plus coû-
teux continuent leur vie sans hiatus…
Dans la petite histoire du A-10
biplace, le plus intéressant vient non
pas de Fairchild ou de l’US Air Force,
mais de Hans Rudel, aviateur de lé-
gende, pilote le plus décoré de l’Al-
lemagne nazie et qui termina vivant
la Seconde Guerre mondiale, quoi-
qu’un peu allégé par la perte d’une
de ses jambes sur le front russe.
On a vu dans les pages précédentes
que Rudel avait joué involontaire-
ment un rôle central dans la défini-
tion du A-10. Invité à Washington en
1979 pour participer à un séminaire
grand les portes du combat de nuit en encore…) et d’une caméra TV à bas sur la lutte anti-char, il ne se priva pas
basse altitude et par tous les temps. niveau de lumière (BNL), installée de dire devant son auditoire améri-
Vaste programme ! le long du fuselage, à la place du Pave cain ce qu’il pensait de l’avion. Pen-
L’appareil reçoit notamment son Penny. Les images du FLIR, de la ca- dant la conférence, on lui posa la ques-
premier radar : un WX-50 de Westin- méra BNL et du radar peuvent se tion sur la présence d’un deuxième
ghouse, dérivé d’un radar météo. superposer sur la glace du HUD, face membre d’équipage sur le A-10 dans
L’équipement est monté dans une na- au pilote, mais c’est bien le deuxième le cadre de la mission d’appui-feu.
celle placée sous l’aile et il offre trois membre d’équipage en place arrière Qu’en pensait-il ?
modes de fonctionnement  : naviga- qui apporte toute la valeur ajoutée de Sa réponse d’ancien pilote de
tion, évitement de terrain et recherche l’appareil ainsi créé. Ju-87 fusa : « Ce deuxième homme ne
de mobiles au sol. Ce radar est com- Avec deux écrans à sa disposition, serait utile que dans le cas où il serait
plété par une autre nacelle empor- en charge de l’emploi de la centrale assis dos au pilote, en regardant der-
tant cette fois un FLIR (1) et un inertielle pour permettre une navi- rière l’avion pour surveiller le ciel. »
désignateur laser. Pour compléter le gation précise sans visibilité, il utilise Selon Rudel, Fairchild et l’Air Force
tout, l’appareil est équipé d’une cen- principalement le FLIR pour trouver avait d’ailleurs fait une erreur en ne
trale inertielle (le GPS n’existe pas les cibles et ensuite les désigner au donnant pas au A-10 ce deuxième
25
UN A-10 BIPLACE OUI, MAIS POURQUOI ET COMMENT ?

Le premier avion de développement a été converti en biplace. La présence d’un deuxième membre d’équipage devait permettre
les missions de nuit, mais le développement accéléré de l’optronique permit finalement de se passer de cette version.
(Fairchild coll F. Dosreis)

homme pour surveiller le ciel. Etait- est bien protégé des tirs venus du sol, veiller ses arrières. (…) Dès que vous
ce une simple réflexion d’un ancien mais ses principaux prédateurs sont regardez derrière pour vous couvrir,
du Stuka, dont l’horloge biologique en l’air, dans ses six heures… Or dans vous ne cherchez plus les chars,
se serait arrêtée sur l’Elbe en 1945 ? la mission d’appui-feu, pour trouver vous perdez le fil de la situation sous
Pas forcément, le point de vue d’Hans des chars et des véhicules bien ca- l’avion et il faut reprendre le travail
Rudel étant plus subtil qu’une simple mouflés, pour bien comprendre où à zéro. »
transposition de ce qu’il avait connu sont les amis et les cibles ennemies, Deuxième bonne raison avancée
quarante ans plus tôt sur un avion à il faut une attention pleine et entière par Hans Rudel : la vitesse.  « Si l’avion
la mission identique… du pilote. Et, pour obtenir et préser- a la possibilité d’aller vite, le pilote
« La surveillance du ciel n’est pas ver ce niveau d’attention, il ne faut pas cherchera invariablement à utiliser
un fantasme, expliqua Rudel. L’avion être distrait par l’obligation de sur- cette capacité pour limiter les risques
de se faire surprendre par un chasseur.
Consciemment ou pas, le pilote va
vouloir aller vite au détriment de sa
capacité de détection et d’analyse de
la situation au sol. La présence
d’un deuxième membre d’équipage
surveillant le ciel le libère de cette
contrainte : il sait qu’il ne peut pas être
surpris par un chasseur ennemi et va
donc pouvoir réduire sa vitesse pour
être plus efficace dans sa mission air-
sol. »
Hans Rudel enfonce d’ailleurs le
clou pendant la conférence en expli-
quant que, selon lui, le bénéfice ap-
porté par la présence de l’arme d’auto-
défense à l’arrière du Stuka était
inférieur à l’avantage qu’il y avait à
disposer d’une deuxième paire
d’yeux… D’autres questions furent
Maquette promotionnelle du biplace : l’avion grossit, s’alourdit et s’éloigne posées au pilote allemand sur la puis-
du « léger et manœuvrant » soutenu par Pierre Sprey... (Fairchild coll F. Dosreis) sance de feu et l’emploi du A-10. Selon
26
Le N/AW-A-10 a accumulé environ 300 heures de vol entre 1979
et 1982 pour tester l’attaque de nuit de précision. (Fairchild coll F. Dosreis)

Rudel, la puissance de feu et la quan-


tité de munitions emportées par le
A-10 faisaient que l’engagement
simultané dans une même zone de
deux avions, peut-être trois, était lar-
gement suffisant. Au-delà, les appa-
reils ne pouvaient que se gêner. Un
auditeur relança ensuite le pilote sur
la protection des avions dans le do-
maine air-air : puisqu’ils étaient mo-
noplace, sans personne pour surveiller
leurs 6 heures, comment fallait-il or-
ganiser leur défense contre la chasse
ennemie ? Selon Rudel, si des pilotes
de A-10 avaient l’expérience du com-
bat aérien, alors il fallait la mettre à
profit en confiant à des A-10 d’une
même unité la protection de leurs col-
lègues en train de travailler au ras du
sol. Quatre A-10 en couverture de
deux A-10 engagés dans l’appui-feu.
Mais Rudel n’en démordait pas : les
quatre avions ne seraient là que pour
compenser l’absence du deuxième
homme dans le A-10. En d’autres
termes, la présence d’un deuxième
membre d’équipage permettait à l’Air
Force de faire l’économie de plusieurs
avions de protection… ■

(1) Forward Looking Infra Red : imageur Pour Hans Rudel (à gauche), la présence d’un deuxième homme dans le poste
infrarouge. n’a de sens que si celui-ci est tourné vers l’arrière pour surveiller le ciel. (DR)
27
CHAPITRE 1

Le A-10 aurait pu être


un avion à hélice !
Le A-10 doit sa que l’AX doit avoir deux moteurs (1)
avec de bonnes performances STOL :
devait également équiper le Lock-
heed S-3 Viking de la Navy. Il s’agis-
silhouette à l’irrup- mises bout à bout, toutes ces
contraintes auraient débouché sur des
sait d’un moteur assez puissant pour
la vitesse demandée, économe en car-
tion du réacteur hélices de grande taille avec des burant et suffisamment compact pour
double flux sur groupes turbopropulseurs largement
écartés, avec, à la clef, des difficultés
être installé près de l’axe longitudi-
nal de l’avion et limiter ainsi la ques-
la scène militaire. de contrôle en cas de perte d’un mo-
teur. Northrop envisage bien d’ali-
tion de la dissymétrie de la puissance.
En revanche, l’absence de post-com-

Q
uand ils répondent à l’ap- gner dans le fuselage et l’un derrière bustion impliquait que le moteur soit
pel d’offres pour le pro- l’autre deux turbopropulseurs, mais assez puissant pour permettre un
gramme AX, les avion- les contraintes étaient encore pires : décollage à la masse maximale sans
neurs se trouvent placés alimentation en air, refroidissement, réchauffe, ce qui fut fait mais de façon
face à un dilemme : un des vulnérabilité, présence d’une seule assez marginale comme on le lira plus
défis est d’obtenir une endurance hélice et alourdissement de la trans- loin dans ce numéro…
équivalente ou même supérieure à mission de puissance... L’idée fut Avec son A-9, Northrop fait le
celle du Skyraider et les réacteurs rapidement abandonnée. choix de l’AVCO Lycoming ALF 502,
militaires ne sont alors pas des pa- Toutefois, pendant les quatre ans alias YF102 dans sa version militaire.
rangons d’autonomie. Les réacteurs qui s’écoulent entre les premières dis- Un moteur moins puissant de 15%,
double flux, qui apportent une cussions sur l’AX et le RFP final, les mais aussi plus léger de 23% et plus
consommation très maîtrisée et vont motoristes font d’immenses progrès compact. Les formes plus aérodyna-
révolutionner l’aviation commerciale, et développent une nouvelle généra- miques du YA-9 compensent large-
ne sont pas à leur aise dans les basses tion de réacteurs à double flux avec ment le déficit de puissance instal-
vitesses exigées pour la mission CAS. un fort taux de dilution. Les moteurs lée. ■
L’efficacité de la propulsion à qui apparaissent ainsi réconcilient
basse vitesse implique en effet de dé- le AX à réaction avec l’endurance de-
placer une grande masse d’air avec mandée. C’est la fin des questionne- (1) Pierre Sprey aurait voulu que l’AX
une accélération moindre. Pour cela ments ! soit un monomoteur pour limiter sa taille
et son coût. L’Air Force poussait quant à
l’hélice est bien la meilleure. Mais les Pour son YA-10, Fairchild fit le elle en faveur d’un bimoteur pour la survi-
exigences de survivabilité impliquent choix du General Electric TF34 qui vabilité et elle obtint gain de cause.

Le TF34 de General Electric aura eu une carrière militaire honorable, motorisant le A-10
de l’Air Force et le S-3 Viking de la Navy. Deux avions innovants et très réussis. (Fairchild)

28
Qui a dit que le A-10 avait été dessiné par les studios Disney ? Il est vrai que la présence
des oreilles de Mickey, une première en aéronautique, est troublante… (Fairchild)

Dégâts minimums après cet atterrissage train rentré. Les réacteurs, bien à l’abri en hauteur, sont intacts.
Tout comme la voilure et le fuselage. Il faudra juste remplacer les saumons des empennages verticaux. (Fairchild)

29
CHAPITRE 1

Un Français sur A-10

Dario était pilote de Mirage F1 puis de


Mirage 2000D dans l’armée de l’Air. En 2012,
il est parti comme officier d’échange aux
Etats-Unis dans un escadron de A-10.
Voici son témoignage.
Comment s’est décidé autre pilote français qui avait été le nistan et c’est là-bas que j’ai appris la
cet échange ? premier pilote en échange sur A-10 bonne nouvelle : j’étais sélectionné et
et terminait un tour de trois ans sur on m’attendait au sein du 75th Figh-
« En 2012 j’étais alors capitaine, A-10. J’ai répondu à la demande parce ter Squadron « Tigershark » basé à
chef de patrouille avec la qualifica- que le A-10 m’intéressait tout autant Moody AFB (Georgie) pour y
tion OTAN Mission Commander. qu’un séjour aux Etats-Unis. J’ai prendre la suite de Shreck.
J’avais commencé ma carrière sur Mi- grandi à l’étranger et j’ai toujours été
rage F1CR puis, après un intermède intéressé par les autres cultures, les Comment s’est passée
comme JTAC de 2008 à 2010, j’étais échanges… D’un point de vue opé-
passé sur Mirage 2000D. J’avais été rationnel, j’avais fait le tour de la ques- la formation ?
déployé en Afghanistan trois fois, tion en France avec toutes les quali- J’ai commencé ma formation à
deux fois à Kandahar comme pilote fications possibles et plusieurs Davis Monthan par un bon mois de
et une fois à Kaboul comme JTAC. « détachements ». J’avais envie de voir théorie au sol : les systèmes de l’avion,
En 2011, il y a eu un appel à candi- autre chose… Je suis parti en 2011 son avionique, l‘armement... Ensuite
dature pour remplacer « Shreck », un pour mon troisième tour en Afgha- est venue la phase sur simulateur, avec
30
Le souvenir le plus marquant
d’un pilote de A-10 ? Sans
doute son premier tir au
canon et les vibrations qui
vont avec ... « La première
fois que j’ai tiré, j’ai cru
que j’avais cassé l’avion »,
raconte Dario… (USAF)

l’apprentissage de la « boutonique » serrée. Le système de formation de rien d’autre que l’Air Force et ne
et des procédures d’urgence. Le si- l’US Air Force est en fait calqué sur connaissaient pas le Mirage F1, en-
mulateur était composé d’une cabine celui de l’aviation civile, contraire- core moins le Mirage 2000D. Ils pen-
fixe reproduisant exactement le cock- ment en France où l’on vole constam- saient que j’étais un expert en « Air
pit du A-10, avec une image sur 180° ment sous dérogation. Outre-Atlan- Defense  ». J’ai essayé d’expliquer
de large et 60° de haut. Je suis ensuite tique, tout passe par l’obtention d’une que non, puis j’ai très vite renoncé.
parti vers l’escadron de transforma- qualification de type puis de diffé- J’ai fini par leur dire « oui », ça ar-
tion, le 358th FS basé à Tucson (Ari- rentes « cartes ».Après trois semaines rangeait tout le monde…
zona). En l’absence de biplace, le pre- consacrées à l’obtention de ces diffé-
mier vol est un vol de lâcher. Il est rents sésames, on commence la phase Quel est ton premier
suivi par trois vols aux instruments opérationnelle.
pour obtenir la carte IFR, avec des Lorsque l’on me demandait ce que souvenir du A-10 ?
navigations vers Davis Monthan en savaient mes collègues américains sur Quand on vient du Mirage, ou
suivant des routes IFR. On en profi- l’armée de l’Air, je répondais : Très d’autres avions d’ailleurs, on ne peut
tait pour faire un peu de patrouille peu de chose ! Ils ne s’intéressaient à être que surpris par la taille de l’avion.
31
UN FRANÇAIS SUR A-10

A côté du A-10, le F-16 paraît tent simultanément sur le cercle, à 90° contrôler parce qu’il demande une
d’ailleurs minuscule. Je me souviens les uns des autres, ce qui donne un tir finesse de pilotage extrême alors
très bien qu’en montant à bord, je me toutes les 30 secondes sur l’objectif. même que les actions aux commandes
disais que s’il fallait que je saute du sont difficiles à doser. Poser l’avion
cockpit pour une évacuation d’ur- Un reproche couramment ainsi, c’est pratiquement « missile im-
gence, j’avais toutes les chances de me possible »…
casser une jambe… Une fois installé entendu à propos du
dans le poste, j’appréciais la place dis- A-10 concerne son système Sa motorisation
ponible  ! En venant du Mirage F1,
c’était le jour et la nuit ! de commande de vol de est insuffisante.
secours, très compliqué Qu’en est-il réellement ?
Et les premières à utiliser… Tant que l’avion n’est pas chargé,
impressions de vol ? Oui je confirme. Le A-10 n’est bien on ne sent pas la sous motorisation.
En vol par contre, le A-10 fait re- entendu pas un avion à commandes Mais dès qu’on commence à accro-
gretter le F-1 ! C’est un avion avec de vol électriques. Le manche et le cher des trucs sous les ailes, alors tout
une aile bien droite et on comprend palonnier sont reliés aux gouvernes change. Et il est rare que l’on parte à
tout de suite qu’il n’est fait ni pour la par des câbles et des poulies, des vide : en entraînement on avait tou-
vitesse, ni pour les accélérations ful- servocommandes à commande jours a minima le Pave Peny (2), au
gurantes ! On ne monte pas très vite, hydraulique permettant ensuite de moins un missile Maverick, des
on ne descend pas très rapidement démultiplier la force du pilote et de bombes d’exercice plus les obus pour
non plus, on est à 250 kt en croisière manœuvrer les surfaces mobiles. C’est le canon… Parfois même on partait
(1) et on n’en bouge pas : l’avion ne très similaire finalement au Mirage avec des configurations plus lourdes,
sait pas trop voler autrement de 2 000 F1 qui est un avion de la même gé- avec des bombes de 250 ou 1 000 kg.
à 15 000 ft. En phase d’attaque on peut nération. En cas de perte du système On se rendait alors bien compte que
monter à 350 kt et un peu au-delà… hydraulique utilisé par les servo- l’avion, pour une masse au décollage
Mais le A-10 est très impressionnant commandes, le pilote passe en « ma- de 22 tonnes, partageait la motorisa-
par sa capacité à voler très bas et pas nual reversion  »  : il prend alors le tion du CRJ200 !
très vite, ce qui est finalement une contrôle direct des gouvernes avec
qualité essentielle pour sa mission. une action directe sur les câbles, mais Comment se gère la panne
Il est aussi très manœuvrant : un 360° sans assistance hydraulique. C’est un
se fait avec un rayon de virage de système de secours simple de concep- moteur à 22 tonnes ?
2000 ft en tirant 4G. L’USAF en a dé- tion mais compliqué à utiliser. Les ca- On s’entraînait régulièrement en
duit un concept d’emploi aussi simple pacités de manœuvre sont très limi- simulateur au « V1 cut » : la coupure
qu’efficace : quatre A-10 qui se met- tées, l’avion devient très difficile à d’un moteur à la V1, quand il faut

Dario, troisième en partant de la gauche, en compagnie de collègues américains et d’un pilote italien,
également en échange (à droite). (coll Dario)
32
poursuivre le décollage quoi qu’il Comment se passe jectoire, l’avion est figé dans ses élé-
arrive. En réel on ne le faisait par ments. Et si on continue à appuyer
contre jamais, c’était trop délicat à le tir dans le cockpit ? avec un peu plus de force, le canon se
gérer. A 22 tonnes sur un moteur, On m’avait pourtant prévenu met en route. Un peu comme sur un
on a un vario tout juste positif de avant mon premier tir avec le appareil photo : une première pres-
150 ft/minute. Autant dire qu’avec GAU-8 . On m’avait dit : « Tu verras, sion met en route l’autofocus et, si
une telle panne à Bagram (Afgha- ça va pas mal vibrer dans l’avion ». on poursuit, la photo est prise.
nistan), avec l’altitude et la chaleur, Mais quand effectivement j’ai appuyé
ça se termine très vite dans la mon- sur la détente pour la première fois Outre le canon, à quels
tagne. La procédure dans ce cas-là et que les obus ont commencé à par-
est de larguer immédiatement tout tir, j’ai cru que j’avais cassé l’avion et autres armements
ce qu’on traîne sous la voilure. On j’ai tout de suite arrêté mon tir ! Pour as-tu eu recours ?
s’entraînait également aux atterris- ma première passe, je n’ai lâché
sages en monomoteur. que 18 obus  ! Le tir en A-10, c’est J’ai pu tirer une très large gamme
Ce qui fait la réputation du A-10, l’apocalypse au sol… mais aussi dans de munitions pendant mon entraîne-
c’est bien entendu son canon. Pour le cockpit. Les obus filent au rythme ment, les Américains ne sont pas re-
les entraînements, l’allocation an- de soixante par seconde et ça vibre gardants de ce côté-là ! Beaucoup de
nuelle était de 20 000 obus par pilote ! tellement qu’on ne peut plus lire l’ins- bombes Mk 82 de 250 kg, des Mk 84
Quand on vient de l’armée de l’Air, trumentation. Le bruit entre dans le d’une tonne pour les bombes lisses,
cela semble incroyable (3) ! 20 000 casque et l’odeur de la poudre passe des GBU-12 (que j’avais déjà tirés en
obus par pilote, cela fait 400 000 pour aussi dans le groin. Les passes de tir, opération avec l’armée de l’Air), des
l’escadron. Et si on compte neuf alias «  combat burst  », font un peu GBU-38 et GBU-24 pour les bombes
escadrons de A-10, on est au-delà des moins de deux secondes, donc de guidées… Pour ce qui est des missiles,
trois millions d’obus de 30 mm pour 100 à 120 obus à chaque fois. Avec j’ai tiré des Maverick, à guidage op-
le seul entraînement de la commu- 1150 obus en soute, on peut enchaî- tique, infrarouge ou laser et de 175 ou
nauté A-10 ! ner une dizaine de passes de tir. 350 pds. Le Maverick, c’est un peu
Oui, et ce qui est encore mieux, comme une GBU-12 propulsée : c’est
c’est que l’allocation pour les esca- Et malgré les vibrations, précis mais avec une portée limitée,
drons est fixe, que les pilotes soient ça se tire à deux nautiques environ.
présents ou pas. En d’autres termes, le tir est-il précis ? Plus léger que la bombe, le missile
il est facile de tirer plus que sa propre Oui, notamment parce que la dé- était employé principalement comme
allocation de 20 000 obus. Au cours tente sur le manche comporte deux une arme anti-véhicule. Nous avions
de mes trois ans de présence, j’ai dû crans : quand on commence à appuyer également les roquettes mais qui
tirer entre 30 et 32 000 obus par an en dessus, on rencontre un premier cran n’étaient pas guidées quand j’y étais.
moyenne ! qui stabilise automatiquement la tra- Nous utilisions couramment les

