Via Latina, 1ère, LP

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Guide
pédagogique
Christiane JALBERT
Agrégée de lettres classiques _ Académie d’Orléans-Tours

Emmanuel LESUEUR
Agrégé de lettres classiques et formateur _ Académie de Versailles

Pierre-Olivier LUET
Agrégé de lettres classiques et formateur _ Académie d’Orléans-Tours
CRÉDITS
Couverture : Gilles Mermet/AKG Images ; p. 27 : Légendes Cartographie ; p. 55 : RMN-Grand Palais (musée
du Louvre)/Tony Querrec ; p. 147 : Bridgeman Images.

1100 g éq. CO2


Édition : Juliette Caussé
Fabrication : Miren Zapirain, Victor Grimaldi
Conception intérieure, couverture : Isabelle Jalfre Tous droit de traduction, de reproduction
Mise en page : Aurélia Monnier et d’adaptation réservés pour tous pays.
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes
des articles L.122-4 et L.122-5, d’une part, que les « copies
ou reproductions strictement réservées à l’usages privé du copiste
et non destinées à une utilisations collective » et, d’autre part,
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et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale
ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses
© Hachette-Livre 2020, 58 Rue Jean Bleuzen, 92178 Vanves. ayants droit ou ayants cause, est illicite ».
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé
que ce soit, sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français
ISBN 978-2-01-323634-8 de droit de copie (20, rue des Grands-Augustins – 75006 Paris),
constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par l’article
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En partenariat avec le ®, des visites virtuelles de la Rome antique


Sur le site collection et dans le manuel numérique Via Latina, partez
à la découverte de la Rome antique en réalité virtuelle : temples, forums,
palais, domus, comme si vous y étiez !
• Le Plan de Rome est à la fois une maquette en plâtre au 1/400 de la ville de Rome
à l’époque de l’empereur Constantin, réalisée par l’architecte Paul Bigot, et une maquette
virtuelle sur laquelle travaille, depuis 1994, une équipe de l’Université de Caen Normandie,
au sein du Centre Interdisciplinaire de Réalité Virtuelle ® (cireve.unicaen.fr/).
• L’objectif final est de disposer d’un modèle interactif de l’ensemble de la ville
restituant tous les extérieurs (rues, habitations, commerces, monuments publics, réseaux
d’adduction d’eau…) et une partie des intérieurs (édifices publics les plus connus, quelques
exemples d’habitations et de boutiques).

Retrouvez toutes ces ressources dans le livre-cahier !


SOMMAIRE
CHAPITRE INTRODUCTEUR ....................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

APITRE

1
CH
Méditerranée : Conflits, influences et échanges ........ 12

lecture
Colonisations et conquêtes en Méditerranée . ............................................................................................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Guerres et paix en Méditerranée ................................................................................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
D’une rive à l’autre : échanges culturels, influences réciproques . .................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

AU cœur DES MOTS ................................................... 40 CONSTRUIRE mon portfolio . ................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47


Diptyque iconographique :
GRAMMAIRE
Une œuvre antique
Le participe ....................................................... ............... 42
Une œuvre contemporaine
Le complément d’objet au génitif, au datif et à l’ablatif . ..... 43
faire le bilan du chapitre ......................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
GRAMMAIRE SPÉCIALITÉ
Le locatif, l’expression du lieu et du temps (cas difficiles). ... 44 ÉVALUATION
Éloge de Rome. ................................................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
L’ATELIER du traducteur
Comment la Grèce devint province romaine ......... ................ 45
L’indéniable rayonnement culturel de la pensée grecque ...... 46

APITRE

2
CH
Vivre dans la cité ... . 52

lecture
Naissance et évolution de la cité .................................................................................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
Tous citoyens ? Intégration, assimilation, exclusion . ............................................................................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
La parole : pouvoirs et dérives .. ...................................................................................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

lecture
spécialité

Penser les différents modes de gouvernement . ....................................................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73


Gouverner : du mythe à l’histoire, quel « prince » idéal ? ................................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
Imaginer la cité idéale ........................................................................................................................................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

AU cœur DES MOTS ................................................... 85 L’ATELIER du traducteur


Esclavage et humanité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
GRAMMAIRE
Deux chefs brillants et bien différents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
Les pronoms et déterminants indéfinis ................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
Les propositions subordonnées conjonctives CONSTRUIRE mon portfolio
. ................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
introduites par quod et ut ...................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Diptyque textuel :
Un texte latin
GRAMMAIRE SPÉCIALITÉ
Un texte contemporain, français ou étranger
Les adverbes de quantité et l’expression
de la quantité.. .......................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 faire le bilan du chapitre ......................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92

ÉVALUATION
Résistons aux envahisseurs romains !................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93


4 Sommaire
APITRE

3
CH
Les dieux dans la cité .... 95

lecture
Cultes, rites et grandes fêtes............................................................................................................................ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Le politique et le sacré........................................................................................................................................ . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
Les cultes et les dieux étrangers dans la cité............................................................................................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110

lecture
spécialité

Justice et raison d’État : la question du juste et de l’injuste. .............................................................. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117


Culpabilité et responsabilité : à qui la faute ?........................................................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
Crimes et châtiments........................................................................................................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Mesure et démesure : hubris et furor.. ........................................................................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . 126

AU cœur DES MOTS .................................................. 130 L’ATELIER du traducteur


L’apothéose de Jules César .............................. . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
GRAMMAIRE
Description du calendrier romain .. ................... . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
La forme passive et les verbes déponents ......................... 131
La forme passive et le complément d’agent ...................... 132 CONSTRUIRE mon portfolio
. ................ . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
Diptyque iconographique :
GRAMMAIRE SPÉCIALITÉ
Une œuvre iconographique antique
Les interjections ............................................................. 133
Une œuvre filmique
Les formes verbales syncopées ......................................... 133
Le passif impersonnel . . .................................................... 134 faire le bilan du chapitre ......................... . . . . . . . . . . . . . . . . . 138

ÉVALUATION
Prophétie de Cassandre . .................................. . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
APITRE

4
CH
Masculin, féminin .... 142

lecture
Féminin et masculin dans la mythologie. .................................................................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
Femmes et hommes.............................................................................................................................................. . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
Amours, amantes et amants ............................................................................................................................ . . . . . . . . . . . . . . . . . 160

lecture
spécialité

Désirer et séduire .. ............................................................................................................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . 168


Dire et chanter l’amour....................................................................................................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Représenter l’amour .. .......................................................................................................................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178

AU cœur DES MOTS ................................................. 182 L’ATELIER du traducteur


Parité hommes-femmes ?.................................. . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
GRAMMAIRE
Mon vœux le plus cher, c’est toi !. .................... . . . . . . . . . . . . . . . . . 187
Le pronom personnel réfléchi . . ......................................... 183
Le gérondif et l’adjectif verbal.......................................... 184 PRÉSENTER mon portfolio . ................... . . . . . . . . . . . . . . . . . 189
Les degrés de l’adverbe. . ................................................... 184
faire le bilan du chapitre ......................... . . . . . . . . . . . . . . . . . 190
GRAMMAIRE SPÉCIALITÉ
ÉVALUATION
Les comparatifs et superlatifs des adjectifs
Ah… les femmes !. .......................................... . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
en -ilis, -dicus, -ficus, -volus ........................................... 185
L’accusatif de relation .. .................................................... 185
Le génitif et l’ablatif de qualité ....................................... 185

Sommaire •5
chapitre introducteur
Ce petit chapitre se présente comme un mémento historique et culturel des notions acquises sur l’identité du
Romain et sur l’histoire de la cité. Il a été conçu de façon synthétique et dynamique. Il peut être utilisé de diffé-
rentes manières. Comme préambule à l’année, il offre une lecture active, mêlant de brefs rappels contextuels à
des activités qui les mettent en perspective. Abordé de façon partielle et en parallèle des pages d’ouverture des
chapitres, il peut aider à la problématisation de la séquence. Enfin, il peut être consulté à tout moment de la pro-
gression, en appoint ou en secours d’une séance, pour réactiver un savoir oublié ou partiellement acquis.

L’HOMME ROMAIN DANS LA CITÉ p. 8-9

Un triple enracinement
1. En début d’année, cette invitation à la lecture à voix haute («  domus  »). La manière dont Atticus s’inscrit dans l’espace
vise à vérifier par le professeur la bonne maîtrise de la lecture. répond en tous points à l’idéal romain.
2. Le portrait que Cornélius Nepos (v. 100 av. J.-C. – v. 25 av. 3. En début d’année, cette première traduction littérale vise à
J.-C.) dresse de son ami défunt Atticus (v. 110 av. J.-C. – 32 av. mesure les réflexes des élèves acquis en seconde.
J.-C.) se trouve au début de la biographie qu’il lui consacre.
TRADUCTION
Si Atticus a eu une carrière exceptionnelle, c’est qu’il a eu le
bonheur d’être né dans la ville de Rome (« in ea… urbe »), alors Donc [Atticus] eut ce premier cadeau de la fortune d’être
le centre politique du monde connu, désigné par l’expression né préférablement dans cette ville, dans laquelle se trou-
« terrarum orbis ». Non seulement, il était né à Rome, lieu de vait l’empire du monde, pour y avoir au même endroit sa
sa patrie (« patria »), mais il y avait aussi sa maison familiale patrie et sa maison.

L’homme romain dans sa domus


4. Les élèves connaissent assez bien l’organisation des a Concernant le buste, les élèves seront frappés par le réa-
membres de la domus pour l’avoir régulièrement abordée lisme austère du portrait. Les traits du visage sont marqués
au collège. Dans la case de la familia, figure le cercle le plus par des rides profondes et par une bouche pincée donnant
proche du paterfamilias : filios (l. 1), filias (l. 1), liberi (l.8), servi l’impression d’une moue. Ce réalisme manifeste la volonté
(l.  7). Il faut bien rappeler que les esclaves font partie de la du commanditaire de montrer sa personne comme entière-
famille. Voilà pourquoi il conviendrait mieux de parler de mai- ment dominée par la rigueur et la rectitude. Le port de tête
sonnée plutôt que de maison. Les familiares désignent le deu- et l’arrête du nez traduisent également cette intention. Le
xième cercle, plus éloigné, mais indispensable à la vie sociale visage donne à voir de façon à la fois symbolique et concrète
d’un Romain. Se construire un réseau de fidèles (clientelas) et le mos majorum, les valeurs traditionnelles romaines : aucto-
d’amis, c’est garantir sa reconnaissance sociale et envisager ritas, gravitas, virtus, constantia.
une carrière politique.
TRADUCTION IDÉO
1
V

Quatre fils robustes, cinq filles, une si grande maison, de si grandes Visite virtuelle ®
clientèles, voilà ce qu’Appius dirigeait, aveugle et vieux : en effet il
La vidéo permet d’entrer virtuellement dans
avait l’esprit toujours tendu comme un arc et ne succombait pas lan- une domus romaine et d’y mesurer la place
guissamment à la vieillesse. Il gardait non seulement du prestige, occupée par le laraire. Elle peut être diffusée
mais encore du pouvoir sur les siens : ses esclaves le craignaient, ses avant la lecture de la page, comme support à la
enfants le vénéraient, tous le tenaient pour cher ; dans cette maison réactivation des acquis. On demande aux élèves
restaient en vigueur la coutume et la discipline ancestrales. de décrire et de définir ce qu’ils/elles voient.

L’homme romain dans l’ Urbs


TRADUCTION 2. Le bas-relief du Louvre donne à voir concrètement la symbolique du
mariage romain. Le jour du mariage, la femme romaine quitte le monde
Texte de l’inscription :
de l’enfance, sort de la demeure paternelle pour celle de son futur mari.
Eros cocus Posidippi ser(vus) hic situs est. Elle porte une longue tunique blanche (tunica recta), serrée à la taille par
Traduction de l’inscription : une ceinture, puis, sous l’Empire, un voile couleur safran (flammeum). Lors
Éros, cuisinier de Posidippe, esclave, ici de la cérémonie, la femme signale son engagement en donnant la main
(dextrarum junctio, « union des mains [droites] ») à son époux et en disant :
repose.
Ubi tu Gaius, ibi ego Gaia («  Où tu seras Gaïus, je serai Gaïa  »). Cette for-
mule rituelle scelle le pacte de bonne entente (concordia). Elle porte aussi
1. Le défunt est un esclave (servus), du nom d’Éros, l’assurance, de la part de l’épouse envers son mari, de la légitimité de ses
et exerçait la profession de cuisinier (cocus). enfants, maillons essentiels dans la transmissions du patrimoine et des
Comme l’indique le génitif, Posidippe était pro- valeurs romaines, dont la pietas (respect des ascendants). L’institution du
bablement son maître. mariage contribue donc à l’harmonie et à la perpétuation de la cité.

Chapitre introducteur •7
LA CITÉ ET LES DIEUX p. 10-11

L’espace sacré de l’ Urbs


1. Le lituus est un bâton court, recourbé en son extrémité. l’inauguratio. Vient ensuite le temps de l’orientatio. Le fonda-
Il servait à l’augure à délimiter dans le ciel mentalement un teur trace deux axes principaux autour desquels s’organise
espace sacré (templum) au sein duquel il était possible d’ob- l’espace de la cité. Toute ville romaine est de fait coupée par
server les signes divins, indispensables pour favoriser la fon- un axe nord-sud, le cardo maximus, et un axe est-ouest le
dation d’une cité. decumanus maximus. Le fondateur trace ensuite le sillon pri-
Le sulcus primegenius, littéralement le « sillon primordial », est, mordial (sulcus primigenius) pour fixer les limites extérieures
lors de la fondation d’une cité, le sillon rituel tracé avec une de la cité. Derrière ce tracé, se situe la bande de terrain appe-
charrue, tirée par des bovins. Le soc est soulevé à l’emplace- lée pomerium (étymologiquement post, derrière, murum, le
ment destiné aux portes de la ville. mur), limite sacrée qui sépare la ville (urbs) de son territoire
alentour (ager). Cette troisième étape est la limitatio, suivie
2. La fondation d’une ville obéit à un rituel qui compte
par la dernière, la consecratio, temps consacré aux sacrifices
quatre étapes. La première consiste à connaître la volonté
et aux prières à destination des dieux.
des dieux en prenant les auspices au moyen du lituus, c’est

La présence des dieux dans la cité


3. Les élèves ne manqueront pas de remarquer la double À la mort de l’empereur, en 161, le temple est à nouveau consa-
appartenance religieuse de cet édifice dont témoigne cré à Antonin et son épouse, tous deux élevés au rang de divi-
son architecture. Au premier plan, apparaît une rangée de nités. Cet édifice est l’occasion de faire prendre conscience
colonnes de style corinthien, très prisé par les Romains, et de cette conversion fréquente des temples romains en lieux
derrière, on aperçoit la façade de l’église Saint-Laurent-à- de culte chrétien, à la suite de la christianisation de l’Empire,
Miranda, construite au Moyen Âge dans la cella du temple voire en mosquées lors de la conquête arabe. Signalons que
romain et remaniée au XVIe siècle. Ce temple, situé à l’entrée le plus souvent les temples étaient démontés pour servir de
du Forum Romain, est celui d’Antonin et Faustine (Templum matériaux de construction. Les exemples de réemploi sont
Antonini et Faustinae), construit par Antonin le Pieux en l’hon- légions dans le bassin méditerranéen.
neur de l’impératrice Faustine, son épouse décédée en 141.

Des dieux à ménager


1. Les Compitalia sont une fête, célébrée à une date variable Honos, l’honneur. Voilà pourquoi ces divinités sont le plus
(fête mobile), du 16 décembre au 15 janvier, généralement souvent associées.
autour du 1er janvier, avant les Saturnales. Elles se passent TRADUCTION
auprès des autels qui se trouvent placés aux carrefours, lieux
[Le peuple Romain] a porté si loin ses armes autour du
de croisement sacrés. Elles sont dédiées aux Lares compitales,
protecteurs des carrefours (compita). C’est le préteur qui cercle des terres, que ceux qui lisent son histoire ap-
l’ouvre de façon solennelle. Elle est une cérémonie de puri- prennent, non celle d’un seul peuple, mais celle de tout le
fication (lustratio), consistant à asperger d’eau les autels, au genre humain. Il a été ballotté dans tant d’épreuves et de
moyen d’un rameau de laurier ou d’olivier (aspergillum), et à dangers que, pour constituer son Empire, le Courage et la
accomplir des sacrifices d’animaux, accompagnés de proces- Fortune semblent avoir rivalisé.
sions et de spectacles forains.
2. La fresque retrouvée à Moregine en Italie constitue un 4. Des statues et des pièces de monnaie nous sont parvenues
document unique qui donne à voir le déroulement d’une fête représentant Fortuna. Selon les aspects qu’elle accorde ou
dont on pense qu’il s’agit de celle des Compitalia. On peut y les personnes qu’elle favorise, beaucoup d’épiclèses lui sont
voir la procession des habitants (flèche en haut à droite). Des associées, dont dépendent ses représentations. Par exemple,
animaux sont conduits au sacrifice (flèche en bas à gauche). Fortuna Redux indique qu’elle veille sur les voyageurs en leur
Il s’agit sans doute d’un suovétaurile, un sacrifice de purifica- assurant un bon retour. Fortuna Muliebris veille sur les femmes,
tion lors duquel sont immolés un porc (sus), un mouton (ovis) tandis que Fortuna Virilis protège les hommes. Dans le texte
et un taureau (taurus). L’on distingue le mouton et l’on devine de Florus, il s’agit de la Fortuna populi Romani. Cette dernière
la silhouette du bovin. Enfin, l’on voit un homme en tête de la est héritière dans sa représentation de la Tychè grecque. Elle
procession asperger l’endroit d’eau au moyen d’un aspergil- se présente sous l’aspect d’une femme, portant un diadème,
lum (flèche de droite). Un autre homme en queue de proces- tenant dans sa main une corne d’abondance, symbole de
sion fait de même. prospérité, et un gouvernail dans sa main gauche, symbole
de sa puissance à guider la vie du peuple romain. Cette sous
3. Une première lecture permet une saisie globale du texte
cet aspect qu’on la trouve le plus fréquemment représentée.
de Florus. L’historien du IIe siècle célèbre la grandeur de Rome.
La visée encomiastique du texte est manifeste. Si Rome a Les Romains ont élevé plusieurs temples à Virtus et Honos. Sur
pu conquérir une telle place dans le monde, c’est qu’elle a les pièces de monnaie, ils représentent, Honos sous l’aspect
bénéficié de la faveur des dieux, à commencer par Fortuna d’un jeune hommes aux cheveux flottants et bouclés et Virtus
et Virtus, qui lui est associée dans l’extrait. Virtus désigne le sous les traits d’une jeune fille portant un casque.
courage, valeur romaine essentielle. Elle a pour récompense


8 Chapitre introducteur
DIRIGER LA CITÉ p. 12-13
La Royauté (753 - 509 av. J.-C.)  : une monarchie ?
1. Sur l’avers de la pièce, l’on peut lire en lettres majuscules des faisceaux, symbole de la force du pouvoir politique.
LIBERTAS, et sur le revers BRUTUS. La Libertas, représentée de Rappelons que c’est pour éviter toute tentation tyrannique,
façon allégorique par une jeune femme, évoque la libération que furent instaurés le remplacement à la tête de l’État du
du peuple romain de la tyrannie du dernier roi de Rome, roi par deux hauts magistrats, l’exercice du pouvoir de façon
Tarquin le Superbe. Le symbole Libertas, faisant allusion à la alternée entre eux et la limitation à une année du consulat.
liberté retrouvée après un règne de terreur, sera régulière- Le nom Brutus est ici volontairement confondu avec celui de
ment repris par les empereurs (par exemple par Galba après l’initiateur du monnayage, Marcus Junius Brutus Caepio (v. 85
Néron ou par Nerva après Domitien). av. J.-C. – 42 av. J.-C.), qui prétendait être le descendant de
Le nom Brutus rappelle celui de Lucius Junius Brutus qui, en Lucius Junius Brutus. Outre qu’elle officialise cette prétention,
509 av. J.-C., chassa les Tarquin et fonda la Res publica dont la frappe de cette monnaie en 54 av. J.-C. visait à s’opposer à
il devint le premier des consuls. Ces deux magistrats sont Pompée, responsable de la mort du père de Brutus Caepio.
figurés sur la pièce en alternance avec des licteurs portant

La République (509 - 27 av. J.-C.)  : une démocratie ?


2. Proposer un schéma qui donne à voir d’emblée le fonc- comices tributes. Mais dans les comices centuriates, réu-
tionnement des institutions de la République romaine n’est nis au Comitium (Capitole), hiérarchisés selon le census (la
pas chose aisée. Nous nous y sommes essayé pour aider fortune) et l’âge, ce sont les plus riches qui contrôlent les
les élèves dans leur présentation orale. Les élèves devront élections des principaux magistrats (préteurs, consuls,
mettre l’accent sur la nature oligarchique de cette appa- censeurs) puisqu’ils cumulent à eux seuls 98 centuries sur
rente démocratie. un total de 193. Tous les cinq ans, chaque citoyen-soldat
À Rome, il n’y a pas de séparation entre les trois pouvoirs devait en effet payer son équipement et se faire recenser
législatif, judiciaire et exécutif. Les institutions romaines sont par les censeurs pour intégrer la centurie correspondant à
un système à la fois souple et complexe où cohabitent la son niveau de fortune. Chaque centurie était susceptible de
liberté et la discipline. fournir un contingent de 100 hommes à l’armée.
Certes, le peuple vote directement au sein des deux
assemblées qui l’organisent, les comices centuriates et les

Nombre de centuries
Montant Seniores
Catégories de soldats Classe Juniores
du cens (plus de Total
(18 à 46 ans)
46 ans)
Equites (Chevaliers) + de 1000 000 as 18 centuries
Pedites (fantassins) lourdement armés 1 classe
re
100 000 as 40 40 80 centuries
2 classe
e
75 000 as 10 10 20 centuries
3e classe 50 000 as 10 10 20 centuries
Pedites (fantassins) légèrement armés
4 classe
e
25 000 as 10 10 20 centuries
5 classe
e
12 500 as 15 15 30 centuries
Fabri (ouvriers du génie) 2 centuries
Cornicines et turbinices (musiciens) 2 centuries
Les infra classem (les citoyens pauvres) sans fortune 1 centurie
Total 193 centuries

De même dans les comices tributes, réunis au Champ de C’est en fait le Sénat qui exerce le pouvoir suprême. Il siège
Mars, censés représenter le peuple en son entier, c’est le vote à la Curie. Anciens chefs des gentes, puis anciens magistrats
des 31 tribus rurales sur les 4 tribus urbaines – pourtant plus (300 membres au IIe s.), les patres sont, pendant la République,
peuplées – qui contrôle l’élection des tribuns de la plèbe, des choisis à vie par les censeurs et sont convoqués par un consul
questeurs et des édiles. Les tribus rurales étaient aux mains ou un préteur. Ils dirigent la politique extérieure et la poli-
des riches propriétaires terriens et de leurs clients. tique financière, décident des fêtes et des cultes nouveaux,
Enfin, si les tribuns de la plèbe avaient des pouvoirs consi- fixent la date des élections des magistrats, contrôlent leur
dérables, notamment le jus intercessionis (droit de s’opposer action ainsi que les lois votées par les comices. Toute décision
à toute décision d’un magistrat), ces pouvoirs ne pouvaient du Sénat non frappée d’intercession est un sénatus-consulte
s’exercer que dans la limite de 1 000 pas (296 m) autour de qui a force de loi. Ils sont les garants du mos majorum. La prise
Rome. de parole y est là aussi hiérarchisée.

Chapitre introducteur •9
L’Empire (27 av. J.-C. - 476)  : une tyrannie ?
TRADUCTION
Texte de l’inscription :
Imp(eratori) Caes(ari) L(ucio) Septimio Seuero Pertinaci Aug(usto) p(ontifici) m(aximo) /
trib(unicia) pot(estate) III Imp(eratori) V co(n)s(uli) II p(atri) p(atriae) Parthico Ara/bico et Par-
thico Aziabenico1 d(ecreto) d(ecurionum) p(ecunia) p(ublica).
Traduction de l’inscription :
À l’empereur César Lucius Septime Sévère, Pertinax, Auguste, grand pontife, dans sa troisième puissance
tribunicienne, imperator pour la cinquième fois, consul pour la deuxième fois, père de la patrie, vainqueur des
Parthes d’Arabie et des Parthes de l’Adiabène. Décret des décurions, dépense publique.
1. Aziabenico pour Adiabenico (la graphie la plus courante est Azabenicus, pour Adiabenicus).

1. Imperator est initialement le titre par lequel des soldats - Tribunicia postestas désigne à l’origine le pouvoir de veto et
saluent leur chef vainqueur. Jules César l’emploie de façon de protection dont disposait un magistrat du peuple, appelé
continue, et Octave, le futur Auguste, l’adopte en le plaçant le tribun de la plèbe. En 23 av. J.-C., Auguste se le fait accor-
en tête de ses noms. À sa suite Imperator devient héréditaire, der par la puissance tribunitienne. À sa suite, les empereurs
inséparable des titres de l’empereur. Ce titre honorifique reçoivent ce pouvoir renouvelable chaque année.
continua à désigner l’empereur en tant que chef militaire. - Consul est le grade le plus élevé du cursus honorum pen-
- Caesar est d’abord le cognomen de Caius Julius Caesar. Le dant la république romaine. Sans respecter la limite d’un an,
testament de César, assassiné en 44 av. J.-C., fait d’Octave son Octave se fait élire consul sans interruption de 31 av. J.-C. à
fils adoptif. Ce dernier hérite donc de son cognomen. À par- 23  av. J.-C., puis en 19 av. J.-C., Auguste reçoit le pouvoir
tir d’Auguste, Caesar est le nom donné par l’empereur à ceux consulaire à vie. À sa suite, les empereurs se font désigner
qu’il désigne à sa succession. Il accompagne généralement le régulièrement consul. Sous l’Empire, le consulat, vidé de tout
titre d’imperator. Le changement du cognomen en titre impé- pouvoir, n’est plus qu’une distinction. Les empereurs se la
rial remonte aux années 68-69. font attribuer régulièrement.
- Augustus est un titre qu’Octave se fait accorder par le Sénat - Patriae pater, signifiant « père de la patrie » est initialement
le 16 janvier 27 av. J.-C. Avant d’être un titre, le terme augustus un titre honorifique décerné par le Sénat romain, pour recon-
est un adjectif de sens religieux et signifie « qui est indiqué naître l’action salvatrice d’un homme politique. Cicéron l’ob-
par les augures ». Le titre est donc comme le symbole d’une tint pour avoir déjoué la conjuration de Catilina en 63 av. J.-C.,
consécration divine. Presque tous les empereurs romains Jules César pour avoir mis fin à la guerre civile en 45 av. J.-C.
hériteront de ce qui disparaît au VIIe siècle au profit du titre Beaucoup d’empereurs reçurent le titre de Pater patriae du
basileus, signifiant « roi » en grec. Sénat sans mérite particulier.
- Pontifex maximus désigne sous la République le grand 2. Le catalogue de ces titres dénonce la concentration de
prêtre à la tête du collège des pontifes, chargés de la bonne tous les pouvoirs politique, judiciaire, militaire et religieux
observance des pratiques religieuses. Auguste s’arroge cette dans les mains de l’empereur. La reprise des titres, hérités de
fonction en 12 av. J.-C. L’empereur devient dès lors le chef de la Royauté et de la République, vise à en légitimer la posses-
la religion romaine. sion par l’empereur.

La Méditerranée, centre de l’Empire


3. À partir de 64, l’empereur Néron fait frapper une série de puis l’entrepôt, repérable grâce au navire qui est en train
sesterces pour commémorer la construction de Portus, un de décharger sa cargaison ; puis, toujours de haut en bas,
port artificiel dont la construction fut lancée par l’empereur à droite : la statue de Neptune juchée sur le phare, comme
Claude au nord de l’embouchure du Tibre, sur le territoire écrasé par elle, le brise-lames en forme de croissant et la sta-
d’Ostie. Cette représentation nous donne une idée de l’acti- tue allégorique du Tibre.
vité portuaire dans l’Antiquité romaine, le mare nostrum étant La présence des bâtiments religieux, les statues de Neptune
l’une des principales voies de commerce. et du Tibre disent combien les Romains cherchent à s’attirer la
Les élèves doivent pouvoir reconnaître, de haut en bas, à faveur de dieux pour sécuriser les activités maritimes.
gauche, d’abord les bâtiments religieux : l’autel et le portique,


10 Chapitre introducteur
LES OUTILS du traduc
teur p. 14-15

Lire et utiliser le dictionnaire


1. On compte deux entrées dans Le Grand Gaffiot au mot pourquoi il emploie le mot sanctus dans le deuxième sens
sanctus. La première donne les sens de l’adjectif, la seconde, donné dans le dictionnaire, celui « sacré, auguste. »
indique que le mot est aussi un surnom.
TRADUCTION
2. Dans l’article concernant l’adjectif, il est indiqué qu’il est
issu du verbe sancio. Il est donc la forme adjectivé du parti-
Si tu habites le ciel, auguste Justice, j’invoque ton nom et
cipe parfait passif. le prends à témoin.
3. Le Grand Gaffiot liste trois sens principaux  : 1. «  pourvu
d’une sanction, sacré, inviolable », 2. « saint, sacré, auguste » ; 6. Le mot sanctus se trouve dans le texte à la ligne 4 sous la
« vénérable, pur vertueux, intègre, irréprochable », 3. « saint, forme sancti.
sacré, pur, consacré à Dieu ». Les contextes d’emploi sont indi- Le passage du texte cité dans le dictionnaire est le suivant :
qués entre crochets. Il peut en y avoir plusieurs pour chaque « perfidia plus quam Punica, nihil veri, nihil sancti ».
sens. Notons que le deuxième sens de l’adjectif peut s’appli- La traduction littérale est la suivante : « une perfidie plus que
quer pour « des divinités, des temples », « des sacrifices », « en Punique, rien de vrai, rien de pur ». Tite-Live se fait ici l’écho
parlant du Sénat » ou « d’Auguste, puis des empereurs ». de la perfidie traditionnellement attachée aux Carthaginois
4. Le dernier contexte d’emploi de l’adjectif est celui de la reli- dans l’esprit romain.
gion chrétienne. La traduction proposée dans le dictionnaire n’est pas littérale.
5. Face aux menaces de ruine que Médée brandit, Jason, qui a Elle propose de traduire les adjectifs veri par « franchise » et
accepté comme épouse la fille du roi de Corinthe, sûr de son sancti par « probité ». Le terme « probité » ne rend pas l’idée
bon droit, prend à témoin la Justice en tant que divinité. Voilà de pureté, d’irréprochabilité contenue dans le mot.

a Pour une description plus précise de l’organisation des articles du Grand Gaffiot, l’on peut exploiter aussi le
mode d’emploi fourni en page XV de l’ouvrage, ainsi que la liste des abréviations donnée aux pages XVI à XVIII.

Savoir utiliser les ressources en ligne


1. Le lemmatiseur donne les nominatifs respectifs scelus pour « victrici ». Le nom « viscera » ayant une syllabe brève, il aide
«  sceleri  » (v.  2), victrix pour «  victrici  » (v.  3) et regnum pour à lui adjoindre le déterminant possessif « sua », tandis que la
« regni » (v. 4). Il permet donc de distinguer le génitif singulier finale de l’adjectif « victrici » étant longue elle oblige à en faire
regni du datif singulier sceleri et de l’ablatif singulier victrici. l’épithète du nom « dextra ».
2. L’analyse doit aider les élèves à comprendre que l’adjectif 4. Nous chantons des guerres plus que civiles dans les
« totis » complète le nom « viribus », tous les deux à l’ablatif champs d’Émathie,
pluriel, et que le participe parfait passif « concussi » se rapport
le droit livré au crime, un peuple puissant
à « orbis », tous les deux au génitif singulier.
3. L’épopée de Lucain, qui retrace la guerre civile entre César retourné par son bras victorieux contre ses propres entrailles,
et Pompée (de 49 av. J.-C. à 46 av. J.-C.) est en hexamètres deux armées issues de la même famille, et un fois rompue
dactyliques (cf. Memento, p. 199). Même si le logiciel fournit l’unité de l’empire
deux propositions de scansion pour les mots sua et dextra [īn la lutte du monde ébranlé par toutes ses forces
sŭă (sŭā) vīctrĭcī cōnvērsūm vīscĕră dēxtră (dēxtrā)], la scansion
aide à opérer des regroupements, sachant que les terminai- en un commun sacrilège, des enseignes se heurtant à des
sons de l’ablatif singulier forment des syllabes longues. Nous enseignes hostiles,
avons deux noms « viscera » et « dextra » et deux mots qui des aigles adversaires et des javelots menaçant des javelots.
les complètent, le déterminant possessif « sua » et l’adjectif

Chapitre introducteur • 11
Méditerranée : Conflits, influences
CHAPITRE
1 et échanges
ouverture p. 16-17

Parce qu’elle est à la fois le berceau et le creuset des civilisa- bassin méditerranéen, tandis que des documents modernes
tions fondatrices de la culture européenne, la Méditerranée est invitent à réfléchir sur l’idée même de colonisation.
un objet d’étude commun aux programmes des trois niveaux
d’enseignement du lycée. Cette mer intérieure, comme l’appe-
• Guerres et paix en Méditerranée : la chronologie sert
aussi de fil conducteur pour l’exploration de ce sous-thème.
laient les Romains, fut – et est toujours – « le théâtre d’enjeux Les guerres puniques, étape fondamentale dans la conquête
politiques, économiques et culturels », « un espace d’hospita- de la Méditerranée par les Romains est réactivée à travers trois
lité, d’échanges, de commerces, d’affrontements et d’hégé- textes d’accès facile. Un texte est consacré à la bataille d’Ac-
monie ». Cet objet d’étude permet de donner aux élèves « la tium, autre moment-clef de l’histoire romaine, avant l’instaura-
connaissance des grands repères géographiques et culturels » tion de la Pax Romana, explorée à travers l’exemple de la Gaule.
nécessaires à une compréhension avertie du monde contem-
porain. Son caractère obligatoire dans le traitement du pro- • D’une rive à l’autre : échanges culturels, influences
gramme a déterminé son placement en tête de cet ouvrage. réciproques : la diversité des textes permet de comprendre
Le chapitre aborde les quatre entrées du programme. l’interpénétration des cultures méditerranéennes. L’Orient,
comme aujourd’hui, fascine autant qu’il inquiète. Un texte
• Colonisation et conquêtes en Méditerranée  :
montre la vive réaction des anciens Romains à l’égard de
repères historiques  : pour donner ces «  repères histo- l’orientalisation et de l’hellénisation ; deux autres témoignent
riques  », le thème est exploré de façon chronologique. Une du rayonnement de la culture grecque, tandis qu’un texte
première double-page met en regard la légende de la fon- de Rutilius Namatius, accompagné de documents iconogra-
dation de Carthage et la réalité des colonies phéniciennes au phiques, souligne l’influence romaine en matière d’infras-
travers d’un repérage à la fois temporel et spatial. Deux textes tructures hydrauliques. Enfin, si une page permet de voir la
s’arrêtent sur la colonisation grecque des côtes nord de la permanence de l’orientalisme en Europe occidentale jusqu’à
Méditerranée. Ils donnent l’occasion de découvrir l’Italie du l’époque moderne, une double-page fait découvrir les ori-
Sud et la Sicile quand elles étaient appelées Magna Graecia. gines romaines de l’égyptomanie.
Enfin, deux textes dressent le bilan de la conquête romaine du

Entrées possibles dans le chapitre


- Approche par l’écriture de la guerre : un premier parcours la Méditerranée, qui devient sous cet angle un carrefour poli-
peut s’attacher à la manière dont les historiens latins rendent tique. Peuvent alors être examinées les causes de la première
compte de la guerre. Un premier temps peut être consacré guerre punique (p. 24) ou les raisons de la conquête romaine
à l’exposé et à l’analyse des causes. Les visées impérialistes (p. 22). Enfin, lieu d’échanges continus, la Méditerranée s’im-
de Denys de Syracuse (p. 21) ou celles des Romains lors de pose comme un carrefour culturel que l’hellénisme (étude du
la première guerre punique (p. 24) servent de supports à vase p. 21, texte p. 32) ou l’égyptomanie (p. 34-35) illustreront
cette approche réflexive sur les causes de la guerre. Vient de façon vivante. L’orientalisme à l’époque moderne présen-
ensuite le temps des combats. Le récit de la bataille d’Ac- té à la page 31 prolongera cette découverte des échanges
tium par Velleius Paterculus (p. 28) ou celui de Florus (p. 44) culturels au sein de la Méditerranée que pourra conclure, sur
sur la conquête de la Grèce permettent de faire prendre le mode de la visite, les vestiges de la maîtrise romaine l’eau
conscience de l’absence d’objectivité de l’histoire romaine, (p. 33).
avant tout morale ou propagandiste. Le parcours s’achève en - Approche par le thème de l’héritage : pour montrer combien
une réflexion générale sur la guerre comme instrument poli- est présente l’Antiquité dans notre monde contemporain, le
tique et faire-valoir. La manière dont Pompée s’est auréolé de thème de l’héritage peut être mobilisateur. D’où vient notre
gloire à la suite de la guerre menée contre les pirates (p. 26), fascination pour l’Égypte ? Les élèves découvriront qu’elle était
la description du triomphe des Scipions au terme des guerres déjà le fait des Romains (p.  34-35). Pourquoi trouve-t-on des
puniques (p. 25) ou l’éloge de Rome par Claudien (p. 50) nour- objets phéniciens ou grecs en Sicile ? L’activité proposée sur la
rissent la réflexion des élèves sur cette perception positive de colonisation phénicienne (p. 19) et celle proposée sur la colo-
la guerre, qui contraste avec la vision actuelle. nisation grecque (p. 20) apporteront des réponses. Pourquoi
- Approche de la Méditerranée, comme carrefour stratégique : trouve-t-on des thermes et des aqueducs romains dans tout
l’image du carrefour peut nourrir un parcours dynamique le bassin méditerranéen (p.  33) ? La page sur la conquête
d’exploration. La Méditerranée, lieu de transit, est d’abord romaine (p. 22) et celle sur la Pax Romana (p. 29) en donneront
un carrefour maritime, hier comme aujourd’hui. Le texte de les raisons historiques. Pourquoi les enfants de l’élite romaine
Jacques Attali et la photographie du Pirée peuvent fournir apprennent-ils le grec (texte de Plutarque, p. 32) ? Le voyage de
une entrée en matière accrocheuse (p. 27) pour poser la pro- Cicéron en Grèce rendra compte de l’emprise intellectuelle de
blématique et servir de fil conducteur. Ils peuvent ensuite être la Grèce sur Rome (texte de Cicéron p. 32 ou de Vitruve p. 46),
mis en perspective par la lutte de Pompée contre les pirates comme berceau de la culture et de la pensée occidentale. Ce
(p. 26) pour souligner la permanente nécessité de sécuriser parcours culturel pourra être prolongé par la réalisation d’un
les routes maritimes. D’où l’enjeu stratégique que constitue portfolio dans l’esprit de celui proposé en fin de chapitre (p. 49).


12 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
Présentation des documents et problématisation
Les Reliefs d’Actium, conservés actuellement en Espagne, golfe du Lion, l’artiste contemporain, Jean Denant (né à Sète
à Cordoue, par les ducs de Cardona, sont une commande en 1979) a installé un miroir d’acier poli de plusieurs mètres
pour commémorer la victoire d’Octave sur Marc Antoine et de long. Les contours de ce miroir sont ceux que dessinent
Cléopâtre lors de la fameuse bataille du 2 septembre 31 av. les côtes de la Méditerranée. « Sur la promenade qui lui fait
J.-C., qui mit fin aux guerres civiles et inaugura le pouvoir face, le passant se voit lui-même traversant le miroir du nord
absolu du futur Auguste. Les reliefs, probablement réali- ou sud, ou l’inverse, sous la ligne bleue de l’horizon quand
sés dans les premières années de l’Empire, sans doute pour elle rejoint le ciel, selon les caprices du temps, bien sûr. [...]
un monument conséquent, sont sculptés en frise sur des La mer au milieu du monde est un pays sans cesse traversé
plaques de marbre. Les navires sont disposés sur deux lignes par les habitants de ses rivages. Voyages, migrations, exils ou
pour rechercher un effet de profondeur. Trois de ces pan- routes mirifiques sillonnent ce pays calme et pourtant si dan-
neaux nous sont parvenus. Les combats sont montrés avec gereux. », Philippe Saulle, directeur de l’école des Beaux-Arts
un grand réalisme, par exemple dans la restitution du mouve- de Sète, Le Chemin (la traversée) de la Méditerranée.
ment ondulatoire des vagues, dans la poupe et les rames des La lecture comparée des deux documents amène les élèves
navires ou dans les mouvements des combattants. Au pre- à s’interroger sur la place qu’occupe la Méditerranée, celle
mier plan, on suppose qu’il s’agit du navire d’Octave. On sait des hommes qui la peuplent, ceux d’hier, comme ceux d’au-
qu’il disposait de navires plus légers que ceux de son adver- jourd’hui. En quoi est-elle un catalyseur – tantôt dramatique,
saire, donc plus maniables, et de catapultes. tantôt fécond – des relations qu’ils nouent entre eux ? Telle
Dans la ville de Sète, face à la mer, sur le mur d’un ancien bloc- est la question qui doit déclencher la réflexion des élèves à
khaus de la Seconde Guerre mondiale, chargé de surveiller le propos d’un espace maritime à l’histoire riche et complexe.

lecture Colonisations et conquêtes en Méditerranée


Dans les pages Lecture, les onglets de question sont indépendants les uns des autres. Il est donc possible
de les traiter dans l’ordre que l’on souhaite ou de ne traiter que ceux que l’on souhaite. Ce dispositif per-
met d’envisager une approche différenciée du texte.
1 Carthage, colonie phénicienne (814 av. J.-C.) (p. 18)
Par l’accessibilité des activités proposées, et le caractère légendaire du récit, cette page doit permettre de favori-
ser les retrouvailles des élèves avec le latin, en début d’année scolaire.
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES

• Nous avons bien peu de certitudes concernant • Reconstitutions graphiques de Carthage sur le site
l’historien Justin, dont la vie est située, selon les sources, de Jean-Claude Golvin (voir également p. 74) :
du IIe au IVe s. Son Histoire universelle est un abrégé – et le http://jeanclaudegolvin.com/carthage/
seul témoignage – de la volumineuse Histoire universelle • Le site du musée de Carthage (collections puniques,
de l’historien Trogue Pompée (Ier s.), aujourd’hui perdue. romaines et byzantines) :
Même s’il commet des erreurs chronologiques et www.patrimoinedetunisie.com.tn/fr/musees/carthage.
montre peu d’esprit critique, son texte reste une source php
documentaire précieuse.

Lire
1. Le repérage des coordonnants permet une première première étape de la fondation. L’adverbe spatial « ibi » (l. 11)
lecture-­compréhension du texte. Les conjonctions «  et  » et suivi de l’adverbe de surenchère « quoque » (l. 11), non expli-
« -que » ne sont pas à relever, car elles ne participent pas ici citement traduit, signale la découverte présageant la pros-
de l’enchaînement narratif. L’adverbe « dein » (l. 2) indique la périté de la ville nouvelle et entraînant son déménagement.
poursuite du récit après l’arrivée d’Elissa et des Phéniciens Enfin, l’adverbe temporel « tunc » (l. 12) indique la vérification
en terre d’Afrique. Sa forme concurrente complète « deinde » du présage par la conséquence de l’afflux de population.
(l. 5) signale le passage au récit de fondation. La conjonction 2. Les chiffres à inscrire dans l’ordre d’apparition, de droite à
«  itaque  » (l.  7) annonce les événements consécutifs de la gauche, sont : 4 – 2 – 3 – 1.

Lexique
1. Ce travail lexical est conçu comme une réactivation des un ancêtre mâle commun et portant le même nom ». Le mot
acquis de seconde, notamment du chapitre commun portant s’est ensuite réduit au sens de « famille », pour s’élargir à nou-
sur la Méditerranée. veau au sens de « peuple ». Ce sont donc des groupes avec leur
Les autochtones sont désignés par le terme concret d’ « inco- identité indigène propre qui viennent grossir la population de
las » (l. 1), mot construit sur le verbe colere qui signifie « habi- Carthage.
ter ». Ce sont donc, d’abord, les premiers occupants des lieux. Les Phéniciens sont pour les indigènes des «  peregrinorum  »
Une fois la nouvelle ville implantée, ils en deviennent les voi- (l. 1), c’est-à-dire des voyageurs. Le terme est issu du verbe pere-
sins (« vicinis locorum », l. 5). Ils sont, au terme du texte, men- grinare, « voyager à l’étranger », issu lui-même de l’expression
tionnés par le terme « gentibus » (l. 12). Le mot gens désigne à per agros ire qui signifie « aller à travers champs ». Ils sont aussi
l’origine un « clan », c’est-à-dire, un « groupe d’individus ayant des « hospitibus » (l. 5), des « hôtes ». Le mot latin a communiqué

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 13


son ambiguïté polysémique au mot français : hospes est à la 2. Outre les remarques étymologiques déjà fournies, d’un
fois « celui qui est reçu », comme « celui qui reçoit ». Or ici, les point de vue démographique, les termes choisis donnent à
Phéniciens sont dans un premier temps ceux qui sont accueillis comprendre le processus de la colonisation phénicienne. Le
de façon favorable (l. 2) par les autochtones, mais, une fois leur premier temps est celui de l’arrivée d’étrangers («  peregrino-
ville fondée, ceux qui les accueillent (l. 6). rum », l. 1) qui, surtout grâce aux échanges commerciaux qu’ils
Les noms latins à entourer désignant Carthage, son sol et sa promettent, sont bien accueillis en tant qu’hôtes (« hospitibus »,
population sont multiples. La ville fondée par Elissa porte l. 5). La fondation d’une ville et l’activité qu’elle génère constitue
d’abord le nom de « Byrsa » (l. 4), mot grec désignant le « cuir » un pôle d’attraction et l’installation d’une première vague de
de bovin qu’Elissa fit découper en lanières. Autour de cette populations (l. 6). C’est l’enclenchement d’un double processus
acropole s’établit un embryon de cité (« instar civitatis », l. 7). d’assimilation et d’indépendance (« instar civitatis », l. 7). Cette
La ville («  urbis  », l.  8, «  urbs  », l.  10) s’étend progressivement indépendance est pleinement acquise par la capacité à lever
et prend le nom de «  Carthago  » (l.  8) avant d’être déména- un impôt propre (l. 8). La dernière phrase consacre le rayonne-
gée dans un autre lieu (« in alium locum », l. 10). Au terme du ment de la ville nouvelle qui attire toujours plus de populations
texte, Carthage est pleinement reconnue  : elle constitue un indigènes (« concurrentibus gentibus », l. 12). Dès lors, colons et
« populus » (l. 12), c’est-à-dire, au sens romain, un « ensemble de autochtones ne forment plus qu’une seule population (« popu-
citoyens », constitutif d’une entité politique : la « civitas » (l. 12). lus », l. 13), une cité puissante (« civitas », l. 13).

Interpréter
Historiquement, les Phéniciens ont bien fondé, vers le IXe s. donné à l’acropole de Carthage signale que les historiens
av.  J.-C., une cité qu’ils appelèrent Qart Hadasht («  Ville latins, Trogue Pompée et à sa suite Justin, se sont appuyés sur
Neuve  »), transcrit en latin par Carthago. Les Carthaginois des sources grecques. Le jeu de mots étiologique ne peut se
sont aussi appelés Puniques, mot latin dérivé du grec « phoi- comprendre en effet qu’en grec. La fuite de la princesse phé-
nix  » signifiant précisément «  phénicien  ». Carthage s’est nicienne Elissa, menacée par son frère devenu roi, puis l’épi-
bien développée progressivement, agrandie par l’afflux des sode de la peau de bœuf découpée en lanières semblent bien
populations autochtones (l.  6-7, et 13). Elle a bien constitué relever de la pure légende (l. 1 à 5). L’épisode de la découverte
non seulement une cité (civitas), mais un empire maritime de la tête de cheval comme présage favorable (l. 11) a peut-
indépendant qui lui permit de dominer toute la Méditerranée être été inspiré par la représentation sur des pièces de mon-
occidentale. Comme toute cité antique, Carthage trouve naies carthaginoises d’une tête de cheval. Quant à celui de la
la noblesse de ses origines dans la légende. Cette légende découverte de la tête bœuf (l. 8), il ne semble avoir été inventé
semble s’être constituée dans un contexte carthaginois forte- que pour justifier l’agrandissement de la ville, en écho avec
ment hellénisé, ou simplement grec. D’ailleurs, le nom Byrsa l’épisode inaugural du découpage de la peau.
prolongements

c Une lecture comparée du texte de Justin avec l’extrait de l’Énéide c Pour s’assurer de la bonne compréhension du vocabulaire, l’activité
proposé p. 54 peut permettre de faire comprendre le processus de lexicale peut être prolongée par l’écriture d’un court résumé (3 à
mythification de la fondation de Carthage. Ce peut être l’occasion de mettre 4 phrases brèves) avec pour contrainte le réemploi des mots travaillés.
en évidence la porosité des genres latins dans le traitement du passé. Le petit texte sera en français avec des mots latins incorporés, ou
complètement en latin, selon une approche différenciée. Les élèves
peuvent compléter le lexique au moyen de la p. 36.

2 Les colonies phéniciennes en Méditerranée (XIIe-VIIIe s. av. J.-C.) (p. 19)


Après l’exposé de la légende, les élèves explorent la réalité historique de la colonisation phénicienne. La page
se veut comme une mise en activité autonome. La lecture, l’analyse et le repérage se font conjointement, selon
l’organisation de chaque élève.
Les supports textuels comptent deux extraits d’auteurs grecs traduits, l’historien Thucydide et le périégète
Pausanias, qui évoquent des colonies phéniciennes non évoquées par les auteurs latins, et deux historiens latins. Le
premier, Salluste, rappelle, comme il le doit avant de relater une guerre survenue en Afrique, La Guerre de Jugurtha,
l’histoire de cette province. Le second, Velleius Paterculus, dans son Histoire romaine, très attaché à la précision
chronologique, s’attache à détailler, entre autres, les circonstances des fondations des colonies. Le croisement de
leurs textes permet d’établir une carte des comptoirs établis par les Phéniciens en Méditerranée occidentale.
Voir Dossiers d’Archéologie hors-série n° 13, La Méditerranée des Phéniciens, N° 13 - novembre 2007.
TRADUCTION
Traduction du texte de Velleius Paterculus : Traduction du texte de Salluste :
La flotte de Tyr, qui était la plus puissante sur mer, dans Les Phéniciens, les uns pour diminuer la forte population
la région la plus éloignée de l’Espagne, à l’extrême limite chez eux, d’autres par désir de domination, après avoir
de notre monde, sur une île baignée par l’Océan et sépa- sollicité la plèbe et d’autres hommes avides de nouveau-
rée du continent par un détroit très exigu, fonda Gadès. tés, fondèrent sur le bord de la mer, Hippone, Hadrumète,
Par ces mêmes Tyriens, peu d’années après, en Afrique Leptis et d’autres villes, et ces colonies, rapidement très
fut fondée Utique. prospères, furent, pour leurs métropoles, les unes leur
appui, les autres leur prestige.


14 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
Comprendre
1. La lecture des textes permet de donner une vision assez l’est vers le sud-ouest, Solonte, Panormos et Motyé. Enfin, sur
précise de l’implantation phénicienne dans la Méditerranée la côte africaine, d’ouest en est, se succèdent Hippone, Utique,
occidentale. Les sources littéraires et les témoignages Carthage, Hadrumète et Leptis (Magna).
archéologiques montrent que la ville de Tyr est à l’origine de Les Phéniciens ont contribué à la production et à la diffusion
la constitution de l’empire maritime du Ier millénaire. du verre dans le bassin méditerranéen du IXe au VIIe s. av. J.-C.
Le texte de Velleius Paterculus signale la fondation de Gadès Les pendentifs polychromes en pâte de verre présentés sur
et celle d’Utique, au début du XIe av. J.-C. Le texte de Salluste la page en sont un témoignage. Celui placé à gauche de la
énumère les colonies africaines : Hippone, Hadrumète, fon- carte a été retrouvé au Liban, tandis que celui qui se trouve à
dées au début du XIe av. J.-C., Leptis (Magna) fondée au VIIe s. droite, vient de Carthage. Sont représentées le plus souvent
av. J.-C. Le texte de Thucydide évoque la colonisation de la des têtes d’homme avec des cheveux et des barbes frisées,
Sicile, notamment Motyé, fondée au VIIIe s. av. J.-C., Solonte lisses ou ondulées, et des têtes de femmes à cheveux torsa-
et Panormos au VIIe s. av. J.-C. Enfin, Pausanias évoque les fon- dés. Mais on trouve aussi des têtes d’animaux (bélier, coq) ou
dations effectuées en Sardaigne, notamment Caralis et Sylces encore des créatures monstrueuses. Ces pendentifs devaient
(Sulcis), fondée vers le Xe s. av. J.-C. être des éléments de parure : pendentifs ou éléments de col-
2. La Phénicie correspond à l’actuel Liban. Tyr est placé près de lier. Retrouvés dans des tombes, ils avaient une valeur symbo-
la côte tout au sud du pays. Gadès est à placer au sud de l’Es- lique, sans doute protectrice.
pagne. Sylces (Sulcis) est à placer au sud de la Sardaigne, Caralis Sur le site du Louvre, présentation d’un autre pendentif  :
est au-dessus. Sur la côte occidentale de la Sicile, on trouve de www.louvre.fr/oeuvre-notices/tete-d-homme-barbu-0

Interpréter
1. D’après Velleius Paterculus, l’installation par les Phéniciens l. 3). La prospérité que connaît la ville de Tyr à partir du IXe s.
de comptoirs aussi éloignés de leur terre d’origine s’explique l’amène, pour accroître son prestige, à obtenir l’hégémonie
par leur remarquable maîtrise de la navigation («  plurimum sur les marchés et les routes commerciales maritimes. La poli-
pollens mari », l. 1). Les Phéniciens avaient en effet développé tique de colonisation vise donc à atteindre cet objectif. Elle
la première industrie navale. L’étude des épaves retrouvées implique de fait une intrusion dans des territoires étrangers,
en mer montrent que les navires étaient assemblés à partir de l’appropriation de ressources et le contrôle de routes inté-
pièces fabriquées en série. Des lettres gravées indiquaient la rieures. Si l’impérialisme maritime phénicien ne fait aucun
position de chaque pièce. On sait aussi que leur connaissance doute, la cause de surpopulation avancée par Salluste n’est
de la mer faisait que les Phéniciens savaient choisir leur route pas avérée. Elle est peut-être de sa part un transfert d’une
en fonction des vents et des courants. Mais cette maîtrise de des causes avancées par les Grecs pour expliquer leur propre
la mer n’est qu’un moyen qui permet de concrétiser les pro- colonisation. Quant à l’attrait de l’inconnu, si elle a pu pous-
jets de colonisation. L’historien Salluste donne trois raisons ser certains phéniciens à participer aux expéditions, elle est à
qui seraient, selon lui, à son origine : la surpopulation (« mul- relativiser quand on sait précisément qu’ils étaient un peuple
titudinis domi minuendae », l. 1), l’impérialisme (« imperii cupi- de marins, habitués à naviguer.
dine », l. 2) et l’appel de l’inconnu (« novarum rerum avidis »,

Traduire
1. Toutes les formes verbales sont des participes, objet de la un nominatif féminin singulier et se rapporte au sujet féminin
première leçon de grammaire (p. 38) qui peut donc être tra- « Utica » (l. 6).
vaillée en amont de la séance ou en parallèle. Deux participes parfaits passifs sont présents dans le texte
Dans le texte de Velleius Paterculus, « pollens » (l. 1) est le seul de Salluste. « Sollicita » (l. 2), d’abord, fait partie d’un ablatif
participe présent actif. Il est décliné au nominatif féminin sin- absolu dont le sujet le nom féminin « plebe » (l. 2). Le suivant,
gulier parce qu’il se rapporte au nom féminin « classis » (l. 1). « auctae » (l. 6), est décliné au nominatif féminin pluriel et se
Les trois autres participes que compte l’extrait sont tous des rapporte au pronom de rappel « eae » (l. 5), lui-même rempla-
participes parfaits passifs. « Circumfusa » (l. 3) et « divisa » (l. 4) çant l’énumération des colonies.
sont à l’ablatif féminin singulier et se rapportent tous deux 2. Voir la traduction.
au nom féminin « insula » (l. 3). Le dernier « condita » (l. 6) est

prolongements

c Pour approfondir la connaissance de la civilisation phénicienne, c L’alphabet latin vient, par le biais des Grecs, puis des Étrusques,
des exposés peuvent être proposés. Pour éviter les interventions- de l’alphabet phénicien. Il peut être amusant de faire chercher
sommes, on peut retenir l’idée d’un objet pour illustrer un aspect aux élèves comment l’évolution s’est faite.
de la civilisation (navigation, religion, artisanat, pratique funéraire…). Voir l’exposition virtuelle de la BnF « L’aventure des écritures » :
http://classes.bnf.fr/ecritures/arret/lesecritures/alphabets/01.htm

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 15


3 Crotone fondée par le grec Myscélos (p. 20)
La colonisation grecque a suivi la colonisation phénicienne. Voilà pourquoi il est proposé,
selon le déroulé chronologique du chapitre, de voir son empreinte en Méditerranée, et
notamment en Sicile et en Italie du sud, appelées précisément par les Grecs Magna Graecia.
TRADUCTION
Traduction des vers 6-7 : INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES

« Va, abandonne le siège de ta patrie et gagne les ondes pierreuses de La Méditerranée a connu trois vagues
l’ondoyant Ésar. » d’expansions grecques. Les Grecs, établis
dans la péninsule des Balkans depuis le
Traduction des vers 14-23 : début du IIe millénaire, commencèrent à
Il navigue sur la mer Ionienne, passe devant Tarente fondée par les s’installer sur les côtes de l’Asie Mineure
pendant ce que l’on appelle les âges
Lacédémoniens, Sybaris et Veretum, la ville des Salentins, le golfe de
obscurs (XIe-IXe s. av. J.-C.). La colonisation
Thurium, Neretum et les champs d’Iapyx ; à peine les territoires que d’ampleur du bassin méditerranéen eut
regardent les flots sont-ils parcourus qu’il trouve l’embouchure dési- lieu du VIIIe au VIe siècle av. J.-C.
gnée par le destin du fleuve Ésar et non loin de là le tombeau, sous La dernière vague correspond aux
lequel une terre consacrée recouvrait les ossements de Croton, là sur conquêtes d’Alexandre le Grand (336-323),
cette terre il fonda les remparts qui lui avaient été ordonnés et transféra qui assura le rayonnement de la Grèce
le nom du défunt à la ville. Il était établi, de tradition certaine, que de l’Égypte à l’Indus.
telles étaient les origines de ce lieu et de cette ville située aux limites
de l’Italie.

Langue
Cette activité vise à rappeler aux élèves que le participe, « Sallentinum », placé avant le nom neutre « Veretum », auquel
forme verbale, se décline comme un adjectif. Ce rappel peut il se rapporte, et au vers 16 l’adjectif « Thurinos », placé avant le
s’effectuer en parallèle de la première leçon de grammaire nom « sinus », suggèrent le même effet. Dans le vers 17, le par-
(p. 38). L’activité se présente aussi comme une première sen- ticipe parfait passif « pererratis » constitue avec le nom « ter-
sibilisation aux particularités de la langue poétique, notam- ris », rejeté en fin de vers, un ablatif absolu. La quête s’ache-
ment aux effets que tirent les poètes de la possibilité de sépa- mine vers sa fin. Au vers 18 les adjectifs « Æsarei » et « fatalia »
rer adjectifs et participes des noms qu’ils complètent. alternent avec les noms « fluminis » et « ora » auxquels, respec-
Dans le vers 7, les adjectifs « diversi » et « lapidosas » portent tivement, ils se rapportent. L’alternance précipite le rythme
respectivement sur «  Æsaris  » et «  undas  » selon une alter- qui se fait plus régulier : Myscélos est arrivé. Dans le vers 19,
nance qui vise à reproduire le mouvement ondoyant des se trouve l’adjectif « sacrata », très éloigné du nom qu’il com-
eaux et de la quête. plète, «  humus  », situé au vers suivant. Cette forte disjonc-
tion souligne la solennité du moment de la fondation par la
Dans le vers 14, les adjectifs « Ionium » et « Lacedaemonium »
mise en valeur du caractère sacré du lieu. Même recherche
se rapportent respectivement aux noms neutres, l’un sous-
de solennité, au sein du même vers, dans l’antéposition du
entendu mare et, l’autre exprimé «  Tarentum  ». Placés au
participe parfait passif « jussa » qui se rapporte au nom « moe-
centre du vers, ils constituent une sorte de chiasme, et, par le
nia ». Dans le dernier vers, le participe parfait passif « positae »
jeu des sonorités (homéotéleutes, assonance en [i] et [u] com-
souligne la fermeté de l’ancrage de la ville, « urbis », nom qu’il
binée aux allitérations en nasales), contribuent à nouveau à
complète par son antéposition.
mimer le tangage propre à la navigation. Au vers 15, l’adjectif

Comprendre
1. Myscélos, parti du Péloponnèse, aborde la péninsule Veretum, au vers 16, Sirinos à la place de Thurinos, et Temesem
italienne par le sud en naviguant dans la Mer Ionienne à la place de Neretum. Si Siris, comme toutes les autres villes
(«  Ionium  », v.  14). Il erre alors dans le golfe de Tarente. Il citées, se trouve dans l’actuel golfe de Tarente, la ville de
passe au large des villes de Tarente (« Tarentum », v. 14), de Temesa, sur la côte tyrrhénienne, dans le Bruttium, sort du
«  Sybaris  » (v.  15) et de «  Veretum  » (v.  15), navigue dans le champ de prospection de Myscélos. Dans tous les cas, c’est
golfe de Thurium (« Thurinosque sinus », v. 16) et au large de moins la précision géographique que le thème de l’errance
« Neretum » (v. 16), et à nouveau le long des côtes de l’Iapygie – thème ô combien épique (cf. Ulysse, Énée) – qui préoccu-
(« Iapygis arva », v. 16). Il arrive enfin à l’embouchure du fleuve pait Ovide au moment de la composition. La légende de la
Ésar (« Æsari fatalia fluminis ora », v. 18) pour y fonder la ville fondation de Crotone relève donc plus de l’imaginaire que de
de Crotone. l’écriture cosmographique.
Le trajet suivi par Myscélos est marqué par la quête. Il effec- 2. Plusieurs éléments signalent ce que doivent les Romains à
tue des allers et retours entre le golfe de Tarente et celui de la Grèce. À l’exception de quelques mythes fondateurs, dont
Thurium, à la recherche de l’embouchure du fleuve Ésar et de la légende fameuse des jumeaux Remus et Romulus élevés
la tombe de Croton. Pour compliquer l’errance de Myscélos, par la louve, tout le fonds romain est une transcription de la
signalons que le passage, mal établi, fait débat entre les mythologique grecque. Dans l’extrait, c’est Héraklès, latinisé
éditeurs du texte. Plusieurs versions donnent des noms de en Hercule, qui est à l’origine de la fondation de Crotone. Le
lieux différents. Au vers 15 Neretum est proposé à la place de héros fondateur de la ville est Myscélos, un grec originaire


16 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
de la ville d’Argos. D’ailleurs, le système de vote au moyen des Crétois. Enfin, l’Argien Myscélos aurait fondé Crotone.
de cailloux noirs et blancs est bien une pratique grecque. Cette colonisation grecque de l’Italie du sud et de la Sicile a
Les villes énumérées par Ovide sont toutes des villes qui ont même porté le nom de Grande Grèce (Magna Graecia). Enfin,
été fondées par des colons grecs. Tarente fut fondée par des la culture mythologique d’Ovide, fortement nourrie de celle
exilés spartiates conduits par Phalantos, Thurium par l’Athé- des savants alexandrins, la nature même de son texte – une
nien Lampon, et Sybaris par des Grecs du Péloponnèse. En épopée étiologique composée en hexamètres dactyliques –
pays salentin, Veretum et Neretum auraient été fondées par signalent tout ce que le poète latin doit à la Grèce.

Traduire
Le repérage des adjectifs et des participes proposé dans l’activité « Langue » doit faciliter ce travail de traduction.
prolongements

c Pour approfondir la connaissance de la colonisation grecque, un c Pour sensibiliser davantage les élèves à la poésie latine, une initiation
travail documentaire peut être demandé. En plus de celles qui y sont à la scansion peut être effectuée à partir du vers 7 ou du vers 14.
déjà indiquées, les élèves recherchent et placent sur la carte le plus Les élèves verront ainsi qu’en plus qu’à l’organisation syntaxique
possible de colonies grecques. et aux sonorités, Ovide s’est attaché à suggérer le mouvement propre
à la navigation par le rythme.

4 Cap sur la Grande Grèce (390-386 av. J.-C.) (p. 21)


D’un point de vue historique, cette page montre aux élèves latinistes combien la Grèce a influencé l’histoire de
l’Italie, au moment où Rome n’en dominait qu’une toute petite partie. D’un point de vue pédagogique, elle pro-
pose une présentation originale du texte pour en faciliter l’appropriation par les élèves.

TRADUCTION
Denys, une fois les Carthaginois chassés de la
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Sicile et son pouvoir installé sur l’île entière,
ayant pensé que pour son règne le repos d’une si • Pour les informations concernant l’historien, se reporter à la
grande armée était menaçant et son inaction dan- présentation de la page 18.
gereuse, fit passer ses troupes en Italie, pour, tout • Après s’être emparé du pouvoir de façon démagogique en
à la fois, stimuler par un engagement continu les 430 av. J.-C., le tyran Denys de Syracuse exerce un pouvoir sans
forces de ses hommes et reculer les frontières de partage à l’intérieur comme à l’extérieur de la ville, pendant
son royaume. Sa première campagne fut contre ses trente-huit ans de règne (de 430 à 367 av. J.-C.). Il affirme
les Grecs qui à proximité détenaient les rives de l’autorité grecque sur la Sicile face à Carthage. Il veut aussi
la mer d’Italie ; une fois ceux-là vaincus, il attaque dominer les cités grecques d’Italie du sud. À son apogée, Denys
se fait obéir de toute la Sicile à l’exception de l’extrême ouest,
tous les proches voisins et soumet en ennemis
détenu par les Carthaginois, et sur toute la pointe de la botte
tous les Grecs qui possèdent l’Italie ; ces nations italienne jusqu’au golfe de Tarente.
à cette époque avaient occupé non pas une partie,
mais presque l’Italie entière. D’ailleurs nombre de • Un classique sur l’histoire de la Sicile : M. I. Finley, La Sicile
antique, Paris, 1986.
villes encore maintenant après une si longue durée Voir aussi Emanuele Greco, La Grande Grèce. Histoire et
montrent des traces de leurs traditions grecques. archéologie, Paris, 1996.

Lire
1. Le repérage des noms propres de peuples et de lieux d’une « acuerentur » (l. 5), « proferrentur » (l. 6), « tenebant » (l. 8), « fuit »
part, et de l’autre celui des connecteurs temporels et des (l. 8), « adgreditur » (l. 9), « destinat » (l. 10), « occupaverant » (l. 12),
verbes conjugués, notamment au moyen de l’aide lexicale, « ostentant » (l. 14) doivent permettent de comprendre la poli-
doit permettre une première saisie du sens du texte dans le tique de conquête de l’Italie du sud menée par Denys.
cadre d’une lecture-compréhension. 2. Une deuxième activité de lecture-compréhension est ici
Les noms de peuples « Carthaginiensibus » (l. 1) et « Graeci » (l. 7, proposée. Elle peut se faire en amont ou en aval de la pre-
10 et 14) sont ceux auxquels se confronte le tyran Denys. Les mière, ou de façon tout à fait indépendante. Le résumé pro-
noms de lieu « Sicilia » (l. 1) et « Italia » (l. 4 et 11) donnent le cadre posé par les élèves constitue une hypothèse de lecture. Parmi
des événements. Les connecteurs temporels « simul » (l. 5) et les mots relevés par les élèves, on attend qu’apparaissent cer-
« denique » (l. 13), et surtout les verbes conjugués « trajecit » (l. 4), tains de ceux qui sont attendus dans la première activité.

Traduire
1. Les noms « Carthaginiensibus » (l. 1) et « imperio » (l. 2) consti- double subordonnée infinitive comportant deux sujets à l’ac-
tuent les sujets de l’ablatif absolu, et « pulsis » (l. 1) et « occu- cusatif, comme il se doit, « otium » (l. 3) et « desidiam » (l. 3), le
pato » (l. 1) les participes parfaits passifs qui en dépendent. même verbe esse sous-entendu, et deux attributs, eux aussi, à
La proposition introduite par le participe « ratus » (l. 4) est une l’accusatif, « grave » (l. 3) et « periculosam » (l. 3).

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 17


2. TRADUCTION
Denys, une fois les Carthaginois chassés de la Sicile et son pouvoir installé sur l’île entière,
ayant pensé que pour son règne le repos d’une si grande armée était menaçant et son inaction dangereuse,
fit passer ses troupes en Italie,
pour, tout à la fois, stimuler par un engagement continu les forces de ses hommes et reculer les frontières
de son royaume.
Sa première campagne fut contre les Grecs qui à proximité détenaient les rives de la mer d’Italie ; une fois
ceux-là vaincus, il attaque tous les proches voisins et soumet en ennemis tous les Grecs qui possèdent l’Italie ;
ces nations à cette époque avaient occupé non pas une partie, mais presque l’Italie entière.
D’ailleurs nombre de villes encore maintenant après une si longue durée montrent des traces de leurs
traditions grecques.

Culture
1. Le vase est un cratère. Comme l’indique l’étymologie (κρατήρ doté d’une proue surélevée, comme en avaient les navires
vient du verbe κεράννυμι qui signifie « mélanger »), les cratères de guerre. Ces deux scènes ont donné matière à beaucoup
servaient aux Grecs à mélanger le vin et l’eau. Il a été retrouvé d’interprétations. Selon certaines hypothèses, ce répertoire
dans la tombe d’un noble guerrier étrusque, enterré dans la iconographique représenterait les dangers de la colonisa-
ville de Cerveteri, vers 650 av. J.-C. Ce vase a été fabriqué et/ou tion : ceux des voyages en mer et de la piraterie, et ceux des
peint par Aristonothos, comme l’indique l’inscription, importé contacts, pas toujours amicaux, entre Grecs et Étrusques. En
en Italie ou créé en Italie même. Il est un témoignage des rela- tout cas, il est une preuve de l’influence de la Grèce sur l’Italie.
tions entretenues entre les Étrusques et les Grecs, à l’époque Cette influence se trouve aussi, très visible dans l’architecture.
même de la colonisation grecque du sud de l’Italie. Les temples grecs les mieux conservés se trouvent en en effet
Une reconstitution en 3D de ce vase est visible sur ce site espa- en Sicile (Sélinonte, Agrigente) ou à Paestum, qui dut son
gnol  : http ://parpatrimonioytecnologia.wordpress.com/ développement à sa position géographique entre le monde
2016/12/07/la-cratera-de-aristonothos-recreacion-3d/ ionien et le monde italique. On attend des élèves qu’ils/elles
2. Sont représentées sur le vase deux scènes de part et décrivent précisément les temples et les comparent avec les
d’autre de sa panse : l’aveuglement du Cyclope Polyphème modèles grecs. Cette comparaison peut ne pas se borner à la
par Ulysse et ses compagnons sur l’une des faces, et sur forme, elle peut aussi s’intéresser aux techniques de construc-
l’autre, l’abordage d’un navire marchand par un navire pirate, tion et à l’usage religieux.

prolongements
L’investigation culturelle portant sur l’architecture peut être poussée encore visibles de son temps. Le domaine de la pensée peut aussi
plus avant. Toutes les formes d’artisanat et d’art (céramique, orfèvrerie, fournir un champ de découvertes : Pythagore installa son école à
sculpture, peinture, habitat…) peuvent faire l’objet d’une exploration Crotone et Archimède était syracusain.
des influences grecques en Italie, dont Justin signale qu’elles étaient

5 Rome à la conquête de la Méditerranée (p. 22)


Suivant la chronologie, après les Phéniciens et les Grecs, vient le temps des Romains. La page propose une pho-
tographie de la conquête de la Méditerranée au temps d’Auguste.

TRADUCTION
Traduction des Res Gestae Divi Augusti :
J’ai fondé des colonies de vétérans en Afrique, en Sicile, en Macédoine, dans chacune des deux Espagnes, en
Achaïe, en Asie, en Syrie, en Gaule Narbonnaise, en Pisidie. Quant à l’Italie, elle contient vingt-huit colonies
fondées sous mon autorité et qui, de mon vivant, ont été très fréquentées et très peuplées.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES

• Les Res Gestae Divi Augusti sont le testament politique livre III, Pline décrit principalement l’Europe : l’Espagne,
la Narbonnaise, l’Italie, l’Illyricum. La partie consacrée à
d’Auguste, dans lequel il dresse le bilan de son action.
Ce texte était gravé à Rome sur des tables de bronze, l’Italie s’ouvre sur un éloge de la terre d’Italie qui précède
aujourd’hui disparues. Il est connu grâce à la découverte la description proprement dite.
de différentes copies, dont la plus complète est celle • Pour voir l’expansion romaine, voir L’Histoire par les
d’Ancyre (découverte en 1555) qui recouvrait les parois cartes : des origines à sa chute de Rome :
du temple d’Auguste et de Rome. Bien qu’il ne soit pas www.youtube.com/watch?v=Y0ZqYwf1aj4
objectif, il constitue une source documentaire précieuse Un classique sur la conquête romaine de la Méditerranée :
sur la mise en place du principat. Claude Nicolet, Rome et la conquête du monde
• Les livres III à VI de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien méditerranéen, 264-27 av. J.-C. Tome 1. Les Structures de l’Italie
romaine, Paris, 1977. Tome 2. Genèse d’un Empire, Paris, 1978.
sont consacrés à la géographie du monde connu. Dans le


18 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
Lexique
1. Dans le premier texte, la domination s’exprime par la pos- côtes de la Méditerranée de l’Espagne actuelle (« Hispania »,
session. Les deux phrases du texte s’ouvrent sur le terme l. 2) à Turquie actuelle (« Asia », l. 2). On peut recourir ici à la
« colonias » (l. 1 et 4), terme qui indique la sujétion. La deu- carte du rabat pour aider les élèves à se rendre compte. Étant
xième s’achève sur le verbe « habet » (l. 7), verbe de la domi- donné que le monde connu pour les Anciens était celui du
nation par excellence. pourtour de la Méditerranée, on comprend que les Romains
La domination est exprimée de façon moins directe dans le ont eu le sentiment unique dans l’histoire d’être les maîtres
second texte. Rome maîtrise le monde par son statut supé- de l’orbis terrarum, comme le souligne, dans le texte de Pline
rieur : elle est qualifiée de mère de toutes les terres (« omnium l’Ancien, l’adjectif de la totalité dans l’expression «  in toto
terrarum… parens », l. 4). C’est elle qui est à l’initiative de la orbe » (l. 11). Le préfixe con- (cum) des deux premiers verbes
civilisation, comme le suggèrent tous les verbes d’action  : « congregaret » (l. 6) et « contraheret » (l. 9), et la juxtaposition
« congregaret » (l. 6), « contraheret » (l. 9), « daret » (l. 10). Enfin la des mots « una cunctarum » (l. 10), traduisent cette position
domination est aussi suggérée par l’énumération de tout ce hégémonique occupée par Rome. Ce sentiment de supério-
qui lui est soumis : « imperia » (l. 6), « popularum » (l. 7), « gen- rité est légitimé par celui d’être une nation élue par les dieux
tium » (l. 11). (« numine deum », l. 4). Rome est chargée d’une mission civi-
lisatrice auprès des nations jugées barbares par leurs mœurs
2. À partir du Ier s., les Romains sont maîtres de la quasi-tota-
qu’il faut adoucir (« ritus… molliret », l. 7) et leurs langues sau-
lité du bassin méditerranéen. L’énumération des régions (l. 1
vages (« feras… linguas », l. 8).
à 3) où ont été fondées des colonies dans le testament d’Au-
guste donne idée de l’étendue de l’Empire. Rome domine les

Comprendre
1. Pour Rome, la colonisation est un moyen d’implanter défi- Ces éléments figureraient l’éternité du cycle des jours et des
nitivement sa domination dans toutes les régions conquises. nuits sous le règne de Saturne. Tous les commentateurs s’ac-
Dans un premier temps, cette colonisation est le fait d’anciens cordent pour voir dans la scène historique représentée en-des-
soldats (« militum », l. 3) à qui sont donnés des territoires. Pour sous la restitution des enseignes romaines par les Parthes en
inscrire les colonies dans la durée et dans la vie civique, les 20 av. J.-C. L’identification de celui qui remet l’enseigne et de
Romains créent, à partir du IIe s., le titre de colonie, considéré celui qui la reçoit fait débat. Ce que l’on peut dire avec certi-
comme un honneur et un privilège, et accompagné d’avan- tude, c’est que l’un est un représentant d’un peuple barbare
tages. Ce ne sont alors plus seulement des vétérans qui soumis, l’autre un général romain. La présence d’un canidé
fondent les colonies mais des citoyens, chargés de diffuser la (louve ?) et l’allure féminine du romain fait songer à une allé-
langue et les coutumes romaines. gorie de Rome. Le général tend la main pour offrir l’amitié
2. À la fin du règne d’Auguste, une grande partie du bassin du peuple romain au peuple parthe. Les Res gestae rendent
méditerranéen est sous contrôle romain. Par le biais des colo- compte de cet événement : « J’ai forcé les Parthes à me rendre
nies, Rome domine les trois zones géographiques essentielles les dépouilles et les enseignes de trois armées romaines et à
de la Méditerranée d’alors : le sud avec la « Sicilia » et l’ « Africa » demander en suppliants l’amitié du Peuple romain. » (XXIX, 2).
(l. 1) ; l’orient avec les régions de la Grèce (« Macedonia », l. 1 et La figure féminine qui se trouve dans la partie inférieure est
« Achaia », l. 2) et celles de l’ « Asia » (l. 2), de la « Pisidia » (l. 3) et une allégorie de la Terre, symbolisée par la corne d’abondance
de la « Syria » (l. 2) ; et l’occident avec les régions d’ « Hispania » et les deux éros qui se blottissent contre elle. Elle est prospère,
(l. 2), la « Gallia Narbonensi ». La carte du rabat peut aider les non seulement grâce à la bienveillance du Ciel-Saturne, mais
élèves à situer ces régions et à se rendre compte de l’étendue aussi par l’action civilisatrice de Rome, figurée dans la scène
de l’Empire romain du temps d’Auguste. historique. La Terre est encadrée par deux dieux, Apollon mon-
tant un griffon en plein vol, et Diane un cerf en train de bondir.
3. La statue d’Auguste Prima Porta, découverte au XIXe s., est
De part et d’autre de la scène centrale, sont représentées deux
une copie d’un original perdu. Elle représente l’empereur
provinces à travers l’allégorie de deux femmes assisses. Celle
Auguste vêtu d’une cuirasse et du paludamentum, le manteau
située à droite, vêtue d’un manteau à franges sur l’épaule, a
de l’imperator, symbole du pouvoir militaire. Un petit éros che-
été identifiée de façon très diverse (Gaulois, Souabe, Dalmate,
vauchant un dauphin se tient le long de sa jambe droite. Les
Ligure, Celte des Balkans, Celtibère, Germain, Arménien…).
historiens de l’art s’accordent sur la nature de ce qui est repré-
Celle de gauche, reposant sa jambe sur un marchepieds a sus-
senté sur le plastron. Sur la partie supérieure, apparaît une allé-
cité autant d’identifications (Gaulois, Dace, Hispanique, Dace,
gorie céleste. Caelus, le Ciel, ou plutôt Saturnus, est figuré par
Celte du Danube, Dalmate, Africain, Galate, Panonien…). Ces
le personnage barbu central. À sa droite, se tient Sol, le Soleil
deux femmes tiennent des enseignes, mais leur tête inclinée
monté sur son char, à sa gauche deux personnages féminins
et leur attitude apaisée indiquent qu’elles désignent des pro-
identifiées comme l’Aurore, symbolisée par une œnochoé
vinces pacifiées sous l’autorité romaine. C’est la première fois
(cruche) et peut-être le Couchant, symbolisé par un flambeau.
que l’on montre des provinces participant à la vie de l’Empire.