Départ en vol pour le Frenchie : en venant du Mirage 2000D, le changement est marqué ! Le pilote français découvre
aussi avec l’US Air Force les allocations pratiquement sans limite en munitions d’exercices… (coll Dario)
33
UN FRANÇAIS SUR A-10

En vol d’entraînement avec le 75th Fighter Squadron. Une expérience unique dans la carrière d’un pilote,
même si elle s’est terminée pour Dario sur une note amère… (coll Dario)

« white phosphorous », alias « Willy est que ces JVN pèsent aussi deux fois
Pete », pour marquer les objectifs, soit plus lourd, et là ça commence à bien
dans le cadre de la mission « airborne tirer sur les cervicales. Une différence
FAC » pour indiquer un objectif aux majeure avec la pratique française est
autres avions, soit dans celui du dia- qu’aux Etats-Unis, les pilotes gardent
logue avec un JTAC au sol, pour vé- les JVN devant les yeux y compris
rifier que l’on parlait bien de la même pour les décollages, atterrissages et le
chose. ravitaillement en vol, notamment pen-
dant la phase de contact.
Et comment cela
se passe-t-il de nuit ? Quelle était la capacité
Le A-10 est équipé de fusées éclai- du A-10 en air-air ?
rantes LUU-19 très puissantes et qui Les A-10 emportent toujours un
Autoportrait en vol. Dario ne porte pas fonctionnent dans le proche infra- ou deux AIM-9M pour leur auto-
le viseur de casque HMCS qui représente rouge. Les fusées sont emportées sous défense : le missile nous dit simple-
un atout considérable pour la mission CAS. l’aile dans un pod qui peut en conte- ment s’il est accroché sur la cible ou
(coll Dario) nir sept : elles sont éjectées une à une pas avec son autodirecteur. Mais pour
par l’arrière du tube et elles brûlent la distance, comme l’avion n’est pas
pendant sept minutes en descendant équipé de radar, c’est au jugé. La por-
vers le sol sous un parachute. A tée du missile est à peu près égale à
5000 ft, une fusée éclaire sur un rayon celle du canon. On nous disait qu’en
d’environ trois kilomètres. Une pa- cas de menace aérienne, il fallait tirer
trouille de deux avions peut ainsi tirer le missile quand il était accroché avec
14 charges, ce qui offre plus d’une son autodirecteur, sans se poser de
heure et demie de pleine lumière au- question : « Si ça sonne, tu tires, il ira
dessus d’une zone de combat. Une bien taper quelque chose… » Globa-
autre possibilité est de tirer une « willy lement les pilotes de A-10 n’étaient
pete » qui va brûler au sol après son pas intéressés par la mission air-air,
impact et illuminer autour d’elle pen- ce n’était pas leur truc. Ils ne connais-
dant quelques minutes. saient rien, ils n’auraient jamais cher-
ché à travailler dans le plan vertical
Je suppose que les JVN en cas d’interception. De toutes
façons avec le A-10…
étaient d’un emploi
courant… Comment se présente
Oui bien entendu, et nous avions le cockpit du A-10C ?
d’ailleurs le choix entre les modèles Sur le A-10C, dont l’avionique est
classiques à deux tubes, ou bien ceux moderne, le pilote fait face à deux
à quatre tubes. Avec quatre tubes, on écrans multifonction en couleurs
L’insigne du 75th FS avec son requin tigre double le champ de vision qui passe (MFCD). Celui de gauche accueille
à voilure delta ! (coll Dario) de 45° à 90° environ. L’inconvénient la cartographie numérique. Toutes
34
les échelles sont disponibles : on peut
zoomer et dézoomer très facilement
sans lâcher les commandes de vol de-
puis la carte au 1/5.000.000 jusqu’à
la photo satellite avec une précision
métrique. Mais celle-ci prend de la
mémoire et donc en général on ne
chargeait que les images des zones
d’entraînement. En Afghanistan,
cette cartographie très précise, très
facile d’emploi, continue de rendre
d’immenses services. L’écran de
droite permet d’afficher l’image du
pod. Au début nous pouvions en uti-
liser deux différents : le Sniper XS et
le Litening 4SE. Finalement les Sni-
per ont été donnés à la garde natio-
nale et nous n’avons gardé que les
Litening, mais les deux étaient ex-
cellents. Pour moi qui avais connu le
PDLCT-S du Mirage 2000D, c’est
comme si je passais de la télé catho-
dique noir et blanc à l’écran plat
ultra-large en HD ! Le Litening of-
frant en outre tous les modes de dé-
tection laser, la nacelle Pave Peny
n’avait plus d’intérêt et on ne s’en
servait pas… Les Pave Peny étaient
en place à mon arrivée en juin 2012,
mais six mois plus tard ils étaient dé-
montés.

Le viseur de casque
était-il également utilisé
systématiquement ?
Oui, c’est un outil essentiel pour
les pilotes de A-10. Le Helmet Moun-
ted Cueing System (HMCS) est fixé L’ailier vu à travers le pod dont l’image (dans la gamme infrarouge) s’affiche sur un
sur le casque et projette des infor- écran en cabine. Un outil essentiel pour le combat air sol, mais qui ne remplacera
mations sur un réticule placé devant jamais une vue acérée et une bonne paire de jumelles stabilisées ! (coll Dario)
l’œil droit. Le HMCS marche très bien
et présente deux avantages : il donne Epilogue lise mal en France le niveau d’exper-
plus d’informations que l’affichage En 2013, le 75th FS fait ses bagages tise exigé par les Américains pour cette
tête haute et bien entendu il est placé pour partir en Afghanistan, sur la base mission. Et tout ça pour rien ! Le reste
en permanence devant le regard, quels de Kandahar. Dario est bien entendu de mon séjour, 18 mois tout de même,
que soient les mouvements de la tête. prévu pour suivre le mouvement, s’est transformé en échange culturel.
Mieux encore, il est directement relié comme l’a fait avant lui Shreck lors J’étais vu comme un boulet, je n’étais
au pod : sur le réticule, un symbole d’un déploiement précédent. Mais plus mis dans le coup pour les exer-
nous dit où regarde le pod. Il est donc la France est en train de se retirer du cices les plus intéressants. Cela reste
très simple de faire la corrélation entre pays, ou du moins d’arrêter ses opé- encore aujourd’hui un mauvais sou-
ce que nous montre le pod sur le rations de combat. Le pilote doit-il venir… »
MFCD et l’environnement extérieur partir ou pas faire le coup de feu avec Dario quitte l’armée de l’Air en
que l’on observe à l’œil nu. Inverse- son escadron ? Dario fait tout son 2015. Il est depuis copilote sur Boeing
ment, le pod peut être asservi au possible pour arracher la décision, 747-8F de Cathay Pacific. Il est installé
HMCS : il suffit alors de suivre du re- mais, trois semaines avant le départ à Hong Kong avec sa femme et ses trois
gard un target, par exemple un véhi- prévu, le couperet tombe : il ne par- enfants. Chacun des quatre GEnx qui
cule qui roule, pour que le pod reste tira pas. La décision a été prise en haut poussent son avion développe prati-
centré sur lui et que son image s’af- lieu. quement la puissance de quatre A-10 !
fiche sur le MFCD, avec le niveau de « Pour moi la déception était im- Et ça ne lui déplaît pas… ■
grossissement souhaité. C’est infini- mense. Pour les Américains, le bilan
ment plus simple et efficace que de était encore plus négatif : ils avaient
1 Ce qui est aussi la vitesse d’un drone
manipuler le pod à la main en contrô- formé un pilote français, ils l’avaient MQ-9 Reaper.
lant l’image sur l’écran. En fait le vi- intégré dans leur escadron, ils avaient 2 Un écartomètre laser dont l’emploi
seur de casque permet au pilote seul fait de moi un « Sandy », un pilote qua- a cessé fin 2012.
de faire aussi bien que dans un équi- lifié pour les missions de Combat SAR, 3 Pour donner un ordre d’idée, un
escadron complet de Mirage 2000-5F va
page à deux comme sur le Mirage ce qui est une véritable qualification consommer environ 30 000 obus pendant
2000D. » très poussée aux Etats-Unis. On réa- sa campagne de tir annuelle.

35
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Crédit photo : AFFTCHO


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CHAPITRE 2

Des choix techniques


audacieux et décisifs
38
Il fallait oser, au début des
années 1970, dessiner un avion
dont le train d’atterrissage ne
s’escamotait que partiellement !
Accessoirement, cette concep-
tion permet tout de même
de poser l’avion sur ses roues
même quand le train reste ren-
tré, limitant ainsi les dégâts à
la structure. (Lockheed Martin)

Un empennage double, un train qui se replie dans


des carénages dépassant du bord d’attaque de l’aile et
un fuselage très long, très étroit et très haut... Le A-10
a toute l’apparence de l’adolescent qui a grandi trop
vite… Mais cette allure non conventionnelle s’appuie
sur des raisonnements audacieux et innovants.
39
DES CHOIX TECHNIQUES AUDACIEUX ET DÉCISIFS

a première fois que l’avion. Sa forme traduit un désinté- lide, synonymes de bonnes perfor-

«L j’ai vu le premier
YA-10 terminé, sur
son train d’atterris-
sage, j’ai été horrifié
par sa taille, raconte Pierre Sprey.
J’étais pourtant familier du pro-
gramme, mais les dimensions de
rêt pour les vitesses élevées : elle est
taillée pour une vitesse maximale de
Mach 0,7, et encore sans nécessité de
manœuvrer à cette allure : il est en-
tendu que la mission CAS se fait à
une vitesse plus faible avec un rayon
de virage très réduit pour échapper à
mances au décollage et à l’atterris-
sage. Très profonds, ces volets n’ont
pas besoin d’être larges, ce qui laisse
de la place sur la voilure, très longue
rappelons-le, pour des ailerons bien
dimensionnés eux aussi. La manœu-
vrabilité est donc excellente, même à
l’avion m’ont sauté au visage. Il était une menace ou bien renouveler rapi- basse vitesse. On est donc dans un
terriblement imposant, de la taille d’un dement une passe de tir sur un ob- cercle vertueux. La seule fantaisie que
bombardier, ce qui allait une fois de jectif. Le choix d’une envergure im- s’accorde Fairchild dans la concep-
plus contre l’idée de la maniabilité et portante, avec une faible charge alaire, tion de la voilure porte d’ailleurs sur
de l’économie d’emploi que pouvait permet de diminuer la traînée induite les ailerons. Ceux-ci sont faits de l’as-
apporter un appareil plus petit, une dans les manœuvres serrées, avec semblage de deux panneaux dans le
idée que j’avais toujours privilégiée... » comme corollaire un besoin de puis- plan horizontal : jointifs, ils agissent
sance réduite à manœuvrabilité égale. donc comme des ailerons. Mais
1. Une voilure simple Le A-10 est pour cela l’antithèse en se séparant ils font office d’aéro-
d’avions comme le Mirage F1 ou freins, permettant à l’avion de faire
et efficace – pire – le F-104, dont les ailes courtes l’économie de surfaces supplémen-
Pour Fairchild, le choix de la taille et ramassées sont taillées pour filer taires.
est directement dicté par la capacité en ligne droite à grande vitesse. L’aile Le choix d’une voilure basse per-
d’emport exigée par l’USAF et cal- épaisse du A-10 permet en outre de met en outre d’ajouter des points
quée sur celle du Skyraider. « L’USAF construire plus léger : l’épaisseur au- d’emport en son centre, là où est posé
a demandé que l’avion soit équipé de torise en effet l’installation de lon- le fuselage. Elle se traduit aussi par
dix points d’emport, ce qui a été une gerons plus solides mais moins nom- l’utilisation d’un train d’atterrissage
erreur débouchant sur un avion trop breux qu’une voilure fine. Autre de conception très simple, avec une
imposant », insiste Pierre Sprey. La avantage de l’épaisseur, la possibilité voie suffisamment large pour donner
dimension de la voilure est également d’installer des volets Fowler de grande une excellente stabilité à l’atterris-
une caractéristique essentielle de surface, de fabrication simple et so- sage. Le train est imposant ce qui hisse
40
l’avion à bonne hauteur : les armu-
riers travaillent facilement sur les em-
ports. Revers de la médaille, le reste
de l’appareil est très haut, hors de por-
tée sans plateforme, avec une médaille
particulière pour les moteurs perchés Le A-10 est l’un des rares avions
à plus de 3 m du sol. de combat dont la conception n’a
pas été soumise à des impératifs
de vitesse. La puissance de feu,
2. L’installation la précision du tir, la protection
non conventionnelle du pilote, la survivabilité de
l’avion et sa manœuvrabilité près
des moteurs du sol ont été les éléments déter-
minants, avec pour conséquence
L’US Air Force exige que les deux une conception parfois baroque,
moteurs ne puissent pas être mis hors mais toujours ingénieuse.
de combat simultanément par un seul
En haut : les ailerons «crocodiles».
tir. Ils sont donc bien séparés physi-
quement et leur position, innovante Ci-dessus et ci-contre : le canon
pour un avion de combat (mais fina- « Avenger ». (USAF, Frédéric Lert)
lement classique sur les avions d’af-
faire et quelques avions de ligne…),
est porteuse de nombreux avantages
tant qu’une vitesse élevée n’est pas
recherchée. A noter que Fairchild
avait également étudié l’installation
des moteurs en pylône sur l’aile,
comme sur le VFW614 allemand ou
le Hondajet japonais. La solution fut
abandonnée en raison notamment des
41
DES CHOIX TECHNIQUES AUDACIEUX ET DÉCISIFS

difficultés posées par un changement bureaux d’études. Si les moteurs de- sans risque. Avec ce bémol toutefois
moteur. Le principal intérêt du posi- vaient être sur les ailes, le carburant que, perchés en hauteur, la moindre
tionnement des TF34 est de les éloi- devait se trouver dans le fuselage. Et intervention des motoristes demande
gner des réservoirs de carburant. vice versa… Et les bureaux d’études l’emploi d’une plateforme ou d’un
« Après avoir passé en revue quan- ont tempêté autant qu’ils ont pu contre échafaudage. Un avantage majeur de
tité de publications sur le combat air- cette exigence, parce que cette ségré- leur position élevée est lié aux opé-
sol, je me suis aperçu qu’entre 80 et gation des moteurs et du carburant al- rations sur les terrains sommaires : les
90% des pertes étaient dues à la perte lait se traduire immanquablement par moteurs à double flux ont la réputa-
de contrôle de l’avion ou à son em- un plus grand volume de fuselage, et tion de faire d’excellents aspirateurs,
brasement suite à des tirs venus du sol, donc de la traînée supplémentaire. mais placés comme ils le sont, les TF34
explique Pierre Sprey. Des centaines Mais nous étions inflexibles, nous ne du A-10 ne risquent rien. Les moteurs
de bons pilotes ont été perdues par la voulions pas faire de compromis sur sont également très éloignés des gaz
faute d’une mauvaise conception des cette question qui était centrale dans de combustion du canon (ce qui n’a
avions. Les blessures du pilote comp- la recherche de survivabilité. » pas empêché toutefois quelques
taient en fait pour très peu dans les En sortant les moteurs du fuse- extinctions en vol pendant la mise au
pertes… Nous avons déduit de cette si- lage, Fairchild gagne également de la point… Le problème a été résolu avec
tuation deux exigences : la protection place pour les points d’emport et fa- une meilleure dispersion des gaz en
des commandes de vol et l’éloignement cilite le travail du personnel technique sortie du canon).
des réservoirs de carburant des mo- qui peut intervenir sur l’avion mo- D’un point de vue aérodyna-
teurs. Et c’est bien ce dernier point qui teurs tournants (réarmement, avi- mique, la position très reculée des mo-
a donné le plus de fil à retordre aux taillement, intervention technique…) teurs pourrait induire un cabrage trop
42
Le A-10 est conçu pour se masse peut varier de près de 500 kg
poser sur des terrains non quand les munitions sont tirées (les
préparés. Le placement douilles ne sont pas éjectées et sont
haut des réacteurs est récupérées dans le tambour). La force
un atout essentiel pour du recul est telle pendant le tir (plus
les opérations à partir de de quatre tonnes exercées sur l’avion)
telles surfaces. (USAF) qu’une condition sine qua non de pré-
cision est de placer précisément le
tube qui tire (sur les sept que compte
l’arme) sur l’axe longitudinal de
l’avion. Tout écart introduirait un
mouvement de lacet au moment du
tir et réduirait à néant la précision.
Pendant qu’un tube tire, les six autres
sont chargés à tour de rôle, ce qui per-
met d’atteindre la très haute cadence
de tir (4 200 coups par minute).

4. Le positionnement
des atterrisseurs
Le train d’atterrissage (principal
et roulette de nez) se replie vers
l’avant, en avant du longeron princi-
pal de l’aile : un positionnement qui
permet de préserver l’intégrité de la
voilure, d’une seule pièce d’un sau-
mon à l’autre. C’est aussi une instal-
lation très simple qui a l’avantage de
prendre très peu de place sous l’aile,
au contraire d’un train qui se replie-
rait à plat. Mécanismes et cinéma-
tiques sont également simplifiés et le
seul prix à payer est la présence d’un
carénage proéminent pour le train
principal. Mais encore une fois l’aé-
rodynamique n’est pas un souci ma-
jeur sur le A-10 qui ne recherche pas
une vitesse élevée. En cas de problème
hydraulique, le train peut facilement
être descendu et verrouillé par le
simple effet de son poids et du vent
relatif. Comme sur le DC3 ou le B-17,
le train principal dépasse légèrement
de son logement une fois rentré : s’il
ne devait pas sortir, il permettrait tout
de même à l’avion, une fois toutes les
charges externes larguées, de se poser
important de l’avion dans certaines l’écoulement de l’air autour des deux sur ses roues en réduisant ainsi les
configurations. Pour contrer cet effet, moteurs. Mais l’avion gagne au pas- dégâts. Malin !
les tuyères des réacteurs sont tour- sage une sécurité largement accrue :
nées de 9° vers le haut. Un autre in- d’abord parce que les flux moteurs 5. Une obsession :
convénient majeur est mis en évidence sont largement masqués ce qui pro-
avec les premiers vols du YA-10 : une tège l’avion contre les missiles à gui- la survivabilité
prise excessive d’incidence perturbe dage infrarouge tirés du sol. Ensuite La conception du A-10 a été gui-
le flux d’air et conduit à un décro- parce que la redondance des gou- dée par deux principes simples : l’ef-
chage du compresseur. Le remède fut vernes est aussi un gage de surviva- ficacité au combat et la protection du
vite trouvé avec l’installation de becs bilité accrue. L’avion reste parfaite- pilote. Peu importe alors son appa-
sur la portion de voilure entre le fu- ment pilotable si l’une des deux rence : il n’est pas là pour aller vite ni
selage et les nacelles du train et l’ajout gouvernes est détruite. gagner un concours de beauté. Pen-
de deux cloisons fixes, à la jonction dant la phase de conception, un tra-
du fuselage et du bord d’attaque de 3. L’installation du canon  vail essentiel d’Avery Kay et Pierre
l’aile et contre la nacelle du train. Sprey a donc porté sur la survivabi-
Enfin, le choix de la double dérive Le tambour à munitions (suffi- lité. Si le futur A-X doit évoluer long-
découle directement de l’installation samment blindé pour éviter la mise à temps à basse altitude, il doit être taillé
de la motorisation. Fairchild a feu accidentelle des munitions par un pour encaisser des coups, protéger son
opté pour cette (relative) complexité coup au but…) est reculé de manière pilote et le ramener à sa base. La pro-
aérodynamique, craignant qu’une à être le plus proche possible du centre tection directe du pilote est assurée
dérive simple soit perturbée par de gravité. En cours de mission, sa par un blindage complet du cockpit
43
DES CHOIX TECHNIQUES AUDACIEUX ET DÉCISIFS

en titane à l’extérieur, tapissé sur la tour de l’avion. Au Vietnam et dans fusil : les deux circuits hydrauliques
face intérieure de Nylon balistique les guerres du Moyen-Orient, 62% cheminaient côte à côte dans l’avion
pour retenir les éclats de titane pou- des pertes en vol ont été dues à un im- et pouvaient être coupés simultané-
vant être arrachés par un impact. On pact dans le système carburant et/ou ment ! Une hérésie !
emploie volontiers dans la littérature hydraulique et 18% seulement sur le Sur le A-10, les deux réseaux in-
l’image d’une « baignoire » blindée pilote. dépendants de commande par câbles
dans laquelle serait installé le pilote. « Nous voulions par exemple, pour sont donc largement séparés, instal-
Les tests ont montré que cette coque, le A-X, deux réseaux totalement indé- lés de part et d’autre du fuselage. Ils
dont l’épaisseur varie de 12,7 mm à pendants de commandes par câbles passent dans des gaines blindées qui
38,1 mm, pouvait résister à des im- vers les actionneurs positionnés au ni- accueillent également les systèmes
pacts directs de 37 mm et 23 mm. Les veau des gouvernes, poursuit Pierre hydrauliques et pneumatiques. En cas
parois de la coque forment directe- Sprey. Pour limiter les risques d’in- de perte d’un réseau, le pilote passe
ment les parois de la partie supérieure cendie, nous ne souhaitions pas de immédiatement sur l’autre. Et, si les
du fuselage au niveau du cockpit. La commandes de vol hydrauliques. servocommandes lâchent, l’avion
«  baignoire  » en titane pèse donc Toutes les surfaces mobiles devaient reste contrôlable par une action di-
544 kg. Un sérieux atout pour le pi- être dupliquées pour que l’avion puisse recte des câbles. Ce système de se-
lote, mais peut-être pas le premier. rester pilotable même s’il perdait une cours fonctionne, plusieurs avions ont
Car, pour Pierre Sprey, l’essentiel de partie de ses gouvernes et nous pre- été ramenés au combat en l’utilisant.
le survivabilité de l’avion tient dans nions garde à ne pas demander de tech- Mais il est, selon Pierre Sprey, mal
la redondance des circuits, leur écar- nologies innovantes et coûteuses pour conçu. « C’est un défaut de l’avion. On
tement, la séparation entre les réser- maîtriser le coût du programme. » Le sait faire depuis 1935 des appareils
voirs de carburant et les moteurs et F-105 avait malheureusement fait la énormes avec gouvernes commandés
finalement dans quantité d’autres démonstration que, malgré tous ses par câble, s’étonne notre interlocu-
choix techniques plus importants que raffinements et sa puissance, il pou- teur. Apparemment le savoir-faire
la mise en place d’une carapace au- vait être abattu d’une simple balle de a été perdu au fil des ans… Les com-

C’est que ça mange un doberman ! Il faut un équipement imposant pour permettre le rechargement en munitions
du A-10 dans des délais raisonnables ! (USAF)

44
mandes de secours étaient très dures téger le carburant embarqué impli- met des moteurs) pour être protégées
sur les premiers exemplaires, puis elles quait également de renoncer à l’uti- des tirs venus du sol. On trouve éga-
ont été améliorées. Mais il n’y a ob- lisation de réservoirs structuraux per- lement du carburant dans les sections
jectivement aucune raison que les com- mettant d’utiliser les moindres internes des ailes, du fuselage jusqu’au
mandes soient plus dures que sur le recoins d’une cellule. Les réservoirs train d’atterrissage mais il s’agit là en
Boeing 707 ou sur le système de se- principaux du A-10 sont placés à la revanche de réservoirs structuraux.
cours du F-4 Phantom II ! » jonction du fuselage avec la voilure, Le regroupement des réservoirs au-
depuis le tambour à munitions jus- tour du centre de gravité permet de
6. Le carburant, l’objet qu’au niveau de la soufflante des ré- réduire la longueur des lignes d’ali-
acteurs. Ils sont auto-obturants, pro- mentation des moteurs, facilite la com-
de toutes les attentions tégés de l’extérieur par des cloisons pensation de l’avion et les évolutions
La recherche d’une autonomie pare-feux et des panneaux rigides serrées à basse altitude.
maximale au combat était aussi la de mousse venant combler les fuites La longue ligne de carburant qui
clef du succès de l’avion. Le A-10 em- en cas de percement. Une solution court depuis l’avant du fuselage et
porte 10 700 lb en interne (4 853 kg). connue de longue date mais oubliée le réceptacle de ravitaillement en vol
Il a aussi la possibilité d’avoir quatre sur les avions de combat modernes jusqu’aux réservoirs est purgée de
bidons pour les vols de convoyage uni- parce que trop consommatrice en vo- tout carburant restant après chaque
quement, deux sous le fuselage et deux lume. Le fuselage étroit et haut per- opération de ravitaillement. Enfin, les
sous les ailes de 6 000 lb (2 271 kg) met de loger des réservoirs imposants deux nourrices, positionnées au plus
chacun. Hors de question de trans- tout en limitant la surface exposée près des moteurs, fournissent une au-
porter au combat des réservoirs sup- aux tirs venus du sol. De la même ma- tonomie d’un peu plus de 300 km en
plémentaires, sources de vulnérabi- nière, les lignes de carburant et toute vitesse économique. De quoi voir
lité face aux tirs venus du sol et aussi la plomberie associée sont installées venir si tout le reste du circuit des ré-
facteur limitatif dans les évolutions à l’intérieur même des réservoirs ou servoirs devait être mis hors service
en basse altitude. La nécessité de pro- bien au sommet de ceux-ci (et au som- et isolé. ■

L’USAF a souligné, après la première guerre du Golfe, le poids sur la logistique


que faisaient peser les réparations des A-10 endommagés au combat... (USAF)

... Mais les pilotes préféraient quant à eux rappeler l’efficacité de l’appareil
et sa capacité à ramener son pilote à bon port. (USAF)
45
CHAPITRE 2

L’arrivée de l’avion
en Europe
Le A-10 aurait-il pu porter les couleurs de
l’US Army ? Même si elle n’aime pas l’appa-
reil, l’US Air Force ne supporte pas cette idée
et finit par baser l’avion en Europe.

46
Le A-10 entre en service à l’époque
où le président américain
Ronald Reagan lance l’initiative de
« la guerre des étoiles ». Et si en fait
le A-10 était un produit dérivé de
cette guerre des étoiles, avec ses
moteurs en pod et son empennage
baroque ? (Coll. Jacques Guillem)

47
L’ARRIVÉE DE L’AVION EN EUROPE

Le 3 juin 1977, le A-10 s’écrasa lors du salon du Bourget, tuant Sam Nelson, son pilote.
L’avion venait tout juste d’entrer en service. (Jacques Guillem)

M
ême si le A-10 tire de la plus importante escadre de com- de l’Air Force, on était devenu fou à
nombreuses caracté- bat de l’USAF, avec pas moins de six cette idée ! L’Army ne voulait pas de
ristiques de l’expé- escadrons dans son organigramme en l’avion parce qu’elle misait tout à
rience vietnamienne, 1980 ! Les unités sont réparties sur l’époque sur les hélicoptères avec des
le premier avion n’est les bases de Bentwaters (92nd, 509th, appareils de nouvelle génération qui
livré qu’en 1976, après la fin de la 510th et 511th Fighter Squadron) se préparaient, comme le Blackhack
guerre dans la péninsule indochinoise. et Woodbridge (78th et 91st squa- et l’Apache. Pour l’Air Force, il était
Pas grave, puisqu’une menace autre- dron). bien entendu inconcevable de céder
ment plus sérieuse pèse sur l’Europe « La décision de baser les A-10 en un seul de ses avions de combat à
de l’Ouest avec les nombreuses divi- Europe résulte d’un bras de fer ex- l’Army… Schlesinger a donc fait ma-
sions blindées du Pacte de Varsovie ceptionnel, se souvient Tom Christie. chine arrière, mais il exigea de l’Air
massées sur ses frontières. En 1974, nous étions tellement fatigués Force qu’elle mette un squadron de
Le 81st Tactical Fighter Wing de de l’opposition de l’Air Force à l’avion A-10 à la disposition de chaque divi-
l’US Air Force Europe (USAFE) re- que nous avions publié un rapport pro- sion de l’Army stationnée en Europe.
çoit ses trois premiers avions en août posant que la flotte de A-10 soit en- A partir de là, l’Air Force a décidé
1978. Les appareils sont accueillis sur tièrement transférée à l’US Army. qu’elle aurait un “  super wing  ” de
la base britannique de Bentwaters J’avais briefé James Schlesinger, le se- A-10 en Grande-Bretagne, étayé par
(Suffolk) pour les premiers entraî- crétaire de la Défense du moment, qui des bases avancées en Allemagne de
nements des équipes de maintenance. avait finalement accepté l’idée. Mais l’Ouest et un détachement semi per-
Le 81st TFW va rapidement devenir dans les hautes sphères de l’Army et manent à Ramstein. »

Le A-10 avec un camouflage expérimental en octobre 1976 sur la base de Waddington,


en Angleterre. (Coll. Jacques Guillem)
48
Au début des années 1980, l’heure
n’est pas encore à la navigation iner-
tielle pour les A-10 et encore moins
au GPS dans la navigation ou la
délivrance des armements. Les A-10
opèrent donc par deux, la carte sur
les genoux, dans des conditions mé-
téorologiques souvent difficiles, à très
basse altitude.
L’US Air Force est dans le flou
quant à l’espérance de vie de l’avion
évoluant dans ce que l’on nomme
alors la FEBA : Forward Edge of the
Battle Aera, autrement dit la ligne de
contact entre les deux armées se fai-
sant face. Une réflexion courante à
l’époque est de dire que la FEBA se-
rait facilement identifiée avec les car-
casses de A-10 qui la jalonneront. En-
core que sur ce point il faille tordre
le coup à une idée reçue : celle de l’op-
position sol-air mise en œuvre par les
Soviétiques. Si les systèmes SAM de Camouflage désertique expérimental porté les avions du 917th TFW
missiles sol-air ont fait des ravages de l’Air Force Reserve, alors basés à Barksdale, en Louisiane. (Republic)
contre les avions israéliens pendant
la guerre du Kippour en 1973, ils ne d’avance dans une confrontation avec créées en Allemagne de l’Ouest et
s’agissaient que de batteries fixes ins- les unités blindées, bien au contraire. continuellement occupées par des dé-
tallées le long du canal de Suez. Pour Et le plus beau est que les pilotes ont tachements provenant des différents
des divisions en marche, l’ombrelle confiance dans leur avion : s’il y a un escadrons du 81st TFW.
de protection fournies par les SAM appareil qui peut survivre au-dessus Le détachement 1 est installé à
ne serait plus la même et se limite- de la ligne de front c’est bien le A-10 Sembach Air Base, dans le centre du
raient aux missiles légers à guidage et aucun autre. Sa protection passive, pays. Le détachement 2 est à Leipheim
infrarouge tirés à l’épaule, de la fa- sa manœuvrabilité et ses techniques dans le sud, aujourd’hui une base ma-
mille du SA-7. L’efficacité des sys- d’emploi pour en tirer le meilleur sont jeure d’hélicoptères de la Luftwaffe.
tèmes mobiles à guidage radar était des atouts conséquents. Les pilotes Le détachement 3 est situé à Ahlhorn
alors très largement surestimée. apprécient également la remarquable et le détachement 4 à Nörvenich dans
Contre un avion volant tout juste au- visibilité offerte pour ne pas se faire le nord. Sembach et Leipheim sont
dessus de la cime des arbres, elle était surprendre par les avions adverses. rattachés à la 4th ATAF (Allied Tac-
même très faible. Ils peuvent également compter sur un tical Air Force), et les deux autres à
Depuis la Seconde Guerre mon- entraînement intensif conduit exac- la 2nd ATAF. Deux autres FOL semi
diale, le nombre de pièces de DCA tement dans la zone où la confronta- clandestines sont également prévues
avait même considérablement baissé tion est attendue. Ils jouent à domi- à Jever et Wiesbaden.
tandis que le niveau de protection cile… Si les bases arrière sont bien en Chaque escadron se voit assigner
augmentait considérablement avec le Grande-Bretagne, quatre Forward une FOL particulière, bien qu’il puisse
A-10. L’avion ne partait pas battu Operating Locations (FOL) sont être également être déployé depuis

Autre camouflage expérimental pour ce A-10 en novembre 1978 sur la base de Fairchild
aux Etats-Unis. (Coll. Jacques Guillem)
49
L’ARRIVÉE DE L’AVION EN EUROPE

les autres FOL. Les déploiements se avec les unités d’hélicoptères de com- peuvent également compter sur la
font en règle générale avec six avions, bat de l’US Army. L’accent est mis présence d’unités d’Agressors dans
six pilotes pour une durée d’une ou également sur la formation contre la leur environnement immédiat  : le
deux semaines. Des C-130 assurent le menace des avions ennemis : on de- 527th Agressor Squadron équipé de
soutien logistique et les aller retour mande aux pilotes d’avoir la tête mon- F-5 est présent sur la base d’Alcon-
entre l’Allemagne et les bases bri- tée sur une rotule et de casser sans bury avant de déménager à Bentwa-
tanniques. Pour certains exercices plus cesse leur trajectoire pour éviter ters une fois rééquipé de F-16. Avoir
imposants ou bien des évaluations de qu’un avion leur saute sur le dos sans une unité d’Agressor comme voisin
grande ampleur, c’est parfois tout l’es- avoir été aperçu. Les chasseurs de à Bentwaters était un avantage cer-
cadron qui se déplace, avec armes et l’Otan en maraude sont nombreux tain pour les unités basées. Contre le
bagages. sur l’Allemagne et il est rare qu’une F-16, le A-10 avait fort à faire et ce
Au départ de ces FOL, les pilotes sortie d’entraînement ne débouche n’est rien de l’écrire… Une fois dé-
s’entraînent régulièrement au-dessus pas sur une rencontre virile. Les pi- couvert, il pouvait d’ores et déjà se
de ce qui pourrait devenir leur champ lotes de A-10 veulent plus que tout considérer comme mort. Ni l’avion ni
de bataille. L’entraînement se fait seul éviter de se faire surprendre et hu- les pilotes ne faisaient le poids contre
ou bien en conjonction avec les uni- milier… les Agressors montés sur F-5 ou F-16.
tés de l’Otan présentes au sol ou bien En Grande-Bretagne, les A-10 Le seul atout du A-10 était sa capa-

Rien de tel qu’un T-62 rutilant et bien visible dans la neige pour s’entraîner… Selon Rudel, l’as allemand
de la lutte anti-char pendant la Seconde Guerre mondiale, le moment idéal pour attaquer les chars est
quand ils quittent leurs abris pour se mettre en mouvement. (Fairchild)
50
cité à voler très bas pour éviter d’être
repéré. Les A-10 emportaient des mis-
siles Sidewinder d’autoprotection,
mais sans aucun moyen de visée ni de
télémétrie.
En cas de besoin, le missile aurait
été tiré au jugé avec pour seule indi-
cation la sonnerie dans le casque in-
diquant l’accrochage de l’autodirec-
teur sur la cible. L’utilisation du canon
en air-air relevait plus du fantasme
que de la réalité : certes un avion pris
dans son feu aurait passé un sale quart
d’heure, mais il aurait fallu une bonne
dose d’inconscience pour se laisser
surprendre par un A-10 sous-moto-
risé et particulièrement lent… ■

En cas de guerre, l’utilisation de routes par les A-10 aurait été rendue très
compliquée en raison de l’envergure excessive de l’avion. (Fairchild)

Le A-10 dans ses œuvres. Impressionnant, mais le résultat aurait été encore
meilleur avec un peu plus de puissance et un peu moins de kilos… (Fairchild)

Les pilotes basés en Grande-Bretagne disposaient de terrains de desserrement


en Allemagne de l’Ouest, connus évidemment des Soviétiques. (Fairchild)

51
CHAPITRE 2

Survolant un terrain de golf aux 18 trous


démesurés, ce A-10 montre un armement
hétéroclite avec des bombes à sous-muni-
tions CBU 97 sous l’aile droite et deux
missiles Sidewinder sous l’aile droite.
La mise en œuvre de ces derniers se fait
entièrement au doigt mouillé, l’avion ne
disposant d’aucun moyen de visée
pour les missiles air-air. (USAF)

52
Le A-10 fait son
trou dans le Golfe !
Le A-10 était un enfant de la Guerre Froide,
taillé sur mesure pour attaquer les hordes
de blindés soviétiques. Il ne fallut pas
attendre très longtemps après la chute du
Mur en 1989 pour que les commentateurs
prédisent la fin de l’avion. Mais c’était sans
compter sur l’excellent tonton Saddam qui
se décida à envahir le Koweit le 2 août 1990
et à se mettre à dos Wall Street et
le Pentagone. Grave erreur.