Interpréter
Auguste est le commanditaire des Res gestae dans lesquelles colonies qu’il a fondées, Auguste non seulement donne à
il fait état de sa carrière et de son œuvre politique. Ce testa- voir leur nombre, qu’il signale d’ailleurs concernant l’Italie
ment est écrit à la première personne du singulier, comme («  XXVIII colonias  »), mais il s’emploie à montrer l’immensité
l’indiquent le parfait «  deduxi  » (l.  4) et l’ablatif absolu «  me de la zone géographique d’implantation, en citant toutes
auctore » (l. 6). Ce bref extrait suffit à donner une idée de la les provinces concernées (l. 1 à 3). Par ailleurs, il souligne la
dimension apologétique du texte. Par le recensement des réussite des colonies italiennes au moyen de deux superlatifs

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 19


« celeberrimae » (l. 5) et « frequentissimae » (l. 6). Comment le les dieux (« numine deum electa », l. 5) pour être la bienfaitrice
peuple romain ne pourrait-il pas être admiratif de celui qui lui du monde, comme l’indique l’allégorie maternelle « omnium
a assuré une telle grandeur ? terrarum… parens » (l. 4). L’Italie est la terre qui tout à la fois
Une même rhétorique de l’éloge caractérise le texte de Pline reçoit, assimile, purifie et diffuse les cultures en une culture
l’Ancien. En pleine description géographique et objective du universelle unique (l. 5 à 10). Elle est au centre du monde, elle
monde, comme le réclame la nature encyclopédique de son est le centre du monde, comme le résume la dernière propo-
Histoire naturelle, Pline l’Ancien sacrifie au poncif littéraire de sition de l’extrait : « breviterque una cunctarum gentium in toto
l’éloge de l’Italie (cf. Varron, Économie rurale, I, 3-8, Virgile, Les orbe patria fieret  », (l.  10-11). À travers l’image hyperbolique
Géorgiques, II, v. 136-176). Même si les précautions oratoires d’un ciel rendu plus clair (« caelum ipsum clarius faceret », l. 5-6)
liminaires sont convenues (l. 1 à 3), la fierté de Pline l’Ancien l’éloge atteint son paroxysme. Cette image n’est pas sans rap-
d’appartenir à un grand peuple confère un caractère sincère peler l’allégorie dispensatrice de sérénité du Caelus-Saturnus
à cet un hymne patriotique. L’Italie est une terre choisie par de la cuirasse de l’Auguste Prima Porta.

prolongements

c Pour résumer l’étude de la cuirasse de l’Auguste Prima Porta, les élèves peuvent proposer des légendes de
chaque élément en utilisant le vocabulaire des textes. Ils/elles peuvent trouver le vocabulaire manquant en
consultant le dictionnaire Olivetti présenté p. 15.
c L’ensemble du texte des Res gestae Divi Augusti peut faire l’objet d’une lecture en ateliers, avant une
présentation orale incluant des mots latins et étayée d’un ou deux supports visuels. Le texte se prête
facilement à un séquençage qui permet d’en effectuer une approche différenciée.
c Présentation et traduction du texte sur le site de l’Université de Liège :
http://web.philo.ulg.ac.be/antiquite/wp-content/uploads/sites/5/2017/04/MDubuisson_Auguste.pdf
Texte latin disponible sur Itinera electronica :
http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/res_gestae/texte.htm

6 La colonisation en débat (p. 23)


Comment ne pas évoquer la colonisation des pays européens (du milieu du XIXe s. au début du XXe siècle), et en
particulier de la France, dans le travail de confrontation auquel les programmes invitent ? Malgré des contextes
historiques très différents, les élèves n’auront aucun mal à repérer des constantes dans le discours colonialiste.
Deux documents de la fin du XIXe siècle permettront de mettre en perspective les textes latins tout en mettant au
jour la permanence de l’idéologie qui sous-tend toute politique coloniale.

Confronter
1. Tout en haut, la vue d’un port symbolise de façon concrète fait de raisins noirs (à droite) et de raisins blancs (à gauche),
le lien maritime entre la France et l’Algérie, situées toutes s’inscrivent les couleurs jaunes du tonneau, des gerbes de
deux de part et d’autre de la Méditerranée. On y retrouve blés, du village, et surtout le double ciel qu’amplifie le bleu
les couleurs blanche et bleue, couleurs de carte postale, de la montagne et celui de la mer. Dans les documents, on
communes aux ports des deux rives. En les prolongeant l’un retrouve une même idée d’apaisement. Rome rassemble les
vers l’autre, la mer symbolise le lien économique et culturel peuples, en adoucit les mœurs (l. 6-7), les humanise (l. 9-10).
entre les deux territoires. Comme une invitation à effectuer Ce travail de civilisation est suggéré par la position même du
le voyage, du colon part un train vers l’intérieur des terres, colon sur la couverture de l’Almanach. Il est celui que l’apport
derrière un petit village groupé autour d’un palmier. Tout de l’agriculture à un peuple de bergers responsabilise. Il est
est fait pour donner envie de se rendre dans ce qui apparaît assis, le bras appuyé sur sa pelle, le regard absorbé par ses
comme un paradis terrestre. La réalité est bien sûr tout autre. pensées. L’Algérien, reconnaissable par son habit, et vu de
Il s’agit d’affirmer l’implantation française, comme le souligne dos, semble agir sous l’autorité du colon. L’acculturation
le procédé de la mise en abyme : le colon lit un journal inti- passe par l’assimilation par les indigènes de la langue du colo-
tulé Le Petit Colon. Au moment où paraît cet almanach, plus nisateur. C’est ce à quoi Rome s’est employé, nous dit Pline
de 5 millions d’hectares ont déjà été confisqués et répartis l’Ancien (l. 7-8). C’est aussi ce que montre la forme des lettres
entre Européens, notamment dans la région fertile du nord du titre de l’Almanach : elles se terminent en arabesques pour
de l’Algérie, la Mitidja. Les Européens constituent progressi- prendre les caractères des lettres européennes, telles qu’elles
vement une oligarchie foncière qui s’enrichit au détriment de peuvent se présenter dans un manuel scolaire français. La rigi-
la population indigène. dité des majuscules de la préposition centrale « DU » marque
2. Par ses couleurs et son foisonnement, la couverture de l’Al- le moment de la bascule, le temps de la conquête coloniale,
manach du Petit Colon algérien donne une image rêvée de la indispensable pour atteindre cette concorde. C’est grâce à
colonisation en Algérie, alors département français, à l’image Rome que le monde a été réuni, selon Pline l’Ancien, pour
du tableau dressé par Pline l’Ancien de la domination de ne former qu’un seul ensemble (« una cunctarum gentium »,
Rome sur le bassin méditerranéen. Dans les deux documents, l. 10-11). Cette même image d’unité se retrouve dans la coha-
tout est placé sous le signe de l’harmonie. On y retrouve la bitation pacifique entre indigènes et colons sur la couverture
même luminosité. Rome rend le ciel plus clair (l.  5-6), écrit de l’Almanach : le croissant musulman et le drapeau tricolore
Pline l’Ancien, tandis que dans le cadre végétal de l’Almanach, s’unissent pour ne faire qu’une seule identité nationale.


20 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
3. La politique de colonisation a suscité d’intenses débats chinoise (l. 22 à 25) ou son sens subtil de la diplomatie (l. 26 à
en France à la fin du XIXe siècle. L’extrait du discours de 35). Rien ne permet donc à une nation d’affirmer sa « supré-
Clemenceau en est un témoignage. La question constitutive matie » (l. 35) culturelle sur une autre. En fait, ces arguments
du titre du discours porte en elle la charge contre les partisans masquent des motivations de tout autre nature. D’abord
de la colonisation : « La colonisation est-elle un devoir de civi- économique, comme le rappelle Alexandre Mérignhac (1857-
lisation ? ». Clemenceau remet en cause l’argument qui vise 1927), dans son Précis de législation et d’économie coloniales
à légitimer d’un point de vue humain la colonisation. L’idée (1912), « Coloniser, c’est se mettre en rapport avec des pays
qu’une nation serait porteuse de la civilisation, telle qu’elle neufs, pour profiter des ressources de toute nature de ces
est formulée chez Pline l’Ancien ou à travers la couverture pays, les mettre en valeur dans l’intérêt national.  » Ensuite,
de l’Almanach, est énergiquement rejetée par Clemenceau. politique  : il s’agit d’affirmer son rang sur la scène interna-
Les critères pour juger du degré de civilisation d’un peuple tionale, de consolider sa position de grande puissance. Le
sont toujours subjectifs, comme l’avait déjà écrit Montaigne : testament d’Auguste ne dit rien d’autre. Par le décompte des
«  chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage  » colonies qu’il a établies, c’est avant tout en termes de pou-
(Essais, « Des Cannibales », I, 31). Il s’appuie sur un argument voir et de domination sur le monde connu d’alors qu’Auguste
d’expérience proche  : le jugement des Allemands à l’égard revendique ses conquêtes territoriales. Le « devoir » est donc
des Français (l.  10 à 14). Il rappelle, pour différents qu’ils moins de civiliser que de dominer et de s’enrichir pour une
soient, le raffinement de la culture indienne et de l’art inspiré gloire nationale et personnelle.
par le bouddhisme (l. 16 à 21), l’ancienneté de la civilisation

prolongements pistes pour construire un portfolio


c Pour montrer l’ancienneté des préjugés liés au regard porté sur les peuples du La couverture de l’Almanach du Petit
nord et sur ceux du sud, l’on peut faire lire le texte très ethnocentrique de Vitruve Colon algérien peut servir de support à un
(De l’architecture, VI, 1) qui se fait l’écho de l’explication climatique des différences portfolio iconographique. Les mosaïques
dans les mœurs. ou les fresques romaines présentent des
c Le débat sur la colonisation pourrait donner matière à l’écriture en latin d’un décors pareillement idéalisés des provinces.
petit dialogue dans lequel s’affronteraient un colonialiste et un anticolonialiste. Les On songe notamment aux peintures
élèves devront s’appuyer sur les arguments fournis dans la double-page et sur le nilotiques ou les mosaïques présentant des
vocabulaire des textes latins. animaux exotiques.

lecture Guerres et paix en Méditerranée

1 Choc inévitable en Méditerranée (p. 24)


Par leur caractère déterminant dans l’expansion romaine, les guerres puniques sont une étape obligée dans l’évo-
cation des guerres en Méditerranée durant l’Antiquité. Il est envisageable de lire cette page dans le prolongement
de la page 19 abordant les colonies phéniciennes.

TRADUCTION
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Donc vainqueur de l’Italie, comme il était arrivé jusqu’au détroit – à
la manière du feu, qui, après avoir ravagé par l’incendie les forêts L’historien Florus, auteur du IIe siècle,
rencontrées sur son passage, quand survient un fleuve, est stoppé n’a pas l’ambition d’un Tite-Live. Son Abrégé
– il s’arrêta un peu. Puis, quand il vit dans le voisinage une proie de l’Histoire romaine est, comme l’indique
très riche, coupée d’une certaine manière de son Italie, et comme son titre, un résumé des guerres, extérieures
et civiles, de la fondation de Rome jusqu’en
arrachée, il brûla d’un tel désir, puisqu’elle ne pouvait être jointe ni
l’an 9. Florus ne cache pas la subjectivité de
par une digue ni par des ponts, qu’il lui sembla devoir être jointe son ouvrage. Il s’agit de provoquer chez le
par les armes et par la guerre, et rattachée par la guerre à son conti- lecteur l’admiration pour cette formidable
nent. Et voici que les destins eux-mêmes lui ouvraient la voie et que ascension du peuple romain.
l’occasion ne lui fit pas défaut, quand Messine, ville alliée de Sicile Textes et ressources sur les guerres puniques
se plaignit de la violence des Carthaginois. Or le Romain convoi- sur le site Méditerranées :
tait autant la Sicile que le Carthaginois ; et en même temps, l’un et www.mediterranees.net/histoire_
l’autre avec des ambitions et des forces égales songeaient à l’empire romaine/guerres_puniques.html
du monde.

Langue
1. Le repérage et l’analyse des ablatifs permet de faire le point ac viribus », l. 11-12), de lieu (« proximo », l. 4), de manière (« quo-
sur ce cas très employé en latin pour exprimer les circons- dam modo », l. 4-5), de cause (« cupiditate », l. 5, « impotentia »,
tances de l’action. De fait, tous les ablatifs équivalent à des l. 9) et de temps (« eodem tempore », l. 11).
compléments circonstanciels en français  : de comparaison L’extrait compte deux ablatifs absolus. Le premier « interve-
(« more », l. 2), de moyen (« incendio », l. 2, « mole », l. 6, « ponti- niente flumine » (l. 3) a pour sujet le nom « flumine » et pour
bus », l. 6, « armis belloque », l. 7, « bello », l. 8, « paribus… votis verbe « interveniente » décliné au participe présent. Le second

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 21


« pandentibus fatis » (l. 8) a pour sujet « fatis » et pour verbe recours aux armes (« armisque bello », l. 7, « bello », l. 8) repose
« pandentibus », lui aussi décliné au participe présent. sur un raisonnement artificiel, proche de la mauvaise foi.
2. Les ablatifs de comparaison «  more  » (l.  2) et de moyen L’absence de digue et de ponts (« mole », l. 6, « pontibus », l. 6)
«  incendio  » (l.  2) soulignent la rapidité de la conquête de constitue un prétexte grossier, ou tout au moins artificiel.
l’Italie par les Romains, ce qui constitue une erreur historique Après l’exposé des causes de la guerre, le récit est relancé par
puisque cette conquête s’est effectuée sur cinq cents ans ! Par l’ablatif absolu « ipsis… pandentibus fatis » (l. 8), allusion à la
contraste, l’ablatif « interveniente flumine » (l. 3) en marque le Fortuna du peuple romain (cf. p. 11). Le destin est maintenant
brusque arrêt. Les ablatifs de lieu («  in proximo  », l.  4) et de en marche. La dramatisation atteint son paroxysme à la fin
manière (« quodam modo », l. 4-5) visent à donner les raisons du texte, notamment à travers la concomitance (« eodem tem-
géographiques du déclenchement de la guerre tandis que pore », l. 11) des désirs impérialistes (« paribus… votis », l. 11) et
l’ablatif de cause «  cupiditate  » (l.  5) en souligne les vraies l’égalité des forces en présence (« paribus… viribus », l. 11-12).
raisons politiques. De façon surprenante, la légitimation du

Lire
L’activité consiste en une lecture-compréhension sans traduc- perdue. À ces raisons géographiques, s’ajoutent des raisons
tion, ce que rend possible l’accessibilité du texte de Florus. La politiques. Pour maintenir et consolider leur domination, les
carte permet de visualiser les deux zones géographiques sur deux puissances («  paribus… viris  », l.  11-12) qui dominent
lesquelles dominent respectivement Carthage et Rome. Elle alors la partie occidentale du bassin méditerranéen doivent
fait apparaître le point où les deux puissances vont s’affron- inévitablement entrer en conflit. Ce sont donc des désirs
ter  : la Sicile. Les élèves peuvent d’ailleurs placer la ville de communs d’expansion («  paribus… votis  », l.  11) qui sont
Messine (« Messana », l. 10) et repérer le détroit du même nom causes de cet affrontement. De façon ponctuelle, l’agression
(« fretum », l. 1). Ainsi émergent les raisons géographiques du punique («  Poenorum impotentia  », l.  9) subie par la ville de
conflit : la volonté (« cupiditate », l. 5) pour Rome de s’étendre Messine, alliée à Rome, (« foederata Siciliae civitas Messana »,
au-delà du détroit et d’annexer la Sicile. Cette île lui semble l.  9-10) constitue aux yeux des Romains un casus belli. De
devoir lui revenir, puisque la géographie laisse penser qu’elle fait, l’installation d’une garnison carthaginoise à Messine fit
est le prolongement terrestre de l’Italie (l. 4-5). L’annexion est qu’une partie de la population demanda le soutien de Rome.
donc présentée comme un désir légitime de retrouver l’unité L’intervention romaine à Messine déclencha les hostilités.

Interpréter
Florus est marqué par le style volontairement rhétorique et d’autant qu’elle est nourrie par le sentiment d’une amputa-
métaphorique de son époque. Plusieurs images lui servent à tion territoriale («  abscissam  », l.  5, «  revulsam  », l.  5). Le feu
rendre compte des causes de la première guerre punique. La couve toujours comme l’indique l’emploi du verbe « exarsit »
principale est lancée dès la première phrase. Comme souvent (l. 6). À la manière des flammes qui peuvent sauter d’un lieu à
dans son Abrégé de l’Histoire romaine, Florus souligne l’ex- l’autre, l’armée romaine saisit l’appel à l’aide de Messine (l. 9)
trême rapidité des attaques et des victoires romaines. Ici, la pour débarquer en Sicile. La présentation de la conquête de
métaphore filée de l’incendie (« more ignis », l. 2, « incendio », la Sicile comme un retour (cf. le préfixe re- dans « revocanda »,
l. 2) est particulièrement saisissante, puisqu’elle peint comme l. 7) à la géographie ancienne – où l’île aurait été rattachée
irrésistible et sidérante l’avancée des Romains. L’adverbe au continent – légitime la violence de la métaphore, et donc
« paulisper » vise à atténuer l’effet du brutal arrêt de la pro- de la guerre. Cette métaphore filée de l’incendie, volontaire-
gression exprimée par le verbe « substitit » (l. 3), comme pour ment subjective, vise à provoquer l’admiration des contem-
signifier que l’incendie est loin d’être éteint. De fait, la méta- porains de Florus : comment n’être pas émerveillé par cette
phore de la prédation («  praedam  », l.  4) relaie celle de l’in- extraordinaire conquête du monde par un peuple favorisé
cendie, pour suggérer l’imminente reprise de la progression, par les Dieux (« ipsis… pandentibus fatis », l. 8) ?

prolongements

c Une activité de traduction peut bien sûr être proposée aux élèves. Elle peut faire suite aux questions
de langue ou à la lecture-compréhension. Il faudra veiller à ce que les élèves rendent le style métaphorique
du texte de Florus.
c Une activité supplémentaire de langue peut aussi être proposée, en parallèle de la première leçon de
grammaire du chapitre portant sur le participe (cf. p. 38). Les élèves relèvent tous les participes,
les analysent d’un point de vue morphologique et expliquent leur valeur temporelle.


22 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
2 Les Scipions vainqueurs de Carthage (p. 25)
À travers le rituel du triomphe, la page vise à faire réfléchir les élèves sur la place de la guerre dans la vie politique
romaine, et notamment dans la carrière des magistrats et des dirigeants.

TRADUCTION
Traduction du texte de Tite-Live : INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Quand la paix fut acquise sur terre et sur mer, une fois l’armée • Les trois guerres puniques s’achèvent toutes par
embarquée sur les navires, il la fit passer à Lilybée en Sicile. De une victoire romaine. Les deux dernières voient
là, alors qu’une grande partie des soldats avait été renvoyée sur les triompher la famille des Scipions. Les Scipiones et
navires, lui-même, à travers l’Italie heureuse de la paix non moins les Æmilii, auxquels ils étaient liés, sont deux des
que de la victoire, non seulement parmi le flot des citadins, mais grandes familles patriciennes les plus influentes
aussi parmi la foule des gens de la campagne qui assiégeait les de la République romaine.
routes pour lui rendre les honneurs, il parvint à Rome et fut porté • Pour bénéficier d’un triomphe à Rome, un
en un triomphe le plus éclatant de tous. Il apporta au trésor public général devait avoir gagné une guerre, agrandi
cent vingt-trois mille livre d’argent. Il distribua aux soldats pris les frontières de l’Empire et avoir tué un grand
sur le butin quatre cents as à chacun. nombre d’ennemis. Le triomphateur, une
couronne de laurier sur la tête, monté sur un char
doré tiré par quatre chevaux blancs, suivi par
Traduction du texte de l’abbé Lhomond : ses parents, ses clients et son armée (désarmée,
car passage du poemerium, cf. p. 10) entrait
Carthage détruite, Scipion revint à Rome en vainqueur. Il
dans la ville par la Porta Triumphalis, traversait
accomplit un splendide triomphe, et fut appelé « l’Africain ».
le Velabrum et le Circus Maximus, montait la
Ainsi ce surnom d’ « Africain » advint à Scipion l’Ancien pour Via Sacra et le Forum jusqu’au Capitole sous
avoir pris Carthage, et à Scipion le Jeune pour avoir détruit les hourras de la foule. Il était précédé par les
cette même ville. dépouilles des ennemis et le butin de guerre.

Langue
1. Le repérage et l’analyse des ablatifs permet de rappeler la 2. Les ablatifs rythment les deux récits de triomphe, et tout
polyvalence de ce cas, très commode pour exprimer les cir- particulièrement, celui, plus littéraire de Tite-Live. Chaque
constances de l’action sans briser la fluidité de la phrase. extrait s’ouvre sur un ablatif absolu qui indique le préalable
Dans le texte de Tite-Live les ablatifs à entourer sont : Pace... à tout triomphe tout en le solennisant  : la victoire («  deleta
parta, l.  1 (ablatif absolu), exercitu… imposito, l.  1-2 (ablatif Carthagine », l. 1 dans le texte de Lhomond) et le retour de
absolu), magna parte... navibus missa, l.  3 (ablatif absolu et la paix (« Pace... parta », l. 1, dans le texte Tite-Live). Dans la
complément circonstanciel de moyen pour navibus), pace, suite du texte de Tite-Live, les ablatifs signalent d’abord le
l. 4 (complément circonstanciel de cause), victoria, l. 4 (com- retour de l’armée sur le sol de l’Italie (« exercitu… imposito »,
plément circonstanciel de cause), effusis… urbibus, l. 5 (ablatif l.  1-2, «  magna parte militum navibus missa  », l.  3). Ils tra-
absolu), turba obsidente, l. 6 (ablatif absolu), triumpho... claris- duisent ensuite la joie de la foule, son nombre, au moyen de
simo, l.  7-8 (complément d’un verbe passif), ex praeda, l.  10 deux ablatifs absolus («  effusis… urbibus  », l.  5, «  turba obsi-
(complément de provenance). dente », l. 6) et les raisons de sa liesse (« pace », l. 4, « victo-
ria », l. 4). Enfin, les ablatifs soulignent le caractère grandiose
Dans le texte de l’abbé Lhomond le seul ablatif à entourer est
du triomphe (« triumpho... clarissimo », l. 7-8) et la richesse du
l’ablatif absolu « deleta Carthagine », l. 1.
butin pris à l’ennemi (« ex praeda », l. 10).

Traduire
1. L’activité « Langue » qui porte sur les ablatifs doit faciliter le scolaire du texte de Lhomond doivent rendre possible l’im-
travail de traduction. provisation de la traduction. Une traduction précise n’est
2. Le repérage de l’ablatif absolu, le même contexte du bien sûr pas attendue. Cette activité de traduction orale
triomphe, déjà abordé dans le premier texte, et la nature improvisée doit aider les élèves à entrer facilement dans les
textes, à les libérer de leurs appréhensions.
Comprendre
L’histoire n’est pas neutre à Rome. En retraçant les événe- pour surnom le nom-même du pays conquis (l. 3-5). Tite-Live
ments du passé et en en mettant en scène les acteurs, les insiste aussi sur les richesses que Scipion l’Ancien a apporté à
historiens cherchent à donner des exempla à suivre ou des Rome et dont il gratifié ses soldats (l. 8 à 10).
conduites à condamner. Tite-Live évoque donc le comman- Le skyphos fait partie d’un ensemble de pièces d’orfèvrerie,
dement militaire de Scipion face aux Carthaginois, comme un pour la plupart en argent, datant du Ier siècle, appelé trésor
modèle de ces res gestae dont il faut garder le souvenir. Tite- de Boscoreale, retrouvé dans la villa du même nom, près de
Live, en insistant à deux reprises sur la foule qui vient saluer Pompéi, en 1895. Il est un élément du service à boire (argen-
le triomphateur (« effusis… urbibus », l. 5, « turba obsidente », tum potorium). C’est un témoignage de la maîtrise technique
l.  6), souligne le caractère exceptionnel du personnage. et artistique dans le domaine de l’orfèvrerie atteinte sous les
D’ailleurs, nous rappelle Lhomond, lui et son neveu reçurent règnes des premiers empereurs. Le sykphos montre, sur le

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 23


mode de l’éloge, un triomphe de Tibère précédé par une pro- char, derrière les chevaux, un autre soldat sans arme, lui aussi
cession pour le sacrifice d’un taureau. Tibère reçut un triomphe couronné de laurier, semble demander aux licteurs armés le
le 1er janvier en 7 av. J.-C. pour ses victoires en Germanie, et un droit d’entrer dans la cité. Les chevaux sont tenus par un esclave
autre triomphe le 23 octobre 12 ap. J.-C. pour ses victoires sur qui les précède, la tête tournée vers le triomphateur. Comme
la Pannonie et l’Illyrie. Pour symboliser l’expansion de l’Empire, dans le texte de Tite-Live, l’attention dont fait l’objet Tibère lui
des esclaves suivent le char, décoré d’une Nikè. Sur le char, confère un statut à part. Il est celui qui domine la scène. Celui
Tibère, vêtu d’une toge, tient un sceptre (symbole de puis- autour de qui tout gravite. De fait, pendant la journée, le triom-
sance) et un rameau de laurier (symbole de victoire). Derrière phateur est considéré comme un dieu. À travers cette repré-
lui, un esclave se dresse pour ajuster de sa main droite une sentation, Tibère ne veut pas seulement signifier ses victoires,
couronne de laurier sur la tête de l’imperator triomphant. À la mais légitimer son accession au pouvoir. Autrement dit, il peut
suite du char, un soldat sans arme, couronné lui aussi de lau- s’inscrire pleinement dans la lignée des triomphateurs, tels que
rier, maintient le bras d’un ennemi, portant un collier. À côté de les Scipions et, bien sûr, Auguste auquel il a succédé.
cet esclave, un autre porte une corde autour du cou. Devant le

prolongements Biblio
Le travail grammatical sur c Les trois premiers chants de l’Énéide, l’épopée fondatrice de Rome, retracent l’itinéraire suivi par
l’ablatif peut être prolongé le héros troyen à travers la Méditerranée. Ils font découvrir des lieux symboliques en même temps
par l’élaboration d’une fiche qu’ils témoignent des dangers que représentent les voyages maritimes dans l’Antiquité. Plusieurs
récapitulative sur les emplois traductions de poche sont disponibles de l’Énéide (Folio, GF, le Livre de poche qui présente la
de l’ablatif. Les élèves peuvent traduction nouvelle de Paul Veyne). Il est possible aussi de conseiller l’édition de poche bilingue
s’aider des points 1.4 p. 179, 1.5 des Belles Lettres.
p. 180, 5.3 p. 189 et 7.2 p. 193.
Pour une assimilation plus efficace, c Derrière l’histoire d’amour tragique entre un lieutenant de la marine anglaise et la belle Aziyadé,
ils/elles puisent leurs exemples le roman de Loti rend compte de la diversité, toujours actuelle, des cultures méditerranéennes, et
dans les textes de Tite-Live plus précisément de la fascination réciproque entre Occident et Orient. Le roman de Pierre Loti est
et de Lhomond. disponible lui aussi dans plusieurs collections de poche. L’édition Folio offre la possibilité de lire la suite
que Loti a publiée dix ans plus tard, intitulée Fantôme d’Orient.
Deux histoire de marins, mais aux destinées inverses : Énée quitte Troie pour l’Occident latin ; Loti quitte
l’Angleterre pour Constantinople.

3 La Méditerranée débarrassée des pirates (67 av. J.-C.) (p. 26)


La conquête des côtes de la Méditerranée ne peut être réelle que si l’on contrôle les routes maritimes. Le texte
de Cicéron souligne combien la piraterie était un obstacle et une menace pour l’existence de Rome. Le texte de
Florus retranscrit la rigueur avec laquelle Pompée a pu les rendre sûres en la faisant disparaître du mare internum.
TRADUCTION
Pompée, voulant éliminer en une seule fois et pour toujours ce INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
fléau qui s’était répandu sur toute la mer, l’attaqua avec des pré- • Pour des informations concernant Florus, se
paratifs dignes d’un dieu. De fait, puisqu’il était abondamment reporter à la p. 24.
pourvu de ses flottes et celles alliées des Rhodaniens, avec de • Pompée apparaît sur la scène militaire romaine
très nombreux légats et préfets il ferma les deux issues du Pont et en aidant Sylla en 83, lors la seconde guerre civile
de l’Océan. Gellius fut assigné à la mer de Tyrrhénienne, Plotius contre les populares. Ses nombreuses victoires
à la mer de Sicile ; Atilius assiégea le golfe de Ligurie, Pomponius lui valent le surnom de Magnus. Après la mort
celui des Gaules, Torquatus celui des Baléares, Tibérius Néron le du dictateur, il mène plusieurs campagnes au
détroit de Gadès, là où s’ouvre la première entrée de notre mer ; nom du Sénat. En 67 av. J.-C, malgré l’opposition
Lentulus assiégea la mer de Libye, Marcellinus celle d’Égypte, du Sénat, il reçoit par la lex Gabinia, un imperium
proconsulare majus exceptionnel sur toute la
les fils de Pompée l’Adriatique, Térentius Varron la mer Égée et
Méditerranée. Pompée fait un usage rapide et
le Pont, Metellus la mer de Pamphylie, Cépion la mer d’Asie ; Por- efficace de la loi. Il élimine en quelques mois les
cius Caton verrouilla les goulots mêmes de la Propontide après y pirates qui, notamment, empêchaient le bon
avoir disposés en avant ses navires comme l’on ferme une porte. approvisionnement en vivres de l’Italie et de Rome.
Ainsi par tous les ports de la mer, les golfes, les cachettes, les Textes et documents sur Pompée disponibles sur
retraites, les promontoires, les détroits, les péninsules, tout ce qui le site Méditerranées :
il y eut de pirates, fut pris et enfermé dans une sorte de filet. Pom- www.mediterranees.net/histoire_romaine/
pée lui-même se tourna vers la source de la guerre, la Cilicie. pompee/index.html

Lire
Conformément au récit de bataille, Florus donne le détail D’ouest en est, les élèves doivent placer : Tibérius au niveau du
des préparatifs avant le récit proprement dit des combats. Gaditanum fretum (détroit de Gadès), Torquatus au niveau des
Il détaille la manière dont Pompée a disposé les différentes Baléares, Pomponius en-dessous de Gallia Narbonensis, Atilius
flottes romaines sous ses ordres de manière à faire de la au niveau du Sinus Ligusticus (golfe de Ligurie), Gellius au niveau
Méditerranée une nasse fatale pour les pirates. du mare Tuscum (mer Étrusque, c’est-à-dire Tyrrhénienne),


24 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
les fils de Pompée au niveau du mare Adriaticum, Lentulus au Euxinus (Pont-Euxin, mer Noire actuelle), Porcius Caton au
niveau du mare Libycum (mer de Libye), Plotius au niveau du niveau de la Propontide, Marcellinus au niveau du mare
mare Siculum (Mer Sicule, c’est-à-dire mer de Sicile), Térentius Ægyptum (mer d’Égypte), Cépion au niveau de l’Asie, Metellus
Varron au niveau du mare Ægenum (mer Égée) et du Pontus au niveau de la Pamphylie et Pompée au niveau de la Cilicie.

Traduire
Un repérage et une analyse des participes peuvent constituer une aide à
la traduction. L’extrait ne pose pas d’autres difficultés.

Interpréter
Florus met en avant les qualités militaires de Pompée. le sens du dévouement de Pompée, au-delà même de son
L’imperator sait qu’il peut compter sur de nombreuses forces engagement patriotique. Représentant du peuple romain, il
maritimes (« cum classibus suis et socialibus Rhodiorum abun- a défendu non seulement sa patrie, mais aussi « les posses-
daret  », l.  3). Il dispose de chefs militaires nombreux et sûrs sions de ses alliés  » (l.  5-6). Si Cicéron salue en Pompée en
(«  pluribus legatis praefectis  », l.  4). On sait qu’il a pu choisir serviteur du peuple romain, Florus pousse l’éloge plus loin,
au sein du Sénat vingt-cinq lieutenants expérimentés et en le comparant à un dieu (« divino quodam », l. 2). Comment
dévoués et qu’il a disposé de tout l’argent public nécessaire. un seul homme a-t-il dirigé autant de navires (500) et autant
Le « génie du peuple romain » (l. 1-2) que salue Cicéron dans d’hommes (120 000  fantassins et 7 000 cavaliers), sur une
son texte est bien sûr celui en qui il s’incarne, Pompée. C’est étendue aussi vaste s’il n’avait pas un peu de divin en lui ? De
en parfait stratège qu’il place, par escadres de 30 à 50 uni- fait, cette victoire complète sur les pirates accroit considéra-
tés, sa flotte de manière non seulement à couvrir toute la blement le prestige de Pompée.
Méditerranée, mais aussi à en fermer les accès (« utraque Ponti prolongements
et Oceani ora complexus est », l. 4-5). L’image du filet (« qua-
dam indagine  », l.  14) traduit cette intelligence tactique du c L’activité de lecture peut être prolongée par une lecture à voix haute
militaire. L’énumération de tous les lieux possibles de refuges du texte. L’élève désigne sur la carte projetée les différents lieux évoqués.
(« omnes aequoris portus, sinus, latebras, recessus, promontoria, c Un bref portait de Pompée en latin peut être proposé comme
freta, paeninsulas », l. 13-14) manifeste l’extrême rigueur dans petit travail d’écriture. Les élèves cherchent des informations
la préparation militaire ; elle dit aussi la bonne connaissance complémentaires sur l’homme politique romain. Puis ils/elles en
géographique qu’avait Pompée du bassin méditerranéen, dressent le portrait, soit en français, soit en français avec des mots
latins, soit en latin, selon une approche différenciée. Ils/elles peuvent
d’autant qu’il fallait mener la guerre loin de Rome, comme le
s’aider du dictionnaire Olivetti présenté en p. 15.
rappelle Cicéron (l. 2-3). Ce que souligne aussi Cicéron, c’est

4 Maîtriser la Méditerranée, un enjeu stratégique (p. 27)


La page de confrontation invite à mesurer, au moyen de documents contemporains, combien la maîtrise de la
Méditerranée reste en enjeu géopolitique majeur. Elle peut faire l’objet d’un travail interdisciplinaire en lien avec
l’histoire ou la spécialité géopolitique et sciences politiques.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Jacques Attali est un enfant de la Méditerranée. Né à Alger en 1943, il fait ses études (Polytechnique, l’ENA)
et sa carrière de haut fonctionnaire en France. Il écrit dans l’hebdomadaire L’Express pendant une vingtaine
d’années jusqu’en 2018, et publie un ouvrage sur l’Histoire de la mer en 2017, qui aborde précisément la
place qu’occupe cet élément naturel dans l’histoire des civilisations.
Le texte complet de la chronique se trouve sur le blog de Jacques Attali : www.attali.com/geopolitique/
mer-de-toutes-batailles
Voir aussi Le Monde-La Vie hors-série sur L’Histoire de la Méditerranée, paru en juin 2019.

Confronter
Jacques Attali, dans une partie coupée de sa chronique, rap- pirates, qui perturbaient le trafic maritime des approvision-
pelle que la Méditerranée est depuis l’Antiquité le lieu de nements, notamment en blé. L’on ne pouvait prendre la mer
luttes d’influence et de conflits : « elle est, depuis au moins dans une relative sécurité qu’en hiver, précise-t-il (l. 8 à 12). À
trois mille ans, la mer de toutes les batailles, le lieu d’innom- l’époque contemporaine, l’enjeu économique apparaît claire-
brables conflits ; car son contrôle est la clé de l’approvisionne- ment sur la photographie du port du Pirée. On y voit un porte-
ment des pays riverains. Les Égyptiens, les Perses, les Grecs, conteneur vide qui quitte le porte tandis que deux autres
les Phéniciens, les Carthaginois, les Romains, les Vénitiens, les sont amarrés à des quais emplis de grues bleues et de conte-
Croisés, les Ottomans, les Génois, et tant d’autres, se sont dis- neurs, formant comme une toile d’araignée arrimée au flanc
putés son contrôle. » Cette bataille pour maîtriser les eaux de de la côte. Comme l’indique la légende, le port a été privatisé
la Méditerranée s’explique par la nature multiple des intérêts et vendu à un armateur chinois en 2016. Il est sur le point de
qu’elle suscite. devenir le premier port méditerranéen. Pour les conteneurs,
La Méditerranée est d’abord l’objet d’enjeux économiques. il talonne aujourd’hui les ports espagnols de Valence et d’Al-
Dans l’Antiquité romaine, Cicéron souligne la difficulté de gésiras. La concurrence économique est lancée, comme le
naviguer en Méditerranée avant la victoire de Pompée sur les confirme Jacques Attali en annonçant «  la construction de
nouveaux ports au Maroc et en Tunisie » (l. 10). Le trafic ne

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 25


fera que croître sous l’effet de « la formidable croissance éco- à l’espace géographique limité qu’elle occupe. C’est sur cette
nomique et démographique de l’Afrique » (l. 8-9). idée que Jacques Attali termine sa chronique en citant une
Les enjeux politiques et militaires découlent des enjeux éco- phrase du fondateur de Singapour  : «  “Votre problème, à
nomiques. Débarrasser le mare internum des pirates, c’est vous Européens, c’est que la Méditerranée est beaucoup
pour les Romains accélérer leur expansion sur l’ensemble de trop petite”… » À notre tour, nous pouvons rapprocher cette
l’orbis terrarum. Quarante ans plus tard, l’objectif est atteint. phrase de l’idée que les Romains pouvaient se faire de la
La guerre-éclair menée par Pompée a donc eu des consé- Méditerranée, qui, une fois liquidée la piraterie et entière-
quences politiques majeures. Elle a permis non seulement de ment conquises ses côtes, est devenue une sorte de banlieue
sécuriser les voies maritimes et les territoires alliés de Rome, de Rome, leur mare nostrum...
ce que rappelle Cicéron (l.  3 à 7), mais surtout d’implanter,
pour quatre siècles, la domination romaine. Aujourd’hui pistes pour construire un portfolio
encore, l’accès à la Méditerranée serait pour Jacques Attali
Les porte-conteneurs figurant sur la photographie
l’une des clefs dans la compréhension de la guerre en Syrie.
du port du Pirée peuvent être le point de départ
Selon lui, les Russes ont annexé la Crimée pour avoir cet
de la constitution d’un diptyque iconographique
accès la Méditerranée, et c’est pour la même raison qu’ils sou-
confrontant les bateaux de commerce antiques
tiennent le régime autoritaire syrien de Bachar el-Assad. Les
à ces monstres des mers modernes. Les mosaïques
Russes ont de fait deux bases militaires principales en Syrie :
et surtout les nombreuses épaves retrouvées
une base navale à Tartous et une base aérienne voisine de
permettent de donner une idée assez précise de
Hmeimim.
la structure des navires et du mode de stockage
La Méditerranée aiguise donc les appétits des grandes puis- des produits transportés, notamment grâce aux
sances, comme elle a aiguisé l’appétit de Rome. Cette course amphores parfaitement conservées.
à la maîtrise de ses eaux pourrait bien se heurter précisément
- L’épave romaine de La Madrague sur le site
prolongements
d’Archéologie sous-marine :
http://archeologie.culture.fr/archeo-sous-marine/fr/
Pour prolonger la réflexion sur la maîtrise de la Méditerranée par les fouille-ecole-madrague-giens
Romains, les élèves peuvent rechercher, dans le cadre d’une séance
élaborée avec le professeur-documentaliste, quelles étaient les
- Le chaland gallo-romain d’Arles sur le site du musée de
principales routes maritimes et les principaux ports. Ils/elles peuvent la ville : www.arles-antique.cg13.fr/mdaa_cg13/root/
les reporter sur la carte qui se trouve en rabat, en prenant soin actualitesexpositions_chaland.html
d’indiquer les produits transportés. Ce travail peut donner ensuite - Recensement des épaves en Méditerranée française
matière à une présentation orale. sur le site du GRAN : http://archeonavale.org/
Voir Pascal Arnaud, Les Routes de la navigation antique, Paris, 2005. archeobase/pafiledb.php?action=category&id=3

5 La bataille d’Actium (2 septembre 31 av. J.-C.) (p. 28)


La page est conçue de manière à faire vivre aux élèves la bataille d’Actium. Les élèves s’intéressent aux person-
nages, aux forces en présence, puis sont plongés dans la bataille et son issue. L’imaginaire des élèves est sollicité
pour mieux les aider à s’approprier un texte, de surcroît relativement accessible.

TRADUCTION
Arriva ensuite le jour du moment le plus critique, où César et Antoine, une fois leurs flottes avancées l’un
pour le salut, l’autre pour la ruine du monde combattirent. L’aile droite des navires de César fut confiée à
Marcus Lurius, l’aile gauche à Arruntius, à Agrippa toute la conduite du combat navale ; César destiné à cette
partie où la fortune l’appellerait, était partout présent. La direction de la flotte d’Antoine fut confiée à Sosius
et Publicola. D’autre part sur terre, Taurus dirigeait l’armée de César, et Canidius celle d’Antoine. Dès que le
combat commença, d’un côté il y avait tout, le chef, les rameurs, les soldats, de l’autre rien excepté les soldats.
Cléopâtre prit la fuite la première. Antoine préféra être davantage le compagnon d’une reine en fuite que de
ses soldats qui combattaient, et le général, qui aurait dû être en fureur contre les déserteurs devint déserteur
de sa propre armée. Même privée de tête, la fermeté de ces soldats à combattre très courageusement dura
longtemps, et, la victoire étant désespérée, ils combattaient pour la mort. César, ceux qu’il pouvait supprimer
par le fer, voulant par des paroles les amadouer, leur criant et leur montrant qu’Antoine était en fuite, leur
demandait pour qui et avec qui ils combattaient. Mais eux, alors qu’ils avaient lutté longtemps pour un chef
absent, avec peine, une fois les armes baissées, concédèrent la victoire, et César leur promit la vie et le pardon
plus rapidement qu’ils se laissèrent persuader de les demander ; et il est incontestable que les soldats furent les
meilleurs des généraux, et leur général s’acquitta de son devoir comme le plus lâche des soldats.


26 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES

• Après l’assassinat de César en 44 av. J.-C., se met en place le deuxième triumvirat composé d’Antoine,
Octave et Lépide, très vite surclassé. Antoine et Octave aspirent tous deux à recevoir l’héritage politique
du dictateur. Ils se partagent tout d’abord le pouvoir : depuis d’Égypte, Antoine règne avec Cléopâtre sur
l’Orient, Octave depuis Rome sur la partie occidentale de l’Empire. Mais les tensions se font de plus en plus
vives. En 32 av. J.-C., Octave déclare la guerre à Cléopâtre. Les deux armées s’affrontent au cours d’une
bataille navale décisive, au large du promontoire d’Actium, en Grèce, le 2 septembre 31 av. J.-C.
La fuite de Cléopâtre, suivie de celle d’Antoine, entraîne les jours suivants la reddition de toute son armée.
L’année suivante, menacés par Octave, Antoine et Cléopâtre se donnent la mort en Égypte. La bataille
d’Actium marque la première étape vers l’avènement d’un nouveau régime politique, le principat, avec à sa
tête le premier empereur, Octave devenu Auguste.
Le site Polyxénia en Méditerranée rend compte de la bataille de façon synthétique et propose un catalogue
des œuvres qu’elle a inspirées : www.polyxenia.net/la-bataille-d-actium-p1030698
• Velleius Paterculus, dans son Histoire romaine, malgré un souci aigu de chronologie et un sens de la
mise en scène, est aussi un flatteur des empereurs Auguste et Tibère. Il fut du nombre des officiers qui
entouraient Tibère lors de la célébration de son triomphe le 23 octobre 12 (voir le skyphos p. 25).

Langue
Le repérage des participes et des noms dont ils dépendent aux élèves que le mot «  miles  » est ici employé comme un
permet une première lecture-compréhension du texte. Cette singulier collectif. La série des participes présents de la ligne
activité peut être réalisée en parallèle de la leçon de gram- 17, « cupiens, clamitans et ostendens », dépend du nom propre
maire p. 38, notamment pour rappeler la valeur de concomi- «  Caesar  » (l.  15). Elle traduit les efforts d’Octave pour faire
tance du participe présent. renoncer au combat les soldats d’Antoine. Ces trois participes
Les deux premiers participes mettent en opposition la fuite peuvent être d’abord traduits de la manière littérale sui-
de Cléopâtre et la ténacité des soldats d’Antoine qui, pour- vante : « désirant », « criant », « montrant ». Le dernier participe
tant, fuit avec elle. Le participe « fugientis » (l. 11), décliné au « absente » (l. 18) forme avec le nom masculin « duce » (l. 18)
génitif féminin singulier, se rapporte au nom « reginae » (l. 11), un complément circonstanciel introduit par la préposition
tandis que le participe « pugnantis », lui aussi au génitif singu- « pro » (l. 17). Il est possible de le traduire littéralement ainsi :
lier (l. 11) dépend du nom masculin « militis » (l. 11). On peut « pour un chef absent ». La formule dénonce de façon incisive
les traduire ainsi : « de la reine qui fuit » ou « de la reine en la lâcheté d’Antoine.
fuite », et « des soldats qui combattaient ». Il faudra indiquer

Traduire
1. Cette lecture est dynamisée par le repérage à effectuer sur la carte qui 2. En plus du repérage des participes, il est pos-
permet d’en évaluer la compréhension. sible de faire repérer avant de traduire tous les
sujets.

Taurus

Publicola
Arruntius

Agrippa Canidius
Sosius
Marcus
Lurius

Comprendre
Velleius Parteculus s’appuie sur l’opposition entre les deux notamment navales, étaient équivalentes. Velleius Paterculus
camps pour dynamiser le récit de la bataille : d’un côté, César ne s’attarde pas sur le déroulement des opérations militaires.
(Octave), de l’autre Antoine et Cléopâtre. Il prend soin de Il passe tout de suite à l’issue de la bataille pour donner
toujours évoquer César avant Antoine. Mais la première véri- confirmation du jugement porté sur le camp d’Antoine. C’est
table marque de subjectivité apparaît dans le résumé lapi- la lâcheté de Cléopâtre, et surtout de celle d’Antoine, que
daire du passage en revue des deux armées. L’énumération Velleius Paterculus fustige. Un phrase brève fait le constat de
«  dux, remiges, milites  » (l.  9), par contraste au seul pronom la fuite de la reine d’Égypte (« Prima occupat fugam », l. 10),
«  nihil  », dénonce la faiblesse du camp d’Antoine. La men- suivie immédiatement de la décision d’Antoine de la suivre.
tion de ce déséquilibre initial n’est pas exacte. Les forces, La juxtaposition du nom d’ « Antonius » (l. 9) et du participe

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 27


«  fugientis  » (l.  10) constitue une condamnation sans appel, d’Antoine. Ce n’est qu’à force d’explications et de prières de
que la suite du texte n’a de cesse d’amplifier. Cette fuite n’est la part de Octave-César qu’ils finissent par accepter la défaite
pas le fait d’une situation désespérée, mais un choix déli- (l. 15-20). Les participes présents « clamitans » et « ostendens »
béré (« maluit », l. 10). Aux yeux de l’officier qu’a été Velleius (l. 16) et le comparatif « citius… quam » (l. 19) visent à traduire
Paterculus, cet acte est la négation des valeurs militaires cette louable résistance. Là encore, Velleius Paterculus exa-
de courage (virtus) et d’endurance (patientia), comme le gère sans doute la conduite héroïque des soldats d’Antoine.
confirme le recours à un paradoxe. Antoine qui, en tant que Et comme pour légitimer l’acte d’accusation d’Antoine, l’offi-
chef, aurait dû punir les déserteurs se fait lui-même déserteur. cier-historien convoque l’unanimité des sources («  fuitque
L’écho sonore entre les termes imperator et « desertor » (l. 12), in confesso  », l.  20) pour achever la condamnation morale
en renforçant l’effet de sidération, fait retentir l’indignation d’Antoine, mise en valeur de façon lourdement insistante
de l’officier-historien. Antoine a préféré l’amour à l’honneur ! au moyen d’un chiasme  : «  milites optimi imperatoris, impe-
L’accablement d’Antoine se poursuit par la mise en valeur ratorem fugacissimi militis  » (l.  21). Velleius Paterculus ne fait
de la bravoure de ses soldats, qui, malgré le départ de leur que suivre, de fait, la lecture propagandiste de la bataille mise
chef (« detracto capite », l. 13), poursuivent le combat jusqu’à en place par Auguste. Par le caractère mordant de son récit,
la mort (« in mortem dimicarent », l. 14-15), comme le doit tout il cherche aussi, et surtout, à plaire à son empereur, Tibère,
soldat. Velleius Paterculus salue cette ténacité des soldats digne successeur d’Auguste.

prolongements

c L’étude du texte de Velleius Paterculus peut être prolongée par l’examen des Reliefs d’Actium qui
figurent en p. 16. Il est possible pour conclure la lecture comparée de demander aux élèves de légender
l’image à l’aide du texte.
c Même si la restitution de la prononciation du latin fait débat, l’on peut exploiter le docu-fiction Le Destin
de Rome de Fabrice Hourlier (2011). Après le lecture du texte de Velleius Paterculus, les élèves visionnent le
passage correspondant (de 29’14 à la fin) et réagissent à la restitution. Ces réactions peuvent faire l’objet
d’un débat avec obligation d’employer des mots latins.

6 La Pax Romana (Ier et IIe s.) (p. 29)


Les historiens contemporains discutent l’appellation de Pax Romana. C’est à ce débat que la page invite. Les
élèves sont amenés à comprendre la complexité des rapports entretenus entre les provinces et Rome. La révolte
des peuples germains et celtes, menée en 69-70 par Julius Civilis, un membre de l’aristocratie locale, à laquelle dut
faire face Cerialis Petilius, alors commandant des forces armées de la Germanie inférieure, est un témoignage qui
rend moins lisse l’image que l’on peut avoir de la Pax Romana.

TRADUCTION INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES


Il y eut toujours dans les Gaules des royaumes et des L’expression Pax Romana ne doit pas tromper. Si Sénèque
guerres jusqu’à ce que vous en veniez à notre droit. Nous, (De la clémence, I, 4) ou Pline l’Ancien (Histoire naturelle,
bien que tant de fois attaqués, par le droit que donne la vic- 27, 1) évoquent à travers elle l’étendue de l’Empire et la
toire nous vous avons seulement imposé ce par quoi nous circulation des idées et des biens qu’elle permet, des
garantissions la paix ; en effet la tranquillité des peuples guerres incessantes marquent cette période. Ce sont
sans armes ni les armes sans soldes ni les soldes sans im- les historiens de la période moderne qui ont utilisé
pôts ne peuvent être obtenus : tout le reste est mis en com- cette expression pour désigner la zone géographique
mun. Vous-mêmes souvent vous commandez nos légions, dominée par les Romains lors des deux premiers
vous-mêmes vous gouvernez ces provinces et d’autres ; rien siècles. La stagnation de la population lors de cette
n’est séparé ni fermé. Et vous avez le bénéfice de princes période constitue un élément qui nuance fortement la
représentation d’un temps idéal. Mais la force n’aurait pas
estimés, bien que vous viviez loin. […] Avec des impôts
suffi à maintenir une domination sur un tel ensemble.
inférieurs à ceux d’aujourd’hui, l’armée sera-t-elle prépa- Toute l’habileté politique des Romains tient en ce qu’il se
rée pour contenir les Germains et les Bretons ? Car si les sont alliés les élites locales en octroyant la citoyenneté
Romains sont chassés – que les dieux empêchent cela ! – romaine comme un privilège. Ce sont ces élites qui
qu’y aura-t-il d’autre que des guerres de tous les peuples permirent de maintenir la paix. Cela ne veut pas dire que
entre eux ? Par la fortune et la discipline de huit cents an- les provinciaux se sentaient pour autant romains. C’est
nées cette construction s’est développée, elle qui ne peut cette question de la conscience qui a fait également
être renversée sans la mort de ceux qui la renversent. Mais remettre en cause le concept de « romanisation » ces
pour vous le danger sera le plus grand, vous qui possédez dernières cinquante années.
l’or et les richesses, causes principales des guerres. Par Voir Patrick Le Roux, « La romanisation en question »,
conséquent, la paix et la cité, que vaincus ou vainqueurs dans Annales. Histoire, Sciences Sociales, 59e année, no 2,
par le même droit nous détenons, aimez-les, honorez-les ! 1er mars 2004 : www.cairn.info/revue-annales-2004-2-
page-287.htm,#


28 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
Traduire
1. Le repérage des différentes propositions constitue une première lecture-compréhension du texte, qui facilitera
la traduction de ce discours.
[Regna bellaque per Gallias semper fuere] [donec in nostrum jus concederetis].
[Nos, [quamquam totiens lacessiti], jure victoriae id solum vobis addidimus], [quo pacem tueremur] ;
[nam neque quies gentium sine armis neque arma sine stipendiis neque stipendia sine tributis haberi
queunt] :
[cetera in communi sita sunt].
[Ipsi plerumque legionibus nostris praesidetis, ipsi has aliasque provincias regitis]; [nihil separatum
clausumve].
[Et laudatorum principum usus ex aequo quamvis procul agentibus].
[Minoribus quam nunc tributis parabuntur exercitus] [quibus Germani Britannique arceantur ?]
[Nam pulsis [– quod di prohibeant–] Romanis], [quid aliud quam bella omnium inter se gentium
existent ?]
[Octingentorum annorum fortuna disciplinaque compages haec coaluit], [quae convelli sine exitio
convellentium non potest].
[Sed vobis maximum discrimen], [penes quos aurum et opes, praecipuae bellorum causae].
[Proinde pacem et urbem, [quam victi victoresque eodem jure obtinemus], amate colite !]

2. La traduction peut être envisagée selon une répartition par groupes de compétences.
Il y eut toujours dans les Gaules des royaumes et des guerres jusqu’à ce que vous en veniez à notre droit.
Nous, bien que tant de fois attaqués, par le droit que donne la victoire nous vous avons seulement imposé ce
par quoi nous garantissions la paix ;
en effet la tranquillité des peuples sans armes ni les armes sans soldes ni les soldes sans impôts ne peuvent
être obtenus : tout le reste est mis en commun.
Vous-mêmes souvent vous commandez nos légions, vous-mêmes vous gouvernez ces provinces et d’autres ;
rien n’est séparé ni fermé.
Et vous avez le bénéfice de princes estimés, bien que vous viviez loin. […]
Avec des impôts inférieurs à ceux d’aujourd’hui, l’armée sera-t-elle préparée pour contenir les Germains et
les Bretons ?
Car si les Romains sont chassés -que les dieux empêchent cela ! - qu’y aura-t-il d’autre que des guerres de tous
les peuples entre eux ?
Par la fortune et la discipline de huit cents années cette construction s’est développée, elle qui ne peut être
renversée sans la mort de ceux qui la renversent.
Mais pour vous le danger sera le plus grand, vous qui possédez l’or et les richesses, causes principales des guerres.
Par conséquent, la paix et la cité, que vaincus ou vainqueurs par le même droit nous détenons, aimez-les !

Comprendre
1. Les Nautes désignent l’ancienne et très puissante corpora- Une analyse de détail disponible sur le site Panorama de l’art :
tion des bateliers de la Seine, enrichis par le commerce fluvial www.panoramadelart.com/le-pilier-des-nautes
dans toute la Gaule. La colonne monumentale gallo-romaine, Une reconstitution en 3D du pilier est disponible à cette adresse :
appelée le pilier des Nautes, a été retrouvée au XVIIIe s. à http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2F
l’occasion de la construction d’une crypte sous la cathédrale www.pilierdesnautes.paris%2Fpilier.html
Notre-Dame, c’est-à-dire à l’emplacement de la ville antique
2. Cette activité de synthèse amène les élèves à confronter leur
de Lutèce. Il se présentait sous la forme d’un piédestal, sur
compréhension du texte à l’interprétation qu’ils ont pu faire de
lequel étaient empilés quatre blocs de forme cubique, réem-
l’inscription figurant sur le pilier des Nautes. On attend que les
ployés à la fin de l’Empire. Des bas-reliefs constituent un par-
élèves présentent le pilier d’abord comme un témoignage de
fait exemple de l’interpénétration des cultures gauloises et
la prospérité en tant paix, produit de la concorde. Le pilier peut,
romaines pendant la période appelée Pax Romana. Sur l’un des
dans cette perspective, illustrer l’image de la co-construction
blocs, figure une inscription. Elle est écrite en latin, mentionne
de l’Empire grâce à la discipline et la fortune (l. 17-18). L’allégorie
le principat de Tibère et est dédiée à Jupiter, autant d’éléments
de la Fortune est d’ailleurs représentée. De façon concrète, la
qui soulignent le désir de reconnaissance des marchands gallo-
puissance de la corporation des marins illustre très bien l’évo-
romains auprès de Rome. Par ailleurs, signalons que la cohabi-
cation, dans le texte, des richesses des Gaulois («  aurum et
tation des divinités romaines (Jupiter, Mars, Vulcain, Mercure,
opes », l. 19). Il constitue ensuite un exemple de syncrétisme des
Fortuna, Vénus) avec des divinités gauloises (Ésus, Smertrios,
cultures romaine et gauloise, pouvant illustrer les formules qui
Tarvos trigaranus, Cernunnos) donne une image apaisée des
mettent en avant le partage des charges : « cetera in communi
relations entre provinciaux et Romains, conforme à l’image
sita sunt » (l. 7) et « nihil separatum clausumve » (l. 9).
idéale de la Pax Romana.

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 29


Interpréter
Le discours tenu par Cerialis Petilius énumère les avantages Le deuxième avantage est l’image d’une communauté de
que les peuples soumis tirent de la domination romaine. Le destins. Deux phrases brèves, formulées à la manière d’un
discours manifeste une très bonne maîtrise de la rhétorique. slogan, concentrent cette idée : « cetera in communi sita sunt »
La fermeté du raisonnement doit acculer l’auditoire. Le pre- (l.  7) et «  nihil separatum clausumve  » (l.  9). Cerialis Petilius
mier de ces avantages est la garantie de la paix (« pacem tuere- rappelle avec insistance (cf. anaphore de ipsi) la possibilité
mur », l. 4, « quies gentium », l. 5, « pacem », l. 21). L’instauration aux élites des provinces d’accéder aux plus hautes charges
de l’autorité romaine, exprimée au moyen de l’euphémisme romaines dans les domaines du commandement militaire
« in nostrum jus » (l. 1), a mis fin aux guerres intestines entre («  ipsi plerumque legionibus nostris praesidetis  », l.  8) et de
tribus gauloises que Cerialis Petilius présente comme inces- l’administration («  ipsi has alisque provincias regitis  », l.  8-9).
santes («  bellaque per Gallias semper fuere  », l.  1). Il rappelle, Cette assimilation des provinciaux culmine par la mention
pour mémoire, que la légitimité de cette autorité vient du de la reconnaissance venue du sommet de l’Empire – dont la
droit que donne la victoire (« jure victoriae », l. 3). Une figure de sienne, par ce discours qu’il leur adresse – (« laudatorum prin-
rhétorique, le climax, lui sert à justifier l’imposition par Rome cipum usus ex aequo quamvis procul agentibus », l. 10-11). Pour
de tributs (l.  5-6). L’enchaînement logique des propositions amplifier l’idée d’un destin commun, il associe étroitement
révèle les impôts comme une condition nécessaire de la paix. la longévité de l’Empire romain à la survie des peuples qui
Et pour parachever sa démonstration, Cerialis Petilius lance le composent (l.  17-18). Cerialis Petilius achève son discours
deux questions oratoires à valeur comminatoire : baisser les sur une exhortation (cf. double impératif « amate colite », l. 22)
impôts, n’est-ce pas prendre le risque d’une attaque venue qui en résume l’argumentaire : la paix (« pacem », l. 21) et la
des Germains ou des Bretons (l. 13-14) ? Autrement dit, se libé- citoyenneté romaine («  urbem  », l.  21) sont des biens com-
rer de la domination romaine, n’est-ce pas prendre le risque muns qu’il faut garder précieusement. Tout brillant que fut
de retrouver la guerre (l. 15-16), notamment par la convoitise ce discours, ce furent les armes plus que la raison qui mirent
que suscitent les ressources naturelles de leur pays (l. 19-20) ? fin à la révolte.

prolongements

c La compréhension de la vie dans l’Empire lors de ce que l’on a appelé la Pax Romana peut être prolongée par l’étude de la cité gallo-
romaine la plus proche de l’établissement. Une visite, des interventions, des activités proposées par les sites ou les musées fourniront
les éléments dynamique à cette exploration.
c Il est possible aussi de faire réfléchir à notion de « syncrétisme » à travers la réalisation d’un portfolio iconographique. Le pilier des
Nautes pourra être pris pour support, ou tout autre objet gallo-romain repéré sur le site ou dans le musée proche de l’établissement.
Les élèves feront dialoguer cet objet avec un exemple moderne de syncrétisme.

lecture D’une rive à l’autre : échanges culturels, influences réciproques

1 Ne vivons pas à l’orientale ! (p. 30)


La Méditerranée a été, dès l’Antiquité, le lieu d’échanges, non seulement commerciaux, mais aussi culturels.
Les civilisations se rencontrent, des pratiques culturelles s’exportent. Les élèves sont invités à découvrir ces
phénomènes à travers l’orientalisation du mode de vie des Romains et les réactions qu’elle a provoquées.

TRADUCTION
Souvent vous m’avez entendu me plaindre des dépenses des femmes, souvent de celles des
hommes, non seulement celles des simples particuliers, mais aussi celles des magistrats,
et que par deux vices contraires, par l’avarice et le luxe, la cité est minée, fléaux qui ont
renversé tous les grands empires. Quant à moi, plus la fortune de la République de jour en
jour est meilleure et plus heureuse, plus Empire s’accroît – et déjà nous sommes passés en
Grèce et en Asie, remplies de tous les attraits des plaisirs et touchons même les trésors des
rois –, plus je crains que ces richesses ne nous possèdent plus que nous ne les possédions.
Nuisibles à notre ville, croyez-moi, sont les statues importées de Syracuse. Déjà j’entends
trop de gens louer et admirer les ornements de Corinthe et d’Athènes et se moquer des
temples d’argile de nos dieux romains. Pour ma part, je préfère nos dieux protecteurs et
espère qu’ils le seront à l’avenir, si nous acceptons qu’ils restent à leur place.


30 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
• Dans son Histoire romaine, Tite-Live donne à entendre éducation traditionnelle, son goût pour l’histoire le
conduisent à défendre les valeurs du passé, comme en
directement les discours des figures historiques qu’il
évoque. La révolte des femmes romaines 195 av. J.-C contre témoigne l’écriture, à la fin de sa vie, de son traité sur
la lex Oppia, votée vingt ans plus tôt pour financer la guerre l’agriculture, De re rustica, précisément très inspiré de
contre Hannibal (deuxième guerre punique), amena les Caton l’Ancien, pourfendeur de tout ce qui est extérieur
tribuns Marcus Fundanius et Lucius Valerius à proposer son au mode de vie romain.
abrogation. Cette loi interdisait aux femmes de posséder • Fiche sur les échanges en Méditerranée sur le site
trop de bijoux, de porter des vêtements de couleur vive, Odysseum :
et de circuler à Rome dans des voitures attelées à deux http://eduscol.education.fr/odysseum/echanges-la-
chevaux, sauf pour se rendre aux cérémonies religieuses. La circulation-des-hommes-des-idees-et-des-biens
proposition de l’abrogation suscita des débats passionnés. Fiche sur l’hellénisation sur le site Odysseum :
Tite-Live restitue, tour à tour, le discours de Caton, alors http://eduscol.education.fr/odysseum/graecia-capta-
consul, farouchement contre l’abrogation, puis celui du ferum-victorem-cepit-rome-et-lhellenisation
tribun Lucius Valerius, défenseur de la suppression. Malgré Fiche sur le bilinguisme dans l’Empire romain sur le site
les tenants de la tradition, la loi fut abrogée. Odysseum :
• Varron, auteur du Ier s. av. J.-C, s’inscrit dans la lignée http://eduscol.education.fr/odysseum/
bilinguisme-et-multilinguisme-dans-lempire-romain
conservatrice de Caton. Son milieu familial sabin, son

Traduire
1. Les connecteurs logiques sont d’autant plus facilement dans les connecteurs « et ita » (l. 12) de la dernière phrase qui
repérables qu’ils sont peu nombreux. Ce sont les anaphores relie les verbes « malo » (l. 11) et « spero » (l. 12).
qui structurent le texte. Cela tient à sa nature rhétorique. La Tous les verbes signalés en rouge sont conjugués à la voix
première phrase suit une progression ascendante, construite active. À l’exception de deux parfaits de l’indicatif (« audistis »,
d’abord sur une anaphore de l’adverbe « saepe » (l. 1), et, dans 2e pers. du pl., l. 3, « transcendimus », 1re pers. du pl., l. 7), tous les
le deuxième terme de l’anaphore, sur une surenchère expri- verbes sont conjugués au présent soit à l’indicatif (1re pers. du
mée par le balancement «  nec... modo… sed etiam  » (l.  1-2). sg. : « horreo », l. 8, « audio », l. 10, « malo », l. 12 ; 3e pers. du sg. :
L’anaphore de l’adverbe temporel « jam » (l. 6 et 10) est char- « est », l. 5, « crescit », l. 6 ; 1re pers. du pl. : « adtrectamus », l. 8 ; 3e
gée de traduire la gravité du moment. L’anaphore très mar- pers. du pl. : « sunt », l. 10), soit à l’impératif de la 2e pers. du pl.
quée du pronom personnel « ego » (l. 5 et 12) souligne l’enga- (« credite », l. 9). Ces présents sont des présents d’énonciation.
gement de Caton dans la condamnation du changement des
2. Les repérages des connecteurs, des anaphores et l’analyse
mœurs traditionnelles. L’on retrouve cette même implication
des verbes doivent rendre plus aisé le travail de traduction.
Comprendre
1. Caton condamne le goût de l’argent et du luxe (« avaritia rapport de proportion entre la multiplication des conquêtes
et luxuria », l. 3) parce qu’ils sont contraires aux valeurs tradi- et la contagion du goût pour les dépenses somptuaires (l. 5
tionnelles de retenue (pudor) et de modération (temperantia). à 8). Les Romains rapportent des œuvres grecques pour
Pour dénoncer ce qu’il qualifie de « vitia » (l. 3), Caton emploie agrémenter leurs villes et leurs jardins, comme les statues
volontairement le sens négatif du verbe «  laborare  » (l.  4). importées de Syracuse («  signa ab Syracusis  », l.  9-10) que
Autrement dit, au lieu de « peiner » sainement, en cultivant Caton juge nuisibles à Rome (« infesta… sunt huic urbi », l. 10).
sa terre par exemple, ses contemporains s’épuisent dans les Ils s’inspirent du plan des maisons hellénistiques pour agran-
vices. Il leur rappelle le respect qu’ils doivent à la coutume, dir la domus traditionnelle romaine, ce que fustige Varron en
le fameux mos majorum, dont la religio est l’un des piliers. Si dénonçant, notamment, la construction de gymnases privés
Rome a prospéré jusqu’à présent, c’est aux dieux nationaux (l. 4). Cette adoption d’un mode de vie oriental menace tout
(« propitios deos », l. 13) et aux cultes anciens (« antefixia ficti- d’abord, selon Varron, l’indépendance alimentaire de Rome.
lia deorum Romanorum », l. 11) qu’elle le doit. Rappelons que En quittant la campagne pour les plaisirs de la ville, comme
la religio romaine n’est pas un credo, mais avant tout le res- le théâtre ou le cirque (l. 10), les Romains remettent entre des
pect de pratiques cultuelles. Varron, dans le sillage de Caton, mains étrangères le soin de les nourrir. De fait, avec l’annexion
défend l’ancien esprit romain. Il en reprend les thèmes. Le de la Sicile et de l’Égypte, greniers à blé de l’Empire (l. 11), la
travail des champs est beau parce qu’il est digne. Voilà pour- production de céréales a régulièrement baissé. Caton signale
quoi il était mieux considéré de vivre à la campagne qu’en un autre danger que fait peser sur le destin de Rome l’aban-
ville (l. 1). Le travail de la terre, non seulement produit de quoi don de l’architecture et de la statuaire traditionnelles (l. 11-12).
nourrir la population, mais permet de conserver une bonne Il tient en ce que les Romains risquent de perdre la faveur
santé (l. 3), physique comme morale. L’agriculture est donc un des dieux pour ce qu’il considère comme un acte d’impiété.
bon moyen de faire preuve de temperantia. Mais, ce qui est le plus menacé, selon nos deux auteurs, c’est
2. La conquête de la Grande Grèce (sud de l’Italie et Sicile) l’esprit romain. Quel respect avoir encore pour le paterfami-
ont mis en contact les Romains avec la culture grecque. lias s’il donne le mauvais exemple en courant les spectacles,
Progressivement le langage et les mœurs grecs pénètrent dénonce Varron (l. 8), ou si, en tant que magistrat, il cultive le
en Italie. Varron dénonce la mode de l’emploi de mots grecs luxe, déplore Caton (l. 2) ? Le risque est grand d’une déposses-
pour désigner les différents lieux de la maison (l.  6 à 8). Ce sion de l’identité romaine. C’est la crainte de Caton, fortement
processus s’accélère lors de l’expansion de l’Empire vers mise en valeur dans un chiasme comminatoire : « illae magis
l’Orient. Il constitue un péril pour Caton qui l’exprime dans un res nos ceperint quam nos illas » (l. 8-9).

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 31


Culture
1. On appelle « hellénisme » l’influence grecque sur la culture de Varron, l. 4). Dans le domaine de la religion, la mythologie
romaine. Beaucoup de domaines attestent de cette influence. et surtout la représentation anthropomorphique des dieux
À la suite de la colonisation grecque du sud de l’Italie et de la gagnent les Romains (cf. texte de Caton, l. 11). La vivacité des
Sicile, les Romains furent imprégnés par la langue et la culture réactions de Caton et de Varron montre combien les Romains,
grecques (cf. texte de Varron, l. 5 à 8). La littérature romaine, peuple de cultivateurs et de soldats, se méfient des raffine-
avant de devenir originale, s’inspire des œuvres grecques. Le ments de l’art et de la pensée grecs. Varron dénigre le théâtre
grec demeure la langue de la culture pendant tout l’Empire (l. 10), dont les pièces sont, de fait, des imitations des tragédies
romain dont l’élite est bilingue. Les Romains empruntent et des comédies grecques. L’esprit concret des Romains retient
aussi leur mode de vie aux Grecs de la période hellénistique. de la philosophie grecque ce qui peut aider à vivre au quoti-
Ils décorent leurs maisons de peintures, de mosaïques (qu’ils dien. D’où le succès de l’épicurisme et du stoïcisme dans les-
affinent en développant l’opus tessellatum) et de statues, soit quels il est possible de puiser des conseils pratiques. De même,
importées (cf. texte de Caton, l. 10), soit copiées en très grand les Romains transforment la sculpture grecque en la mettant
nombre. L’architecture traditionnelle de la domus est elle aussi au service du politique (cf. statues colossales), et l’architecture
modifiée. Les Romains adoptent le péristyle, qui devient la en visant le spectaculaire et le confort (cf. l’amphithéâtre).
partie centrale de la maison (cf. texte de Varron, l. 7). Le mot 2. Cette activité peut donner matière à une séance de
passe d’ailleurs dans la langue latine. Sous l’influence grecque, recherche au CDI, menée en collaboration avec le professeur
les Romains vont prendre de plus en plus soin de leur corps en documentaliste. Le champ d’investigation est suffisamment
construisant des thermes et en développant la pratique spor- vaste pour que les élèves trouvent, référencent et analysent
tive, notamment dans des palestres et des gymnases (cf. texte des œuvres différentes.
prolongements

c Le texte de Caton peut donner matière à une mise en voix. Les élèves c Le thème de l’éloge du passé et de la condamnation de la nouveauté
apprennent une partie ou la totalité du texte et le disent en veillant à est un poncif de la littérature. Les textes de Caton et de Varron peuvent
mettre en évidence le ton comminatoire du discours. donc servir de point de départ à un diptyque textuel.