53
LE A-10 FAIT SON TROU DANS LE GOLFE !

D
ans les heures qui suivent taires appartenant cette fois au 10th avancée (FOL ou Forward Operating
l’invasion, les Etats-Unis Fighter Wing d’Alcombury. En jan- Location), KKMC (King Khalid Mi-
lancent l’opération vier 1991, c’est au tour de 18 appa- litary City), une heure de vol plus
Desert Shield pour pro- reils du 706th TFS de l’Air Force proche du Koweit. Quelques jours
téger l’Arabie Saoudite. Reserve de faire le grand saut. Les avant l’ouverture de l’offensive mili-
Un premier groupe de 48 A-10 du derniers éléments envoyés sur le taire, une autre FOL est créée à
354th Tactical Fighter Wing est rapi- théâtre sont les 12 OA-10A du 23rd Al Jouf, à vingt minutes à peine de la
dement envoyé dans la péninsule ara- Tactical Air Support Squadron /602nd frontière.
bique. Les avions décollent de Myrtle Tactical Air Control Wing utilisés L’opération Desert Storm en 1991
Beach AFB (Caroline du Sud) le pour les missions d’Airborne FAC. est le premier engagement d’ampleur
15 août 1990 et atteignent l’Arabie Au déclenchement de l’opération pour les A-10. Les avions sont utili-
au terme d’un convoyage homérique. Desert Storm, on trouve donc 144 sés dans des missions d’appui-feu mais
Deux semaines plus tard, 48 autres A-10 et OA-10 en Arabie Saoudite, aussi, de sauvetage au combat et, c’est
avions sont envoyés par le 23rd Tact- répartis en deux escadres expédi- plus inattendu, dans des missions
cial Fighter Wing d’England AFB tionnaires  : la 23rd TFW(P) et la d’« Air Interdiction ». Ce qui leur im-
(Louisiane).Troisième mouvement le 354 TFW(P) basées à KFIA (King pose de pénétrer profondément en
27 décembre de la même année avec Fahd International Airport). La base territoire irakien, bien au-delà de la
le départ de 18 avions supplémen- principale est complétée par une base ligne de front, pour aller chercher
54
défense sol-air qui est attendue. Le
point de vue du commandant en chef
de l’opération, le général Norman
Schwarzkopf, est totalement inverse :
officier de l’US Army, il connaît par-
faitement l’impact que peut avoir
l’avion sur les troupes au sol et la puis-
sance du soutien qu’il peut apporter.
Il insiste auprès de Chuck Horner
pour qu’il apporte des A-10 sur le
théâtre, ce que l’US Air Force va
finalement faire.
Le 19 janvier 1991, au cours d’une
conférence de presse, le général Hor-
ner dira même : « I take back all the
bad things I have ever said about the
A-10. I love them. They are saving our
asses (1) ». Etonnamment, en pleine
polémique sur le retrait du A-10
quelques années plus tard, il niera
avoir jamais prononcé cette phrase…
(voir encadré).

Le roi de la nuit
Les A-10 déployés dans le Golfe
sont encore très basiques, ne dispo-
sant en théorie d’aucune capacité de
combat nocturne, alors même que
les armées américaines mettent au
contraire l’accent sur ce type d’opé-
ration pour gagner un ascendant tech-
nique sur l’adversaire. La commu-
nauté A-10 pousse en faveur des
opérations de nuit, même si à l’époque
l’emploi des JVN2 sur l’avion est en-
core embryonnaire. Quelques paires
de JVN seulement sont envoyées sur
le théâtre pour ce qui ressemble fort
Equipé, pour le combat air-sol, de bombes à une expérimentation technico-
lisses Mk82 et de missiles Maverick, ce A-10 opérationnelle. Mais c’est un déve-
est bien visible avec son camouflage Centre loppement logique pour les pilotes
Europe dans l’environnement désertique du spécialistes du CAS. D’autant que
Golfe. Une légende du désert voudrait l’obscurité peut aussi être une solide
que les escadrons de A-10 n’aient pas été
protection pour les avions. Les équi-
autorisés, pendant la guerre du Golfe, à
pages savent également qu’au-delà
repeindre leurs avions en gris par l’USAF
de 5 000 ft (1524 m), les A-10 ne sont
de peur qu’on les confonde avec…
ses « vrais » avions de chasse ! (USAF)
pratiquement pas audibles en raison
de la discrétion de leurs réacteurs.
Quand commencent les opérations de
nuit, les missions se font avec des ap-
leurs objectifs : unités blindées, pièces sont qualifiés exclusivement pour pareils largement espacés (plus de
d’artillerie, sites de défense anti-aé- cette mission et ne transportent pas quatre kilomètres entre deux avions)
rienne. La majeure partie des 43 jours en règle générale d’armement air sol. pour ne pas risquer d’accrochage en
de l’opération aérienne sont consa- Au cours de l’opération Desert Storm, vol. Les avions évoluent bien entendu
crés à la préparation du champ de ba- les escadrons CAS et AFAC sont tous feux éteints. L’avantage est que
taille en préalable à l’offensive ter- séparés et utilisés séparément dans le terrain irakien est généralement
restre. Cette dernière ne dure en les deux missions. Une organisation très plat et que les pilotes ne risquent
revanche qu’une centaine d’heures et qui changera toutefois en 1995, avec pas de heurter le sol tant qu’ils gar-
les avions sont utilisés en basse alti- une simplification des structures, dent 2000 ft (609 m) à l’altimètre…
tude pour appuyer directement les toutes les unités de A-10 devenant de Ils bricolent également leurs cockpits
troupes de la coalition. facto responsables des deux missions. et placent des adhésifs noirs sur tous
La première guerre du Golfe est Lors de la mise en place des forces les instruments non indispensables
également le premier engagement des américaines, le général Chuck Hor- pour éviter les réflexions parasites sur
A-10 dans la mission « Airborne for- ner, commandant en chef des moyens les verrières. Certains se contentent
ward air controler » (AFAC). Les ap- aériens de l’USAF, ne cache pas son de garder seulement visibles l’alti-
pareils désignés OA-10 (O pour « ob- hostilité à la présence du A-10 sur le mètre, le badin et l’horizon artificiel…
servation  ») prennent alors la suite théâtre. Selon lui, l’avion est trop lent, Ce n’est plus un A-10, c’est un bébé
des OV-10 et des OA-37. Les pilotes trop vulnérable face à la densité de la Jodel ! D’autres volent sans gant pour
55
LE A-10 FAIT SON TROU DANS LE GOLFE !

La présence de réservoirs supplémentaires sur cet avion indique que la photo


est prise à l’issue d’une mission de convoyage. (USAF)

La dérive de droite de cet appareil du 23 TFW a été copieusement arrosée


par les éclats d’un missile sol air. La gauche se porte un peu mieux… (USAF)

pouvoir reconnaître les interrupteurs


et les commandes au toucher. Les
cartes sont photocopiées en noir et
blanc, ce qui les rend plus faciles à lire
dans la pénombre que les originales
en couleurs. Les plans originaux pré-
voient que les avions, spécialistes du
CAS, resteront en dehors des com-
bats tant que l’offensive terrestre
n’aura pas commencé. Mais peu de
temps avant celle-ci, les patrons des
escadrons de A-10 poussent pour que
leurs avions soient également utilisés
pour attaquer les Irakiens en pro-
fondeur, en complément de ce que
font quotidiennement les F-15 E et
F-111. Ils obtiennent gain de cause et
on leur confie alors la chasse aux bat-
Un blindé irakien, surpris à découvert, brûle sur le sable chaud. teries d’artillerie.
Le A-10 a trouvé en Irak un terrain de jeu à sa mesure ! (USAF) La mission d’ouverture de la
56
On l’oublie vite, mais le A-10 est un très gros avion de plus de 16 m de long pour 17 m d’envergure et
4,50 m de haut. Pratiquement les dimensions d’un A-26 Invader ! (USAF)

guerre du Golfe est également restée l’étrange idée de faire preuve d’ini- champ très étroit, 3° ou 6°, est pré-
célèbre, avec l’attaque des radars tiative. Mais cette offensive ne vient sentée en cabine sur l’écran catho-
d’alerte avancée par des A-10 qui pas, les Irakiens s’enterrent et font le dique. Une solution qui est loin d’être
s’enfoncent très loin en territoire ira- gros dos… idéale mais qui ne marche pas trop
kien. Certains vont jusqu’aux fron- Pendant le reste de la guerre, les mal et qui est également reprise par
tières syriennes ou jordaniennes au avions se voient assignés la plupart les pilotes de F-16. Les avions font en-
cours de missions dépassant couram- du temps des « kill box » de 48 kilo- core à cette époque un large usage de
ment les huit heures. Les sites radar mètres de côté (30 miles) avec, à l’in- bombes lisses Mk82 et Mk84 et de
sont attaqués au missile Maverick puis térieur, des objectifs planifiés ou bien bombes Rockeye à sous-munitions.
à la bombe et au canon, et l’avion des objectifs d’opportunité qu’ils ont Des AIM-9 Sidewinder sont empor-
gagne au passage le surnom de « Wart à trouver eux-mêmes. De nuit, ils font tés pour l’auto protection.
Weasel  » (contraction de Warthog, un large usage des fusées éclairantes Une autre activité importante des
surnom du A-10 et de Wild Weasel, qui peuvent brûler soit pendant leur avions est la chasse aux SCUD. Avec
appellation habituelle des appareils descente sous parachute, soit au sol ces missiles balistiques tirés depuis
de guerre électronique). pour donner un point de référence. des lanceurs mobiles, les Irakiens har-
Le premier jour de l’offensive aé- De nuit également, l’arme de prédi- cèlent les forces de la coalition et me-
rienne, la plupart des A-10 restent lection est le missile Maverick, dont nacent de rompre le délicat équilibre
toutefois en alerte au sol, prêts à re- l’autodirecteur thermique aide à trou- diplomatique en visant Israël. De très
pousser une offensive terrestre sur- ver les cibles par le contraste de tem- nombreuses patrouilles aériennes
prise des Irakiens s’il leur venait pérature. L’image fournie, avec un sont organisées pour tenter de sur-
57
John Marks, un pilote américain qui revendiqua un imposant palmarès
(photo ci-contre) en mission d’attaque au sol lors de la guerre
du Golfe en 1991. (USAF)

prendre les lanceurs hors de la tanière, enchaînent 294 sorties, soit une
mais c’est pratiquement mission im- moyenne de deux sorties par avion
possible. Soigneusement camouflés présent sur le théâtre. Les appareils
en journée, les lance-missiles sortent présentent une disponibilité d’envi-
de leur planque quelques heures le ron 95% et les missions sont remplies
soir le temps de lancer leurs missiles à 85%. L’explication des 15% man-
puis de revenir se cacher. Les A-10 quants se trouve dans la météo, avec
partent par paires et sillonnent les une visibilité insuffisante après
routes qui sont en général emprun- l’incendie des puits de pétrole par les
tées par les véhicules lourds. Irakiens, ou encore un problème tech-
Les avions volent en moyenne alti- nique propre aux lanceurs triples de
tude, hors de portée des armées lé- missiles Maverick.
gères et des missiles portables et les A la fin de l’opération, les A-10
pilotes surveillent le paysage à la ju- engagés en Irak sont crédités de la
melle (2). destruction de 987 blindés, 926 pièces
Le bilan officiel des 42 jours de la d’artillerie et 1355 véhicules divers.
guerre aérienne dans le Golfe fait état Les 144 avions engagés dans l’opéra-
de 7 983 sorties pour les A-10 et de tion réalisent environ 30% des mis-
657 pour les OA-10. Pour la seule pre- sions de combat de l’US Air Force et
mière journée d’opération, les A-10 ils ont à leur actif plus de 50% des

1 300 obus
pour le canon ! (USAF)

58
destructions d’équipements irakiens
obtenues par les attaques aériennes.
Les A-10 sont également crédités
Comment la mission anti SAM fut donnée
de deux victoires aériennes, toutes aux A-10
deux remportées au canon sur des hé- La mission de bombardement des sites SAM fut initialement confiée aux F-16. Mais
licoptères. Le 6 février 1991, un ap- les pilotes avaient été tant et si bien briefés sur la menace posée par les missiles
pareil du 706 TFS abat un Bo105. qu’ils ne voulurent prendre aucun risque : ils larguèrent leurs bombes Mk82 à l’altitude
Le 15 février suivant, c’est un pilote de 15 000 ft et aussi vite qu’ils le purent pour ne pas traîner dans la zone de létalité.
du 510 TFS qui abat un autre hélico-
Mais à 500 kt, ils étaient en dehors des tables de tir et les bombes s’éparpillèrent
ptère.
gaillardement dans le sable. « Les photos du Battle Damage Assessment montraient
Quatre avions sont perdus au com-
qu’ils avaient mis des bombes partout sauf sur les sites », expliqua un officier
bat, tous victimes de missiles anti-
qui avait assisté au débriefing de la mission. « J’ai alors réalisé qu’ils n’auraient pas
aériens portables à guidage infra-
pu toucher leur assiette avec une cuillère… »
rouge. Trois pilotes sont faits prison-
nier et le quatrième est tué. Un cin- Quelqu’un suggéra alors d’envoyer les A-10 en basse altitude. Une telle mission
quième avion touché par des tirs de n’avait jamais été considérée auparavant pour l’avion d’attaque au sol et les pilotes
DCA s’écrase en revenant se poser n’en menaient pas large également. « En fait les gars étaient aussi terrifiés à l’idée
sur un terrain de desserrement  : de se jeter dans la gueule du loup et d’aller directement s’en prendre aux SAM.
l’avion a perdu un moteur et le pilote Tout pilote normalement constitué ne pense en général qu’à une chose : passer
est passé en «  manual reversion  », très au large d’un lance-missiles… Mais ils réfléchirent et développèrent très
c’est-à-dire qu’il pilote l’avion sans rapidement la bonne technique : arriver très bas afin de ne pas être détecté,
assistance hydraulique. Poser celui- tirs de missiles Maverick en limite de portée contre les installations au cours du
ci correctement dans ces conditions premier passage, puis deuxième attaque avec cette fois le canon pour tout réduire
est mission impossible et l’avion se en miettes. Et ça a bien marché… Le résultat a été tellement bon que Horner
retourne à l’atterrissage, tuant son a alors lâché sa fameuse phrase : “ The A-10s saved our asses...”! »
pilote.
Environ 70 avions sont réparés à
un moment ou un autre de la guerre, nombre d’avions sévèrement touchés A-10 n’a pas seulement largement
soit environ la moitié des appareils parvenant tout de même à revenir à participé à la victoire de la coalition
engagés. La rusticité de l’avion se vé- leur base et à ramener leur pilote est emmenée par les Etats-Unis. Il a
rifie à cette occasion, environ 50% un témoignage irréfutable de la soli- également sauvé sa peau (ce n’est ni
des avions endommagés au combat dité de l’avion et de la justesse de ses la première, ni la dernière fois !) et
étant réparés dans les quatre heures. choix techniques en matière de sur- l’idée de retirer les 650 avions encore
Des appareils plus sérieusement tou- vivabilité. Le A-10 est d’ailleurs le en service passe à la trappe. En fait,
chés par les tirs venus du sol sont aussi seul appareil autorisé à s’aventurer 390 sont gardés en service pour être
dépannés directement sur le terrain : sous l’altitude plancher de 10 000 ft, modernisés. Un investissement bien-
des dérives, des volets, des ailerons, mettant les autres avions à l’abri des venu, qui va permettre à l’avion de
des pare-brises sont remplacés par les armes légères et des SAM portables. faire encore des étincelles dans les
équipes de réparation de dommages Etonnamment, les opposants à l’avion Balkans, en Irak de nouveau, en Libye
de combat. Des voilures sont rusti- reprocheront plus tard au A-10 la puis en Afghanistan et en Syrie… ■
nées. Quatorze appareils sont sévè- quantité de dommages au combat
rement endommagés (trois par des accumulée et les contraintes que cela (1) « Je retire tout ce que j’ai dit de mal sur
missiles portables et onze par des tirs fit peser sur le flux logistique de l’US le A-10. J’aime cet avion, il nous sauve…
de DCA) et doivent être renvoyés aux Air Force ! la vie. »
Etats-Unis pour y être réparés. Le A l’issue de la guerre du Golfe, le (2) Jumelles de Vision Nocturne.

6000 heures de vols sur A-10


pour le pilote John Marks
entre 1991 et 2016. (USAF)

59
CHAPITRE 2

L’accès au
canon est total.
On réalise mieux
la taille de
l’arme en la
comparant à celle
de l’armurier qui
est au travail
dessus !
(Frédéric Lert)
60
Touché sur le Kosovo,
mais pas coulé !
e Kosovo était un terrain

«L
Le major Phil « Goldie » Ham, pilote de A-10
au sein du 81st Fighter Squadron, a été
engagé pendant l’opération Allied Force
d’opération minuscule,
en forme de diamant, d’à
peine 60 miles de côté.Au
fil du temps, j’avais acquis une bonne
connaissance du terrain, de la situa-
au-dessus du Kosovo. Le 2 mai 1999, il a été tion au sol et de bon nombre des ruses
touché par un missile sol air portable SA-14. mises en œuvre par les Serbes pour
nous échapper. Ils n’utilisaient plus les
Voici son récit. routes et cachaient leurs lance-missiles
pendant le jour, pour ne les sortir que
la nuit. Quant à nous, nous ne quit-
tions pas la moyenne altitude, bien à
l’abri des armes automatiques et des
missiles portables. Et je dois avouer
qu’après 25 missions, j’avais un peu
tendance à me croire invulnérable…
Grave erreur !
Le 2 mai, je suis donc arrivé à l’unité
pour préparer la mission. Je trouve la
salle d’ops en pleine ébullition, un
F-16 vient de se faire descendre deux
heures plus tôt ! Je continue la prépa-
ration mon vol : je dois être “ mission
commander ” pour une patrouille dans
l’est de la province. En épluchant les
dossiers d’objectifs, je trouve un lot de
photos d’un nouvel emplacement d’ar-
tillerie qui semble bien intéressant et
je pars là-dessus. Mon indicatif est alors
Lynx 11 et mon ailier Lynx 12.