2 L’orientalisme (p. 31)


En explorant ce que l’on appelle l’orientalisme dans les arts européens, les élèves découvriront la permanence de
la fascination des Occidentaux pour l’Orient. Cette confrontation est envisagée comme une invitation au voyage
et à la découverte de l’autre.
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
La fascination des Européens pour un Orient, souvent fantasmé, apparaît dès la fin du XVIIe siècle. Cette
fascination prend son essor en France à la suite de la campagne d’Égypte menée par Bonaparte en 1798, puis
de la guerre d’Indépendance grecque (1821-1829) et des conquêtes coloniales. Cet Orient s’étend alors du
« Couchant » (Maghreb) au « Levant ». Il est propre à susciter l’imagination par ses couleurs et son exotisme.
Mais l’Orient est aussi un objet d’étude, comme le rappelle Hugo dans la préface des Orientales : « Les études
orientales n’ont jamais été poussées si avant. Au siècle de Louis XIV on était helléniste, maintenant on est
orientaliste. Il y a un pas de fait. Jamais tant d’intelligences n’ont fouillé à la fois ce grand abîme de l’Asie. Nous
avons aujourd’hui un savant cantonné dans chacun des idiomes de l’Orient, depuis la Chine jusqu’à l’Égypte.
Il résulte de tout cela que l’Orient, soit comme image, soit comme pensée, est devenu, pour les intelligences
autant que pour les imaginations, une sorte de préoccupation générale […] ».
Voir David Winson, « L’orient rêvé et l’orient réel au XIXe  siècle », L’Univers perse et ottoman à travers les récits
de voyageurs français, dans Revue d’histoire littéraire de la France 2004/1 (Vol. 104) :
www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-france-2004-1-page-71.htm

Confronter
Trois documents modernes sont proposés à l’examen compa- Maroc de 1871 à 1873. Ce décor est fait de lieux caractéris-
ratiste des élèves. Ils donnent à voir la manière dont les images tiques. Hugo évoque « le sérail » (v. 13) ottoman. Pierre Loti, fas-
d’Orient ont inspiré les artistes. Cette influence procède de ciné par Constantinople, lors du premier séjour qu’il y fit de mai
la même fascination que celle des Romains pour les cultures 1876 à mars 1877, a reconstitué un salon turc dans sa maison
grecque et orientale antiques. de Rochefort. L’officier-écrivain s’y est fait photographier, enve-
L’Orient s’impose d’abord comme un décor. Il est lié à la mer, loppé dans une sorte de burnous et coiffé d’un turban, assis
en l’occurrence à la Méditerranée. Les noms des îles de Cos sur un divan sous un dais de feuilles de palmiers, tenant dans
– présent dans le texte de Varron (l. 12) et dans le poème de sa main droite un narghilé. À droite, on devine un des trois arcs
Hugo (v. 7) – et de Chios (cf. texte de Varron, l. 12) sont en soi recouverts de faïences aux motifs floraux. Le sol est recouvert
évocateurs d’exotisme. La mer berce le poème de Hugo (« les de tapis et de kilims. Benjamin-Constant a choisi pour décor
flots », v. 1, v. 13, v. 20, « l’eau », v. 10, « la mer », v. 3, v. 12, v. 18, la terrasse d’une maison marocaine. Les femmes pouvaient
« la vague », v. 14, « l’onde », v. 16) et ouvre l’horizon en arrière- y prendre l’air sans être vues depuis la rue. La blancheur des
plan du tableau de Benjamin-Constant, marqué par son séjour murs, la présence des tapis et bien sûr les habits des femmes


32 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
sont autant éléments qui signalent le cadre oriental. La fascina- jouisseuse est déjà celle accolée aux Grecs par Caton (« omni-
tion des anciens Romains pour l’Orient se lit aussi dans le décor. bus libidinum illecebris », l. 7) et Varron (l. 9-10).
L’architecture grecque de Corinthe et d’Athènes s’invitent en Mais même si les artistes magnifient les paysages orientaux,
Italie (cf. texte de Caton, l. 11-12). Le plan de la maison grecque ils n’en masquent pas la violence dont ils sont aussi chargés.
avec son péristyle et son gymnase (cf. texte de Varron, l. 4 à 8) Dans le contexte de la guerre d’Indépendance grecque, la
remodèle la domus romaine. chute des « sacs pesants » (v. 17) qu’entend la sultane ne sont
À travers ces décors, c’est bien sûr une atmosphère singulière, autres que les corps des Grecs dont se débarrassent les Turcs.
une invitation à la rêverie, que les textes et les documents L’enchevêtrement des armes blanches sur la photographie
cherchent à suggérer. Une impression de temps suspendu peut aussi rappeler les violences et les guerres qui affectent
se dégage du poème de Hugo et du tableau de Benjamin- l’Orient. Enfin, l’hostilité des conservateurs Caton et Varron
Constant. Le poème est encadré par un même vers décrivant à l’égard de ce qu’ils vivent comme une invasion des mœurs
un clair de lune (v. 1 et 20). L’image de la sultane regardant par grecques en Italie suffit à indiquer les nombreuses guerres que
la fenêtre (v. 2 et 3) peut être rapprochée de la Marocaine du les Romains ont menées en Orient, conséquence de l’accroisse-
tableau qui, assise sur le rebord de la terrasse, porte son regard ment de l’Empire (cf. texte de Caton, l. 5-6).
au loin. D’une part, l’attitude de la sultane et de la Marocaine, Le rapport entretenu par les Occidentaux à l’égard de l’Orient
de l’autre, la posture prise par Pierre Loti, renvoient à l’alanguis- est marqué d’ambiguïté, et ce, dès l’Antiquité. Les Romains, et
sement qui caractérise les Orientaux dans l’imaginaire occi- à leur suite les Européens, sont fascinés par cet Orient qui en
dental. Il est édifiant de voir que cette image de nonchalance même temps inquiète, parce que mal compris.

prolongements

c Une activité d’écriture peut prolonger l’étude. On demande aux c Il est aussi possible de proposer de traduire en latin quelques vers
élèves de réagir à la manière de Caton à la vue de la photographie de du poème de Victor Hugo. Les vers 1, 6 et 7 (en remplaçant « turc »
Pierre Loti. Pour rendre le travail plus facile, on demande aux élèves par « grec ») sont assez bien représentatifs de l’atmosphère
d’imaginer que Loti est habillé en Grec. Les élèves s’appuient sur le texte orientalisante et se prêtent assez facilement à la traduction. Les élèves
de Caton et s’aident du dictionnaire Olivetti, présenté p.15, pour trouver peuvent s’aider du dictionnaire Olivetti, présenté p.15, pour trouver
les mots latins qui leur manquent. les mots latins qui leur manquent.

pistes pour construire un portfolio


Le poème de Victor Hugo, ou un autre poème puisé latins, les élèves pourront puiser dans les livres de Pline
dans Les Orientales, peut être le point de départ d’un l’Ancien, Pomponius Mela, Ammien Marcellin…
diptyque textuel en vue de la réalisation d’un portfolio. La thèse de Cécile Borie, L’exotisme dans la littérature latine
En plus des nombreux poèmes romantiques, d’autres de Plaute aux écrivains augustéens (2011), fournira un vivier
auteurs français peuvent servir de support. On songe d’extraits d’auteurs latins (téléchargeable sur Internet).
notamment à l’Itinéraire de Paris à Alexandrie, de
Des auteurs français sur deux fiches du site Odysseum :
Chateaubriand (1811), au récit de Lamartine, Le Voyage
http://eduscol.education.fr/odysseum/lorientalisme-
en Orient (1835) ou à Maxime Du Camp et à ses Souvenirs
en-occident et http://eduscol.education.fr/odysseum/
et Paysages d’Orient (1844). Concernant les auteurs
le-tour-de-la-mediterranee-lorient-et-loccident

3 Rayonnement intellectuel de la Grèce (p. 32)


Les élèves apprendront dans cette page que les voyages d’étude ne datent pas d’aujourd’hui. Depuis que la Grèce
est une province romaine (146 av. J.-C.), tout jeune homme qui aspire à une carrière politique brillante sous la
République se doit d’effectuer un séjour dans le pays de la culture. Ce rayonnement culturel perdure pendant
l’Empire. L’empereur philhellène Hadrien en est le meilleur témoignage. Le texte de Cicéron, qui décrit son voyage
d’étude en Grèce et en Asie, et le texte de Plutarque, qui détaille l’éducation grecque procurée par Paul Émile à
son fils, rendent bien compte de l’attraction exercée par la culture grecque sur les Romains.

TRADUCTION
Je partis de Rome. Quand je fus arrivé à Athènes, je passai six mois avec Antiochus, le plus illustre et le
plus sage philosophe de la vieille Académie, et mon goût pour la philosophie, que je n’avais jamais délaissé,
que j’avais cultivé depuis ma première jeunesse et avais toujours nourri, ce goût je le renouvelai auprès de
cette autorité si grande et si savante. Dans le même temps pourtant, à Athènes auprès de Démétrius de Syrie,
vieux maître d’éloquence mais non sans réputation, j’avais coutume de m’exercer de façon assidue. Ensuite
je parcourus toute l’Asie en compagnie des plus grands orateurs, avec lesquels je m’exerçais avec leur plein
consentement. Parmi eux se trouvait Ménippe de Stratonice, l’homme, selon moi, le plus éloquent qu’il y eût
en ces temps-là dans toute l’Asie […]. Quant à Denys de Magnésie, il était continûment avec moi ; il y avait
aussi Eschyle de Cnide, Xénoclès d’Adramytte. Ces derniers comptaient alors en Asie pour les premiers
rhéteurs. Non content de ces maîtres, je vins à Rhodes et je m’attachai à ce même Molon, que j’avais entendu
à Rome, aussi bien excellent plaideur dans les procès réels et excellent écrivain que très sage pour repérer et
remarquer les défauts et pour former et enseigner.

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 33


INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Après le succès remporté dans le procès pour défendre Roscius accusé de parricide en 80 av. J.-C., Cicéron
décide d’interrompre brusquement sa carrière d’avocat pour effectuer un voyage en Orient. Dans le
passage qui précède l’extrait proposé (Brutus, 91), Cicéron en explique la raison. Sa maigreur et sa manière
de forcer sa voix ont amené ses amis et les médecins à lui conseiller de renoncer à plaider. Il décide alors de
se rendre en en Grèce et en Asie, berceau de l’éloquence, pour apprendre une méthode de déclamation qui
préserve sa santé. Après avoir fréquenté les rhéteurs grecs de passage à Rome, il est avide de découvrir
la Grèce et l’Orient hellénisé.
Fiche sur l’hellénisation sur le site Odysseum :
http://eduscol.education.fr/odysseum/graecia-capta-ferum-victorem-cepit-rome-et-lhellenisation
Fiche sur le bilinguisme dans l’Empire romain sur le site Odysseum :
http://eduscol.education.fr/odysseum/bilinguisme-et-multilinguisme-dans-lempire-romain

Langue
1. Le repérage des compléments de temps et de lieu peut Cicéron voyage en compagnie de son frère Quintus, de son
s’effectuer en parallèle de la leçon de la p. 42, ou en constituer cousin Lucius et de M. Pupius Piso. Le petit groupe part de
un prolongement. Parmi les compléments circonstanciels de Rome (« Roma », l. 1), probablement en avril 79 av. J.-C. Cicéron
lieu à entourer, on peut distinguer ceux qui expriment : ne nous dit rien du voyage de Rome à Athènes. Le trajet habi-
- le lieu d’où l’on part : l’ablatif « Roma » (l. 1) ; tuel était le suivant : de Rome à Brindes par voie terrestre, puis
- le lieu où l’on est : l’ablatif « Athenis » (l. 6), l’ablatif « in Asia » de Brindes à Corinthe par bateau, enfin de Corinthe à Athènes
(l. 13), le locatif « Romae » (l. 15) ; par voie terrestre. Ils sont sans doute arrivés à Athènes à l’été
- le lieu où l’on va : l’accusatif « Athenas » (l. 1), « apud Demetrium 79 av. J.-C. Au bout de six mois (« sex menses », l. 1), en mars 78
Syrum » (l. 6), l’accusatif « Rhodum » (l. 14). av. J.-C., il quitte Athènes et se rend en Asie (« Asia », l. 8), là où
Parmi les compléments circonstanciels de temps à entourer, se trouve alors les meilleurs maîtres de rhétorique. Il s’arrête
on peut distinguer ceux qui expriment : successivement dans les villes de Magnésie (l. 12), de Cnide
- une date : l’ablatif « eodem tempore » (l. 5-6), l’adverbe « post » (l. 12) et d’Adramytte (l. 13). Toutes ces villes sont situées sur la
(l. 8), l’adverbe « tum » (l. 13) ; côte ouest de l’actuelle Turquie. Si on se conforme à l’ordre de
- une durée : l’accusatif « sex menses » (l. 1), l’ablatif « illis tem- l’énumération, Cicéron a donc débarqué à Magnésie, remon-
poribus » (l. 10-11). té vers Adramytte pour redescendre vers Cnide. De Cnide,
2. Les élèves peuvent utiliser la carte qui figure dans le rabat, Cicéron se rend sur l’île de Rhodes (« Rhodum », l. 14) au début
et y reporter les étapes suivies du circuit. Il faudra leur indi- de l’année 77 av. J.-C. De Rhodes, il regagnera l’Italie, proba-
quer l’emplacement des villes de Magnésie et de Cnide. blement vers la fin du printemps de l’année 77 av. J.-C.

Interpréter
1. À Athènes, Cicéron retrouve Antiochus d’Ascalon dont il a 2. L’attrait que suscitent la Grèce et Athènes au point d’y attirer
suivi l’enseignement à Rome. Antiochus d’Ascalon (l. 2) est un des jeunes romains dit combien rayonne la culture grecque au
philosophe (« philosopho », l. 3, « philosophiae », l. 3), directeur de moment où se développe l’Empire romain. Elle est le pays de
l’Académie, l’école créée par Platon, qu’il entendait ramener à référence pour la philosophie, comme le soulignent les super-
l’esprit de son fondateur. Il découvre auprès de ce maître toutes latifs « nobilissimo, prudentissimo » (l. 2) et l’expression « summo
les philosophies post-socratiques et une méthode pour les auctore et doctore » (l. 5) qui qualifient Antiochus d’Ascalon. Elle
appréhender. Parallèlement, il fréquente l’école de Démétrius l’est aussi pour l’éloquence puisque Cicéron y rencontre les
de Syrie (l. 6), maître d’éloquence expérimenté (« dicendi magis- meilleurs orateurs (« summis oratoribus », l. 9), dont le brillant
trum », l. 7) pour s’exercer régulièrement dans l’art de bien par- Ménippe de Stratonice, qualifié «  disertissimus  » (l.  11). Cette
ler. Il voyage dans toute l’Asie en compagnie de rhéteurs dont culture n’est pas seulement présente dans son lieu de nais-
Ménippe de Stratonice (l. 10) qui lui donne des leçons. En Asie, sance, elle s’étend au-delà de la Grèce, puisque Cicéron se
il suit l’enseignement des rhéteurs (« rhetorum », l. 13) Denys de rend en Asie pour y suivre l’enseignement en grec des meil-
Magnésie, Eschyle de Cnide et Xénoclès d’Adramytte. Ils sont leurs rhéteurs (« summis oratoribus », l. 8-9, et « Hi tum in Asia
des représentants de l’asianisme, dont Cicéron distingue deux rhetorum principes numerabantur », l. 13-14). Par ailleurs, l’extrait
styles, un style incisif et un style plus emphatique. À Rhodes, de Plutarque montre, non seulement l’ancienneté de cette
il se soumet aux critiques de Molon, qu’il présente comme un influence de la Grèce sur Rome (Paul Émile a vécu au siècle
grand plaideur (« actorem », l. 16) et un écrivain (« scriptorem », précédent celui de Cicéron), mais son étendue, puisqu’aux dis-
l.  16). Cicéron l’avait déjà fréquenté à Rome (l.  15). Molon ne ciplines intellectuelles, s’ajoutent les arts (« des sculpteurs, des
parlait pas latin. Cicéron s’est donc exercé devant lui en grec. peintres », l. 3), l’art de l’équitation et de la cynégétique (« dres-
Plutarque dans sa Vie de Cicéron (4) raconte qu’en entendant seurs de chevaux et de chiens, des maîtres de chasse », l. 3-4).
le jeune orateur romain, Molon constata que Rome dominait On peut donc en déduire que l’hellénisme est la pénétration
maintenant aussi dans le domaine de l’éloquence. Cicéron pré- de la culture grecque sur les culture contemporaines, notam-
cise que Molon était habile à repérer et à corriger ses défauts ment romaine.
pour parfaire encore son art (l. 17-18).


34 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
Traduire prolongements

1. Conformément aux temps attendus dans un récit, le passage compte quatre parfaits L’hellénisme à Rome peut être
(« sum profectus », l. 1, « fui », l. 2, « renovavi », l. 3, « peragrata est », l. 8) et trois imparfaits l’occasion de réaliser des portfolios
(« solebam », l. 7, « exercebar », l. 9, « erat », l. 9), tous à la première personne du singulier, qui montrent le processus
puisqu’il s’agit d’un récit à caractère autobiographique, à l’exception du parfait passif d’acculturation. À l’époque
« peragrata est » (l. 8) et de l’imparfait erat (l. 9). contemporaine, l’américanisation
fournit un vaste vivier d’exemples.
2. Le repérage des compléments circonstanciels de temps et de lieu d’une part, et de On invite alors les élèves à confronter
l’autre l’analyse de tous les verbes doivent rendre très accessible le travail de traduction. un même domaine (art, mode de
vie, mode de pensée…) pour rendre
pertinente la confrontation.

4 La maîtrise romaine de l’eau (p. 33)


Cette page constitue un pendant à l’hellénisme. Elle montre que Rome, à son tour, s’est imposée comme un modèle
culturel. Elle donne l’occasion de réfléchir sur la notion d’acculturation déjà abordée dans les pages précédentes.
Par l’éloignement géographique des lieux où ont été prises les deux photographies (Algérie et Turquie), les élèves
auront un accès direct à ce que l’on a appelé la romanisation.
TRADUCTION
Pourquoi parlerais-je de ces cours d’eau suspendus sur un arc aérien,
où Iris à peine élèverait ses eaux pluvieuses ;
tu dirais plutôt que ces montagnes ont grandi sur des astres,
œuvre semblable à celle des Géants que loue la Grèce ?
Détournés, les fleuves sont cachés dans tes murs ;
tes bains élevés épuisent des lacs entiers,
et des eaux vives aussi circulent dans tes propres veines
et toute ton enceinte résonne de ces sources naturelles.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Rutilius Namatianus (Ve siècle), gaulois, païen, fut préfet de la prière que Rutilius Namatianus adresse avec sincérité
la ville de Rome en 414. Il regagne la Gaule en 417. et mélancolie à Rome et aux marques de sa splendeur.
Ce retour lui inspire un poème, De reditu suo, qui constitue Voir sur le site Anabases, l’article de Jérôme Carcopino, « La
un exemple d’attachement des élites provinciales à Rome. date et le sens du voyage de Rutilius Namatianus » :
Le poème, écrit en distiques élégiaques, est célèbre pour http://journals.openedition.org/anabases/3987

Traduire
1. Seules deux phrases complexes composent le texte. La pre- sont coordonnées. La construction de ces phrases manifeste
mière est une question rhétorique composée de trois propo- le caractère rhétorique du texte.
sitions juxtaposées (v. 1-2, v. 3, v. 4), dont la première contient 2. L’analyse des phrases doit rendre le travail de traduction
une subordonnée relative (v.  2). La seconde est constituée plus accessible.
d’une série de propositions indépendantes dont trois (v. 6 à 8)

Comprendre
1. Rutulius Namatianus célèbre la ville de Rome. Son style est 2. La première image présente les thermes romains
imprégné de la formation rhétorique qu’il a reçue. La ques- d’El Hamma en Algérie, de son nom romain Aquae Flavianae.
tion oratoire, qui lance l’éloge de la maîtrise romaine de l’eau, Les bains ont été édifiés à l’emplacement de sources chaudes,
constitue une prétérition (« quo loquar », v. 1). De fait, le poète au Ier siècle, sous l’empereur Vespasien. Deux des cinq pis-
accumule les métaphores hyperboliques. Les aqueducs sont cines des bains actuels sont d’époque romaine. La forme
comparés à des montagnes juchées sur des astres (« hos potius circulaire d’une des piscines romaines constitue un cas
dicas crevisse in sidera montes », v. 3). Ces ouvrages sont com- unique dans toute la Méditerranée. Le vers 6 de l’extrait de
parables à ceux des géants (« tale gigantem... opus », v. 4). La Rutilius Namatianus correspond à l’activité thermale qui est
louange atteint son paroxysme quand intervient la référence devenue l’un des emblèmes de l’art de vivre romain. Sur la
mythologique à Iris (v. 2). Les constructions romaines sont si deuxième image est visible une partie de l’aqueduc qui ali-
hautes qu’elles ne sont même plus à la portée des dieux… mentait Constantinople en eau. Il a été construit au IVe s. sous
L’éloge tournerait presque ici à la flagornerie. D’une façon l’empereur Valens. Il faisait partie du plus long réseau hydrau-
générale, l’emploi du pluriel pour désigner toutes les formes lique de l’Antiquité qui s’étendait sur plus de 250 kilomètres.
prises par l’eau (« flumina », v. 5, « lacus », v. 6, « roscida », v. 7) L’aqueduc de Valens, construit en pierre taillée et en briques,
et leur personnification («  conduntur  », v.  5, «  consumunt  », a une longueur de 971 mètres, une hauteur maximum de
v. 6, « celebrantur », v. 7), visent à souligner combien le génie 29 mètres. Les piliers ont une épaisseur de 3,70 mètres. Même
romaine sait rendre abondante cette ressource naturelle. s’il ne se trouve pas à Rome, il rend compte de la capacité des

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 35


ingénieurs romains à construire des ouvrages gigantesques. dans son De rustica (p. 30), les riches romains ont adapté des
Les quatre premiers vers du poème de Rutilius Namatianus bâtiments grecs pour leur usage privé. Les gymnases et les
saluent ce gigantisme des aqueducs romains. De façon plus bains en font partie. De fait, l’accès restreint à l’eau faisait que
précise, c’est l’expression « pendentes… rivos » (v. 1) qui corres- seules les classes sociales fortunées pouvaient disposer de
pond parfaitement à la superposition des arcs. bains. Ce n’est en 25 av. J.-C., que Marcus Vispanius Agrippa
Voir Frontin, De aquaeductibus urbis Romae. fit construire les premiers bains publics qu’il nomma thermae.
3. Les Romains n’ont pas inventé les thermes. Ils ont adapté et Les hommes de la République, comme Varron, et encore plus
développé les bains que pratiquaient déjà les Grecs, notam- Caton qui vécut au IIe siècle av. J.-C. n’ont donc pas connu les
ment après des activités physiques. D’ailleurs le mot même thermes romains publics qui deviendront sous l’Empire un
de «  therme  » est grec (θερμός). Comme le déplore Varron des lieux essentiels de la vie sociale et politique.

Culture
1. L’un des éléments de ce que l’on a appelé la « romanisa- techniques. C’est faute de disposer de carrières de marbre
tion » consiste dans la mise en place d’infrastructures caracté- jusqu’à la fin de la République, que les Romains recourent à
ristiques. Si les Romains ont hérité l’essentiel de leurs connais- l’usage du mortier, fait d’un conglomérat de sable, de pierres
sances architecturales des Étrusques et des Grecs, leur finement cassées et de chaux. Ce béton romain (opus cae-
originalité tient dans la mise en place d’un mode de construc- menticium) permet des constructions à la fois plus solides et
tion rapide, standardisé, solide, qui vise avant tout l’utilité. plus légères. Sous l’Empire, ils créent un ciment, encore plus
Voilà pourquoi ils se sont attachés aux infrastructures rou- solide, fabriqué à partir de pouzzolane. Grâce à la technique
tières (voies, ponts, tunnels) et maritimes (ports, entrepôts, dite du « blocage au mortier », ils systématisent l’usage de la
phares), aux constructions hydrauliques (aqueducs, canaux, voûte et de l’arche, en limitant l’usage de la pierre taillée. À
cloaques, thermes, fontaines, réservoirs, citernes, moulins à partir du Ier s. av. J.-C., les Romains sont les premiers à utiliser
eau), aux habitations (maisons, villas, insulae). Pour assurer le dôme comme couverture de bâtiments (cf. Panthéon). Ils
la cohésion sociale, ils construisent des bâtiments religieux développent aussi la fabrication des briques (opus latericium).
(temples, autels), civils (curies, marchés, portiques, basiliques, Très peu chère, facile à produire, la brique permet d’édifier
bibliothèques) et de divertissement (théâtres, odéons, gym- des bâtiments complexes en soulageant les poussées exer-
nases et surtout amphithéâtres et cirques). Pour défendre cées par un système d’arcs et de décharges. Ce sont les
les villes et les frontières de l’Empire, ils échafaudent des légionnaires romains qui introduisent les techniques de fabri-
constructions de contrôle (fortifications, murs, portes, tours, cation dans tout l’Empire, comme l’indiquent les marques des
citadelles). Pour assurer la propagande du pouvoir politique, légions inscrites sur les briques retrouvées.
ils édifient des structures imposantes (arcs de triomphe, Voir Vitruve, De architectura.
temples dédiés aux empereurs, monuments ou colonnes Voir Pierre Gros, L’Architecture romaine, en deux volumes,
commémoratifs, mausolées). Éditions A&J Picard, 2006-2011.
2. Si les Romains ont pu laisser autant de traces de leur Voir Théorie et pratique de l’architecture romaine  : La norme et
construction, ils le doivent au développement de nouvelles l’expérimentation, Publications de l’Université de Provence, 2005

prolongements
c L’architecture romaine constitue un vaste champ d’exploration pour c Le court extrait de Rutilius Namatianus peut faire l’objet d’une
les élèves. Des ateliers de recherche et des présentations orales peuvent initiation à la scansion (cf. fiche p. 199 et outil numérique p. 15), puis
être organisées autour d’un domaine ou d’un type de bâtiment parmi d’une mise en voix qui s’essaie à respecter la scansion. L’enregistrement
ceux énumérés ci-dessus. du texte accessible dans les ressources peut aider à ce travail de l’oral.

5 Une déesse égyptienne à Rome (p. 34)


L’égyptomanie moderne et contemporaine n’est pas un phénomène récent. Dès l’Antiquité, la civilisation égyp-
tienne a fasciné les Grecs d’abord (cf. L’Enquête d’Hérodote), puis les Romains. C’est à cette égyptomanie antique
que les activités de la page initient les élèves.
TRADUCTION
Voici que le grand Soleil, une fois le cercle zodiacal par- INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
couru, avait accompli une année, lorsque la sollicitude
Apulée (v. 125-v. 200), issu d’une riche famille de
vigilante de la bienfaisante divinité de nouveau interrompt Madaure (Algérie), parallèlement à des études de
mon sommeil, de nouveau m’évoque une initiation, de nou- philosophie et une carrière d’avocat, s’intéresse aux
veau des rites sacrés. Je me demandais ce qu’elle souhaitait nombreux cultes qui se développent sous l’Empire
et ce qu’elle prédirait ; comment ne pas m’étonner ? moi qui romain. Au cours de ses voyages, il se fait lui-même
croyais être depuis longtemps déjà très pleinement initié. initier aux mystères de plusieurs religions orientales et
Et pendant que tantôt à ma raison je soumets ce scrupule s’intéresse à la magie. Il fut d’ailleurs le prêtre du culte
religieux, que tantôt je l’examine grâce aux conseils des impérial.
initiés, je découvre un fait nouveau et tout à fait étonnant : Sur les cultes orientaux à Rome voir Odysseum :
j’avais été initié seulement aux mystères de la déesse, mais http://eduscol.education.fr/odysseum/
je n’étais pas encore éclairé par les mystères du grand dieu, les-dieux-egyptiens-rome-pratiques-religieuses
père suprême des dieux, l’invincible Osiris.


36 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
Comprendre
1. La fresque, retrouvée à Herculanum et conservée au musée étaient toujours accompagnées musicalement. Enfin, l’em-
archéologique de Naples, représente une cérémonie du culte placement du temple au fond du dromos pourra aussi être
réservé à Isis. Le personnage qui occupe le centre du haut rapproché de celui dont on voit la porte sur la fresque.
des marches est un prêtre. Il offre à l’adoration des fidèles 2. Le culte de la déesse Isis se répandit dans le monde romain
un vase (situla) contenant l’eau du Nil, tandis que deux assis- à la fin du IIe s. av. J.-C. Le sanctuaire dédié à la déesse sur le
tants agitent des sistres. Au bas des marches, un autre prêtre, « Champ de Mars » (l. 9) fut plusieurs fois détruit et reconstruit
debout, maintient son bras droit perpendiculaire à son corps. pendant l’Empire. Dans le récit d’Apulée, le culte de la déesse
Au moyen d’une sorte de bâton, il semble diriger le chœur Isis consiste essentiellement en une « très grande adoration »
des fidèles alignés de part et d’autre de l’escalier menant au (l. 9-10) qui rappelle l’attitude suppliante des deux rangées de
temple. Un troisième prêtre allume le feu sur l’autel disposé fidèles sur la fresque. Les fidèles doivent « prier quotidienne-
au premier plan. À droite, assis, un homme joue de la flûte. ment » (l. 7) devant le temple, comme c’est le cas sur la fresque.
Outre la peau plus sombre des prêtres, leur crâne rasé et le Comme pour le narrateur, l’initié doit être appelé en songe, par
sistre, les trois ibis (oiseaux sacrés), les deux sphinx, placés de une apparition nocturne de la déesse (l.  14). Vient ensuite le
part et d’autre de la porte, derrière lesquels se trouvent deux temps de l’ « initiation » (« teletae », l. 15) et « des rites sacrés »
palmiers, permettent de savoir que la déesse Isis est d’origine (« sacrorum », l. 15), dont le narrateur garde, comme il le doit,
égyptienne. Les élèves rapprocheront facilement les sphinx le secret. Il est guidé par les conseils des initiés (« sacratorum
de la vidéo de ceux de la fresque, ainsi que la figuration de consiliis », l. 19). C’est donc une seconde initiation que connaît le
musiciens sur les colonnes de la reconstitution du joueur de narrateur, celle liée au culte d’Osiris (l. 20-21). Ces rites doivent
flûte, puisqu’ils auront appris que les cérémonies isiaques conduire les fidèles vers la vie éternelle.

Culture
1. La représentation romaine d’Isis procède d’un syncrétisme 2. L’activité vise à faire découvrir la notion de syncrétisme
iconographique. Beaucoup de statues nous sont parvenues. dans le domaine culturel de façon concrète. Il ne s’agit pas
On demande aux élèves de la décrire précisément. Cette des- de perdre les élèves dans des recherches trop savantes. Ils
cription peut faire l’objet d’une présentation orale. Malgré doivent d’abord sélectionner dans le dictionnaire la définition
des différences, on constate quelques constantes dans la attendue dans l’activité, par exemple celle du Robert : « fusion
représentation de la déesse. L’Isis de l’époque romaine se de deux éléments culturels, religieux différents. » Les élèves
tient le plus souvent debout. Elle est vêtue d’un manteau ou soumettent ensuite la définition à l’examen de la fresque. Il
d’un péplos, de toutes les couleurs indique Plutarque (Isis et peut être signalé d’emblée que, si la fresque représente un
Osiris, 77), parce qu’elle peut prendre toutes les formes de culte isiaque, elle a été retrouvée dans une ville romaine de
l’existence. Son vêtement est parfois attaché au niveau de la Campanie. Si les prêtres sont égyptiens (tuniques et couleur
poitrine par un nœud, symbole de ses pouvoirs magiques. de peau plus sombre), les fidèles sont romains, sans doute
Elle est coiffée d’une fleur de lotus ou de deux cornes enchâs- attirés par l’exotisme raffiné de cette religion venue d’Orient.
sant un soleil, à la manière égyptienne. Comme la déesse Ce sont essentiellement des femmes qui affectionnent tout
Fortuna (cf. p. 11), elle porte une corne d’abondance, symbole particulièrement le culte d’Isis, en qui elles voient un modèle
de fécondité, et un gouvernail pour diriger le monde et les de femme et de mère. Le succès des cultes orientaux s’ex-
marins dont elle est la déesse. D’une main, elle tient un vase plique en partie par le rapport direct que les fidèles peuvent
symbolisant l’eau régénératrice du Nil et Osiris, et de l’autre entretenir avec la divinité, sans avoir besoin de l’entremise
un sistre (agité pour conjurer les inondations du Nil et effrayer du paterfamilias, et à la promesse individuelle d’un salut.
Seth, meurtrier d’Osiris). On sait que les cérémonies isiaques Concernant le décor, les élèves peuvent remarquer que des
se faisaient en musique. On voit parfois Isis avec le modius palmiers cohabitent avec une végétation feuillue plus locale.
(mesure à grain) qui est l’attribut de Cérès-Déméter. Si le temple rappelle les temples romains, sa surélévation
Voir la description personnelle de la déesse dans la suite du excessive est singulière. Enfin, l’autel sur lequel un prête pré-
texte d’Apulée : Métamorphoses, XI, 3-4. pare sacrifice ne semble pas spécifique d’un répertoire artis-
tique particulier.

Traduire
Les temps du texte sont ceux du récit. Leur analyse donne actifs du subjonctif à la troisième personne du singulier
notamment l’occasion de revoir la concordance des temps. (« temptaret », l. 16, « pronuntiaret », l. 16), en concordance
La première phrase compte un plus-que-parfait de l’indica- avec l’imparfait introducteur des subordonnées interroga-
tif (« compleverat », 3e pers. du sg., l. 14), marquant l’antério- tives. Dans la dernière phrase, se succèdent trois présents
rité, et deux présents de narration à la troisième personne de narration (« disputo », l. 19, « examino », l. 19, « comperior »,
du singulier (« interpellat », l. 14, « commonet », l. 16). La deu- l. 20). Le dernier, qui est déponent, entraîne une proposition
xième phrase contient deux imparfaits déponents de l’indi- subordonnée infinitive au parfait (« imbutum [esse]  », l. 20),
catif, tous deux conjugués à la première personne du sin- pour signaler son antériorité.
gulier (« mirabar », l. 16, « videbar », l. 17), et deux imparfaits

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 37


prolongements IDÉO

2
V
La découverte de l’égyptomanie peut être prolongée par la réalisation d’un portfolio. Le visionnage Visite virtuelle ®
complet des Nocturnes de l’université de Caen, Quand l’Égypte s’invite à Rome (3 octobre 2018) peut La vidéo se présente comme une
être recommandée aux élèves pour y puiser le support antique. Les élèves trouveront facilement des visite guidée de l’Iséum de Rome.
exemples d’égyptomanie moderne et contemporain. C’est au moyen d’hypothèses que
Voir Jean-Marcel Humbert, L’Égyptomanie dans l’art occidental (1989). Sophie Madeleine propose une visite
Voir la série des quatre émissions de La Fabrique de l’histoire sur France culture (janvier 2006). virtuelle. Comme il est indiqué dans
www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/egyptomanie-14 la première consigne de la page,
la vidéo peut être diffusée au début
de la séance et en aide à la lecture
de la fresque.

6 La divinisation d’Antinoüs (p. 35)


Par son amour de l’Orient, et notamment de la Grèce, l’empereur Hadrien fournit l’occasion de mettre en pers-
pective la notion de syncrétisme culturel abordé dans la page précédente. À travers trois documents de nature
et d’époque variées, les élèves découvrent la relation forte nouée entre l’empereur Hadrien et le bel Antinoüs.

TRADUCTION
Alors qu’il naviguait sur le Nil, il perdit son Antinoüs, qu’il pleura comme une femme. À propos de cela, il existe
plusieurs rumeurs : les uns affirment qu’il s’est sacrifié pour Hadrien, les autres que le fait montre la beauté
d’Antinoüs et la passion excessive d’Hadrien. Et les Grecs en tout cas, selon la volonté d’Hadrien, le divinisèrent
en affirmant que par lui étaient rendus des oracles, qu’Hadrien lui-même avait composés, raconte-t-on.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES

• Ce qui nous a été transmis sous le nom d’Histoire Auguste • Marguerite Yourcenar a mûri longtemps ses Mémoires
est un ensemble de biographies d’empereurs romains d’Hadrien avant de les écrire et les publier. Dans ce roman,
ayant régné de 117 à 285. Hadrien est donc le premier en forme de lettre adressée à Marc Aurèle, son successeur
empereur abordé. Cette collection de vies est entourée de désigné, elle fait revivre la personne de l’empereur, et
beaucoup de débats, concernant les dates et les auteurs. notamment son affection pour le jeune Antinoüs, qu’elle
Si la sécheresse du style, le goût pour l’anecdotique et rend à la fois violente et mystérieuse.
l’érudition, les doutes concernant l’exactitude de certaines
informations, invitent à la prudence, ces textes restent
• Le buste d’Antinoüs, retrouvé à Tivoli et conservé au
Louvre a été en partie restauré au XVIe s. (le nez, la bouche,
pourtant l’unique source littéraire pour traiter de plusieurs la partie gauche du visage et une grande partie du buste).
époques de l’histoire romaine.
Sur Hadrien, voir le numéro 274 des Dossiers d’archéologie
consacré à l’empereur (juin 2002).

Interpréter
1. Dans les première et dernière phrases, sont énoncées les 2. Dans la mythification de la personne d’Antinoüs, l’auteur du
conditions de la mort accidentelle d’Antinoüs («  dum per texte tente de départir ce qui est attesté de ce qui est supposé.
Nilum navigat », l. 1), survenue en octobre 130, et les consé- Il ne conteste ni la beauté du jeune homme (« forma ejus », l. 3),
quences qu’ont provoquées cette mort au moyen de parfaits ni l’attachement de l’empereur, dont l’intensité est traduite par
de l’indicatif, mode du réel : les larmes d’Hadrien (« flevit », l. 2) l’adverbe péjoratif « muliebriter » (l. 2), lequel serait inacceptable
et la divinisation du jeune homme par les Grecs (« consacra- aujourd’hui de la part d’un historien. Il ne conteste pas non plus
verunt », l. 5). La deuxième phrase fait état des interprétations la volonté d’Hadrien de diviniser Antinoüs (« volente Hadriano »,
qui ont été déduites de l’événement. La valeur discutable de l. 4). En revanche, il est conscient que la relation exceptionnelle
ces interprétations est signalée par la précaution oratoire « de entre l’empereur et le jeune homme et sa mort prématurée ont
quo varia fama est  » (l.  2), leur diversité par le balancement nourri l’imaginaire en donnant matière à des exagérations. Il
des indéfinis «  aliis… aliis  » (l.  2-3). Dans la dernière phrase, remet en doute l’éventualité d’un suicide d’Antinoüs causé par
le caractère véridique du récit est indiqué par l’adverbe à l’empereur lui-même (l. 2-3). De même, il semble relativiser la
valeur affirmative « quidem » (l. 4), mais l’emploi du verbe de force de l’amour d’Hadrien, comme le laissent entendre l’em-
la parole « jactatur » (l. 6) met à nouveau à distance ce qui est ploi de l’adjectif de quantité « nimia » (l. 4) et la remise en doute
rapporté comme une rumeur. de la composition par Hadrien des oracles attribués au jeune
dieu, après son apothéose (l. 6). Le texte laisse donc au lecteur
le soin de se faire sa propre opinion.


38 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
Traduire
1. Les trois formes verbales sont des participes, objet de la l’action des participes est celle des verbes principaux : entre
première leçon de grammaire (p. 38) qui peut donc être tra- « adserentibus » (l. 3) et « est » (l. 2) d’une part, entre « volente »
vaillée en amont de la séance ou en parallèle. Les trois parti- (l. 4), « adserentes » (l. 5) et « consecraverunt » (l. 5), de l’autre.
cipes sont au présent. Ils indiquent une concomitance entre 2. Voir la traduction.

Comprendre
1. Deux cultures, autres que romaine, apparaissent dans les 2. L’on peut dégager deux facteurs à l’origine du syncrétisme
trois documents de la page. La première citée dans le texte dont attestent les documents. Le premier tient à la personne
de l’Histoire Auguste est la culture grecque. Le texte évoque même de l’empereur Hadrien. Hadrien, empereur romain,
en effet la demande faite par l’empereur Hadrien aux Grecs tient son surnom de « philhellène » en raison de son amour
(« Graeci », l. 4) de diviniser Antinoüs (« eum consecracerunt », de la culture grecque. Au cours de ses nombreux voyages
l. 5). La mention du don oraculaire prêté à la personne déifiée dans tout l’Empire, il séjourne à trois reprises à Athènes. Le
d’Antinoüs renvoie à la place occupée par les oracles en Grèce. dernier séjour eut lieu avant de se rendre en Égypte en 130.
Notons aussi que la seule mention du nom de « Ptolémée », au Il réforme les institutions athéniennes et surtout lance un
terme du texte de Marguerite Yourcenar, suffit à évoquer la programme de restauration et de construction pour mieux
Grèce. En effet, la dernière dynastie de pharaons était d’ori- attacher les Grecs à l’Empire. La divinisation d’Antinoüs
gine grecque et s’employa à faire rayonner la culture grecque constitue le deuxième élément syncrétique de la page.
depuis l’Égypte. Quant au buste, il présente les canons de la Plus d’une vingtaine de représentations d’Antinoüs égyp-
statuaire grecque classique (front large – car siège de la pen- tisantes du favori d’Hadrien nous sont parvenues. Le buste
sée –, prolongé par le profil rectiligne du nez, menton réduit, du Louvre atteste de cette déification syncrétique. Antinoüs
impassibilité du visage). La culture égyptienne est encore a le visage de la statuaire grecque, les cheveux bouclés à la
plus présente dans l’extrait des Mémoires d’Hadrien. Antinoüs mode impériale romaine (cf. bustes d’Hadrien) et le némès
y reçoit des funérailles égyptiennes. Son corps est fardé, en des Pharaons égyptiens. Il est à lui seule un concentré de tous
partie momifié (l. 6), et conduit sur un char jusqu’à sa tombe les dieux vénérés par Hadrien, romains, grecs puis égyptiens.
« comme un Pharaon » (l. 8). La mention de la « dure coiffe égyp- On peut lire comme un rappel de cette figuration syncré-
tienne » (l. 3) fait écho au némès porté par le buste du Louvre. tique la double comparaison finale de l’extrait de Marguerite
La coiffe, symbole du pouvoir des Pharaons, est reconnais- Yourcenar : « comme un Pharaon, comme un Ptolémée. » (l. 8).
sable à ses rayures. Elle forme un bandeau couvrant le haut De cette divinisation qui puise à de multiples sources ressort
de la tête et descendant sur la poitrine sur laquelle il se rabat l’image d’un homme, préoccupé par l’éternité, en quête d’un
en deux sortes d’ailes. On y distingue le cobra, uræus en latin, absolu. C’est d’ailleurs cette image que Marguerite Yourcenar
dressé et gonflé pour protéger le Pharaon. livre de l’empereur dans son roman.

prolongements
Pour prolonger la découverte de la personnalité complexe ­d’Hadrien et son goût pour les cultures
méditerranéennes, des ateliers de recherche peuvent être proposés à la classe sur la villa que l’empereur a
fait construire à Tivoli. Le Canope et le Serapeum, notamment, fourniront des supports qui permettront de
mettre en perspective l’éclectisme culturel de cet empereur. Les travaux réalisés, s’ils sont réussis, pourront
être réunies sous la forme d’une exposition présentée dans les locaux du CDI.

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 39


au cœur des mots p. 36-37

Étymologie
Mots latins Mots français
princeps : recipere : conceptio : captif
le premier retirer ; recevoir conception « état d’un prisonnier
principium : praecipere : obtenir captiosus : de guerre »
commencement ; en premier ; prescrire trompeur, captivant
principe percipere : captieux « passionnant »
emancipare : s’emparer de ; captivus : captiver
émanciper percevoir captif « attirer l’attention »
capacitas : decipere : captare :
piéger, tromper chercher
capacités
accipere : à prendre
capax :
recevoir
capable

recupare : recouvrer, récupérer Mots étrangers


occupare : occuper kapieren : allemand
capio, is, ere, cepi, captum
kaper : danois
prendre capire : italien

activité 1
TRADUCTION
Pendant qu’une guerre était menée en Numidie contre Jugurtha, les consuls romains M. Marius et Q. Cae-
pio furent vaincus près du Rhône en un grand massacre par les Cimbres, les Teutons, les Tugurins et les
Ambrons qui étaient des peuples germains et gaulois ; ils perdirent même leur camp et une grande partie
de leur armée. La peur de Rome fut grande, presque aussi grande que celle du temps d’Hannibal lors des
guerres puniques, peur que de nouveau les Gaulois ne vinssent à Rome. Marius donc, après sa victoire
contre Jugurtha, fut élu consul pour la seconde fois et on lui confia la guerre contre les Cimbres et les
Teutons. Le consulat lui fut accordé une troisième et une quatrième fois, parce que la guerre contre les
Cimbres traînait en longueur. Mais, lors de son quatrième consulat il eut pour collègue Lutatius Catulus.
Aussi combattit-il les Cimbres et en deux combats tua 200 000 ennemis, en fit prisonniers 80 000 ainsi
que leur chef Teutobodus.

Eutrope propose ici un résumé des guerres menées de 112 (« hostium », l. 10, « des ennemis »). Une autre série d’hypero-
à 101 av. J.-C. par les Romains, à la tête desquels se trouve nymes décrivent les actions inhérentes à la guerre : les proelia
alors à plusieurs reprises Marius (157-86 av. J.-C.). Une série de (« proeliis », l. 10, « les combats ») – que traduit aussi le verbe
termes hyponymes décrivent la guerre dans ses constituants confligere (« conflixit », l. 10, « lutter contre ») –, les prisonniers
matériels. Pour bellum gerere, « faire la guerre », (l’expression (cf. le verbe « cepit », l. 11 ; il faut ici renvoyer les élèves au sché-
se trouve employée au passif dans le texte, « bellum geritur », ma étymologique), les morts, que l’on retrouve dans le texte
l. 1 ; et le mot bellum revient deux autres fois : « bellis », l. 6 à travers le verbe attendu « cecidit » (l. 10, « tuer ») et le terme
et « bellum », l. 8), il faut un « exercitus » (l. 4, « une armée » ; plus rare d’ « internicio » (l. 4, « massacre »). Enfin, une dernière
bien faire remarquer que le terme est masculin en latin), des série de mots décrivent l’issue de la guerre. La défaite est
armes (le mot arma n’est pas présent dans le texte), et des exprimée par les verbes vincere, « vaincre » (au passif dans le
castra (l. 4, « des camps » ; faire remarquer que le mot ne s’em- texte, « victi sunt », l. 3) et perdere, « perdre » (« perdiderunt »,
ploie qu’au pluriel en latin). Il faut aussi faire face à un hostis l. 5), et la victoire par son étymon latin « victoria » (l. 6).


40 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
activité 2
TRADUCTION
Aux temps du règne de Tarquin, venus d’Asie, des jeunes gens de Phocée, une fois en-
trés dans l’embouchure du Tibre, lièrent amitié avec les Romains ; puis, après être partis
avec leurs navires vers les golfes des Gaules les plus reculés, fondèrent Marseille entre les
­Ligures et les nations sauvages des Gaulois, et ils accomplirent ces grandes actions, soit en
se protégeant par les armes contre la sauvagerie gauloise, soit en attaquant à leur tour ceux
par qui ils étaient été attaqués auparavant. […] Donc Marseille fut fondée près de l’embou-
chure du Rhône, dans un golfe retiré, comme dans un coin de mer. Mais les Ligures, jaloux
du développement de leur ville, accablaient par des guerres incessantes les Grecs, qui en
repoussant les dangers brillèrent tellement que, une fois les ennemis vaincus, ils établirent
de nombreuses colonies sur les territoires saisis.

L’historien Justin évoque la fondation de Marseille par les avec les Romains. Toutefois, pour pouvoir assurer le dévelop-
Phocéens (v. 600 av. J.-C.). La première partie du texte (l.  1 pement de la nouvelle cité, ils doivent se protéger (« tuentur »,
à 7) évoque la fondation d’une cité sur un lieu vierge de l. 4). Voilà pourquoi ils ont pris soin aussi que le site soit retiré
toute occupation et à la situation géographique favorable. (« remoto », l. 6). Dans un deuxième temps (l. 7 à 9), les Grecs
Justin souligne le choix judicieux du site de Marseille. C’est colonisent de façon moins pacifique les terres prises aux
un sinus (l. 6, « golfe »), situé près d’un ostium (« ostia », l. 6, Ligures (« in captivis agris », l. 8). Il faut souligner l’adjectif cap-
«  une embouchure  »). La proximité de la mer est indispen- tivus (à rapprocher du participe parfait passif « victis », l. 8), qui
sable pour l’activité commerciale et le développement de la indique la violence de l’acte d’appropriation. Il ne s’agit plus
cité nouvelle. Jusqu’à aujourd’hui, le caractère inoccupé du à proprement parler de fondation, mais d’un essaimage de
site, avant l’arrivée des Grecs, est confirmé par l’archéologie. la cité première, d’une extension de territoire. Voilà pourquoi
Pour ce type de fondation, Justin emploie le verbe consacré Justin emploie de terme le colonia (l. 9) et le verbe constituere
condere (« condidit », l. 3, « fonder »), qui signifie étymologi- (l. 9) au lieu de condere. Autrement dit, les Grecs ne fondent
quement «  mettre ensemble, réunir  ». Les intentions paci- plus, ils s’établissent chez les Ligures.
fistes des Grecs sont soulignées par l’amicitia (l. 2) qu’ils lient

activité 3
Au moment où Ausone écrit (IVe s.), Trèves est l’une des capi- cum- et du nom merx qui signifie « marchandise ». C’est bien
tales impériales. Elle fait alors partie de la Gaule du Nord. La l’idée d’échange que contient le mot. Trèves donne autant
ville est prospère d’abord parce qu’elle est en paix. Le mot qu’elle reçoit. L’énumération des verbes « alit, vestit, armat »
« pacis » est mis en évidence par son rejet au troisième vers, (v. 4 « nourrit, habille, arme ») décrit l’activité économique au
auquel fait écho l’adjectif « secura » (« en sureté »). L’adjectif sein de la cité, tandis que les deux derniers vers évoquent les
« tranquillo » (v. 6) employé pour caractériser le trafic fluvial importations (« vectans », v. 6) par voie fluviale (« amne », v. 6).
sur la Moselle contribue également à signifier la sérénité dont Enfin, Ausone use des distances comme preuves de la pros-
bénéficie la ville. Cette paix est garantie par un imposant périté de Trèves. Les produits qui arrivent viennent de très
système défensif. Ce sont les «  lata… moenia  » («  épaisses loin (« longinqua », v. 7) et sont transportés sur un fleuve qui
murailles ») qu’évoque Ausone au vers 5. C’est ensuite le com- est large (« largus », v. 6), comme est vaste la surface qu’occupe
mercium (« commercia », v. 7) qui assure son essor à la ville. le territoire de la ville sur la colline (« extentum… collem », v. 5).
Rappelons que le mot commercium est composé du préfixe

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 41


grammaire Le participe p. 38-39 memento

G p. 193
Le participe fait l’objet de la première leçon parce qu’il est un ressort fondamental de la langue latine.
La fréquence d’emploi du participe s’explique par l’usage de l’apposition en indo-européen, manifestation de
l’autonomie des mots dans la phrase. Il s’agit donc de sensibiliser les élèves, très tôt dans l’année, à la nature mor-
phologique particulière de cette forme grammaticale.

étape 1 Pour aller plus loin


•Le participe pugnantes se rapport au nom masculin pluriel - mittunt : présent actif de l’indicatif
- miserunt : parfait actif de l’indicatif
milites, et le participe victi au nom masculin pluriel hostes.
- mittent : futur actif de l’indicatif
•Les participes s’accordent comme des adjectifs.
•Pugnantes : masc., pl., accusatif ; victi : masc., pl., nominatif • Le participe à entourer dans les phrases est petituros. Il
est au futur.
• Le participe est une forme ambivalente. Il se présente
• Dans les trois phrases, le participe futur indique une
comme une forme verbale par sa formation et une forme
action à venir, postérieure à l’action du verbe principal.
nominale par sa déclinaison.
• Les temps du participe obéissent à la concordance des
étape 2 temps. Le latin emploie le participe présent pour indi-
quer une action simultanée par rapport au verbe prin-
L’essentiel cipal, le participe parfait passif pour indiquer une action
condentes G présent actif G radical du présent (cond-) ; antérieure, le participe futur pour indiquer une action
conditas G parfait passif G radical du supin (condit-) ; postérieure.
condituros G futur actif G radical du supin (condit-).

Réponses aux exercices

1. Temps Genre Cas Nombre


milites pugnaturos Futur actif masculin Accusatif pluriel

urbi obsessae Parfait passif féminin Datif singulier

duce non fugiente Présent actif masculin Ablatif singulier


N. – G. singulier
agressus exercitus Parfait passif masculin
N. – Acc. pluriel
bellum gerens consul Présent actif masculin Nominatif singulier

victis hostibus Présent actif masculin D. – Abl. pluriel

2. a) Fonction : épithète/ Le vainqueur possède maintenant (l. 3). Sa fonction explique qu’il a été traduit par le participe
ces fameuses villes vaincues. présent épithète « coulant » (l. 7).
b) Fonction : attribut/ Ces fameuses régions ont été prises par - Le participe facta (l.  8) est conjugué au parfait passif. Il
un grand chef. est susbtantivé. Voilà pourquoi il a été traduit par le nom
c) Fonction  : épithète/ Tous avaient fui les barbares qui « actions » (l. 9).
criaient.
4. Le participe repugnantes (l. 2) est un participe présent subs-
d) Fonction  : attribut/ Les Romains ne veulent pas voir
tantivé, à l’accusatif masculin pluriel, COD du verbe vincere. Il
Hannibal envahir l’Italie.
indique la concomitance des actions.
3. - Le participe ausus (l. 2) est conjugué au parfait passif. Il - Le participe conditam (l. 3) est un parfait passif, à l’accusatif
est attribut du sujet Caesar Augustus (l. 3). Il fait partie de la féminin singulier, épithète du nom propre Romam. Il indique
périphrase verbale que constitue le parfait du verbe dépo- l’antériorité de la fondation de Rome.
nent audere. Voilà pourquoi il a été traduit par le passé simple - Le participe regnante (l. 4) est un participe présent, à l’ablatif
« osa » (l. 3). masculin singulier, épithète du nom propre Romulo. Il consti-
- Le participe clusum (l.  4) est conjugué au parfait passif. Il tue avec lui un ablatif absolu. Traduction :
est épithète et se rapporte au nom Janum (l. 4). Sa fonction La culture grecque l’emportait aussi sur nous dans tout genre
explique qu’il a été traduit par le participe passé épithète littéraire ; domaine dans lequel il était facile de vaincre des
« fermé » (l.4). hommes qui ne résistaient pas. En effet, quand chez les
- Le participe conversus (l.  6) est conjugué au parfait passif. Grecs la catégorie des poètes est la plus ancienne parmi les
Il est épithète et se rapporte au nom sous-entendu Caesar gens cultivés, si du moins Homère et Hésiode vivaient avant
Augustus (l. 3). Sa fonction explique qu’il a été traduit par le la fondation de Rome, (et) Archiloque, sous le règne de Ro-
participe passé épithète « tourné » (l. 6).
mulus, ce n’est qu’assez tardivement que nous, nous avons
- Le participe fluens (l. 7) est conjugué au présent. Il est épi-
thète et se rapporte au nom sous-entendu Caesar Augustus
appris la poésie.


42 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
grammaire Le complément d’objet au génitif, p. 40-41 memento
au datif et à l’ablatif G p. 193
La découverte des compléments d’objet exprimés à un autre cas qu’à l’accusatif, vu au collège et en seconde,
donne l’occasion de revoir le système des cas, sans cesse à réactiver auprès des élèves.
étape 1 • Les tribuns de la légion donnent leur(s) solde(s) aux soldats dans le camp.
• En latin, la fonction des mots n’est pas indiquée par leur place mais par leur cas, identifiable au moyen
de la terminaison. Il est donc possible de placer les mots à n’importe quelle place dans la phrase.
• En latin, l’accusatif correspond au COD.
2
Dux deest/ praeest/ prodest militibus. •
étape Romani fruuntur/ vescuntur pace.

• Memini victoriarum • Hostes aemilantur/ imminent/ Caesar potitur/ utitur imperio.
tuarum.
insidiantur/ nocent Romanis. • Populi maerent/ dolent bello,
• Obliviscor sed gaudent/ gloriantur pace.
cladium mearum. • Dux confidet/ ignoscit/ parcet/ • Urbs abundat divitiis, sed milites
occurrit militibus.
carent/ egent/ indigent cibo.
Cas Cas Cas
Génitif Datif Ablatif
Nuances exprimées Nuances exprimées Nuances exprimées
• le souvenir • le manque ou l’utilité • la jouissance, la possession, l’usage
• l’oubli • l’hostilité • les sentiments
• bienveillance
la • l’abondance ou la privation.

étape 3 Pour aller plus loin


• Les mots en rouge auxilio et dono traduisent une attention (aide ou don) à l’égard d’un autre (Romains ou
peuple). Ils sont au datif.
•Les mots en vert Romanis et populo désignent les personnes qui sont l’objet de cette attention. Ils sont
au datif.
•Il arrive que le latin emploie un double datif pour désigner d’une part la personne (Romanis, populo) pour
qui est faite l’action, et de l’autre le but de cette action (auxilio, dono).

Réponses aux exercices


1. a) Le mot bellum dépend du verbe paenitet qui se construit f) Datif de la personne : toti orbi (terrarum) – datif du résultat :
avec le génitif, donc belli. admirationi odioque.
b) Les mots omnis et Hispania dépendent du verbe imminet La majesté de Rome était un sujet d’admiration et de haine
qui se construit avec le datif, donc omni Hispaniae. pour le monde entier.
c) Le mot majestas dépend du verbe oblitus sum qui se
3. Les deux compléments au génitif à entourer sont ejus et
construit avec le génitif, donc majestatis.
cicatricum harum et les deux verbes dont ils dépendent sont
d) Le mot qui, quae, quod dépend du verbe gloriari qui se
pudet et paenitet.
construit avec l’ablatif, donc quibus.
Le datif de la personne est mihi et le datif exprimant la consé-
Les mots qui, quae, quod et ipse, a, um dépendent des verbes
quence est impedimento. Traduction :
pudere et paenitere qui se construisent avec le génitif, donc
cujus et ipsius. Alors, «  cela aussi, dont vous riez, dit-il, je l’ai en restant à
e) Les mots victoria et transitus dépendent du verbe laetaban- cheval jours et nuits, et je n’en ai pas plus de honte ni de regret
tur qui se construit avec l’ablatif, donc victoria et transitu. de cela que de ces cicatrices, puisqu’il ne m’a jamais été un
obstacle pour bien servir la République en temps de paix et en
2. a) Datif de la personne : consuli – datif du but : auxilio. temps de guerre ».
Le Sénat envoie du secours au consul.
b) Datif de la personne  : Romanis  – datif du résultat  : 4. Le datif huic sceleri dépend du verbe obstat. Le datif dignita-
impedimento. ti dépend du verbe parcite. Les datifs famae suae, dis, homini-
Les peuples barbares sont une cause d’empêchement pour bus ullis dépendent de pepercit. Le datif adulescentiae dépend
les Romains. du verbe ignoscite. Traduction :
c) Datif de la personne : legionibus – datif du but : auxilio. Bien sûr le reste de leur vie contredit leur crime. Alors épar-
Les alliés vinrent en aide aux légions. gnez la dignité de Lentulus, si jamais lui-même a épargné sa
d) Datif de la personne : militibus – datif du résultat : gaudio. pudeur, sa réputation, les dieux ou les hommes. Pardonnez la
La victoire état une source de joie pour les soldats. jeunesse de Céthégus, s’il n’a pas fait deux fois la guerre à sa
e) Datif de la personne : Romano populo – datif du résultat :
patrie. Et que dirais-je en effet de Gabinius, de Statilius, de
gloriae.
Céparius ?
Les nouvelle colonies seront une source de gloire pour le
peuple romain.

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 43


grammaire Le locatif, l’expression du lieu p. 42-43 memento
spécialité et du temps (cas difficiles) G p. 180
Cette leçon de grammaire fait travailler les compléments circonstanciels de lieu et de temps, inscrits au pro-
gramme de première, en faisant des découvrir les cas difficiles (étape 1 et deuxième partie de l’étape 3), inscrits
au programme de la spécialité.
b) Caesar e Gallia redit. (ablatif) / Caesar in Gallia est. (ablatif) /
étape 1
Caesar in Galliam it. (accusatif)
• Les Romains sont en guerre – Les Romains sont en cam- c) Caesar ex ipsa Roma redit. (ablatif) /Caesar in ipsa Roma est.
pagne – Les ennemis sont à terre. (ablatif) /Caesar in ipsam Romam it. (accusatif)
• Les mots en rouge sont à traduire par des compléments cir- •
Quand un nom propre de ville est accompagné d’un déter-
constanciels de lieu. minant (ou d’une qualification), une préposition est néces-
• Les élèves ont appris que les compléments circonstanciels saire pour introduire le complément de lieu.
sont habituellement traduits par l’ablatif.
• Le mot « locatif » vient du mot locus qui signifie « lieu ». Cet étape 3
ancien cas est donc destiné à désigner le lieu ou la situation
où l’on se trouve. L’essentiel
étape 2

Le complément Idibus Martiis exprime une date, il est
à l’ablatif.
• La nature de ces mots est : a) Un nom propre ; b) un groupe •
Le complément per septem annos exprime une durée, il
prépositionnel composé d’une préposition et d’un nom est à l’accusatif
propre ; c) Un groupe prépositionnel composé d’une préposi-
tion, d’un déterminant et d’un nom propre. Pour aller plus loin
• écrire sous chaque mot en rouge (nuance de gris) la fonction. •
Le premier complément exprime une date, le second
a) Caesar Roma redit. (ablatif) / Caesar Romae est. (locatif) / une durée.
Caesar Romam it. (accusatif)

Réponses aux exercices


1. a) Cleopatra vixit Alexandriae (locatif). Gallia (l. 5), in Bagiennis (l. 7) indiquent le lieu où l’on se trouve.
b) Hannibal navigat Carthaginem (accusatif). Seul le complément extra Italiam (l.  4) peut être envisagé
c) Caesar iter facit per Alpes ad Galliam (accusatif). comme une direction.
d) Catilina procedit rure (ablatif) Romam (accusatif). • Tous les compléments de temps sont à l’accusatif, mais
e) Hadrianus sedit Athenis (ablatif). contrairement à la loi générale, ils expriment tous une date.
f) Æneas fugit Troja (ablatif) mari (ablatif).
TRADUCTION
2. a) CC de temps à entourer : mense Julio, Kalendis Januariis Alors que Cassius Longinus, et Sextius Calvinus, qui vain-
CC de lieu à entourer : Romae quit les Sallues près des sources qui grâce à lui sont appe-
À Rome, les deux consuls étaient élus au mois de Juillet, aux
lées Sextiennes, étaient consuls, fut fondée la colonie de
Calendes de Janvier, ils entraient en fonction.
b) CC de temps à entourer : jam sextum decimum Fabrateria, il y a cent cinquante-trois ans environ. L’année
CC de lieu à entourer : in Italia, Carthaginem suivante furent fondées Scolacium Minervium, Tarentum
Hannibal luttait déjà depuis six ans en Italie quand il fut rap- Neptunia et en Afrique Carthage qui, comme nous l’avons
pelé à Carthage. dit, fut la première colonie fondée hors d’Italie. Pour Der-
c) CC de temps à entourer : novem annos tona, nous sommes en désaccord, mais Narbonne en Gaule
CC de lieu à entourer : in Gallia fut fondée sous le consulat de Porcius et de Marius, il y a
Jules César fit la guerre pendant neuf ans en Gaule. environ cent cinquante-six ans. Vingt-trois ans après, Epo-
d) CC de temps à entourer : anno tricesimo uno ante Christum rédia fut fondée chez les Bagiennes, l’année où Marius fut
CC de lieu à entourer : apud Actium consul pour la sixième fois avec Valérius Flaccus. Il ne se-
Octave lutta contre Antoine à Actium en 31 avant J.-C. rait pas facile de rappeler à ma mémoire quelle colonie fut
e) CC de temps à entourer : abhinc duo milia quingentos annos
fondée après cette date, si elle n’est pas de nature militaire.
CC de lieu à entourer : in Europa
Cela fait depuis deux mille cinq cents ans que l’Empire Romain
s’est écroulé en Europe.
3. Les compléments circonstanciels de lieu à entourer sont :
apud aquas (l. 1), in Africa (l. 4), extra Italiam (l. 4), in Gallia (l. 5),
in Bagiennis (l. 7).
Les compléments circonstanciels de temps à entourer sont :
abhinc annos ferme centum quinquaginta tres (l.  2-3), post
annum (l.  3), abhinc annos circiter centum quadraginta sex
(l. 5-6), post duodeviginti annos (l. 6), sextum (l. 7), post hoc tem-
pus (l. 8).
• Les compléments de lieu apud aquas (l. 1), in Africa (l. 4), in


44 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
r
L ' A T E L I E R du traducteu p. 44-45

Comment la Grèce devint province romaine


Le texte proposé permet de réinvestir les acquis portant sur le sous-thème «  colonisations et conquêtes en
Méditerranée », ainsi que le lexique et les points grammaticaux abordés dans le chapitre.

étape 1
Critolaus causa belli, qui libertate a Romanis data adversus ipsos usus est, legatosque Romanos,
dubium an et manu, certe oratione violavit. | Igitur Metello ordinanti tum maxime Macedoniam
mandata est ultio ; et hinc Achaicum bellum. | Ac primam Critolai manum Metellus consul per
patentes Elidis campos toto cecidit Alpheo. | Et uno proelio peractum erat bellum ; jam et urbem
ipsam terrebat obsidio; sed – fata rerum – cum Metellus dimicasset, ad victoriam Mummius venit.

• Les lieux Metellus (l. 2 et 4) : est l’un des deux consuls romains. La pre-
mière occurrence du mot est COI (l. 2) et la seconde est sujet
Macedoniam (l. 3) : région du Nord de la Grèce. Le mot est à
l’accusatif qui correspond ici en COD. de la troisième phrase (l. 4).
Achaicum (l. 3) : l’Achaïe se trouve au centre du Péloponnèse. Mummius (l. 6) : est l’autre consul. Le nom est sujet du dernier
Ici, il s’agit de l’adjectif épithète qui se rapporte au nom bellum verbe du texte.
Elidis (l. 4) : région du Péloponnèse. Le nom est ici complé- Sur la carte, en fonction de leur degré de compréhension de
ment du nom campos. leurs premières lectures du texte, les élèves placent Critolaus
Alpheo (l. 5) : fleuve du Péloponnèse. Le nom est ici complé- au niveau de la ligue achéenne, Métellus au niveau de la
ment circonstanciel de lieu. Macédoine. D’une flèche, ils/elles indiquent son déplace-
• Les acteurs ment en Achaïe et d’une croix sa défaite contre Critolaus en
Élide, près de l’Alphée. Depuis l’Italie, par la mer Ionienne, ils/
Critolaus (l. 1) : est un grec, chef de la Ligue achéenne. Le nom
est le sujet de la première phrase. elles indiquent l’arrivée de Mummius et d’une croix sa victoire
contre Critolaus à Corinthe.

étape 2
Connecteurs Sujets Verbes
Phrase 1 -que (l. 2) Critolaus (l. 1) est (l. 1, sous-entendu)
– et (l. 2) – qui (l. 1) – usus est (l. 1) – violavit (l. 2)
Phrase 2 igitur (l.2) ultio (l. 2) mandata est (l. 2)
– tum (l. 3) – hinc (l. 3) – bellum (l. 3) – est (l. 3, sous-entendu)
Phrase 3 ac (l. 4) Metellus consul (l. 4) cecidit (l. 4)

étape 3
utor, eris, i, usus sum : utiliser, user de – dubium an : peut-être – manus, us, f. (l. 1 et 4) : force – maxime : précisément
– mando, as, are, avi, atum : confier – ultio, onis, f. : vengeance – patens, entis : ouvert – campus, i, m. : plaine – caedo,
is, ere, cecidi, caesum : tomber – perago, is, ere, egi, actum : achever – obsidio, onis, f. : siège – fatum, i, n. : destin,
fatalité

étape 4
Critolaus fut cause de la guerre,
lui qui usa de la liberté accordée par les Romains contre eux
et qui, peut-être aussi par la force, assurément par le discours, outragea les ambassadeurs romains.
Donc la vengeance fut confiée à Métellus qui était alors en train d’organiser précisément la Macédoine ;
et de là éclata la guerre d’Achaïe.
Et le consul Métellus tomba en premier sur la troupe de Critolaus à travers les plaines ouvertes de l’Élide, tout
le long de l’Alphée.
Et en un seul combat la guerre fut achevée ; et déjà la perspective d’un siège terrifiait la ville elle-même ;
mais – fatalité des événements – alors que Métellus avait combattu, Mummius vint chercher la victoire.

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 45


r
L ' A T E L I E R du traducteu p. 46-47

L’indéniable rayonnement culturel de la pensée grecque


Le texte proposé permet de réinvestir les acquis portant sur le sous-thème « D’une rive à l’autre : échanges cultu-
rels, influences réciproques », ainsi que le lexique et les points grammaticaux abordés dans le chapitre.

étape 1
PHRASE 1 • Phrase simple
Sujet Verbe COD
Pythagorae praecepta, edunt recentes et floridos fructus
Democriti, Platonis,
Aristotelis ceterorumque sapientium

PHRASE 2 • Phrase complexe


Subordonnée relative sujet Verbe 1 COD 1
E quibus qui a teneris habent optimos [...] sapientae sensus
aetatibus doctrinarum
abundantia satiantur
COD 2
Verbe 2 humanitatis mores, aequa jura, leges
instituunt

une subordonnée relative complète le COD 2


quibus absentibus nulla potest esse civitas incolumis
PHRASE 3 • Phrase complexe
Subordonnée de cause Subordonnée infinitive 1
Cum ergo tanta munera palmas et coronas his tribui
ab scriptorum prudentia dont dépend
Verbe
privatim publiceque fuerint
arbitror un impersonnel Subordonnée infinitive 2
hominibus praeparata d’obligation decerni triumphos
oportere
Subordonnée infinitive 3
inter deorum sedes eos dedicando judicari

étape 2 étape 3
industria, ae, f. : application – recens, entis : actuel – floridus, a, Les élèves émettent sous la forme d’un résumé une hypo-
um : florissant – edo, edis/es, edi, edere/esse, esum : produire – thèse de lecture. Il faut les inviter à employer le plus de mots
aestas, atis, f. : jeunesse – abundantia, ae, f. : richesse – satio, as, latin possible pour les aider à préciser leur compréhension.
are, avi, atum : se nourrir – sensus, us, m. : pensée – incolumnis, e :
intact, durable – munus, eris, n.  : bien – arbitror, aris, ari,
atus sum  : penser – tribuo, is, ere, bui, butum  : attribuer –
oportet, ere : il faut – sedes, is, f. : siège

étape 4
Mais les préceptes de Pythagore, de Démocrite, de Platon, d’Aristote et de tous les autres sages, quotidiennement
cultivés dans des applications permanentes non seulement pour leurs concitoyens, mais pour tous les peuples,
produisent des fruits actuels et florissants.
Ceux qui, depuis leur tendre jeunesse, se nourrissent de la richesse extraite de leurs doctrines,
possèdent les pensées très bonnes de la sagesse,
et établissent pour leurs cités des mœurs humaines, des règles de droit justes, des lois,
sans lesquels aucune cité ne peut durer.
Donc, puisque de si grands biens, par la sagesse des écrivains, ont été mis à la disposition des hommes pour leur
vie aussi bien privée que publique,
non seulement je pense qu’il faut leur attribuer des palmes et des couronnes,
mais aussi leur décerner des triomphes et leur adjuger en les consacrant des sièges parmi les dieux.


46 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
folio
construire mon port p. 48-49

Diptyque iconographique
Le premier exemple de portfolio proposé à la réalisation est un diptyque iconographique, plus accessible en début
d’année que le diptyque textuel. Il met ici en en résonance deux représentations de la paix, l’une est l’un des bas-
reliefs de l’Ara Pacis, l’autre un tableau de Pablo Picasso. L’étude comparée des deux représentations amène les
élèves à apprécier les variations d’un même motif allégorique, dans sa figuration, comme dans sa symbolique.
Voir l’analyse détaillée de l’Ara Pacis sur le site Méditerranées :
http://mediterranees.net/histoire_romaine/empereurs_1siecle/auguste/arapacis.html
Voir également sur le site de la CNARELA :
http://www.cnarela.fr/LinkClick.aspx?fileticket=QGmCuaZVL7g%3D&tabid=156&language=fr-FR
Voir la présentation de la chapelle de Vallauris sur le site des Musées nationaux des Alpes-Maritimes :
http://musees-nationaux-alpesmaritimes.fr/picasso/p-la-chapelle

a ÉTAPE 1 :
Des deux œuvres se dégagent une atmosphère à la fois se- leur emplacement, les deux œuvres revêtent aussi une di-
reine et joyeuse. On y perçoit une même volonté de célébrer mension sacrée. L’œuvre antique est une représentation de
la vie en temps de paix. C’est donc de façon extrêmement la pietas romaine à travers les figures fondatrices (Énée, Mars,
concrète, par le biais de l’allégorie, que la paix est célébrée. Vénus ?, Remus, Romulus, la louve) et l’image allégorique de
Il est à noter également que les deux représentations font Rome. C’est dans un lieu sacré que Picasso a choisi d’installer
partie d’un ensemble. L’Ara Pacis comporte des frises proces- son œuvre allégorique. Enfin, la taille des œuvres (11 x 12 m
sionnelles et d’autres panneaux allégoriques. La fresque de pour le périmètre de l’autel antique avec une hauteur de 6 m ;
Picasso est constituée de deux grandes peintures qui se font 4,70 x 10,20 m pour les fresques de Picasso) leur confère un
face sur chacune des deux parois de la chapelle de Vallauris. caractère monumental qui invite au respect.
L’une représente la guerre, l’autre la paix. Par leur nature et

a ÉTAPE 2 :
La volonté augustéenne d’instaurer un nouvel âge d’or ap- après trois ans d’absence. L’autel fait partie d’un complexe
paraît de la façon la plus nette dans le relief représentant la édifié de chaque côté de la via Flaminia, au nord du Champ de
Tellus Mater. Cette figure allégorique a aussi été identifiée Mars. Il est constitué d’une enceinte à ciel ouvert de 6 mètres
à Vénus, la mère divine d’Énée et ancêtre de la Gens Julia à de hauteur, comportant deux entrées, l’une devant, princi-
laquelle est rattaché Auguste. D’autres y voient la Paix qui pale, et l’autre derrière. L’autel fut consacré le 30 janvier 9 av.
donne son nom à l’autel, la Pax Augusta. La divinité, assise sur J.-C., jour anniversaire de Livie, l’épouse d’Auguste.
un rocher, porte une tunique très fine (chiton). Elle est coif- Après la Deuxième Guerre mondiale, Pablo Picasso, très atta-
fée d’une couronne de fleurs et de fruits et porte un voile. ché à la Méditerranée, décide de s’installer sur la Côte d’Azur.
Elle est entourée par deux nouveau-nés ou deux amours ou Il vit successivement à Cannes, Mougins, Antibes et à Vallauris
Remus et Romulus. L’un cherche son sein, l’autre lui tend une où il séjourne de 1948 à 1955. Il y peint sa fresque intitulée La
pomme, ce qui irait dans le sens d’une identification à Vénus. Guerre et la Paix en 1952-1953. C’est en 1954 qu’il fait le choix
Sur ses genoux, sont répandus une grappe de raisins et des de l’installer dans la chapelle de Vallauris, séduit par la valeur
grenades, qui, avec la couronne de fleurs et de fruits, favo- symbolique du lieu, inauguré en tant que musée en septembre
risent une identification à la Terre-Mère. La présence d’un bo- 1959. Il s’agit d’un édifice étroit, constitué d’une nef unique voû-
vin et d’un ovin vont dans le même sens. De part et d’autre de tée. Ce choix s’inscrit dans une redécouverte de l’art sacré dans
la figure centrale, deux jeunes femmes seraient des allégories les années 1950. L’influence cubiste est nettement perceptible
des vents, les Aurae velificantes. L’une, montée sur un dragon dans le traitement des corps. L’inversion fantaisiste des pois-
marin, symboliserait les vents marins, l’autre, montée sur un sons qui se trouvent dans la cage, et des oiseaux dans le bocal,
cygne, les vents terrestres. Leur identification fait aussi débat. peut être analysée comme un effet surréaliste. Le traitement
La construction du monument commémoratif de l’Ara Pacis des couleurs rappelle celles de Matisse, lui rend hommage. Le
fut décidée le 4 juillet 13 avant J.-C. par le Sénat en l’honneur matériau choisi est l’isorel, suffisamment flexible pour s’adap-
d’Auguste et de son retour victorieux d’Espagne et de Gaule, ter à la voûte et protecteur contre l’humidité de la chapelle.

a ÉTAPE 3 :
Dans la représentation antique, la paix est associée à l’âge sents aussi sur les genoux de la divinité de l’Ara Pacis. Mais,
d’or. La Terre, fertile, offre généreusement et abondamment plus que le vert, c’est le bleu qui domine sur la fresque. Ce
la nourriture dont ont besoin les hommes. Sur le bas-relief, bleu rappelle la Méditerranée et les plaisirs de la mer. L’eau est
la végétation (plantes, céréales, fruits) est diverse et abon- aussi présente sur le bas-relief, plus discrète, symbolisée en
dante. Sur les autres panneaux de l’Ara Pacis, l’exubérance bas à gauche par l’urne renversée, qui signale une eau douce
de la végétation symbolise cette renaissance du monde. La et fertilisante. Parmi les évocations traditionnelles de la paix
végétation est présente aussi sur la peinture de Picasso. Un (danse, musique, jeu), Picasso fait apparaître deux images
pommier se dresse sur une pelouse verte, au pied duquel se modernes à droite du tableau  : une femme cuisine et un
trouvent des feuilles de vigne et des grappes de raisins, pré- homme est en train de lire. D’une façon générale, la fresque

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 47


de Picasso est moins solennelle que le bas-relief. Même si l’on revisite l’allégorie de la paix, mais la volonté de s’inscrire dans
trouve du merveilleux (Pégase, que l’on peut rapprocher du une tradition figurative est ici manifeste.
dragon marin de l’autel), l’allégorie proposée par Picasso est, L’iconographie figurée traduit le programme politique de
d’une façon générale, plus accessible, car elle présente des réconciliation et de renaissance voulu par Auguste après le
scènes ancrées dans la vie quotidienne (jeux, cuisine, lecture). traumatisme des guerres civiles qui mirent fin à la République
La toile de Picasso manifeste des liens évidents d’une part romaine. Elle est un élément de la propagande impériale.
avec l’art rupestre, et de l’autre avec l’art antique. Le peintre D’ailleurs, Auguste et sa famille sont représentés à la suite
reconnaît avoir repris les motifs traditionnels évocateurs de de la procession des prêtres sur le panneau sud. Et comment
la paix (image de la maternité, présence d’enfants, musique les contemporains de la construction de l’autel n’auraient-ils
avec la présence d’un musicien jouant de l’aulos, la double pas vu dans cette allégorie de la Terre entourée de ses deux
flûte antique, danse de jeunes filles), mais il a aussi cherché enfants, Julie, la mère des deux enfants adoptés par Auguste ?
des «  des images fortes, inconcevables  »  : «  Alors, j’ai fait Les deux toiles de la chapelle de Vallauris, La Guerre et la Paix,
nager des oiseaux, voler des poissons, j’ai fait labourer la mer témoignent, après Guernica, en 1937, Le Charnier en 1945,
à Pégase, semer le blé dans le soleil et pousser des oranges et Massacre en Corée, en 1951, de l’engagement de Picasso
dans le jardin des Hespérides. J’ai essayé de représenter ce contre la guerre et en faveur de la paix. L’intention politique
que pouvait devenir un monde sans guerre, comme je le est manifeste. Picasso a adhéré au Parti Communiste en 1944
sentais, avec des images. », propos cités dans l’Humanité, du et assisté à quatre congrès pour la Paix : en 1948 à Wroclaw,
16 juillet 2013. Même si elles sont détournées de leur symbo- en 1949 à Paris, en 1950 à Sheffield et en 1951 à Rome.
lique antique, les images de Pégase et des Hespérides, visent
Auguste et Picasso voulaient donc tous deux que leur réalisa-
à marquer une filiation avec l’art antique. Certes, Picasso, por-
tion fût un lieu d’un culte, l’un pour la gloire de l’Empire et sa
teur de toutes les révolutions artistiques de la fin du XIXe s.
propre gloire, l’un pour défendre la paix.
et du début du XXe s. auxquelles il a participé et contribué,

Proposition de critères d’évaluation


« L’évaluation du portfolio peut se faire par étapes et porter, au libre choix du professeur, sur l’élaboration, la pro-
duction finale ou la présentation orale. » B.O.
Voici une proposition de critères d’évaluation pour chaque étape du travail, de l’élaboration à la production finale.

En amont de la confrontation
Savoir répertorier (bibliographie et sitographie), sélectionner, lire et prendre en notes les documents trouvés
Savoir contextualiser de façon précise les œuvres
Savoir analyser de façon détaillée les œuvres
Être capable d’émettre des hypothèses interprétatives
Savoir confronter ses impressions aux commentaires scientifiques
Pendant le travail comparatiste
Savoir sélectionner et fixer des critères de comparaison
Savoir mener de façon précise la confrontation
Savoir dégager des lignes de force pour organiser la comparaison
Pendant la réalisation
Savoir opérer des choix pour faire ressortir les éléments retenus de la confrontation
Savoir tenir compte du format imposé
Être capable de choisir une organisation claire et dynamique
Faire preuve de créativité

faire le bilan du chapitre


Ce temps de bilan permet de faire le point sur la compréhension et les acquis des élèves sur la chapitre. Sa réali-
sation parachève l’appropriation de l’objet en amenant les élèves à le mettre en perspective. Aux élèves option-
naires, il propose de faire la synthèse de leurs connaissances à travers une activité motivante. Pour les élèves
spécialistes, il constitue un moyen de se préparer en douceur à l’exercice de l’ « essai ».
On attend bien sûr que les élèves suivent les consignes indiquées. Il faudra sans doute les aider à apprécier le degré
de pertinence des illustrations choisies, ainsi que celle de l’organisation de la page. Ils doivent aussi savoir aborder
avec pertinence et justesse les connaissances acquises, notamment celles relatives aux mots-concepts. On veille au
caractère synthétique des textes, même s’il ne faut pas attendre que tous les sous-thèmes de l’objet d’étude soient
abordés. Enfin, un soin particulier doit également être apporté à l’expression et à la correction de la langue.


48 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
évaluation p. 50-51
vers le bac
Éloge de Rome
Par sa très bonne connaissance de la littérature latine des telle que l’ont vécue les Romains ; autrement dit, un support
siècles passés et son amour pour l’Empire romain d’Occident, idéal pour une évaluation. Parce qu’il s’agit d’un premier exer-
Claudien a composé des textes, à la fois classiques par leur cice dans l’esprit de l’examen, de nombreuses notes expli-
écriture et riches historiquement. Bien que le grec soit sa citent les références géographiques et historiques contenues
langue maternelle (il est né à Alexandrie vers 370), Claudien dans l’extrait.
écrit presque naturellement en latin. Ses poèmes politiques Pour rendre encore plus accessible ce premier entraînement,
fournissent un vivier de textes qui donnent l’occasion de faire nous avons nous-mêmes traduit le texte en veillant à suivre
la synthèse de l’histoire antique du bassin Méditerranéen, au plus près le texte latin.

partie 1
A. Lexique
Le mot urbs apparaît dès le premier vers de l’extrait. Il désigne monde connu d’alors. L’image de l’extension des frontières,
d’abord « la ville » par opposition à la citadelle (arx) ou à la employée par Claudien au vers 9 (« Haec est exiguis quae fini-
campagne (rus) ; c’est-à-dire, un lieu où se concentrent des bus orta tetendit »), révèle l’assimilation faite, dès l’Antiquité,
habitations autour desquelles s’établit une vie sociale. En entre la ville de Rome et les territoires conquis. Autrement dit,
cela, le terme est à distinguer de celui de civitas, qui désigne, l’urbs désigne de façon métonymique tout l’Empire, ce qui
à l’origine, une fraction de la population de la ville, celle des constitue la troisième acception du terme. De fait, la ville n’est
citoyens (hommes libres adultes). Dans un autre rapport pas seulement le lieu d’habitation des Romains, elle est aussi
d’opposition, urbs désigne ensuite la ville par excellence, le siège du pouvoir politique, d’où le « consul » (v. 1) Stilichon,
autrement dit «  Rome  ». Dans certaines éditions, le mot, protecteur de Claudien, dirige tout l’Empire : « imperium pri-
employé dans ce sens, prend une majuscule. Née à la suite mique dedit cunabula juris » (v. 8). Par cette domination poli-
d’une fondation attribuée à Romulus, le premier roi de Rome, tique, la ville s’impose également comme le centre religieux.
l’urbs est d’abord un espace sacré, délimité par le poemerium Ne vient-elle pas juste après les dieux (« proxime dis », v. 1),
(cf. p. 10). Cet espace se caractérise par une géographie des- nous dit Claudien ? C’est donc ce statut privilégié de capitale
sinée par la présence de sept collines («  septem scopulis  », du monde, situation unique dans l’histoire, qui définit le mot
v. 6). C’est depuis cet espace contraint que les Romains ont urbs, tel que l’emploie Claudien, et qu’il salue au moyen de
d’abord étendu les limites de la ville (v.  3), puis conquis le l’adjectif laudatif « tantae » (v. 1).

B. Fait de langue
• Deux temps principaux dominent l’extrait : le présent et le • Cette question s’adresse plus spécifiquement aux spécia-
parfait. Claudien dresse à Rome une louange. Il dit combien il listes, qui doivent maîtriser les compléments circonstanciels
admire sa gloire. Les présents renvoient d’abord à l’énonciation de temps, même les plus délicats. Le complément circons-
du texte. L’extrait s’ouvre sur une apostrophe directe à Stilichon tanciel de temps « uno […] tempore » (v. 12) exprime une date.
(« prospicis », v. 1). Les présents des vers 25 à 30 décrivent les Il est à l’ablatif sans préposition. L’ablatif est le cas utilisé en
«  usages pacifiques » qu’offre Rome et dont Claudien et ses latin pour indiquer un temps déterminé. Le complément cir-
contemporains peuvent jouir (« debemus », v. 25, « utitur », v. 26, constanciel de temps « post Cannas […] Trebiamque » (v. 16)
« licet », v. 27, « bibimus », v. 29, « potamus », v. 29, « sumus », v. 30). exprime lui aussi une date. Il est l’accusatif parce que la pré-
Mais Claudien cherche aussi à inscrire la ville dans un présent position post appelle ce cas. Ces deux compléments prennent
d’éternité. Ce sont tous les présents qui décrivent la magni- place dans l’évocation des guerres puniques du IIe  siècle
ficence de Rome au début de l’extrait («  complectitur  », v.  2, av. J.-C. Rappelons que les batailles livrées à la Trébie et à
« capit », v. 4, « conserit », v. 5, « imitatur », v. 6). Le futur à valeur Cannes contre les Carthaginois, conduits par Hannibal, sur le
prophétique « erit », au vers 31, participe de la même intention. sol romain, furent les pires défaites pour Rome. Loin de pas-
Conformément à la rhétorique de l’éloge, Claudien retrace ser sous silence, ces moments moins glorieux, Claudien les
l’épopée de l’expansion de Rome, de la ville du Latium aux évoque pour mieux faire ressortir la manière dont les Romains
lointaines frontières de l’Orient. Cette histoire est maintenant ont su vaincre l’adversité, grâce à leur constantia (persévé-
accomplie, d’où l’emploi des parfaits (« fundit », v. 7, « dedit », rance). Le premier complément de temps « uno […] tempore »
v. 8, « tetendit », v. 9, « dispersit », v. 11, « succubuit », v. 15, « stetit », (v. 12), en insistant par l’emploi du déterminant sur la concomi-
v. 19, « quaesivit », v. 20, « recepit », v. 21, « fovit », v. 22, « vocavit », tance des combats, met en valeur non seulement la patientia
v. 23, « revinxit », v. 24), comme est acquise la chute des empires (résistance) des soldats romains, mais aussi l’ingenium de leurs
qui ont précédé la domination romaine (« vertit », v. 31, « ceci- chefs à lutter contre plusieurs ennemis (Ibères, Sicules, Gaulois,
dit », v. 34, « ademit », v. 34, « tulit », v. 35, « subjectit », v. 36). C’est Carthaginois). De façon habile, Claudien insère le comparatif
sur cette valeur d’achèvement du parfait que s’appuie le poète major au sein même du second complément circonstanciel
pour proclamer la grandeur de Rome. Notons pour finir que (« post Cannas major Trebiamque », v. 16) pour montrer la rapi-
deux imparfaits de l’indicatif (« fremebat », v. 16, « mittebat », dité avec laquelle les Romains surent réagir après ces deux
v. 18) indiquent la durée d’actions plus longues. Les imparfaits terribles défaites. Cette attitude manifeste tout à la fois leur
du subjonctif des vers 11 et 17 (« gereret », v. 11, « caperet », v. 13, virtus et leur prudentia. C’est donc bien parce qu’ils marquent
« obsideret », v. 13, « prosterneret », v. 14, « premerent », v. 17, « feri- un retournement des destins en faveur de Rome que Claudien
ret  », v.  17) s’expliquent par la concordance des temps. Tous mentionne ces événements, comme des dates-clés.
les imparfaits signalent des actions simultanées, menées par
Rome sur plusieurs fronts au temps de la République romaine.

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 49


partie 2
Choix 1
Jamais il n’y aura de borne à la domination romaine, car le luxe sous l’effet des vices, l’orgueil pour les haines
qu’il provoque, ont changé les autres états : ainsi le Spartiate a vilainement brisé la glorieuse Athènes et à son
tour il est tombé sous la main de Thèbes ; ainsi le Mède a ravi à l’Assyrien son empire et le Perse l’a pris au
Mède ; le Perse a été soumis par le Macédonien, pour lui-même céder aux Romains.

Choix 2
Dans l’introduction, il est possible de faire émerger le ques- centrale de cette « mer au milieu des terres » explique qu’elle
tionnement au moyen de l’étymologie même du mot a été, et reste toujours, un lieu de conflits, d’influences et
« Méditerranée ». L’adjectif mediterraneus signifiant « qui est d’échanges (pour reprendre les trois termes contenus dans
au milieu des terres » est apparu tardivement. S’il est attes- l’intitulé de l’objet d’étude). Dès lors, la réflexion peut s’orga-
té chez Cicéron ou César, on le trouve associé au mot mare niser autour de l’expression « carrefour stratégique et cultu-
qu’au IIIe siècle dans le De mirabilibus mundi du grammairien rel  » (cf. programme). Nous proposons quelques pistes qui
géographe Solinus. Mais c’est Isidore de Séville qui au début s’appuient sur les textes et les documents du chapitre.
du VIIe s. lance la généralisation du terme en soulignant la
puissance évocatrice de son étymologie. De fait, la position

1. La Méditerranée, un espace à s’approprier (enjeu stratégique)


A. Des colonisations successives
- période antique : exemples puisés dans les colonisations phéniciennes (p. 19), grecques (p. 20)
ou romaines (p. 22, p. 44)
- période moderne et contemporaine : colonisation de l’Algérie par la France (p. 23)
B. Des colonisations de nature différente
- période antique : les comptoirs phéniciens rattachés à leur métropoles (p. 19), l’indépendance
des colonies grecques (p. 21 et texte de Justin, p. 37), les implantations romaines (p. 24)
- période moderne et contemporaine : la notion de nation unique dans le texte de Claudien (v. 25-30),
ouverture sur débat sur la colonisation en générale (p. 22 et 23),

2. Qui en fait un lieu de conflits (enjeu politique)


A. La Méditerranée, lieu de convoitise
- période antique : mainmise de Denys de Syracuse sur l’Italie du sud (p. 21), origine des guerres puniques (p. 24),
évocation de la conquête du bassin méditerranéen (texte de Claudien, v. 9-11)
- période moderne et contemporaine : œuvre de Jean Denant (p. 17), importance économique
de la Méditerranée dans le texte de Jacques Attali et la photo du port du Pirée (p. 27)
B. Car dominer la mer, c’est dominer le monde
- période antique : élimination de la piraterie par Pompée pour sécuriser les voies maritimes (p. 26),
bataille d’Actium qui marque l’avènement de l’Empire (p. 16, p. 28), texte de Claudien (v. 12 à 20)
- période moderne et contemporaine : les causes de la guerre en Syrie évoquées dans le texte
de Jacques Attali (p. 27)

3. Mais aussi un lieu d’échanges (enjeu culturel)


A. Lieu d’influences
- période antique : influence de l’art grec en Grande Grèce (p. 20-21), de la culture grecque à Rome (p. 30 et 32),
culte d’Isis à Rome et égyptomanie (p. 34)
- période moderne et contemporaine : l’orientalisme (poème de Hugo et tableau de Benjamin-Constant, p. 31),
le roman des Mémoires d’Hadrien (p. 35)
B. Mais aussi lieu d’acculturation
- période antique (notion de syncrétisme) : rayonnement de la pensée grecque à Rome (p. 46), dédicace
du pilier des Nautes (p. 29), l’octroi de la citoyenneté romaine dans le texte de Claudien, (v. 21-24),
divinisation d’Antinoüs (p. 35), buste d’Antinoüs (p. 35)
- période moderne et contemporaine : photo de Pierre Loti (p. 31), la pratique des bains (p. 33).

Une conclusion fera la synthèse des points abordés. Elle mettra en valeur les continuités et/ou les ruptures entre
mondes antique, moderne et contemporain.
Elle pourra ouvrir sur un autre objet d’étude du programme, comme celui qui invite à réfléchir sur la fondation et
l’évolution de la cité.


50 Méditerranée : Conflits, influences et échanges
critères d’évaluation

Partie 1 8 points
Lexique
- Maîtrise du sens premier du mot
- Capacité à l’expliciter dans le texte 3 points
- Repérage et explication d’un emploi métaphorique éventuel
- Organisation et rédaction de la réponse
Fait de langue
- Maîtrise du ou des point(s) de langue
5 points
- Exploitation du ou des point(s) de langue pour expliquer le texte
- Organisation et rédaction de la réponse
Partie 2
Choix n° 1 (Langue)
- Compréhension du texte
- Justesse et caractère personnel de la traduction
- Maîtrise de la langue française
Choix n° 2 (Culture) 12 points
- Pertinence de la problématique
- Capacité à mobiliser ses connaissances
- Présence et pertinence de la confrontation des mondes antique, moderne
et contemporaine
- Capacité à organiser sa réflexion
- Maîtrise de la langue française

Méditerranée : Conflits, influences et échanges • 51


CHAPITRE
2 Vivre dans la cité

ouverture p. 52-53
Après avoir parcouru l’Empire dans sa diversité et son éten- liberté et d’affranchissement. Si la parole est une arme de
due méditerranéenne, le chapitre « Vivre dans la cité » s’at- conquête, militaire et politique, collective et individuelle, elle
tarde sur ce concept fondamental de cité dans l’Antiquité est par nature liée aux intentions avec lesquelles on l’utilise :
grecque et romaine. Ce sujet invite les élèves à s’interroger ainsi, l’art oratoire ne sert pas forcément la recherche du bien
sur les formes de la citoyenneté et les institutions politiques moral ou de l’intérêt de tous.
chez les Anciens, ce qui leur permettra de mieux comprendre
les sociétés contemporaines. À ce titre, les pages qui per-
• La cité entre réalités et utopies (spécialité) : dans
l’Antiquité, les mots πολιτεία et constitutio désignent une
mettent des confrontations des œuvres antiques, modernes «  disposition  », une «  organisation  » de l’État, ce que nous
et contemporaines mettront en lumière notre héritage appelons un « régime », une « forme de gouvernement », de
antique. «  Autant de questions essentielles qui participent quelque nature que ce soit, permettant le bon fonctionne-
de la construction civique des élèves. » (B.O.) S’intéresser à la ment de la polis. À Rome, pour établir la République, les « ins-
naissance, à l’évolution et à l’organisation de la cité, et au rôle titutions » se sont mises en place durant plus de deux siècles,
de ses habitants, tant sur le plan légendaire qu’historique, sur fond de luttes entre patriciens et plébéiens. C’est l’objet
permettra d’étudier quelques grandes figures mytholo- du premier sous-ensemble « Penser les différents modes de
giques, historiques et littéraires, ainsi que de fixer des repères gouvernement ».
chronologiques et culturels majeurs.
Un certain équilibre est progressivement apparu entre le
• Naissance et évolution de la cité  : trois cités sont Sénat, les magistrats et les citoyens. Mais dès la fin du IIe s.
mises à l’honneur des p. 54 à 59 : Carthage, Rome, Marseille. et tout au long du Ier s. av. J.-C., l’ambition personnelle de
L’effervescence autour de la construction de Carthage (extrait certains généraux mirent à mal ce fragile équilibre. Dans le
de l’Énéide de Virgile, p. 54) permet aux élèves de découvrir les même temps, les anciennes rivalités entre patriciens et plé-
différentes étapes de la fondation d’une cité et de rencontrer béiens s’exacerbèrent et se cristallisèrent en une lutte entre
les figures de Didon et d’Énée, dont le descendant fondera optimates et populares. C’est de cette période que datent les
la cité de Rome. La naissance de Marseille offre l’exemple de écrits de Cicéron, en particulier le De  Republica, dont nous
la fondation d’une colonie par une cité grecque. La légende proposons un extrait à la p. 70. La fable de Phèdre «  Les
rapporte que la naissance d’une cité peut s’accompagner grenouilles qui demandent un roi » (p. 71) permet de pour-
d’une grande violence (l’enlèvement des Sabines) ou s’opé- suivre la réflexion sur la royauté. L’instauration du princi-
rer d’une manière plus pacifique par le biais d’un mariage pat fut ensuite l’occasion de définir les qualités du princeps.
(c’est le cas de Marseille). Le thème de l’évolution de la cité est Un extrait du De  clementia de Sénèque, accompagné d’un
abordé à travers la ville de Rome : elle-même confrontée à de tableau de J.-L. Gérôme, posent le problème : comment être
graves périls (extrait de Tite-Live, p. 56), Rome se transforme à la fois maître du monde et de soi-même, sans tomber dans
en une mégalopole bruyante et très animée, comme nous le le piège de la tyrannie ? Les exemples d’Auguste, de Néron
rapporte Sénèque dans la lettre 56 à Lucilius. et de Julien permettent de confronter la théorie à la réalité
• Tous citoyens ? Intégration, assimilation, exclu- (p. 73). C’est l’objet du sous-ensemble « Gouverner : du mythe
sion : les p. 60-61 présentent l’expansion territoriale romaine à l’histoire, quel “prince” idéal ? ».
sous un jour favorable. Des Gaulois, anciens vaincus devenus Grecs et Romains ont également posé les bases d’une
citoyens romains, demandent à participer plus activement à réflexion sur ce que pourrait être la cité idéale. Les récits
la vie politique romaine ; un orateur d’origine grecque, désor- mythiques décrivant avec nostalgie un âge d’or perdu ainsi
mais citoyen romain, fait l’éloge de Rome, nouvelle capitale que les théories sur la meilleure façon de bâtir une cité, ont
du monde. Il s’agit, dans un deuxième temps (p.  62-63), de nourri la pensée des utopistes à partir du XVIe s.  et jusqu’à
s’interroger sur les critères qui permettent d’accéder à la la fin XIXe s., avant qu’au XXe s. l’utopie ne cède progressive-
citoyenneté romaine ainsi que sur les différents degrés de ment la place aux dystopies. C’est pourquoi nous présentons
l’intégration, qui s’apparente parfois à une assimilation. Si un extrait du De architectura de Vitruve (p. 74), de l’Utopia de
Rome a fait le choix d’accorder largement la citoyenneté, les Thomas More (p. 75), des Métamorphoses d’Ovide (p. 76), du
p. 64-65 nous montrent que les phénomènes de rejet et d’ex- Travail d’Émile Zola, enfin du Meilleur des mondes d’Aldous
clusion existent et que certaines catégories de la population, Huxley, dans le cadre de l’objet d’étude «  Imaginer la cité
les esclaves notamment, restent en dehors du champ civique. idéale ».
• La parole : pouvoirs et dérives : toute langue est por- Il faudra cependant veiller à ne pas commettre de contre-
sens : la notion d’utopie n’existe pas dans l’Antiquité ; ni Platon,
teuse d’une histoire, d’une culture, d’une pensée qui font
d’elle une source de richesse autant qu’un enjeu de pou- ni Vitruve, ni Ovide, pour ne citer qu’eux, ne fut utopiste. On
voir. Quelle que soit l’époque envisagée, Antiquité (p. 66) ou veillera également à ne pas qualifier d’utopiste toute œuvre
époque contemporaine (p.  67), l’on voit que la domination évoquant de plus ou moins loin une certaine idée de perfec-
militaire s’accompagne souvent d’attaques contre la langue tion ou de bonheur ; on veillera à ne pas confondre, en parti-
des vaincus, ce qui prouve à quel point une langue commune culier, utopie et arcadies. Les contours et les enjeux de l’uto-
est source d’union, de cohésion et de sens pour un peuple. pie sont bien définis par Frédéric Rouvillois, dans L’Utopie, GF,
À l’échelle individuelle, comme nous le montre l’extrait du 1998, p. 11-43. On trouvera dans cet ouvrage un recueil de
documentaire de S. de Freitas, la parole est aussi source de textes choisis et présentés.


52 Vivre dans la cité
Entrées possibles dans le chapitre
- Approche selon un concept d’organisation  : l’organisation accueillir des peuples étrangers, c’est parfois même l’union
dans sa dimension matérielle lorsque la cité se construit du héros avec une étrangère qui est aux origines de la fon-
(quels édifices construit-on ? dans quel ordre ? dans quel but ? dation de la cité, tels Énée époux de Lavinia, Protis époux de
cf. p.  54-55), l’organisation en termes politiques (comment Gyptis (p. 58-59) . La cité romaine, devenue un vaste empire,
accède-t-on au pouvoir ? quelle place occupe la parole dans intègre activement à son corps civique certaines populations
le jeu politique ? cf. p. 58-59, 60, 68-69), l’organisation sociale étrangères, au point que Juvénal qualifie Rome elle-même de
(les différentes classes sociales, la présence et le statut des « cité grecque » (p. 62 à 64). L’art oratoire, au cœur de la vie
étrangers au sein de la cité, cf. p.  62 à 65). Ce chapitre doit politique romaine, se fonde sur la prise en compte de l’autre,
permettre à l’élève d’enrichir sa réflexion sur la notion même de ses attentes, de ses craintes, et sur l’ambition de convaincre
de citoyenneté. un auditoire (p. 66 à 69). Quant aux notions d’ « utopie », de
- Approche autour de la notion commune d’altérité : en fon- « cité idéale », elles se fondent sur une mise en cause ce que
dant une cité, le héros crée un espace nouveau destiné à l’on est pour créer un espace politique ou urbaniste autre.

Présentation des documents et problématisation


Les deux photos seront immédiatement familières aux Concernant plus précisément les deux édifices présentés
élèves  : ils/elles croiront reconnaître l’Arc de triomphe pari- sur cette double-page, on pourrait demander aux élèves
sien ; de même, les pyramides égyptiennes leur sont connues. de rechercher puis de comparer les circonstances dans les-
L’enjeu de cette entrée dans le chapitre via ces photos est de quelles l’Arc de Constantin puis l’Arc de triomphe ont été
faire comprendre aux élèves qu’il n’y a pas de rupture franche réalisés. En étudiant la Pyramide du Louvre, les élèves décou-
et entière entre les civilisations mais que chacune porte vriront un architecte de renommée mondiale, Ieoh Ming Pei,
en elle une partie du passé  (l’Arc de triomphe parisien est mort en mai 2019. Ils/elles mesureront également l’ampleur
une réécriture architecturale) ; que le passé revisité par nos du scandale qu’a provoqué la réalisation de cette pyramide
contemporains est un passé pluriel (Paris met à l’honneur la moderne : qu’est-ce qui a choqué ? Est-ce la pyramide en elle-
civilisation égyptienne aussi bien que la Rome antique). Pour même, ou plutôt le lieu où elle a été construite ? « Le Louvre
quelles raisons ne nous contentons-nous pas de créer ex nihi- est le seul musée au monde dont l’entrée est une œuvre
lo nos édifices publics ? Qu’affirmons-nous sur nous-mêmes d’art », déclarait J.C. Martinez, directeur de ce lieu historique.
en nous inspirant des époques révolues ?

lecture Naissance et évolution de la cité

Dans les pages Lecture, les onglets de question sont indépendants les uns des autres. Il est donc possible
de les traiter dans l’ordre que l’on souhaite ou de ne traiter que ceux que l’on souhaite. Ce dispositif per-
met d’envisager une approche différenciée du texte.

1 La fondation mythique de Carthage (p. 54)


Cette page permet aux élèves de réactiver les connaissances acquises au collège et en 2de concernant l’itiné-
raire du héros troyen Énée : à travers son périple, les élèves repèrent les étapes de la construction d’une cité
méditerranéenne, Carthage, puis s’interrogent sur la notion de mythe et d’historicité à travers le récit de l’enlè-
vement des Sabines.
TRADUCTION Traduire
Énée admire la cité en construction, jadis cabanes de 1. « molem » complète « miratur » ;
nomades ; il admire les portes, le vacarme et les rues - « magalia » est apposé à « molem » ;
- « portas », « strepitum », « strata » complètent « miratur » ;
pavées. Les Tyriens, pleins d’ardeur, s’empressent : une
- « muros » complète « ducere » ;
partie [d’entre eux] s’empresse d’élever des murs et de - « arcem » complète « moliri » ;
construire la citadelle et de faire rouler des blocs de - « saxa » complète « subvoluere » ;
pierre à l’aide de leurs bras, une autre partie [s’empresse] - « locum » complète « optare » et « concludere » ;
de choisir un emplacement pour leur toit et de le cer- - «  jura  », «  magistratus  », «  sanctum senatum  »  complètent
cler d’un sillon ; ils choisissent des lois, des magistrats, « legunt » ;
un sénat vénérable. Ici, les uns creusent des ports ; là - « portus » complète « effodiunt » ;
d’autres effectuent de profondes fondations destinées - « alta fundamenta » complète « locant » ;
aux théâtres, ils taillent d’immenses colonnes à flanc de - « immanis columnas » complète « excidunt » ;
rochers, décors altiers pour les scènes à venir. « decora alta » est apposé à « columnas ».
2. Voir la traduction
Comprendre
1. Ce sont tout d’abord, à proprement parler, les murs de la cité « senatum ». Enfin, la cité s’ouvre à l’économie, avec la création
qui s’élèvent : « portas », « strata viarum », « muros », « tecto » : de ports « portus » ; la dimension artistique apparaît enfin avec
la construction de la cité est d’abord matérielle. Le vers 6 la mention de « theatris » et « scaenis decora alta futuris ».
introduit l’étape suivante, tout aussi fondamentale  : la créa- 2. Les trois institutions sont : « jura », « magistratus », « sena-
tion juridique et politique de la cité : « jura », « magistratus », tum  ». Un roi est souvent réputé régner seul et concentrer

Vivre dans la cité • 53


l’ensemble des pouvoirs. Ici, le pouvoir royal, aux mains de l’existence d’un sénat et la création d’un recueil de lois qui
Didon, est tempéré par des contre-pouvoirs, notamment s’opposent au libre-arbitre du roi.

Culture
1. Après avoir quitté la cité de Carthage, Énée débarque avec 2. Énée et Didon appartenaient tous les deux à une famille
son équipage en Italie, plus précisément dans la région du royale, avant de quitter leurs cités respectives. Ils sont tous
Latium dirigée par le roi Latinus. Il épouse Lavinia, fille de les deux veufs, ils sont tous les deux exilés et ils fonderont
Latinus, ce qui déclenche un conflit avec Turnus, prétendant chacun une nouvelle cité.
malheureux de Lavinia. Énée fonde la cité de Lavinium ; son Rome s’accroît au fil des siècles et entre en conflit avec une
fils Ascagne fondera Albe-la longue. autre cité méditerranéenne, Carthage. Trois guerres, appe-
Le tableau offre un large arrière-plan ouvert sur la mer, évo- lées puniques, opposeront Rome et Carthage  (264-241 av.
quant l’arrivée par la mer d’Énée et, avec lui, de Didon. C’est J.-C. ; 218-202 av. J.-C. ; 148-146 av. J.-C.). Carthage est réduite à
également par la mer qu’Énée gagnera l’Italie. La tenue néant en 146 av. J.-C. : la relation entre Énée et Didon, s’ache-
vestimentaire d’Énée, notamment son casque, est anachro- vant par le suicide de cette dernière, préfigure la fin de cette
nique  : il est représenté comme un futur soldat romain. En cité et la victoire de Rome.
arrière-plan, l’enfant représenté est Cupidon. Il tient devant
lui un mince carquois empli des flèches qui ont transpercé les
cœurs d’Énée et de Didon.

2 Peupler la cité à tout prix (p. 55)


Les origines de Rome, telles qu’elles nous sont rapportées par les historiens de l’Antiquité, sont pour une bonne
part légendaires. Tite-Live écrit environ huit cents ans après la fondation de Rome. L’histoire de la Royauté romaine
est ainsi une réécriture des origines a posteri, à une époque où il était difficile de faire la part entre légende et his-
toire et où la première préoccupation de l’historien n’était pas l’objectivité mais, en l’occurrence, l’établissement
d’une tradition qui assurerait à Rome des origines dignes de ce qu’elle était devenue, à savoir la capitale d’un
immense Empire.
À travers l’épisode de l’enlèvement des Sabines, l’historien montre probablement avant tout que les Romains des
premiers temps possédaient des qualités (courage, force, hospitalité – du moins dans un premier temps) qui ont
fait, selon lui, la grandeur de Rome et font la valeur de l’homme romain, mais aussi des défauts (ruse, inhospitalité,
violence excessive) que tout bon Romain doit être en mesure de corriger.
Cet épisode fait également référence à des pratiques, voire à des rites, de mariages forcés par enlèvement, à une
période de l’histoire de l’humanité où était en marche ce qu’Olivia Gazalé nomme « la virilisation du monde ».
Tite-Live donne ainsi un fondement « historique » à la cérémonie du mariage telle qu’elle était pratiquée à Rome :
la fiancée, dans la maison de son père, où était organisé un banquet de noces, symboliquement « était arrachée,
avec une violence apparente, aux bras de sa mère et menée en procession dans la maison du mariée » (Dictionnaire
de l’Antiquité, Oxford, Robert Laffont, 1993, p. 610). Tite-Live se fait ainsi l’écho du système viriarcal qui s’est mis en
place à Rome, comme ailleurs, dès les origines, système que l’on justifie en l’occurrence par le manque de femmes
dans la cité. Le rapt est effectué par et pour les hommes, comme le rappelle la fin de l’extrait. L’objectif est en
particulier de fournir aux plus puissants des femmes, afin d’assurer la pérennité politique de la cité en croissance.
À ce titre, il sera intéressant de lire attentivement le tableau de Nicolas Poussin, qui s’inspire plus particulièrement
du récit de Plutarque : il n’est pas « historique » et met l’accent sur la virilité des jeunes Romains face à des femmes
qui ne peuvent rivaliser avec eux.

TRADUCTION
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Lorsque vint le temps du spectacle et que les esprits et
les yeux étaient tournés vers lui, alors, selon ce qui était • On lira avec intérêt Les Origines de Rome, de
convenu, apparut la force, et au signal donné, la jeunesse Alexandre Grandazzi, Que sais-je, PUF, 2003, en
particulier les chapitres I et II, ainsi que « Le sillon
romaine courut partout pour enlever les jeunes filles. Une
fondateur », « La lente genèse d’une cité » et « Des rois
grande partie fut enlevée, selon l’homme sur qui chacune venus du nord », de Dominique Briquel, dans Histoire
tombait, au hasard ; certaines, remarquables par leur romaine, Tome I, chapitres 1-3, Fayard, 2000, p. 11-130.
beauté, destinées aux premiers des chefs de famille, des
hommes de la plèbe à qui cette mission avait été donnée,
• Sur le « mythe de la virilité », on lira l’ouvrage du même
titre de Olivia Gazalé, Pocket, 2017, en particulier la
les emmenaient chez ceux-ci. première et la deuxième partie (voir également p. 147).

Lire
1. Les mots transparents sont : spectaculi, tempus, venit, oculis, signo, Romana, rapiendas, virgines, pars, raptae,
forma, excellentes, destinatas, plebe, homines, domos. Attention au faux-ami « negotium ».
2. La première phrase évoque le jour des jeux et le signal du rapt. La deuxième le rapt en lui-même et ses
bénéficiaires.


54 Vivre dans la cité
Traduire
1. Dans la première phrase, les quatre verbes principaux 3. L’extrait à traduire ne présente pas de difficulté particulière.
sont : venit (l. 8), erant (l. 9), orta est (l. 9), discurrit (l. 10) ; ils sont Nous mettons cependant en garde contre la plupart des tra-
coordonnés par « -que » (l. 8 et 9) et « tum » (l. 9). ductions universitaires, qui s’éloignent le plus souvent beau-
2. Dans la deuxième phrase, les propositions relatives sont : coup du texte original. Nous nous sommes efforcés de rester
in quem quaeque inciderat (l. 10-11) et quibus datum negotium au plus près du latin.
erat (l. 12-13). Les mots deux pronoms indéfinis « quaeque »
et « quasdem » désignent les Sabines de manière très neutre.

Interpréter
1. La Rome des origines était un petit village, peut-être 2. signo dato orta vis est domos ?
entouré d’une muraille de poutres et de torchis, rassemblant
quelques familles, au sens large, de bergers qui vivaient
dans des huttes-cabanes dont on a retrouvé des traces sur
le Palatin. L’épisode de l’enlèvement des Sabines, qui se rap-
porte lui aussi à la légende plus qu’à l’histoire, est à replacer
dans ce contexte. Il est possible, tout au plus, que ce village
ait, durant un temps, manqué de femmes, pour une raison
qui nous échappe et que l’on a du mal à imaginer. Il est éga-
lement possible que ce petit village ait eu, durant un temps,
des difficultés à s’accroître et à s’imposer face à ses voisins.
De même, le tableau de Nicolas Poussin ne rend pas compte
de la réalité historique  : les premiers temples étrusques
d’envergure construits à Rome datent du VIe s. av. J.-C. ; les
bâtiments urbains suivent le style néoclassique de l’architec-
ture des villes italiennes à la Renaissance. Au premier plan, la
mêlée est dominée par les hommes, la dimension sexuelle
étant parfois à peine voilée. ad rapiendas virgines juventus Romana discurrit

prolongements
c On pourra confronter la version de Tite-Live et le tableau de Nicolas Poussin à l’œuvre de Jacques-Louis David, Les Sabines (1799)
et à celle de Pablo Picasso, L’Enlèvement des Sabines, 1962.
c On pourra également mener une séance de recherches sur la Rome des premiers temps. On se reportera en particulier
à la synthèse suivante : « Légende romaine : l’enlèvement des Sabines a-t-il vraiment eu lieu ? »
(www.geo.fr/histoire/legende-romaine-lenlevement-des-sabines-a-t-il-vraiment-eu-lieu-195879).

3 Rome en grande difficulté (p. 56)


La cité romaine est souvent présentée sous l’angle de son expansion territoriale et de ses nombreuses conquêtes.
Cette page a pour enjeu de montrer aux élèves une autre facette de Rome : celle d’une cité qui a connu de lourdes
défaites et a vu l’ennemi menacer son existence même. Le documentaire intitulé Hannibal, le pire ennemi de Rome
a été réalisé par Edward Bazalgette en 2006 : centré sur la vie du héros Hannibal, ce documentaire accorde une
large place à la seconde guerre punique et aux victoires éclatantes de ce chef contre l’armée romaine jusqu’à
l’échec final. Le professeur pourra enrichir l’étude de cette page par la lecture de l’extrait de Tite-Live, Ab Urbe
condita, livre IX, consacré à l’épisode des fourches caudines en 321 av. J.-C. Au cours de cette année-là, les Romains
ont combattu le redoutable peuple samnite. L’ennemi l’emporte sans avoir porté un seul coup d’épée. Pris au
piège, les Romains sont obligés de rebrousser chemin, serrés dans un étroit défilé, sous les yeux des vainqueurs.
C’est une humiliation profonde subie par les soldats et les généraux en chef.

TRADUCTION
Traduire
On raconte qu’une femme, à la porte même, se retrouva
1. Les deux propositions infinitives introduites par le verbe
soudain en face de son fils sauvé et expira en le prenant « ferunt » sont :
dans ses bras ; qu’une autre, à qui l’on avait annoncé par - Unam in ipsa porta, sospiti filio repente oblatam, in complexu
erreur la mort de son fils, étant assise chez elle, plongée ejus exspirasse ;
dans l’affliction, rendit l’âme dès qu’elle aperçut son fils - alteram, cui mors filii falso nuntiata erat, maestam sedentem
de retour, en raison d’un excès de bonheur. Les préteurs domi, ad primum conspectum redeuntis filii gaudio nimio
retinrent le Sénat à la Curie durant plusieurs jours, du exanimatam.
lever au coucher du soleil, pour délibérer sur le général 2. Les propositions en rouge sont des propositions subor-
ou les troupes qui permettraient de résister aux Cartha- données interrogatives indirectes.
ginois victorieux. 3. Voir la traduction.

Vivre dans la cité • 55


Lexique
Le mot « mors » appartient au registre pathétique. « Exspirasse », phrase 2 : « senatum », « praetores », « curia ». La défaite militaire
«  maestam  » et «  exanimatam  » appartiennent au même du lac Trasimène oblige l’autorité politique romaine à réagir et
registre. Le champ lexical de la vie politique apparaît dans la à modifier sa stratégie de défense contre l’ennemi victorieux.

Comprendre
1. La dernière phrase de l’extrait est illustrée par le documen- L’extrait du documentaire s’ouvre sur deux défaites majeures
taire. Les habitants se trouvent dans une attente insoutenable subies par Rome : défaite de La Trébie (218 av. J.-C.), défaite
(deux exemples de mères qui décèdent en revoyant leur fils, du lac Trasimène (217 av. J.-C.). Ces deux scènes sont immé-
l. 13 et 15) et sont en proie à des sentiments divers : une vive diatement suivies par un plan montrant la Curie, puis la vive
inquiétude commune à tous («  et on ne pouvait s’en sépa- agitation des sénateurs qui récriminent, qui s’interpellent…
rer […] enquis de tout »), parfois le soulagement (« heureuses ce qui prouve leur désarroi et la colère voire l’exaspération
[…] informations », « en les félicitant », « marques de joie »), qui imprègne le discours de Fabius.
un soulagement tel qu’il peut entraîner un relâchement fatal 2. La première ligne de défense est incarnée par Fabius
(«  gaudio nimio  »), parfois l’accablement et une profonde Maximus dit Cunctator. Né en 275 av. J.-C., mort en 203 av.
détresse à l’annonce de la mort du proche attendu (« tristes J.-C., c’est lui qui, envoyé en ambassade à Carthage, déclare
informations  », «  en les réconfortant  », «  douleur  », «  maes- officiellement la guerre aux Carthaginois après la prise de la
tam sedentem »). Ces sentiments sont d’autant plus difficiles cité de Sagonte par Hannibal en 218 av. J.-C. Face à l’avancée
à supporter que les Romains les endurent des jours durant carthaginoise qui semble irrésistible, Fabius Maximus choisit
(« et ensuite pendant quelques jours », emploi de l’imparfait d’éviter l’affrontement direct avec l’ennemi, trop coûteux en
de répétition « on pouvait distinguer… »). vies humaines. Il entend «  frapper au ventre  » l’armée car-
Cette notion de durée se retrouve lorsqu’il s’agit d’évoquer thaginoise en s’attaquant au ravitaillement des troupes. Son
les « praetores » et le « senatum » : l’expression « per dies ali- opposant Caius Terentius Varro, issu de la plèbe, élu consul
quot  » est redoublée par «  ad orto usque ad occidentem en 216 av. J.-C., qualifie cette tactique de lâcheté et privilégie
solem ». La défaite romaine occupe tous les esprits et tous les l’affrontement direct avec Hannibal : la bataille de Cannes est
cœurs durant un temps long : peu de soldats reviennent, et une défaite cinglante pour le camp romain. Bien qu’étant en
la solution pour renverser le rapport de force est difficile à position de force, Hannibal ne marche pas contre Rome après
trouver. La première partie du texte (l. 1 à 15) est davantage cette victoire et se replie à Capoue dans l’attente de renforts.
centrée sur les sentiments ; la seconde partie, consacrée aux Ce n’est qu’en 202 av. J.-C. que Rome, menée par Scipion l’Afri-
sénateurs, s’organise autour du terme « consultantes » déve- cain, remporte la victoire militaire définitive contre Hannibal,
loppé par deux propositions interrogatives indirectes. Les à Zama.
questions posées montrent que c’est la stratégie romaine
tout entière qui est remise en question.

4 Une cité devenue invivable ? (p. 57)


Au VIIIe s. av. J.-C., Rome n’est qu’un petit village de huttes-cabanes au bord du Tibre, dans un paysage relative-
ment sauvage. « Onze siècles plus tard, en 314 ap. J.-C., la Ville éternelle s’étend sur près de 2 000 hectares avec
une population d’environ un million d’habitants. […] Rome s’enorgueillit de onze forums, 967 bains publics, onze
grands thermes, 1352 fontaines qu’alimentent dix-neuf aqueducs, trente-sept portes, neuf ponts, douze basi-
liques, quarante-trois arcs de triomphe en marbre, vingt-huit bibliothèques pour la culture de tous, deux amphi-
théâtres, cinq cirques, deux naumachies pour les représentations de combats navals, trois théâtres, un odéon et
un stade. Quelque 200 temples accueillent les divinités de tout l’Empire » (Gilles Chaillet, Dans la Rome des Césars,
Glénat, 2004, p. 3-5).
Au Ier s., Rome n’est pas encore aussi fastueuse, même si Juvénal fait déjà la satire d’une cité devenue invivable
(voir p. 64). Sénèque s’en fait ici l’écho dans sa lettre adressée à Lucilius. Mais l’objectif du philosophe est avant
tout de montrer à son ami qu’il doit apprendre à vivre sereinement malgré cet environnement hostile au calme
et à l’étude. Si Sénèque s’en prend à ses contemporains, c’est parce qu’ils se ruent dans les activités futiles du
quotidien, qu’ils alimentent le bruyant et incessant fourmillement de la Ville, au lieu de se recueillir en eux-mêmes
et de pratiquer des exercices spirituels qui leur permettraient de progresser vers le bonheur. L’enjeu n’est donc
pas avant tout satirique, mais philosophique, dans le cadre de la doctrine stoïcienne. Le sage doit parvenir à se
réfugier dans sa « citadelle intérieure inexpugnable, que chacun peut édifier en lui-même. C’est là qu’il trouvera la
liberté, l’indépendance, l’invulnérabilité » (Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Folio, 1995, p. 199).

IDÉO
4
V

Visite virtuelle ®
À titre d’exemple, on fera visiter en immersion virtuelle les Thermes
de Caracalla tels qu’ils étaient au IVe s. Ce complexe architectural
a été construit à partir de 212. Sénèque n’en connut pas de tels ;
l’édifice au-dessus duquel il habite ne peut avoir eu cette ampleur.


56 Vivre dans la cité
TRADUCTION INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Outre ces gens-là, dont, s’ils n’ont rien d’autre, les voix
sont claires, figure-toi un épileur produisant une voix,
• Un ouvrage remarquable de Gilles Chaillet, avec
de nombreuses planches, permet de s’immerger
afin qu’il soit mieux remarqué, toujours limpide et stri- Dans la Rome des Césars telle qu’elle était en 314
dente et ne se taisant jamais, si ce n’est pendant qu’il (Glénat, 2004). On consultera également, pour la même
épile des aisselles et qu’il pousse un autre à crier à sa période, le Plan de Rome, de l’Université de Caen
place : maintenant, les éclats nuancés du marchand de (www.unicaen.fr/cireve/rome/index.php). Le livre
boissons, le marchand de saucisses, le marchand de de Peter Connolly et Hazel Dodge, La Vie dans les
pâtisseries et tous les garçons de tavernes vendant leur cités antiques – Athènes et Rome, Könemann, 1998,
marchandise chacun avec leur modulation propre et ca- est également une excellente introduction aux
monuments les plus importants de la Ville.
ractéristique. […]
Mais, ma foi, moi, ce tapage-là, je ne m’en soucie pas • Pour une introduction à la doctrine stoïcienne,
on lira les pages 196-216 du livre de Pierre Hadot,
plus que d’une vague ou d’une chute d’eau, même si j’ai Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Folio essais, 1995.
entendu dire que, chez un peuple, ceci fut l’unique cause
du déplacement de sa ville, à savoir qu’il ne pouvait sup-
porter le bruit des cataractes du Nil. […] Porte-toi bien.

Langue
1. L’adjectif « notabilior » est décliné au nominatif masculin singulier du comparatif.
2. « Exprimentem », « tacentem » et « vendentes » sont des participes présents actifs déclinés à l’accusatif singulier
ou pluriel.

Traduire
1. Les verbes conjugués sont : sunt (l. 14), cogita (l. 15), sit (l. 15), fréquentaient. On pourra donc visionner en amont la visite
vellit (l.16), cogit (l. 17), curo (l. 20), audiam (l. 21), potuit (l. 23). virtuelle des thermes et faire faire des recherches sur les dif-
2. La difficulté de l’extrait à traduire tient à la méconnais- férents « acteurs » de ce type d’établissement.
sance par les élèves, a priori, des thermes et de ceux qui les

Interpréter
1. Dans la lettre de Sénèque, Rome apparaît comme une cité nécessaire pour l’étude qu’il ne le semble à un homme à
bruyante, retentissant particulièrement, en l’occurrence, des l’écart » (l. 2-3). La pratique de l’otium, éloignée du quotidien,
cris de tous ceux qui fréquentent les thermes et de ceux qui requiert calme, silence, à l’écart d’une retraite. Néanmoins,
y travaillent. Dans la visite virtuelle, l’ambiance est tout à fait contrairement à l’épicurien, qui revendique de se tenir à
calme, pour la simple raison que les baigneurs ne sont pas l’écart du monde, le stoïcien ne fuit pas ses congénères  : il
représentés. Cela dit, les thermes impériaux sont tellement a le devoir de s’engager dans la vie de la cité, tout en étant
vastes que les salles étaient probablement moins bruyantes capable, en toute circonstance, de se réfugier dans sa « cita-
que les plus petits complexes. Les placages de marbre recou- delle intérieure » pour agir conformément à ce qui est juste.
vrant les murs permettaient peut-être de limiter les nuisances S’il est nécessaire de pratiquer, en solitaire, des exercices spiri-
sonores. Pour se faire une idée plus précise de l’intérieur et de tuels pour progresser vers la sagesse, les bruits de la cité sont
l’acoustique des plus grandes salles des thermes antiques, l’on un bon terrain d’entraînement pour le stoïcien.
peut visiter l’actuelle Basilique Sainte-Marie-des-Anges et des 3. Ce témoignage de Sénèque est précieux car il nous montre
Martyrs, qui n’est autre que les anciens thermes de Dioclétien. la cité de l’intérieur, avec son agitation, ses bruits. Dans cette
2. A priori, cette situation n’est pas propice à la réflexion phi- hypotypose, les personnages sont en mouvement et les sens
losophique. C’est ce que déplore Sénèque dès la première sont convoqués : vue, ouïe, toucher ; il ne manque plus que le
phrase de sa lettre  : «  Que je périsse, si le silence est aussi goût et les odeurs, que l’on devine cependant.

prolongements
Pour plonger les élèves dans une représentation assez réaliste de ce qu’était Rome au tournant du Ier s. av.
J.-C. et du Ier s., on visionnera un extrait de la série Rome, saison 1 ou 2. Par exemple, dans le dernier épisode
de la saison 1, lorsque, le jour de la mort de Jules César, Lucius Vorenus apprend que sa femme est adultère,
il quitte précipitamment le Forum et traverse, en colère, les ruelles d’un quartier populaire qui peut être
assimilé à la Suburre, et où règne l’agitation du quotidien.

Vivre dans la cité • 57


5 La fondation de Marseille (p. 58)
Cette page est consacrée à la fondation d’une cité, Massilia, qui est la colonie d’une cité-mère, Phocée, située
en Asie mineure. L’extrait présente les raisons pour lesquelles une population quitte sa cité pour en fonder une
nouvelle, la manière dont l’installation se produit sur ce sol étranger, et surtout les conflits que l’installation d’une
nouvelle cité peut provoquer chez ses voisins autochtones. La fondation de Marseille peut être étudiée en paral-
lèle des fondations de Carthage (par Didon, reine étrangère et exilée, p. 18 et 54) et de Lavinium (par Énée, prince
troyen lui-même exilé). La question des colonies phéniciennes est également abordée à la p. 19.

TRADUCTION
Ensuite, quand la jeune fille, ayant été présentée, reçut l’ordre de son père de tendre l’eau à celui qu’elle
choisissait pour époux, tous ayant alors été laissés de côté, s’étant tournée vers les Grecs, elle tendit l’eau à
Protis qui, d’hôte devenu gendre, reçut de son beau-père un emplacement pour fonder la cité. Donc, Massilia
fut fondée près de l’embouchure du Rhône, dans une baie reculée semblable à un angle de la mer. Mais les
Ligures, jalousant l’accroissement de la cité, harcelaient de guerres incessantes les Grecs qui, en repoussant
les périls, se distinguèrent tant qu’une fois les ennemis vaincus, ils fondèrent de nombreuses colonies sur les
territoires conquis.

Lexique
Les mots soulignés appartiennent au champ lexical de la ligure  : «  Graecos adsiduis bellis fatigabant  ». L’installation
guerre. L’installation des Grecs est, dans un premier temps, devient donc conflictuelle  : la présence de cette nouvelle
pacifique : ils s’unissent aux autochtones, les Ségobriges, par cité se trouve violemment contestée. Les Marseillais sortent
le biais d’un mariage. Une fois Massilia fondée, les nouveaux vainqueurs de ces guerres (« victis hostibus »), ce qui leur per-
habitants sont attaqués à plusieurs reprises par le peuple met d’asseoir leur autorité.

Lire
Les mots transparents ont été mis en gras ci-dessous : Rhodani amnis in remoto sinu, velut in angulo maris.
Introducta deinde virgo cum juberetur a patre aquam Sed Ligures incrementis urbis invidentes Graecos ad-
porrigere ei, quem virum eligeret, tunc omissis omni- siduis bellis fatigabant, qui pericula propulsando in
bus ad Graecos conversa aquam Proti porrigit, qui tantum enituerunt, ut victis hostibus in captivis agris
factus ex hospite gener locum condendae urbis a so- multas colonias constituerint.
cero accepit. Condita igitur Massilia est prope ostia

Interpréter
1. Les Marseillais et les Ligures entretiennent des rapports permit d’acquérir un espace conséquent où fonder Carthage.
guerriers (« adsiduis bellis ») : une fois fondée, la cité de Massilia L’installation d’Énée en Italie se fait de manière pacifique, par
se développe rapidement, ce qui suscite la jalousie de ses voi- le biais d’un mariage. Arrivés en Italie, Énée et ses hommes
sins les Ligures (« incrementis urbis invidentes »). sont reçus par le roi Latinus à qui ils demandent une terre
2. Les Phocéens se sont installés en Gaule de manière paci- où déposer les dieux de leurs pères. Le roi Latinus accepte
fique, par le biais du mariage de Protis avec la fille du roi Gyptis. et propose à Énée d’épouser sa fille Lavinia, un oracle l’ayant
L’installation de Didon sur les rives tunisiennes s’est égale- averti de choisir un gendre venu de terres étrangères.
ment effectuée d’une manière pacifique, non par un mariage Notons qu’une fois installés pacifiquement, les habitants de
mais par la ruse : les autochtones lui accordant « autant de Massilia devront combattre contre les Ligures et qu’Énée devra
terre qu’elle pourrait en faire tenir dans une peau de bœuf », affronter Turnus à qui Lavinia avait été initialement promise.
Didon découpa une peau de bœuf en fines lamelles, ce qui lui

6 Le mariage entre deux peuples (p. 59)


Les mythes de fondation de cité ont fait au fil des siècles, et font toujours, l’objet de multiples réécritures et réap-
propriations. Les villes contemporaines promeuvent parfois cet héritage, et le mettent en scène pour s’inscrire
dans leur continuité. Cette page propose l’exemple de Marseille, constituant le pendant moderne de la p. 58, et
invitant les élèves à étudier deux réécritures du mythe, institutionnelle et littéraire.

Confronter
1. Dans le récit proposé par Justin, Gyptis, fille du roi Nannus, petit trafiquant grec ». Euxène aurait donc été choisi par défaut.
choisit directement Protis comme futur époux («  ad Graecos Apollinaire utilise le registre comique, absent du récit fait par
conversa, aquam Proti porrigit  »). Dans l’extrait de La Fin de Justin : plus précisément, la réécriture se fait dans une inten-
Babylone, Gyptis tend tout d’abord la coupe au prince de tion parodique, le prince procédant à sa propre satire.
Lassiotâh. C’est le trait d’humour de ce prince, fort peu appré-
2. L’impression de paix et d’harmonie est tout d’abord assurée
cié par Gyptis, qui conduit cette dernière à lui préférer Euxène, «
par la présence d’une même teinte bleutée sur l’ensemble du


58 Vivre dans la cité
tableau (ciel, mer, montagne, plis de la toge ou toge entière, si elle est représentée par elle-même, elle inonde, pour ainsi
ombres de blocs de pierre). Sur la droite du tableau, deux dire, la toile entière par la teinte bleue dominante (ciel, robes
femmes grecques, vêtues d’une toge bleue, conversent avec de femmes…). La mer est à mettre en relation avec le terme
des femmes autochtones. Les membres des deux peuples même de « colonie » qui apparaît dans le titre de la toile et qui
apparaissent ainsi occupés à des tâches communes : conver- permet de présenter la cité phocéenne comme ouverte aux
ser, tisser, bâtir… Les blocs de pierre se rattachent aux pre- autres peuples et fondée sur les échanges commerciaux, par
miers moments de la construction d’une cité à laquelle parti- exemple.
cipent ou assistent les deux peuples mêlés. 4. La ville de Marseille a pu vouloir réaffirmer les origines
3. L’arrière-plan des deux tableaux est très proche  : un ciel étrangères de la cité (d’où le titre du tableau) et insister sur
occupe le dernier plan, devant lequel se détache, sur le côté l’union et la concorde entre les nouveaux arrivants étran-
gauche, une montagne. On distingue également sur les deux gers et les autochtones. Massilia est née de la fusion de
tableaux un temple (en construction ou déjà construit), au- deux peuples, comme l’indiquent les deux extraits de cette
devant de cette montagne. La partie droite du tableau est double-page. L’hospitalité est célébrée comme une tradition
occupée, au deuxième plan, par la représentation de la mer. et une valeur.
La mer occupe une place prépondérante au sein du tableau :

pistes pour construire un portfolio


Les textes de cette double-page peuvent constituer le support d’un portfolio textuel.
L’événement raconté est identique : le choix fait par la fille du roi Nannus d’un futur
époux. Ce choix est à l’origine de la fondation de Marseille. Le récit imaginé par
Apollinaire introduit cependant des variations par rapport au texte source : le choix
initial de Gyptis n’est pas le même, ce qui explique en partie le choix d’un narrateur
différent. Le registre utilisé dans les deux textes n’est pas le même non plus. En quoi
le choix fait par Gyptis dans le document A désacralise-t-il la fondation de Massilia ?
Quels sont les effets produits par le changement de ton du narrateur ? Dans quelles
intentions Apollinaire parodie-t-il le récit-source ?

lecture Tous citoyens ? Intégration, assimilation, exclusion

1 Des Gaulois au Sénat ! (p. 60)


De 340 av. J.-C., date du soulèvement des cités du Latium contre son hégémonie, à 146 av. J.-C., date de la fin de la
troisième guerre punique et de la guerre d’Achaïe, Rome a utilisé la force croissante de ses légions et de sa flotte
pour affirmer sa puissance et conquérir d’abord le Latium, puis la péninsule italienne, enfin le bassin méditerra-
néen : les Romains ont ainsi intégré de plus en plus de territoires à leur Empire en expansion, de plus en plus de
soldats à leur armée, de plus en plus de citoyens à leur cité. Cependant, le statut accordé aux vaincus n’a pas été
partout le même : en Italie, fut pratiquée l’annexion par intégration à la citoyenneté complète ou sans suffrage et
la fédération par l’alliance (socii) ; dans les provinces, le protectorat (États-clients) et la colonisation.
L’assimilation est ici synonyme de romanisation. Il s’agit d’un processus d’acculturation par l’adoption progressive de
la langue latine, du mode de vie, des institutions, de la culture, de la religion des Romains, en un mot de leur civili-
sation. La municipalisation et l’incorporation aux corps de l’armée furent de puissants facteurs d’assimilation. C’est
ainsi que les Gaulois devinrent petit à petit des Gallo-Romains. Les élites en particulier se romanisent ; petit à petit,
se constitue une nobilitas romaine et provinciale. Mais le processus d’assimilation n’est ni généralisé ni homogène,
parce que la domination romaine est remise en question ou bien parce que des résistances se font jour.
Nous proposons ici de lire, de réécrire, de comprendre et de traduire un extrait de la Table sur laquelle figure la trans-
cription du discours prononcé par Claude au Sénat de Rome en 48. En fonction du niveau des élèves et des objectifs
de la séance, on pourra proposer un passage plus ou moins long, par exemple seulement les deux premières lignes
et demie. Ce document épigraphique montre la politique d’ouverture de cet empereur né lui-même à Lugdunum.

TRADUCTION
Il est temps maintenant, Tibère César Germanicus, que tu révèles aux Pères conscrits où veut en venir ton
discours : maintenant en effet tu es parvenu aux extrêmes limites de la Gaule Narbonnaise.
Voici tant d’insignes jeunes gens, sur qui portent mes regards : ils n’ont pas davantage à regretter d’être
sénateurs qu’il n’est regrettable que Persicus, un homme des plus nobles, mon ami, lise parmi les portraits
de ses ancêtres le nom d’Allobroge. Et si vous êtes d’accord qu’il en est ainsi, que pouvez-vous désirer de
plus, sinon que je vous montre du doigt que le sol lui-même au-delà des limites de la province narbonnaise
vous envoie déjà des sénateurs, puisque vous ne regrettez pas [la présence] des hommes de votre ordre
venant de Lugdunum ?

Vivre dans la cité • 59


INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Nous recommandons la lecture de la courte mais stimulante Histoire romaine de Bernard Klein,
De la légende d’Énée à la dislocation de l’Empire, Librio, 2005. Jean-Claude Golvin, L’Antiquité retrouvée,
éditions Errance, 2005, restitue la plupart des cités du pourtour méditerranéen et leur relative
homogénéité urbaine et architecturale. Pour approfondir les notions d’intégration et d’assimilation,
on lira Michel Humbert, « La conquête du monde méditerranéen et l’apparition de la nobilitas (340-
150 av. J.-C.) », Institutions politiques et sociales de l’Antiquité, Dalloz, 2007, p. 262-280. On pourra également
écouter avec intérêt l’émission suivante : « Citoyenneté et intégration dans la Rome antique », RFC.
Sur la notion de civitas, on se reportera aux pages 31-70 de Claude Nicolet, Le Métier de citoyen dans
la Rome républicaine, Gallimard, 1976.

Traduire
Transcription de l’extrait de la Table :
Tempus est jam, Ti. Caesar Germanice, detegere te patribus conscriptis quo tendat oratio tua : jam enim ad extremos fines
Galliae Narbonensis venisti.
Tot ecce insignes juvenes, quot intueor, non magis sunt paenitendi senatores, quam paenitet Persicum, nobilissimum
virum, amicum meum, inter imagines majorum suorum Allobrogici nomen legere. Quod si haec ita esse consentitis, quid
ultra desideratis, quam ut vobis digito demonstrem solum ipsum ultra fines provinciae Narbonensis jam vobis senatores
mittere, quando ex Luguduno habere nos nostri ordinis viros non paenitet ?

Lexique
1.  «  Pater est un terme générique qui n’implique pas telle- le sens de « vénérable », « noble », en parlant des hommes, et
ment la paternité physique, rôle assumé plutôt par genitor et même de « auguste », « divin », en parlant des dieux.
par parens ; il exprime surtout une valeur sociale et religieuse, Le verbe legere signifie d’abord «  ramasser  », «  cueillir  »,
désignant le chef de la maison, le pater familias, l’homme en «  recueillir  », d’où «  parcourir  » un lieu, et «  choisir  », par
tant que représentant de la suite des générations (d’où au plu- exemple choisir comme membre du Sénat (lectio senatus par
riel patres pour les ancêtres, d’où les patriciens) » (Dictionnaire les censeurs à chaque « lustre »). De ces sens est dérivé celui
historique de la langue française, Le Robert, 2000, p. 2658). Au de «  recueillir par les oreilles  » et «  recueillir par les yeux  »,
VIIIe s. av. J.-C., le mot patres désigne les chefs des gentes dont « passer en revue », d’où « lire ».
la puissance est fondée sur la propriété foncière ; ces gentes
2. Le verbe paenitere signifie « être mécontent », d’où « avoir
s’associent, formant l’aristocratie, se dotent d’un conseil fédé-
du regret, du repentir ». Les Romains les plus attachés à leurs
ral (ancêtre du Sénat) et choisissent un roi, qui n’est pas, ori-
traditions et au mos majorum, s’arc-boutant sur leurs privi-
ginellement, le roi d’une cité non encore fondée mais le roi
lèges, ont pu regretter pendant longtemps que l’on ait ouvert
d’une fédération d’habitats. Puis se met en place le Conseil des
le Sénat aux conscripti, le consulat aux plébéiens, leurs préro-
Cents (Sénat), où siègent les patres des cent plus importantes
gatives ayant ainsi été remises en question. Ici, Claude défend
gentes : ils représentent la vieille noblesse patricienne, siégeant
l’idée que la nobilitas compte déjà dans ses rangs, de longue
pour ainsi dire à titre héréditaire. Le mot patres désigne ainsi
date, des citoyens des provinces romaines, et qu’il n’y a pas
les sénateurs. Leurs descendants bénéficieront longtemps
lieu de le regretter. Il n’y a donc pas à regretter que d’autres en
sous la République d’un prestige particulier par rapport aux
fasse partie ni qu’ils entrent au Sénat.
conscripti, nouveaux venus au Sénat. Le mot pater a donc pris

Culture
1. La voix traditionnelle pour accéder au Sénat de Rome était 2. L’empereur Claude, natif de Lyon, adopte en 47-48 une poli-
celle du cursus honorum (cf. p. 12) : « la condition nécessaire tique d’extension systématique du droit de cité, s’opposant
pour entrer au Sénat (donc pour être retenu par le censeur ainsi au conservatisme des sénateurs romains : il souhaite que
lors de sa lectio senatus) est d’avoir géré une magistrature. les citoyens nobles gallo-romains puissent accéder au Sénat
Ni une condition de cens spécifique, ni l’appartenance à un de Rome. C’est ce dont témoigne, de manière concordante, à
lignage ne sont prescrites : un fils de sénateur n’a, à ce titre, la fois Tacite (Annales, 11, 23-24) et la Table dite « Claudienne »
aucun droit, ni aucune chance de devenir sénateur. L’hérédité conservée au Musée gallo-romain de Fourvière. Il suivait ainsi
de cette dignité n’apparaîtra que sous l’Empire  : alors, sauf la tradition d’ouverture à la citoyenneté pratiquée par les
concession individuelle impériale, seuls les fils ou petit-fils de Romains depuis des siècles : « l’originalité de la citoyenneté
sénateurs entreront au Sénat ; la classe sénatoriale sera alors romaine tient à son ouverture fondamentale, à sa perpétuelle
fermée » (Michel Humbert, Institutions politiques et sociales de capacité de propagation » (Ibid., p. 406).
l’Antiquité, Dalloz, 2007, p. 321).

prolongements
Un court documentaire réalisé par France 3 Rhône-Alpes en 2018 permet de faire le point sur « Claude, cet
empereur au destin singulier » (www.youtube.com/watch?v=DFpnnpXly-k).


60 Vivre dans la cité
2 Un éloge enthousiaste (p. 61)
Ælius Aristide est un rhéteur originaire de la province de Mysie, située au nord-ouest de l’Asie mineure. L’extrait
proposé permet de saisir l’ampleur de l’expansion territoriale romaine, décrite par Ælius Aristide lui-même, et
présente l’intérêt d’avoir été écrit non par le conquérant mais par un membre du peuple conquis. À l’inverse, le
discours prononcé par Claude (p. 60) est une réponse romaine à la demande formulée par l’élite gauloise de pou-
voir accéder au Sénat romain. Le titre même de l’œuvre En l’honneur de Rome résume l’intention d’Ælius Aristide.
Il serait intéressant de comparer l’extrait d’Ælius Aristide avec le texte proposé à la p. 92 : il s’agit dans les deux cas
d’un texte porteur de la parole d’un individu étranger ou né étranger, mais le jugement porté sur les conquêtes
romaines est radicalement opposé.
La stèle du légionnaire offre aux élèves une occasion de s’initier à l’épigraphie. Les tria nomina sont l’apanage du
citoyen : l’étude de ce document entre ainsi en résonnance avec les documents présentés aux p. 60, 61, 62 et 64
qui traitent de la notion de citoyenneté dans l’Antiquité.

TRADUCTION
Traduction des deux premières lignes de la stèle :
Pour Titus Iulius Tuttius, fils de Titus, appartenant à la tribu Claudia,
originaire de Virunum.

Interpréter
1. Ælius Aristide fait l’éloge des dirigeants romains eux- plus puissante  », ainsi que des parallélismes («  Ni la mer ni
mêmes («  du meilleur dirigeant et ordonnateur  »), notam- une grande étendue, […] ni l’Asie ni l’Europe »), certains mots
ment sur le plan moral (« la générosité de votre intention ») et sont répétés plusieurs fois (tout/tous, commun/commune…).
de la facilité avec laquelle ils ont accordé le droit de cité, faci- Autant de figures de répétition qui ont valeur d’insistance et
lité qui rend les Romains uniques (« de sorte qu’il n’y a rien de qui présentent cette politique d’intégration comme ancrée
semblable à elle »). C’est la valeur propre d’une personne qui dans une durée remarquable.
fait de lui un nouveau concitoyen (« et il n’est en rien un étran- 2. Les Romains accordent la citoyenneté en se fondant sur le
ger, celui qui est digne d’une magistrature ou de confiance »). mérite personnel (« il n’est en rien un étranger, celui qui est
Ælius Aristide insiste fortement sur la volonté d’unification digne de magistrature ou de confiance »). C’est d’autre part
menée par le peuple romain (« vous l’avez tout entière par- l’étendue de l’espace conquis qui est exceptionnel, et l’éloi-
tout rendue citoyenne », « une démocratie commune », « l’au- gnement géographique n’est en rien un obstacle à l’obten-
torité unique », « une commune agora », « ville commune du tion de la citoyenneté (« Et ce qu’est justement […] du monde
territoire »). habité » (l. 10-12).
On peut relever de nombreux rythmes binaires (« de regar- 3. Accorder la citoyenneté à des peuples étrangers, donc des
der et d’admirer  », «  c’est votre opinion […] et la générosi- droits et des avantages, permet aux Romains de prévenir
té », « citoyenne et parente, […] soumise et commandée »). de possibles révoltes et augmente dans le même temps le
Plusieurs superlatifs sont présents, parfois présentés en nombre de soldats disponibles pour conquérir de nouveaux
rythmes ternaires («  la plus distinguée, la plus noble et la territoires.

Traduire
T. IVLIO. TVTTIO. T. F. CLAVDIA. VIRVNO.
En minuscules : t. ivlio. tvttio. t. f. clavdia. virvno.

Comprendre
1. L’inscription nous apprend que ce légionnaire se nom- 2. Virunum est une cité située dans le royaume celtique de
mait Titus Iulius Tuttius, qu’il était par conséquent un citoyen Norique, correspondant en partie à l’Autriche actuelle. Cette
romain puisqu’il possède un praenomem, un nomen et un inscription prouve que les légionnaires au service de Rome
cognomen, qu’il est le fils de Titus, qu’il appartient à la tribu ne sont pas tous nés à Rome ni habitants de Rome mais pro-
Claudia et qu’il est originaire de Virunum (cf. question 2). viennent de régions éloignées, soumises ou vaincues par les
Dès le IIIe siècle av.  J.-C., Rome était divisée en trente-cinq armes.
tribus : quatre tribus urbaines et trente-et-une tribus rurales 3. Ce légionnaire possédait un praenomem (Titus), un nomen
(ou rustiques), dont la tribu Claudia. Cette division en tribus (Iulius) et un cognomen (Tuttius) : seuls les citoyens portaient
permet de regrouper les citoyens suivant leur lieu d’habita- les tria nomina.
tion ; chaque tribu correspond à une circonscription lors de
l’élection des comices tributes.

Vivre dans la cité • 61


3 Être ou ne pas être citoyen(ne) (p. 62)
Les p. 60-61 nous ont permis de découvrir la politique active d’intégration menée par Rome ainsi que l’ampleur
des conquêtes effectuées. Cette page aborde la question de l’intégration sous un aspect plus individuel, à travers
le procès intenté au citoyen Balbus et l’octroi à une prêtresse grecque de la citoyenneté romaine.
Les deux textes nous présentent plusieurs catégories d’individus qui ont accédé à la citoyenneté romaine  :
avoir lutté aux côtés des Romains contre un ennemi commun permet souvent d’accéder à la citoyenneté – et
cette voie d’intégration se retrouve dans le discours du président F. Hollande (p.  63). Les esclaves peuvent
également, sous certaines conditions, y accéder ; il existe d’autres voies d’accession à la citoyenneté, plus paci-
fiques, comme nous le montre l’exemple de la prêtresse grecque. Les questions suivantes peuvent guider
l’étude comparée des textes : selon quels critères Rome a-t-elle accordé la citoyenneté ? Qu’exigeait-elle des
nouveaux citoyens ? Quels intérêts pouvait-elle retirer de cette politique d’intégration ?

TRADUCTION
Apprenez maintenant le jugement du Sénat qui fut toujours approuvé par le jugement du peuple. Nos ancêtres,
juges, ont voulu que les sacrifices de Cérès soient célébrés avec le plus grand scrupule et avec le plus grand
respect religieux ; comme ils avaient été importés de Grèce, ils furent toujours opérés par des prêtresses
grecques et menés entièrement en langue grecque. Mais, bien qu’ils aient choisi en Grèce une femme pour
leur apprendre ce rituel sacré et pour l’accomplir, ils voulurent que ce rituel fût accompli par une citoyenne
pour des concitoyens, afin qu’elle priât les dieux immortels avec une technique étrangère et inconnue mais
avec l’esprit d’une citoyenne, membre de la même patrie.

Langue
1. L’antécédent est « judicium ».
2. La conjonction de subordination « cum » a une valeur concessive : « bien que ». L’adverbe « tamen » le confirme.
3. Le groupe de mots en gras se trouve à l’ablatif, expression d’un complément circonstanciel de moyen.

Traduire
1. « Cognoscite » est un verbe conjugué à l’impératif présent, 2. La proposition infinitive est « Sacra Cereris summa majores
2e personne du pluriel, voix active. nostri religione confici caerimoniaque ».
« Monstraret » est un verbe au subjonctif imparfait, à la 3e per- 3. Voir la traduction.
sonne du singulier, voix active.
« Precaretur » est un verbe conjugué au subjonctif imparfait, à
la 3e personne du singulier, voix déponente.

Comprendre
1. Le critère premier est l’utilité que l’on reconnait au futur 2. Cette politique d’intégration permet à Rome d’accroître
citoyen (l.  7-8  : «  avaient été d’une grande utilité pour notre considérablement le nombre de ses soldats (« de nombreux
République »). Il faut que ce dernier ait participé à l’intérêt com- soldats », énumération des noms de lieux, l. 6), ce qui conforte
mun (« nos chefs », « notre ennemi », « nos propres généraux », son hégémonie militaire, mais aussi de remporter plus faci-
« notre République », l. 8, « notre République », l. 10), soit en ayant lement des victoires puisque les ennemis préfèrent obtenir
mis sa propre vie en jeu (premier texte) soit en participant de la la citoyenneté romaine (« les ennemis qui avaient rejoint nos
manière la plus parfaite à la vie religieuse romaine (deuxième généraux ») plutôt que de perdre soit leur liberté, soit leur vie,
texte). Ce mérite que l’on reconnaît à l’individu est récompensé en restant dans le camp des futurs vaincus.
par l’octroi de la citoyenneté. Autrement dit, il faut se conduire
comme un citoyen modèle avant même de devenir un citoyen.

4 Devenir Français (p. 63)


Le discours du président Hollande peut constituer un prolongement du premier texte de la p. 62. L’étude du
discours présidentiel pourrait commencer par une explicitation du contexte historique dans lequel les tirailleurs
sénégalais ont acquis, perdu puis recouvré la citoyenneté française. L’intérêt du rapprochement des deux textes
est de comparer les raisons qui, à vingt siècles d’écart, amènent un pays à faire de certaines personnes de nou-
veaux concitoyens. Autre angle d’étude possible pour ces deux textes : il s’agit de deux discours. On étudiera
notamment la dimension argumentative de deux écrits, la volonté de convaincre et de persuader les auditeurs, les
figures rhétoriques (types de phrases, figures de style…) utilisées comme supports à l’intention argumentative.