En attendant
les SEAD
Les opérations de récupération du
pilote de F-16 abattu retardent l’arri-
vée des moyens SEAD (1) qui doivent
nous appuyer. Les règles d’engage-
ment nous interdisent alors de péné-
trer au Kosovo sans soutien électro-
nique. On tourne au sud de la frontière
pendant trente minutes, en attendant
qu’arrivent les avions qui nous ont été
affectés. Puis Magic (2) nous prévient
que les SEAD sont “ on station ” et on
pénètre enfin en territoire hostile. L’ob-
jectif que j’ai repéré est 30 miles au
nord de Pristina. En approchant de la
zone, je sors mes jumelles et je vois tout
de suite un canon automoteur d’ar-
tillerie installé en lisière d’un bois. Mais
en même temps, Magic a rappelé sur
la fréquence en annonçant que les
Le cockpit analogique du A-10A pendant les opérations sur F-16CJ SEAD sont en fait sur la par-
le Kosovo. Il n’est pas alors question de navigation numérique, de tie ouest du Kosovo et que la couver-
bombes guidées ou encore de liaison de données… (Frédéric Lert) ture de ma zone va très bientôt se
61
TOUCHÉ SUR LE KOSOVO, MAIS PAS COULÉ !

terminer. Je sais que je n’aurai droit Je suis alors quatre miles au nord de rive maintenant du sud, ce qui m’in-
qu’à une passe de tir avec un Mave- G-Town (3) en train de prendre de l’al- duit en erreur. J’ai retrouvé un chemin
rick. En commençant la passe, je réa- titude lorsque j’aperçois un layon qui de terre, mais ce n’était pas le bon. »
lise que le contraste thermique n’est part dans un sous-bois. Un coup d’œil Le major Ham s’aperçoit rapide-
pas assez satisfaisant pour obtenir un dans les jumelles et je repère deux blin- ment de son erreur et remet les gaz
verrouillage sur la cible avec l’auto- dés qui sont planqués là. Je marque la pour entamer une bonne présenta-
directeur. Malgré tout, sachant que position sur ma carte, avec l’idée de tion, sur le bon chemin cette fois. Les
je n’aurai pas de deuxième occasion revenir une fois le ravitaillement ter- deux blindés restent toutefois diffi-
ce jour-là, je décide de tenter ma miné. Je contacte également Magic ciles à viser : le contraste thermique
chance. C’est la bonne décision pour qu’il fournisse un appui SEAD n’est pas suffisant pour le Maverick,
puisque le missile trouve sa proie. le temps de l’attaque. Après quelques le chemin est bordé de trop près par
Il est temps pour moi de ravitailler et minutes, Magic revient sur la fréquence les arbres et la vallée trop étroite pour
je prends alors un cap au sud pour pour m’annoncer que je vais avoir attaquer à la bombe. Dernière solu-
rejoindre un ravitailleur. Je prends bien un soutien électronique pendant une tion, le tir canon, mais à condition de
garde d’éviter Pristina et son réseau fenêtre de vingt minutes seulement. se rapprocher du sol. La prise de
de SAM  : Magic vient tout juste de Je me déconnecte alors du ravi- risque se justifie-t-elle  ? Le major
m’annoncer que je n’avais plus de sou- tailleur, je reprends un cap au nord et Ham coupe la poire en deux : il de-
tien SEAD. Malgré tout, je ne peux pas rejoins la zone repérée. Je pense alors mande à son ailier de larguer deux
m’empêcher de chercher d’autres in- que l’attaque allait être rapide, sauf bombes Mk82 pour faire baisser les
dications d’une activité militaire au que j’ai oublié un détail : j’ai identifié têtes, pendant qu’il entame sa passe
sol, sur les routes et dans les vallons. mon layon en venant du nord, et là j’ar- canon.

62
« Les deux bombes d’Andy tapent possible à gauche pour le garder en «C’est sûr que ça va moins bien mar-
trop long, sans toucher les blindés. Les ligne de vol. cher… » !
minutes ont filé depuis que les F-16CJ « Je vérifie une nouvelle fois que
se sont mis en place pour brouiller la Retour j’ai un bon cap pour rejoindre la Ma-
zone et je sais que le temps est compté : cédoine et les territoires amis, poursuit
je n’aurai droit qu’à une passe de tir. sur un moteur le major Ham. Puis j’abaisse légère-
Je vais donc essayer de straffer les deux « Lynx 12, je viens de me faire al- ment le nez pour garder une bonne vi-
chars simultanément. Je descends, lumer !... Je prends un cap au sud… » tesse sur un seul moteur. Là, j‘aperçois
j’aligne, je tire, mon ailier confirme des Dans le poste, le major se bat à mon ailier qui m’avait perdu de vue.
impacts sur les deux chars. » présent aux commandes pour contrô- Il est à deux miles devant moi et ne m’a
Mais quelques secondes plus tard, ler son avion. Son panneau d’alarmes toujours pas retrouvé en visuel.
Lynx 12 annonce avoir perdu le vi- est allumé «  comme un arbre de Je lui demande de tourner de 90° sur
suel de son leader. Rien d’anormal Noël », pour reprendre l’expression sa droite pour me retrouver. J’ai mon
selon Lynx 11 : un ailier qui garde ses consacrée. Un coup d’œil par-dessus avion sous contrôle et j’ai récupéré
yeux en permanence sur son leader son épaule et le pilote mesure l’éten- mon ailier : la situation ne serait pas
ne prend pas le temps de regarder due des dégâts : un capotage du mo- si mauvaise si je n’étais pas à bord d’un
le sol. Alors qu’il donne sa position teur droit s’est volatilisé et le fan de appareil gravement endommagé, au-
à son ailier, Ham ressent un choc son réacteur semble immobile. dessus d’un territoire pourri de DCA
puissant venant du côté droit de son Le soleil perce à travers le moteur et de missiles, et à une altitude trop
A-10. L’avion embarque sur la droite en divers endroits. Il manque des faible pour me mettre à l’abri. Une
et le pilote doit mettre tout le pied morceaux et, comme dirait Bourvil, chose est certaine pour moi à ce

Présent à Italie pendant l’opération


Allied Force, cet appareil du
81st FS démontre l’excellent accès à
la motorisation. La nacelle s’ouvre
en trois parties articulées qui
permettent un changement moteur
rapide. (Frédéric Lert)

63
TOUCHÉ SUR LE KOSOVO, MAIS PAS COULÉ !

moment : je ne vais pas m’éjecter au- Son ailier s’est à présent rappro-
dessus du Kosovo. Je n’ai aucune envie ché et s’est livré à une inspection vi-
de passer à la télévision serbe ce soir. suelle. A part le moteur de droite au-
Je ne pense pas pouvoir poser l’avion quel il manque quelques morceaux,
en un seul morceau, j’ai beaucoup de l’avion ne semble pas être trop en-
mal à le contrôler et les virages à droite dommagé. Pourtant le major Ham
sont quasiment impossibles. Mon seul doit toujours se battre aux com-
objectif est d’atteindre au moins la mandes pour le tenir et l’atterrissage
frontière de la Macédoine pour m’éjec- va le confronter à trois problèmes.
ter en territoire ami. J’ai perdu un ré-
seau hydraulique mais le second tient Une seule approche
le coup. Le moteur gauche tourne rond,
j’ai l’espoir d’y arriver…» possible
En légère descente, sans possibi- « D’abord l’impossibilité de virer
lité de manœuvrer et avec un badin vers la droite, du côté du moteur dé-
anémique, le A-10 fait à présent une truit. J’ai ensuite abaissé le train pour
cible facile pour les forces au sol. Pour voir comment l’avion réagissait : j’ai
l’instant, la seule chose que puisse eu des indications de décrochage juste
faire le major Ham est de lancer un au-dessous de la vitesse maximale de
appel au secours sur la fréquence. Le sortie du train. J’ai alors réalisé qu’il
Kosovo est un territoire minuscule et me faudrait me poser à une vitesse re-
même en moyenne altitude, le major lativement élevée. Et puis la piste de
Ham distingue facilement la frontière, Skopje (capitale de la Macédoine) que
distante de moins d’une dizaine de je vise est orientée nord sud. Je suis à
kilomètres. En descendant progres- moins de dix kilomètres du seuil de
sivement, il prend la mesure de son piste 16, mais encore beaucoup trop
Beau tableau de chasse sur ce A-10, avion, le contrôle un peu mieux. haut pour atterrir. Or je ne sais pas si
mais combien de leurres parmi toutes Il commence à croire qu’il pourrait le moteur gauche me permettra de ten-
ces cibles revendiquées ? (Frédéric Lert) même le poser… ter une deuxième approche si je rate

Atterrissage en fin de mission à


Gioia del Colle, en Italie du sud,
pendant Allied Force. L’avion porte
encore ses Sidewinder et deux
Maverick non tirés sous les ailes.
(Frédéric Lert)

64
Un appareil lourdement armé du 81st FS pendant Allied Force. On distingue les missiles Maverick,
une nacelle de contre-mesure et pas moins de quatre bombes de 250 kg. (USAF).

65
TOUCHÉ SUR LE KOSOVO, MAIS PAS COULÉ !

la première. Je choisis alors de me poser


par le sud, sur la piste 34. Cela me fait
rester quelques minutes supplémen-
taires en vol, mais, en partant par un
large circuit main gauche, je retire trois
avantages : je reste en virage du côté
du bon moteur et je perds tranquille-
ment mon altitude et je me pose face
au vent. »
La tour de Skopje gère l’approche
de l’oiseau blessé et lui dégage le pas-
sage. Deux avions gros porteurs qui
avaient commencé leur approche sont
dégagés et placés en attente.

La brave
bête...
« L’avion se comporte bien pen-
dant mon large virage, mais je suis in-
quiet de savoir comment il va réagir
quand je vais dégauchir et mettre les
ailes à plat. Pour limiter les risques,
je m’arrange pour terminer mon
virage directement au-dessus de la
rampe d’approche en zappant la fi-
nale, au lieu de faire une étape de base
à un ou deux kilomètres du seuil de
piste.Alors que je remets les ailes à plat
en courte finale, je sens que mon avion
part vers la droite. Je réduis alors com-
plètement la poussée de mon moteur
restant. L’avion se remet tout seul dans
l’axe et je le laisse descendre prati-
quement en vol plané jusqu’à la piste.
Je suis toutefois très rapide et je ne
cherche pas à faire d’arrondi : l’avion
se pose dur sur la piste avec son train
principal mais je suis pile sur l’axe. La
piste de Skopje est de bonne facture
mais elle n’est pas infinie… Il me faut
maintenant arrêter mon avion. Je garde
le nez haut le plus longtemps possible
pour assurer un bon freinage aérody-
namique. Finalement je laisse tomber
le train avant vers 120 kt. Avec mon
réseau hydraulique shooté, mes aéro-
freins sont hors service et je ne peux
compter que sur mes freins. A 100 kt,
je commence à freiner, d’abord avec
précaution puis franchement. L’avion
répond bien et finalement s’arrête sur
la piste avec plus de 600 m restant
devant moi. Je coupe le moteur gauche
et me repasse rapidement en tête la
check-list d’urgence pour une éva-
cuation de l’avion au sol. Je quitte
l’avion et cours jusqu’au bord de la
piste. En me retournant, je vois l’ap-
pareil. Le A-10 blessé m’a ramené au
sol en un seul morceau. La brave
bête… » ■

(1) Suppression of Enemy Air Defence.


(2) Indicatif de l’Awacs.
(3) Pour se faciliter la vie, les Américains
donnent des abréviations aux noms de
villes dont la prononciation est trop diffi- Un A-10 confronté à une météo européenne. Quand la brume, les nuages et
cile pour eux. G-town signifie Gnijlane. le plafond bas interdisent le tir d’armement guidés, il reste le canon ! (USAF)

66
Ttir de missile Maveick sur
un terrain d’exercice aux
Etats-Unis. Le missile est
puissant mais sa mise en
œuvre impose de bonnes
conditions météo. (USAF)

Un char russe détruit, semble-t-il, par un tir l’ayant frappé par l’avant. Dans ses mémoires, Hans racontait
qu’il visait le compartiment moteur pour immobiliser sa cible avec seulement deux ou trois obus. (USAF)

67
CHAPITRE 2

Quarante ans après sa mise


en service, le A-10 est
toujours en première
ligne. Pour laisser la place
libre au F-35, l’Air Force fait
ce qu’elle peut pour ne
pas lui donner de véritable
successeur… (USAF)

68
Les A-10 en Afghanistan
et dans la deuxième
guerre du Golfe
De mars à avril 2003, le A-10 participe aux part du temps constituées de quelques
hommes circulant à pied. Les missions
phases les plus intenses de l’opération Iraki peuvent être offensives contre des
forces ennemies, ou défensives au pro-
Freedom. Après les épisodes forts de com- fit de troupes au sol ou pour la pro-
bats, les A-10 sont engagés dans les opéra- tection de bases, de convois ou d’hé-
licoptères.
tions anti guérilla qui perdurent jusqu’en Les A-10 furent surtout présents
dans le pays après 2005, étant lour-
2010 environ. dement engagés dans l’opération
Iraki Freedom avant cette date.

E
n Afghanistan, les opérations depuis la fin 2001. Elles sont rendues Les études statistiques montrent
pour renverser le régime des difficiles par la taille de la zone d’opé- que, pendant les opérations afghanes,
Talibans durent environ deux ration, le mélange des genres entre les A-10 ont beaucoup plus utilisé leur
mois, mais elles s’étalèrent mission de guerre et de surveillance canon que les munitions guidées. C’est
en réalité sans interruption et l’éparpillement des cibles, la plu- la plupart du temps le résultat d’une

Un appareil du 47th FS de l’Air Force Reserve au roulage à Barksdale (Louisiane).


Les réservistes ont beaucoup contribué à la modernisation de l’avion et
à la création du standard A-10C. (Frédéric Lert)
69
LES A-10 EN AFGHANISTAN ET DANS LA DEUXIÈME GUERRE DU GOLFE

Le A-10 doit sa réussite à la hiérarchisation des priorités comme l’installation d’une


arme puissante dans le nez. On note l’emport de bombes Mk82 de 250 kg. (USAF)

demande des troupes au sol qui ap-


précient le canon pour sa puissance,
sa rapidité de mise en œuvre et sa pré-
cision. Une précision qui s’accom-
pagne d’ailleurs de dommages colla-
téraux et de pertes civiles bien
moindres qu’avec les autres avions
faisant essentiellement l’usage de
bombes.

Ils sont absolument


partout…
Par ses capacités d’intervention,
le A-10 est en fait placé entre les hé-
licoptères et les F-15 et autres F-16.
Plus rapide que les premiers, plus lent
que les seconds. Interrogés à ce pro-
pos, certains officiers de l’US Army
font toutefois remarquer que la faible
vitesse du A-10 peut être un handi-
cap, les autres chasseur-bombardiers
Retour d’un vol d’entraînement pour cet appareil de l’Air Force Reserve. Les réservistes pouvant intervenir plus rapidement
peuvent dire tout le bien qu’ils pensent sans risque pour leur carrière… (Frédéric Lert) sur le lieu d’un accrochage.
70
Une paire d’avions du 47th FS en vol. La quasi absence de charges sous les ailes
montre bien qu’il s’agit d’un vol d’entraînement. (47th FS)

En vol sur la riante campagne afghane...


L’avion y est bien dans son élément… (USAF)

Bien que les A-10 aient été trois


à quatre fois moins nombreux que les
F-16 sur le théâtre afghan, ils s’attri-
buent environ la moitié des missions A-10 de la garde nationale de Pennsylvanie sur un terrain Irakien
CAS, les F-16 se contentant d’un tiers. en avril 2003 lors de la deuxième guerre du Golfe. (USAF)
En dépit d’un nombre d’appareils très
réduit et une vitesse limitée, les A-10
sont régulièrement engagés sur
l’ensemble du territoire. Paradoxale-
ment, les statistiques montrent éga-
lement que des avions plus rapides
comme le F-16 ou le B-1B sont enga-
gés sur des périmètres géographiques
beaucoup plus limitées : les B-1B in-
terviennent principalement autour de
Bagram tandis que les F-16 sont sur-
tout présents dans le sud et l’ouest du
pays. Il semble en fait que les de-
mandes des troupes au sol et la com-
plexité des situations au sol aient été
des facteurs décisifs dans l’emploi in-
tensif des A-10. Volant lentement et
bas, le A-10 était mieux à même de Bel alignement des têtes de phacochères du 47th FS sur la base de Barksdale.
débrouiller l’écheveau de situations On distingue en arrière-plan la voilure d’un B-52. (Frédéric Lert)

71
LES A-10 EN AFGHANISTAN ET DANS LA DEUXIÈME GUERRE DU GOLFE

Au roulage sur la base de Bagram, en Afghanistan, par une belle journée d’hiver. L’avion emporte
des Mk82 équipés de proximètre sous les points d’emport intérieur. (USAF)

Départ pour un vol d’entraînement depuis Barksdale, sous la surveillance d’un « pistard »
réserviste. D’où l’absence d’uniforme… (Frédéric Lert)

72
complexes. Connaissant ses capacités
quasi légendaires, les troupes au sol
étaient également tentées de deman-
La panoplie essentielle du A-10C en 2018
der des tirs au plus près de leurs po- Les A-10C partent en mission en général avec quatre bombes de 250 kg guidées, en
sitions, avec le risque de déboucher mixant GBU-12 à guidage laser, GBU-38 et guidage GPS et GBU-54 à guidage mixte.
sur de dramatiques tirs fratricides. Les GBU-12 étaient de préférence utilisées contre des objectifs mobiles avec toutefois
Les mouvements très rapides des une certaine difficulté à compenser les vents forts près du sol. La GBU-54, qui est une
troupes alliées pendant l’opération JDAM avec un guidage laser terminal, élimine ce problème avec la possibilité de viser
Iraki Freedom rendaient également des objectifs en déplacement rapide.
difficile la lecture de la situation sur Les roquettes à guidage laser ont également révolutionné la vie des pilotes de A-10C
le terrain, ce qui déboucha là aussi sur en combinant un très haut niveau de précision avec une charge militaire équivalente à
deux situations de tirs fratricides : le celle d’une grenade. La précision est suffisante par exemple pour viser la cabine d’un
23 mars 2003, deux A-10 mitraillent camion ou un poste de tir isolé, sans risque de dommages collatéraux.
accidentellement une unité du génie Le canon reste toujours l’arme de saturation idéale : une cinquantaine d’obus (un peu
des Marines près de Nasiriyah. moins d’une seconde de tir) sont capables de détruire un objectif durci. Trois secondes
Un Marines est tué et 17 autres bles- de tir (soit 210 obus) permettent de saturer une zone d’environ 200 m2 et d’atteindre
sés. Cinq jours plus tard, c’est au tour par leurs éclats des combattants dissimulés par exemple dans des rochers.
des Britanniques de faire les frais Un pod de sept roquettes « white phosphorous » est emporté pour marquer les objec-
d’une terrible méprise quand deux tifs. Les réservoirs auxiliaires, qui limitent la manœuvrabilité de l’avion (maximum 3G
A-10 attaquent un de leurs véhicules d’accélération), ne sont jamais emmenés au combat.
blindés. Un homme est tué et cinq Pour les missions de nuit, l’avion peut emporter un conteneur LUU-19 avec huit chan-
autres blessés. delles. Chacune brûlant environ cinq minutes, une patrouille de deux avions à la
possibilité d’éclairer la scène d’un TIC (1) pendant plus d’une heure en se relayant.
Les chandelles, qui sont également souvent utilisées pour éclairer des zones de poser
Une menace pour les hélicoptères, brûlent en fournissant une lumière dans le proche infrarouge.
sol air limitée A l’œil nu, elles apparaissent comme de faibles lumières rouges.
Un seul appareil est abattu au
cours de l’opération Iraki freedom,
vraisemblablement par un missile sol-
air Roland, ce qui est une fois de plus
exceptionnel au regard du nombre de
missions effectuées et des prises de
risques. Il est vrai que les défenses
anti-aériennes sont moins intenses
que pendant la première guerre du
Golfe. Pendant dix ans avant le dé-
clenchement de l’opération, au cours
des missions Souhern Watch et Nor-
thern Watch, Britanniques et Améri-
cains n’ont cessé de harceler les forces
irakiennes en rognant progressive- Le pod de désignation Litening fait bon ménage avec les missiles Maverick.
ment leurs capacités militaires. Le A-10 a du punch et une vue perçante ! (Frédéric Lert)
1 Troop In Contact
Les sanctions économiques pour-
suivent ce travail de sape et, quand
l’opération Iraki Freedom est lancée,
plusieurs centaines de missiles anti
radar sont envoyés contre les dernières
batteries de missiles guidés. Le ciel se
dégage considérablement pour tous les
appareils alliés, y compris les A-10 !
Une fois cette phase de combat
conventionnel terminée commence
la guerre anti-insurrectionnelle. Les
« rebelles » irakiens ne disposant pas
de missiles portables sophistiqués,
la menace se résume essentiellement
aux armes automatiques, aux armes
de petits calibres ou même aux lance-
roquettes. Autant de menaces aux-
quelles le A-10 est parfaitement taillé
pour faire face. Bien mieux dans tous
les cas que les hélicoptères de com-
bat puisque, pour la perte d’un seul
A-10, l’US Army enregistre en Irak
la disparition au combat de pas moins
de douze AH-64 Apache de différents
types entre 2003 et 2010  ! Aucun
appareil n’a été perdu au combat à Rechargement du canon GAU-8 avec le chariot automatisé.
ce jour en Afghanistan. ■ Attention, c’est du lourd… (USAF)