Confronter
1. À plusieurs reprises au cours de l’histoire, les tirailleurs ainsi, ils ont agi comme les frères d’arme des Français. L’octroi
sénégalais ont mis leur vie en jeu pour sauver la France et la de la nationalité peut donc être considéré, dans cette mesure,
liberté des Français. Plusieurs de leurs camarades ont sacrifié comme une récompense (cf. texte « Récompenser les vertus
leur vie pour un pays qui n’était pas le leur. En combattant et mérites de chacun »). De surcroît, ces anciens soldats ont


62 Vivre dans la cité
manifesté leur volonté de vivre sur le sol français, c’est-à-dire 1955 par le Conseil de l’Europe ; le personnage de Marianne
de se soumettre aux lois de ce pays, d’en adopter les mœurs, issu du tableau d’Eugène Delacroix La Liberté guidant le peuple
de partager un mode de vie, sans pour autant pouvoir parti- représenté sur le document tenu en main par le préfet, et
ciper pleinement à la vie civique, n’étant pas officiellement inspiré de la Révolution des Trois Glorieuses menée contre
reconnus comme des citoyens. Charles X ; le costume officiel du préfet ; la poignée de main.
2. En accordant la citoyenneté à ceux qui ont risqué leur vie 4. La dimension guerrière est très présente dans ces deux
pour elle, Rome et la France augmentent leur corps civique, pages, autour de cette idée commune : le futur citoyen doit
assurent sa cohésion, s’épargnent des revendications légi- déjà avoir fait ses preuves avant d’intégrer le corps civique, et
times voire des révoltes, et s’honorent en récompensant des c’est sur le champ de bataille que l’on court les plus grands
valeurs fondamentales, défendues par ceux qui intègrent et risques pour la patrie. Un citoyen est donc, d’abord, celui
par ceux qui sont intégrés : le courage, la lutte pour la liberté, qui est prêt à sacrifier sa vie pour la patrie. Il existait dans
le sens du sacrifice pour l’intérêt commun. l’Antiquité, comme il existe encore à notre époque, d’autres
3. Les symboles républicains sont : le drapeau tricolore ; le dra- voies pour accéder à la citoyenneté, des voies pacifiques,
peau européen (devant lequel se tient le préfet), adopté en comme l’attestent l’extrait « Une prêtresse grecque devenue
citoyenne » et la photographie présentée en p. 63.

pistes pour construire un portfolio


Un portfolio pourrait être proposé aux élèves à partir du texte antique « Récompenser les vertus et les
mérites de chacun » et du discours de M. Hollande. Bien que le contexte de l’énonciation soit différent
(un avocat lors d’un procès / un président de la République lors d’une cérémonie officielle), ces deux
textes sont des discours argumentatifs qui visent à légitimer l’obtention d’une nouvelle nationalité.
Ils nous éclairent sur les choix qui motivent une nation à intégrer des citoyens, sur les critères posés par
la nation qui accueille, sur les bénéfices qu’elle peut en retirer, bénéfices tant matériels que moraux
(il s’agit de récompenser des « vertus » et de réaffirmer les valeurs qui fondent la cité/nation qui
accueille). Ainsi, la politique d’intégration d’un pays est une partie de ce qui définit ce pays lui-même.

5 Les Grecs nous envahissent ! (p. 64)


À Rome, les Grecs n’ont pas toujours bonne réputation  : inventeurs de la philosophie et de l’éloquence, ils
passent leur temps, dit-on, en babillages et autres baratins ; leur culture et leur art de la parole font d’eux des
menteurs et des escrocs. Le mode de vie à la grecque est l’objet de railleries, notamment parce que les Grecs
sont considérés comme efféminés, ce qui est contraire aux valeurs de courage, de force et, partant, à la virtus
Romana : on se moque par exemple de leurs vêtements, de leur goût excessif pour le raffinement et le confort,
de leur sensibilité artistique.
Les relations des Romains avec les Grecs et leur civilisation, envers lesquels ils avaient une certaine dette cultu-
relle, étaient donc fondées sur de la reconnaissance, autant que sur le rejet. C’est ce que montre, entre autres,
l’utilisation de l’adjectif graeculus, employé habituellement comme quolibet. Cicéron, qui parlait couramment
le grec et collectionnait les œuvres d’art venues de Grèce, est un exemple révélateur : dans son argumentation
contre Verrès, l’orateur insiste particulièrement sur le mode de vie et les goûts hellénisants de l’accusé ; mais
ses traités philosophiques sont tout à la fois une traduction, une reprise, une adaptation et un renouvellement
de la philosophie grecque et de ses différentes doctrines.
Le poète Juvénal, dans un registre satirique, offre une fresque de la Ville sous les Flaviens. Il s’en prend ici par-
ticulièrement, par la voix d’un certain Imbricius, aux Grecs, dont la présence est, si on l’en croit, envahissante
et néfaste. Ils font partie des nombreuses communautés d’étrangers installés dans la Ville, qui est devenue
immense et cosmopolite. Suétone (Vie d’Auguste, XXVIII-XXX) détaille la politique urbaine et le programme
monumental mis en place par Auguste, dont l’objectif n’était pas simplement un embellissement de la ville :
sécurisation, construction et dédicaces de temples, d’un Forum, édification de bibliothèques, de portiques, de
monuments, d’un théâtre et d’un amphithéâtre, restaurations, division de la ville en régions et quartiers admi-
nistratifs, création d’un corps de vigiles contre les incendies, prévention des inondations par l’élargissement du
lit du Tibre, réparation de la Via Flaminia. Au début du Ier s., l’urbanisme de la Ville s’en trouva profondément
modifié, même si les problèmes de surpopulation, d’insécurité et d’insalubrité persistèrent.

Vivre dans la cité • 63


TRADUCTION
Celui-ci, de la haute Sycion, ou celui-ci d’Amydon, abandonnée,
celui-ci, d’Andros, celui-là, de Samos, celui-ci, de Tralles ou d’Alabandes,
se jettent sur l’Esquilin et la colline dont le nom vient de viminalis1,
futurs sang et maîtres de nos grandes familles.
Esprit vif, audace effrénée, parole
facile et plus impétueuse qu’Isée. Dis qui
c’est, d’après toi. Il nous apporte, avec lui, n’importe quel homme :
grammairien, rhéteur, géomètre, peintre, masseur,
augure, acrobate, médecin, sorcier, il sait tout,
le Grecquillon affamé ; au ciel, si tu lui demandes, il ira.
En somme, il n’était ni Maure, ni Sarmate, ni Thrace,
celui qui se mit des ailes, mais né en plein Athènes.
1. Espèce d’osier.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
L’influence de la Grèce sur le monde romain a commencé avec la domination étrusque à Rome, aux VIIe
et VIe s. av. J.-C. : l’urbanisation, la vie de la cité, l’art, la religion, l’alphabet, sont inspirés ou empruntés aux
Étrusques, eux-mêmes très ouverts à la civilisation des Grecs, qui fondent des colonies en Italie du Sud
au début du VIIIe s. av. J.-C. Durant la République, la conquête de la péninsule italienne puis du bassin
méditerranéen mirent les Romains en contact direct avec les cités de Grande-Grèce (cf. p. 21), puis avec
celles de Grèce et d’Asie. Au IIIe s. av. J.-C., la littérature latine naissante est très dépendante de la littérature
grecque : traduction de l’Odyssée en latin, adaptation des tragédies et des comédies grecques. L’élite
romaine commence à parler le grec ; en 167, Paul-Émile transfère à Rome la bibliothèque du roi Persée.
Au Ier s. av. J.-C., nombre de Romains font un séjour à Athènes pour leurs études. Dans le même temps,
on se fait construire des domus à la grecque (cf. p. 30). L’art oratoire est lui aussi tributaire de la rhétorique
grecque (cf. p. 32). Du VIe au IIe siècle, c’est essentiellement aux Grecs que l’on doit le développement de
la science (astronomie, médecine, géographie) et des techniques (architecture, engins de guerre, mesure
du temps), que les Romains reprennent et améliorent grâce à des innovations.

Lire
1. Umbricius ne supporte pas la présence des Grecs à Rome. les professions habituellement exercées par les Grecs, qui en
Sa haine est mise en évidence par une exagération, comme si sont les spécialistes car ces disciplines sont nées en Grèce ou
la Ville était avant tout peuplée de Grecs : « je ne peux suppor- s’y sont développées : grammaticus, rhetor, geometres, pictor,
ter, Quirites,/une ville grecque ». Le locuteur énumère ensuite aliptes, augur, schoenobates, medicus, magus. Les deux vers
les villes d’où viennent ces Grecs qui se sont installés en par- où sont citées ces neuf professions s’achèvent par ces deux
ticulier sur l’Esquilin et le Viminal  : Sycion en Achaïe (nord- mots, en guise de conclusion : omnia novit.
ouest du Péloponnèse), Amydon en Macédoine, Andros et 3. Aux vers 17 à 21, les trois phrases sont interrogatives. Par
Samos, îles des Cyclades, Tralles en Lydie, Alabandes en Carie ces questions qui n’attendent pas de réponses tellement elles
(Asie Mineure). Tel est le « mélange » d’origines que dénonce tombent sous le sens, le locuteur exprime sa colère, qui pour-
Umbricius. rait se résumer ainsi : « Les Grecs envahissent notre quotidien
2. Aux vers 9 à 16, la figure de style dominante est l’énumé- et usurpent nos prérogatives, et je resterais les bras croisés,
ration. Sont d’abord énumérées trois « qualités » : ingenium sans rien dire ? ».
velox, audacia perdita, sermo promptus et Isaeo torrentior. Puis

Lexique
1. La satire s’appuie sur les jeux de sonorités, certains noms (ῥήτωρ), geometres (γεωμέτρης), aliptes (ἀλείπτης), schœno-
propres sonnant particulièrement «  grec  »  : «  Sicyone  » et bates (σχοινοϐάτης). Il peut sembler, a priori, surprenant, que
« Amydone » contiennent un « y », lettre qui ne fut introduite Juvénal en emploie autant, puisqu’il fustige la présence des
dans l’alphabet latin qu’à l’époque de Cicéron et dont la pro- Grecs à Rome. En réalité, c’est un instrument de la satire : le
nonciation devait rester « étrange », voire difficile ; « Andros » poète mêle au latin un certain nombre de noms propres et
fait directement référence au mot «  homme  » (ὁ ἀνήρ, communs empruntés à la langue grecque pour montrer, sym-
ἀνδρός), au mâle par opposition à la femme, sans cependant boliquement, à quoi ressemble la ville de Rome elle-même
d’idée de virilité ; il est possible que «  Tralles  » sonnât éga- largement imprégnée d’éléments grecs. La lecture à haute
lement grec, le radical Trall- ne servant en latin qu’à former voix et la déclamation doivent mettre en évidence ces sono-
les mots désignant ce peuple d’Illyrie. Toujours est-il que ces rités « étrangères », qui envahissent le vers et la phrase. C’est
noms de lieu évoquent des cités lointaines, dont certaines la langue latine elle-même, support et assise de la civilisation
sont probablement inconnues des Romains. romaine, qui est en danger.
2. Dans l’énumération des professions habituelles des Grecs, 3. Le mot « Graeculus » est dérivé du nom Graecus. Le suffixe
certains mots sont directement empruntés au grec  : rhetor -ulus sert à former les diminutifs, et prend ici un sens péjoratif.


64 Vivre dans la cité
Interpréter
1. Le portrait de l’homme grec dressé par Umbricius est cari- les créations de l’esprit sont subtiles et ingénieuses, mais
catural. En effet, les Grecs qui vivent à Rome ne sont pas tous peuvent se révéler mortelles. Enfin, le Grec s’octroie les pré-
de « vrais Grecs », c’est-à-dire d’origine achéenne ; il suffit de rogatives des citoyens romains  : apposer sa signature en
lire la liste de leurs cités d’origine. Ce sont des gens qui s’ins- premier, prendre la meilleure place dans le triclinium. Ainsi,
tallent à Rome pour en devenir maîtres (« domini », v. 8). Ils la diatribe ne se limite-t-elle pas aux seuls Grecs, mais s’étend
sont certes vifs d’esprit, mais baratineurs et hommes à tout en général à l’étranger qui s’installe comme s’il était chez lui
faire, ils ont toujours réponse à tout dans tous les domaines ; et à l’intellectuel au mauvais sens du terme, qui s’appuie sur
pourtant, le Grec est « affamé » (« esuriens »). Le locuteur fus- le langage pour emporter l’adhésion, quel que soit le sujet ou
tige en particulier les mensonges des pièces de théâtre et de la discipline.
la mythologie, lesquels ne cadrent pas avec la rigueur requise 2. Ces étrangers « ayant débarqué à Rome au hasard du vent
en géométrie, par exemple : l’expression « in caelum, jusseris, avec des figues et des prunes » (v. 19) inspirent à Umbricius
ibit » est probablement une allusion aux Nuées d’Aristophane, haine et dégoût, pour toutes les raisons détaillées ci-des-
où sont critiqués les sophistes et Socrate, intellectuels au sens sus, comme le montrent en particulier l’énumération des
négatifs du terme ; les vers 15-16 font référence au mythe de fonctions qu’ils peuvent prendre (v.  12-13), supplantant les
Dédale et Icare : l’architecte qui a fait preuve d’hybris en pen- Romains eux-mêmes, et les questions rhétoriques dans la
sant qu’il pourrait voler et faire voler son fils jusqu’à leur cité dernière partie de l’extrait (v. 17-21).
d’origine n’est pas un Maure, un Sarmate ou un Thrace, ce
3. Aux vers 17 à 21 se dessine la conception d’une citoyen-
qui aurait pu expliquer son manque de discernement, mais
neté exclusive, réservée aux seuls Romains, et non pas d’une
bel et bien un athénien, venant donc de la cité la plus pres-
citoyenneté ouverte, intégratrice.
tigieuse soi-disant d’un point de vue culturel et intellectuel ;

6 Des esclaves et des hommes ? (p. 65)


Qu’est-ce qu’un esclave dans l’Antiquité ? Une chose, un bien, un homme ?
« C’est avant tout un homme, une femme ou un enfant que l’on considère comme la propriété d’un maître (ou
d’une maîtresse). Tout le monde sait à l’époque que l’esclave est un être humain, qu’il n’est pas nécessairement né
esclave et que, inversement, tout homme ou toute femme peut devenir esclave. Juridiquement et politiquement,
l’esclave est tenu pour un objet faisant partie du patrimoine de son propriétaire, au même titre qu’une maison ou
que du bétail. Il n’empêche que, même juridiquement, son humanité est reconnue, et très anciennement. Cette
reconnaissance ne date pas de l’Empire romain, et elle ne résulte pas seulement de l’influence stoïcienne ou
chrétienne » (Jean Andreau et Raymond Descat, Esclave en Grèce et à Rome, Hachette Littératures, 2006, p. 18-19).
Autrement dit, l’esclave est par nature un animal appartenant à la catégorie des humains. En revanche, juridi-
quement, politiquement et fonctionnellement, l’esclave est une res mobilis, une chose animée qui fait partie de la
propriété et est utilisée comme force de travail. À ce titre, il faut l’entretenir, tout comme on entretient un outil,
afin d’assurer son bon fonctionnement.
En latin, le mot homo peut désigner l’esclave (employé par Plaute ou par Sénèque dans sa lettre 47 à Lucilius,
voir infra pages 86-87), mais le terme usuel est servus : « il se disait des hommes (servus homo), mais aussi des
choses, des biens soumis à une servitude (serva praedia) » (Dictionnaire historique de la langue française, Tome 3, Le
Robert, 2000, p. 3474). L’adjectif servus s’oppose en effet à liber, l’esclave se définissant avant tout par opposition
au citoyen, dont il est le négatif. L’esclave est caractérisé par l’absence d’identité, par l’absence de faculté de déli-
bérer, donc de droits politiques, ainsi que par l’absence de loisir. Il n’est pas un « animal politique ».
On le sait, la condition des esclaves dans l’Antiquité n’est pas homogène : d’un maître à l’autre, d’une fonction à
l’autre, leur traitement, leur rôle, leur reconnaissance sont très variables. Mais au-delà de cette réalité complexe, le
maître domine l’esclave ; c’est la domination qui définit le statut du maître, la soumission celui de l’esclave, parfois
traité, de fait, comme du bétail. 
Au théâtre, l’esclave joue un rôle déterminant : entremetteur, confident, homme à tout faire, il est le plus souvent
rusé et parvient à sortir son maître de situations parfois inextricables. Dans L’Imposteur, Pseudolus, esclave de
Simon, père de Calidore, promet à ce dernier de trouver l’argent nécessaire pour acheter Phénicie, dont le jeune
homme est épris ; s’il le faut, il volera son père Simon… Ainsi s’achève la scène d’exposition. Survient Ballio, qui
s’emporte à brûle-pourpoint contre quatre de ses esclaves sous les yeux de Calidore et Pseudolus. Le présent de
vérité générale fait de ce texte une diatribe comique contre les esclaves. L’objectif principal est ici de mettre en
voix et en scène la réplique de Ballio, ce qui implique préalablement des activités de lecture, de compréhension,
d’étude de la langue, de traduction et d’interprétation de l’extrait.
La lecture de la mosaïque conservée au musée archéologique de Sousse pourra y aider.

Vivre dans la cité • 65


TRADUCTION
Ballio. – (aux esclaves)
Sortez, allez sortez, paresseux, bande de mal acquis et mal conquis,
de qui quiconque oncques en quoi que ce soit n’a pensé qu’ils agissent bien,
dont, si ce n’est ainsi que j’agis, on ne peut user qu’à l’usure. (Il les bat)1
Et moi, des hommes plus bêtes, je n’en ai jamais vus, tant leurs flancs s’endurcissent sous les coups ;
et eux, quoique tu les frappes, c’est à toi que tu fais le plus mal. Et en effet telle est leur nature, ce sont
[des fouettophiles,
qui ont ces bonnes résolutions : dès que leur en est donnée l’occasion, vole, dérobe, garde,
[pille, bois, mange, fuis. C’est ça
leurs bons offices, au point qu’on préfèrerait laisser des loups avec des brebis plutôt qu’eux
[à la maison comme gardiens.
Mais quand tu le regardes, leur visage, ils ne semblent pas mauvais : c’est leurs actions qui sont trompeuses.
1. La didascalie n’est pas dans le texte original.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES

• Sur la question de l’esclavage et du statut de l’esclave, on consultera avec intérêt : Jean Andreau et
Raymond Descat, Esclave en Grèce et à Rome, Hachette Littératures, 2006, et Yvon Thébert, « L’esclave »,
L’Homme romain, éditions du Seuil, 1992, p. 179-223.
• Sur le théâtre : Jean Christian Dumont et Marie-Hélène François-Garelli, Le Théâtre à Rome, Le Livre de
poche, 1998, et Florence Dupont, L’Acteur-roi – Le théâtre à Rome, Les Belles Lettres, 2003.
• Deux émissions de 2000 ans d’histoire sont également consacrées à cette question : « L’esclavage dans
l’Antiquité » (http://blog-histoire.fr/2000-ans-histoire/1912-lesclavage-dans-lantiquite.html),
et « Esclave en Grèce et à Rome », France Inter (http://blog-histoire.fr/2000-ans-histoire/8005-esclave-en-
grece-et-a-rome-2.html).

Lire
1. Dans cet extrait, les figures de style employées sont : accompagnée de gestes, de déplacements et de mimiques,
- la répétition : exite (v. 1), male (v. 1), numquam (v. 2 et 4) ; est due en particulier à l’emploi des figures de répétition
- l’accumulation : rape, clepe, tene/harpaga, bibe, es, fuge (v. 6-7) ; énumérées ci-dessus. Les autres figures de style créent éga-
- l’homéotéleute : exite/agite (v. 1), habiti/conciliati (v. 1), rape/ lement un effet de comique, notamment l’antiphrase, que
clepe (v. 6) ; renforcent à la fois la parataxe et l’emploi de « flagritribae ».
- l’assonance et l’allitération, qui s’appuient sur des jeux d’ho- Ce mot semble bien être à la fois un néologisme et un hapax,
mophonie : quorum numquam quicquam cuiquam (v. 2), quos composé du nom flagrum (« fouet, lanière ») et du verbe grec
quom (v. 5) ; usuel τρίϐω (« user par frottement »), que l’on retrouve dans
- l’hyperbole : numquam quicquam cuiquam venit in mentem « diatribe » par exemple. On peut le traduire littéralement par
ut recte faciant (v. 2), nisi ad hoc exemplum experior, non potest « qui use le fouet » ; il est cependant préférable, pour conser-
usura usurpari (v. 3) ; ver l’effet comique, de le traduire par un mot composé d’un
- la métaphore : mavelis lupos apud oves quam hos domi/lin- nom comme «  fouettovore  », dont le deuxième élément,
quere custodes (v. 8-9) ; latin, est compris du lecteur et peut rendre l’idée d’usure ; ou,
- l’antiphrase  : haec habent consilia : ubi data occasiost, rape, mieux, « fouettophile », dont le deuxième élément, grec, rend
clepe, tene,/ harpaga, bibe, es, fuge (v. 6-7), le sens premier de l’opposition, pour ne pas dire l’antithèse, entre l’instrument
consilium étant « délibération, consultation » ; de torture qu’est le fouet et le verbe φιλῶ. Notons enfin un
- le polyptote : usura usurpari (v. 3). jeu de mot : le terme « asinos » (v. 4) est employé à la fois au
2. Les jeux de comique sont avant tout créés par la prononcia- sens propre et figuré (« bêtes ») ; en français, le mot « bête » a
tion difficile de cette réplique, dont certains vers sont de véri- perdu son sens propre lorsqu’il signifie « idiot » ; aussi l’avons-
tables virelangues ; cette prononciation difficile, qui doit être nous mis en italique dans notre traduction.

Traduire
1. Les pronoms relatifs sont quorum, quibus, quos et qui (v. 2, 2. Les propositions introduites par ubi et cum/quom sont :
3, 5 et 6). Les antécédents de quorum et quibus sont les par- - quom ferias (v. 5) ;
ticipes substantivés habiti et conciliati (v. 1) ; l’antécédent de - ubi data occasio est (v. 6) ;
quos est homines (v.  4) ; l’antécédent de qui est flagritribae - faciem cum aspicias eorum (v. 10).
(v. 5). Les propositions subordonnées relatives sont : 3. La traduction de cet extrait sera l’occasion de réviser la
- quorum numquam quicquam cuiquam venit in mentem (v. 2) ; conjugaison de l’impératif, du subjonctif et du participe. Une
- quibus non potest usura usurpari (v. 3) ; fois bien établie la compréhension du texte, on invitera les
- quos tibi plus noceas (v. 5) ; élèves à proposer une traduction littéraire : de notre côté, nous
- qui haec habent consilia (v. 6). nous sommes efforcés de rendre, autant qu’il est possible, les
figures de répétitions ; nous avons parfois privilégié la lettre.


66 Vivre dans la cité
Interpréter
1. Dans l’Antiquité, les pièces de théâtre n’étaient à l’origine féminin, comme le montrent sa coiffure et ce qui ressemble
écrites que pour être représentées, une seule fois, l’auteur à une palla (sorte de large écharpe, de mantille), portée par-
étant lui-même le metteur en scène. D’où l’absence de didas- dessus sa tunique un peu à la manière d’un châle couvrant les
calies dans les textes latins. Nous avons inséré dans notre épaules et les bras et tombant bas dans le dos ; ce personnage
traduction les didascalies des éditions de références, néces- reçoit un volumen de sa main droite. Le personnage de gauche
saires à la compréhension de l’extrait. Il s’agira d’inviter les est un messager portant un masque rouge pourpre ; il vient
élèves à écrire des didascalies plus abondantes, voire à rédi- de se présenter et lève la main droite, comme pour demander
ger ce qu’on pourrait appeler un « carnet de mise en scène », grâce lui aussi au nom de l’esclave.
avec des précisions sur le décor, les costumes, les masques Deux des trois personnages, ainsi que la scène elle-même,
(les érudits ne sont cependant pas unanimes au sujet de leur peuvent être rapprochés de ceux de l’extrait de L’Imposteur
utilisation), la position des personnages, leurs mouvements. de Plaute : Ballio battant ses esclaves.
Ce sera l’occasion de travailler sur l’histoire du théâtre et sur
les conditions matérielles de la représentation, en particulier
viva voce
sur l’architecture des théâtres romains.
2. La mosaïque représente une scène de comédie, comme le La mise en voix implique au préalable de comprendre parfaitement le
prouvent les masques et la position des personnages. Le per- texte et de réfléchir, en l’occurrence, à la mise en scène, comme nous
y invitons dans la rubrique Interpréter. On sensibilisera également les
sonnage de droite est un esclave : il est dans une position d’infé-
élèves à la scansion, bien que le vers utilisé ici ne soit pas le classique
riorité, pour ne pas dire de soumission ; il porte ce qui peut être hexamètre dactylique ; on pourra donc établir la longueur des voyelles
interprété comme une chaîne entravant ses bras ; la position (voir notre fiche p. 199), non pas tant pour la respecter lors de la mise en
de ses jambes semble en effet indiquer qu’il se tort de dou- voix, ce qui est une gageure, que pour montrer le rythme du vers. De la
leur ; de sa main gauche, appuyée sur la hanche, il tente sans même manière, on pourra placer l’accent tonique : dans les mots de deux
doute d’apaiser une vive douleur ; sa main droite et sa tête sont syllabes, c’est la première qui porte l’accent (rósa) ; dans les mots de plus
levées, c’est le signe qu’il demande grâce. Le personnage cen- de deux syllabes, l’accent est : sur la pénultième (avant-dernière) si elle est
tral est son maître, visiblement en colère : il est beaucoup plus longue, selon les règles de la scansion (dubitáre) ; sur l’antépénultième si
grand, solidement campé sur ses deux jambes, le visage sévère la pénultième est brève (dúbĭtat). On pourra consulter le dictionnaire ou
et déterminé ; il s’agit peut-être, en réalité, d’un personnage scander les mots avec le logiciel en ligne Collatinus Web (voir p. 14-15).

prolongements
On pourra confronter cet extrait de L’Imposteur avec la scène 2 de l’acte III des Fourberies de Scapin, où
Scapin prend la place du maître, Géronte étant la dupe de son valet qui le roue de coups. Il sera pertinent de
visionner la mise en scène de Jean-Louis Benoît à la Comédie-Française (1998), bien qu’elle reste classique.

lecture La parole : pouvoirs et dérives

1 Une langue pour dominer ? (p. 66)


Les pouvoirs de la parole sont d’autant plus grands que celui à qui l’on s’adresse ne la maîtrise pas, voire ne la com-
prend pas, du moins dans un premier temps. Et davantage encore, si c’est le vainqueur qui s’adresse au vaincu : la
parole prend alors le relais des armes et devient elle-même l’arme de la domination. Le meilleur moyen est alors
d’imposer sa langue et, de fait, sa manière de comprendre le monde et d’en rendre compte, sa culture et, en un
mot, sa civilisation.
Si l’on en croit Valère Maxime, c’est le moyen qu’ont utilisé sous la République les magistrats romains à l’égard
des Grecs. L’objectif était double, comme le précise l’auteur : empêcher ces derniers d’utiliser leur langue et ses
pouvoirs, et répandre la langue latine per omnes gentes, afin qu’elle inspire le respect ; le lien est ensuite clairement
établi entre parole et pouvoir.
Mais, comme nous l’avons vu (p. 64), la langue grecque est devenue la langue de culture de l’élite romaine. Auguste
fit installer une bibliothèque latine et une bibliothèque grecque jouxtant sa demeure sur le Palatin. Probablement
entre l’an 9 et l’an 13, Auguste a rédigé le bilan, forcément positif, de son règne, pour qu’il soit gravé d’abord sur
deux plaques de bronze installées devant l’entrée de son Mausolée, à Rome, et qu’il soit recopié ensuite dans des
lieux publics consacrés à Auguste, à travers tout l’Empire, en latin dans les provinces occidentales, mais en latin
et en grec dans les provinces orientales. L’exemplaire romain a complètement disparu, mais les archéologues ont
notamment retrouvé une copie assez bien conservée de ce texte bilingue sur les parois du temple d’Auguste et
de Rome à Ancyre (actuelle Ankara). Aujourd’hui, le texte latin est lisible sur les parois extérieures du bâtiment où
est conservée l’Ara pacis Augustae, à Rome.
Nous le connaissons sous le titre Res gestae Divi Augusti. Il s’agit d’un « bilan politique à portée constitutionnelle »,
pour reprendre l’expression de John Scheid (Res gestae divi Augusti, Les Belles Lettres, p. LIII) : « les Res Gestae ne glo-
rifient pas seulement les hauts faits et les libéralités du prince qui sentait la mort approcher ou venait de décéder.
Elles présentent également comme une constitution générale du principat, donnée sous forme de récit autobiogra-
phique, dans lequel Auguste essayait, en s’appuyant sur son auctoritas suprême, d’imposer à ses successeurs et aux
Romains un modèle de régime politique capable de survivre à sa mort sans retomber dans les conflits politiques qui
avaient déchiré Rome depuis un siècle » (Ibid., p. LXI). Ici, la langue permet donc d’asseoir le pouvoir du prince.

Vivre dans la cité • 67


Biblio
Pour illustrer l’utilisation de la parole dans le contexte judiciaire, ses pouvoirs et ses limites, nous proposons la lecture cursive de
Pour T. Annius Milon de Cicéron (disponible en édition bilingue) et le visionnage de Douze hommes en colère, de Sidney Lumet.
c Le discours de Cicéron est un plaidoyer en faveur de Titus Annius Milon, accusé de l’assassinat de Publius Clodius Pulcher sur
la via Appia en 52 av. J.-C., dans des circonstances que met admirablement en scène Steven Saylor dans son romain policier Meurtre
sur la Via Appia, dont on pourra recommander la lecture aux élèves. Le procès fut jugé par un tribunal spécial, la durée des débats
étant fixée à cinq jours. L’agitation qui régna lors du plaidoyer de Cicéron ne permit pas à celui-ci de mener à bien sa défense ;
son client fut condamné à l’exil. 
c Douze hommes en colère met également en scène un procès criminel aux États-Unis : douze hommes forment le jury, qui doit
statuer sur le sort d’un jeune homme accusé de parricide, risquant la chaise électrique s’il est déclaré coupable à l’unanimité.
Seul un homme met en doute la culpabilité de l’accusé, et suscite un débat au sein du jury, tenant ainsi en haleine le spectateur.

TRADUCTION
Traduction du texte de Valère Maxime : Traduction de l’extrait des Res gestae Divi Augusti :
Et même, leur volubilité à parler, à laquelle ils doivent leur Des guerres, sur terre et sur mer, civiles et extérieures,
supériorité, ayant été ébranlée, ils les contraignaient à par- sur toutes les terres du monde, j’en ai souvent menées, et,
ler grâce à des interprètes, non seulement dans notre ville, vainqueur, à tous les citoyens qui me demandaient grâce,
mais aussi en Grèce et en Asie, afin, évidemment, que le je l’ai accordée.
prestige de la langue latine, plus respectable dans tous les
peuples, se répande. Et eux, ils ne manquaient pas de goût
pour la culture, mais ils pensaient que, en toute occasion, le
pallium devait être soumis à la toge, considérant qu’il était INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
indigne que soient sacrifiés aux charmes et à la douceur de
Sur La Rhétorique dans l’Antiquité, voir la synthèse de
la littérature, le poids du pouvoir et son autorité.
Laurent Pernot, Le Livre de poche, 2000.

Langue
1. « Plurimum » est ici un adverbe au superlatif de supériorité, 3.  «  Loqui  » est l’infinitif présent actif du verbe déponent
dont le positif est multum. Il signifie « le plus », « beaucoup ». loquor, loqueris, loqui, locutus sum.
« Venerabilior » est un adjectif décliné au nominatif masculin « Subici » est l’infinitif présent passif du verbe subicio, is, ere,
singulier ; il s’agit du comparatif de supériorité de venerabilis. jeci, jectum.
Il signifie « plus vénérable », « plus respectable ». « Donari » est l’infinitif présent passif du verbe dono, as, are,
2.  «  Nulla » est ici un déterminant indéfini, décliné à l’abla- avi, atum.
tif féminin singulier ; il s’accorde avec le nom « re », que régit
la préposition « in ». Le groupe prépositionnel « nulla in re »
signifie littéralement « en aucune circonstance ».

Traduire
1.  Dans l’extrait de Valère Maxime, «  ipsos per interpretem La proposition infinitive «  indignum esse existimantes inle-
loqui  » est une proposition infinitive qui complète «  coge- cebris et suavitati litterarum imperii pondus et auctoritatem
bant  » ; elle contient une proposition participiale à l’ablatif, donari » complète le participe présent « existimantes ».
«  linguae vobilitate excussa  », elle-même développée par la 2.  BELLA, TERRA ET MARI, CIVILIA EXTERNAQVE, TOTO IN
proposition subordonnée relative « qua plurimum valent ». ORBE TERRARVM SAEPE GESSI, VICTORQVE OMNIBVS VENIAM
La proposition infinitive « pallium togae subici debere » com- PETENTIBVS CIVIBVS PEPERCI.
plète « arbitrabantur ».

Comprendre
1. D’après Valère Maxime, les anciens magistrats imposaient le lettre écrite par Claude aux Alexandrins, Via Latina 2de, p. 92) et
latin dans les relations entre peuples afin de « conserver leur la propagande impériale se sont servies à la fois du latin et du
majesté et celle du peuple romain » (l. 1-2). Autrement dit, il grec pour s’imposer. En l’occurrence, la version bilingue des
s’agit avant tout d’une question de grandeur : le mot latin est Res Gestae est un facteur d’unification et non pas de division :
«  majestatem  », de la famille de majus et magnus. Dans ces chaque citoyen de l’Empire, de la Bretagne à l’Égypte, devait
conditions, leurs interlocuteurs étaient dans l’impossibilité être en mesure de pouvoir lire ce texte à la gloire d’Auguste.
d’user de leur « volubilitate » (l. 6), pour ne pas dire de leur élo- En règle générale, la traduction grecque du texte latin est tout
quence. Par là même, « le prestige de la langue latine » pouvait à fait fidèle, comme nous pouvons le constater ici  : le grec
se répandre « dans tous les peuples », ce qui était explicitement est un calque du latin, à l’exception de l’expression « veniam
un moyen d’asseoir « le poids du pouvoir et son autorité ». petentibus », traduite par l’adjectif ἱκετῶν, « suppliants ».
2.  Dans les provinces orientales de l’Empire, héritières des Ce passage met en évidence deux des quatre qualités
royaumes hellénistiques, on parle grec. La diplomatie (voir la majeures attendues d’un prince et citées également sur le


68 Vivre dans la cité
Bouclier votif d’Auguste (voir p. 73) : la virtus et la clementia. La en 41, de Sicile en 36 et d’Actium en 31 av. J.-C. Quant à la clé-
virtus désigne le courage, la vaillance du général d’armée qui, mence dont se targue Auguste, elle est loin d’être évidente.
en l’occurrence, aurait vaincu « sur terre et sur mer » « dans D’après Suétone (Vie d’Auguste, 13 et 15) et Dion Cassius
le monde entier  » («  toto in orbe terrarum  »). L’expression (Histoire romaine, 51, 2, 4), le sort des vaincus fut parfois loin
consacrée est hyperbolique ; mais, de fait, pour ce qui est des d’être enviables : « si Octavien avait été d’une clémence par-
guerres extérieures, l’expansion territoriale de l’Empire a été faite, il lui aurait suffi de dire qu’il avait pardonné à tous les
spectaculaire sous Auguste, dans le Nord de l’Espagne, dans citoyens, à tous les vaincus. En fait, il souligne sa suprématie
les Alpes avec la Rhétie, le Norique, la Pannonie et l’Illyrie, en en précisant que seuls ceux qui le suppliaient recevaient la
Germanie, dans le Nord de la Macédoine, de l’Asie Mineure grâce, en sous-entendant que ceux qui ne l’avaient pas fait
et de la Syrie, en Égypte, dans l’Est et le Sud de l’Afrique (au avaient été exécutés  » (John Scheid, Res gestae divi Augusti,
sens romain) ; en ce qui concerne les guerres civiles, il s’agit Les Belles Lettres, 2007, « Commentaire », p. 31).
des batailles de Modène en 43, de Philippes en 42, de Pérouse

2 Une arme de conquête (p. 67)


La question de la langue et des pouvoirs qui lui sont associés se trouve posée, dans cette page, dans un contexte
historique relativement récent : la guerre franco-prussienne de 1870, la défaite française et la perte de l’Alsace et
de la Lorraine qui en est l’une des conséquences majeures. Les deux personnages principaux du texte sont un
instituteur, M. Hamel, chargé de transmettre sa maîtrise de la langue française, ses connaissances littéraires, et un
jeune écolier, Franz, privé de l’apprentissage du français. Qu’est-ce qui se joue autour de ce choix fait par les auto-
rités allemandes d’imposer la langue allemande aux Alsaciens et aux Lorrains ? Ce choix fait directement écho à
celui fait par les autorités romaines d’imposer la langue latine aux peuples vaincus.
Le documentaire français À voix haute : la Force de la parole a été réalisé en 2016 par Stéphane de Freitas. Il suit des
élèves de Seine-Saint-Denis qui se préparent au concours d’éloquence « Eloquentia » avec des professionnels de
la parole, événement qui se déroule chaque année à l’Université Paris VIII. L’extrait est centré sur le pouvoir que
confère une maîtrise accrue de l’art oratoire. L’un des participants explique, en préambule du documentaire, dans
quelles circonstances il a pris conscience du pouvoir oratoire, alors même qu’il a grandi dans un quartier où la
langue usitée est très éloignée du « beau langage ».

Confronter
1. M. Hamel considère que la langue parlée fait partie inté- « bien parler est plus une tare qu’autre chose ». C’est notam-
grante de l’identité d’une personne ; c’est elle qui définit notre ment en écoutant des discours d’hommes politiques, le géné-
nationalité (« Vous prétendiez […] votre langue ! », l. 13-15). La ral de Gaulle et Nicolas Sarkozy, qu’il prend conscience de l’im-
langue est associée à la notion primordiale de liberté ; c’est pact, donc du pouvoir, qu’un discours bien mené peut avoir
elle qui permet de la conserver, même lorsqu’un peuple est sur l’auditoire. Il reconnaît d’ailleurs que, même s’il n’est pas
dominé militairement (« parce que, quand un peuple […] la convaincu par le contenu du discours de Nicolas Sarkozy (« j’te
clef de sa prison »). crois pas, mec !»), il reste admiratif face à ces mots savamment
2. Les décisions prises par les autorités romaines et alle- agencés. Le jeune homme et M. Hamel se retrouvent sur l’idée
mandes sont très éloignées chronologiquement mais fort de liberté : M. Hamel considère la langue comme « la clé d’[une]
similaires : les autorités romaines ont beau admirer le charme prison », le jeune participant estime que « c’est bien d’écrire,
et la beauté de la langue grecque (« inlecebris et suavitati litte- mais parler c’est mieux » car « tu peux conquérir le monde ».
rarum »), le rapport de force l’emporte et l’un de ses vecteurs On retrouve la notion d’une frontière que la langue permet de
est la langue elle-même. Imposer une langue, c’est impo- franchir : il s’agit justement, pour le jeune homme, de s’affran-
ser un mode de pensée, un passé porté par les mots, c’est chir de son milieu social par son langage, de même que les
faire entrer, ou, dirait M. Hamel, emprisonner les générations jeunes écoliers alsaciens pourraient conserver leur liberté en
futures dans l’histoire du peuple vainqueur. conservant leur langue natale.
3. Que gagne-t-on à « bien parler » ? A priori, rien, nous confie
ce jeune homme qui vit dans un « quartier assez difficile » où

pistes pour construire un portfolio


Le texte de Valère Maxime et l’extrait du conte d’Alphonse Daudet sont centrés sur l’importance de la
langue et de la parole. Plusieurs points communs unissent ces deux textes dont l’écart chronologique
est pourtant considérable. Le contexte est tout d’abord guerrier (guerres de conquête menées par la cité
romaine, guerre franco-prussienne). Le vainqueur veut imposer sa langue aux vaincus (Grecs dans le texte
antique, Français dans le texte moderne) pour les mêmes raisons : la langue est partie prenante de la
supériorité armée qu’il impose (« imperii pondus et auctoritatem »). Il est à noter que dans les deux textes, la
beauté de la langue que l’on cherche à effacer est affirmée : (« inlecebris et suavitati litterarum », « c’était la
plus belle langue du monde »). Différence majeure entre les deux textes cependant : Valère Maxime donne
raison à la volonté augustéenne – la dimension de propagande apparaît alors – quand M. Hamel, instituteur
français, fait un éloge vibrant de la langue française. Le petit écolier éprouve lui-même une vive peine
(« Que n’aurais-je pas donné […] sans une faute ? ») à l’idée de se voir privé de sa langue maternelle.

Vivre dans la cité • 69


3 Arma cedant togae (p. 68)
« Cedant arma togae, cedant laurea laudi », écrit Cicéron dans Mon consulat, poème autobiographique aujourd’hui
perdu : « Que cèdent les armes à la toge, que cèdent les lauriers à l’éloge ». En 55 av. J.-C., dans le Contre Pison (§ 30),
il explique lui-même ce qu’il a voulu dire : « je n’ai pas parlé de cette toge, dont je suis revêtu, ni des armes, bouclier
ou glaive, d’un seul général, mais, parce que le symbole de la paix et du calme, c’est la toge, alors que les armes
sont celui du désordre et de la guerre, parlant alors de façon poétique, j’ai voulu faire entendre ceci : la guerre
et le désordre doivent céder la place à la paix et au calme ». Le consulat de Cicéron, en 63 av. J.-C., avait en effet
été marqué par l’affaire Catilina et par les quatre discours prononcés par Cicéron contre ce dernier, qui valurent à
l’orateur de recevoir le titre honorifique de Pater patriae.
ÉO
C’est dans un contexte de violence extrême qu’est prononcé le premier discours de ID

6
V
Cicéron, au Temple de Jupiter Stator : l’objectif est de convaincre Catilina de quitter Rome
et de rejoindre l’armée d’Étrurie, ce qui prouverait sa culpabilité ; Catilina ose l’inter-
Visite virtuelle ®
rompre trois fois, l’invective, mais finit par sortir vivement du Sénat sous les protestations Une visite virtuelle du Forum
indignées de l’auditoire. républicain tel qu’il était au IVe s., et
notamment des rostres, permettra
Grâce à son éloquence et à sa force de persuasion, Cicéron a prouvé de manière reten- de s’immerger dans ce haut lieu de
tissante que la parole était plus forte que les armes. Cependant, l’histoire lui donne- l’éloquence et des débats politiques
ra tort : en 43, son nom apparaît sur les listes de proscription, à la demande de Marc qui ont agité la fin de la République
Antoine, contre qui l’orateur a prononcé une série de quatorze discours très violents, les romaine. Cette visite pourra être
Philippiques, entre le 2 septembre 44 et le 21 avril 43 ; Cicéron est tué le 7 décembre, dans complétée par la lecture de la fresque
sa villa de Formies. Pour preuve de son assassinat et par vengeance, ses mains et sa tête de Cesare Maccari, « Cicéron dénonce
sont exposées sur les rostres de la nouvelle tribune aux harangues, sur le Forum. Catilina », toujours visible au palais
Madame, siège du Sénat
L’écoute des lectures (audio 11 et 12), révèlera aux élèves ce que pouvaient être la pronon- de la République italienne.
ciation et le ton employés par Cicéron face à son adversaire ; on donnera ainsi vie au texte.
TRADUCTION
Traduction de la 1re partie : Traduction de la 2de partie :
Jusqu’à quand enfin abuseras-tu, Catilina, de Quelle époque, quels principes ! Le Sénat connaît ces choses, le
notre patience ? Combien de temps encore cette consul les voit ; celui-ci cependant est en vie. En vie ? Bien plus,
maudite fureur qui te tient nous bernera-t-elle ? il vient même au Sénat, il prend part au débat public, il stigmatise
Jusqu’à quel point s’emballera, effrénée, ton et désigne des yeux, en vue d’un massacre, chacun d’entre nous.
audace ? Toi, est-ce que ni la garnison de nuit Nous par contre, en hommes courageux, nous estimons faire assez
du Palatin, ni les gardes de la ville, ni la crainte pour la République, si nous esquivons la fureur et les armes de cet
du peuple, ni le rassemblement de tous les bons individu. C’est à la mort, Catilina, qu’il fallait te mener, sur ordre
citoyens, ni ce lieu surprotégé pour une réu- du consul, il y a longtemps, sur toi qu’il fallait reporter la désola-
nion du Sénat, ni les regards de ceux-ci et leurs tion que toi, contre nous tous, tu trames depuis longtemps. Quoi ?
visages, ne t’ont impressionné ? Découverts, tes un homme des plus considérables, Publius Scipion, grand pontife,
plans  : tu ne le sens pas ? Déjà prise au piège a tué Tiberius Gracchus qui portait légèrement atteinte à la stabi-
par la connaissance qu’en ont tous ceux-ci, ta lité de la République, en simple particulier ; Catilina, qui souhaite
conjuration : tu ne le vois pas ? Ce que tu as fait dévaster le monde entier par un massacre et des incendies, nous,
la nuit dernière, la nuit d’avant, où tu as été, qui les consuls, nous le supporterons ? Et je passe sous silence ces
tu as réuni, quel plan tu as arrêté, qui d’entre exemples trop anciens : ainsi, Caius Servilius Ahala tua Spurius
nous l’ignore, d’après toi ? Maelius, qui préparait une révolution, de sa propre main. Tel a été,
tel a été jadis, dans notre République, le courage, que des hommes
courageux punissaient de châtiments plus impitoyables un citoyen
dangereux que le plus impitoyable ennemi. Nous avons un senatus
viva voce consulte contre toi, Catilina, sévère et dur ; elle ne fait pas défaut,
L’objectif sera de mettre en voix et en scène les paragraphes
la résolution de la République, ni la volonté de notre ordre ; c’est
1 à 3 de cet exorde si célèbre. On pratiquera la différenciation nous, je le dis clairement, nous les consuls, qui faisons défaut.
en fonction du niveau des élèves. Les uns pourraient faire
une mise en voix en latin, d’autres en français. Une mise en
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
voix par groupe est envisageable. Ce travail implique au
préalable une bonne connaissance du contexte politique, du Sur l’affaire Catilina, on se reportera aux introductions respectives
texte lui-même (prononciation, sens, procédés stylistiques et au texte de Cicéron, Catilinaires, Classiques en poche, 2012 et
et rhétoriques) et de ses enjeux, un entraînement à la Salluste, La Conjuration de Catilina, Classiques en poche, 2002.
prononciation, à la diction et à l’action oratoire. Pour cela, on Sur la rhétorique, on consultera l’ouvrage d’Olivier Reboul,
pourra utilement étudier la manière dont certains dictateurs Introduction à la rhétorique, PUF, 1991. Sur Cicéron, on écoutera
du XXe s., Hitler ou Mussolini par exemple, prononçaient leurs
l’émission suivante : « Cicéron, une vie, une œuvre », France
discours. Pour se rapprocher autant qu’il est possible des
conditions dans lesquelles deux des quatre Catilinaires ont Culture, 2006 (www.youtube.com/watch?v=Pm5G6pzAke8).
été dites, on invitera les élèves à dresser une grande estrade Pour une visite plus complète du Forum républicain au IVe s.,
avec des tables, en imitant le large escalier d’accès, à l’arrière, on visionnera : « Le centre historique de Rome, le Forum
et les rostres, à l’avant, avec des chaises. républicain », Nocturne du Plan de Rome, 8 novembre 2017.


70 Vivre dans la cité
Lire
1. Les fonctions traditionnelles de l’exorde sont : mettre l’au- Cicéron, autrement dit les gens de bien (« populi, concursus
diteur en état de comprendre l’affaire, le rendre attentif, susci- bonorum omnium », « senatus », « nos », « horum », « nostrum »).
ter sa bienveillance. Mais parfois, l’orateur supprime l’exorde 2. On invitera ici les élèves à formuler des hypothèses de lec-
à dessein, en commençant ex-abrupto  : ici, Cicéron attaque ture à partir des éléments suivants : ton employé, types de
directement son adversaire, s’en prenant à son furor et à son phrases utilisés, effets et figures de style, mots transparents,
audacia. D’emblée, il veut montrer que les plans de Catilina notes explicatives. On pourra commencer par écouter une
sont découverts et que ce dernier est cerné de tous côtés. Il première fois l’audio. Ensuite, on le réécoutera en demandant
interpelle son adversaire en formulant six interrogations d’af- aux élèves de repérer les éléments qu’ils comprennent, les
filée : d’abord trois brèves ; puis une très longue, rythmée par structures significatives, les mots transparents. Enfin, une lec-
l’anaphore de l’adverbe nihil et l’accumulation de termes indi- ture à haute voix et avec des gestes permettra d’appréhender
quant que toute la population de Rome est aux aguets pour plus finement, voire de comprendre, le sens de ce passage.
éviter un désastre ; enfin deux de longueur intermédiaire, Ce sera un premier pas vers l’actio oratoire.
la dernière étant composée d’un enchaînement d’interro-
On repèrera notamment  : la phrase nominale exclamative
gatives indirectes, où Cicéron passe en revue les derniers
(« O tempora, o mores ! », l. 1), la construction paratactique des
agissements de Catilina. Il tente ainsi d’esseuler son adver-
phrases de la première ligne et la reprise du verbe «  vivit »,
saire, comme le montre l’emploi des pronoms personnels et
l’accumulation des verbes (l. 2-3), le champ lexical de la mort,
démonstratifs ou des adjectifs possessifs : d’un côté ce qui se
l’hyperbole que constitue dans ce contexte l’expression
rapporte à l’accusé et à ses complices (« te », « tua », « tuam »,
« orbem terrae » (l. 8), la prétérition (l. 9-10), la répétition de
«  quos convocaveris  ») ; de l’autre, le peuple, les sénateurs,
« fuit » (l. 10) et de « nos » (l. 14).
Traduire
1.  Beaucoup d’élèves auront déjà étudié ce premier para- mouvement de l’attaque oratoire : les trois premières phrases
graphe de l’exorde en classe de troisième (voir en particu- forment un ensemble, puis la quatrième, puis les deux sui-
lier Via Latina, Cycle 4 et 3e, p.  218-219 et 18-19). Ces élèves vantes. En fonction du niveau des élèves, on leur fournira dif-
s’appuieront à la fois sur leurs souvenirs et sur les lectures qui férentes aides (lexique, traduction partielle, écrite ou orale).
viendront d’être faites pour entrer dans une compréhension 2.  On peut commencer par identifier trois «  parties  »  : une
plus fine de l’extrait. Se pose en effet ici le problème de la nouvelle attaque contre Catilina (l. 1-6) ; les exemples précé-
compréhension de l’ensemble du paragraphe et de chaque dents de P. Scipio et de C. Servilius Ahala (l. 6-10), qui doivent
phrase en particulier. On évitera autant que possible de pro- en quelque sorte faire jurisprudence ; l’appel à la fermeté
céder phrase par phrase, afin de ne pas morceler par trop le (l. 10-14).

Culture
1. Lucius Sergius Catilina est né vers 108 av. J.-C. Il appartient à Catilina, faute de preuves réelles. Les Sénateurs prennent des
une famille patricienne, la gens Sergia, qui prétend descendre mesures pour éviter le pire. Nous sommes fin octobre 63. Le
de Sergeste, un compagnon d’Énée ; mais aucun membre 28, ont finalement lieu les élections consulaires : Catilina est
de cette famille n’est parvenu à se faire élire consul.  En 66, battu à nouveau. Les conjurés décident alors de massacrer les
accusé de concussion, Catilina ne peut se présenter aux élec- consuls nouvellement élus, chez eux.
tions consulaires. En 65 et au début de 64 av. J.-C., une pre- 2. Les informations concernant les tendances politiques des
mière conjuration échoue par deux fois, ce qui n’empêche optimates et des populares se trouvent facilement sur Internet
pas le chef de file des populares de s’aligner à nouveau pour ou dans les ouvrages de référence. Cette question sera l’oc-
les élections consulaires. Face à lui, Cicéron, soutenu par les casion d’inviter les élèves à confronter le dernier siècle de la
optimates. Pour défendre son programme et rallier le plus République romaine avec d’autres mouvements révolution-
possible de citoyens, Catilina crée une formidable agitation naires et d’autres idéologies des XIXe et XXe siècles, comme
démagogique dans Rome. Mais les sénateurs et les cheva- le socialisme, le communisme, le fascisme, le phalangisme, le
liers font barrage : Cicéron est élu. Au moment des élections nationalisme et autres extrémismes.
consulaires pour l’année 62 av. J.-C., Catilina se porte candidat
3. Catilina quitte Rome le soir même du premier discours de
pour la troisième fois et reprend son agitation démagogique,
Cicéron, et rejoint l’armée de Manlius en Étrurie. Il faudra trois
en l’accentuant encore. Il fomente une nouvelle conjuration :
autres discours, prononcés respectivement les 9 novembre,
il lève une armée, prépare l’incendie de dix-huit quartiers
3 et 5 décembre, au Forum, sur les marches du temple de la
de Rome et le massacre de l’aristocratie. Cicéron, secrète-
Concorde puis à l’intérieur, pour obtenir, in fine, la peine capi-
ment informé de tous ces préparatifs et ayant intercepté des
tale ; une armée est envoyée contre les fugitifs. Le 5 janvier 62,
lettres anonymes annonçant le massacre, convoque le Sénat
Catilina est battu et tué à Pistoia.
et annonce ce qui se prépare, mais ne peut encore accuser

prolongements
Afin que les élèves appréhendent un tant soit peu les conditions matérielles de l’actio oratoire dans
l’Antiquité, on pourra visionner le discours de Marc Antoine après la mort de Jules César, interprété
par Marlon Brando dans le film Jules César de Joseph Mankiewicz (1953). La version originale est disponible
en ligne, non sous-titrée, ce qui permet de se concentrer sur l’actio en elle-même
(www.youtube.com/watch?v=7X9C55TkUP8&t).

Vivre dans la cité • 71


4 Une arme à double tranchant (p. 69)
En grec, ῥητορική est attesté pour la première fois vers 390 av. J.-C., chez Alcidamas (Sur les sophistes, 2) et Platon
(Gorgias, 448d-449a) : c’était « un mot technique, spécialisé, un terme de métier, porteur d’une connotation intel-
lectuelle à cause de son suffixe -ikos. C’est en ce sens que Platon le met dans la bouche de Gorgias, avec iro-
nie : encore une spécialité, encore un mot en « -ique », qui n’est pas sans éveiller un soupçon de charlatanisme »
(Laurent Pernot, La Rhétorique dans l’Antiquité, Le Livre de Poche, 2000, p. 40).
En réalité, les règles de cet art sont nées en Sicile au Ve s. av. J.-C. Elles furent ensuite recueillies, enrichies et
codifiées en un système cohérent par Aristote dans les années 330. Cet héritage est enfin transmis à Rome par
Cicéron au Ier s. av. J.-C. puis Quintilien, dans L’Institution oratoire, vers 95. D’un point de vue pratique, « on peut
dire en tout cas que les sophistes ont créé la rhétorique en tant qu’art du discours persuasif, faisant l’objet d’un
enseignement systématique et global, enseignement fondé lui-même sur une vision du monde », écrit Olivier
Reboul (Introduction à la rhétorique, PUF, 1991, p. 21).
Il ne faut cependant pas confondre la rhétorique avec la dialectique. La dialectique des sophistes est un art de la
controverse redoutable, qui peut faire triompher, pouvant servir l’injuste autant que le juste, le faux autant que
le vrai, et défendre la liberté autant que la soumission, si bien que « sur tout sujet, on peut soutenir aussi bien un
point de vue que le point de vue inverse, en usant d’un argument égal », affirme Protagoras (Fragment A 20-21,
cité par Laurent Pernot, La Rhétorique dans l’Antiquité, Le Livre de Poche, 2000, p. 29), lui-même auteur d’un recueil
d’Antilogies, où il s’appliquait, comme l’indique le titre, à donner des arguments contraires sur un sujet donné.
Ainsi, pour Aristote, la dialectique sophistique n’est plus au service du vrai ou du faux, mais du probable, se fon-
dant sur l’opinion. Si la rhétorique se sert parfois de la dialectique, comme d’autres moyens, pour convaincre,
cette dialectique doit du moins être consciente d’elle-même et suivre les règles strictes de la logique.
IDÉO
7
V

Visite virtuelle ®
La rhétorique est l’art de l’orateur à l’agora, au Forum, à la Curie, dans les tribunaux. La visite virtuelle de la Curie Julienne au IVe s. sera
donc l’occasion de découvrir de l’intérieur, après le Forum républicain et les rostres, l’un des hauts lieux de l’éloquence politique et
son histoire. On remarquera en particulier la disposition des sièges à l’intérieur de l’édifice : rangés le long des murs latéraux, de part
et d’autre d’un large espace où l’on peut s’exprimer en déambulant. Pour achever ce tour d’horizon, on pourra visiter virtuellement la
Basilique Julienne et l’Aula Regia (voir p. 114), où étaient prononcés des discours judiciaires.

TRADUCTION
Moi, je reconnais que la rhétorique quelquefois dit le faux pour le
vrai, mais pas au point de concéder qu’elle se fonde aussi sur une
fausse opinion, parce qu’il est très différent de croire soi-même
quelque chose et de faire en sorte qu’un autre le croit. En effet,
même un général utilise souvent le faux ; comme Hannibal quand,
cerné par Fabius, après avoir attaché des sarments autour des cornes
des bœufs et y avoir mis le feu, faisant conduire sur les montagnes
d’en face, pendant la nuit, les bêtes, donna l’impression à l’ennemi
que l’armée s’en allait ; mais il trompa l’autre, lui-même n’ignorait
pas ce qu’était le vrai. […] De même l’orateur, quand il utilise le
faux pour le vrai, sait que c’est faux et qu’il l’utilise pour le vrai ; il
n’a donc pas lui-même une opinion fausse, mais il trompe un autre. INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Et Cicéron non plus, quand il se glorifie d’avoir répandu les ténèbres
sur les juges dans l’affaire Cluentius, n’est pas lui-même aveugle. Et On lira avec intérêt la synthèse de Jacqueline
le peintre, quand par la puissance de son art il fait en sorte que nous de Romilly, Les Grands Sophistes dans
l’Athènes de Périclès, Le Livre de Poche, 2004,
croyions que certains éléments ressortent dans l’œuvre, que d’autres
ainsi que celle de Gilbert Romeyer Dherbey,
soient en retrait, lui-même n’ignore pas qu’elle est plane. Les Sophistes, Que sais-je ?, 2017.

Langue
1. Voici les verbes à l’infinitif, suivis entre parenthèse du verbe - Cum falso utitur pro vero : « quand », « lorsque » ;
dont ils dépendent : dicere (contifitebor), esse (concedam), vide- - Cum se tenebras offudisse judicibus in causa Cluenti gloriatus
ri (diversum est), efficere (diversum est), esse (scit), uti (scit), offu- est : « quand, lorsque » ;
disse (gloriatus est), eminere (credamus), recessisse (credamus), - Cum vi artis suae efficit : « quand, lorsque » ;
esse (nescit). - Ut quaedam eminere in opera, quaedam recessisse credamus :
2. Quia longe diversum est : « parce que » ; « en sorte que », complète « efficit ».
- Ut alii videatur : « que », qui complète « efficere » ; 3. Le groupe de mots soulignés est une proposition partici-
- Cum per noctem in adversos montes agens armenta speciem piale à l’ablatif, dont le sujet est « sarmentis », les verbes « deli-
hosti abeuntis exercitus dedit : « quand », « lorsque » ; gatis » et « incensis ».
- Quid verum esset : « ce que/qui » ;


72 Vivre dans la cité
Traduire
Le texte est assez long et ardu, c’est pourquoi nous l’accom- exemples (l. 5-19), avec l’exemple du général (l. 5-10), l’exemple
pagnons d’une traduction du XIXe s., assez éloignée du de l’orateur (l. 11-15), l’exemple du peintre (l. 16-18). Il est pos-
latin. Il est conseillé de partir d’un repérage global des deux sible de différencier les attentes en fonction du niveau des
«  moments  » de l’extrait  : l’exposé de la thèse (l.  1-4) ; les élèves. On pourra procéder à une traduction juxtalinéaire.

Comprendre
1. Pour Quintilien, s’il est vrai que, à l’instar de la dialectique, 2. On amènera ici les élèves à réfléchir à un phénomène qui
la rhétorique est capable de prouver une thèse aussi bien que envahit les médias, les réseaux sociaux et les discours  : les
son contraire, cela ne veut pas dire que les deux thèses soient fausses informations, autrement nommées « infox ». On pour-
obligatoirement équivalentes, sauf à tomber dans la sophis- ra replacer l’accentuation de ce phénomène dans le contexte
tique. Or, contrairement à cette dernière, la rhétorique est du Brexit depuis 2016, de l’élection de Donald Trump en 2016,
capable de distinguer le vrai de l’apparent, de la tromperie. et de la crise sanitaire liée à la COVID 19 en 2020. L’information
L’orateur trompe autrui, mais n’est pas dupe de sa tromperie. mensongère étant délivrée dans le but de manipuler ou de
Il est lui-même dans le vrai bien qu’il utilise le faux. Son opi- tromper un auditoire ou un lecteur, l’infox peut en effet
nion est fondée sur le vrai, mais il induit chez l’adversaire une être rapprochée de la thèse de Quintilien : celui ou celle qui
fausse opinion. Il se fonde ici sur la distinction entre le vrai et la publie trompe sans se tromper lui-même. Ce sera l’occa-
le vraisemblable, qui semble vrai. sion de sensibiliser les élèves au choix des médias qu’ils
Quintilien s’appuie sur quatre exemples appartenant à des écoutent, lisent ou regardent. À ce titre, on pourra s’appuyer
domaines différents et qui ne font pas tous référence à la sur l’exemple du Canard enchaîné, seul périodique qui, depuis
rhétorique : le général Hannibal utilisant un stratagème pour plus d’un siècle, parvient à maintenir un modèle économique
tromper l’ennemi visuellement ; l’orateur Cicéron qui s’enor- sans publicité, gage de son indépendance ; sa devise est à elle
gueillit d’enténébrer l’auditoire par la parole ; le peintre, dont seule éloquente : « La liberté de la presse ne s’use que quand
l’œuvre représente les éléments en trois dimensions alors on ne s’en sert pas ». Pour davantage de détails sur l’histoire
que son support est en deux dimensions. du journal et un florilège d’article depuis cent ans, on se
reportera à Le Canard enchaîné, 100 ans, Seuil, 2016.

lecture Penser les différents modes de gouvernement


spécialité

1 Le meilleur des gouvernements (p. 70)


Entre 57 et 51, Cicéron rédige le De Republica, qui prend la forme d’un dialogue censé avoir eu lieu lors des
féries latines de 129 av. J.-C. : il s’agit d’une fête annuelle en l’honneur de Jupiter Latiaris, protecteur du Latium.
L’interlocuteur principal est Scipion Émilien, qui incarne aux yeux du philosophe l’idéal du citoyen romain :
grand homme de guerre, chef du parti aristocratique, respectueux du mos majorum, lecteur de Platon et des
Grecs, ami du philosophe Panétius et de l’historien Polybe, grands admirateurs de Rome. Scipion peut être
considéré comme la voix de Cicéron, qui reprend ici un passage des Histoires de Polybe (livre VI, 3, 4) : « il est
clair en effet que le meilleur régime exemplaire est une combinaison de tous ceux que nous avons évoqués
en particulier », à savoir : τὸ μὲν καλοῦσι βασιλείαν, τὸ δ’ ἀριστοκρατίαν, τὸ δὲ τρίτον δημοκρατίαν. En cette
moitié de Ier s. av. J.-C., la République romaine est à l’agonie ; la combinaison idéale des trois autres formes de
gouvernement fera long feu, remplacée par le principat d’Auguste.
Plus d’un millénaire plus tard, dans l’Italie du Quattrocento chrétien, on cherche toujours le meilleur regimen, le
meilleur art de diriger. En 1338, la ville de Sienne, cité principale de son contado, vit depuis 1287 sous le gouver-
nement des Neufs. Ce dernier commande à Ambrogio Lorenzetti, sur trois murs de la salle où se réunissaient les
Neufs, une fresque représentant le bon gouvernement et, de part et d’autre, sur les murs latéraux, d’un côté les
effets du mauvais gouvernement, de l’autre ceux du bon.

TRADUCTION
Cette organisation, d’abord, a en quelque sorte un bon équilibre […] ; ensuite, une
stabilité : le fait que même ces premières [formes] se convertissent facilement en leurs
contraires défectueux, c’est-à-dire qu’à un roi succède un maître tyrannique, aux meil-
leurs une faction, au peuple le désordre et la confusion ; et le fait que ces formes elles-
mêmes souvent se changent en de nouvelles formes, cela, dans cette organisation de
l’État unie et combinée avec équilibre, ne se produit quasiment pas si les princes n’ont
pas de grands défauts. Il n’y a en effet pas de raison de changer, lorsque chacun se tient
fermement à sa propre place, et n’est pas exposé à s’abaisser et à tomber.

Vivre dans la cité • 73


INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES

• Sur l’histoire et les « institutions » de la République romaine, on lira la synthèse de François Hinard,
La République romaine, Que sais-je ?, PUF, 1992.
• Pour approfondir l’analyse de la fresque de Ambrogio Lorenzetti, on se reportera au livre de Patrick
Boucheron, Conjurer la peur – Essai sur la force politique des images, Éditions du Seuil, 2013. On en retrouvera
une synthèse en écoutant ou en visionnant : Christian Nadeau, La Force politique des images, Radio Canada,
2016 (www.youtube.com/watch?v=Hd78CtQFkVc) et Pierrick Auger, La Fresque du bon gouvernement de
Sienne, France 5, 2017 (www.youtube.com/watch?v=hUjU61MNwNY).

Langue
1. « Quod et illa prima [genera] facile in contraria vitia convertuntur. » 3. « Ut existat ex rege dominus, ex optimatibus factio, ex populo
« Quod ipsa genera generibus saepe commutantur novis. » turba et confusio » : « à savoir qu’à un roi succède un maître
2. « Hoc » est sujet du verbe « evenit ». tyrannique, aux meilleurs une faction, au peuple le désordre
et la confusion ».
Traduire
1. « Illa prima [genera] » et « ipsa genera » désignent les trois «  dans cette organisation de l’État, unie et combinée avec
formes de gouvernement qui ont été définis plus haut, les équilibre ».
premiers dont on a parlé ; « generibus novis » désigne de nou- 3. Les questions de Langue et de Traduction précédentes ont
velles formes de gouvernement succédant aux précédentes ; permis de comprendre l’organisation syntaxique du passage
ils ne sont pas nécessairement autres que les trois premiers, et de traduire une proposition et quatre groupes nominaux
mais leur succèdent inévitablement car ces premiers modes importants. On alertera les élèves sur certains mots, dont le
sont instables par nature. sens semble transparent mais ne l’est pas : constitutio, domi-
2. Le groupe nominal en bleu est un complément circonstan- nus, rei publicae, vitium, conversionis, praecipitet.
ciel de lieu introduit par la préposition in suivie de la l’ablatif :

Interpréter
1. Pour Scipion, le meilleur type de gouvernement est une com- d’une légitimité plus solide ou de justifications plus savantes ;
binaison équilibrée d’un élément royal, d’un élément aristocra- c’est simplement parce qu’il produit des effets bénéfiques sur
tique et d’un élément populaire. Pour Cicéron, la République chacun, concrets, tangibles, ici et maintenant – que tout le
du IIe s. av. J.-C. avait été un régime équilibré, ainsi défini dans monde peut voir, dont tout le monde bénéficie, et qui sont
la Rhétorique à Hérennius (4, 47), ouvrage d’auteur inconnu du comme immanents à l’ordre urbain  » (Patrick Boucheron,
Ier s. av. J.-C. : « le Sénat a pour devoir d’aider, par son avis, l’État ; Conjurer la peur – Essai sur la force politique des images, Éditions
le magistrat a pour devoir, avec application et conscience, de du Seuil, 2013, p.  14). Telle semble en effet être l’intention
suivre la volonté du Sénat ; le peuple a pour devoir, par ses générale. Pour davantage de détails, nous renvoyons à nos
votes, de choisir et d’approuver les meilleures propositions et pistes bibliographiques et documentaires, en particulier les
les hommes les plus qualifiés ». Le Sénat est l’élément royal, les p. 137-176 du livre de P. Boucheron.
magistrats l’élément oligarchique, le peuple l’élément démo- 3. Le De republica de Cicéron est un dialogue philosophique
cratique. Pour autant, figure de proue du «  parti  » des opti- fictif, qui a vocation à définir la forme idéale de gouverne-
mates, Cicéron est attaché à une res publica aristocratique, avec ment. Cicéron, idéalisant le passé, considère que la res publica
un Sénat puissant et des magistrats supérieurs élus par les plus s’est corrompue au Ier s., l’excès de liberté ayant engendré une
riches, comme cela était le cas à cause du système des votes forme d’oligarchie, voire de tyrannie, celles des grands géné-
aux comices centuriates. Dès 367, « l’habile compromis licinio- raux accaparant progressivement le pouvoir et le concentrant
sextien, en un accord durable, partagera le gouvernement de entre leurs mains. Au moment où Cicéron rédige ce dialogue,
la Cité entre l’oligarchie patricienne et l’oligarchie (mais non la la rivalité entre Pompée et César bat son plein ; le philosophe
masse !) plébéienne  », rappelle Michel Humbert (Institutions tire en quelque sorte la sonnette d’alarme. La concorde entre
politiques et sociales de l’Antiquité, Dalloz, 2007, p. 235). ces trois éléments, qui avait son temple en bonne place sur le
2. Nous présentons ici la fresque centrale, celle du mur nord, Forum républicain et qui est le gage de la stabilité, est, de fait,
présentant les allégories du bon gouvernement. À droite battue en brèche.
figurent les effets du mauvais gouvernement ; à gauche ceux Lorenzetti entend conjurer visuellement, par «  la force
du bon gouvernement. Nous avons préféré transcrire lisible- politique des images », la peur d’un retour à la tyrannie. La
ment les noms latins inscrits sur la fresque ; notons que le per- fresque est réalisée, ce n’est pas un hasard, dans le Palazzo
sonnage le plus important, identifié habituellement comme Pubblico, c’est-à-dire dans le bâtiment communal de cité,
l’allégorie du Bien commun, n’est en réalité pas nommé par accessible à tous. Bien sûr, les trois fresques ne sont pas des
Lorenzetti ; objectivement, il s’agit d’un « personnage véné- représentations de la réalité, mais une image des effets du
rable en souveraineté », pour reprendre les mots de Patrick bon et du mauvais gouvernement, d’une part, et une figu-
Boucheron. ration, d’autre part, des vertus sur lesquelles il faut s’appuyer
Sur les trois murs de la Salla della Pace, Ambrogio Lorenzetti pour que le gouvernement aboutisse à la paix et produise
présente un véritable programme politique : « si ce gouver- des effets positifs, et non pas l’inverse. Il n’en reste pas moins
nement est bon, ce n’est ni parce qu’il est inspiré par une que le gouvernement des Neuf, qui dura de 1287 à 1355, est
lumière divine ni parce qu’il s’incarne dans des hommes de souvent considéré comme un âge d’or de l’histoire de la cité.
qualité ; ce n’est même pas parce qu’il bénéficie d’un régime Une grave crise y met cependant fin.


74 Vivre dans la cité
2 Un mauvais roi vaut mieux qu’un pire… (p. 71)
Phèdre reprend ici une fable d’Ésope (« Βάτραχοι αἰτοῦντες βασιλέα », 66), en la faisant précéder de cette « intro-
duction » : « Lorsque Athènes florissait sous des lois égalitaires, une liberté effrénée mit le trouble dans l’État. Et
la licence rompit ses vieilles entraves. Alors, grâce à un complot de différents partis politiques, Pisistrate usurpe le
pouvoir et s’empare de la citadelle. Les Athéniens déploraient leur malheureuse servitude ; non pas que Pisistrate
fût cruel, mais tout joug est pesant aux épaules qui n’y sont pas habituées. Comme ils s’étaient mis à se plaindre
de leur fardeau, Ésope leur raconta cet apologue à peu près en ces termes » (traduction de Pierre Constant, 1937).
En guise d’ouverture et afin d’établir le lien avec le texte de Cicéron, on pourra lire cette première partie de la
fable : la liberté, c’est-à-dire le gouvernement du peuple, peut aboutir à la tyrannie, comme ce fut le cas à Athènes
au VIe s. Du moins si l’on en croit le fabuliste, car le règne de Pisistrate, contrairement à celui de ses fils, ne fut en
réalité pas tyrannique au sens moderne de ce mot : « souvent on répétait que la tyrannie de Pisistrate c’était la vie
sous Cronos » (Aristote, Constitution d’Athènes, XVI, 7-8), autrement dit l’âge d’or.
Il sera également possible de partir de la lecture d’une ou plusieurs illustrations de cette fable. On pourra égale-
ment visionner le court-métrage suivant : Ladislav Starewitch, Les Grenouilles qui demandent un roi, court métrage
muet, 1922.

TRADUCTION
Puis, l’ayant souillé de toutes sortes d’outrages,
elles vont en ambassade réclamer un autre roi,
puisque le premier reçu n’était bon à rien.
Alors il leur envoie une hydre, qui de sa dent acérée
commence à les broyer une à une. En vain fuient-elles
le massacre, inertes, la crainte étouffant leur voix.
En secret donc elles envoient Mercure en mission chez Jupiter,
afin qu’il secoure les accablés. Sur quoi, au contraire, le dieu dit :
« Puisque vous n’avez pas voulu accepter votre bonheur,
souffrez un malheur ». « Vous aussi, citoyens, dit-il,
supportez ce malheur, afin qu’un pire ne vienne ».

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
La vie de Phèdre, né vers 6 av. J.-C. selon certaines hypothèses, nous est à peu près inconnue : né en Thrace,
arrivé à Rome en tant qu’esclave dans des circonstances que nous ne connaissons pas, il est un affranchi
d’Auguste. « Mais en ce début du Ier siècle ap. J.-C., au moment où s’affirmait un nouveau régime politique,
essentiellement monarchique, toute opinion critique était jugée subversive : il ne restait à Phèdre qu’à
se dissimuler sous la fiction de la fable, à transposer au royaume des animaux ce qu’il voulait dénoncer
de la cour du prince » (Jean-Louis Vallin, Phèdre, Les Fables, Minos, p. 8). Les deux premiers livres de fables
sont publiés sous Tibère, ce qui attire sur son auteur les foudres du puissant Séjan. Il parvint cependant à
poursuivre et à publier les autres livres des Fables.

Lexique
1. Les mots en italiques portent le sens général des trois pre- Le participe substantivé «  adflictis  » vient du verbe adfligo
mières phrases. Ils seront des repères pour la lecture et la «  frapper contre, abattre  », dérivé de fligo «  frapper  », d’où
compréhension plus fine de ce moment de la fable. affliger, affligeant, affliction.
2. L’adverbe « furtim » est dérivé de fur, furis « voleur », d’où Le verbe « succurro » est dérivé du verbe curro « courrir » pré-
furtif, furtivement, furet, fureter. fixé de sub, d’où secourir, secourable, secouriste.
Le participe substantivé « mandata » vient du verbe mando On demande à Mercure d’aller plaider la cause des grenouilles
« donner une mission », dérivé de manus « main », d’où man- auprès de Zeus. On demande à ce dernier de venir en aide
der, mandat, mandataire, demander, demande, comman- aux grenouilles affligées.
dant, etc. 3. Le mot « bonum », qui s’oppose à « malum », est répété deux
fois aux vers 20-23.
Lire
1. V. 1-3 : les grenouilles, que leur liberté a mené à des mœurs 2. V. 12-14 : Les grenouilles souillent leur « roi », en réclame un
dissolues, réclament un autre roi. autre, « inutile ».
V. 4-6 : Jupiter leur envoie une poutre, dont la chute les effraie. V. 15-17 : Jupiter leur envoie un autre roi, cruel cette fois, qui
V. 7-9 : Devant son immobilité, une grenouille sort la tête de sème la terreur.
l’eau et appelle les autres. V. 18-21 : On porte plainte devant Zeus, qui répond que les
V. 10-11 : Rassurées, elles finissent par lui sauter dessus. grenouilles n’auraient pas dû mépriser leur premier roi.
V. 21-22 : Moralité.