73
CHAPITRE 2

Afghanistan : les A-10


sauvent la peau des forces
spéciales britanniques

74
E
n juin 2012, l’unité de A-10
28 juin 2012, Afghanistan : l’intervention habituellement basée à Kan-
dahar, dans le sud de l’Af-
continue de plusieurs patrouilles de A-10 ghanistan, est déplacée à Ba-
permet de sauver un détachement de gram. Cette remontée dans
le nord du pays, sur la grande base
Britanniques et d’Afghans tombés dans une américaine installée à quelques kilo-
mètres seulement de Kaboul, est
embuscade. Un récit du lieutenant-colonel dictée par l’emploi opérationnel des
Paul « Zucco » Zurkowski et de son ailier, avions. La plupart des engagements
des avions d’appui américains se font
le major Christopher « Metro » Cisneros. à cette époque dans l’est du pays, à la
frontière avec le Pakistan. Partir
depuis Bagram au lieu de Kandahar
divise par trois le temps de réponse
des avions, qui passe de trente à dix
minutes seulement. Vingt minutes de
La « hero picture » : alors gagnées pour obtenir un appui aérien
qu’il est basé à Bagram, quand on se fait tirer dessus dans un
quelques kilomètres au
fond de vallée, ce sont des chances de
nord de Kaboul, le lieute-
survie considérablement augmen-
nant-colonel Zurkowski
tées…
prend la pose devant son
avion armé de bombes
JDAM à guidage GPS. Une embuscade
(Coll. lieutenant- sur le chemin du retour
colonel Zurkowski)
Le 28 juin 2012, les A-10C du 104th
Fighter Squadron de la garde natio-
nale du Maryland sont donc installés
à Bagram. Ils forment alors le 104th
Expeditionary Fighter Squadron,
455th Expeditionary Operations
Group du 455th Air Expeditionary
Wing. Les appareils sont arrivés la
première semaine d’avril 2012, en
remplacement de ceux du 47th FS de
Barksdale, US Air Force Reserve.
Pour le lieutenant-colonel Paul
« Zucco » Zurkowski (qui est égale-
ment le commandant du 104th FS) et
son ailier, le major Christopher
« Metro » Cisneros (1), la journée pro-
met d’être intéressante  : les deux
hommes sont « taskés » (envoyés)
sur la protection d’une opération
conduite par les forces spéciales bri-
tanniques du 16th SBS2 augmentées
d’un fort contingent d’Afghans. Au
total, plus de 90 hommes dont seize
Britanniques qui sont allés chatouiller
les insurgés dans des zones difficiles
d’accès, dans la province de Kunar, au
plus près de la frontière avec le
Pakistan. Les troupes ont été infil-
trées par hélicoptères et il est prévu
que des hélicoptères viennent égale-
ment les rechercher à l’issue. Signe
que l’opération est importante et le
niveau de risque élevé, une patrouille
de couverture est accordée. C’est une
bonne chose, parce que les 90 hommes
vont tomber dans une solide embus-
cade sur le chemin du retour…
Les deux premiers avions du jour
sont les A-10C « Hawg 51 » et « Hawg
52 », qui ont décollé alors qu’il fait
encore nuit. Zucco et Metro, qui doi-
vent les remplacer, ont pour indicatif
« Hawg 55 » et « Hawg 56 ».
75
AFGHANISTAN : LES A-10 SAUVENT LA PEAU DES FORCES SPÉCIALES BRITANNIQUES

Malgré sa relative lenteur, le A-10 reste de très loin l’avion préféré des combattants au sol. Il apporte une solide puissance
de feu et surtout une excellente autonomie qui lui permet de rester longtemps au contact. (USAF)

Il est 8h du matin quand Hawg 55 un TIC est déjà déclaré au sol, raconte élevées. Les Britanniques sont en train
et 56 décollent de Bagram pour un Zucco. Les forces amies sont harce- de se désengager et quittent progres-
transit d’une vingtaine de minutes : lées par quelques coups de feu isolés. sivement un versant de la vallée pour
la zone d’action se situe à une cen- Je prends les éléments auprès de Hawg remonter de l’autre côté, où viendront
taine de nautiques, à proximité de la 51 qui est resté un peu en arrière, le les chercher des hélicoptères. »
frontière pakistanaise. La météo sur temps de me briefer. La situation n’est
place promet d’être correcte avec pas très simple au sol, avec une géo- Le grand cirque
une couverture nuageuse morcelée à graphie compliquée, de nombreuses
15 000 ft. ramifications de la rivière qui coule « Je prends contact avec le JTAC
« Quand nous arrivons sur place, au milieu de deux lignes de crête très britannique, nom de code Mayhem.

Des appareils sans doute préparés pour un convoyage en raison de la présence de réservoirs supplémentaires.
Ces derniers ne sont jamais utilisés au combat parce qu’ils limitent trop les capacités d’évolution des avions. (USAF)
76
On l’entend à la radio, les gars ne traî-
nent pas dans la vallée, il souffle dans
le micro. Mayhem m’explique qu’ils
ont reçu quelques coups de feu mais
qu’à présent, la situation est plutôt
calme. Il a toujours des gars qui sont
au nord de la rivière et qui sont en train
de traverser. »
Hawg 55 et 56 ne sont pas seuls
sur zone. Au-dessus d’eux tournent
un AC-130, un MC-12 d’écoute élec-
tronique avec un linguiste à bord et,
au-dessus de tout le monde, un B-1B.
A ce moment la météo est telle que
décrite au briefing et il ne pleut pas
encore, mais les deux pilotes réalisent
vite que la situation est en train de se
dégrader très rapidement : un orage
arrive par le nord-est, les nuages com-
mencent à dégueuler par-dessus les Tour d’avion avant de partir en vol et dernier coup d’œil sur une JDAM.
crêtes et le plafond descend progres-
sivement. Les extrémités de la vallée
sont bien parties pour se boucher et
l’orage se met en place. Les autres ap-
pareils quittent progressivement la
zone, les minima étant atteints pour
eux. Le MC-12 est le dernier à partir
et 45 minutes après leur arrivée, les
deux A-10C se retrouvent seuls dans
la vallée. Le décor est installé et les
acteurs sont en place pour la pièce qui
va débuter…

Les yeux
dans les jumelles
Zucco poursuit son récit : « Au sol
les troupes amies continuaient à tra-
verser lentement la vallée pour s’en-
gager sur la pente au sud de la rivière.
Quand on suit les mouvements depuis Le A-10C a reçu beaucoup d’améliorations de son système de mission.
un avion, tout se fait à une allure déses-
pérément lente. Il faut faire un effort
pour imaginer que les gars transpirent
sous la chaleur et le poids de leurs
sacs… Sous mon avion, je voyais un
petit éperon rocheux qui se terminait
en pointe au niveau d’une carrière de
pierre. Les soldats étaient en train de
le contourner. En temps normal, nous
utilisons notre nacelle de désignation
d’objectif pour suivre les mouvements
des gars au sol. Mais, avec 90 bon-
hommes qui s’étiraient sur plusieurs
centaines de mètres, il était encore plus
simple de le faire à l’œil nu ou avec
une paire de jumelles. »
10h30. Déjà deux heures que les
avions sont sur place et le niveau de
carburant continue de descendre
inexorablement. Les A-10C n’em-
portent pas de réservoirs externes au
combat pour ne pas être limités dans
leurs évolutions (la limite est de 3G
avec les réservoirs). Malgré tout « Zucco » devant
l’avion présente la meilleure auto- son avion, entre deux
nomie de tous les appareils de com- missions… (Coll. lieute-
bat avec un peu plus de trois heures nant-colonel Zurkowski
sur les seuls pleins internes. Zucco pour les trois photos)

77
AFGHANISTAN : LES A-10 SAUVENT LA PEAU DES FORCES SPÉCIALES BRITANNIQUES

Environnement typique pour l’A-10 en opération avec les troupes au sol. (USAF)

décide alors d’envoyer son ailier re- avec moi. On voyait alors une pluie est tombé sur la vallée avec de fortes
prendre du pétrole auprès du ravi- violente qui bouchait l’horizon bourrasques de vent et une pluie bat-
tailleur qui leur est affecté. au nord et qui se rapprochait de nous. tante. »
« Je l’ai envoyé quinze minutes plus Au bout d’un quart d’heure, Metro est
tôt que prévu pour compenser l’éloi- reparti chercher le tanker, pour de bon Le chaos s’installe
gnement du Boeing. Mais, après cette fois. Mais ce qui aurait dû lui
dix minutes, Metro était déjà de retour : prendre une demi-heure demandera C’est le signal attendu par les in-
le tanker était parti trop loin au sud en fait deux fois plus de temps, le temps surgés pour lancer leur attaque. Les
pour ravitailler des F-16. Il était plus de trouver un coin de ciel tranquille Britanniques comprennent alors
judicieux d’attendre qu’il en ait fini en dehors des orages qui commen- qu’elle a été préparée de longue date.
avec les F-16 pour qu’il se rapproche çaient à bourgeonner partout dans Sans doute leurs ennemis ont-ils eu
de nous. Chris est donc revenu passer la région. Et juste après son départ, des informations préalables sur
quelques minutes supplémentaires l’orage que je voyais venir du nord la patrouille par leurs infiltrés dans

A son retour aux Etats-Unis, le lieutenant-colonel Zurkowski pose en Peinte sur l’avion de « Zucco »,
compagnie de Chuck Yeager. (Coll. lieutenant-colonel Zurkowski) l’actrice Diana Riggs. (Frédéric Lert)

78
lée et de la remonter vers le nord puis zulu dans mon HUD et je décale
vers l’ouest, en suivant sa courbure. A la visée de cent mètres à droite. Brrr…
l’issue du passage, Mayhem me dit que Je lâche une longue rafale de deux cents
les tirs ont cessé depuis l’ouest mais obus dans cette deuxième passe. Et là
qu’ils restent toujours très nourris j’apprends qu’il y a encore cinq gars
depuis le nord. Je fais deux autres pas- à nous qui sont encore au nord de la
sages, mais ça ne suffit pas. Mayhem rivière et qui font tout ce qu’ils peu-
me transmet alors une « 9 line » (3) vent pour accélérer le mouvement.
pour un premier tir au canon. Je ne L’un d’entre eux glisse dans l’eau en
suis pas très chaud pour le canon, la traversant mais il s’en sort. Quelques
situation n’est pas claire au sol, je ne minutes plus tard, ils sont tous du bon
sais pas où sont précisément les der- côté du cours d’eau, mais tout le monde
niers soldats de son groupe et la cible continue à se faire canarder depuis les
qu’il me donne est en bordure de ma crêtes au nord de la vallée.
carte ! Je lui dis que je préférerais tirer A la demande du JTAC, je me re-
une roquette en premier pour bien mar- mets en place pour une troisième passe
quer la zone et il me donne son accord. et là, alors que je lâche une volée
Je fais un circuit, reviens face à l’ob- d’obus, je vois que ça explose dans tous
jectif et tire une première roquette à les sens devant mon pare-brise blindé !
environ 1,6 km de distance. Un clic sur J’ai eu l’explication au retour : les obus
le « mark zulu » et la position de l’im- étaient anciens et le cerclage en plas-
pact est automatiquement enregistrée tique permettant de caler la munition
par l’avion et elle apparaît dans mon dans le tube était apparemment fragi-
affichage tête haute. Ce premier tir va lisé. Mal calé dans le tube, l’obus sor-
pouvoir me servir de référence pour tait avec une vitesse de rotation insuf-
les passes suivantes. Le « mark zulu » fisante et il était déstabilisé. Des obus
est une aide essentielle pour le close se sont percutés en vol et ont explosé
air support, et encore plus quand il fait devant l’avion, sans dommage pour
un temps pourri ! En dégageant je me moi bien heureusement. »
fais allumer par l’ennemi. Pour ne rien
arranger il commence à pleuvoir vrai- Réduire les dommages
ment fort et, si je vois encore le sol à
l’armée afghane. Comme en 2008 dans l’aplomb de mon cockpit, je ne dis- collatéraux
l’attaque d’Uzbin contre les para- tingue plus grand-chose devant ! Les Zucco continue son récit : «Pour
chutistes français, d’importantes éclairs tapent sur les sommets alen- essayer de briser le contact avec l’en-
quantités de munitions ont été pré- tour. Un point positif tout de même : nemi, je fais quand même une qua-
positionnées sur les lieux de l’em- je tourne dans la zone depuis une heure trième puis une cinquième passe au
buscade et des postes de combat ont et je commence à connaître cette val- canon en vidant mon chargeur sur la
été aménagés et très bien camouflés. lée comme le fond de ma poche  ! ligne de crête au nord de la position
Des feux nourris tombent sur les sol- Je sais où sont les pentes et les som- amie. A ce stade, mes 1150 obus
dats britanniques et afghans depuis mets à éviter… A l’est de ma position, consommés, il ne me reste sous les ailes
l’extrémité ouest de la vallée et la en direction du Pakistan, la montagne que trois GBU38. Des bombes à gui-
crête qui la borde au nord. est dans les nuages. dage GPS de 250 kg avec un corps en
« Mayhem me demande alors un Pour la deuxième passe, le JTAC fibre de carbone, optimisées pour
show of force en fond de vallée. me demande de tirer au canon avec réduire le nombre d’éclats et les
Je m’éloigne vers le sud en moyenne une correction de cent mètres en di- dommages collatéraux. Mais, pour les
altitude avant de plonger dans la val- rection de la crête. Facile ! J’ai le mark tirer, il aurait fallu que je remonte au-

Le lieutenant-colonel Zurkowski présente ses citations obtenues


à la suite de la mission du 28 juin 2012. (Frédéric Lert)

79
AFGHANISTAN : LES A-10 SAUVENT LA PEAU DES FORCES SPÉCIALES BRITANNIQUES

dessus de la couche et je n’avais alors la tête en dehors du cockpit et les yeux


pas trop confiance dans l’exactitude comme principal capteur… »
des coordonnées que l’on aurait pu me Comme l’a fait avant lui son lea-
donner. Les JTAC étaient bien stres- der, Hawg 56 commence par tirer des
sés au sol… Je regarde ma consom- roquettes dans la direction des in-
mation, c’est pas brillant : j’ai beau- surgés pour cadrer la zone d’action.
coup consommé en tournant au fond Un préalable essentiel aux tirs avec
de la vallée et je suis sous mon bingo : le canon. Mais le feu ennemi sur les
à peine 1 800 pds dans les réservoirs. JTAC britanniques est intense et
En temps normal, il m’aurait fallu quit- ceux-ci ont du mal à lever la tête pour
ter l’objectif avec 2200 pds de carbu- lui faire passer des corrections.
rant pour me poser sereinement avec « Le JTAC me parle quand il peut,
800 pds dans les réservoirs : je suis à ses mots sont hachés. De toute évidence
cent miles de Bagram et la consom- il passe un mauvais quart d’heure. A
mation économique est de 10 pds par un moment il me dit qu’il doit s’occu-
mile. Le tanker est encore plus loin et per de lui et me passe quelqu’un d’autre
c’est même plus la peine d’y penser… à la radio. Sur le moment je l’ignore :
1700 pds maintenant. Je n’ai plus droit il vient d’être touché  ! Au total j’en
à l’erreur. Je dois immédiatement viens à parler à trois personnes diffé-
prendre le chemin direct vers Bagram rentes cet après-midi, les deux premiers
en régime économique, en coupant au JTAC s’étant fait allumer successive-
plus court. Je sors de la vallée et grimpe ment ! »
le plus vite possible à 30 000 ft pour Alors que Hawg 56 en est encore
ensuite me laisser redescendre tran- à débrouiller les fils des situations des
quillement vers Bagram, les moteurs uns et des autres, une autre patrouille
au plein ralenti. Heureusement pour de A-10 l’appelle sur la fréquence :
moi, le vent est insignifiant et ne me ils sont envoyés par Zucco qui les a
gêne pas. Un peu plus au calme, j’en contactés en quittant la zone. Ils ont
profite pour passer le plus d’éléments des munitions et du playtime. Peu-
possible à Metro qui ne va pas tarder vent-ils donner un coup de main  ?
à arriver. » C’est pas de refus ! Hawg 56 sort alors
quelques minutes de la vallée pour
Le retour aux aller les chercher et les ramener au
bon endroit dans son sillage, sous la
fondamentaux pluie et entre les sommets perdus dans
Mais quand celui-ci revient sur les nuages. pectant soigneusement mon appareil,
zone, il n’en croit pas ses yeux, la val- De retour au-dessus de la rivière les mécaniciens trouvent trois impacts
lée est complètement bouchée par la au fond de la vallée, les trois avions de balles, deux dans la profondeur et
météo face à lui. Zucco insiste : il faut se coordonnent pour mettre en place un dans l’aileron de droite. Je n’avais
qu’il trouve un passage et descende, une noria et ne pas se gêner. Une fois pas senti les impacts mais je me sou-
les gars au sol ont absolument besoin de plus, ils commencent par marquer viens avoir vu passer une traçante au
de lui… Metro trouve son passage en les objectifs à la roquette avant d’en- ras du pare-brise pendant le tir de ma
faisant un large détour et en allant chaîner les passes de tir au canon. Il première roquette… »
chercher plus loin une ouverture vers y en aura au total trois par avion,
la vallée. Mais, quand il arrive sur la toutes en situation de « danger close », Seuls au fin fond
zone du TIC, il est déstabilisé : on lui c’est-à-dire au plus près des forces
demande de tirer autour de la car- amies. En fin d’après midi, l’ennemi de la vallée
rière, dans une zone que les « amis » finit par décrocher, usé par les passes Le lendemain de l’opération,
occupaient encore à son départ vers de tir et l’omniprésence des A-10 dans Zucco et Metro vont rendre visite aux
le ravitailleur. Le JTAC confirme son le ciel. La pression se relâche sur les deux JTAC hospitalisés sur la base de
ordre. commandos SBS et leurs alliés af- Bagram. Les hommes ne sont pas gra-
« Le JTAC me demande de placer ghans et les hélicoptères peuvent vement touchés, ils s’en tireront sans
des munitions immédiatement, mais je enfin s’approcher. Ils récupèrent en problème. La rencontre est intense,
ne suis pas serein ; il me faut quelques premier les blessés, parmi lesquels les l’émotion très forte. « Vous nous avez
minutes pour prendre la mesure de la deux JTAC britanniques. sauvé la peau, expliquent les deux
situation au sol, raconte Metro. Le tir Pendant ce temps, Zucco a déclaré JTAC. Sans votre intervention, le
fratricide, c’est la hantise de tout le une emergency (4) : la météo très mau- risque était réel que les insurgés nous
monde… En plus de ça, les gars qui se vaise sur les contreforts de l’Hindu coincent…  » La mission vaudra
font tirer dessus sont dans un état de Kush a retardé sa descente vers d’ailleurs au lieutenant-colonel Zur-
stress incroyable. Ils peuvent se trom- Bagram et il se pose un peu après kowski et au major Cisneros
per dans leurs indications. Dans une 11h30 avec moins de 700 pds dans les la Distinguished Flying Cross. Pour
telle situation de CAS dynamique, par réservoirs à l’issue de sa descente en
définition très mouvante, il est indis- vol plané. « Je veux faire un hot re- (1) Equivalent de commandant.
(2) Special Boat Service.
pensable que je me bâtisse ma propre fuelling (5) à Bagram mais les opéra- (3) Grille de renseignement fournie par le
appréciation de la situation, que je vois tions ne veulent pas. Un ravitaillement JTAC aux équipages. La « 9 line » contient
les positions des uns et des autres par moteur tournant, c’est une procédure des informations essentielles pour le tir et
moi-même. J’essaie d’utiliser le pod, spécifique qui doit se planifier. J’ar- elle est un préalable à toute action de feu.
(4) Situation d’urgence.
mais la visibilité est vraiment trop mau- gumente tant que je peux, mais ils sont (5) Ravitaillement moteur tournant, sans
vaise. Il faut en revenir au basique : intraitables. Et ils ont raison : en ins- quitter le cockpit.
80
Au décollage depuis Bagram, avec les silhouettes caractéristiques des
C-130 Hercules en arrière-plan au sol. (USAF)

les pilotes, le bilan est également clair situation à l’œil nu. « C’était une si- de manière à offrir une couverture
et net : ils étaient les seuls sur zone, tuation comme on en a souvent ren- continue aux troupes. Et aucun autre
en basse altitude, en fond de vallée et contré en Afghanistan, explique appareil n’aurait eu autant de muni-
les insurgés ne se sont pas privés Zucco. Du “  dynamic CAS  ” avec tions, plus de 1000 obus par A-10, pour
d’essayer de les abattre. Le A-10 a de un relief compliqué, une situation qui enchaîner les passes de tir dévasta-
nouveau fait la preuve de son effica- évolue trop vite au sol pour permettre trices. C’est avec de tels cas de figure
cité. “ la guerre à distance ” et l’utilisation que l’on se rend compte qu’il n’existe
En fait aucun autre avion n’aurait d’armements à guidage GPS. Aucun pas aujourd’hui, dans l’arsenal amé-
pu voler aussi bas, aussi lentement autre avion n’aurait eu l’endurance ricain, un appareil capable de le rem-
pour permettre au pilote d’étudier la pour rester aussi longtemps sur zone placer. » ■