Vivre dans la cité • 75


Comprendre
1. La moralité est « cives, hoc sustinete, majus ne veniat, malum ». historique ; les grenouilles l’exemple merveilleux. En l’occur-
2. Cette fable montre que, lorsqu’un roi vient remplacer un rence, Phèdre entend certainement dénoncer les dérives du
tyran qui lui-même a mis fin à une liberté dissolue, il faut pouvoir impérial. En comparaison de celui d’Auguste, qui mit
s’en contenter, même s’il est, ou semble être, indolent et inu- en place un régime autoritaire, le règne de Tibère, notam-
tile, même s’il se laisse piétiner… Sinon, un pire pourrait le ment au moment de l’ascension de Séjan et de l’apogée de
remplacer, dur, tyrannique. Les Athéniens en sont l’exemple son influence, fut terrible.

prolongements

Il sera intéressant de confronter cette fable de Phèdre avec la version de Jean de La Fontaine (Fables, III, 4), et la placer dans
le contexte de la mise en place de la monarchie absolue de droit divin, le livre III ayant été publié en 1668.

lecture Gouverner : du mythe à l’histoire, quel « prince » idéal ?


spécialité

1 Être maître du monde… et de soi-même (p. 72)


La diversité et la longueur des textes proposés sur cette double-page les rendent susceptibles d’être lus, compris
et traduits par des élèves inscrits en option tout autant que par des élèves suivant l’enseignement de spécialité.
C’est l’arrière-plan doctrinal stoïcien (voir nos informations supplémentaires ci-dessous) qui irrigue la pensée de
Sénèque, précepteur puis conseiller de Néron, qui a accédé au pouvoir en 54. Le De clementia est composé vers
55 ou 56. La clementia, que l’on rapproche du verbe in-clino, c’est d’abord le « penchant », l’ « inclination vers ».
Il s’agit de l’une des qualités majeures dont doit faire preuve le princeps : douceur, humanité, bienveillance, voire
compassion et indulgence. Juste avant notre passage, Sénèque dédicace explicitement son ouvrage à l’empereur
« ut quodam modo speculi vice frangeretur et te tibi ostenderem perventurum ad voluptatem maximam omnium ». Le
philosophe enjoint le prince à faire preuve de clémence, dont les fruits seront la paix civile.
Le tableau de Jean-Léon Gérôme illustre précisément la paix revenue, sans laquelle l’avènement du Christ n’eût
pas eu lieu : la virtus du prince assure la pax Romana dans le monde entier. Ce n’est pas avant tout la clementia
d’Auguste qui est représentée ici. Sénèque, un demi-siècle après la moitié du règne d’Auguste, défend l’idée que
cette qualité princière doit désormais être au premier plan.
TRADUCTION
Malgré cette si grande capacité d’action, la colère ne me pousse pas à d’injustes supplices, ni l’impétuosité
de la jeunesse, ni la témérité des hommes et leur entêtement, qui souvent a arraché leur patience à des
cœurs même très paisibles, ni même la gloire de montrer sa puissance par des actes de terreur, funeste,
mais coutumière aux grandes puissances. Rentrée – et même serrée –, mon arme est contre moi, épargnant
au maximum même le sang le plus vil ;

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
• La doctrine stoïcienne promet l’accès à la sérénité par l’acceptation volontaire et heureuse de l’ordre du
monde et de ce qui arrive, tels qu’ils sont : « Ne cherche pas à ce que ce qui arrive arrive comme tu le veux,
mais veuille que ce qui arrive arrive comme il arrive, et tu seras heureux ». Le progressant doit pratiquer des
exercices spirituels pour maîtriser ses désirs, ses impulsions, autrement dit ses passions, source d’angoisse
et de colère. Il doit également, et d’emblée, savoir distinguer nettement ce qui dépend de lui de ce qui ne
dépend pas de lui. Or, fondamentalement, ne dépend de l’homme que sa capacité à agir conformément au
souverain bien, au juste, c’est-à-dire à la nature, immanquablement bonne. Selon la « théorie des devoirs »,
« devra être choisi ce qui répond aux tendances naturelles : l’amour de la vie, par exemple, l’amour des
enfants, l’amour des concitoyens, fondé sur l’instinct de sociabilité. Se marier, avoir une activité politique,
servir sa patrie, toutes ces actions seront donc appropriées à la nature humaine et auront une valeur »
(P. Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Folio, 1995, p. 208-209).
• On lira la synthèse de Jean-Baptiste Gourinat, Le Stoïcisme, Que sais-je ?, 2007. Cet auteur
vulgarise la pensée stoïcienne dans « Les stoïciens », 3 émissions, Les Chemins de la philosophie,
France Culture (www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/
pensees-pour-moi-meme-de-marc-aurele-34-comment-se-preparer-a-mourir).

Langue
1. L’expression « in hac tanta facultate rerum » est un groupe renvoient au paragraphe précédent, où l’on rappelle la puis-
nominal prépositionnel complément circonstanciel de sance du prince : « Ego vitae necisque gentibus arbiter : qua-
lieu, au sens strict. Elle peut être traduite littéralement par : lem quisque sortem statumque habeat, in mea manu positum
« dans cette si grande faculté d’action ». « Hac » et « tanta » est ».


76 Vivre dans la cité
2. « Tranquillissimis » est un adjectif au superlatif de supério- 3. La proposition subordonnée relative est « quae saepe tran-
rité absolu formé sur tranquillus, accordé à l’ablatif neutre plu- quillissimis quoque pectoribus patientiam extorsit ». Le pronom
riel avec le nom « pectoribus ». relatif «  quae » est au féminin singulier, comme l’indique le
« Summa » est un adjectif au superlatif de supériorité absolu verbe « extorsit » ; il peut avoir un antécédent (« contumacia »)
formé sur super, accordé à l’ablatif féminin singulier avec le ou plusieurs (« contumacia » et « temeritas »), si l’on considère
nom « parsimonia ». qu’il est accordé avec le plus proche.
« Vilissimi » est un adjectif au superlatif de supériorité absolu
formé sur vilis, accordé au génitif masculin singulier avec le
nom « sanguinis ».

Traduire
1. L’anaphore qui rythme la première phrase est la négation au superlatif, de repérer la proposition relative. Les élèves
non. viennent également de comprendre la construction de la
2. Les cinq sujets du verbe « compulit » sont : ira (l. 1), juvenilis longe première phrase. L’aide lexicale leur permettra de
impetus (l. 1-2), temeritas (l. 2), contumacia (l. 2) et gloria (l. 4). résoudre quelques difficultés également.
3.  Les questions de langue ont permis de traduire le pre-
mier complément circonstanciel, d’analyser les trois adjectifs

Interpréter
1. Dès la première phrase, l’accumulation, rythmée par l’ana- large. Le peintre choisit de mettre en scène un passage du
phore de la négation non, met en évidence une forte oppo- Discours sur l’Histoire universelle de Bossuet : l’instauration de
sition, pour ne pas dire un paradoxe  : je suis le plus puis- la Pax Romana par Auguste a permis l’avènement du Christ.
sant du monde, pourtant je ne me laisse guider par aucune La composition est simple et classique. Pour plus de détails,
impulsion à agir, par aucune passion (colère, impétuosité, nous renvoyons ici à la fiche descriptive du site Musenor
témérité, entêtement, gloire). Cette opposition nous semble (www.musenor.com/les-oeuvres-du-musee/le-siecle-d-
renforcée, en latin, par l’absence de mot l’exprimant  : nous auguste), ainsi qu’à l’Apothéose d’Homère, de Ingres, dont
avons dû commencer par « malgré » dans notre traduction. s’est inspiré le peintre.
Le philosophe emploie ensuite, dans la deuxième phrase, 3. Pour l’exposition universelle de 1855, l’État commande à
l’image du glaive maintenu au fourreau, que ne porte pas Gérôme une œuvre susceptible de donner une meilleure
le prince en permanence mais qui symbolise la mort : nous image du Second Empire, qui a remplacé la République à la
avons conservé l’ordre des mots en français, afin d’essayer suite du coup d’Etat de 1851 et l’instauration. C’est l’image de la
de rendre la puissance du mot « conditum », qui commence puissance, de la stabilité, mais aussi de la fermeté, qui domine,
la phrase, sans coordination avec la précédente, ce qui est seules garantes de la paix et de l’avènement d’un ordre nou-
remarquable. L’expression «  tout le monde  », traduction de veau après les guerres civiles qui ont déchiré l’empire romain
nemo non, est hyperbolique. Notons ensuite le parallélisme à la fin du Ier s av. J.-C. Grâce à l’empereur, une lumière, bien
de construction : « la sévérité, je la tiens cachée/ mais la clé- protégée par l’ange qui montre sa reconnaissance au souve-
mence, à portée de main » ; cela renforce l’opposition entre rain, incarnée par un nouveau-né innocent et impuissant, est
le défaut et la qualité énoncées. Enfin, il faut remarquer, dans apparue. Sur les ruines des soubresauts de l’histoire qui ont
la dernière phrase, les trois balancements : « de l’un »/« d’un marqué la première moitié du XIXe siècle, un nouvel ordre est
autre », « l’un »/« un autre », « aucun motif de piété »/« pour possible, qui doit s’appuyer sur la religion chrétienne et l’Église,
moi-même ». qui prône un retour à l’ordre moral. On sait notamment que
2. Ce tableau de Gérôme est une peinture à l’huile d’enver- Baudelaire, Eugène Sue et Flaubert ont été poursuivis en jus-
gure  : plus de six mètres de haut et plus de dix mètres de tice pour atteinte à la morale publique et religieuse.

2 Capables du meilleur comme du pire (p. 73)


Dans les Res gestae (§ 34), Auguste rappelle qu’en 27 av. J.-C., alors qu’il avait obtenu, avec le consentement de
tous, le pouvoir absolu, il avait remis à la libre décision du Sénat et du peuple la gestion des affaires de l’État.
En reconnaissance, Octave avait reçu le surnom d’Auguste, les montants de la porte de sa demeure avaient été
recouverts de laurier et une couronne civique avait été fixée au-dessus, un bouclier en or avait été accroché à la
Curie, offert par le Sénat et le peuple romain pour honorer ses quatre principales qualités, celles dont doit faire
preuve tout bon prince. Ce bouclier fut reproduit sur différents supports, ensuite installés dans les provinces
de l’Empire : le seul qui nous soit parvenu est celui qui a été retrouvé à Arles en 1951, dans la galerie nord des
Cryptoportiques, qui servaient de soubassement au Forum de la cité.
La biographie de Néron par Suétone ne cadre pas avec les préceptes que lui a enseignés son précepteur et
conseiller, le philosophe stoïcien Sénèque. L’extrait que nous proposons ici met au contraire en lumière le
manque de retenue et de maîtrise de soi du jeune prince. Cela dit, notre vision de la personnalité et du règne
de Néron s’est forgée à la lumière des écrits de Suétone et de Tacite, qui en font tous les deux un portrait
à charge (cf. p.  110). Aujourd’hui, les historiens corrigent cette image négative de Néron. S’il n’a probable-
ment pas été le prince idéal que Sénèque aurait voulu qu’il soit, il ne faut pas pour autant un simple monstre
sanguinaire.

Vivre dans la cité • 77


De son côté, l’historien Ammien Marcellin dresse un portrait élogieux de Julien II, dit l’Apostat par la tradition
chrétienne, qui régna de 361 à 363. Ses vingt mois de pouvoir furent décriés par certains, en particulier les auteurs
chrétiens, loués par d’autres. On citera par exemple le point de vue élogieux d’Europe dans son Abrégé de l’histoire
romaine (Livre X, XIV), écrit au IVe s.
Des recherches et mises en perspectives culturelles seront nécessaires pour faire la part entre mythe et réalité
dans le portrait qui est dressé de chacun de ces trois princes.

TRADUCTION
Traduction du bouclier : Traduction du texte de Suétone :
Le Sénat et le peuple romain ont offert à Empereur L’impudence, la débauche, l’excès, l’avarice, la cruauté, il
­César Auguste, fils du divin, consul pour la 8e fois, un les pratiqua d’abord insensiblement en réalité, et à l’abri
bouclier pour sa bravoure, sa clémence, sa justice, sa des regards, et comme dans l’erreur de la jeunesse, mais
piété envers les dieux et la patrie. de manière que, même alors, personne ne doutât que ces
vices profonds étaient dus à sa nature, pas à son âge.

Traduction du texte d’Ammien Marcellin :


C’est un homme assurément à compter au nombre des êtres héroïques, remarquable par l’éclat de ses actes
et sa majesté invétérée. Puisque en effet il existe, comme les sages le définissent, quatre qualités principales,
tempérance, prudence, justice, courage et, s’ajoutant à elles, d’autres, extérieures, connaissance de l’art mili-
taire, autorité, chance ainsi que générosité, il les cultiva toutes comme chacune avec un zèle intense.

Comprendre
Sur le bouclier honorifique d’Auguste, quatre mots désignent L’extrait d’Ammien Marcellin contient trois énumérations  :
les qualités du prince idéal : virtutis, clementiae, justitiae, pietatis. heroicis ingeniis, claritudine, majestate ; temperantia, pruden-
Le texte de Suétone commence par l’accumulation de cinq tia, justitia, fortitudo ; scientia rei militaris, auctoritas, felicitas,
noms communs, qui sont autant de manques de maîtrise de liberalitas.
soi : petulantiam, libidinem, luxuriam, avaritiam, crudelitatem.

Traduire
Le bouclier n’est constitué que d’une seule phrase : « Senatus L’extrait d’Ammien Marcellin est composé de deux phrases,
populusque Romanus Imp[eratori] Caesari divi f[ilio] Augusto, coordonnées par « enim » (l. 3). La question de compréhen-
co[n]s[uli] VIII, dedit clupeum virtutis, clementiae, justitiae, pie- sion aura amené les élèves à repérer les trois énumérations
tatis erga deos patriamque ». Sont mentionnés les dédicants, de noms communs. Dans la première phrase, ces noms com-
puis le dédicataire, puis l’objet, enfin le motif. plètent «  connumerandus  » et «  conspicuus  » ; dans la deu-
La première phrase de Suétone est rythmée par l’accumu- xième, les « virtutes » sont sujet de « sint ».
lation (l. 1-2) et les deux conjonctions de coordination, « et »
et « sed » (l. 2-3).

Interpréter
1.  On invitera les élèves à comparer ces trois portraits en 2. On amènera les élèves à réfléchir à leur représentation
particulier avec les conseils promulgués par Sénèque dans des événements et des hommes qui ont marqué l’histoire,
l’extrait du De clementia, et en général avec les préceptes stoï- représentation inéluctablement déformée par le prisme des
ciens que nous avons rappelés en introduction de la p. 72. Ce sources textuelles ou épigraphiques. Il sera intéressant de
pourra être l’occasion de faire des recherches ou d’écouter un mener des recherches pour montrer que chaque souverain
extrait de l’une des trois émissions sur les stoïciens enregis- a sa part d’ombre et de lumière. Chaque groupe d’élèves
trées par France Culture : « Chrysippe et Zénon – Aux sources pourra dresser un portrait nuancé d’un prince, avant une
du stoïcisme », « Le manuel d’Épictète », « Marc Aurèle, pen- mise en commun. L’objectif est de montrer qu’on ne peut pas
sées pour moi-même  » (www.franceculture.fr/emissions/ s’appuyer uniquement sur une seule source pour fonder un
les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/les-stoiciens). jugement.
La sagesse est un idéal à atteindre ; la philo-sophie est tension
vers cette sagesse probablement inatteignable.

prolongements
Pour une vision plus objective de Néron et de son règne, on visionnera les deux épisodes de Néron, plaidoyer
pour un monstre, Arte, 2016, ainsi que « L’ordre naît du chaos », Le Premier Siècle de l’Empire romain, 1/4,
Planète, 2001 (www.youtube.com/watch?v=vMaD1q-DMdQ).


78 Vivre dans la cité
lecture Imaginer la cité idéale
spécialité

1 Le plan de la cité idéale (p. 74)


La thématique de l’utopie, spécifique au programme de spécialité, intéressera également les élèves inscrits en
option : elle est en effet souvent abordée dans d’autres disciplines, notamment en Français ; les textes de cette
double-page pourront constituer un intéressant complément à ceux étudiés ailleurs : celui de Vitruve n’est pas
très difficile à comprendre ni à traduire ; celui de Thomas More l’est davantage, mais certains élèves pourront se
contenter des lignes 12-14, nettement plus simples.
Notre parti pris est ici de faire découvrir aux élèves l’organisation concrète de la cité, son urbanisme.
Une importante partie du Livre I du De architectura de Vitruve est consacré à l’urbanisme. Après le chapitre IV
traitant de l’implantation des villes et le chapitre V sur la construction des remparts et des tours, l’auteur en vient,
au chapitre VI, à l’orientation des rues et à la répartition des terrains à bâtir. Avant notre extrait, l’auteur expose
une méthode géométrique très précise pour tracer au sol, à très grande échelle, à partir d’un gnomon central, un
immense cercle et une sorte de rose des vents (comme un camembert à huit portions égales), afin d’orienter les
rues en fonction de la direction des vents, et non pas dans leur direction. Une fois orientée la première avenue, on
trace des parallèles et des perpendiculaires. Le quadrillage ainsi formé délimite autant d’insulae, rectangles qui
servent d’unité de base. Il reste ensuite à répartir avec rigueur et équilibre les emplacements pour bâtir les édifices
publics et privés, à des endroits précis et sur une ou plusieurs insulae : le Forum, son temple principal et sa basi-
lique, les thermes, la ou les bibliothèques, l’amphithéâtre, le cirque, le port le cas échéant. D’un côté, le plan doit
être parfaitement tracé ; de l’autre, la répartition des emplacements à bâtir doit être fonctionnelle.
Cette méthode suit ainsi le plan en damier, dit « hippodamien », du nom d’Hippodamos de Milet. On étudiera
avec intérêt le plan en damier de cette cité d’Ionie, ainsi que celui de Timgad, tout à fait représentatif également.
En effet, cette cité était une colonie romaine construite à l’origine comme un camp militaire. Nous proposons
d’analyser l’urbanisme de la nouvelle cité de Carthage, dans la province d’Afrique, lorsqu’elle fut reconstruite par
les Romains au Ier s. av. J.-C. sous le nom de Colonia Julia Carthago. Les cités de Pompéi, grecque à l’origine, de Ostia
Antica, de Lambaesis et de Leptis Magna pourront également permettre de diversifier cette étude. L’application
en ligne Google Maps est un bon moyen d’observer les plans urbanistiques de Timgad, Pompéi ou Ostia Antica.

TRADUCTION
Une fois tracées les ruelles et les avenues établies, le choix des
emplacements doit être défini en fonction de l’utilité et de l’usage
commun de la cité, pour les édifices sacrés, le forum et les autres INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
lieux communs. Dans ses nombreux ouvrages et sur son site
Et si les remparts seront le long de la mer, l’emplacement où le Internet (http://jeanclaudegolvin.com),
forum sera établi doit être choisi près du port, si au contraire c’est Jean-Claude Golvin propose des restitutions
dans une ville au milieu des terres, [il sera] au centre. de grande qualité de la plupart des grandes
cités du pourtour méditerranéen ; c’est une
Quant aux édifices sacrés pour les dieux sous la protection desquels excellente approche de l’urbanisme antique.
la cité semble être le plus, comme Jupiter, Junon et Minerve, c’est On consultera en particulier : L’Antiquité
sur le lieu le plus élevé, d’où la plus grande partie des remparts peut retrouvée, éditions Érrance, 2005 et L’Afrique
être aperçue, que leurs emplacements doivent être répartis. antique, Tallandier, 2001.

Traduire
1. « Explicanda » et « eliganda » sont des adjectifs verbaux à « Maxima » est le superlatif de supériorité absolu de l’adjectif
valeur d’obligation, respectivement accordés au nominatif magna, accordé au nominatif féminin singulier avec le nom
féminin singulier avec le nom « electio » (l. 10) sujet de « est » « pars », sujet du verbe « conspiciatur ». Maxima pars signifie
(l. 11) et avec le nom « area » (l. 13). Leur emploi s’explique par « la plus grande partie ».
le type du texte, qui est injonctif. 3. Le passage à traduire est assez technique étant donné le
2. « Vehementioribus viribus » est un groupe nominal à l’ablatif genre de l’ouvrage. Nous n’avons ici posé que deux questions
féminin pluriel : l’adjectif « vehementioribus » est au compara- d’analyse morphosyntaxique, afin de favoriser l’autonomie.
tif de supériorité. On peut traduire l’ensemble par : « avec une Pour aider les élèves, on commencera par analyser l’ablatif
force plus intense ». absolu du début (l. 10), qui indique qu’on passe à l’étape sui-
«  Excelsissimo  » est un adjectif au superlatif de supériorité vante. On remarquera ensuite le parallélisme de construction
absolu, accordé à l’ablatif masculin singulier avec le nom de la deuxième phrase (si/sin). Dans la troisième phrase, la
« loco », lui-même régi par la préposition « in ». L’expression proposition subordonnée relative peut constituer une diffi-
signifie « sur le lieu le plus élevé ». culté : on notera l’attraction du relatif dans la subordonnée.

Vivre dans la cité • 79


Comprendre
1. Suivant la tradition des urbanistes grecs, l’architecte romain marquant la certitude ; adjectifs verbaux à valeur d’obligation
suit les prescriptions médicales d’Hippocrate : l’air est plus ou (« doit être détourné », « explicanda », « eliganda ») ; subjonctif
moins sain en fonction de l’exposition des rues ou des bâti- injonctif (« constituatur », « distribuantur »). Enfin, on relèvera le
ments aux vents ou à d’autres phénomènes atmosphériques vocabulaire technique.
comme l’ensoleillement. Il faut donc faire en sorte qu’aucune 3. Globalement, le plan de Carthage suit les recommanda-
rue ne soit disposée dans la direction d’un des huit vents prin- tions de Vitruve : les rues et les avenues sont perpendiculaires
cipaux, qui suivent, d’après les Anciens, les axes nord-sud, est- entre elles et ne sont pas, si l’on observe un plan, orientées
ouest, nord-ouest-sud-est, sud-ouest-nord-est ; aucun vent nord-sud (ni est-ouest donc), ni nord-ouest-sud-est (ni sud-
ne doit pouvoir s’engouffrer en droite ligne dans une avenue ouest-nord-est donc), autrement dit, elles ne sont pas dans
ou une rue. Dans notre passage, Vitruve insiste sur la véhé- la direction des vents. Les édifices publics (amphithéâtre,
mence des vents, que l’on peut ainsi briser. Mais c’était avant cirque, Forum, théâtres, thermes et ports), sont répartis. En
tout une question de santé publique. revanche, la cité étant maritime, le Forum devrait se trouver,
2. Le registre didactique s’appuie sur l’utilisation des mots de selon les conseils de Vitruve, à proximité du port, ce qui n’est
liaison, qui clarifient le propos : « en effet » (l. 1 et 2), « c’est pas le cas ; la raison est probablement que ce centre monu-
pour ces raisons  » (l.  6), et (l.  12), vero (l.  16) ; l’ablatif absolu mental immense a été édifié sur la colline de Byrsa, aplanie à
(l.  10) a une valeur temporelle. Il s’appuie également sur cette occasion, qui est le lieu le plus élevé de la cité.
l’utilisation des temps verbaux  : futur à valeur temporelle,

Culture
1. Hippodamos de Milet est un urbaniste grec du Ve s. av. J.-C. Pompéi sont des cités grecques, du moins à l’origine. Timgad
S’il n’est pas l’inventeur du plan en damier, déjà utilisé avant est une colonie fondée ex nihilo, d’où son plan parfaitement
lui dans des colonies fondées au VIIe s., on lui doit probable- rectangulaire, du moins avant son agrandissement au-delà
ment l’idée d’une répartition fonctionnelle des différents des murs. Leptis Magna s’est d’abord développée comme
espaces de la cité en vue de certains besoins. Autrement dit, « colonie » de Carthage à la fin du VIe s. av. J.-C. Après la chute
il s’agit de déterminer à l’avance l’aménagement de l’espace de cette dernière, elle devint plus indépendante, avant d’ob-
urbain, ce qui découle peut-être d’un projet de réforme poli- tenir l’alliance du peuple romain en 110 av. J.-C. Elle devint
tique conçu par Hippodamos. La tradition rapporte qu’il exer- alors l’une des principales cités de tripolitaine. Le plan de
ça ses talents à Milet, à Rhodes, à Thourioi et au Pirée. Mais, Leptis Magna est tout à fait conforme aux recommandations
de sources sûres, le seul endroit qu’il a aménagé est le port du vitruviennes : le Forum, avec ses trois temples dédiés respec-
Pirée, sous Thémistocle, en 478 ; pour le reste, on ignore s’il a tivement à Liber Pater, à Rome et Auguste et à Hercule, est
joué un rôle dans la reconstruction de sa cité natale, en 479 proche du port.
av. J.-C. On a surtout retenu de lui son rôle d’architecte, mais 3.  Les élèves savent que nombre de villes des États-Unis
Aristote insiste davantage sur les réformes politiques envisa- suivent un plan en damier. Il sera intéressant de leur faire
gées par Hippodamos, réformes d’inspiration démocratique découvrir celui de Brasilia, dont le centre figure, vu du ciel,
et égalitaire. un condor ou un arc tendu ; mais le plan des quartiers plus
2. Nous renvoyons ici au site particulièrement riche de Jean- récents, à la périphérie ouest, comme celui de Saint-Vincent,
Claude Golvin, qui propose des restitutions des cités antiques est également édifiant, d’autant que les noms de rues sont
de Timgad, Pompéi et Leptis Magna, entre autres. Le plan de des chiffres ou des lettres. Plus proche de nous, le centre de
ces cités, tout comme celui de Milet, sont en damier, mais les Barcelone (Esquerra de l’eixample) suit également un plan en
rues ne suivent pas la direction des huit vents principaux, de damier très régulier.
sorte que le plan apparaît « penché », si l’on peut dire. Milet et

2 Utopique Utopia… (p. 75)


Thomas More est l’inventeur du mot utopie et celui qui a défini les contours et les composantes du concept
d’ « utopie » dans Utopia, œuvre écrite en latin. Si les Anciens ont indéniablement réfléchi au meilleur type de
gouvernement, défini les qualités du bon prince et imaginé l’organisation urbaine et politique idéale de la cité,
ils ne sont pas pour autant des utopistes. Ces derniers se sont cependant inspirés des réflexions, des définitions
et de l’imagination des penseurs grecs et romains. C’est la raison pour laquelle on retrouve dans les œuvres des
utopistes certains principes et autres concepts déjà présents dans les œuvres antiques : c’est le cas dans l’extrait
que nous proposons ici.
On lira à cet égard les pages très éclairantes de l’introduction de Frédéric Rouvillois, qui donne cette définition
de l’utopie : « l’essentiel tient au contenu, à ce qu’avancent les utopistes, et non pas à la manière dont ils le font :
le contenu, c’est-à-dire l’idée d’une perfection ayant pour objet premier la cité, l’ordre politique, et pour facteur
déterminant une organisation établie par la volonté, la décision et l’agir humain. C’est, il faut y insister, l’ensemble
qui importe : à la fois, le résultat, la perfection politique, et le moyen, l’effort constructif de l’homme, unique artisan
de son propre accomplissement » (L’Utopie, GF, 1998, p. 17).
Avant Thomas More, le Quattrocento italien nous a déjà légué des œuvres qui mettent en évidence la recherche
d’un idéal. Par exemple, entre 1475 et 1480, fut représentée La Cité idéale d’Urbino, œuvre attribuée à Piero della
Francesca, peintre, géomètre et mathématicien toscan.


80 Vivre dans la cité
TRADUCTION
Les avenues sont bien tracées tant pour favoriser le trans-
port que contre les vents, les édifices ne sont nullement
laids, eux dont la rangée, longue et ininterrompue à travers INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
tout le quartier, est visible depuis la façade des maisons
en vis-à-vis. Ces façades de quartiers, une voie les sépare, • Deux ouvrages nous semblent essentiels pour
large de vingt pieds. Les côtés arrière des constructions, délimiter les contours du genre de l’utopie,
en comprendre les enjeux et disposer d’un corpus
sur toute la longueur du quartier, sont bordés d’un jardin,
de textes et d’œuvres : Georges Jean, Voyages en Utopie,
large et entouré de tout côté par le dos des quartiers. […] Gallimard, 1994 et Frédéric Rouvillois, L’Utopie, GF, 1998.
[Les habitants] font magnifiquement leur jardin. Dans
ces derniers, ils ont des vignes, des fruits, des plantes,
• On écoutera également avec intérêt l’émission
radiophonique suivante : Thomas More – Une vie,
des fleurs, d’un tel éclat et d’une telle beauté que je n’ai une œuvre, Radio France, 2006
jamais rien vu de plus abondant, rien de plus soigné. […] (www.youtube.com/watch?v=sqPBSDVSyUI).

Traduire
1. Le pronom relatif est «  quorum » (l.  2), dont l’antécédent 3. Une lecture magistrale préalable de l’ensemble du texte aura
est « aedificia » (l. 2). La proposition subordonnée relative est : amené les élèves à remarquer qu’il s’agit d’un texte essentielle-
quorum longa, et totum per vicum, perpetua series, adversa ment descriptif. On pourra faire émerger des hypothèses de
domorum fronte conspicitur (l. 2-3). lecture grâce au paratexte, aux deux passages déjà traduits en
2. «  Quanta  » est un déterminant exprimant la quantité. Il français, aux mots transparents et à l’aide lexicale. Il sera égale-
détermine ici le nom « longitudo ». ment utile de faire tracer, au brouillon, le plan des éléments de
la cité tels qu’ils sont décrits dans l’ensemble du texte.
Lexique
Les groupes prépositionnels : ad vecturam, adversus ventos, « d’elles-mêmes ».
Les adverbes : commode, neutiquam, « qui plus est ».
Les verbes : distinguit, « laissent entrer », « échange », magnifaciunt, « stimule ».
Les adjectifs : lata, facile, fructuosius, elegantius, « plus appropriée », « plus grand ».
Les négations : « aucune […] qui ne […] pas », « jamais rien », nihil, « ne », « aucune autre ».
Les déterminants : tanta, tanto.
Les noms : « zèle », « émulation », « plaisir ».

Interpréter
1. Premièrement, la ville utopique doit avoir un plan bien accordée à la nature, « la nature n’est là que pour servir d’ins-
tracé, avec de larges avenues carrossables et bien orientées. trument au triomphe de l’humain : tout ce qui en elle lui fait
Chaque « quartier » (vicus en latin ne peut désigner une ville obstacle – déserts, forêts, marais ou montagnes – doit donc
entière) est constitué d’une voie large de vingt pieds, bordée être extirpé, comme une inadmissible survivance du mal et
de tout son long, de chaque côté, par des bâtiments dont de l’absurde » (Ibid., p. 25). L’homme est l’unique bénéficiaire
les façades ininterrompues sont en vis-à-vis. À l’arrière, ces et l’unique artisan de la maîtrise de la nature.
édifices sont bordés d’un jardin. Or ce dernier est « large et 3.  L’œuvre de Piero della Francesca met avant tout en évi-
entouré (« circumspectus », « visible à l’entour ») de tout côté dence la maîtrise de la perspective et, par-là, de la géométrie
par le dos des quartiers », ce qui signifie que les voies larges et de la symétrie. Les lignes de force, que les élèves pourront
de vingt pieds sont perpendiculaires entre elles. Le jardin tracer, convergent vers l’édifice central, qui rappelle les tholoi
forme ce que les Romains appelaient une insula. grecs, notamment celle de l’agora d’Athènes, qui servait de
Deuxièmement, les maisons sont ouvertes, côté rue et côté lieu de réunion des prytanes. Probablement s’agit-il du bâti-
jardin, accessibles à tous, sans verrous, et interchangeables. ment central de la vie municipal, dont la circularité symbolise
La propriété privée n’existe pas ; chacun se voit attribué le l’unité. Il est ouvert et accueillant. Autour, une large place dal-
même lieu de vie que tous les autres. L’égalité est parfaite. lée rectangulaire, où convergent de larges avenues sûrement
Troisièmement, les utopiens s’appliquent avec le plus grand perpendiculaires entre elles. Les édifices qui la bordent sont
zèle à cultiver leurs jardins, qui sont florissants, afin de cultiver de quatre étage pour la plupart, dans le style néoclassique
le beau et de pouvoir vivre en autarcie. de la Renaissance italienne. On remarque la présence, au
tout premier plan, de deux constructions octogonales, dont
L’ensemble tranche avec les villes de l’Angleterre en ce début
la forme combine le cercle et le carré, et qui sont probable-
de XVIe s.
ment des puits. L’ensemble est riche. L’œil y perçoit d’emblée
2.  Les utopistes ont fait leur le programme de Descartes la symétrie, la perspective, l’ordre, mais également l’égalité,
(Discours de la méthode) : « Rendre l’homme comme maître le calme et la propreté, autrement dit la concorde, la paix et
et possesseur de la nature ». « Se soumettre la nature par le la salubrité.
savoir – ce qui la suppose connaissable et mesurable, obéis-
La différence majeure avec le texte de Thomas More, qui lui
sant à des lois fixes et à des causalités simples –, puis par la
est postérieur, est l’absence de nature. Si celle-ci a quelque
technique, qui en la transformant va permettre de l’utiliser,
place dans cette cité idéale, ce sera sous forme de jardins clos
de l’ouvrir enfin aux besoins et aux désirs de son maître  »
et parfaitement cultivés.
(F. Rouvillois, L’Utopie, GF, 1998, p. 24). Si une place centrale est

Vivre dans la cité • 81


3 Au commencement était l’âge d’or (p. 76)
L’Âge d’or n’est pas une utopie, mais une « arcadie ».
L’Arcadie, région centrale du Péloponnèse, est dans les mythes la patrie du dieu Pan, considérée comme un lieu
où la nature sauvage est préservée. Dans les Bucoliques, Virgile dresse le tableau idéal de la vie pastorale en
Arcadie, cadre de la poésie bucolique. En art, on appelle « arcadie » le vœu nostalgique mais sans illusion d’un
retour à un passé révolu, où l’homme, qui était fondamentalement bon, vivait en harmonie avec une nature
à l’état sauvage, mais abondante et bienveillante. Nul besoin de société humaine ni de cité, d’organisation ni
de lois, de culture ni de travail. Le retour à l’Âge d’or est donc aux antipodes de la pensée utopiste. Pour cette
dernière, l’état de nature n’est nullement un âge d’or : l’homme est fondamentalement marqué par la défail-
lance, l’imperfection, le mal. Il s’agit donc de l’éduquer pour en faire un homme nouveau, capable de bâtir, par
sa propre volonté et par son propre travail, une Cité parfaite, qui reste (et restera) à venir, où chaque humain
pourra vivre heureux avec ses congénères. Pour les utopistes, l’histoire humaine n’est pas une lente déca-
dence depuis une race d’or vers une race de fer, mais au contraire un progrès lent mais certain vers le mieux.
L’utopisme est un optimisme. L’Âge d’or est un mythe ; l’utopie est un rêve.
Il n’en reste pas moins que les utopistes ont puisé aux sources de l’Âge d’or leur rêve d’harmonie, de paix, d’abon-
dance. Nous puisons donc ici aux sources. C’est pourquoi nous proposons de lire l’une des évocations les plus
célèbres de ce mythe, celle d’Ovide. La description de l’Âge d’or apparaît immédiatement après la création du
monde, du chaos primitif au cosmos harmonieux : « Ainsi la terre, qui auparavant avait été brute et sans visage,/
revêtit, après son changement, des formes d’humains inconnues » (v. 87-88).
L’extrait du film de Jamie Uys permet de rendre visuelle l’évocation de l’âge d’or. L’intérêt est également de mon-
trer que ce mythe continue d’inspirer les artistes, ici pour remettre en cause la société de consommation. Enfin, il
permettra une première approche de la thématique abordée et facilitera la compréhension du texte.

TRADUCTION
Elle-même aussi, intacte et épargnée par la bêche, et blessée
Par aucune charrue, spontanément elle donnait tout, la terre ;
Et, satisfait d’aliments produits sans aucun effort,
On cueillait des fruits d’arbousiers et des fraises des montagnes,
Et des cornouilles et des mûres attachées à d’épineux ronciers,
Et des glands qui étaient tombés de l’arbre majestueux de Jupiter.
C’était le printemps éternel et, de leurs souffles tièdes, de doux
Zéphyrs caressaient les fleurs écloses sans semence. INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Rapidement même la terre non labourée portait du grain Outre les deux ouvrages sur l’utopie cités
Et le champ non retourné blondissait de lourds épis ; précédemment, on lira : Georges Minois,
Des fleuves de lait déjà, déjà des fleuves de nectar coulaient L’Âge d’or – Histoire de la poursuite du bonheur,
Et un fauve miel gouttait de l’yeuse verdoyante. Fayard, 2009.

Lire
1. Il sera intéressant de commencer par visionner l’extrait du (v.  7), intacta (v.  7), nec… saucia (v.  7-8), per se dabat (v.  8),
film de Jamie Uys, qui reprend presque mot pour mot des contenti (v. 9), nullo cogente (v. 9), creatis… cibis (v. 9), legebant
passages d’Ovide et qui permet de saisir les enjeux et la thé- (v. 10), quae deciderant (v. 12), ver erat aeternum (v. 13), tepen-
matique du texte préalablement à sa lecture. On procédera tibus auris (v.  13), placidi… mulcebant zephyri (v.  13-14), sine
en plusieurs étapes : d’abord une écoute du son sans l’image, semine (v. 14), fruges (v. 15), tellus inarata (v. 15), renovatus ager
puis la vidéo sans le son, avec des arrêts sur image éventuelle- (v. 16), gravidis… aristis (v. 16), flumina lactis (v. 17), flumina nec-
ment, afin que les élèves puissent, à partir de leurs notes, dire, taris (v. 17), flava… mella (v. 18).
à eux tous, la bande son, à l’oral.  3.  Les verbes conjugués sont  : dabat (v.  8), legebant (v.  10),
2.  Préalablement à ce repérage pourra être effectué une deciderant (v. 12), erat (v. 13), mulcebant (v. 14), ferebat (v. 15),
activité permettant de préciser le sens de certains mots ou canebat (v. 16), ibant (v. 17), stillabant (v. 18). Il sera ici opportun
expressions. « Sans nulle répression » (v. 1), « de son plein gré » de réviser l’imparfait et le plus-que-parfait de l’indicatif (voir
(v. 2), « sans lois » (v. 2), « la loyauté et la droiture » (v. 2), « n’en- Memento p. 190-191), et leur valeur. On pourra programmer
touraient pas » (v. 3), « n’existait pas » (v. 4), « pas de » (v. 4 et une activité de manipulation des formes verbales, en modi-
5), « sans avoir besoin de » (v. 5), « en sécurité » (v. 6), immunis fiant les personnes et la voix des verbes relevés dans le texte.

Traduire
1. Les trois expressions soulignées, «  nec ullis vomeribus  », « personne ne forçant ». La troisième est un groupe préposi-
« nullo cogente » et « sine semine », sont à l’ablatif. La première tionnel signifiant « sans semence ».
est un groupe nominal précédé de la négation « nec » : elle 2. « Cogente », « haerentia » et « tepentibus » sont des participes
peut être traduite par « et par aucune charrue ». La seconde présents actifs. Ils se rapportent respectivement à «  nullo  »,
est une proposition participiale composée du pronom indé- décliné à l’ablatif masculin singulier, à « mora », décliné à l’accu-
fini « nullo » et du participe présent « cogente » : littéralement, satif neutre pluriel, et à « auris », décliné à l’ablatif féminin pluriel.


82 Vivre dans la cité
3. La poésie ovidéenne est difficile à traduire. Nous avons avons proposé l’aide du code couleur pour la première partie
tenté d’en rendre la lettre, en particulier le parallélisme et les de l’extrait. En fonction du niveau des élèves, on différenciera
jeux de sonorités au vers 17-18 («  Flumina/flumina/Flava  »  : la longueur du passage à traduire, certains pouvant s’arrêter
«  fleuves/fleuves/fauve  ») C’est la raison pour laquelle nous au v. 12.

Interpréter
1. Cet extrait présente toutes les caractéristiques essentielles pause ; les élèves relèveront déjà des éléments, que l’on pourra
de l’âge d’or. C’est un âge : lister. Dans un second temps, on visionnera les images sans le
- anomique  : «  qui sans nulle répression,/ De son plein gré, son, pour que les élèves identifient les différentes séquences
sans lois, pratiquait la loyauté et la droiture » (v. 1-2) filmiques ; on peut imaginer ici une séance en salle informa-
- apolitique  : «  des fossés abrupts n’entouraient pas encore tique, en autonomie. Pour finir, on analysera une ou deux
les villes » (v. 3) séquences, en utilisant le vocabulaire spécifique ; des rappels
- pacifique (v. 4-6) seront probablement utiles (http://upopi.ciclic.fr/vocabu-
- oisif : « per se dabat omnia tellus » (v. 8) laire). La confrontation entre le texte d’Ovide et l’extrait du
- frugal  : les hommes se nourrissent des produits qu’une film en découlera.
nature maternelle et bienveillante prodigue d’elle-même. 3. Les vers 17-18 sont rythmés par l’allitération en [l], [m], [v]
2. Le visionnage de l’extrait du film de Jamie Uys peut interve- et [f], ou [fl], et l’assonance en [a] et en [i], qui mettent en évi-
nir à différents moments de la séance, en fonction du niveau dence la douceur du lait et du miel qui coulent abondam-
des élèves et de la difficulté qu’ils auront à comprendre le ment. On remarque également un parallélisme de construc-
texte d’Ovide. Nous conseillons de commencer par regarder tion au vers 17 : « Flumina jam lactis/jam flumina nectaris »,
l’extrait vidéo, qui permet de déterminer les différentes com- renforcé par l’homéotéleute « lactis/nectaris », d’autant plus
posantes de l’âge d’or. que ces deux noms sont très proches phonétiquement.
Pour se faire, il sera pertinent, dans un premier temps, de Cette figure contribue à accroître l’impression d’accumula-
n’écouter que la bande son de l’extrait, in extenso et sans tion et d’abondance.

viva voce
Pratiquée avec méthode, la scansion s’avère être un exercice qui ne présente pas de difficulté majeure.
On se reportera ici à notre fiche p. 199.
S’il nous est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de respecter la scansion lorsque nous lisons
ou déclamons, en revanche, il nous est possible de placer et de respecter l’accent tonique (voir les instructions
pour le Viva Voce de la p. 65). L’objectif n’est pas ici de respecter à tout prix cet accent, au risque que les élèves
se focalisent uniquement sur ce point : l’intérêt de la mise en voix est de sensibiliser les élèves à la musicalité
de la poésie latine. Dans cette perspective, on écoutera avec intérêt des extraits de Synaulia, Music of ancient
Rome, notamment les morceaux intitulés Pavor (www.youtube.com/watch?v=HKnc14a0-Qk) et Invocation à
Mercure (www.youtube.com/watch?v=WIE5APDPj94) : il s’agit de déclamations en prononciation restituée,
accompagnées de musique.
On invitera les élèves à dépasser leur fausse-honte.

4 En route vers l’âge d’or ? (p. 77)


L’utopie n’est pas qu’un rêve, elle doit également être un projet. « Le discours utopique n’exclut en effet jamais,
fût-ce implicitement, que le système décrit soit réalisable, ailleurs ou plus tard ; au contraire, il se caractérise par
l’ambiguïté permanente qu’il entretient entre rêve et projet, entre le “Je souhaite” et le “J’espère” qui concluent
le texte de More : et peut-être même n’a-t-il de sens que dans la mesure où il laisse cette porte entrouverte… »
(F. Rouvillois, L’Utopie, GF, 1998, p. 16).
Dès 1733, l’Abbé de Saint-Pierre voit dans les récents progrès de l’humanité l’avènement prochain d’un nouvel
âge d’or, cette fois conquis et bâti par l’homme : « Ainsi nous touchons, pour ainsi dire, au commencement de
l’âge d’or, nous n’avons plus besoin pour y entrer que de quelques règles sages dans nos États européens, car
l’Europe une fois parvenue à cet âge d’or, à cette espèce de Paradis sur la terre, y ferait en peu de temps entrer
tous les autres peuples, qui n’ont, non plus que nous, d’autre but, d’autre intérêt que de diminuer leurs maux,
d’augmenter leurs biens dans cette vie et de s’assurer par l’observation de la justice, et par la pratique de la
bienfaisance une vie future remplie de délices ; or tels seront les effets admirables du nouveau plan général de
gouvernement que les rois et les républiques peuvent facilement exécuter » (Abbé de Saint-Pierre, « Projet pour
perfectionner le gouvernement des États », Ouvrage de politique, 1733).
Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, les utopistes s’attachent à définir les conditions matérielles de la réalisation de
leur projet. L’utopie est en marche dans l’histoire. L’anglais Robert Owen, patron de plusieurs filatures en Écosse,
n’a de cesse d’améliorer les conditions de travail de ses ouvriers, voulant transformer la terre en paradis, en se
fondant sur la raison de l’homme. Citons également le nouveau christianisme de Saint-Simon et Enfantin, Fourier
et ses phalanstères, le familistère de Godin, la communauté égalitaire d’Étienne Cabet en Illinois. Le progrès tech-
nique, l’éducation et la raison font partie du credo des utopistes. C’est dans ce contexte qu’écrit Zola. Nous propo-
sons ici un extrait de l’un des derniers romans, Travail, qui fait échos à ces préoccupations utopistes.

Vivre dans la cité • 83


Le XXe siècle fut celui des contre-utopies, autrement nom- pour y parvenir » (F. Rouvillois, L’Utopie, GF, 1998, p. 42). C’est
mées dystopies ou « utopies à l’envers », le projet, qui avait ce qu’illustre, dès son titre en forme d’antiphrase, Le Meilleur
remplacé le rêve, se faisant réalité totalitaire  : «  l’utopie est des mondes d’Aldous Huxley, dont nous proposons un extrait.
impérialiste dans la mesure même où elle est totalitaire. Le On pourra inviter les élèves à en faire la lecture cursive.
projet utopique – construire la perfection ici-bas – le conduit
à tout recomposer : par définition, rien ni personne ne sau-
rait échapper à la règle. Mais à ceci s’ajoute l’idée qu’étant
donné la sublimité de l’objectif, chacun a l’obligation de s’y
plier, et que, réciproquement, tous les moyens sont bons

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
On écoutera avec intérêt l’émission radiophonique suivante : « Le Phalanstère, utopie du
XIXe siècle », Au cœur de l’Histoire, 2018 (www.youtube.com/watch?v=b4mLquDk4UE).

Confronter
1. Les hommes de l’âge d’or, qui sont eux-mêmes des êtres Voyages en utopie, Gallimard, 1994, p. 121). Dans son roman,
parfaits, entretiennent avec la nature bienveillante et pro- l’auteur décrit ce qui serait le meilleur des mondes si la société
digue un lien de proximité et d’immédiateté. À l’opposé, les ainsi créée ne niait pas purement et simplement l’humanité
utopistes situent l’homme au-dessus de la nature, qu’il imite de l’homme, l’utopie se faisant dystopie. Notre extrait montre
pour la dominer. Aucune place n’est laissée à la nature à l’état que l’usage politique de la génétique entraîne la destruction
naturel, si l’on peut dire. L’acquisition des sciences de la vie et de l’humanité.
de la terre ainsi que des techniques et des compétences pour Le contrôle des humains, pour en faire des êtres nouveaux
la développer et la cultiver sont indispensables pour dompter acceptant « librement » toutes les lois et les règles de fonc-
la nature, qui doit être mise au service de l’homme. C’est la rai- tionnement de la Cité parfaite, est de tous les instants et en
son pour laquelle Thomas More insiste particulièrement sur tous lieux, de sa conception jusqu’à sa mort, en passant par sa
la place et la beauté des jardins de la cité d’Utopia. De même, naissance et son éducation.
pour Émile Zola, « l’homme achevait de conquérir la nature,
3. En se réalisant, l’utopie devient nécessairement dystopie,
d’en faire sa dépendance et son paradis ». Non pas un para-
parce qu’elle consiste à aboutir au résultat que chaque indi-
dis retrouvé, qui aurait existé dans la nuit des temps et que
vidu accepte et aime sa servitude, de son plein gré mais à son
l’on aurait perdu, mais un paradis créé, balisé, cultivé, travaillé,
insu. À ce titre, toute utopie est un échec lorsqu’elle devient
œuvre et fin de l’homme.
réalité ; pour le dire autrement, aucune utopie ne peut deve-
2. Émile Zola écrit au moment des progrès techniques de la nir réalité, puisque l’humain y est nié en tant que tel. C’est en
révolution industrielle, qui semblent promettre aux ouvriers particulier ce qui a provoqué l’échec des régimes totalitaires.
eux-mêmes l’abondance des biens en récompense d’un Autrement dit, le projet et la fin de l’utopie sont fondamenta-
faible travail, « chaque citoyen regorgeant de tous les biens, lement antinomiques : le projet est de réaliser une Cité idéale
vivant en prince de ses quelques heures de travail, lui que la où chaque individu serait librement heureux au sein de la
fin étranglait autrefois, après d’abominables corvées de dix Communauté ; la fin est que cela n’est possible que si les indi-
heures ! » (l. 10-12). L’utopie confine ici à l’idéalisme. vidus nient leur individualité. La machine de l’État et l’intérêt
Trente ans plus tard, « le thème du Meilleur des mondes n’est général doivent primer sur l’égocentrisme individuel, sinon
pas le progrès de la science en tant que tel ; c’est le progrès le système s’effondre : « Big Brother is watching you », écrira
de la science en tant qu’il affecte les individus humains  », George Orwell. Le projet d’utopie implique un totalitarisme,
écrit Aldous Huxley dans sa préface (Cité par Georges Jean, lequel ruine le rêve utopique.

pistes pour construire un portfolio


Les textes de Vitruve et de Thomas More (p. 74-75) pourront être confrontés à l’œuvre
de Pietro della Francesca (p. 75), au projet de Léonard de Vinci pour la construction
de cité idéale qu’il avait imaginée à Romorantin (41), à des plans de ville établis et
réalisés par Vauban, à des photographies de Yan Artus Bretrand montrant des quartiers
ou des villes contemporaines à plan quadrillé ou géométrique.
On invitera également les élèves à exploiter leur culture personnelle, parfois nourrie de
romans ou de films mettant en scène des univers dystopiques.


84 Vivre dans la cité
au cœur des mots p. 78-79

Étymologie
Mots latins dont ils sont issus Mots français Définition
gens, gentis, f. la gent masculine espèce, population
mores, morum, m. pl. les mœurs de notre pays manières de vivre, pratiques sociales
peregrinus, a, um un pérégrin voyageur, nomade
urbs, urbis, f. une urbanité appréciable politesse, courtoisie
multitudo, inis, f. rencontrer moult difficultés nombreux
prohibeo, es, ere, hibui, la prohibition de l’alcool interdiction
hibitum
regalis, e l’autorité régalienne qui se rattache au roi ou aux fonctions
(police, défense…) qui dépendent de l’État
fallo, is, ere, fefelli, falsum des propos fallacieux faux, erronés
oratio, ionis, f. une oraison funèbre prière
rusticus, a, um la rusticité ensemble des caractéristiques attachées
à la campagne
imperium, i, n. éprouver un besoin impérieux qu’il faut obligatoirement satisfaire

activité 1
- «  Orbem  » est traduit par «  limite  ». Le mot orbis désigne le fait que les oiseaux se nourrissent de farine est un signe
toute espèce de cercle. Mais ici, ce n’est pas tant la forme géo- funeste pouvant annoncer la future destruction des rem-
métrique du cercle qui importe que la trace qui délimite l’es- parts de la ville.
pace intérieur sacré de la future cité par opposition à l’espace - « Vates » est traduit par « devins », dans son sens premier.
profane extérieur. C’est ce que l’on appelle, pour Rome, les Les devins sont ici l’équivalent des augures romains, col-
anciennes villes du Latium et les colonies romaines fondées lèges de prêtres chargés d’interroger les auspices, signes de
rituellement, le pomerium. Les Romains le matérialisait par un la volonté des dieux.
sillon, les Macédoniens par de la farine.
- « Urbem » est traduit par « ville », également dans son sens
- « Muris » est traduit par « murs ». Murus est ici employé dans premier.
son sens premier, désignant les futurs remparts de la ville.
- « Advenarum » est traduit par « étrangers ». Advena est un
- « Avium greges » est traduit par « des groupes d’oiseaux ». nom composé de la préposition ad et du radical ven-, que l’on
Le mot grex désigne le troupeau de gros ou petit bétail, ou retrouve dans venio. Il désigne toute personne qui vient s’ins-
la bande d’oiseaux. Nous sommes ici dans le contexte de la taller dans un endroit. En l’occurrence, le fait que les oiseaux
prise d’auspice et de l’observation du vol d’un ou de plusieurs mangent la farine qui délimite les futurs remparts annoncent
groupes d’oiseaux dans un espace céleste immatériel mais l’hospitalité dont feront preuve les habitants de la nouvelle
précisément délimité. cité, dont la limite n’est pas hermétique. On peut y venir.
- « Omen » est traduit par « présage ». L’omen, c’est le « signe », - « Terris » est traduit par « territoires », autrement dit un espace
favorable ou défavorable. Il est de l’ordre du fortuit : paroles lan- de terre, une étendue.
cées au hasard, lapsus, phrases dites au hasard. En l’occurrence,

activité 2
« Reges » > les rois ; « optimates » > les meilleurs, les aristocrates ; « populi » > les peuples ; « rei publicae » > du
gouvernement ; « tyranni » > tyrans ; « regibus » > rois ; « tyrannibus » > tyrans ; « principes » > princes ; « populi » >
peuples ; « factiones » > oligarques ; « tyranni » > tyrans ; « rei publicae » > de gouvernement

activité 3
Traduction : Ce texte contient un certain nombre de mots relatifs à
Sous l’influence de maîtres de ce genre, le jeune homme l’éloquence et aux lieux de son expression  : «  maîtres  »,
dont nous parlons, disciple des orateurs, auditeur du Forum, « disciples », « orateurs », « auditeur », « Forum », « procès »,
familier des procès, instruit et entraîné par l’expérience des « entraîné », « expérience », « juges », « assemblées », « audi-
autres, pour qui, en auditeur quotidien, sont connues les toire », « accusation », « défense ».
lois, pas nouveaux les visages des juges, fréquente, pour
ses yeux, l’habitude des assemblées, souvent comprises les
attentes de l’auditoire, qu’il se charge de l’accusation ou de
la défense, seul en même temps qu’unique, dans tout procès
il était égal.

Vivre dans la cité • 85


grammaire Les pronoms et déterminants indéfinis p. 80-81 memento

G p. 186 -187
Les indéfinis sont d’un emploi fréquent. Avant de faire découvrir et manipuler ceux inscrits au programme de
première, la leçon rappelle les pronoms-déterminants déjà abordés au collège ou en seconde.

étape 1 étape 3
L’essentiel La déclinaison de l’indéfini nemo présente deux formes. Au
• Quosdam est un déterminant et se rapporte à cives. génitif et à l’ablatif, elle emprunte ses formes au pronom
nullus.
Quidam est un pronom.
Aliquem est un déterminant et se rapporte à civem. La déclinaison de l’indéfini nihil présente une forme unique
Aliquid et alicui sont des pronoms. au nominatif et à l’accusatif. Elle est constituée de deux mots
•La déclinaison des indéfinis rappelle celle du pronom relatif. aux génitif, datif et ablatif du mot res accompagné du déter-
minant indéfini nullus.
Les indéfinis sont composés de la forme du pronom relatif et
des particules indéclinables -dam et ali-.
étape 4
•Il faut entourer quos-, qui-, -quem, -quid, -cui.
Pour aller plus loin
étape 2 Le latin remplace nemo et nullus par quisquam et ullus
• nihil : rien dans une phrase négative.
totus, a, um : tout entier
solus, a, um : seul
nullus : nul, aucun
• La terminaison du génitif singulier est en -ius et celle du
datif en -i.

Réponses aux exercices


1. a. Il ne plaît à personne de se tromper. (nemini) 3. a. Je suis un homme : je pense que rien de ce qui est humain
b. Ne fais confiance à aucun ennemi ! (nulli) ne m’est étranger.
c. Tu dis que Quintus seul a combattu avec courage. (solum) b. Un seul témoin, aucun témoin.
d. La cité n’était suffisamment sûre pour personne. (nemini) c. La seule idée de commettre un vol ne fait pas le voleur.
e. Dans la cité tout entière, la crainte était très grande : l’esprit d. Au seul soleil de la terre.
de ce chef seul était courageux. (tota – solius) e. Un seul salut pour les vaincus : n’espérer aucun salut.
f. Quand la justice est absente, il n’est rien de sûr pour les
4. Les mots à entourer sont  : nihil – quosdam – neminem
hommes. (nihil)
– quandam.
g. Nous ne sommes pas seuls à combattre contre les enne-
mis. (soli) Le déterminant «  quosdam  » se rattache à «  operarios  », le
h. De tous les citoyens, aucun n’est plus courageux que ton déterminant « quandam » se rattache à « virtutem ».
frère. (nullus) « Nihil… nisi » permet l’expression de la négation restrictive.
i. Personne ne doit blâmer cet orateur remarquable. (nemo) On retrouve la même structure avec «  neminem  »  : «  nisi…
j. D’après la loi, il n’est permis à aucun citoyen de blesser ou neminem ». Ce type de négation revient à donner une image
de tuer les autres. (nulli) dévalorisante de ces hommes qui ne sont pas de véritables
orateurs et n’en portent que le titre (« hos quos […] oratores
2. a. Civis bonus nemini nocere debet.
vocaremus  »). Le déterminant «  quidam  » a un sens moins
b. Julius oratorem miratur  : neminem timet nec quemquam
indéterminé que le déterminant « aliquis » : les « operarios »
vituperat.
pourraient être désignés nommément. L’art que constitue
c. Peregrinis in urbe vivere prohibere non debemus.
l’éloquence est, lui, valorisé, étant associé à « quandam virtu-
d. Solus pulchra moenia arcis spectare solebam.
tem » (à une certaine vertu).
e. Dicitis Romanos totam urbem diripuisse.
f. Nullus populus tutior est quam Romanus.
g. Confidere soli augurio tibi suadeo.
h. Civis bonus leges urbis ignorare non debet : semper veritatem
dicere nec quemquam fallere debet.


86 Vivre dans la cité
grammaire Les propositions subordonnées conjonctives p. 82-83 memento
par introduites par quod et ut G p. 197
Les mots quod et ut sont source de difficulté pour les élèves parce qu’ils sont polysémiques. Cette leçon vise à
explorer leur usage en tant que conjonction de subordination. Il est possible au terme de la page, notamment
en s’aidant de la rubrique « mots outils » située en rabat, de faire établir une fiche récapitulative de leurs emplois.

étape 1 étape 4
• Proposition 1 à souligner : Consul impetrat/ Le consul obtient. Pour aller plus loin
Proposition 2 à souligner : ut senatores in Catilinam agant/ que
les sénateurs agissent contre Catilina. • Les deux subordonnées conjonctives à souligner sont :
ut oratorem audiant/ ne oratorem audiant.
• La première proposition est une proposition principale, la
Les subordonnants à entourer sont : ut et ne.
seconde une proposition subordonnée conjonctive.
• Le mot ut/que est une conjonction de subordination. Traduction :
Le consul persuade les citoyens d’écouter l’orateur.
étape 2 Le consul persuade les citoyens de ne pas écouter l’ora-
teur.
a) sujet
b) attribut du sujet
d) sujet
c) apposition

étape 3
• Les subordonnées introduites par ut sont COD du verbe qui
les introduits.
• Les verbes expriment un ordre (imperat), une volonté (impel-
lit) ou une demande (rogat).
• Les verbes des subordonnées sont conjugués au présent du
subjonctif.
• Le subjonctif en latin exprime une intention particulière.
Dans les trois exemples, il signale le désir de l’imperator.

Réponses aux exercices


1. a) Romulus Remo interdixit ut sulcum transiret. 4. Le verbe introduisant la conjonction ut à entourer est
Fonction : COD. contendam. Le verbe contendam exprime l’effort. Cicéron
b) Romulo clarum est quod incolae desunt in nova urbe. annonce les efforts qu’il va entreprendre pour défendre
Fonction : attribut du sujet. Publius Sestius.
c) Ancus Martius hoc scit quod pons faciendus in Tiberi est.
Fonction : apposition.
• Le pronom auquel est apposée la subordonnée introduite
par quod est nihil. Leur répétition constitue une anaphore.
d) Tarquinius Superbus ut templa aedificentur imperat.
Fonction : COD. TRADUCTION
2. a) audiant > L’orateur prévient les juges de bien écouter. Mais puisque tous les autres orateurs ont répondu en
b) quaerit > Que l’éloquence nécessite un grand soin, les ora- particulier sur les chefs d’accusation, je parlerai moi
teurs ne s’en étonnent pas. de la situation en général de Publius Sestius […], et je
c) legerem > Tu m’as convaincu de lire les discours de Cicéron. m’efforcerai, si seulement je peux y parvenir, dans cette
3. a) Leges praecipiunt ut magistratus censeant omnes cives. défense générale et compliquée, que rien qui touche
b) Imperator mandavit architecto ut aedificat novum palatium. votre instance, l’accusé ou la République ne paraisse
c) Peregrini petebant civibus ut peragerent novam civitatem et être passé sous silence.
portum.
d) Quod urbs jam Romana gaudio populo est.

Vivre dans la cité • 87


grammaire Les adverbes de quantité et l’expression p. 84-85 memento
spécialité de la quantité G p. 198
L’expression de la quantité n’est pas chose aisée en latin. Voilà pourquoi il n’est inscrit qu’au programme de la spé-
cialité. La leçon vise davantage à faire comprendre des logiques que d’asséner des lois grammaticales, toujours
susceptibles d’exception.
Situation 3
étape 1
Situation 1
• Les mots à entourer sont  : quanta… quantus, tanta…
quantus.
• Mot exprimant une quantité générale : quot/ une égalité :
• Les noms sur lesquels porte l’expression de la quantité
tot… quot/ une quantité suffisante : satis. désignent des qualités abstraites, en l’occurrence le prudence
• Ce sont des adverbes. et le courage.
• Les mots pauci/paucae et multi/multae sont adjectifs qualifi-
catifs exprimant une quantité grande ou petite. étape 2
Situation 2
• Les mots à entourer sont : quantum, tantum, paulum, satis, Les mots à entourer sont : quantum, multum, paulum, tantum,
quantum. Ce sont des adverbes.
multum. Ce sont des adverbes.
• Les noms sur lesquels porte l’expression de la quantité sont
étape 3
au génitif.
• Ce noms désignent des choses matérielles, métaux pré- • Les mots à entourer sont : quam, altior, tam... quam, altissima,
cieux ou aliments (nourriture ou boisson). minus… quam. Il s’agit d’adverbes et d’adjectifs.
• Le suffixe -ior est la marque du comparatif, le suffixe -issima
celle du superlatif.

Réponses aux exercices

1. a) Quantum ingenium ! d) Tam laborabimus quam fruemur otio.


b) Quot templa ! e) Hostes tot servos quot milites occiderunt.
c) Quam magnifica est !
4. Premier extrait
d) Quot cives !
L’adverbe quantum est employé devant un nom exprimant
e) Quam splendet !
une quantité, certes grande, mais indéfinie, d’où l’emploi du
f) Quantum auri fulget !
génitif fidei.
g) Quanta gloria !
h) Quam bene administrata est ! L’adverbe quam est employé devant le verbe lenitum sit pour
indiquer la forte diminution du regret pour Romulus. L’emploi
2. a) Combien il est difficile de gouverner autant d’hommes est conforme à l’usage.
dans de si nombreuses cités !
Deuxième extrait
b) Combien de sages athéniens donnaient à tous les citoyens
L’adverbe quantum est employé devant le verbe poterat pour
autant de pouvoirs que d’obligations !
indiquer une proportion, conformément à l’usage.
3. a) Quam magna gloria justitia erit in civitate nostra, quam L’adverbe tot est employé devant le nom militibus pour indi-
magnus honos ! quer une grande quantité de tués, conformément à l’usage.
b) Tot libri cives quot incolae erunt.
L’adjectif majores est au degré du comparatif pour indiquer
c) Tantum aquae quantum frumenti adducamus.
une quantité supérieure de troupes.


88 Vivre dans la cité
r
L ' A T E L I E R du traducteu p. 86-87

Esclavage et humanité
Cet atelier du traducteur s’inscrit dans le prolongement des p. 62 et 65. Il permet aux élèves de s’interroger sur une
catégorie précise de la population, les esclaves : n’est-on esclave que de naissance ? Sur quels arguments s’appuie
Sénèque pour intégrer les esclaves dans le champ de l’humanité ? Les élèves repèreront au fil du texte certains
mots ou figures de style qui affirment l’identité de nature entre l’esclave et le citoyen. Le texte ne pose pas de pro-
blème majeur à la traduction : seule la première phrase requiert une analyse rigoureuse de la proposition infinitive.
étape 1
Sept verbes à l’indicatif Sept verbes à l’infinitif présent Trois participes
(à souligner dans le texte) (à encadrer dans le texte) (à entourer dans le texte)
Présent Parfait Présent Présent Parfait
Vis depressit cogitare auspicantes ortum
vocas fecit frui natos
potes (2 fois) spirare
contemnis vivere
mori
videre
transire
étape 2
• Les deux formes du mot idem sont « iisdem » et « eodem ». • Le sujet commun est « istum ».
L’anaphore est «  aeque spirare, aeque vivere, aeque mori  ». • Première proposition de traduction :
L’esclave et l’homme libre se trouvent réunis par ces mots,
« Toi tu veux avoir à l’esprit que celui que tu appelles ton es-
ils sont mis sur le même plan (un plan d’égalité : « aeque »).
Esclave et homme libre sont attachés, l’un tout autant que clave, né des mêmes semences [que toi], jouit du même ciel
l’autre, à la même condition humaine. [que toi], respire de la même manière, vit de la même manière,
meurt de la même manière ! »
• La proposition relative qui a pour antécédent « istum » est :
« quem servum tuum vocas ».

étape 3
• Sénèque établit un rapport d’égalité entre l’esclave et Lucilius associé à « illum », quand le pronom désignant Lucilius, « te »,
est renvoyé en fin de phrase et associé à « servum ».
en recourant à la tournure comparative «  tam… quam  »
« autant… que » qui exprime l’égalité. Le terme « ingenuum », •Le chiasme « tu… illum… ille… te » permet de rapprocher le
le plus long de la phrase, est placé au centre de la phrase et destin de ces hommes en les croisant.

étape 4
Proposition de traduction :
Lors de la défaite de Varianus, la fortune a fait chuter de nombreux hommes à la naissance illustre qui aspiraient au
rang sénatorial du fait de leur service militaire ; elle a fait de l’un d’eux un berger, de l’autre le gardien d’une hutte.

étape 5
• Le verbe « contemne » est conjugué à l’impératif présent, • La proposition « in quam transire potes » est une proposition
2e personne du singulier. Il se traduit par « méprise ». subordonnée relative.
La proposition « dum contemnis » est une proposition subor-
donnée circonstancielle de temps.
étape 6
Vis tu cogitare istum, quem servum tuum vocas, Toi, veux-tu avoir à l’esprit que celui que tu appelles ton esclave
ex iisdem seminibus ortum, né des mêmes semences que toi,
eodem frui caelo, aeque spirare, jouit du même ciel que toi, respire comme toi,
aeque vivere, aeque mori ! vit comme toi, meurt comme toi !
Tam tu illum videre ingenuum potes Toi, tu peux tout autant voir cet homme libre
quam ille te servum [videre potest]. que lui peut te voir esclave.
Variana clade Lors de la défaite de Varianus,
fortuna depressit la fortune a fait chuter
multos splendidissime natos, de nombreux hommes à la naissance illustre
senatorium per militiam auspicantes gradum : aspirant au rang sénatorial du fait de leur service militaire :
alium ex illis pastorem fecit, elle a fait de l’un d’entre eux un berger,
alium custodem casae [fecit]. elle a fait de l’autre le gardien d’une hutte.
Contemne nunc ejus fortunae hominem Méprise maintenant l’homme de cette condition
in quam transire dum contemnis potes. dans laquelle tu peux finir pendant que tu le méprises.

Vivre dans la cité • 89


r
L ' A T E L I E R du traducteu p. 88-89

Deux chefs brillants et bien différents


Cette double-page présente deux intérêts  principaux. Un intérêt historique tout d’abord, en permettant aux
élèves d’affiner leurs connaissances sur César et Caton : préalablement à l’étude du texte, on pourra leur proposer
de mener des recherches sur le personnage de Caton, qui leur est souvent moins familier que César. Un intérêt
linguistique ensuite : le texte n’est pas difficile – il ne comporte aucune subordonnée –, et il offre une riche varia-
tion de l’emploi des différents cas.

étape 1
eloquentia, ae, f. : éloquence mansuetudo, inis, f. : mansuétude ; indulgence
magnitudo, inis, f. : magnitude ; grandeur misericordia, ae, f. : miséricorde ; pitié, pardon
par, paris (G parité) : égal severitas, atis, f. : sévérité ; austérité
gloria, ae, f. : gloire dignitas, atis, f. : dignité
alius, a, ud (G aliéner) : autre addo, is, ere, addidi, additum (G addition) : ajouter
integritas, atis, f. : intégrité ; honnêteté constantia, ae, f. : constance

étape 2
• Le mot « eis » est au datif pluriel. Les qualités qui suivent se • Les mots à entourer sont : genus, aetas, eloquentia, magni-
rattachent donc aux deux chefs. tudo, gloria, alia.

étape 3
2 Caesar beneficiis ac munificentia magnus habebatur / 4 Caesar dando sublevando ignoscendo /
Cato integritate vitae. Cato nihil largiendo gloriam adeptus est.
3 Ille mansuetudine et misericordia clarus factus [erat] / 5 In altero miseris perfugium erat / in altero malis pernicies [erat].
huic severitas dignitatem addiderat. 6 Illius facilitas / hujus constantia laudabatur.

étape 4
• Tous les verbes sont conjugués au mode indicatif. • integritate : ablatif singulier
fuere : parfait / verbe d’état mansuetudine : ablatif singulier
habebatur : imparfait / forme passive severitas : nominative singulier
factus erat : plus-que-parfait / forme passive dignitatem : accusative singulier
addiderat : plus-que-parfait / forme active gloriam : accusative singulier
adeptus est : parfait / forme déponente pernicies : nominatif singulier
erat : imparfait / verbe d’état facilitas : nominatif singulier
laudabatur : imparfait / forme passive • « Dando » est le gérondif du verbe do, as, are, dedi, datum. Les
trois autres gérondifs sont : sublevando, ignoscendo, largiendo.

étape 5
Igitur iis genus, aetas, eloquentia prope aequalia Donc en eux la naissance, l’âge, le talent oratoire furent à peu près
fuere, équivalents,
magnitudo animi par [erat], item gloria [erat], sed la grandeur de leur courage était égale, de même leur gloire, mais elle
alia alii. était d’une nature différente chez l’un et chez l’autre.
Caesar beneficiis ac munificentia magnus César était considéré comme grand par ses bienfaits et sa
habebatur, magnificence,
integritate vitae Cato [magnus habebatur]. Caton par l’intégrité de sa vie.
Ille mansuetudine et misericordia clarus factus [erat], Celui-là était devenu célèbre par son indulgence et sa miséricorde,
huic severitas dignitatem addiderat. Quant à celui-ci, la sévérité avait augmenté sa dignité.
Caesar dando sublevando ignoscendo, César [acquit la gloire] en donnant, en secourant, en pardonnant,
Cato nihil largiendo gloriam adeptus est. Caton acquit la gloire en n’accordant aucune largesse.
In altero miseris perfugium erat, En l’un, il y avait un refuge pour les misérables,
in altero malis pernicies [erat]. En l’autre, il y avait la perte pour les êtres mauvais.
Illius facilitas [laudabatur], Les dons de celui-là étaient loués,
hujus constantia laudabatur. la constance de celui-ci était louée.


90 Vivre dans la cité
folio
construire mon port p. 90-91

Diptyque Textuel
Conçu pour aider les élèves à s’approprier un objet d’étude du programme, le portfolio textuel leur offre l’oppor-
tunité de mener un travail de recherche et d’analyse pluriel : étude de la langue latine afin de cerner au plus près
le sens du texte antique et ses subtilités, contextualisation et analyse littéraire des textes antique et moderne, qui
aboutissent à la confrontation de deux regards sur une même réalité : l’exil. Il s’agit bien de « Vivre dans la cité »
mais dans une cité qui n’est pas la sienne. Le professeur peut intervenir à différentes étapes de la réalisation du
portfolio, tout en accordant une place de choix à l’autonomie de ses élèves. Afin de donner sens au portfolio pro-
posé ci-après dans le cadre précis de l’objet d’étude « Vivre dans la cité », l’élève pourra s’appuyer sur les pages du
manuel consacrées au sous-chapitre « Tous citoyens ? Intégration, assimilation, exclusion ».

a ÉTAPE 2 : a ÉTAPE 3 :


TRADUCTION Analyse du texte antique (lettre d’Ovide) :
Mixta sit haec quamvis inter Graecosque Getasque, Brutalement relégué en l’an 8 par l’empereur Auguste
Bien que cette population soit un mélange de Grecs et de Gètes, pour des raisons qui restent encore aujourd’hui mys-
térieuses, le poète Ovide est mort en exil à Tomis, ville
a male pacatis plus trahit ora Getis.
située dans l’actuelle Roumanie, sur les bords de la Mer
Elle tend davantage vers les Gètes mal pacifiés. noire (anciennement nommée Pont-Euxin). Durant
Sarmaticae major Geticaeque frequentia gentis dix ans, il n’a cessé de réclamer son retour à Rome, en
Une foule assez conséquente des peuples sarmate et gète vain. Il a écrit de très nombreuses lettres à ses proches
per medias in equis itque reditque vias. restés à Rome, lettres regroupées notamment dans le
va et vient au milieu des chemins sur leurs chevaux. recueil intitulé Les Tristes. Cette lettre est consacrée en
grande partie à la description de la population locale,
In quibus est nemo, qui non coryton et arcum présentée comme sauvage, féroce, barbare, tant sur le
Parmi eux, aucun qui ne porte son carquois, son arc plan physique (« vox fera, trux vultus », « non coma, non
telaque vipereo lurida felle gerat. ulla barba resecta manu  ») que moral  («  dextera non
et ses flèches trempées dans le venin d’une vipère. segnis fixo dare vulnera cultro  »). La violence est pré-
sentée comme inhérente à cette société : « male paca-
Vox fera, trux vultus, verissima Martis imago, tis », « telaque vipereo lurida felle », « dextera non segnis
Une voix sauvage, un visage farouche, pure image de Mars, fixo dare vulnera cultro », « quem junctum lateri barba-
non coma, non ulla barba resecta manu, rus omnis habet » et, en point d’orgue, la référence au
aucune chevelure, aucune barbe coupée par la moindre main, dieu de la guerre Mars « verissima Martis imago », dont
dextera non segnis fixo dare vulnera cultro, la proximité avec ce peuple est renforcée par l’emploi
de l’adjectif au superlatif. Cette population est anima-
un bras qui ne tarde pas à provoquer des blessures après avoir
lisée : « quamque lupi, saevae plus feritatis habent », le
enfoncé le couteau, poète leur dénie une humanité identique à la sienne :
quem junctum lateri barbarus omnis habet. « sive homines, vix sunt homines hoc nomine digni ». À
que tout barbare possède, attaché à son côté. l’opposé de ce peuple, il représente le Romain civilisé,
Vivit in his heu nunc, lusorum oblitus amorum, lettré, policé : les lieux dans lesquels il vit sont « invi-
C’est parmi ces hommes, malheur !, qu’il vit désormais, sis », la condamnation est entière. Dans quelle mesure
les circonstances de ce séjour influencent-elles la per-
oublieux des jeux amoureux,
ception que le poète a de ce peuple ?
hos videt, hos vates audit, amice, tuus: Analyse du texte moderne (Montesquieu, lettre 30) :
ton poète ; ce sont ces hommes qu’il voit, ce sont ces hommes
Le roman intitulé Lettres persanes rassemble la cor-
qu’il entend, mon ami.
respondance fictive échangée entre deux voyageurs
atque utinam vivat non et moriatur in illis, persans, Usbek et Rica, venus visiter l’Europe, et leurs
Ah ! puisse-t-il vivre et ne pas mourir dans ces lieux, amis restés en Perse. Dans la lettre proposée, Rica
absit ab invisis et tamen umbra locis. […] raconte à son ami Ibben son arrivée à Paris, en 1712,
et que son ombre au moins soit absente de ces lieux détestés ! […] vêtu de l’habit persan. Le texte constitue un pas-
tiche oriental  : nom du destinataire, nom de la ville
Sive locum specto, locus est inamabilis, et quo Smyrne, Montesquieu utilise également le calendrier
Si j’observe le lieu, il est déplaisant et plus persan (calendrier lunaire) et non le calendrier euro-
esse nihil toto tristius orbe potest, péen, à savoir le calendrier grégorien solaire.  Rica
sinistre qu’aucun autre lieu ne peut l’être dans tout l’univers. raconte à son ami que sa tenue a provoqué auprès
des Parisiens une curiosité malsaine, voire agressive
sive homines, vix sunt homines hoc nomine digni, à son encontre (« cent lorgnettes dressées contre ma
Si j’observe les hommes, ce sont à peine des hommes dignes de figure  »)  : il représente à leurs yeux l’inconnu, l’exo-
ce nom, tique… sans se rendre compte que l’inverse est tout
quamque lupi, saevae plus feritatis habent. aussi vrai. Rica s’amuse des réactions qu’il suscite (« je
ils sont plus sauvages et plus féroces que les loups. souriais quelquefois  »)  : il les décrit dans le premier
paragraphe, avant de se livrer à une expérience qui a

Vivre dans la cité • 91


pour but de vérifier ce qu’il pressent : il abandonne son habit a ÉTAPE 4 :
oriental pour revêtir un habit européen, ce qui le fait sombrer
dans un « néant affreux ». Partant, Montesquieu nous montre, Quelle place chaque société laisse-t-elle à celui qui est très
par l’intermédiaire de Rica, que l’on s’arrête souvent à l’aspect éloigné de la norme ? Comment peut-on s’intégrer quand on
extérieur d’une personne sans chercher à la connaître véri- est très éloigné de la norme ?
tablement. Le passé, la personnalité, les convictions de Rica Des éléments importants différencient les deux textes que
n’intéressent personne. Pour nous faire réfléchir sur cette nous proposons : lettre authentique, lettre fictive ; un poète
société qui est la nôtre, Montesquieu passe par un regard qui est contraint de vivre dans une cité étrangère, un person-
étranger qui met en lumière nos travers… qui sont, plus ou nage fictif qui part de son propre chef à la découverte d’un
moins, ceux de toute société. pays étranger. Ce dernier point explique la manière très dif-
férente dont chacun réagit face à cette situation nouvelle.
L’un est en exil, l’autre voyage. Le registre du premier texte
est lyrique et pathétique, le registre du second est comique.
Pour autant, les différences entre le poète et le personnage
de roman d’une part, et les habitants de l’autre cité d’autre
part, sont radicales : ils n’ont pas la même histoire, ne parlent
pas la même langue, n’ont pas les mêmes croyances reli-
gieuses, pas les mêmes mœurs, pas le même système poli-
tique… Le texte d’Ovide est centré sur les sentiments du
poète, en laissant dans l’ombre la réaction des autochtones
à son égard ; le regard est bien moins unilatéral dans le texte
de Montesquieu.

Proposition de critères d’évaluation


« L’évaluation du portfolio peut se faire par étapes et porter, au libre choix du professeur, sur l’élaboration, la pro-
duction finale ou la présentation orale. » B.O.
On veillera et on notera :
- la pertinence des textes choisis ;
- la justification du choix, la clarté des arguments avancés ;
- la qualité de la traduction proposée (valoriser une traduction personnelle pour les élèves non débutants) ;
- la qualité de l’analyse littéraire de chaque extrait ;
- la pertinence des rapprochements établis entre les deux extraits ;
- la qualité de l’expression écrite (si compte-rendu sous forme papier) : orthographe, syntaxe…
- la qualité de l’expression orale (si compte-rendu sous forme orale) : syntaxe, niveau de langage, intonation…

faire le bilan du chapitre


Le but de l’exercice est d’amener les élèves à confronter plusieurs textes, notamment ceux étudiés dans ce cha-
pitre, autour de la question des conquêtes territoriales. Les avis exprimés par les auteurs étant souvent tranchés,
il s’agira pour l’élève de poser la question de ces conquêtes dans toute sa complexité. L’élève s’interrogera sur les
différentes époques de rédaction des textes, sur le statut des auteurs (Romain ou étranger notamment), sur les
différentes conditions dans lesquelles la conquête s’est effectuée. La forme même de l’écriture de la lettre consti-
tuera un point d’attention particulier pour l’élève : on valorisera notamment la prise en compte par ce dernier de
son destinataire, qui devra percevoir les sentiments variés éprouvés par Manlius.
On prendra particulièrement en compte :
- la confrontation des documents autour d’axes clairement exprimés ;
- l’exactitude et la finesse de l’analyse des documents étudiés ;
- la correction et la clarté de l’expression ;
- l’exploitation de documents autres que ceux proposés par le manuel.


92 Vivre dans la cité
évaluation p. 92-93
vers le bac
Résistons aux envahisseurs romains !
Le texte proposé renvoie au sous-chapitre « Tous citoyens ? intégration, assimilation, exclusion ». Il offre la singula-
rité de présenter les conquêtes romaines non du point de vue des Romains eux-mêmes mais de celui d’un peuple
qui a lutté, en vain, contre les Romains. Dans son discours, Calgatus n’envisage pas seulement la situation de son
peuple mais, prenant du recul, condamne des siècles de conquêtes romaines.

partie 1
A. Lexique L’adjectif « infestiores » constitue une condamnation du peuple
Calgatus définit lui-même le terme «  imperium  » qui est romain, expliquée en partie par les deux autres adjectifs : si
l’attribut de trois verbes à l’infinitif : « auferre », « trucidare », la supériorité militaire est du côté des Romains, la noblesse
«  rapere  ». Ces verbes expriment une violence tant morale d’âme est l’attribut des Bretons, la plus haute noblesse d’âme
(« auferre ») que physique (jusqu’à la mort elle-même « truci- même, puisque l’adjectif est au superlatif («  nobilissimi  »).
dare ») ; cette violence prend également la forme de l’atteinte « Carissimos » révèle l’intensité de la souffrance imposée aux
aux biens («  rapere  »). Le verbe «  aufere  » est explicité dans vaincus, donc la cruauté des conquérants romains.
la phrase suivante : « Liberos cuique […] auferuntur ». Le mot • Cette question concerne plus particulièrement le pro-
« imperium », qui peut désigner au sens premier « le comman- gramme de spécialité. «  Toti Britanniae  » est au datif singu-
dement », exprime donc « la domination, l’hégémonie » du lier ; «  nullae ultra terrae  » est au nominatif pluriel ; «  totius
peuple romain sur les autres peuples. Britanniae » est au génitif singulier ; « nec ulla […] litora » est
à l’accusatif pluriel ; « nulla jam ultra gens » est au nominatif
B. Fait de langue singulier ; «  soli omnium  »  : «  soli  » est au nominatif pluriel,
• « Nobilissimi » : superlatif de l’adjectif nobilis, e au nomina- «  omnium  » est au génitif pluriel. L’emploi du déterminant
tif masculin pluriel, apposé au sujet du verbe « habebamus ». indéfini « totus » insiste sur l’union des peuples bretons face
À traduire par « les plus nobles ». aux troupes romaines : « toti Britanniae », « totius Britanniae »,
« infestiores » : comparatif de l’adjectif infestus, a, um au nomi- ces peuples représentent le dernier espoir de sauver la liber-
natif masculin pluriel, épithète du nom « Romani ». À traduire té. L’aspect unique, extraordinaire de la cruauté des Romains
par « plus dangereux ». est rendu par l’emploi de « soli omnium » qui les distingue de
« carissimos » : superlatif de l’adjectif carus, a, um à l’accusatif tous les autres peuples.
masculin pluriel, attribut des sujets « liberos » et « propinquos
suos ». À traduire par « les plus chers ».

partie 2
Choix 1
Les biens et les richesses sont destinés à l’impôt, chaque année les champs sont destinés à livrer du blé, nos corps
eux-mêmes et nos bras s’usent à rafraîchir forêts et marais, au milieu des coups et des injures. Les esclaves nés
pour la servitude sont vendus une seule fois, et de plus, ils sont nourris par leurs maîtres ; la Bretagne achète
chaque jour sa servitude, elle l’alimente chaque jour.
Choix 2
L’élève pourra s’appuyer en priorité sur les textes suivants :
- p. 22 : Res Gestae Divi Augusti et Histoire naturelle de Pline l’Ancien ;
- p. 24 : Abrégé de l’Histoire romaine de Florus ;
- p. 29 : Histoires de Tacite ;
- p. 60 : Table claudienne ;
- p. 61 : En l’honneur de Rome d’Ælius Aristide ;
- p. 62 : Plaidoyer pour Balbus de Cicéron ;
- p. 64 : Satires de Juvénal.
Ce corpus permet de confronter plusieurs points de vue sur l’expansion romaine : celui du peuple conquérant,
celui d’un étranger qui loue les conquérants, celui d’étrangers qui dénoncent la conquête. L’élève étudiera les
bénéfices que les Romains ont pu retirer de ces conquêtes, les conséquences parfois dramatiques pour les
conquis. C’est également la question de la citoyenneté elle-même qui est posée : comment devient-on Romain
et pourquoi peut-on souhaiter (ou non) le devenir ?

Vivre dans la cité • 93


L’élève pourra développer sa réflexion autour de trois axes :

1. L’ampleur de la conquête romaine


Étude des indications géographiques d’après les textes suivants :
- texte p. 22 (Res Gestae Divi Augusti) : relevé des noms propres ;
- texte p. 22 (Pline l’Ancien, Histoire naturelle) : « qu’elle […] devienne l’unique patrie de toutes les nations du monde ») ;
- texte p. 61 : (Ælius Aristide, En l’honneur de Rome) : (« Et ce qu’est justement […] pour la totalité du monde habité ») ;
- texte-support de Tacite (« Ni l’Orient ni l’Occident n’ont pu les rassasier »).

2. Cette conquête romaine peut être présentée sous un jour favorable :


A. Par les Romains eux-mêmes :
- texte p. 22 (Pline l’Ancien, Histoire naturelle) : « une terre […] choisie par la volonté des dieux », « qu’elle rende le ciel même
[…] donne son humanité à l’homme ») ;
- texte p. 29 (Tacite, Histoires).
B. Par les peuples soumis au pouvoir de Rome, ce qui prouve que l’expansion romaine ne se fait pas toujours par le biais d’un
conflit armé :
- page 61 (Ælius Aristide, En l’honneur de Rome) : « la générosité de votre intention », « sous l’autorité unique du meilleur diri-
geant et ordonnateur »).

3. Pour autant, la parole de certains peuples conquis ou en voie de l’être dévoile des aspects
très sombres de l’expansion romaine :
Étude du texte-support de Tacite : « pillards du monde », « ravageant tout », « cupides », « tyranniques », « enlever, massacrer,
piller », « violées »…
Cette image est confirmée par Florus lui -même (texte p. 24) : « opulentissimam praedam », « cupiditate ejus ».

critères d’évaluation

Partie 1 8 points
Lexique 3 points

Faits de langue 5 points


Partie 2
Choix n° 1 (Langue) 12 points
Choix n° 2 (Culture)


94 Vivre dans la cité
CHAPITRE
3 Les dieux dans la cité

ouverture p. 94-95
Parce que « l’homme antique ne dissocie pas le politique et le textes montrent les rapports ambigus qu’entretient l’homme
sacré », la nature très concrète, pour ne pas dire utilitaire, des politique avec le religieux, de la superstition au culte de la
rapports que les Romains entretiennent avec leurs dieux n’est personnalité. Une page de confrontation invite à réfléchir sur
pas toujours facile d’accès aux élèves. Le chapitre vise dans un les dangers du culte de la personnalité.
premier temps, à travers des textes et des documents vivants,
à faire sentir cette conception contractuelle que les Romains
• Les cultes et les dieux étrangers dans la cité  : les
dieux ne sont jamais assez nombreux pour assurer la pros-
nouent avec les divinités. Il cherche dans un second temps à périté de l’Urbs et de l’Empire. Voilà pourquoi les Romains
donner un aperçu de l’évolution du sentiment religieux qui sont allés chercher des dieux comme Cybèle ou Esculape.
bouscule les pratiques traditionnelles et amène les habitants Des textes rendent compte de ces importations divines. Mais,
de l’Empire à revoir leur rapport au sacré. quand vint d’Orient une conception plus métaphysique du
• Cultes, rites et grandes fêtes  : le calendrier romain sacré, où les pratiques rituelles avaient peu de part, ce fut le
abonde de fêtes qui sont à la base de sa structuration. En temps des incompréhensions et des persécutions avant que
plus de Compitalia, évoquée dans le petit chapitre introduc- les persécutés ne devinssent les persécuteurs. Deux textes
teur (p.  11), les élèves sont invités à découvrir deux autres font réfléchir sur les intolérances réciproques entre paga-
fêtes importantes : les Lupercales et les Caristia. Une page de nisme et christianisme.
confrontation invite les élèves à comparer l’esprit des fêtes
antiques et contemporaines ainsi que leur place au sein de la
• Justice des dieux, justice des hommes (spécialité) :
deux textes invitent les élèves à réfléchir sur la justice quand
cité antique et de la société moderne. elle est exercée par l’État. Un dialogue entre justice antique
• Le politique et le sacré : les dieux sont omniprésents dans et justice contemporaine confronte les notions de culpabilité
la vie du citoyen romain. Participer à la vie religieuse est une et de responsabilité. Enfin quatre textes abordent la question
affaire avant tout publique. Sans l’aide des dieux, nulle action du châtiment d’origine divine dont les causes tiennent pour
collective, encore moins individuelle ne peut trouver le suc- les Anciens à la démesure (furor), cette sortie de l’homme du
cès. Trois textes s’attachent à montrer la place déterminante champ de l’humanité.
du sacré dans la décision militaire et politique. Deux autres

Entrées possibles dans le chapitre


- Approche par les rituels : la vie du citoyen romain est orga- Un premier temps de la séquence est consacré à faire décou-
nisée selon des rituels dont les pratiques religieuses sont une vrir la religio, c’est-à-dire ce lien contractuel que les hommes
composante. Dès lors, le rituel, sa nature, son déroulement, nouent avec les dieux. En ouverture, la reconstruction du
son sens fournissent une armature structurante qui peut Capitole (cf. texte de Tacite, p. 101) et l’examen du bas-relief
aider les élèves à s’approprier l’esprit antique. Le rappel que présentant un suovétaurile peuvent faire comprendre la
fait Camille, dans le texte de Cicéron (p. 121, activité 2), de la manière très concrète dont le pacte est scellé. Les hommes
place des rituels dans la société romaine peut être un point de sacrifient aux dieux qui en retour les informent sur les actions
départ. La référence au sacrifice qui a présidé à la fondation qu’ils veulent entreprendre. Pour découvrir les détails des
de l’Urbs, contenue dans le texte, peut être approfondie par rituels, il est possible de s’appuyer sur le bas-relief de la p. 94,
la lecture de l’extrait de Tacite évoquant la reconstruction du sur la consultation du roi Latinus (texte de Virgile, p. 97) ou
Capitole et l’étude du bas-relief présentant un suovétaurile de sur l’accueil fait à la déesse Cybèle (texte de Tite-Live, p. 109).
la p. 101. Pour continuer à souligner la place des rituels fonda- Pour l’action bénéfique des dieux, le petit extrait de Florus
teurs, la découverte de la fête des Lupercales peut être explo- (p. 11) peut suffire à rendre compte de la croyance que Rome
rée (p. 96). Cette fête donne l’occasion de s’arrêter sur l’orga- doit son destin à la faveur des dieux. Mais, il arrive que les
nisation du calendrier romain détaillée par Macrobe (p. 130). hommes rompent le contrat. Il est alors nécessaire d’engager
Il est possible aussi d’exploiter à ce moment la fresque qui une procédure d’expiation. La devotio de Décius (p. 102) ou
donne à voir les Compitalia (p. 11). Pour souligner l’omnipré- les mesures prises après le désastre au lac Trasimène (p. 102)
sence des fêtes dans la vie des Romains, l’élargissement aux fournissent des exemples très frappants. L’introduction du
fêtes familiales, proposée à partir des Caristia (p. 98) permet culte d’Esculape (texte p. 106) peut aussi être exploitée dans
d’étendre la réflexion au monde contemporain (p. 99). Enfin cette perspective. Le texte montrant l’attention presque
la condamnation par le chrétien Lactance des rites de la reli- maladive d’Auguste aux moindres signes permet d’ame-
gion traditionnelle romaine (p. 111), que l’on trouve aussi dans ner progressivement la notion de superstitio (texte p.  103).
l’extrait de Minucius Félix (p. 121, activité 3), fournit matière Enfin l’accusation mutuelle de superstitio entre les supports
tout à la fois à évaluer les acquis sur les pratiques rituelles, de la p. 120 (texte et extrait de film présentant la répression
et à montrer l’évolution du sentiment religieux sous l’Empire. de Néron à l’égard des chrétiens) et la condamnation des
- Approche par l’opposition entre religio et superstitio  : la rites païens par Lactance ne manqueront pas de faire réagir
différence entre religio et superstitio est fondamentale pour les élèves. Leur réflexion peut être alors élargie au monde
comprendre les pratiques religieuses romaines. Il est possible contemporain en les faisant s’interroger sur la fête d’Hal-
d’articuler une séquence autour de la compréhension de ce loween et son sens (p. 107) : religion, superstition ou simple-
qui distingue dans l’esprit d’un Romain ces deux notions. ment divertissement ?

Les dieux dans la cité • 95


- Approche par les rapports entre politique avec religieux : il figures d’Antigone et de Créon sont bien connues des élèves.
est inconcevable pour un Romain de séparer le politique du C’est pourquoi nous commençons ce parcours par la lecture
religieux. La France constitue à ce titre une exception qui peut intégrale de la fable d’Hygin portant le titre « Antigona », qui
rendre difficile pour certains élèves la saisie de cette intrica- donne une version du mythe différente de celle de Sophocle
tion. Le petit texte de Florus (p. 11) peut être efficace pour faire ou de Jean Anouilh. En regard, les réflexions du philosophe
comprendre que les Romains pensent devoir leur destin aux grec Carnéade (reprises par l’auteur chrétien Lactance) et de
dieux, et ainsi pour introduire la notion de religio. Les bas-reliefs Cicéron sur la notion de Juste. La deuxième double-page
de sacrifice (p. 94 et p. 101) ou le texte de Tacite sur la recons- propose de s’interroger sur les termes suivants : « Culpabilité
truction du Capitole sont l’occasion de définir de façon précise et responsabilité : à qui la faute ? ». Être déclaré(e) coupable
la notion. Les recours à des mesures extraordinaires (textes implique-t-il nécessairement d’être tenu(e) pour respon-
de Tite-Live p. 101 et 102) ou à des dieux étrangers (texte de sable ? Et vice versa. Pour réfléchir à ces questions, une lettre
Valère-Maxime, p. 106 ou d’Ovide, p. 108) montrent la place du de Pline rapportant une décision de justice rendue par le
culte rendu aux dieux dans l’histoire romaine. Plus frappante consilium principis sous Trajan et un extrait de l’Étranger
encore est la mise en place du culte impérial. La statue d’Au- d’Albert Camus, dont le héros a tout du coupable, mais pas
guste (p. 103) peut servir de point de départ à l’exploration de du responsable. Après une réflexion sur les fondements du
cet aspect particulier des rapports entre religion et politique juste et sur les concepts de responsabilité/culpabilité, la troi-
dans la Rome antique. La louange de Stace à Domitien (p. 104), sième double-page est consacrée aux supplices et aux châti-
l’apothéose de César (texte de Suétone, p.  108), l’inscription ments infligés aux criminels. Dans ce domaine, les dieux font
dédiée à Trajan (p. 104), ou encore celle présente dans le cha- figures d’exemples, comme le montrent les « supplices des
pitre introducteur (p. 13), sont autant de supports disponibles Enfers » ; les hommes ne sont pas en reste, lorsqu’ils livrent
pour faire découvrir le culte impérial, dont la confrontation les corps des condamnés à la vindicte populaire sur l’esca-
avec le culte de la personnalité du régime totalitaire nord- lier aux Gémonies. L’une des fautes les plus graves que peut
coréen (p. 105) soulignera les dangers, toujours actuels... commettre un humain envers les dieux, c’est de se laisser
- Parcours spécifique à la spécialité  :  pour traiter la sous- emporter par le furor  : la quatrième double-page propose
thématique « Justice des dieux, justice des hommes », nous deux extraits de pièces tragiques, avec les exemples d’Her-
avons choisi d’aborder les quatre points au programme de cule furieux massacrant les siens, et du peuple de Rome se
spécialité. La première double-page pose la question du juste déchaînant contre Poppée, qui a pris la place d’Octavie aux
et de l’injuste et des conflits entre l’intérêt individuel et la rai- côtés de Néron. Un parcours qui mène le lecteur des fonde-
son d’État. La malédiction de la famille des Labdacides, les ments du juste aux sommets de la vengeance.

Présentation des documents et problématisation


Le bas-relief romain en marbre, conservé au Louvre, présente en l’honneur du dieu Ganesh, le fils de Shiva et de Pârvatî. Le
une scène de divination à partir de l’examen des entrailles dieu à tête d’éléphant et au corps d’enfant est symbole de
(exta) du taureau que vient immoler le victimaire, reconnais- sagesse, d’intelligence, d’éducation et de prudence. En tête
sable à la hache qu’il porte sur l’épaule. À gauche se tient d’une procession très colorée, parmi des musiciens et des
l’haruspice, une tablette dans la main pour recueillir les infor- danseurs, défilent des femmes portant sur leurs têtes des pots
mations observées par l’esclave en train de fouiller le ventre de terre cuite dans lequel brûle du camphre. Cette substance
de l’animal. Ces informations sont considérées comme des aromatique, par sa combustion, symbolise l’expulsion de
signes révélés par les dieux pour éclairer et guider l’action l’ego, permettant ainsi l’union avec Dieu. En arrière-plan, l’on
des hommes au service du bien de la cité. La présence de distingue des bâtiments de Paris, dont l’un haussmannien.
licteurs indique que le sacrifice et la consultation divinatoire Le lien entre religion et vie publique d’un côté et le contraste
sont publics. D’ailleurs, les viscères seront brûlés tandis que le entre les culture hindouiste et parisienne de l’autre, ne man-
reste de la viande sera partagé et distribué entre les citoyens. quera pas d’interpeller les élèves. Il sera ainsi aisé de poser
La pratique religieuse est donc chez les Romains inhérente à la question de la place de la religion et des rituels dans la vie
la vie civique et politique. d’un Romain, et, dans le cadre d’une confrontation dyna-
La photographie de la page de droite a été prise lors de la mique, dans l’espace public en France et ailleurs dans le
17e édition parisienne de Ganesh Chaturthi, la fête hindoue monde contemporain.


96 Les dieux dans la cité
lecture Cultes, rites et grandes fêtes
Dans les pages Lecture, les onglets de question sont indépendants les uns des autres. Il est donc possible
de les traiter dans l’ordre que l’on souhaite ou de ne traiter que ceux que l’on souhaite. Ce dispositif per-
met d’envisager une approche différenciée du texte.
1 L’origine des Lupercales (p. 96)
Ce chapitre s’ouvre sur la découverte de la fête des Lupercales, fête publique en l’honneur du dieu Faunus, qui
pourra être comparée à la fête des Caristia, fête familiale et privée (p. 98). L’extrait des Fastes d’Ovide insiste
sur l’aspect divin de cette fête en offrant une place conséquente à Junon. Le tableau d’Andréa Camassei se
concentre, lui, sur l’une des étapes essentielles du rite des Lupercales : les prêtres de Faunus qui parcourent nus
les rues de Rome pour fouetter le dos des femmes espérant concevoir un enfant. On peut proposer aux élèves
de découvrir ce rite en partant de l’étude du tableau : la description précise de la scène les amènera à découvrir
le sens général du texte d’Ovide, ce qui permettra aux élèves d’entrer dans la traduction en connaissant les
composantes du rite dans ses lignes directrices.
TRADUCTION
Jeune mariée, qu’attends-tu ? Ce n’est ni grâce au pouvoir des herbes, ni grâce à la prière, ni grâce à un
chant magique que toi, tu deviendras mère. Reçois avec patience les coups d’une main qui te permettra
d’enfanter, bientôt ton beau-père recevra le nom qu’il désire : « grand-père ».
[…]
... Les hautes cimes de la forêt agitée ont tremblé, et, au travers de ses bois sacrés, la déesse a prononcé des
paroles étonnantes : « Qu’un bouc sacré s’unisse aux mères d’Italie ! ». La foule effrayée resta sans voix
face à cette expression obscure. Il y avait un augure, son nom a disparu depuis de longues années ; exilé,
il était arrivé depuis peu de la terre d’Étrurie ; celui-ci sacrifie un bouc ; les jeunes filles qui en ont reçu
l’ordre offrent leur dos aux coups infligés avec les peaux découpées. À sa dixième rotation, la nouvelle
lune ramenait les cornes [du croissant de la lune], voilà que le mari était père, l’épousée était mère.

Lire
La fête des Lupercales s’ouvrait sur le sacrifice d’un bouc (« ille laquelle Romulus et Rémus auraient été allaités par la louve.
caprum mactat ») dont on découpait la peau pour en faire des Le tableau d’A. Camassei montre deux femmes, sur la gauche,
lanières (« pellibus exsectis ») avec lesquelles on fouettait le dos tendant même leurs mains pour accueillir les coups. Le per-
des jeunes mariées souhaitant devenir mères («  excipe […] sonnage central, maître de la cérémonie, se trouve précisé-
patienter verbera », « jussae sua terga puellae / […] percutienda ment au centre du tableau, dévêtu, et mis en lumière par des
dabant »). Ce sacrifice avait lieu dans la grotte du Lupercal dans teintes claires, en opposition à la tonalité sombre du tableau.
Traduire
1. «  Socer  » est le sujet du verbe «  habebit  »  ; «  cacumina  » 2. Le passage à traduire offre une variation intéressante de
est le sujet de «  tremuere  »  ; «  dea  » est le sujet de «  locuta temps et modes verbaux  : présent, parfait, imparfait, plus-
est » ; « sacer hircus » est le sujet de « inito » ; « territa turba » est que-parfait, futur simple de l’indicatif ; présent de l’impératif ;
le sujet de « obstipuit » ; « augur » est le sujet de « erat » et de formes verbales conjuguées à la voix active et passive ; pré-
« venerat » ; « nomen » est le sujet de « intercidit » : « ille » est le sence de verbes déponents. Il permet également une révi-
sujet de « mactat » ; « jussae puellae » est le sujet de « dabant ». sion étendue des divers emplois du cas ablatif.
Comprendre
1. Junon est la déesse du mariage  ; elle accompagne la le contact physique entre les lanières du bouc et les femmes
femme mariée tout au long de sa vie, notamment au moment elles-mêmes.
de l’accouchement. Ovide attribue la paternité (la maternité ?) 2. Concevoir des enfants est un devoir pour tout jeune
de la fête des Lupercales à Junon précisément (v. 12-13), à une homme ou jeune femme romaine (cf. p. 9). Junon est à l’ori-
époque où les naissances sont rares (l.  5-6). La phrase pro- gine d’une fête qui favorise les naissances vivement espérées
noncée par la déesse, phrase mystérieuse et brève, résume par les couples («  père et mère se prosternaient ensemble,
les différentes étapes de la cérémonie : « un bouc » désigne genoux à terre, et suppliaient  ») mais aussi par les autres
les lanières de peau d’un bouc, « sacré » implique qu’il a été ascendants (futurs grands-parents…) de la famille.
sacrifié par des prêtres, « s’unisse aux mères d’Italie » désigne

2 La prophétie d’un roi devenu dieu (p. 97)


L’étude de cette page permet de croiser plusieurs éléments du programme antique tout en proposant l’étude
d’une œuvre moderne (la statue du Faune dansant située dans le Jardin du Luxembourg). L’extrait du poème de
Virgile donne la parole au dieu Faunus en l’honneur de qui sont célébrées les Lupercales. L’épisode présenté place
l’action peu de temps avant l’arrivée d’Énée et de ses compagnons sur la terre italienne : des liens sont possibles
avec la p. 54 du livre-cahier qui voit Énée quitter les rives de Carthage (notamment question 1 de la rubrique
Culture) et la p. 155 consacrée aux lamentations de Didon suite au départ d’Énée. Outre le personnage de Faunus
lui-même, le thème de la nature permet d’unir le poème virgilien et la statue du Faune.

Les dieux dans la cité • 97


TRADUCTION
Une voix soudaine est renvoyée du fond du bois : « Ne cherche pas à unir ta fille par des noces latines, mon
fils, et ne te fie pas aux noces préparées : des gendres étrangers viendront, capables, par leur sang, d’élever
notre nom jusqu’aux astres et, issus de leur souche, nos descendants verront tout l’univers être mu et dirigé
sous leurs pieds, là où le Soleil dans sa course aperçoit l’Océan d’un côté et de l’autre [de la terre] ».

Traduire
Les verbes conjugués au futur sont : « venient », « videbunt ». - la deuxième proposition relative est introduite par le pronom
Les vers 9 à 11 ne présentent aucune difficulté majeure  : « quorum », génitif pluriel, complément du nom « stirpe » ; les
seules les formes d’impératif «  pete  » et «  crede  » peuvent sujet et verbe conjugué de cette proposition sont « nepotes
nécessiter un éclaircissement. Les vers 12 à 15 sont construits […] videbunt » ;
autour de trois propositions relatives qui réclament une ana- - la troisième proposition relative, introduite par le pronom
lyse précise : « qua », a pour sujet « Sol » et pour verbe conjugué « aspicit ».
- la première proposition relative est introduite par le pronom
relatif « qui » : il a pour antécédent « externi generi » et il intro-
duit le verbe conjugué « ferant » ;

Lire
Les Anciens se représentaient l’Océan comme entourant la la lecture de l’extrait de Pline l’Ancien, présenté à la p. 22 du
surface terrestre, se trouvant donc « utrumque », c’est-à-dire livre-cahier, qui dévoile lui aussi l’immensité de l’empire sur
d’un côté et de l’autre des terres habitées  : les «  nepotes  » lequel ont régné les Romains.
(v. 13) verront donc, soumis à leurs lois, l’ensemble du monde L’enseignant pourra se reporter à la carte proposée dans le
habité. L’enseignant pourra compléter l’étude de ce texte par livre-cahier de seconde (p. 22).
Interpréter
1. Deux termes servent à désigner les bois : « silva » et « lucus ». sa voix « ex alto […] luco » (v. 9). Le lien entre certaines divini-
« Lucus » désigne plus précisément un bois qui est habité par tés romaines et la nature est très étroit. Le champ lexical de
une divinité  : il revêt donc une dimension sacrée et suscite la nature est particulièrement développé dans cet extrait  :
chez les humains une crainte et un respect très vifs. Le terme « bois sacrés », « la plus grande des sources », « la forêt ».
« lucus, i, m. : bois sacré » occupe une place importante dans 2. Le dieu Faunus est un dieu de la nature, plus précisément
cette double-page : dans le texte d’Ovide présenté à l’étude des forêts (« forêt », l. 4), des bois (« bois sacrés » l. 2, « luco »
p.  96, la déesse Junon s’adresse aux couples en attente v. 9), des champs. Le célèbre Jardin du Luxembourg, peuplé
d’enfant « per lucos […] suos » ; « ce bois était consacré à la d’arbres et garni de fleurs, semble un lieu particulièrement
grande Junon » (l. 8). De même, le dieu Faunus fait entendre idoine pour accueillir la statue du Faune.

prolongements
Pour faire comprendre aux élèves ce que représente le lucus antique, on pourra leur proposer de lire l’extrait de la Pharsale de
Lucain, livre III, consacré à un lucus gaulois situé près de Marseille. César prend la décision de détruire ce lucus, estimant qu’il abrite
un culte barbare et que s’y produisent d’odieux sacrifices humains. Les cohortes romaines elles-mêmes tremblent à l’idée d’offenser
une divinité en coupant ses arbres sacrés, ce qui amène César à s’emparer d’une hache et à frapper sans la moindre crainte.

3 Fêtons les Caristia ! (p. 98)


Après la fête publique des Lupercales, les élèves sont invités à découvrir la fête des Caristia à la dimension fami-
liale et intime. Ce sont les différentes étapes du rituel de cette fête qui sont présentées dans l’extrait des Fastes
d’Ovide.
TRADUCTION
Les membres d’une même famille qui se chérissent ont fixé la date des Caristia prochaines, et la foule des
proches rejoint les dieux associés à cette fête.
[…]
Donnez de l’encens aux dieux bienveillants de la famille : on rapporte que la douce Concorde, en ce jour
précis, est particulièrement présente ; offrez en libation un banquet, gage de notre précieuse reconnaissance,
afin que la patelle déposée puisse nourrir les Lares à la ceinture nouée. Et lorsque la nuit humide invitera aux
sommeils paisibles, prenez alors les vins avec une main généreuse, dans l’intention de prier, et dites : « Bien à
vous, bien à toi, père de la patrie, excellent César » ; le vin pur aura été répandu au milieu des paroles sacrées.


98 Les dieux dans la cité
Lexique
Les mots du champ lexical de la famille  sont  : «  cognati  », des siens (« le frère impie »), la violence et la méchanceté voire
« turba propinqua », « notre sang », « frère », « mère » (v. 8 et 9), la haine (« la mère cruelle envers ses propres enfants », « belle-
« enfants », « père », « belle-mère », « bru ». mère qui accable sa bru détestée  »), la cupidité («  celui qui
Ce passage nous présente une famille empreinte d’un amour trouve […] les années de sa mère », v. 9). Cette famille idéale est
véritable : nous avons conscience que le temps passe et qu’il composée des vivants et des morts encore aimés. C’est aussi
faut profiter du temps qui nous est imparti pour nous aimer une famille qui est nombreuse, épargnée autant que possible
(« après avoir considéré […] de notre sang » (v. 3-4). Sont bannis par la mort ; elle rassemble notamment plusieurs générations
de cette famille idéale : l’irrespect vis-à-vis des dieux, vis-à-vis (« et de dénombrer les différentes générations », v. 6).

Traduire
1. Les destinataires de la fête sont : 2. Traduction de la première phrase du texte :
- « Lares » : les Lares sont les âmes des ancêtres décédés, ce Les membres d’une même famille (« cognati ») qui se chérissent
sont des divinités protectrices du foyer familial. (« cari ») ont fixé la date des Caristies prochaines, et la foule des
- « Caesar » : désigné comme « pater patriae ». proches rejoint les dieux associés à cette fête (« socios »).
On retrouve célébrées ici les entités protectrices du foyer  : On pourra demander aux élèves d’analyser les formes ver-
entités divine et politique. bales suivantes afin d’éclaircir la syntaxe des phrases : date,
libate, sumite, dicite (impératifs au présent), fertur (présent de
l’indicatif à la voix passive), nutriat (subjonctif présent intro-
duit par la conjonction de subordination « ut »), precaturi (par-
ticipe futur indiquant l’intention).
Comprendre
Les verbes à l’impératif sont : date, libate, sumite, dicite. que le poète exprime sous la forme de verbes à l’impératif :
Le rituel consiste en ce que l’on pourrait appeler une réu- ces rituels, entre autres familiaux, se font dans un ordre précis
nion des membres de la famille proche (« cognati », « turba et sont exprimés sous la forme de recommandations.
propinqua  »). Les participants à cette réunion commencent
par honorer les morts puis font des offrandes aux dieux pro- prolongements
tecteurs de la famille : préparation de l’encens tout d’abord
(« tura ») puis d’un banquet auquel les dieux sont conviés (on On peut proposer aux élèves un prolongement consacré à l’actuelle
leur réserve une part du festin déposé dans la patelle). On clôt Fête des morts, célébrée le 2 novembre, un jour après la fête de la
Toussaint. Il s’agit, lors des Caristia comme lors de notre Fête des
la veillée en priant les dieux (« sacra verba ») au milieu de liba-
morts, de se recueillir sur « les sépultures de nos proches » (v. 3, Fastes).
tions (« suffuso mero »). Cette fête est fondée sur des rituels

4 Des fêtes familiales ? (p. 99)


Les rites sont de moins en moins présents dans les sociétés occidentales, marquées par l’individualisme. Dans le
cadre d’une confrontation, les Caristia, fêtes romaines de la famille, donnent l’occasion de réfléchir sur la nature
des fêtes familiales en dehors du champ de la région. La page est constituée volontairement de trois images, deux
affiches et une photographie, pour faire réfléchir sur la place que notre société fait à ce média.

Confronter
1. Dans le calendrier romain, le 1er mars sont fêtées les toutes les mères. Après la Seconde Guerre mondiale, elle se
Matronalia. Selon Plutarque (cf. Romulus, 21, 1), c’est en sou- maintient. Enfin, c’est depuis 1950 que le dernier dimanche
venir de l’enlèvement des Sabines (cf. p.  55) que Romulus du mois de mai est officiellement consacré à la célébration de
aurait institué cette fête consacrée tout à la fois à Mars, qui la « fête des Mères ».
mit fin à la guerre entre Sabins et Romains, et à Junon, pro- Les chrétiens célèbrent les pères à travers la figure de Joseph,
tectrice des épouses et des mères. Progressivement, la fête le père terrestre de Jésus. Au IXe s., sa fête est fixée le 19 mars.
célébrée par les femmes en l’honneur de Junon s’impose au L’Église tente de la promouvoir au XIVe s., sans grand succès.
détriment de l’hommage rendu à Mars. Mais il faut attendre C’est au début du XXe s. aux États-Unis que s’impose, civi-
le début du XXe siècle pour qu’apparaisse, aux États-Unis, la lement, la fête des Pères. Pour marquer sa reconnaissance
fête des Mères. C’est en l’honneur de sa mère, qui souhaitait envers son père, qui, après la mort de son épouse, avait élevé
une fête des Mères, que l’américaine Anna Jarvis milite en seul ses six enfants, Sonora Smart Dodd (1882-1978) décide
faveur de cette création. Sept ans après le déclenchement d’organiser une fête des Pères le 19 juin 1910 dans sa ville de
de cette campagne, en 1914, un Mother’s Day est fixé le deu- Spokane. La fête connaît un certain succès. En 1966, la fête
xième dimanche du mois de mai. Plusieurs pays l’adoptent est fixée de façon officielle le troisième dimanche de juin. En
ensuite. En France, après quelques initiatives locales, c’est à France, le fabriquant breton de briquets Flaminaire a l’idée en
la suite de la Première Guerre mondiale que la fête des Mères 1949 de créer une fête des Pères, en espérant que les enfants
s’impose progressivement. En 1926, dans le cadre d’une poli- offrent un briquet à leur père. Trois ans plus tard, en 1952,
tique nataliste, est officialisée une «  Journée des mères de pour faire pendant à la fête des Mères, un décret la fixe offi-
Familles nombreuses ». Mais cette fête suscita peu d’enthou- ciellement le troisième dimanche de juin.
siasme. En 1942, le gouvernement de Vichy élargit la fête à

Les dieux dans la cité • 99


La fête des Grands-Mères est d’origine commerciale. En l’affiche, trois des enfants se pressent autour de la jeune
1987, pour fêter ses vingt ans d’existence, la marque Café femme et la tiennent, qui par le bras, qui par la taille, qui par
Grand’Mère, décide de lancer la fête des Grands-Mères pour le bas de la robe. Mais la présence du drapeau qui sert de toile
dynamiser ses ventes. C’est ainsi que le premier dimanche de fond – et dont les couleurs sont celles de toute l’affiche –
de mars est consacré aux grands-mères. Cette fête a moins révèle une autre intention. Il s’agit de rendre fières ces mères
de succès que les deux autres, sans doute parce qu’elle fait d’avoir donné autant d’enfants à la France, capables d’en
double emploi avec la fête des Mères. Pour information, la fête assurer la défense (un garçon a pour jouet un canon) et l’ave-
des Grands-Pères a été lancée en 2008 et fixée le 1er octobre. nir. Telles étaient les intentions patriotiques des instigateurs
Mais elle est encore moins suivie. de cette Journée des Mères, le Colonel Lacroix-Laval et du
2. La fête romaine des Caristia et les trois fêtes civiles célé- catholique libéral Auguste Isaac, par ailleurs, fondateurs de
brées aujourd’hui donnent lieu à des réunion de famille l’association La plus Grande Famille. Le 16 juin 1918 (la guerre
pour y célébrer des parents proches, les cognati Cari du texte n’est pas encore terminée !), ils organisèrent une fête au cours
d’Ovide (v. 1). Après avoir honoré les morts (la fête des Feralia de laquelle sont prononcés des discours et distribuées des
précède les Caristia), les Romains se réunissent en famille. médailles et des allocations aux femmes les plus fécondes,
Ovide précise, dans les Fastes (II, v.  621-662), que se retrou- ainsi remerciées pour « l’intelligence et le dévouement dans
ver entre vivants est même un réconfort. Ce même besoin les soins donnés à leurs enfants ».
de réconfort apparaît également sur l’affiche de la Journée L’affiche de Bagnères-de Bigorre est une de ces affiches com-
des Mères face à la mort qui terrasse les soldats. Le père, merciales qui fleurissent au moment où s’annonce la fête des
parti ou défunt, resserre les liens familiaux entre la mère et Pères, comme celle des Mères d’ailleurs. Mais, si la fête des
ses enfants. L’absence du père est délibérément voulue sur Mères est bien installée dans les habitudes, la fête des Pères
l’affiche publicitaire de Bagnères-de-Bigorre. Les objets qui la pousse moins à la dépense. Selon une enquête menée en
composent sont des témoignages de son existence. Ils sont là 2015 par la société Toluna-LSA, 35,5 % des sondés n’ache-
pour rappeler que le père doit être l’objet de toutes les atten- taient pas de cadeau pour la fête des Pères, contre seulement
tions – en l’occurrence, bien sûr, commerciales. Cet aspect est 15,5 % pour la fête des Mères. Pour dynamiser leurs ventes,
à mettre en relation avec le deuxième point commun entre chaque année, l’association des commerçants et artisans de
les Caristia et les fêtes familiales actuelles. Elles sont toutes Bagnères-de-Bigorre organise une tombola à l’occasion de
l’occasion d’offrir des cadeaux. Dans l’Antiquité, les Romains la fête des Pères. L’affiche reproduit en les superposant les
font des offrandes à la Concordia (v. 11) et aux Lares (v. 14), et stéréotypes volontairement rétrogrades du père de famille :
s’échangent des cadeaux. Les enfants préparent des poèmes chemise à rayures, salopette, veste, moustache, bésicles, le
et confectionnent des petits objets à l’occasion des fêtes des tout en un dégradé de bleus. L’affiche ne comporte donc
Mères, des Pères et des Grands-Mères. Les grands enfants aucune autre intention que mercantile.
offrent des fleurs ou des cadeaux, ce qui favorise le com- La photographie a été prise en 2013, trois ans après la créa-
merce. Enfin, la manifestation « I love ma grand-mère » est tion de l’association « I love ma grand-mère ». Le but de ce
à comparer avec le respect que les Romains ont envers leurs mouvement est de mettre en valeur, chaque année, la pré-
aïeux et leurs ancêtres. Cette relation est aujourd’hui beau- sence et la place des grands-mères dans la société. La mani-
coup plus distendue, du fait de l’individualisme. C’est le carac- festation organisée à l’occasion de la fête des Grand-Mères
tère fondamental de ces liens que l’association à l’origine de se veut festive, chaleureuse et solidaire. Elle entend rappeler
cette manifestion souhaite rappeler aux contemporains. que l’attention portée aux grands-mères doit être avant tout
3. Chacune des trois images est chargée d’intentions dis- un acte d’amour. Sur la photographie, l’on voit des grands-
tinctes. L’affiche de Journée des Mères vise d’abord à rendre mères et des femmes qui assument joyeusement leur âge
hommage aux femmes, veuves de soldats morts à la guerre, en brandissant des pancartes et des banderoles au nom de
comme le suggère la vague qui recouvre les rangées de l’association « I Love ma grand-mère ». Il s’agit donc ici d’enga-
poilus. Ces femmes sont aussi les mères d’enfants devenus gement social.
orphelins, dont elles ne sont plus que le seul soutien. Sur

prolongements pistes pour construire un portfolio


Il peut être amusant de demander aux élèves d’apprendre les L’affiche peut être reprise comme support d’un
formules de vœux à partir desquelles ils/elles peuvent écrire un petit diptyque iconographique qui confronterait l’esprit des
dialogue. Le site Arrête ton char propose des formules extraites des fêtes familiales antiques (Parentalia, Caristia, Matronalia)
textes latins : www.arretetonchar.fr/quelques-formules-de-voeux- à celui des fêtes actuelles. Il faudra veiller à ce que les
en-latin-et-en-grec élèves justifient de façon pertinente les images et visent
la synthèse en ce qui concerne les textes.


100 Les dieux dans la cité
lecture Le politique et le sacré

1 Se sacrifier pour sa patrie (p. 100)


Le page propose de lire l’un des trois exemples de devotio reconnus comme historiques par Tite-Live, tous accom-
plis par les membres d’une même famille, les Decii. Il s’agit de faire comprendre aux élèves la nature singulière de
ce qui peut apparaître aujourd’hui comme un suicide.
TRADUCTION
Ayant ainsi fait cette prière, il ordonne aux licteurs INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
d’aller auprès de Titus Manlius et de lui annoncer ra- Les Romains n’ont pas de terme précis pour désigner
pidement qu’il s’était dévoué pour l’armée ; lui-même, le suicide. L’expression la plus courante est mortem
après avoir ceint sa toge à la façon de Gabies, armé, il sibi consciscere (« décider en pleine conscience de
sauta sur son cheval et se lança au milieu des ennemis, se donner la mort »). Cette mort est redoutée parce
remarqué par les deux armées, regardé plus auguste qu’elle est néfaste. Les âmes des suicidés sont l’objet
qu’un homme, comme envoyé par le ciel en victime ex- d’une attention particulière le jour des fêtes des
piatoire de toute la colère des dieux pour porter contre défunts. Même si le stoïcisme légitime le suicide en
les ennemis le fléau détourné des siens. Ainsi toute la le considérant comme l’aboutissement voulu d’une
existence propre, les suicides seuls dignes de respect
terreur et l’épouvante emportées avec lui troublèrent
sont les suicides politiques, comme celui de Caton à
d’abord les enseignes, puis envahirent complètement Utique en 46 av. J.-C. Voilà pourquoi la devotio, loin
l’armée tout entière. Il fut très évident que, partout où de susciter l’horreur, et parce qu’elle s’inscrit dans
son cheval l’entraînait, les ennemis, non autrement que un contexte ritualisé, est digne d’admiration et de
s’ils avaient été frappés par un astre destructeur, s’épou- mémoire.
vantaient ; mais quand il s’écroula criblé de traits, alors Sur le rituel de la devotio et ce passage, voir le site
prises d’une panique non contestable les cohortes des Odysseum : http://eduscol.education.fr/odysseum/
Latins prirent la fuite et laissèrent un large champ libre. la-rhetorique-de-la-priere-programme-1re

Langue
1. L’activité fait travailler les formes passives et le complé- d’un verbe passif est précédé de la préposition a(b) quand il
ment d’agent, objet des deux leçons de grammaire du cha- représente une personne, c’est le cas du participe « conspec-
pitre (p. 122 à 125). Ces pages peuvent donc être travaillées tus » (l. 17) qui a pour complément « ab utraque acie » (l. 17).
en amont ou en parallèle de la séance. Deux participes par- 2. À l’exception de « visu » (l. 18), tous ces participes parfaits
faits passifs sont employés seuls, sans complément : armatus passifs sont au nominatif et se rapportent au consul Décius.
(l. 16), visu (l. 18). L’on peut faire remarquer que le deuxième En pleine bataille, à la vue de la panique qui commence à
de ces participes entre dans la composition d’un ablatif abso- gagner les troupes romaines, le consul prend l’initiative de
lu. Les cinq autres possèdent tous un complément d’agent. se sacrifier. Les participes soulignent l’acte héroïque en mon-
Conformément à l’usage, ces compléments sont à l’ablatif, trant que Décius concentre toutes les attentions. Porté par
sans être introduits par une préposition, quand il s’agit d’une son cheval (« invectus equo », l. 21), armé (« armatus », l. 16), il
chose ou d’un être vivant autre qu’une personne  : «  incinc- fait l’admiration des soldats des deux camps (« conspectus ab
tus » (l. 16) a pour complément « cinctu Gabino » (l. 16), « mis- utraque acie », l. 17). Sa personne est regardée comme sacrée
sus  » (l.  18) a pour complément «  caelo  » (l.  18), «  invectus  » (« visu », l. 18), comme envoyée par le ciel (« missus », l. 18). Et
(l. 21) a pour complément « equo » (l. 21) et « obrutus » (l. 22) c’est par sa propre volonté qu’il a accepté d’être criblé de
a pour complément «  telis  » (l.  22). Le complément d’agent traits (« obrutus telis », l. 22).
Comprendre
1. L’activité vise à une première saisie du texte à l’établisse- qui protège l’ensemble des activités romaines, Jupiter, Mars
ment de son plan. L’extrait de Tite-Live constitue un docu- et Quirinus. Par l’invocation à Bellone (déesse primitive de la
ment précieux dans la mesure où il décrit dans son dérou- guerre), aux Lares, aux Mânes et aux Quirites, Décius signifie
lement le rituel de la devotio. Sous la République romaine, la sa pietas. Cette invocation confirmerait aussi l’ancienneté de
devotio consiste pour un chef politique et militaire (consul, ce rite. Une fois la prière réalisée, Décius s’apprête au sacrifice
dictateur, prêteur) ou encore tout autre citoyen désigné à en se couvrant de façon solennelle la tête (l. 15-16). Puis vient
se sacrifier pour la patrie. C’est ce que fit en 340 av. J.-C. le le moment du sacrifice proprement dit : Décius se lance au
consul Publius Decius Mus au cours de la bataille de Véséris milieu des lignes ennemies, provoquant tout à la fois l’émoi
menée contre les Latins. Avant la bataille, les consuls accom- et l’admiration (l. 17 à 22). La chute du consul conclut le rituel
plissent des sacrifices. Les signes sont favorables pour le dont la fuite des Latins marque le succès (l. 22-23).
consul Manlius. Ce premier temps (l.  1 à 5) ne fait pas par- 2. En assumant sa responsabilité de dirigeant, Décius, par
tie de la devotio. La première étape consiste en la prière la devotio, accomplit un acte patriotique. Le consul agit en
que Decius accomplit sous la conduite du pontife (l. 6 à 14). pleine conscience, dans le cadre d’un rituel. C’est d’ailleurs en
Décius invoque d’abord Janus, dieu des initia, dont les portes conformité à ce rituel, et parce que le sacrifice a réussi, que
du temple doivent être refermées (contrairement aux autres le collègue de Décius, Manlius lui offre des obsèques offi-
dieux) en signe de paix. Le consul invoque ensuite la triade cielles. C’est bien aussi pour sa portée politique et morale

Les dieux dans la cité • 101


que Tite-Live relate dans le détail cette devotio. Le sacrifice (l. 7). Voilà pourquoi, il accomplit de façon très scrupuleuse
de Décius revêt aux yeux de l’historien valeur d’exemplum. le rituel, en demandant le concours du pontife (l. 7-8). C’est
Politique et religion sont donc étroitement liées. Dans l’es- parce qu’il sollicite le secours des dieux, non pas pour lui-
prit romain, pour qu’une action réussisse, elle doit avoir la même, mais pour le « peuple romain » (l. 7-8 et 14), que cette
faveur des dieux (l.  11-12). Même si le sacrifice effectué par prière se charge d’une valeur politique. Et c’est parce que la
Manlius s’est révélé positif (l.  3 à 5), pour retrouver la pax devotio s’est effectuée dans les règles que la victoire militaire
deorum (cf. p. 10), Décius doit sacrifier l’autorité politique et a été la conséquence directe du sacrifice, comme le constate
militaire inhérente à sa fonction de consul. Sans un concours de façon lapidaire la dernière phrase de l’extrait (l. 22-23).
divin, rien n’est possible : « Il nous faut […] l’aide des dieux. »

Traduire
prolongements
1. Cette activité est une préparation au travail de traduction.
Dans la première phrase, les verbes principaux à entourer c Une lecture en latin ou en traduction de la suite du texte (VIII,
sont le présent « jubet » (l. 15) et les parfaits « insiluit » (l. 3), 10), dans laquelle Tite-Live détaille de façon générale ce qu’il advient
« immisit » (l. 3). Ils ont pour sujet Decius. Dans la deuxième en cas d’échec de la devotio, peut permettre aux élèves de mieux
phrase, les parfaits « turbavit » (l. 20) et « pervasit » (l. 20) ont comprendre l’intrication du politique et du religieux dans cet acte
rituel.
pour sujets « terror parvorque » (l. 19). Il faut faire remarquer
ici l’accord de proximité. Dans la dernière phrase, le parfait c Sur le site Odysseum, sont proposés une aide à la traduction
«  fuit  » (l.  21) introduit une subordonnée conjonctive dans et un commentaire de la prière de Décius. Cet accompagnement
pédagogique peut aider à proposer une séance portant sur la
laquelle se trouve le verbe « pavebant » (l. 22). La deuxième dimension rhétorique et poétique des paroles du consul.
partie de cette dernière phrase a pour verbe principal « fece- http://eduscol.education.fr/odysseum/la-rhetorique-de-la-priere-
runt » (l. 23), dont le sujet est « cohortes » (l. 23). programme-1re
2. Voir la traduction.

2 L’espace sacré du Capitole (p. 101)


La page fait découvrir un sacrifice typiquement romain, le suovétaurile et, à travers lui, l’intrication du politique et
du religieux, inhérente aux civilisations antiques.

TRADUCTION
Le onze avant les calendes de juillet, par un ciel serein, tout l’espace consacré au temple, disait-on, était
ceint de bandelettes et de couronnes ; entrèrent des soldats dont les noms étaient favorables, chargés de
branches de bon augure ; puis les vierges de Vesta, avec des garçons et des filles qui avaient encore père et
mère, répandirent de l’eau puisée aux fontaines et aux fleuves. Alors le préteur Helvidius Priscus, précédé
par le pontife Plautius Élianus, une fois le parvis purifié par les victimes d’un suovétaurile et les entrailles
redisposées sur un autel de gazon, après avoir prié Jupiter, Junon, Minerve et les dieux tutélaires de l’Em-
pire de favoriser les travaux et de soutenir de leur aide divine cette demeure commencée par la piété des
hommes, toucha les bandelettes, avec lesquelles était attachée la pierre et tressés les cordages ; en même
temps les autres magistrats, les prêtres, le Sénat, l’ordre équestre et une grande partie du peuple, unis par
le zèle et la joie, tirèrent l’énorme pierre.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Le Capitole, ainsi appelé d’après Varron parce qu’on y aurait trouvé une tête (caput) en creusant les
fondations du Temple de Jupiter (De Latina lingua, 5, 41-42), est un lieu hautement symbolique de Rome.
Topographiquement, il est composé, non pas d’une colline, mais de deux reliées entre elles par une
dépression. Au nord, se trouve la citadelle (Arx), au sud le complexe religieux, le Capitolium. C’est là où se
trouve le temple de Jupiter. L’année 69, a vu s’affronter quatre prétendants à l’Empire, Galba, Othon, Vitellius
Vespasien. Après l’assassinat de Galba, puis le suicide d’Othon, Vitellius et Vespasien s’affrontent dans une
lutte décisive ; le Capitole fait les frais de cet affrontement en subissant un incendie. Le Sénat entend rebâtir
le Capitole sur des fonds publics, mais attend l’arrivée de Vespasien pour entériner la décision. Le 11 juin 70,
Vespasien pose solennellement la première pierre en un luxe de précautions religieuses.

Lexique
1. L’historien Tacite signale tout d’abord la présence de ban- l’espace sacré du futur temple et sa première pierre (« saxum
delettes (« vitiis », l. 2, « vittas », l. 9) et de couronnes (« coronis », ingens », l. 10). Les coronae sont faites de fleurs ou de feuilles,
l. 2). Bandelettes et couronnes accompagnent tous les rituels réelles ou artificielles, constituant des sortes de guirlandes. Il
religieux romains. La vitta sacrée est un long ruban sur lequel existe plusieurs types de couronnes en fonction du porteur
sont noués, à intervalles réguliers, des flocons de laine (infu- et de l’occasion. Dans le texte, il s’agit de guirlandes dont est
lae) formant une longue tresse. Ces vittae sont portées par orné l’esplanade sacrée («  area  », l.  6). Seuls ont été autori-
les prêtres et les prêtresses, ornent les animaux destinés au sés à pénétrer sur cet espace les soldats dont les noms ont
sacrifice, et décorent les temples et les autels, en l’occurrence été décrétés « fausta » (l. 2). Fautus signifie « favorable ». Ces


102 Les dieux dans la cité
soldats portent des branches («  ramis  », l.  3). Ces rameaux dans le domaine privé (faire bon voyage, avoir des enfants,
peuvent provenir d’essences diverses (chêne, laurier, myrte, fêter une arrivée, guérir…). Le terme « fautus » (l. 1) renvoie
olivier). Avec l’eau (« aqua », l. 4), ils sont les instruments de directement à ce rapport concret entretenu entre les Romains
la purification (aspergilla). Le participe «  lustrata  » (l.  6) est et les dieux. Il est issu du verbe favere qui signifie « être favo-
issu du verbe lustrare qui signifie précisément « purifier ». De rable à ». Ce passeport religieux est nécessaire dans le cadre de
fait, c’est bien à la description d’une lustratio (« purification ») la cérémonie de purification (lustratio) à laquelle les Romains
que procède Tacite. Cette purification passe également par de l’extrait vont participer. La nature même de cette cérémo-
un sacrifice spécifique et solennel, un suovétaurile (« suove- nie manifeste le caractère pratique de la religion romaine. Il
taurilibus  », l.  6), lors duquel sont immolés un porc (sus), un faut « nettoyer » le lieu souillé par l’incendie, au moyen d’eau,
mouton (ovis) et un taureau (taurus). Enfin un pontife (« pon- de branches et au moyen des entrailles des victimes immo-
tifice », l. 6), le premier des prêtres (« sacerdotes », l. 11), chargé lées, avant d’y reconstruire le temple. Au terme de la purifi-
de veiller à la bonne observance des pratiques religieuses, cation, il est à souligner que le préteur, incarnant l’autorité
aide le préteur à parachever la cérémonie. Tous deux offrent politique, et le pontife, représentant de l’autorité religieuse,
les entrailles (« extis », l. 6) des animaux sacrifiés aux dieux en s’adressent conjointement aux dieux pour que soit rétablie la
leur adressant une prière («  precatus deos  », l.  7). Ces dieux pax deorum (cf. p. 10). Autrement dit, de façon très concrète,
sont ceux de la triade capitoline, Jupiter, Junon et Minerve ils rappellent les termes du contrat que les hommes renou-
(« Jovem, Junonem, Minervam », l. 7). vellent avec les dieux. Par la cérémonie de purification et l’en-
2. La religion romaine ne repose pas sur des dogmes. Elle est gagement de la reconstruction, les hommes témoignent leur
un ensemble de pratiques qui visent à s’obtenir la faveur des piété (« pietate hominum », l. 9) envers les dieux, en échange
dieux. Les demandes sont donc toujours d’ordre pratique de quoi les dieux, par leur action (« ope divina », l. 9), devront
aussi bien dans le domaine publique (fonder une colonie, favoriser (« prosperarent », l. 8) et soutenir (« attollerent », l. 9)
construire un bâtiment, obtenir la victoire à la guerre...) que les travaux, et au-delà, le destin de l’Empire.

Lire
1. Les suovétauriles sont des sacrifices de purification (lustra). des victimes. Plus loin, apparaissent deux licteurs (lictores).
Le bas-relief du Ier s., restauré à l’époque moderne, présente Le prêtre est reconnaissable à sa tête voilée (capite velato).
une procession traitée de façon classique en frise (cf. frise Devant lui, se trouvent deux autels ceints de bandelettes
des Panathénées). Toutes les têtes sont de fait alignées, ce (vittae). À côté de l’officiant, derrière l’autel se tient son aide
qui rappelle la technique du camée. Pour créer un effet de (camillus). Certains spécialistes rapprochent le style de ce bas-
profondeur et obtenir des plans différents, les figures ont relief de l’art augustéen, notamment de l’Ara Pacis (cf. p. 49).
été plus ou moins creusées. L’animation est produite par le 2. En suivant l’ordre d’apparition des mots dans le texte, on
croisement des regards qui lie entre eux les personnages. attend que les élèves entourent le mot « vitiis » (l. 2) ou « vit-
La plupart converge vers l’officiant, en qui se concentre la tas », (l. 9) et le relient à la bandelette qui figure sur l’autel ;
solennité du rituel. Au premier plan, sont représentés avec le mot « coronis » (l. 2) aux couronnes qui coiffent les parti-
réalisme les trois animaux qui donnent leurs noms au sacri- cipants ; le mot « milites » (l. 2) aux licteurs ; éventuellement
fice (victimae) : un porc (sus), un mouton (ovis) et un taureau le mot « ramis » (l. 3) aux arbustes que l’on aperçoit derrière
(taurus). Leur taille souligne qu’ils sont des victimes de choix. les deux autels ; le mot « pontifice » (l. 6) à l’officiant voilé ; le
Conformément à la prescription, ce sont des animaux mâles « caespitem » (l. 7) aux autels ; le mot « suovetaurilibus » (l. 6)
non castrés. Les participants, vêtus de toges, (togati) portent aux trois animaux ; éventuellement l’énumération «  magis-
tous des couronnes (coronae). Derrière le taureau, le victi- tratus et sacerdotes et senatus et eques et magna pars populi »
maire (victimarius) tient la hache destinée à l’immolation (l. 11-12) aux autres participants.

Traduire
1. Pour repérer les connecteurs temporels, les élèves peuvent populi » (l. 11-12). Rappeler aux élèves que la terminaison -ere
s’aider des mots outils qui figurent en rabat. Outre l’indication au parfait, notamment chez les historiens, est plus fréquente
liminaire de la date (« Calendas Julias », l. 1), l’adverbe « dein » que la terminaison -erunt.
(l. 3) indique l’arrivée sur l’espace sacré des vierges de Vesta 2. Voir la traduction.
accompagnées d’enfants à la suite des soldats. L’adverbe
« tum » (l. 5) marque le passage au sacrifice. L’adverbe « simul » prolongements
(l. 10) signale la concomitance de la prière du pontife et de la
pose de la première pierre du temple. c La légende demandée dans l’activité Lire peut être étoffée en
invitant les élèves à rédiger en latin un petit texte descriptif
L’imparfait passif « dicabatur » a pour sujet « spatium » (l. 1) ; le du bas-relief. En plus du vocabulaire fourni par le texte, les élèves
parfait actif « perluere » (l. 5) a pour sujet « virgines Vestales » peuvent s’aider du lexique de la p. 120 et du dictionnaire Olivetti
(l. 3) ; les imparfaits actifs du subjonctif « prosperarent » (l. 8) présenté p. 15.
et « attolerent » (l. 9) ont pour sujet « deos » (l. 8) ; le plus-que- c Les élèves peuvent trouver une autre image de suovétaurile et la
parfait passif « ligatus (erat) » (l. 10) a pour sujet « lapis » (l. 10) ; présenter à l’oral. Voici une étude de Valérie Huet
le plus-que-parfait passif «  innexi erant  » (l.  10) a pour sujet sur un exemple gallo-romain : « Le relief dit des suovétauriles de
« funes » (l. 10) ; le parfait actif « contigit » (l. 10) a pour sujet Beaujeu : une image sacrificielle hors de l’Italie » :
« praetor » (l. 5) ; et le parfait actif « traxere » (l. 12) a pour sujet http://books.openedition.org/pcjb/4623?lang=fr
« magistratus et sacerdotes et senatus et eques et magna pars

Les dieux dans la cité • 103


3 Expions ! (p. 102)
Les élèves poursuivent dans cette page la découverte de la religion romaine et ses liens étroits avec le domaine
politique, dans la mesure où elle repose avant tout sur des rites et des obligations d’ordre juridiques.
TRADUCTION
Traduction du texte de Tite-Live :
... que devaient être voués à Jupiter de Grands Jeux, un temple à Vénus Érycine et à la Raison,
qu’il devait y avoir des prières publiques et un lectisterne,
et que devait être voué un printemps sacré
si l’on combattait avec succès
et si la République restait dans la même situation qu’elle était avant la guerre.

Traduction du texte d’Aulu-Gelle :


Les trois livres cachés dans un sanctuaire sont appelés « Sibyllins » ; c’est vers eux que se tournent les quin-
décemvirs comme vers un oracle, quand ils doivent consulter les dieux immortels sur les affaires publiques.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
• La seconde guerre punique (218-201 av. J.-C.) a provoqué plusieurs crises religieuses. La pénétration de
l’Italie, les défaites successivement à la Trébie, au lac Trasimène, à Cannes, font douter les Romains de la
solidité des liens qu’ils entretiennent avec les dieux. En plus des mesures mentionnées dans l’extrait de
Tite-Live, les Romains réforment les Saturnales, alors de plus en plus délaissées. Ils en font une grande fête
populaire afin de sceller l’union du peuple romain, indispensable face au danger de mort qu’encourt Rome.
Voir sur France culture « La religion romaine d’après Tite-Live ». Voici les références du premier volet :
www.franceculture.fr/emissions/leloge-du-savoir/la-religion-romaine-dapres-lhistorien-tite-live-111
• Dans ses vingt livres intitulés Nuits Attiques, le grammairien Aulu-Gelle (né vers 130) a recueilli ses notes de
lectures portant sur des sujets aussi divers que l’histoire, les lettres, les sciences. Il glisse d’un sujet à l’autre avec
facilité, presque désinvolture. C’est dans le premier livre que se trouve la présentation des Livres sibyllins.

Lire
1. L’instant est grave. Face aux Carthaginois menés par sa prise de conscience de la gravité de la situation. Il cherche
Hannibal, l’armée romaine a subi un désastre à la bataille du à temporiser (d’où son surnom de cunctator) pour permettre
lac Trasimène, le 21 juin 217 av. J.-C. Le consul Caius Flaminius aux forces romaines de se rétablir. Pour rétablir la confiance
y a perdu la tête. Face à l’urgence de la situation, Quintus de l’armée, il dénonce les fautes commises par le consul Caius
Fabius Maximus s’adresse au Sénat qui vient de le nommer Flaminius. Il insiste sur la rupture de la pax deorum (cf. p. 10)
dictateur. Le verbe «  convoqua  » (l.  1-2) annonce de façon que « la négligence des cérémonies » et des auspices a pro-
implicite son discours, tandis que le verbe « se soucia » (l. 2) voquée. Rappelons que la religion romaine repose sur un
en traduit les premiers mots. Le verbe « avait montré » (l. 2) rapport très concret que les hommes entretiennent avec les
introduit de façon explicite la parole de Fabius en la restituant dieux. En témoignant leur dévotion à travers un respect scru-
au moyen du discours indirect. Le verbe « fût ordonné » (l. 6) puleux des rites, les hommes s’assurent la faveur des dieux.
signale la demande faite aux décemvirs de consulter les Livres Voilà pourquoi, Fabius Maximus invite à consulter « les dieux
sibyllins. Le verbe « rapportèrent » (l. 7) introduit les conclu- eux-mêmes  » (l.  4), seuls en droit d’exiger les réparations
sions formulées par les décemvirs, à la suite de la consultation engendrées par la rupture du contrat. La deuxième étape (l. 7
des Livres sibyllins. Enfin, le verbe « ordonne » (l. 15) introduit la à 14) est la conséquence directe de la demande de Fabius. Les
décision prise d’exécuter les mesures d’expiation. décemvirs, après consultation des Livres sibyllins, indiquent
Pour entendre une autre partie du discours de Fabius et sa la série de mesures nécessaires (cf. emploi des adjectifs ver-
stratégie de temporisation, se rendre à la page 56. baux) pour renouer le pacte avec les dieux, et ainsi recouvrer
leur protection. La dernière étape (l. 15 à 17) est, à son tour,
2. L’enchaînement des faits montre tout à la fois l’urgence
la conséquence de la deuxième. Le Sénat décharge le dic-
de la situation et les scrupules que mettent les Romains à
tateur de l’exécution des actes expiatoires énoncés par les
suivre les prescriptions religieuses dictées par les décemvirs.
décemvirs, qu’il confie au préteur Marcus Æmulius.
L’intervention de Fabius Maximus au Sénat (l. 1 à 7) manifeste
Traduire
1. Malgré un vocabulaire technique, l’abondance des notes ne sont pas encore les spectacles désacralisés du temps de
doit rendre très accessible le travail de traduction. l’Empire. Pour s’assurer la victoire est décidée la construction
2. Les mesures prises à l’initiative de Quintus Fabius pour d’un temple à Vénus Érycine (« Veneri Erycinae », l. 10) et d’un
apaiser les dieux et retrouver leur faveur sont exceptionnelles autre à une abstraction élevée en divinité nouvelle, l’Intelli-
par leur nombre, par leur nature et par leur coût. Pour s’allier gence (« Menti », l. 10). Pour manifester leur piété, les Romains
le plus grand des dieux, Jupiter, sont organisés de grands doivent organiser un lectisterne (« lectisternium », l. 11). Cette
jeux en son honneur (« Jovi ludos », l. 10). Notons que les jeux cérémonie (qui se déroula probablement au Capitole) dure
trois jours sous la conduite des décemvirs. On installe six


104 Les dieux dans la cité
pulvinaria (lits faits de coussins) sur lesquels sont placées, bien de la religion romaine. Le peuple romain passe un contrat
en évidence, les statues de Jupiter et de Junon, de Neptune et avec les dieux. Les conditions sont indiquées dans les deux
Minerve, de Mars et Vénus, d’Apollon et de Diane, de Vulcain subordonnées des lignes 13 et 14. Pour bénéficier du sacri-
et Vesta, de Cérès et Mercure. Elle vise, de façon spectacu- fice de toutes les prochaines productions agricoles et de tous
laire, à témoigner l’attachement des Romains à leur alliance les animaux nouveau-nés du printemps, les dieux doivent
avec les dieux. Enfin, est décrété un ver sacrum (« printemps assurer aux Romains la victoire et le retour au statu quo ante
sacré »). Ce décret souligne le caractère pratique et juridique bellum.
Culture
1. La consultation des Livres sibyllins est exceptionnelle. Même pas exactement le contenu de ces livres, gardés jusqu’à la fin
si l’on ignore les modalités pratiques de la consultation, les de la République dans le temple de Jupiter Capitolin. Ils sont
textes nous permettent d’en connaître les circonstances et la confiés à la charge de prêtres-magistrats, tout d’abord au
procédure politique. Elle ne peut se faire que dans le cas d’une nombre de deux, puis de dix à partir de 367 av. J.-C., puis de
crise politique ou militaire grave. C’est le cas de la défaite de quinze sous Sylla. Les quindecemviri sacris faciundis sont recru-
l’armée romaine en 217 av. J.-C., à la suite de la bataille du lac tés à vie, pour une moitié parmi les patriciens et pour l’autre
Trasimène, lors de laquelle le consul Caius Flaminius trouva parmi les plébéiens. Parce qu’ils permettent d’éclairer sur la
la mort. La demande doit être faite auprès du Sénat, comme conduite à tenir en cas de crise grave, notamment en fournis-
le fait le dictateur Quintus Fabius (l. 6). Le Sénat, à son tour, sant les moyens d’une procuratio (expiation), les Livres sibyllins
sollicite les magistrats chargés de la consultation. Il s’agit des sont en quelque sorte la matérialisation de l’alliance passée
« décemvirs » (l. 6) dans le texte de Tite-Live, des « quindeci- entre les Romains et les dieux. C’est la consultation des Livres
mviri » (l. 3) dans l’extrait d’Aulu-Gelle. Ces magistrats rendent sibyllins qui permit l’introduction des cultes étrangers comme
compte de leur lecture devant le Sénat (l. 7-8). C’est ensuite ceux d’Esculape (cf. p. 106) ou de Cybèle (cf. p. 108). Les Livres
au Sénat de disposer de ces prescriptions oraculaires (l. 15-17). sibyllins furent détruits au début du IVe s. au moment où le
2. Dans le passage qui précède celui présenté (qui peut être christianisme devint la religion officielle de l’Empire.
proposé en texte complémentaire, en traduction et/ou en
latin), Aulu-Gelle rapporte la manière dont le roi Tarquin le prolongements
Superbe aurait acquis les Livres Sibyllins, à la fin du VIe siècle av.
J.-C. Une vieille femme étrangère, une sibylle (d’où les livres c Le nombre conséquent d’adjectifs verbaux contenus dans les
tirent leur nom), propose au roi de lui vendre des livres conte- deux extraits peut donner l’occasion de faire découvrir cette forme
particulière de la conjugaison latine. La page 166 de grammaire peut
nant des oracles divins. Devant le prix exorbitant demandé
aider à cette découverte ainsi que la leçon 7.3 du Memento (p. 194).
par la vieille femme, Tarquin la croit folle. La femme brûle
alors trois des neuf livres et lui propose d’acheter les six autres c La recherche sur les Livres sibyllins peut donner matière à un
exposé, tout comme leurs différentes consultations. Ce peut être
au même prix. Tarquin la dédaigne à nouveau. La femme
une façon dynamique de revoir les grandes scansions de l’histoire
jette trois autres livres et réitère sa proposition. Tarquin se romaine.
décide alors à acheter les trois derniers. Nous ne connaissons

4 Auguste, empereur superstitieux (p. 103)


Les Romains distinguent la religio de la superstitio. La religio consiste dans le respect scrupuleux qu’exige le culte
rendu aux dieux. La religio est donc une affaire publique, dont des magistrats et des prêtres désignés officielle-
ment ont la charge. La superstitio est un sentiment individuel, le plus souvent de crainte, entretenu à l’égard des
dieux. Cette manière erronée de vénérer les dieux, par peur de leur colère ou de leur jalousie, est condamnable
parce qu’elle aboutit à des comportements excessifs insupportables aux yeux des Romains. Ce qu’on a appelé la
célèbre affaire des Bacchanales, survenue en 186 av. J.-C., est un exemple de ces dérives qui peuvent menacer la
stabilité politique.
TRADUCTION
Il surveillait certains auspices ou présages comme des signes très cer-
tains : si le matin il se chaussait par mégarde et mettait sa chaussure
gauche au pied droit, c’était comme un mauvais présage ; si, quand,
sur terre ou sur mer, il s’engageait dans un long voyage, il tombait
par hasard de la rosée, c’était le signe favorable d’un retour prompt et
heureux. Mais il était aussi troublé principalement par les prodiges. INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Il fit transporter dans le compluvium de ses dieux Pénates un palmier Suétone (v. 75-v. 160) est avant tout
qui avait poussé entre les joints des pierres de sa maison, et veilla amateur de curiosités. Son goût pour
avec grand soin à sa croissance. Sur l’île de Caprée, il se réjouit tant les bibliothèques, les encyclopédies et
de voir à son arrivée reprendre de la vigueur les branches pendantes les biographies en témoigne. D’ailleurs
et languissantes d’un très vieux chêne, qu’il échangea avec la cité de ses Vies des Douze Césars relèvent de
Naples l’île de Caprée avec l’île d’Énarie. Il surveillait aussi certains ce dernier genre. Il y brosse le portrait
jours, pour ne pas partir quelque part le lendemain des jours de mar- des empereurs de César à Domitien.
ché, ni commencer quelque chose de sérieux les jours des nones ; Dans l’extrait c’est une image moins
cherchant à éviter en cela rien d’autre, comme il l’écrit à Tibère, que glorieuse, plus anecdotique, qu’il livre
« le mauvais présage » de ce mot. de l’empereur Auguste.

Les dieux dans la cité • 105


Lexique
1. Le texte comporte tout d’abord des mots relevant, sans grec δυσφημίαν (l. 14) désigne une « parole de mauvais pré-
connotation positive ou négative, du domaine de la divi- sage ». À travers ce réseau lexical, Suétone peint un empereur
nation. Le premier mot auspicium (« auspicia », l. 1) vient du en alerte de tout ce qui peut être interprété comme un signe.
mot avis qui signifie « oiseau ». L’auspice est le présage tiré de Cette attitude relève de ce que les Romains appelle la supers-
l’observation du vol des oiseaux. Il est le fait de l’auspex. Le titio, parce qu’elle sort du champ de la pratique religieuse
mot omen (« omina », l. 2) évoque un signe favorable ou défa- publique, la religio. D’une certaine manière, elle dénonce
vorable, un présage d’une façon générale. L’on peut ensuite l’attitude paranoïaque qui menace tout dirigeant, à plus forte
distinguer les mots qui constituent une prédiction favorable. raison quand il concentre tous les pouvoirs comme Auguste.
L’adjectif « laetus » (l. 2) signifie d’abord dans le domaine agri- 2. L’adjectif sinister signifie « qui vient du côté gauche ». Dans
cole « gras, abondant », en parlant aussi bien des animaux que la pratique augurale romaine, l’adjectif signifie soit « de bon
des récoltes. Appliqué au domaine religieux, le mot signifie augure  », soit «  de mauvais augure  ». Quand les Romains
« qui promet l’abondance, propice ». Ce n’est que dans le lan- suivent la pratique divinatoire étrusque, la face tournée vers
gage courant que l’adjectif a pris de sens de « joyeux » (« lae- le sud, le présage venant du côté est constitue un signe favo-
tatus est », l.10). C’est bien sûr dans son sens religieux que le rable. Quand ils suivent la divination grecque, la face tournée
mot est employé dans le texte. Le terme ostentum (« ostentis », vers le nord, le signe qui vient de l’ouest est défavorable. C’est
l. 4) est issu du supin du verbe ostendere qui signifie « tendre cette pratique qui s’est progressivement imposée. Par suite,
en avant pour mettre sous les yeux  ». Le mot ostentum dans un sens figuré, l’adjectif sinister signifie « gauche, mala-
désigne « tout ce qui est digne d’être mis sous les yeux parce droit, mal fait, de travers ». En français, son sens s’est réduit
qu’inhabituel ; prodige  ». Viennent enfin les mots connotés à sa seule connotation négative. L’adjectif « sinistre » signifie
négativement. L’adjectif « sinister » (l. 2), signifiant « gauche », « qui annonce un malheur, la mort », puis « malfaisant », et
est chargé ici d’une valeur fortement dépréciative. L’adjectif dans un sens affaibli « lugubre ».
péjoratif « dirus » (l. 2) signifie « de mauvais augure ». Le mot
Traduire
1. Comme on peut s’y attendre concernant l’écriture d’un por- 2. Le repérage des modes des verbes doit aider à identifier
trait, tous les verbes du texte sont conjugués à la troisième les différents sens pris par la conjonction de subordination
personne du singulier. Le texte compte six verbes conjugués ut. Le texte en compte cinq occurrences (l. 2, 4, 7, 10 et 12). Les
à l’indicatif : un présent d’actualisation « scribit » (l. 14) ; deux deux premières introduisent des subordonnées compara-
imparfaits, l’un à l’actif « observabat » (l. 1 et 11), l’autre pas- tives elliptiques (l. 2 et 4). La suivante introduit une subordon-
sif « movebatur » (l. 5) ; trois parfaits, deux à l’actif « transtulit » née complétive au subjonctif (« coalesceret », l. 7), attendue
(l. 6), « curavit » (l. 7), le dernier déponent « laetatus est » (l. 10). après le verbe d’effort « curavit » (l. 7). La quatrième, annoncée
Six verbes sont conjugués au subjonctif : quatre à l’imparfait, par le corrélatif « adeo » (l. 9), introduit une subordonnée de
trois à l’actif « induceretur » (l. 2), « coalesceret » (l. 7), « incohe- conséquence au subjonctif (« permutaverit », l. 10). La dernière
ret » (l. 13), le dernier déponent « profisceretur » (l. 12) ; un seul introduit une subordonnée temporelle à l’indicatif (« scribit »,
au parfait actif « permutaverit » (l. 10) ; et un seul au plus-que l. 14)
parfait actif « rorasset » (l. 4), forme syncopée. Cette dernière 3. Les deux activités de repérage et d’analyse doivent rendre
forme peut être expliquée au moyen du point de grammaire le travail de traduction plus accessible.
abordé p. 126.
Comprendre
1. La Statue d’Auguste en toge à la tête voilée a été retrouvée l’inquiète attention aux moindres signes du destin dont
dans les fondations d’une maison romaine en 1910. Auguste Suétone rend compte dans son texte.
est vêtue d’une toge, le vêtement que porte le citoyen romain 2. Le contraste entre l’autorité qui se dégage de sa statue et
lors des rites sacrés. Sous son règne, elle gagne en ampleur et la vigilance d’Auguste qui interprète dès le réveil («  mane  »,
son drapé devient plus complexe. On doit y retrouver le pli le l.  1) le moindre fait comme signe de bon ou de mauvais
long de la taille (balteus), le pli en forme de U sur l’abdomen augure rappelle la distinction que font les Romains entre la
(umbo), le pli au-dessus du genou (sinus) et le pan qui effleure religio, considérée comme une vertu civique, et la superstitio,
le sol (lacinia). La toge doit laisser apparaître les chaussures méprisée comme une faiblesse (cf. introduction de la page).
patriciennes reconnaissables à leur double nœud. La tête voi- Publiquement, Auguste revêt la toge que tout citoyen doit
lée (caput velatum) signale qu’Auguste accomplit un rite sacré, porter dans les cérémonies et les rites sacrés. C’est une façon
peut-être une libation, comme le laisse à penser ce qui reste de montrer que, s’il est le premier des citoyen (c’est le sens
de son bras droit. La boîte, qui soutient son pied gauche, est étymologique de « principat »), il reste avant tout un citoyen,
le coffret rond (capsa), renfermant les documents, symbole soucieux d’accomplir ses devoirs. Il est empreint de gravité et
de son autorité politique. Même si les rides sont moins mar- accomplit un geste rituel, témoignages de la pietas que les
quées, le portrait fait songer à l’Auguste de la Prima Porta (cf. hommes doivent aux dieux pour s’assurer leur faveur. Mais la
p. 22). Cette représentation participe de sa volonté de restau- frontière entre religio et superstitio s’est d’autant plus effacée,
rer la religion traditionnelle. Rappelons qu’Auguste s’arroge tout au long de la République romaine, que les augures et les
la fonction de Pontifex maximus en 12 av. J.-C. L’empereur haruspices multiplièrent les prédictions dans leur propre inté-
devient dès lors le chef de la religion romaine. Pontifex maxi- rêt, sans compter celles des astrologues et autres prophètes.
mus désigne sous la République le grand prêtre à la tête du Voilà pourquoi, par la mise en place du culte impérial, à laquelle
collège des pontifes, chargés à la bonne observance des contribue la statue, au même titre que celle de la Prima Porta
pratiques religieuses. La solennité de la posture, la gravité (cf. p. 22) ou de l’Ara Pacis (cf. p. 49), Auguste trouve le moyen
de l’expression et le caractère rituel du geste tranchent avec de lier à nouveau de façon étroite religion et politique.