Sans transition, les avions décollant de Bagram pénètrent immédiatement en zone


de combats. Les risques de se faire allumer au décollage ou à l’atterrissage sont bien réels,
tout comme les attaques directes lancées au sol contre la grande base américaine. (USAF)
81
CHAPITRE 2

2007 : le A-10C
entre en scène
L
es premiers appareils dotés
Le A-10 monte une fois de plus au front après de la modernisation « Preci-
2007, et cette fois dans sa version modernisée sion engagement  » se dé-
ploient en Irak en 2007 dans
« A-10C ». Ce qui n’empêche pas l’USAF de le cadre de l’opération Iraki
Freedom avec le 104th FS de la garde
toujours vouloir tuer l’avion en réduisant inexo- nationale du Maryland. Les systèmes
rablement le nombre d’escadrons et en traînant de communication et les équipements
de visée de cette version modernisée
des pieds pour la rénovation des voilures. Une du A-10, capable notamment de
mettre en œuvre des bombes et des
histoire dont le dernier chapitre n’est toujours roquettes guidées, améliorent consi-
dérablement les temps de réaction
pas écrit en juin 2018… de l’avion dans l’acquisition et l’at-
82
rica » (1), livrés aux Irakiens et tom-
bés entre les mains de l’Etat islamique
au cours de son offensive éclair et de
la débandade de l’armée irakienne.
Au début des missions, les avions
sont installés sur la base aérienne
d’Al Jaber au Koweit et sont engagés
quotidiennement dans des opérations
marathons  de sept à dix heures de
long  ! Il s’agit principalement de
missions CAS mais il leur arrive
également d’être engagés contre des
objectifs prioritaires « time sensitive »
ou ordonnées par le CAOC (2) sur
la foi d’informations fraîchement
recueillies.
Au cours de certains engagements
intenses, les JTAC (Joint Terminal At-
tack Controller, les spécialistes du
contrôle aérien) au sol ne pouvant
faire face à la demande et aux flux
d’avions, les pilotes de A-10 endos-
sent également de manière informelle
le rôle d’airborne FAC. Les appareils
participent aussi à des alertes CSAR
en vol, notamment dans le cas de
raids massifs engagés par les alliés :
les A-10 évoluent en arrière des as-
saillants et se tiennent prêts à inter-
venir en cas d’éjection. Une seule
mission réelle est déclenchée, le 24
décembre 2014, lorsqu’un pilote jor-
danien s’éjecte de son F-16. L’homme,
qui ne pourra pas être récupéré, sera
finalement capturé et exécuté par
l’Etat islamique.

Entre Irak et Afghanistan,


le cœur du A-10C balance
Les A-10 font face à plusieurs tirs
de missiles sol-air portables mais sans
perte. Le 15 novembre 2015, des
A-10 appuyés par des AC-130 sont
envoyés contre un dépôt de camions-
citernes, portant ainsi un coup
sévère aux capacités de trafic et de
Quel plus beau témoignage financement de l’Etat islamique.
de la valeur du A-10 et de Plus d’une centaine de camions sont
son implication dans les combats détruits au cours de cette opération
que l’image de cet appareil qui a pris le nom de Tidal Vawe II.
sérieusement sali par Une référence directe à la Seconde
les tirs canons ! (USAF) Guerre mondiale et à la première opé-
ration Tidal Vawe dirigée contre les
bases aériennes allemandes. Pendant
taque des objectifs. Très rapidement, Dawn en Libye. Et, à partir d’octobre ce temps, les opérations se poursui-
les avions sont également déployés 2014, l’USAF annonce qu’elle va en- vent en Afghanistan jusqu’en 2015,
en Afghanistan pour l’opération gager 12 des 21 escadrons de A-10 date à laquelle les A-10 quittent
Enduring Freedom. Entre 2009 et dans l’opération Inherent Resolve le pays. Le 19 janvier 2018, après une
2012, les A-10C réalisent environ 20% contre l’Etat islamique en Irak et en interruption de trois ans, douze ap-
de l’activité chasse sur ces théâtres, Syrie. C’est le grand retour sur scène pareils du 303rd Expeditionary Figh-
accumulant entre 27 800 et 34 500 sor- de la brute épaisse ! ter Squadron sont envoyés à Kanda-
ties par an. C’est beaucoup plus que A partir de la mi-novembre, har, dans le sud du pays.
les F-15 E mais moins que les F-16 les avions sont sollicités quotidien- Le A-10 remonte en selle et l’idée
(beaucoup plus nombreux), qui ef- nement contre des objectifs en centre un temps caressée par le Pentagone
fectuent 33% des sorties. En mars Irak et dans le nord-ouest du pays. de retirer définitivement l’avion du
2011, petit intermède dans les mis- Ironie de l’histoire, leur travail service en 2019 est à présent caduque.
sions en Asie Centrale. Six appareils consiste essentiellement à détruire Il reste aujourd’hui un peu plus
participent à l’opération Odyssey des matériels « proudly made in Ame- de 200 avions en état de vol, dont
83
2007 : LE A-10C ENTRE EN SCÈNE

Le A-10C est l’avion des armements guidés par laser et GPS. (USAF)

environ 150 «  combat coded  » (3) cesse de vouloir retirer l’avion du ser- rain… Ce bras de fer entre suppor-
répartis au sein de neuf escadrons vice pour faire place nette au F-35. ters et opposants au A-10 a pris une
(cinq unités de réservistes et quatre Chaque année, elle revient à la charge tournure surréaliste en février 2015
de l’Active). Modernisé et porté au et chaque année elle se heurte au lorsque le général James Post, numéro
standard A-10C, l’avion est un frin- Congrès, animé par une poignée 2 de l’Air Combat Command, s’est
gant quadragénaire doté d’une nou- d’élus, qui lui impose de garder retrouvé à huis clos face à ses com-
velle avionique et de voilures neuves, l’avion. Une résistance législative qui mandants d’unité pour les sermon-
qui pourraient lui permettre de conti- n’était pas prévue dans le cahier des ner, en leur tenant notamment
nuer à batailler jusqu’en 2030… au charges du AX, mais qui est une consé- le discours suivant  : «  (…)  Si qui-
moins. Mais l’US Air Force ne l’en- quence directe des résultats excep- conque m’accuse d’avoir dit ce que
tend pas de cette oreille et n’a eu de tionnels obtenus par l’avion sur le ter- je vais vous dire, je le nierai (…). Qui-
conque parlera aux membres du
Congrès des capacités et des succès du
A-10 sera coupable de trahison. »

Dire du bien du A-10,


c’est trahir !
Le mot est extraordinairement
fort, il est d’ailleurs enregistré par
quelques-uns des officiers présents,
outrés par le chantage insupportable
qui leur est fait. Informer les élus char-
gés de la politique du pays fait
d’ailleurs partie des prérogatives des
officiers supérieurs. Les menaces du
général Post sont rendues publiques
sur un blog de défense et l’homme
sera sanctionné pour la forme : il chan-
gera de commandement…
Le général Goldfein, qui devient
chef d’état-major de l’USAF en juillet
2016, continue le travail de sape de
ses successeurs mais de manière plus
subtile. Il continue de dire que le
A-10 est merveilleux ce qui ne l’em-
Sous la voilure de ce A-10C, un large échantillonnage de la panoplie offensive de pêche pas d’évoquer un plan de re-
l’avion, depuis les roquettes et les GBU jusqu’aux JDAM et missiles Sidewinder. (USAF) trait définitif de l’avion pour 2021.
84
173. De quoi équiper a priori six es-
cadrons. Boeing fait son travail, mais
décide ensuite de jeter l’éponge et
de ne pas soumissionner pour un
deuxième lot : le contrat ne serait pas
assez rentable et les prix fixes négo-
ciés ne lui permettraient pas de s’y
retrouver. Et une centaine d’avions
restent le bec dans l’eau. Pour l’Air
Force, prolonger la vie du A-10 n’est
pas vraiment une priorité et le contrat
tombe en déshérence, ce qui oblige à
reprendre aujourd’hui tout le pro-
cessus  : lancer un appel d’offres,
sélectionner un vainqueur, rétablir
une ligne de production. Boeing res-
terait a priori sur les rangs avec son
savoir-faire et les outillages, mais il va
falloir renégocier les conditions…

Bras de fer
avec le Congrès
Depuis 2013, c’est le Congrès
(c’est-à-dire le pouvoir politique) qui
a obligé l’US Air Force à garder le
A-10 dans son inventaire. Et c’est de
nouveau le Congrès qui, début 2018,
impose à l’Air Force un budget de
103 millions de dollars pour relancer
la fabrication des nouvelles voilures.
Il évoque alors une économie de des voilures de l’avion : les A-10 en- On évoque à présent la possibilité
quatre milliards de dollars sur cinq gagés dans les opérations extérieures de contractualiser la fabrication de
ans qui pourrait être apportée par la volent six fois plus qu’en temps de 112 voilures supplémentaires à par-
mise à la retraite anticipée de l’avion. paix, ce qui entraîne une consomma- tir de mars 2019 et sur une période
Puis il met en avant un autre argu- tion très rapide du potentiel des voi- de sept ans. Malgré les assurances de
ment : le personnel technique rendu lures. En mars 2016, l’Air Force l’Air Force, certains analystes assu-
libre par l’abandon du A-10 pourrait contractualise Boeing pour fabriquer rent toutefois que la fabrication des
être affecté à la montée en puissance de nouvelles ailes, qui pourraient ame- nouvelles voilures ne se fera jamais
du F-35. ner l’avion au-delà de 2030. Le contrat et que l’Air Force jouera constam-
est de deux milliards de dollars pour ment la montre en faisant le dos rond
Pilote de A-10, 242 voilures, avec un premier lot pour devant les injonctions du Congrès… ■

une voie de garage


« Tous les chefs d’état-major suc-
cessifs expliquent avec des trémolos
dans la voix que l’avion est mer-
veilleux, qu’ils ont volé dessus quand
ils étaient jeunes pilotes, explique un
officier de la garde nationale. Mais ce
qu’ils ne disent pas, c’est qu’ils n’ont
fait qu’un tour d’un ou deux ans à son
bord, comme beaucoup d’autres pi-
lotes. Puis ils sont partis faire autre
chose très vite. Car, pour progresser
dans la hiérarchie de l’Air Force, il faut
faire de l’avion pointu et celui qui passe
trop de temps sur A-10 est certain de
ne pas avancer… »
Entretemps s’est également en-
gagé un bras de fer sur la rénovation

(1) « Fièrement fabriqué aux Etats-Unis »,


selon le slogan de certaines firmes…
(2) Combined Air Operations Centre,
le centre de commandement interallié qui
planifie, coordonne et contrôle l’engage-
ment des forces aériennes. De la fabrication des voilures neuves dépend le futur de l’avion. Le programme coûte
(3) C’est-à-dire « aptes au combat ». cent millions de dollars pour une centaine d’avions : le prix d’un seul F-35… (USAF)
85
CHAPITRE 3

Le A-16 : l’histoire du F-16


qui voulut jouer au A-10…
Au milieu des
années 1980, l’USAF
souhaita remplacer
le A-10 par le chas-
seur léger. Une idée
qui tourna court…

A
vant même que commence
la guerre du Golfe, l’US Air
Force cherche déjà le
moyen de se débarrasser du
A-10. Et quoi de mieux
pour y arriver que de proposer une
version du F-16 optimisée pour le tra-
vail air-sol, qui ferait ainsi du A-10
un appareil has been ? C’est ainsi que
naît l’idée du A-16, un F-16 survita-
miné auquel on aurait donné la puis-
sance de feu du A-10, avec en plus un
cerveau et de bons yeux pour deve-
nir le roi de la nuit... Pour obtenir cette

86
puissance de feu, l’USAF adapte le
canon quadritube GAU-13 (en ca-
libre 30 mm) dans un pod qui accueille
également les munitions  : 353 obus
similaires à ceux du A-10. Le pod
prend la désignation GPU-5 pour
l’Air Force, ou GEPOD 30 pour
General Dynamics, le fabriquant de
l’arme. L’ensemble est massif mais
suffisamment compact pour être em-
porté par un avion tactique.

Les premiers
L’emploi du canon monté en nacelle se révèle catastrophique en Irak.
seront les derniers ! C’est à se demander si l’USAF avait testé le montage ! (USAF)
Le A-16 doit également recevoir
un ensemble Falcon Eye au-dessus du puissance de feu au F-16 reste dans aérienne. Mais la première mission
radar, rassemblant un FLIR et un sys- l’air et des nacelles GPU-5 sont four- avec les canons sera aussi la dernière :
tème de ciblage installé aussi sur le nies au 174th TFW de New York. le tir au canon n’a, semble-t-il, pas été
nez de l’avion et dans l’emplanture L’unité a échangé ses A-10 contre des testé avant l’engagement au combat.
des ailes. Le pilote doit en outre être F-16A block 10 en 1988 et elle a été Ou bien il l’a très mal été. Toujours
équipé d’un viseur de casque. L’en- sélectionnée pour être la première est-il que le canon monté en pod vibre
semble doit offrir au pilote une image unité de F-16 spécialisée dans l’ap- terriblement et le tir se révèle com-
exceptionnelle de son environnement pui-feu. Ses avions reçoivent un plètement imprécis. Les plus impor-
de jour comme de nuit, dans les mis- camouflage intégral vert du plus bel tants dégâts ne sont pas sur les cibles
sions d’appui-feu. Le système est effet, mais l’histoire va rapidement au sol mais dans l’avion, les vibrations
monté sur un appareil d’essais mais montrer que l’habit ne fait pas le incontrôlables semant la désolation
il se révèle trop complexe et il est moine… Des appareils de Shaw et dans son électronique embarquée  !
abandonné car déjà se profilent à l’ho- Nellis AFB sont également modifiés « Ils ont fait une première mission et
rizon des nacelles de ciblage et de gui- pour la mission et participent à des le résultat a été si mauvais qu’ils n’ont
dage d’armement plus simples et plus essais d’avionique. Quelques mois même pas rechargé les canons, raconte
performantes. Mais l’idée d’un A-16 plus tard débute la guerre du Golfe Pierre Sprey avec un sourire en coin.
spécialisé dans la mission CAS ne et le 174th TFW est immédiatement Ils les ont immédiatement démontés
meurt pas pour autant. engagé dans la guerre, avec pour mis- et on n’a plus jamais entendu parler
Mais le projet d’apporter de la sion de s’attaquer aux sites de défense du A-16… » ■

Un cochon avec du rouge à lèvres reste un cochon... De la même manière,


un F-16 peint en vert reste un F-16, c’est-à-dire un appareil taillé pour la vitesse
et pas fait pour recevoir du plomb... En somme, tout le contraire de ce que doit
être un bon avion d’appui-feu. (USAF)

87
CHAPITRE 3

Quel successeur
pour le A-10 ?
Le scandale n’est pas que
le A-10 soit retiré du service.
Après tout l’avion n’est plus
tout jeune… Non, le scandale
est que, bientôt cinquante
ans après son premier vol,
aucun successeur ne soit en
vue. Ce n’est pourtant pas
faute d’y avoir réfléchi…

Quel avion pour remplacer


le A-10 ? Quel avionneur
osera penser différemment
pour briser le consensus,
faire bouger les lignes et
offrir un appareil optimisé
pour la mission CAS ?
(Lockheed Martin)

88
89
QUEL SUCCESSEUR POUR LE A-10 ?

A
l’issue de la première
guerre du Golfe, le bilan du
A-10 est si bon que l’idée
de retirer les 650 avions en-
core en service prend du
plomb dans l’aile. L’Air Force coupe
la poire en deux et décide de garder
390 appareils qui seront modernisés.
Une bonne nouvelle donc  ? Pas si
certain. Car, en faisant le choix de
moderniser le A-10, l’Air Force re-
nonce à lui trouver un successeur.
C’est une manière de fossoyer une
nouvelle fois l’idée d’un avion CAS
spécialisé, qui aurait permis de capi-
taliser sur celui de Fairchild afin de
proposer un appareil encore plus per-
formant et novateur, corrigeant les
défauts de la génération précédente.
Pour Pierre Sprey, le véritable scan-
dale n’est pas que l’Air Force cherche
aujourd’hui à retirer l’avion du
service : il est dans le fait que le A-10
n’a toujours pas de successeur.

Horrifié
par la taille du A-10
Voici ce que Pierre Sprey
déclarait en 1979, quelques années
seulement après la mise en service de
l’avion, à l’époque où un affronte-
ment généralisé en Centre Europe
faisait partie des scénarios crédibles :
« Pour mener une guerre de haute in-
tensité, il faut des avions, beaucoup
d’avions, parce qu’il faut faire face im-
manquablement à de l’attrition. Et ces
avions nombreux, il les faut dès le
temps de paix pour s’entraîner et ne
pas être pris au dépourvu le jour où
commencent les combats. Et le meilleur
moyen d’avoir beaucoup d’avions c’est
de les faire simples et peu coûteux.Avec
beaucoup d’appareils bon marché, on l’économie d’emploi que pouvait
peut générer un grand nombre de sor- apporter un appareil plus petit. L’Air
ties, on peut entretenir une permanence Force voulait lui coller de nombreux
sur le champ de bataille, éviter les mau- missiles et bombes sous les ailes, ce qui
vaises surprises, bloquer l’ennemi avait contribué à l’inflation des di-
et répondre aux urgences en un temps mensions. Avoir de nombreux points
record. Au Vietnam, le temps moyen d’emport était une bonne chose, mais
d’attente était de 45 minutes. C’était tous n’auraient pas dû être taillés pour
beaucoup trop long… » emporter des charges lourdes, c’était
Le A-10 qui devait être bon mar- trop de contraintes sur l’architecture
ché est certes beaucoup moins coû- générale de l’avion. Le A-10 fait envi-
teux que le F-16 ou a fortiori le F-15. ron quatre fois la taille d’un Messer-
Mais, à l’époque de sa mise en ser- schmitt 109, deux fois et demie celle du
vice, l’avion est évalué à 5 millions de F-5 qui lui-même est un gros avion
dollars tout de même, ce qui le rend selon les standards de la Seconde
trop cher pour en acheter des mil- Guerre mondiale. Même le F-16 dont
liers… Autre grief vis-à-vis du A-10, on parlait comme d’un petit avion fait
l’avion est immense, beaucoup trop deux fois la dimension d’un Me109. »
gros… « J’étais familier du programme Pierre Sprey est l’apôtre obstiné
et j’ai pourtant été “ horrifié ” par la du petit et du léger et cite volontiers
taille du YA-10 lors de sa sortie d’ate- en exemple un appareil méconnu,
lier, raconte Pierre Sprey. C’était un le Gnat britannique. « Une petite taille
avion imposant, de la taille d’un bom- est synonyme d’avion moins cher, plus
bardier, qui allait une fois de plus manœuvrant et plus léger. Et ce n’est Le Skyraider, souvent montré en exemple
contre l’idée de la maniabilité et de pas parce qu’un avion est compact qu’il dans les opérations anti-guerilla. (USAF)

90
L’US Air Force fait grand
cas des études en cours sur
la fourniture d’un avion
léger d’attaque au sol.
Mais qui ira risquer la vie
de pilotes dans des appa-
reils d’entraînement
repeints en kaki ?
(Beechcraft)

L’AT-6 Wolverine, comme tous les autres appareils de cette catégorie,


ne disposent pas de la puissance de feu permettant de
jouer un rôle efficace dans les missions CAS. (Beechcraft)
91
QUEL SUCCESSEUR POUR LE A-10 ?

L’US Air Force met au


rancart des A-10 tout
en poussant en faveur
d’avions légers infiniment
moins bien adaptés à
la mission CAS. Cherchez
l’erreur… (Beechcraft)

offre moins d’autonomie par rapport de l’enveloppe de vol, celle des basses rouge, poursuit Pierre Sprey. Prendre
à un appareil plus gros et plus lourd. vitesses, trop souvent négligée au pro- des avions très coûteux pour remplir
A son entrée en service, avant que l’on fit de la partie droite… » la mission air-sol, c’est comme envoyer
en fasse un bombardier nucléaire, le des destroyers pour bloquer des tor-
F-16 block 10 a une meilleure auto- Ne jamais quitter pilles : c’est un jeu un peu cher… »
nomie que le F-15 ! Et surtout, dans Que faire maintenant avec des mil-
un environnement tactique compliqué, la cible des yeux liers d’avions légers taillés pour l’at-
il est important de n’être ni vu ni en- La petite taille et la faible vitesse taque au sol ? Détruire des chars et
tendu le plus longtemps possible ! Avec se traduisent par davantage de ma- des positions de combat, certes, mais
sa taille et une fois chargé en carbu- nœuvrabilité, et donc une capacité à aussi participer à la reconnaissance à
rant et munitions, le A-10 est pataud. enchaîner très rapidement les passes l’œil nu avec des pilotes en contact di-
Il manque de maniabilité et de capa- de tir. L’avion idéal devrait permettre rect avec les troupes au sol. C’est aussi
cité d’accélération pour reprendre de de diviser par deux, par rapport au la possibilité de guider directement
la hauteur après une passe de tir. Le A-10, le temps nécessaire à deux les forces amies au sol, d’ouvrir la voie,
F-16 est certes plus manœuvrant mais passes de tir successives sur un même de montrer le chemin et d’appuyer au
jusqu’à un certain point uniquement : objectif. C’est aussi la possibilité d’at- plus près des colonnes motorisées.
en dessous de 300 kt, avec les vitesses taquer immédiatement un char après « On peut offrir aux soldats une
qu’il faut pour casser les chars ou faire l’avoir trouvé, en tournant sur place permanence en vol, on peut aussi baser
du Close Air Support, il ne l’est plus sans jamais le perdre des yeux, sans les avions nombreux près de la ligne
suffisamment. Or, ce qu’il faut, c’est avoir à s’éloigner de plusieurs kilo- de front. Un bon appareil CAS doit
un avion capable de descendre à mètres pour ré-attaquer. Hans Rudel, pouvoir opérer à partir d’un champ,
150 kt, mais en gardant toute sa ma- l’as du Stuka, parlait de seulement comme un Cessna. Les chars bien ca-
nœuvrabilité, sans être au bord du deux secondes de vol stabilisé pour mouflés ne se voient pas de loin : il faut
décrochage. » Des qualités de vol que tirer un char au canon. s’en approcher pour les débusquer en
Pierre Sprey résume en expliquant «  Et puis il faut des avions avec offrant au pilote la bonne visibilité.
qu’il faut « protéger la partie gauche une faible signature visuelle et infra- La seule solution pour cela est d’avoir
92
ARES, le dieu de la guerre de Burt Rutan
Ares est le dieu de la guerre, mais c’est aussi l’acronyme d’Agile Responsive Effective
Support. Un pur produit de la célèbre firme Scaled Composite fondée par Burt Rutan,
spécialisée dans le prototypage rapide et la conception d’appareils extrêmement inno-
vants. Le model 151 fut initialement la réponse à une demande de l’Army pour un ap-
pareil bon marché correspondant point par point aux contraintes soulevées par les pro-
moteurs du Blitzfighter. Rutan décida ensuite de construire un démonstrateur sur fonds
propres et ce fut le Arès. Léger, puissamment armé, capable d’opérer au plus près de la
ligne de front, avec une bonne autonomie pour assurer une permanence sur le champ
de bataille, l’avion était un pur produit de Scaled Composite et ne le cachait pas. Une
fois de plus, Burt Rutan avait tordu les idées reçues et s’était engagé sur une architec-
ture très fonctionnelle en faisant table rase des idées préconçues. Le Arès était extrê-
mement compact, avec un fuselage étroit encadré à gauche par le moteur et à droite
par un canon GAU-12 de 25 mm. L’empennage était bipoutre et la construction faisait
largement appel aux matériaux composites, gage de légèreté et de résistance. Bien
évidemment, comme beaucoup d’appareils de Scaled Composite, l’avion était équipé
de plans canard. Les commandes de vol étaient mécaniques et d’une simplicité
biblique. La motorisation était assurée par un simple réacteur PW JT15D de tout juste
1,5 tonne de poussée (également utilisé sur les premiers Cessna Citation). La légèreté
de l’appareil aidant, Burt Rutan revendiquait la capacité d’effectuer un 360° en
dix secondes à 7G constant. Le carburant était emporté dans un réservoir intégral
occupant toute la partie centrale de la voilure. L’avion vola pour la première fois le
19 février 1990. En novembre 1991 eurent lieu les premiers essais du canon en vol,
en mode air air et air sol. L’appareil était prometteur mais il n’y eut jamais de suite…
« Le Arès était bien meilleur que les avions d’attaque légers que l’on nous propose au-
jourd’hui », analyse Pierre Sprey. « Rutan voulait préserver des dimensions minuscules,
mais ne pouvait mettre qu’un canon de 25 mm dedans. On savait que ce ne serait pas
suffisant, mais on ne pouvait pas le convaincre d’agrandir un peu l’avion pour y instal-
ler un canon de 30 mm ! Je ne parle même pas du GAU-8 du A-10, mais un canon à
deux ou trois tubes, ce qui aurait été suffisant. Rutan était un aérodynamicien et son
obsession était de réduire la traînée, ce qui l’avait conduit à utiliser un moteur minus-
cule. Le rapport poids-poussée n’était pas satisfaisant au goût de la petite équipe du
Blitzfighter. Mais, même avec les défauts que nous lui trouvions, le Arès restait bien
meilleur que les avions légers que l’on nous propose aujourd’hui et qui n’ont que des
canons en nacelle. Au-dessus de 20 mm, un canon en nacelle ne sert à rien ; il manque
de rigidité dans la visée et donc de précision… »

un fuselage très étroit pour que le pi-


lote puisse voir facilement sous son
avion. Il faut aussi mettre l’accent sur
le canon. C’est une arme qui est effi-
cace par tous les temps, et sans temps
de latence : le coup part dès qu’on ap-
puie sur la détente. Pas besoin d’at-
tendre 10 ou 20 secondes comme pour
un missile, pas de “ verrouillage ” raté
de la cible pour des raisons de contraste
thermique comme trop souvent. Et puis
si l’avion est vu avant tout comme le
porteur d’un canon, il faut améliorer
sa flexibilité en proposant par exemple
deux alimentations en munitions,
explosif et anti blindage, pour faire
face aux différents scénarios que l’on
rencontre en cours de mission ».

L’indispensable
canon
Mises bout à bout, ces idées don-
nent naissance au projet de «  Blitz
Fighter » ou « Mud Fighter ».
«  Nous avons commencé à
93
QUEL SUCCESSEUR POUR LE A-10 ?

La miniaturisation permet
aujourd’hui d’accrocher une
tourelle optronique sur n’importe
quel aéronef. Il est dès lors facile
de transformer un avion en
bombardier… Ici, le Super Tucano
d’Embraer. (Embraer)

Tir de GBU-12 à partir d’un Super Tucano. Antinomie entre la puissance


de la bombe, destinée à des objectifs militaires solides, et la légèreté
du porteur, plus pour des engagements de faible intensité… (Embraer)
94
travailler dessus dans les années 1979-
80, en songeant à donner un rempla-
çant au A-10, explique Chuck Spin-
Et si le successeur du A-10 était
ney. Nous étions alors en contact avec un biplan à hélice ?
Jim Burton (1), l’homme des “ Penta- Pierre Sprey, encore lui, avait des idées bien arrêtées sur ce qu’aurait pu être l’A-X.
gon Wars ”. Nous avons rédigé un brie- Toujours prompt à bousculer les idées reçues, voici comment il imaginait l’avion idéal :
fing sur le concept d’un remplaçant du « Je voyais l’A-X comme un monomoteur à hélice, motorisé par une turbine Allison
A-10, plus petit, plus léger, plus ma- T-56 bien connue notamment pour équiper le C-130. Il se serait agi d’un petit avion de
nœuvrant, tout en le gardant aussi létal 7 000 pds maximum, un peu plus petit même qu’un A-37. Très léger, il aurait offert de
et résistant. Pour ne pas changer, nous bonnes performances entre 150 et 450 kt, une bien meilleure accélération que le A-10
avons mis en avant une exigence et plus de manœuvrabilité parce que moins d’inertie. Avec une technologie de fabrica-
de masse draconienne  : pas plus de tion très simple, il aurait pu être deux à trois fois moins cher que le A-10, ce qui aurait
15 000 pds (6 800 kg) carburant com- permis d’en acheter beaucoup plus. Pour permettre des atterrissages très durs sur les
pris. Nous voulions également garder terrains non préparés, par exemple des pistes en herbe ou en terre de 1 000 m au plus,
le canon de 30 mm ou même l’amé-
je pensais également que la solution du train monotrace (ou train “ bicyclette ”), sous
liorer. On envisageait la mise en ser-
le fuselage, était la plus intéressante. Elle évitait la fragilité inhérente du train avant. Et
vice de 2000 avions contre seulement
puis j’imaginais également que l’avion devait avoir l’envergure la plus réduite possible
700 A-10, ce qui aurait permis de dé-
velopper la puissance de l’Air Force pour opérer à partir de routes étroites. En revanche, pour disposer de la surface alaire
sans augmentation de budget. Nous suffisante et compenser cette faible envergure, il ne fallait pas s’interdire de faire
voulions également que l’avion soit un avion biplan… Mais, si en 1970, on avait fait du projet A-X un biplan à hélice
peu gourmand en maintenance et que avec un train monotrace, je crois bien que le A-10 n’aurait jamais vu le jour… »
les pilotes puissent s’entraîner Aujourd’hui, Pierre Sprey ne renie rien de son raisonnement. Mais il y a peu de chance
40 heures par mois pour maîtriser à que cent ans après la victoire du Spad XIII au-dessus de Verdun, l’idée d’un biplan à
fond la mission CAS. Nous avons hélice revienne au goût du jour…
commencé à diffuser ce briefing au
95
QUEL SUCCESSEUR POUR LE A-10 ?

Le Scorpion de Textron. Avion bon à tout, excellent à rien ? Et quelle plus-value par rapport aux
appareils déjà disponibles pour les missions COIN ? (Textron)

Le Close Air Support depuis la moyenne altitude. La bombe à guidage GPS (ici larguée d’un F-35) n’est
d’aucune utilité quand les combats au sol sont mouvants et imbriquent étroitement les protagonistes.
C’est-à-dire quand le besoin d’un appui aérien est le plus pressant. (Lockheed Martin)
96
Pentagone. J’avais un bon contact haut vernement. Et c’est bien cette deuxième d’un plus grand interventionnisme de
placé chez General Dynamics, et voie qui a été choisie… Car entre-temps l’USAF dans les affaires intérieures
l’avionneur a fini par s’intéresser à l’Air Force s’était levée comme un seul des gardes nationales…
notre projet. Sans doute y retrouvait- homme pour tuer le projet ! » La messe Les promoteurs de la solution
il la façon dont nous avions travaillé n’est pas dite pour autant. Dans les Blitz Fighter songeaient en fait à deux
pour le F-16, avec la même philoso- années 1983-1984, les promoteurs du options concernant la conception d’un
phie du simple-léger-efficace. Nous « mud fighter » tentent alors une autre nouvel avion. La première possibilité
sommes partis avec General Dyna- approche  : l’Air National Guard était de développer ce nouvel appa-
mics sur une collaboration tranquille, (ANG). Chuck Spinney rédige un rap- reil et de transférer la mission CAS à
mais quand ils ont commencé à mettre port sur la modernisation de l’ANG, l’Air National Guard. La deuxième
de l’argent sur le projet avec une véri- qui constitue alors l’élite de l’Air option, infiniment plus provocatrice,
table équipe, je leur ai alors dit que Force car elle rassemble un nombre consistait à transférer la mission, et
je ne pouvais pas suivre : je travaillais considérable de pilotes et de mainte- le budget allant avec, à l’US Army.
déjà pour le gouvernement et je ne pou- nanciers très expérimentés et triés sur Une idée explosive !
vais pas également m’impliquer dans le volet. « L’Air Force devint complètement
le projet d’un avionneur… Je leur affolée en prenant connaissance de ce
ai alors conseillé d’aller voir Pierre La garde nationale plan, se souvient Chuck Spinney.
(ndlr : Pierre Sprey). Le projet est allé A part quelques individus qui pous-
jusqu’au point où General Dynamics en spécialiste du CAS saient en faveur de l’idée, l’Army n’était
préparait des modèles de soufflerie. « J’avais quelques bons contacts pas très chaude non plus. Elle inves-
Mais à ce stade l’avionneur a semble- avec l’ANG et ensemble nous avons tissait trop dans les hélicoptères et
t-il commencé à peser le pour et le parlé de la mission CAS, raconte notamment dans l’Apache et elle ne
contre : soit il continuait de braconner Chuck Spinney. L’ANG cherchait voulait pas s’encombrer d’avions de
sur des idées trop novatrices et mal alors à se positionner pour garder sa combat. Une commission fut mise
vues par le Pentagone, soit il se recen- spécificité au sein de l’Air Force et le en place pour passer en revue les dif-
trait sur les contrats officiels du gou- CAS était une excellente idée, d’autant férentes options : la Close Air Support
qu’elle permettait de faire collaborer Mission Area Review Group (CAS-
étroitement les deux composantes air MARG). Celle-ci vécut deux ans en-
et terre de la Garde nationale. L’idée viron, le temps de saboter complète-
était alors de faire de la Garde la spé- ment l’idée du Blitzfighter. »
cialiste de la mission CAS au sein du En 1989, l’Air Force propose un
Pentagone. Une étude avait été com- marché officieux aux supporters du
mandée et, après un an de travail, elle Blitzfighter. « On nous a dit en sub-
fut publiée sous le nom de VISTA 1999. stance :  si vous nous laissez tranquilles
L’étude plaidait très clairement pour et que vous abandonnez votre idée de
une meilleure intégration des opéra- Blitzfighter, on vous promet qu’on ne
tions entre forces terrestres et aériennes touchera plus au A-10 », raconte Tom
et l’idée d’un avion spécialisé, res- Chrisite. On a dit d’accord, parce
semblant beaucoup au Blitzfighter qu’on savait très bien que l’Air Force
fut alors mise en avant. L’idée n’était ne ferait jamais rien pour le Blitz-
pas de transférer tous les A-10 vers la fighter. Et l’Air Force a tenu parole
Garde mais plutôt de transférer la mis- deux ans, jusqu’à ce qu’elle sorte de
sion CAS sur le long terme, servie par son chapeau l’idée du A-16 qui devait
les meilleurs pilotes. Pierre Sprey jouait être destiné en priorité à la Garde Na-
alors le rôle de conseiller technique tionale, pour couper l’herbe sous le
auprès des promoteurs de ce rapport. pied au A-10 et à tous ses successeurs
L’Air Force réagit très mal au mou- potentiels.  L’Air Force avait décidé
vement qui se dessina alors, commen- qu’on ne lui referait pas la blague du
çant par exercer son droit de veto sur A-10 et elle se donna les moyens de
toutes les promotions au sein de bloquer toutes les initiatives allant dans
l’ANG.  » Pour son fonctionnement ce sens. »
courant, la Garde dépend du gou-
verneur de l’Etat. Mais si l’Air Force Le F-35
n’a pas le pouvoir de promouvoir les
gens dans l’organisation, elle a en re- en embuscade
vanche celui de bloquer leur avance- On peut dire aujourd’hui que l’Air
ment. Et l’affaire du VISTA 1999 fut Force est parvenue à ses fins : le A-10
le début d’un mouvement de fond vieillit et n’a pas de successeur.
La compétition pour un avion d’ap-
pui sol léger, qui met aux prises l’AT-
6 «  Wolverine  » et l’A-29 «  Super
Tucano », est une mauvaise plaisan-
(1) James Burton était un colonel de l’US
Army en poste au Pentagone, qui joua terie qui se dégonflera d’elle-même
sa carrière en tentant de lutter contre dans les mois à venir… Tout est en
l’absurdité du programme de véhicule de place pour que se crée un vide béant
combat Bradley et l’hypocrisie présidant à dans lequel il sera possible d’instal-
la conduite des programmes d’armement.
Son livre « Pentagon Wars » a été popula- ler douillettement le F-35, sans risque
risé par un excellent téléfilm portant que son inaptitude totale à la mission
le même titre. CAS lui cause du tort... ■

97
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- Stinson L-5 " Sentinel " - Premier vol du Bell XP-39 - La légion saute sur Kolwezi - B-17F « Forteresse volante »
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- Les mirages traquent les pétroliers - Golfe persique 1985-1988 - Le dernier Blériot sur Paris-Londres - Le Big Bang de Lockheed

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