106 Les dieux dans la cité
prolongements

c Les formes passives et déponentes du texte peuvent donner l’occasion d’un rappel et de manipulations morphologiques. Les
p. 122 et 123 du chapitre fournissent l’occasion de les travailler. Elles trouveront un prolongement dans les deux pages suivantes.
c Il est possible de donner à lire en entier la Vie d’Auguste écrite par Suétone. Cette lecture peut être prolongée par un échange
au sein de la classe. Comment apparaît Auguste ? D’après vous, quel regard porte Suétone sur le premier empereur romain ? Telles
peuvent être des questions d’appui.

5 L’empereur honoré comme un dieu (p. 104)


Sous Domitien, le pouvoir se centralise davantage et se fait beaucoup plus autoritaire. L’empereur n’hésite pas à
persécuter qui menace son autorité : acteurs, philosophes, astrologues, juifs, chrétiens et surtout sénateurs dont
il pousse certains au suicide. Par ailleurs, Domitien transforme le culte impérial en véritable culte de la personna-
lité. C’est sur ce dernier aspect que les élèves sont invités à réfléchir.

TRADUCTION
Traduction du texte de Stace :
Il me semble que je me mets à table au milieu des astres
avec Jupiter et que la main droite d’Ilion saisit le nectar immortel
et me le tend. J’ai passé des années stériles :
pour moi c’est le premier jour de mon existence, ici le seuil de la vie.
Est-ce toi, maître des terres et noble père
du monde soumis, toi, espoir des hommes, toi, sollicitude des dieux
qu’étendu moi je vois ? m’est-il donné tout près, m’est-il donné de contempler ton visage
au milieu des vins et des tables, et il n’est pas permis de me lever ?

Traduction de l’inscription : INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES


Aux Lares et aux Génies des Césars, à l’empereur, fils Stace a hérité de son père le goût pour les lettres.
du divin Nerva, à Nerva Trajan Auguste Germanicus, Né à Naples, il vient s’installer à Rome où il vécut en
grand pontife, dans sa quatrième puissance tribuni- enseignant et en gagnant des concours poétiques.
cienne, consul pour la troisième fois, (consul) désigné Il se fit introduire à la cour de Domitien, dont il fait
pour la quatrième fois, sur la permission du préteur les louanges. Au début du quatrième de ses Silves,
Caius Cassius Interamanius Pisibanius Priscus, les ma- il consacre les trois premiers poèmes à la gloire de
gistrats de la 107e année (101 ap.  J.-C.) ont restauré à l’empereur. En juin 94, il a échoué au Concours Capitolin.
Cette perte des faveurs de Domitien le pousse à
leurs frais la chapelle de la 14e région du quartier de
redoubler la flatterie, notamment à l’occasion du
Censori, abîmée par le temps. banquet offert dans la Domus Flavia à l’automne 94.

IDÉO
9
V

Visite virtuelle ®
La vidéo se présente comme une visite guidée de la Domus Flavia depuis l’extérieur jusqu’au triclinium.
La vidéo peut être diffusée en prolongement de la traduction et du commentaire de l’extrait de Stace.
On peut aussi faire le choix d’y recourir en ouverture de séance pour préparer les élèves à mieux saisir
la dimension encomiastique du texte, à laquelle les élèves ne sont pas habitués.

Lire
1. Les deux textes sont dédiés à des empereurs. Le premier Jupiter (« Jove », v. 2). Il est aussi le digne descendant d’Énée,
est Domitien (81-96), comme le signale l’en-tête. Le second dont la périphrase « Iliaca… dextra » (v. 2) rappelle les origines
est dédié au Lares (« Laribus », l. 1) et à l’empereur Trajan (98- troyennes. Au moyen de deux apostrophes, elles-mêmes
117) («  Trajano  », l.  1). Il faudra sans doute aider les élèves à constituées de périphrases, le poète rappelle ensuite son sta-
repérer le nom de Trajan dans la suite des surnoms portés par tut d’empereur et sa toute-puissance sur l’ensemble du bas-
cet empereur dont voici la liste complète : Caesar Divi Nervae sin méditerranéen : Domitien est « regnator terrarum » (v. 5) et
Filius Nerva Trajanus Optimus Augustus Germanicus. « orbis subacti magne parens » (v. 5-6).
Les magistrats élus (« magistri », l. 5) du quartier urbain Censori Dans l’inscription, conformément à l’habitude, les titres de
(« vici Censori », l. 5), sur l’île Tibérine, sont chargés d’organiser l’empereur sont énumérés. Trajan est d’abord désigné par le
et d’entretenir le culte des divinités protectrices de la petite terme « Imperator » (l. 2). C’est par ce titre qu’initialement les
communauté. soldats saluaient leur chef vainqueur. Jules César l’employa
2. Stace ne désigne pas Domitien par son nom. Il use d’abord de façon continue, et Octave, le futur Auguste, l’adopta en
d’une double comparaison laudative. Domitien est l’égal de le plaçant en tête de ses noms. À sa suite Imperator devient

Les dieux dans la cité • 107


héréditaire, inséparable des titres de l’empereur. Ce titre l’origine le pouvoir de veto et de protection que disposait un
honorifique continua à désigner l’empereur en tant que chef magistrat du peuple, appelé le tribun de la plèbe. En 23 av.
militaire. Le terme Imperator est suivi du surnom « Caesar » J.-C. Auguste se fait accorder par le Sénat la puissance tribuni-
(l.  2). À partir d’Auguste, ce surnom est porté par tous les tienne. À sa suite, les empereurs reçoivent ce pouvoir renou-
empereurs pour indiquer la filiation avec César, l’homme qui velable chaque année. Trajan porte aussi le titre de « Consul »
prépara l’avènement de l’Empire et adopta Octave. Trajan (l. 3), qui était le grade le plus élevé du cursus honorum pen-
est ensuite désigné dans son statut religieux de «  Pontifex dant la république romaine. Sans respecter la limite d’un an,
maximus ». Sous la République, l’expression désigne le grand Octave se fait élire consul sans interruption de 31 av. J.-C. à 23
prêtre à la tête du collège des pontifes, chargés à la bonne av. J.-C., puis en 19 av. J.-C., Auguste reçoit le pouvoir consu-
observance des pratiques religieuses. Auguste s’arroge cette laire à vie. Sous l’Empire, le consulat, vidé de tout pouvoir,
fonction en 12 av. J.-C. L’empereur devient dès lors le chef n’est plus qu’une distinction. L’empereur se la fait attribuer
de la religion romaine. Vient ensuite la mention de la puis- régulièrement. Le terme « designato » (l. 3) signale la désigna-
sance tribunicienne (l. 3). La « Tribunicia postestas » désigne à tion de Trajan pour le consulat de l’année suivante.

Traduire
1. L’activité fait distinguer les différentes voix, objet de la Tous les autres verbes sont à l’actif : les infinitifs présents « dis-
leçon de grammaire p. 122. Cette page peut donc être travail- cumbere » (v. 1), « sumere » (v. 2) et « asurgere » (v. 8), l’indicatif
lée en amont ou en parallèle de la séance. parfait « transmisimus » (v. 3), l’impératif présent « tene » (v. 5),
L’infinitif présent « videor » (v. 1) et l’infinitif présent « tueri » les indicatifs présents « cerno » (v. 7) et « est » (v. 8), et le parti-
(v. 7) sont des verbes déponents. Le présent « datur » (v. 8), cipe présent « jacens » (v. 7).
répété deux fois, est un passif. 2. L’analyse des verbes doit rendre plus aisé le travail de
traduction.
Interpréter
1. L’extrait de Stace et le texte de l’inscription donnent un a l’impression de manger en compagnie de Jupiter («  cum
aperçu du culte impérial instauré par Auguste. Sur l’inscrip- Jove », v. 2). Le comble de l’honneur est atteint dans l’octroi
tion, l’accumulation des titres qui occupent deux lignes, sur de pouvoir contempler l’empereur-dieu («  ora tueri  », v.  7).
les six que compte l’extrait (la citation n’est pas donnée en Enfin, notons la présence du terme genius dans l’inscription.
son entier), peint l’empereur comme un homme tout-puis- Pour les Romains, le genius est la divinité propre à chaque
sant, disposant des pouvoirs suprêmes dans les domaines individu qui l’accompagne tout au long de son existence. Il
politique (Caesar), militaire (Imperator), religieux (Pontifex est l’objet d’un culte privé. Auguste introduit une nouveauté
Maximus) et civil (Tribunicia postestas, Consul). Ces pouvoirs lui en faisant de son génie l’objet d’un culte publique, une façon
permettent de dominer le monde, comme le décrit explici- de pérenniser son image. À partir de lui, les génies de tous
tement la périphrase « regnator deorum » (v. 5) employée par les empereurs sont célébrés publiquement comme l’atteste
Stace. La personne de l’empereur le place au-dessus de tous l’expression « Genis Caesarum » (l. 1) mise sur le même plan
les autres hommes, lui confère une dimension sacrée, que que la dédicace aux Lares du quartier.
souligne, de façon très insistante le poète courtisan. Stace, 2. L’incipit de l’inscription célèbre les génies des empereurs
invité à un banquet donné par l’empereur Domitien à l’au- défunts et la grandeur de l’empereur Trajan. Cette formula-
tomne 94, rend compte de cet événement fastueux. Il signifie tion laudative est attendue dans ce genre de dédicace. Plus
à son lecteur que les mots suffisent à peine à décrire la splen- significative, car plus hyperbolique, est la louange de Stace.
deur du palais, la Domus Flavia, et la magnificence du repas. La métaphore filée du dieu procède de la rhétorique conve-
Stace élève la personne de l’empereur au rang de divinité. Il nue de la flatterie courtisane. Le poète n’hésite pas à s’abais-
est aussi brillant qu’un astre (« in astris », v. 1), offre un vin sem- ser pour mieux complaire à son souverain  : il dénonce le
blable au nectar qui rend immortel (« immortale merum », v. 3) vide de son existence (« steriles transmisimus annos », v. 3) et
et, comme le font les dieux, intercède dans la vie des hommes proclame sa renaissance en jouant sur la polysémie du mot
(« spes hominum », v. 6). Mieux, il est l’objet même de l’atten- limen (« hic limina vitae », v. 4). Nous pourrions juger cet excès
tion des dieux (« cura deorum », v. 6). Ce vocabulaire lié au divin comme inhérent à la rhétorique de l’éloge, si nous ne savions
est aussi contenu dans le nom très symbolique de « fas » (v. 8), pas que Stace est motivé par le désir de retrouver les faveurs
parce qu’il désigne « ce qui est permis par la volonté divine ». de l’empereur. L’hyperbole trouve aussi sa justification dans
Autrement dit, le dieu Domitien a accordé au poète, simple l’architecture impressionnante de la Domus Flavia qui avait de
mortel, de participer à son banquet. La comparaison avec les quoi éblouir les visiteurs et susciter l’enthousiasme des courti-
banquets olympiens est d’autant plus explicite que le poète sans (cf. la vidéo du CIREVE).

prolongements

L’extrait de Stace peut donner matière à une initiation à la scansion (cf. fiche p. 199 et outils numériques
p. 15), puis d’une mise en voix qui s’essaie à respecter la scansion.


108 Les dieux dans la cité
6 Des dirigeants vénérés comme des dieux (p. 105)
Le titre de la page fait volontairement écho à celui de la page de gauche pour faire réfléchir d’emblée à la perma-
nence de la tentation d’un pouvoir fort à s’ériger en pouvoir divin. L’exemple de la Corée du Nord fera d’autant
plus réagir qu’il en est une sorte de caricature. La confrontation peut faire l’objet d’un travail interdisciplinaire en
lien avec l’histoire ou la spécialité géopolitique et sciences politiques.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Les statues font partie d’un complexe, bâti en 1972, et appelé le Grand monument
Mansudae. Il est situé sur une place de Pyongyang en Corée du Nord. La statue du
premier dirigeant nord-coréen, Kim Il Sung, a été fondue l’année de la construction du
complexe. La seconde statue, celle de son fils, Kim Jong Il, a été réalisée en 2012, après sa
mort. En arrière-plan de la photographie, on aperçoit le musée de la révolution coréenne.
Il est orné d’une mosaïque murale du mont Paektu, la montagne sacrée de la révolution.

Confronter
1. Ce qui frappe au premier abord sur la photographie, c’est dirigeants. Stace la compare à celle d’un père (« parens », v. 6),
la taille monumentale des deux statues. Elles mesurent d’une grande générosité puisqu’il fait honneur de sa table
22 mètres de haut. Dans le texte de la Constitution nord- et offre de son vin au poète (v. 1-2, 8). On retrouve ce carac-
coréenne, la périphrase anaphorique « grand Leader » (l. 2, 3, tère paternaliste dans la bonhomie bienveillante des statues.
10) fait écho à cette volonté de magnifier le pouvoir. Le pre- Le texte de la Constitution donne l’indépendance (l. 8) et la
mier dirigeant, Kim Il Sung, est présenté comme le « fonda- réunification (l. 10-11) comme les marques visibles de l’action
teur de la République populaire démocratique » (l. 3), celui qui politique de Kim Il Sung. Enfin, cette action politique s’inscrit
« a posé de solides assisses à l’édification d’un État indépen- dans la durée lui conférant une dimension prophétique. La
dant » (l. 8). La solidité des fondements établis par Kim Il Sung doctrine du Juche (l.  1) se veut garante des «  idées immor-
est suggérée par la largeur de la base sur laquelle reposent telles » (l. 5), garantissant le bonheur du peuple ; Stace fait de
les deux statues, ainsi que par la fermeté de leur assise. Les Domitien l’espoir des hommes (« spes hominum », v. 6).
deux dirigeant sont fermement appuyés sur leurs jambes. 3. Les élèves doivent repérer assez facilement les dérives liées
Ils ont leur main gauche appuyée sur le bas du dos. L’image à un exercice autoritaire du pouvoir. L’omniprésence et l’omni-
du guide est associée à celle du fondateur. Kim Il Sung a le potence du chef est l’une des manifestations les plus visibles
bras tendu. Le père et le fils indiquent de leur regard l’horizon du culte de la personnalité. Domitien est l’unique sujet de
vers lequel ils entendent conduire le peuple. Enfin, paradoxe l’extrait de Stace. C’est à l’empereur qu’est dédiée en premier
d’un État athée, les statues et la Constitution confèrent aux la dédicace des habitants du quartier Censori. Dans l’extrait de
dirigeants un statut quasi divin. Les idées créées par Kim Il la Constitution, le nom de Kim Il Sung ne revient pas moins de
Sung sont « immortelles » (l. 5). Il est qualifié de « Soleil de la quatre fois (l. 2, 3, 5, 10). Il est en tête de chaque paragraphe et
nation » (l. 10), expression que cherchent à traduire de façon s’impose comme l’unique sujet des phrases, à l’exception de
visuelle la patine mordorée des statues et les visages rayon- la première. Sa doctrine, le Juche (l. 1), est le fondement idéo-
nants. La foule qui se prosterne devant les statues montre logique de la Constitution. Sur la photographie, les statues
que le culte des dirigeants s’inscrit dans une volonté mani- écrasent de leur monumentalité les Nord-Coréens. Quant au
feste de sacralisation. culte proprement dit, il se manifeste à travers la rhétorique
2. La Constitution nord-coréenne et Stace rendent d’abord de l’éloge, flagrante dans l’apostrophe faite à Domitien par le
hommage à l’action militaire des dirigeants. Kim Il Sung a poète Stace, et surtout dans l’alignement et la prosternation
lutté contre la menace japonaise (l. 6) et s’emploie à la réunifi- de la population de Corée du Nord. Kim Il Sung et Kim Jong
cation du pays (l. 11 à 15). On sait ce qu’il en est depuis la par- Il sont comme unis au sein d’un même culte, qui inclut égale-
tition du pays survenue après la guerre de Corée (1950-1953). ment leur successeur Kim Jung Un. Le dirigeant qui fait l’objet
Stace évoque l’Empire comme une terre soumise («  orbis d’une telle dévotion ne peut que se prendre de fait pour un
subacti  », v.  5) au pouvoir de Domitien. Le poète emploie dieu et s’octroyer tous les droits, y compris celui de vie ou de
à dessein le terme orbis qui désigne le cercle des terres mort. Si Stace s’emploie tant à flatter Domitien, c’est qu’il sou-
connues, autrement dit tout le bassin méditerranéen. Voilà haite revenir en grâce. Si les Nord-Coréens sont si disciplinés
pourquoi il désigne l’empereur comme « regnator terrarum » dans l’exécution de l’hommage rendu à leurs dirigeants, c’est
(v. 5). Les deux textes saluent également l’action politique des qu’ils craignent pour leur vie.

prolongements pistes pour construire un portfolio


Pour montrer la permanence du culte de la Dans le cadre d’un diptyque textuel, les statues de Kim Il Sung et
personnalité, il est possible de demander aux élèves Kim Jong Il trouveront facilement trouver leur pendant antique dans
de proposer de transcrire en latin les différentes la statuaire officielle impériale. Il est bien sûr possible de proposer
périphrases par lesquelles est désigné Kim d’autres statues, ou représentations monumentales de dirigeants
Il Sung dans le texte de la Constitution : « grand modernes ou contemporaines qui puissent amener les élèves à
Leader », « fondateur de la République populaire et réfléchir sur le culte de la personnalité.
démocratique de Corée » (pour traduire Corée, nous
proposons l’adjectif Coreaeus, a, um), « Soleil de la Un guide pédagogique sur le site de l’académie de Poitiers :
nation », « symbole de la réunification ». www.ac-poitiers.fr/histoire-arts/IMG/pdf/L_art_de_la_propagande.pdf

Les dieux dans la cité • 109


lecture Les cultes et les dieux étrangers dans la cité

1 Un dieu grec au secours des Romains (p. 106)


Cette page présente l’adoption d’un dieu grec dans le panthéon des dieux romains ; les p. 108-109 seront consa-
crées à l’adoption d’une déesse orientale et les pages 110-111 à la religion chrétienne, ce qui prouve la diversité
des cultes existant dans l’Empire (cultes souhaités ou rejetés). Cette page propose l’étude d’un texte de Valère
Maxime qui explique les conditions dans lesquelles le serpent associé au dieu Asclépios est transféré à Rome,
et pour quelles raisons. L’extrait proposé ainsi que la statue d’Asclépios mettent en valeur le serpent comme
emblème du dieu. Cette page est à même d’intéresser particulièrement les élèves envisageant une carrière médi-
cale : la rubrique Culture leur propose de décrire les emblèmes des différents ordres médicaux, de comprendre
leur signification propre et leurs points communs. En outre, la comparaison des serments antiques et serments
contemporains pourra permettre d’établir un pont qui peut constituer la base d’un portfolio.

TRADUCTION
Et durant trois jours, sa nourriture habituelle fut déposée [à son intention] ; non sans une grande crainte
éprouvée par les ambassadeurs qu’il refuse dès lors de regagner la trirème, le serpent, après avoir profité
de son séjour dans le temps d’Antium, revint de lui-même pour être transporté dans notre cité, et les
ambassadeurs s’étant approchés de la rive du Tibre, le serpent se dirigea à la nage en direction de l’île où
un temple lui avait été consacré, et grâce à son arrivée, il chassa la calamité contre laquelle il avait été
sollicité comme un remède.

Traduire
1. La conjonction de lieu est « ubi » : « là où ». Plusieurs com- 2. Ces six lignes constituent une seule phrase : le sujet sous-
pléments indiquent un lieu, nous permettant de suivre l’itiné- entendu est le serpent, les verbes conjugués qui dépendent
raire du serpent : de ce sujet sont « restituit », « tranavit », « dispulit » (pour les
– « in triremem » : groupe prépositionnel ; propositions principales) ; « nollet » et « quaesitus erat » (pour
– « Antiensis templi » : groupe au génitif singulier, complément les propositions subordonnées).
du nom « hospitio » ; Le participe «  usus  » se rattache également au même sujet
– « in ripam Tiberis » : groupe prépositionnel ; sous-entendu.
– « in insulam » : groupe prépositionnel ;
– « ubi templum dicatum est » : proposition introduite par la
conjonction « ubi ».

Comprendre
1. C’est à Épidaure, cité grecque située dans la province d’Ar- 2. L’expression «  s’enquirent du culte […] ceux qui le prati-
golide, que les ambassadeurs romains viennent récupérer le quaient » prouve que les Romains ont l’intention d’honorer
dieu et ses attributs. Ils reprennent le chemin du retour par le dieu d’une manière strictement semblable à celle observée
voie de maritime  («  Les ambassadeurs […] reprirent la mer. par les Grecs. Ils se montrent particulièrement attentionnés :
La navigation fut heureuse ») : ils débarquent à Antium, ville comme lors de l’accueil d’un étranger, il y a don de nourriture
d’Italie (« Antiensis templi ») où ils séjournent trois jours entiers. (« positis quibus vesci solebat »), le serpent bénéficie de l’ « hos-
Ils reprennent la mer et gagnent leur destination : Rome (« in pitio » (« toit hospitalier ») du temple d’Antium (cité située dans
ripam Tiberis »). Le temple construit en l’honneur d’Esculape le Latium). Enfin, on offre au dieu une résidence prestigieuse
se trouve sur l’île Tibérine (« in insulam ubi templum dicatum sous la forme d’un temple qui lui est consacré (« ubi templum
est »). dicatum est »).

Culture
1. Le point commun entre ces trois emblèmes est le serpent : ses pairs à respecter chacun des préceptes de ce serment.
l’emblème de l’ordre des médecins le représente s’enroulant Ce serment est considéré comme le texte fondateur de la
autour du bâton d’Asclépios surmonté par un miroir, symbole déontologie médicale. Les pharmaciens prêtent le serment
de prudence. L’emblème des médecins s’appelle un caducée. de Galien, inspiré du serment d’Hippocrate. Galien était un
L’emblème des pharmaciens représente un serpent s’enrou- médecin originaire d’Asie mineure. Chacun des serments
lant autour de la coupe d’Hygie, fille du dieu Asclépios et prêtés de nos jours est une version modernisée des serments
déesse de la santé et de l’hygiène. Elle symbolise la bonne originels.
santé qui perdure et la médecine préventive. L’emblème des
sages-femmes représente un serpent symbolisant le ventre prolongements
arrondi de la femme enceinte.
La rubrique Culture peut donner lieu à un prolongement consacré à
2. Les médecins prêtent le serment d’Hippocrate, médecin la comparaison des deux versions du serment d’Hippocrate : version
grec (460-377 av. J.-C.), considéré comme le père de la méde- originelle et version modernisée.
cine. Le médecin qui entre en fonction s’engage auprès de


110 Les dieux dans la cité
2 Faut-il condamner l’invasion d’Halloween ? (p. 107)
La fête d’Halloween est en mise en regard de l’introduction du culte d’Esculape à Rome. Les élèves sont invités
à réfléchir sur les raisons qui amènent un peuple à adopter un rite étranger, et sur la manière dont cet accueil
s’opère.
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Philippe Muray a publié des romans, des essais et de nombreuses chroniques dans divers journaux ou
revues dont la Revue des deux Mondes. La volonté de faire varier son style et la nature polémiste de ses
textes caractérisent son œuvre. En 2010, le comédien Fabrice Lucchini a contribué à le faire au connaître
auprès du grand public en lisant certains de ses textes au théâtre.

Confronter
1. Le mot Halloween est la contraction de l’anglais All Hallow série d’injonctions. On y trouve un impératif, le terme à valeur
Even (ou All Hallow Eve) qui signifie « la veille de la Toussaint ». injonctive « rendez-vous », suivi de l’heure mise en évidence
C’est un fête célébrée le 31 octobre. Pourtant, Halloween n’a par la taille des caractères. Les personnages déguisés en bas
rien à voir avec la fête de tous les saints catholiques. Son ori- au centre de l’affiche font écho à l’ordre impératif «  venez
gine est à trouver dans la fête de Samhain, célébrée par les déguisés ». Autrement dit, tel que le conçoit Philippe Muray,
Celtes de Bretagne et d’Irlande, pour qui l’année commençait ne pas participer au « cortège », c’est faillir au devoir festif. Il
le 1er novembre, au moment où les troupeaux étaient rentrés n’y a plus rien de drôle à satisfaire l’impératif festif (l. 19-21).
pour passer l’hiver. C’est le moment aussi où les âmes des D’ailleurs, l’on pourrait voir aussi dans le groupe de person-
morts venaient visiter les familles. Pour éloigner les mauvais nages, écrasés par le nom même de la fête en lettres capi-
esprits et ne pas être reconnus d’eux, on allumait de grands tales, comme le sentiment d’une participation contrainte des
feux régénérateurs et on se déguisait pour banqueter. Au habitants.
IXe s., la fête de la Toussaint a été définitivement fixée le 3. La différence principale tient en ce que les Romains sont
1er novembre. La fête païenne de Samhain fut ainsi associée allés chercher à l’extérieur une divinité étrangère pour en
à la fête chrétienne. Cette fête d’Halloween perdura de façon introduire volontairement le culte sur leur territoire, alors que
très vivace dans les pays du nord de l’Angleterre, en Irlande, la fête d’Halloween s’est imposée de l’extérieur. Face à la per-
en Écosse et au Pays de Galles. Elle gagna l’Amérique au sistance d’une épidémie de peste, les autorités romaines font
moment où débarquèrent, au XIXe s., poussés par la famine, consulter les Livres sibyllins (cf. p. 102) et en concluent l’impé-
les premiers immigrés irlandais. Cette fête est aujourd’hui rieuse introduction du culte d’Esculape. En 292 av. J.-C., une
très célébrée aux États-Unis et au Canada. Elle a retrouvé en délégation est envoyée en Grèce, dans le sanctuaire d‘Épi-
quelque sorte son caractère profane, en devenant essentiel- daure. Devant le prodige du serpent qui rejoint de lui-même
lement commerciale. La littérature (cf. le roman gothique le navire romain, emblème du dieu, les ambassadeurs mani-
britannique) et le cinéma (cf. films d’horreur) s’en sont égale- festent tout à la fois de la fascination (l. 1), de la « frayeur » (l. 4)
ment emparés, notamment pour son aspect morbide. et de la joie (l. 8). Les Romains accueillent le dieu selon le rituel
2. Aujourd’hui, la fête d’Halloween est très diversement de l’hospitalité antique (« hospitio usus », l. 18) et lui dédient un
implantée sur le territoire français, après son introduction temple, construit sur l’île Tibérine. Dans l’extrait de sa chro-
dans les années 1990. Des associations de commerçants ou nique, Philippe Muray se fait l’écho des récriminations portées
des municipalités s’emploient régulièrement à la faire vivre, à l’encontre de l’adoption du culte anglo-saxon d’Halloween.
comme le montre l’affiche de la ville d’Hem, dans le dépar- Celles-ci dénoncent un phénomène d’acculturation, en l’oc-
tement du Nord. L’affiche a atteint son objectif, puisqu’une currence l’ «  américanisation  » (l.  10-11). Les États-Unis sont
deuxième édition a vu le jour en 2019, en «  version mexi- de fait le modèle culturel dominant depuis le XXe siècle. Mais
caine », après sa relance en 2018. Le but recherché par la mai- interpréter l’introduction d’Halloween comme un « envahisse-
rie de Hem est avant tout de créer une occasion festive. Cette ment de la France par les États-Unis » (l. 7-8) est un excès dans
intention répond à la définition que donne Philippe Muray lequel Philippe Muray invite à ne pas tomber. Une partie des
du monde contemporain qu’il nomme «  l’âge hyperfestif  » raisons qui expliquent l’adoption de la tradition folklorique
(l.  23). Dans un monde de plus en plus désacralisé, la fête, d’Halloween sont, à n’en pas douter, commerciales, comme le
quelle que soit sa nature ou l’occasion qui la crée, s’impose déplore le journal Libération, cité par Philippe Muray (l. 3-4), et
de façon presque autoritaire. Le néologisme « festivocratie » comme le sous-entend l’affiche. Les commerçants de la ville
(l. 27) cherche à rendre compte de cette transformation de la d’Hem doivent nécessairement être intéressés par l’organisa-
fête en injonction sociale. Les indications fournies à gauche tion de cette manifestation. Notons pour finir que l’exemple
de l’affiche, sens de la lecture, peuvent être lues comme une antique, au même titre que l’exemple contemporain, constitue
illustration de la thèse de Philippe Muray. Ce sont de fait une un phénomène d’acculturation, appelé l’hellénisme (cf. p. 32).

pistes pour construire un portfolio


prolongements Un portfolio sur la place et le sens des rituels festifs
Contre ou pour Halloween : le débat peut donner matière à l’écriture en
pourrait prendre appui sur le texte de Philippe Muray. La
latin de quelques arguments, selon un dispositif d’ateliers. Les élèves condamnation par Sénèque (Lettres à Lucilius, VII) ou par
peuvent recourir au dictionnaire Olivetti (cf. p. 15) pour trouver les mots Augustin (Confessions, VI, 8) des jeux du cirque pourrait
qui leur manquent. Cette activité d’écriture peut être prolongée par être un pendant antique qui permettrait de nourrir la
une activité orale lors de laquelle les arguments sont opposés. réflexion des élèves dans une confrontation dynamique.

Les dieux dans la cité • 111


3 Cybèle, la mère des dieux (p. 108)
Cette page propose aux élèves de découvrir l’importation à Rome d’une déesse orientale : c’est l’origine géogra-
phique de la déesse qui fait la spécificité de cette page, en complément des p. 106-107 qui portent sur le trans-
fert à Rome du culte d’un dieu grec, Asclépios. L’extrait d’Ovide évoque les temps qui ont précédé la venue de
Cybèle à Rome et les raisons de l’implantation de ce culte oriental. Il peut être intéressant de lier l’étude des docu-
ments de cette page aux documents proposés à la p. 56 du livre-cahier, afin d’expliciter le contexte historique
dans lequel l’ambassade romaine a eu lieu : Rome est en grande difficulté face au chef carthaginois Hannibal,
et c’est pour contrer ce péril que les Romains font appel à Cybèle comme ultime recours. Cybèle est considé-
rée comme la déesse protectrice par excellence, ce qui apparaît dans sa représentation sous forme de statue
(« Cybèle tourelée »).

TRADUCTION
Lorsqu’Énée emmena Troie vers les champs italiens,
La déesse faillit suivre les navires porteurs des objets sacrés,
Mais les destins ne réclamaient pas encore sa majesté divine pour le Latium,
Elle l’avait senti, et elle était restée dans ses terres habituelles.
Par la suite, quand Rome, devenue déjà puissante grâce à ses richesses, vit cinq siècles,
Et qu’elle leva sa tête après avoir conquis entièrement l’univers,
Un prêtre lut attentivement les paroles prophétiques du poème de l’Eubée :
On rapporte que ce qu’il y observa fut tel :
« La Mère est absente ; je t’ordonne, Romain, d’aller chercher la mère.
Quand elle arrivera, elle doit être reçue par une main pure ».

Langue
1. « Posci » est un verbe à l’infinitif, voix passive. Son sujet est déesse. Ce sont eux qui réclameront son soutien et sa protec-
« sua nomina » et le complément d’agent est « fatis ». tion lorsque la cité se trouvera en grand danger.
2. Cette tournure nous indique que c’est le Latium, plus
précisément ses habitants, qui aura besoin du secours de la

Traduire
La traduction d’un texte en vers n’est pas familière pour les v. 10, et en leur signalant que les verbes « senserat » (v. 4) et
élèves ; pour autant, ce passage ne présente pas de difficulté «  ferunt  » (v.  8) introduisent une proposition infinitive. Le
majeure. Comme pour un texte en prose, les élèves com- verbe « jubeo » (v. 9) se construit sans conjonction de subordi-
menceront par repérer puis analyser les verbes conjugués. nation : il introduit directement le verbe au subjonctif présent
On peut aider les élèves en leur demandant d’entourer les « requiras ».
conjonctions de subordination : « cum » v. 1, « ut » v. 5, « cum »

Interpréter
1. Les noms propres sont : Trojam – Æneas – Latio – Roma. 2. Les Romains désignent Cybèle par le terme «  mater  »,
La déesse Cybèle est originaire de Phrygie, en Asie mineure, « mère » (« mater », « matrem » v. 9). La vertu première d’une
région qu’a quittée Énée suite à la mise à sac de Troie. mère étant de protéger ses enfants, c’est le rôle assigné à
Cybèle par les Romains qui transparaît au travers de cette
Tout comme le dieu Esculape que des ambassadeurs romains
appellation. Le contexte d’arrivée de Cybèle à Rome est le
sont allés quérir dans la cité grecque d’Épidaure, la venue
grave péril dans lequel se trouvent les Romains face au géné-
de la déesse Cybèle a été sollicitée par des ambassadeurs
ral carthaginois Hannibal ; elle est sollicitée pour protéger le
romains. À l’instar du serpent d’Esculape, Cybèle est arrivée à
peuple romain du péril imminent qui le menace.
Rome par voie de mer ; elle a été accueillie dans le port d’Os-
tie par Publius qui l’a confiée aux mains pures de matrones 3. Cybèle porte sur la tête une couronne en forme de tour,
romaines, qui l’ont à leur tour déposée dans le temple de la symbole de puissance et de protection, d’où son appellation
Victoire (cf. texte p. 109). « Cybèle tourelée ».


112 Les dieux dans la cité
4 Un accueil enthousiaste du peuple romain (p. 109)
Les deux documents de cette page sont de nature différente : un texte de l’historien Tite-Live, une image d’un
tableau datant du XVIe siècle. Il pourrait être intéressant de commencer par l’étude du tableau, en demandant aux
élèves de caractériser l’accueil du peuple romain (en quoi est-il « enthousiaste » ?). Par une description précise, le
professeur les amène à se saisir d’une partie du sens du texte dont le tableau est une illustration. Ce serait là une
manière d’introduire à l’activité de traduction.

TRADUCTION
Les femmes de premier rang de la cité, parmi lesquelles le nom de l’une, Claudia Quinta, est illustre, re-
çurent [la déesse] […]. Celles-ci se la passèrent ensuite de mains en mains, les unes aux autres ; toute la cité
était sortie à sa rencontre, des brûle-parfums avaient été accrochés aux portes devant lesquelles elle était
portée, de l’encens avait été allumé, [les citoyens] priant pour qu’elle intègre la cité romaine de bonne grâce
et avec bienveillance. Ces femmes portèrent la déesse jusqu’au temple de la Victoire qui est situé sur le
Palatin, la veille des Ides d’avril ; et ce jour devint un jour de fête. Une foule nombreuse apporta au Palatin
des présents destinés à la déesse, et un lectisterne ainsi que des jeux eurent lieu, appelés « mégalésiens ».

Lire
Avant même d’étudier les liens qui unissent le tableau d’An- Les passages qui pourraient servir de légende au tableau
drea Montagna et l’extrait de l’Histoire romaine de Tite-Live, sont :
les élèves peuvent faire part de leurs réactions face à ce - « Eae per manus, succedentes deinde aliae aliis » : les deux per-
tableau qui semble s’apparenter à une sculpture. C’est l’occa- sonnages féminins au centre du tableau, avec leurs quatre
sion de s’interroger sur la réalisation purement matérielle de mains qui se rejoignent ;
la toile. Il s’agit d’une détrempe (ou « tempera »), technique
- « omni obviam effusa civitate » : une population dense repré-
utilisée avant l’invention de la peinture à l’huile. Ce type de
sentée sur la partie droite du tableau (« omni ») / les person-
peinture étant particulièrement fragile, il nous reste peu de
nages représentés sur la droite du tableau font mouvement
toiles réalisées à l’aide de cette technique : outre le tableau
vers la gauche (cf. notamment la position des jambes), en
présenté sur cette page, les élèves pourront s’intéresser à
direction de la déesse, en signe d’accueil ;
une autre détrempe célèbre intitulée Le Misanthrope peinte
par Pieter Brueghel l’Ancien  en 1568 (musée Capodimonte, - « dies festus » : tenue recherchée des personnages, instru-
Naples). À noter également les dimensions remarquables de ments de musique.
la toile : 73,5 × 268 cm.

Lexique
Les expressions ou mots en rouge permettent de caractériser l’accueil de la déesse par le peuple romain : c’est
un accueil qui réunit la cité tout entière « omni civitate », la solennité de l’événement est marquée par des prières
« precantibus » et d’autres signes de ferveur (« turibulis », « ture »), les offrandes (« dona ») sont multiples (« populus
frequens »). Rappelons que la déesse Cybèle est importée à Rome alors que la cité se trouve dans une situation
très délicate face au général carthaginois Hannibal. C’est le salut même de la cité qui est en jeu, d’où un accueil
enthousiaste et unanime de la part des Romains. La déesse se trouve placée au même rang que les dieux autoch-
tones : « lectisternumque et ludi fuere ».

Traduire
1. Les trois propositions relatives sont : 2. Les première et troisième phrases du passage à traduire
- « inter quas unius Claudiae Quintae insigne est nomen » ; sont courtes et ne posent pas de difficultés. La syntaxe de
- « qua praeferebatur » ; la deuxième phrase (l. 9 à 14) est nettement plus complexe :
« quae est in Palatio ». on peut demander aux élèves de commencer par repérer le
Les quatre ablatifs absolus sont : participe présent « succendentes » support de la proposition
- « omni obviam effusa civitate » ; participiale «  succedentes deinde aliae aliis  », les quatre abla-
- « turibulis ante januas positis » ; tifs absolus et les trois propositions relatives (cf. question 1
- « accenso ture » ; de l’onglet Traduire). On peut également indiquer aux élèves
- «  precantibus  »  : le sujet est le singulier collectif «  omni les mots supports de la proposition principale : le nominatif
civitate ». pluriel « eae » sujet du verbe conjugué au parfait de l’indicatif
« pertulere ».
prolongements
Les textes de Tite-Live (livre-cahier, p. 109), d’Ovide (Fastes, livre IV, v. 179-372) et de l’empereur Julien (Sur la
mère des dieux, chapitre 1, § 6 et 7) sont les trois sources majeures qui nous instruisent de la réception de la
déesse Cybèle à Rome : ils pourront éventuellement faire l’objet d’une comparaison, prolongement à l’étude du
texte de Tite-Live.

Les dieux dans la cité • 113


5 Mauvaise réputation des chrétiens (p. 110)
Beaucoup a été écrit sur la persécution de Néron survenue à la suite de l’incendie de juillet 64 qui a détruit une
grande partie de Rome. La page invite les élèves à se faire leur propre opinion sur la culpabilité ou l’innocence
de cet empereur, à partir de la lecture d’une source antique et du mise en scène cinématographique moderne.
TRADUCTION
Donc pour détruire cette rumeur, Néron produisit de faux accusés et livra aux châtiments les plus raffinés
ceux que, détestés pour leurs actions scandaleuses, la foule appelait Chrétiens. L’origine de ce nom vient de
Christ, qui, sous l’empereur Tibère, avait été livré au supplice par le procurateur Ponce Pilate ; réprimée sur le
moment, cette exécrable superstition de nouveau perçait, non seulement en Judée, souche du mal, mais encore
à travers Rome, où tout ce qu’il y a partout d’atroce et de honteux converge et se pratique. D’abord, ceux qui
avouaient étaient donc arrêtés, puis sur leur révélation, une multitude immense fut accusée, non tant du crime
d’incendie que de haine du genre humain. Et à leur exécution furent ajoutées des dérisions de sorte que, le dos
couvert de peaux de bêtes, ils périrent sous la morsure des chiens, ou, attachés à des croix, quand le jour vint
à tomber, ils brûlèrent pour faire office de torches humaines. Néron avait offert ses jardins pour ce spectacle.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Cet extrait de Tacite a nourri beaucoup de commentaires. L’article de Ludoviv Wankenne « Néron et la
persécution des chrétiens d’après Tacite, Annales, XV, 44 » en propose une synthèse disponible sur le site
de Folia Electronica Classica (FEC) : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/02/TacitWank.html
Voir aussi l’article de Jean-Marie Pailler « Néron, l’incendie de Rome et les chrétiens, un prodige méconnu »
(2012) sur le site Pallas : http://journals.openedition.org/pallas/2544
Sur le christianisme à Rome, lire l’article d’Odysseum :
http://eduscol.education.fr/odysseum/le-christianisme-rome

Langue
1. L’activité fait travailler les formes passives et déponentes, 2. Néron a décidé de faire des chrétiens les boucs émissaires
objets des deux leçons de grammaire du chapitre (p. 122 à de l’incendie de Rome. C’est lui et les autorités romaines qui
125). Ces pages peuvent donc être travaillées en amont ou sont à la manœuvre et qui poursuivent les chrétiens. Voilà
en parallèle de la séance. À l’exception de l’indicatif imparfait pourquoi les verbes sont au passif. Comme l’a déjà subi
déponent « fatebantur » (l. 7), tous les autres verbes sont au Christus (« adfectus erat », l. 3-4), les chrétiens de Rome sont
passif : l’indicatif imparfait « adfectus erat » (l. 3-4), le participe arrêtés (« correpti [sunt] », l. 6), accusés (« convicti sunt », l. 8),
parfait « repressa » (l. 4), l’indicatif présent « celebrantur » (l. 6), humiliés (« contecti », l. 9) et suppliciés (« adfixi », l. 9, « ureren-
le parfait « correpti [sunt] » (l. 6), « convicti sunt » (l. 8), les parfaits tur », l. 10). Le verbe déponent « fatebantur » (l. 7) est à repla-
« contecti » et « adfixi » (l. 9) et le subjonctif imparfait « ureren- cer dans le contexte des tortures que les chrétiens subissent.
tur » (l. 10). L’aveu est contraint.

Traduire
1. Cette activité constitue une lecture-compréhension du 2. En plus de l’analyse des verbes proposée dans l’onglet
texte. On peut inviter les élèves à placer des mots latins dans «  Langue  », il peut être demandé aux élèves de repérer et
leur résumé. Ce peuvent être les mots compris ou les mots d’identifier les connecteurs logiques et temporels. Ils/elles
qu’ils/elles jugent clefs pour la saisie du texte. Les résumés peuvent s’aider de la page récapitulative qui se trouve en
peuvent être échangés entre élèves pour donner l’occasion rabat.
d’affiner leur compréhension.

Interpréter
1. Nous ne savons pas comment le christianisme est arrivé à extrêmement péjoratif « exitialibis » (l. 4) dit la véhémence du
Rome. La présence de chrétiens y est attestée dans les années rejet. Le christianisme est donc perçu comme une menace.
40. Le christianisme s’implante très lentement jusqu’à la fin Les interrogatoires ont révélé une « multitudo ingens » (l. 7) de
du deuxième siècle avant de connaître une diffusion rapide. convertis, tous animés par la haine contre le genre humain
À l’époque de Néron, il est pour les Romains un culte orien- («  odio humani generis  », l.  8), étant entendu que le genre
tal comme un autre. Toutefois, Tacite donne une mauvaise humain d’alors est celui dominé par la civilisation romaine.
image des chrétiens. Leur religion est une «  superstitio  » La mention de sa résurgence en Judée peint le christianisme
(l.  4). Rappelons que la religio est ce qui relie les citoyens en un monstre sans cesse renaissant (l.  3-4). Le vocabulaire
aux dieux, ce qui assure par la pratique rituel leur bienveil- est résolument celui de la condamnation morale. Le christia-
lance. La superstitio est perçue de façon négative comme le nisme est un mal (« mali », l. 5), source d’actions scandaleuses
signe d’une faiblesse de l’individu, un sentiment d’amour (« flagitia », l. 2), atroces (« atrocia », l. 6) et honteuses (« puden-
ou de crainte à l’égard des dieux. Le lien personnel qu’entre- da », l. 6), sans qu’elles soient précisées.
tiennent les chrétiens avec leur dieu et la croyance en une vie 2. Si Tacite colporte la mauvaise réputation des chrétiens,
éternelle après la mort participent de la superstitio. L’adjectif il ne donne pas non plus une image très positive de Néron.


114 Les dieux dans la cité
Cet empereur pour l’historien est un exemple à ne pas qui vit dans le supplice des chrétiens un juste apaisement
suivre, un contre-modèle impérial. Pour sauver son règne de sa colère.
et sa personne, il n’hésite pas à livrer une minorité de la L’image donnée de Néron dans le film de Mervyn LeRoy est
population à la vindicte populaire, même au prix du men- fidèle à celle du roman de Sienkiewicz, qui, sous l’influence
songe, comme le dénonce le verbe « subdidit » (l. 1). Le choix de la tradition chrétienne, fait de Néron le premier persé-
des chrétiens est une manifestation de pur arbitraire. Non cuteur du christianisme. On y voit Néron sous les traits de
seulement Néron apparaît comme un tyran égocentrique, l’acteur Peter Ustinov. Il porte une barbe, conformément à
mais aussi comme un être sadique. Il offre le supplice des la réalité, une couronne de feuilles dorées, et est vêtu d’un
chrétiens comme un spectacle (« spectaculo », l. 9) qu’il sou- ample manteau de velours bleu sombre. Il manifeste une
haite le mieux réussi comme le souligne le superlatif « quae- certaine exubérance dans sa façon de faire varier le ton de
sitissimis » (l. 1). Pour montrer toute l’étendue de la cruauté sa voix. Néron aimait les arts et avait un goût pour la poé-
exercée par Néron, Tacite donne le détail des interrogatoires sie, donnée comme cause de l’incendie dans l’extrait. L’idée
et des châtiments (l. 6 à 10). L’historien semble mettre dos-à- d’en faire porter la responsabilité aux chrétiens est attribuée
dos les chrétiens et l’empereur. Si les premiers sont condam- à l’impératrice Poppée, dans la bouche de laquelle est rap-
nables pour leur haine du genre humain («  odio humani pelée la différence entre religion romaine et christianisme. Le
generis », l. 8), le second l’est aussi en s’amusant à voir dégra- contenu du décret que dicte Néron reprend les termes de la
dés, mordus, crucifiés et brûlés ceux qu’il a désignés comme condamnation que l’on trouve dans le texte de Tacite. L’image
coupables de l’incendie de Rome. Et l’ouverture de ses jar- qui est donnée des chrétiens est conforme à l’image que s’en
dins (l.  10-11), comme marque de générosité, achève de faisaient l’empereur et son entourage. La réponse que Néron
condamner moralement le comportement d’un empereur fait à Pétrone est montrée comme une marque d’incons-
atteint de démesure. Signalons toutefois que la cruauté de cience orgueilleuse.
Néron vise à répondre à l’extrême indignation du peuple,

prolongements Biblio
La confrontation du texte et du c Lire les Quatre Évangiles, c’est d’abord lire un texte narratif, par nature facile d’accès. C’est ensuite
film peut être prolongée par connaître un des textes fondateurs de la fin de l’Empire romain, puis de l’Europe médiévale et moderne.
l’écriture d’une présentation en On trouvera des éditions latines sur le site de Lexilogos : www.lexilogos.com/bible_latin.htm
latin de l’image. Les élèves s’aident Le Nouveau Testament peut être lu dans la traduction œcuménique (TOB) du Livre de Poche.
du texte de Tacite et peuvent c Le roman Quo vadis ? de Sienkiewicz évoque le règne de Néron et la manière dont il a rendu
recourir au dictionnaire Olivetti responsable les chrétiens de l’incendie qui a ravagé Rome en juillet 64. Par l’évocation des débuts
pour trouver le vocabulaire qui du christianisme et l’apparition d’un nouveau sentiment religieux, il fait écho aux Quatre Évangiles.
leur manque. Cette activité La limpidité de son écriture le rend facile à lire. Mais son intérêt réside aussi dans la restitution du cadre
peut se faire en ateliers. historique à laquelle Sienkiewicz s’est attaché en s’appuyant sur une solide documentation.
Un des membres du groupe La récit des persécutions des chrétiens, qui occupe plusieurs chapitres à la fin du roman, constitue un
se charge de la présentation orale. développement du texte de Tacite. Il ne manquera pas de faire réagir les élèves en nourrissant le débat
à propos de la culpabilité de Néron. Le roman est disponible en édition de poche (Livre de poche, GF).

6 Condamnation des rites païens (p. 111)


Le texte de Lactance est conçu comme un pendant du texte de Tacite. On y retrouve le même mépris. Cette
confrontation de situations inversées entre paganisme et christianisme invite les élèves à réfléchir sur la notion
de tolérance.
TRADUCTION
Ils sacrifient donc des victimes riches et grasses à Dieu comme s’il était affamé ; ils lui versent du vin, comme
s’il avait soif ; ils lui allument des flambeaux, comme s’il vivait dans les ténèbres. S’ils pouvaient imaginer ou
percevoir par l’esprit quels sont ces biens célestes, dont nous ne pouvons saisir par l’intelligence la grandeur,
voilés que nous sommes jusqu’à présent par le corps terrestre, ils comprendraient déjà qu’ils sont très stupides
avec leurs rituels vains. […]
Ils croient que ce qui nous est nécessaire et agréable l’est aussi pour leurs dieux, nous qui avons besoin de
manger quand nous avons faim, ou de boire quand nous avons soif, ou de nous vêtir quand nous avons froid,
ou, quand le soleil s’est couché, de la lumière pour que nous puissions voir. […] Car quel bien céleste peut-il
avoir en lui-même le sang répandu des animaux dont ils souillent les autels ? À moins par hasard qu’ils esti-
ment que les dieux se nourrissent de ce que les hommes répugnent à toucher. Et quiconque leur aura procuré
ce régal, même s’il est un voleur de grands chemins, un adultère, un empoisonneur, un parricide, sera comblé
et heureux. Les dieux le chérissent, ils le protègent ; tout ce qu’il souhaitera, ils le lui procurent. C’est donc à
juste titre que Perse à sa manière se moque des superstitions de cette sorte :
« À quel prix (dit-il) as-tu acheté les oreilles des dieux ?
par quel poumon, par quelles entrailles pleines de graisse ? »
Il sentait évidemment qu’il n’est pas nécessaire de viande pour se rendre favorable la grandeur céleste, mais
une âme saine, un esprit juste et un cœur (comme lui-même le dit) qui soit généreux d’une honnêté naturelle.

Les dieux dans la cité • 115


INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Caecilius Firmianus, dit Lactantius, né sans doute en Afrique vers 250, commence sa carrière comme professeur de
rhétorique. Il est appelé en Bithynie par Dioclétien pour enseigner cette discipline dans sa nouvelle capitale, Nicomédie. Il
s’y convertit au christianisme. Il doit renoncer à l’enseignement lors de la persécution de Galère (304), et connaît la misère.
Vers 317, appelé à Trèves par Constantin, il est chargé d’enseigner la littérature latine à Crispus, le fils de l’empereur.
Dans les sept livres de ses Institutions divines, Lactance s’emploie à faire l’apologie de la foi chrétienne, tout en s’attaquant
au paganisme, la fausse religion, et aux philosophies.
Sur le christianisme à Rome, lire l’article d’Odysseum :
http://eduscol.education.fr/odysseum/le-christianisme-rome

Lire
1. Lactance dénonce les sacrifices païens comme absurdes. Sinon, il faut abattre un autre animal. Les viscères sont ensuite
Les mots signalés en gras en décrivent le rituel. Pour aider les cuits, découpés, refroidis au moyen de vin (« vina », l. 2), puis
élèves à en comprendre le déroulement, on peut s’appuyer brûlés sur l’autel comme offrandes au(x) dieu(x). Les autres
sur la représentation du suovétaurile de la p. 101. Les Romains morceaux de l’animal (« carne », l. 18) sont rôtis et partagés
sacrifient sur des autels (« aras », l. 11) des victimes (« hostias », entre les fidèles pour être mangés (« saginam », l. 13). Enfin,
l.  1) de choix. L’animal doit être sain, gras («  opimas et pin- signalons l’allumage de flambeaux (« lumina ») en l’honneur
gues », l. 1), sans aucune tâche, n’avoir jamais été attelé et être des dieux.
du même sexe que la divinité à laquelle il est sacrifié. Une fois 2. Cette activité constitue une lecture-compréhension du
la victime abattue d’un seul coup de hache (« mactant », l. 1) texte. On peut inviter les élèves à placer des mots latins dans
et vidée de son sang (« sanguis », l. 11), le victimaire (« victima- leur résumé. Ce peuvent être les mots compris ou les mots
rius ») l’ouvre pour permettre l’inspection des viscères (« exta : qu’ils/elles jugent clefs pour la saisie du texte. Les résumés
pulmone, lactibus », l. 18) par les haruspices. Si aucune anoma- peuvent être échangés entre élèves pour donner l’occasion
lie anatomique n’est relevée, le sacrifice est de bon augure. d’affiner leur compréhension.
Comprendre
1. Deux représentations de la divinité s’opposent dans l’ex- de perfection, ils adoptent un comportement très proche de
trait. Les dieux païens attendent des hommes qu’ils accom- celui des hommes, y compris dans ce qu’il peut avoir de plus
plissent scrupuleusement des rituels très codifiés. Ils récla- matériel. Lactance rappelle que les sacrifices visent à régaler
ment le sacrifice de leurs plus beaux animaux (« mactant… (« vesci », l. 12, « saginam », l. 13) les dieux, sacrifices d’ailleurs
opimas ac pingues  », l.  1), se nourrissent de leurs entrailles partagés avec les hommes puisque ces derniers mangent la
(« exta »). En échange de ces offrandes, les dieux assurent les viande, tandis que les entrailles reviennent aux dieux. Difficile
hommes de leur bienveillance et les favorisent dans leur exis- pour un romain païen d’envisager le corps des dieux en
tence, comme l’indiquent les adjectifs au sens très fort « bea- dehors de la représentation anthropomorphique, autrement
tus » et « felix ». Beatus est le participe du verbe beo qui signifie dit en dehors du champ d’action de l’humain. Cette concep-
« enrichir de, rendre heureux, gratifier de ». Il décrit donc un tion est rejetée par le chrétien Lactance. Par l’opposition entre
état de profonde satisfaction. L’adjectif felix est issu du verbe les biens célestes (« bona illa caelestia », l. 4, « caelestis… boni »,
felare qui signifie « téter », d’où son double sens, actif « qui l. 10) et corps terrestre (« terreno… corpore », l. 5), il montre un
donne du lait, fécond » et passif « favorisé par les dieux ». Ces dieu étranger aux préoccupations matérielles, parce qu’il les
deux adjectifs rendent compte de la relation contractuelle dépasse par sa grandeur (« magnitutidem », l. 4). L’accès à cette
que les Romains établissent avec leurs divinités, et qui définit divinité désincarnée implique un effort d’abstraction (l.  3 à
leur fides. Lactance s’appuie sur les vers de Perse pour déva- 5). Si on s’en donne la peine, les sacrifices païens ne peuvent
loriser ce type de relation quasi commerciale, qui exclut toute apparaître que condamnables, car dérisoires («  officiis inani-
exigence morale. Quel soit le degré de moralité du deman- bus », l. 6). Pire croire en leur efficience est une preuve de stu-
deur, il sera exaucé, s’il a satisfait les règles du culte : « huic pidité. Le superlatif « stultissimos » (l. 6), la question oratoire des
omnia, quae optaverit, praestant » (l. 15). C’est là l’opposition lignes 10 et 11, l’ironie à l’égard du raisonnement anthropo-
fondamentale dans le rapport à la divinité. La foi chrétienne centrique selon lequel les dieux auraient les mêmes besoins
repose avant tout sur une conduite qui tend à la vertu morale. que les hommes (l.  1 à 3, et 10 à 12), sont autant de coups
Il faut veiller à la sainteté de son âme (« mente sancta », l. 19), portés par Lactance contre la fausse religion. La démonstra-
à la justesse de sa pensée (« justo animo », l. 19), faire preuve tion aboutit à opérer une commutation sémantique entre
de charité («  pectore… generosum  », l.  20) et d’honnêteté les termes religio et superstitio. Puisqu’il considère le christia-
(« honestate », l. 20). Les chrétiens ne demandent rien ; ils com- nisme comme la vraie religion, Lactance rejette les rites païens
mencent par être exigeants à l’égard d’eux-mêmes. comme relevant de la superstitio (« hujusmodi superstitiones »,
2. Païens et chrétiens ont une représentation inversée de la l. 16). Une comparaison de l’emploi du mot dans le texte de
divinité. Les dieux païens sont anthropomorphes. Même si Tacite (l. 4) avec celui de Lactance permet de mieux saisir l’évo-
leur représentation plastique cherche à rendre une image lution du sentiment religieux tout au long de l’Empire romain.

Culture
1. Fils du tétrarque Constance Chlore, Constantin devient et militaires. En 312, il se convertit au christianisme. Cette
empereur en 306. Son action militaire et politique marque conversion est avant tout d’ordre politique. Elle vise à contrô-
le retour d’un pouvoir unique à la tête de l’Empire romain. Il ler l’exercice du culte chrétien. La pièce de monnaie en
procède à de grandes réformes monétaires, administratives argent, frappée en 315 à Ticinum (Pavie) pour célébrer les


116 Les dieux dans la cité
dix premières années de son règne (decennalia), fait cohabi- une forme de remerciement. Constantin lui doit à plusieurs
ter des symboles qui manifestent clairement des intentions reprises la vie, notamment quand il dut fuir Galère. Contenu
politiques. Sur le bouclier de l’empereur, les élèves repéreront de l’inscription : IMP CONSTANTINVS AVG.
facilement la Louve allaitant Remus et Romulus, marquant la 2. Cette activité peut être élaborée en amont avec le profes-
volonté de Constantin de se montrer comme nouveau fon- seur documentaliste pour constituer une séance de recherche
dateur de Rome. Pour signaler sa conversion, au sommet du et de synthèse.
casque à panache, apparaît un médaillon sur lequel figure le
Pendant les deux premiers siècles, le christianisme est une
chrisme, un des premiers symboles chrétiens, constitué des
religion marginale dans l’Empire, qui attire les couches les
initiales grecques du nom du Christ, Ἰησοῦς Χριστός. Le sym-
plus basses de la société. Contrairement à d’autres cultes
bole évolue ensuite en ne retenant que les deux premières
venus d’Orient, cette situation s’explique en partie par le
lettres grecques du mot Χριστός. Du bouclier, émerge une
refus des chrétiens de satisfaire le culte public des dieux et de
enseigne cruciforme supportant l’orbe. Certains l’interprètent
l’empereur. Au IIIe siècle, le christianisme gagne toute la socié-
comme un sceptre, d’autres y voient une croix chrétienne.
té. Cet essor s’explique notamment par un esprit très fort de
Constantin est représenté de trois-quarts, cuirassé et casqué.
la communauté, qui faisait qu’un chrétien était partout chez
Il tient par la bride son cheval, représenté en arrière-plan de
lui. Face à ce que le pouvoir a senti comme une menace des
profil. Cette position de l’empereur descendu de cheval serait
édits impériaux déclenchent des persécutions violentes et
le symbole du retour à la paix et une marque d’humilité (chré-
massives jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Constantin, qui par
tienne ?). L’empereur se mettrait ainsi au même niveau que
sa conversion, fit du christianisme une religion d’État. À la fin
ses soldats. L’honneur que fait Constantin à son cheval est
du IVe s., l’empereur Théodose interdit les cultes païens.

prolongements

c Les formes passives et déponentes du texte peuvent donner l’occasion d’un rappel et de manipulations morphologiques.
Les p. 122 et 123 du chapitre fournissent l’occasion de les travailler.
c Pour prolonger la comparaison entre religion païenne et christianisme, il peut être intéressant de découvrir quels éléments
rituels le christianisme a intégré. Cela peut faire l’objet d’une séance de recherche au CDI (songer notamment à faire rechercher
les étymologies des rites), puis de présentations orales devant la classe.

lecture Justice et raison d’État : la question du juste et de l’injuste


spécialité

1 La raison d’État est-elle juste ? (p. 112)


Pour aborder l’objet d’étude de spécialité « Justice des dieux, justice des hommes », nous avons choisi de com-
mencer par la sous-thématique « Justice et raison d’État » et par le mythe d’Antigone, souvent bien connu des
élèves : sur quoi fonder la justice qui doit régner dans la cité ? qui la fonde ? la raison d’État doit-elle primer sur
l’intérêt particulier ?
L’extrait d’Hygin rapporte ici une version moins habituelle pour nous du mythe d’Antigone. On sensibilisera les
élèves à la dimension universelle du mythe, ici repris par un Romain au Ier s., en France par Jean Anouilh au XXe s.
La mise en scène de Nicolas Briançon (2002) met en évidence la force de conviction d’Antigone et, d’une certaine
manière, l’échec de Créon, qui n’a raison d’elle que parce qu’il est le plus fort. De la même manière, sur le photo-
gramme de la mise en scène de Marc Paquien (2012), Antigone est en position de force.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Platon, s’adressant dans une lettre aux parents et aux amis de Dion de Syracuse, leur écrit : « je finis par me
convaincre que tous les états de notre temps sont mal gouvernés, et que leurs lois sont tellement vicieuses
qu’elles ne subsistent que par une sorte de prodige. Je tirai alors cette conséquence honorable pour la vraie
philosophie, qu’elle seule peut tracer les limites du juste et de l’injuste, soit par rapport aux particuliers, soit
par rapport aux gouvernements, et qu’on ne peut espérer de voir la fin des misères humaines avant que
les vrais philosophes n’arrivent à la tête des gouvernements ou que, par une providence toute divine, ceux
qui ont le pouvoir dans les États ne deviennent eux-mêmes philosophes » (Lettres, VII, 326a-b, traduction de
Victor Cousin, 1826).
Dans une cité dirigée par un roi, voire un tyran, c’est ce dernier qui incarne et rend la justice. S’il ne se réfère
pas à un ordre supérieur, sa justice est éphémère, relative, souvent arbitraire, ne servant d’ailleurs pas
nécessairement l’intérêt général. Dans ces conditions, la loi n’est pas nécessairement juste. Or ce n’est pas
la loi qui doit dicter le juste, mais le juste qui doit dicter la loi (on se reportera sur ce point à L’Esprit des lois de
Montesquieu). Lorsque les individus ne s’en remettent pas à la même définition de ce qui est juste, ils n’ont
pas non plus la même conception de leurs devoirs. L’affrontement aboutit à la victoire du plus fort.

Les dieux dans la cité • 117


TRADUCTION
Créon, fils de Ménécée, proclama que personne1 ne mette en cendre Polynice ou ceux qui étaient venus avec
lui, parce qu’ils étaient venus pour attaquer la patrie ; Antigone, sa sœur, et Argia, son épouse, en cachette, de
nuit, placèrent le corps de Polynice, après l’avoir emporté, sur le même bûcher où Étéocle fut mis en cendre.
Mais, comme elles avaient été surprises par des gardes, Argia s’enfuit, Antigone fut amenée au roi ; lui, il l’a
donné à Hémon, son fils à qui elle était fiancée, pour qu’il la tue. Hémon, épris d’amour, passa outre l’ordre
de son père et confia Antigone à des bergers, et prétendit qu’il l’avait tuée.
1. Quis, mis pour aliquis, est singulier, sujet du verbe traderent à la 3e pers. du pluriel, comme dans cet emploi de Térence : « Aperite aliquis
actutum ostium » (Les Adelphes 4, 4, 27) : « Ouvrez – quelqu’un – vite la porte ! ».

Lire
1. D’après les informations données par le texte : Mégare est la fille de Créon.
Ménécée est le père de Créon. Therimachus et Ophites sont les fils de Mégare et Hercule.
Créon est le père d’Hémon. 2. L’ordre de la narration, la connaissance qu’en ont la plupart
Polynice et Étéocle sont les frères d’Antigone. des élèves, l’aide lexicale et le repérage des couleurs permet-
Argia est l’épouse de Polynice. tront de mener aisément à bien cette activité de compréhen-
Antigone a un fils (d’Hémon ?) dont nous ignorons le nom. sion, qui n’implique pas de traduire les phrases ni l’extrait.

Interpréter
1. Hygin, que la critique assimile au bibliothécaire d’Auguste, après la deuxième intervention du Chœur, Barbara Schultz et
est avant tout un compilateur : dans son ouvrage, il rassemble Robert Hossein s’affrontent sur un pied d’égalité, élevant tour
sous forme de fables plus de 270 récits mythologiques. La nar- à tour la voix, se défiant tour à tour du regard.
ration est rapide et le mythe tient en une quinzaine de lignes. 2. Créon veut assurer l’ordre politique de la cité, après une
On n’indique pas les raisons qui poussent Antigone et Argia à longue période de troubles. Sa justice est fondée sur la loi
agir. Leur but est de rendre les honneurs funèbres, en dépit de promulguée par le pouvoir en place  : «  Maintenant la ville
la loi proclamée par Créon. Elles connaissent le risque, malgré est sauvée, les deux frères ennemis sont morts et Créon, le
leur sang royal, puisqu’elles agissent en cachette. Lorsqu’elles roi, a ordonné qu’à Étéocle, le bon frère, il serait fait d’impo-
sont arrêtées, elles ne manifestent aucune résistance, d’après santes funérailles, mais que Polynice, le vaurien, le révolté,
la fable. Ensuite, Argia échappe à la mort par la fuite. À partir le voyou, serait laissé sans pleurs et sans sépulture, la proie
de la ligne 6, Antigone est sujet d’un verbe passif (« est perduc- des corbeaux et des chacals. Quiconque osera lui rendre les
ta ») ou COD : elle n’agit plus, elle subit. Elle est remise au roi, devoirs funèbres sera impitoyablement puni de mort », dit le
puis à Hémon, puis aux bergers, avant d’être tuée par Hémon Prologue dans l’Antigone de Jean Anouilh. C’est l’autorité, et
(« Haemon se et Antigonam conjugem interfecit »). non la vérité sur le juste, qui fait la loi.
Jean Anouilh fait d’Antigone une résistante, qui va jusqu’au Antigone quant à elle fonde son devoir sur la pietas et le res-
bout de son argumentation et de ses valeurs, jusqu’à la mort. pect immuable et supérieur dû au corps du défunt, que l’on
Elle met Créon face à ses responsabilités et ses contradictions, doit ensevelir : « Je le devais tout de même. Ceux qu’on n’en-
conservant ainsi ce qui fait sa dignité : la liberté de dire oui ou terre pas errent éternellement sans jamais trouver le repos.
de dire non, sans compromission (« Moi, je ne suis pas obligée [Polynice] a droit au repos » (Jean Anouilh, Antigone, La Table
de faire ce que je ne voudrais pas », Jean Anouilh, Antigone, ronde, p. 65-66). En effet, rendre des honneurs funèbres au
La petite Vermillon, p.  80). Dans la mise en scène de Marc cadavre, c’est respecter le corps du défunt et l’ordre divin du
Paquien, la comédienne qui joue Antigone est physiquement monde : « dans le système religieux traditionnel le pas n’est
nettement moins grande, et imposante, que l’homme qui jamais franchi qui, consommant la rupture entre divin et
joue Créon. Même montée sur une chaise, elle le dépasse à corporel, trancherait du même coup cette continuité qu’éta-
peine. Mais c’est précisément le moyen qu’elle trouve pour blit, des dieux aux humains, la présence des mêmes valeurs
s’affirmer face à lui, résolument et sans faillir. Elle se penche vitales, des mêmes qualités de force, d’éclat, de beauté, dont
de tout son corps vers le roi, tout en restant droite, le regard le corps porte le reflet, chez les mortels comme chez les
plein de défiance. À ce titre, on montrera également aux immortels » (Jean-Pierre Vernant, L’Individu, la mort, l’amour,
élèves des extraits de la mise en scène de Nicolas Briançon Folio, 1989, p. 36).
(2002) : au moment de la confrontation d’Antigone et Créon,

Culture
1 et 2. Nous conseillons ici de visionner : « Œdipe, le déchiffreur d’énigmes » et « Antigone, celle qui a dit non », Les
Grands Mythes, Arte, 2015. On proposera aux élèves d’en rendre compte, par groupe éventuellement, sous forme
libre, afin qu’ils/elles s’approprient pleinement les contenus. Des recherches pourront compléter cette activité.

prolongements
Pour familiariser les élèves avec le mythe des Atrides, on les invitera à lire l’Antigone d’Anouilh, par exemple
avec le support de la bande son de la mise en scène de Nicolas Briançon, à laquelle nous renvoyons ici.


118 Les dieux dans la cité
2 Le juste universel existe-t-il ? (p. 113)
« Dans l’esprit du philosophe, développer une conception globale de la justice doit permettre de donner une
réponse à la question générale de l’ordre. Un ensemble n’est consistant que s’il est réglé par un certain ordre. Mais
l’analyse découvre toujours dans le groupement humain un ordre qui se révèle déficient, parcouru de tensions,
de dysfonctionnements. Comment dès lors penser cet ordre instable, imparfait ? En se donnant des modèles de
référence, caractérisés eux par leur stabilité : tel est le rôle que les Anciens ont fait jouer aux dieux ou à la nature,
qui figurent un ordre parfait » (Jean-François Balaudé, Les Théories de la justice dans l’Antiquité, Armand Colin, 1996,
p. 8). Ce modèle de référence fonde le juste, qui lui-même fonde les droits et les devoirs de chaque individu.
Le livre V des Institutions divines s’intitule De Justitia. Dans l’extrait que nous proposons ici, Lactance reprend le
constat de Carnéade : les lois des hommes changent selon leurs intérêts propres, leurs avantages, en fonction
des mœurs et des époques. Le droit est conventionnel : mus par leur nature, autrement dit par leurs penchants
naturels, leurs désirs et leurs passions, certains humains proclament des lois qui, par convention, s’appliquent à
autrui. Le droit n’est pas naturel, au sens où il n’est pas fondé sur la valeur supérieure qu’est la nature universelle,
mue elle-même par le logos des philosophes, c’est-à-dire par la Raison universelle.
Reprenant ici la doctrine stoïcienne, avec laquelle il est loin d’être toujours d’accord, Cicéron affirme précisément
qu’ « il existe en tout cas une loi vraie, la droite raison en accord avec la nature ». Elle est immuable, universelle,
imprescriptible. « Le choix de vie stoïcien postule et exige, à la fois, que l’univers soit rationnel. “Serait-il possible
qu’il y ait l’ordre en nous et que le désordre règne dans le Tout ?” (Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, VI, 27). La
raison humaine qui veut la cohérence logique et dialectique avec elle-même et pose la moralité doit se fonder
dans une Raison du Tout dont elle n’est qu’une parcelle. Vivre conformément à la raison sera donc vivre confor-
mément à la nature, conformément à la Loi universelle, qui meut de l’intérieur l’évolution du monde » (Pierre
Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Folio, 1995, p. 201). Le monde, donc la nature, le cosmos, est une sorte
de Cité fonctionnant comme un organisme parfaitement réglé, mu par une force divine, nécessairement bonne,
qui n’est autre que la Raison ; il suffit que les hommes fondent leurs lois et leurs devoirs sur cette Loi commune.
C’est sur cette dernière que se fonde l’éthique stoïcienne et la théorie des devoirs.

TRADUCTION
Il est en tout cas une loi vraie, la droite raison en accord avec la nature, répandue dans tout, constante, éter-
nelle, qui [nous] appelle au devoir par ses ordres, par son opposition [nous] détourne du préjudice. Mais elle
cependant, ceux qui agissent bien, ce n’est pas en vain qu’elle leur donne des ordres ou s’oppose à eux ; ceux
qui n’agissent pas bien, elle ne les ébranle pas par ses ordres ou son opposition. Et cette loi, la remplacer
n’est pas permis, en ôter quelque chose n’est pas licite, l’abroger tout entière n’est pas possible, et en vérité,
ce n’est ni par le Sénat ni par le peuple que nous pouvons être exemptés de cette loi, il n’est pas besoin d’en
demander un commentateur ou un interprète […], et il n’y aura pas une loi à Rome, une autre à Athènes, une
maintenant, une autre plus tard, mais une seule loi contiendra tous les peuples et en tout temps, éternelle et
immuable, et le dieu, en quelque sorte notre précepteur et notre commandant, sera unique et commun.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES

• Aux livres V et VI des Institutions divines, l’auteur chrétien s’attache à démontrer que ce qui fonde le
juste, c’est Dieu : la justice « nihil aliud est, quam Dei unici pia et religiosa cultura » (V, 7, 2). Il conclut le livre VI
(chap. 25, 16) par cette phrase : « En servant le Seigneur souverain de l’univers et le père commun de tous
les hommes avec cette assiduité et ce zèle, il arrivera à la perfection du christianisme, et remplira tous ses
devoirs » (traduction de J.-A.-C. Buchon, Choix de monuments primitifs de l’Église chrétienne, Paris, Delagrave,
1882). Ainsi, Dieu est le « modèle de référence » pour le chrétien.
• Pour un aperçu sur Les Théories de la justice dans l’Antiquité, on se reportera à l’ouvrage de Jean-François
Balaudé, Armand Colin, 1996, en particulier au chapitre IV, consacré à l’épicurisme et au stoïcisme,
notamment à la notion de philanthropia, qui fonde la moralité et l’éthique.

Langue
1. Le fas est ce qui est licite aux yeux de la loi divine et par la « Licet » signifie « il est permis », mais nous le traduisons par « il
loi naturelle, tandis que le jus est ce qui est licite aux yeux de est licite » pour éviter la répétition.
la loi humaine. « Fas est » peut donc être traduit par « il est « Potest » signifie « il est possible ».
permis », « il est légitime » ; « non fas est » pourrait se traduire 2. Les mots en gras sont des verbes à l’infinitif présent passif.
par « il est tabou de », au sens fort : « interdit d’ordre culturel
3. « Jubendo » et « vetando » sont des gérondifs à l’ablatif. Ils
et/ou religieux qui pèse sur le comportement, le langage, les
peuvent être traduits littéralement par «  en ordonnant/en
mœurs » (CNRTL).
donnant des ordres » et « en s’opposant ».

Les dieux dans la cité • 119


Traduire
1. Dans la première phrase, l’accumulation est constituée par « abrogari », ce qui constitue une homéotéleute. Deux ana-
les adjectifs qui se rapportent à « ratio » : congruens, diffusa, phores rythment ce passage : « nec/neque », « alia ». Relevons
constans, sempiterna. enfin les balancements « et… et » (l. 8 et 10).
Le parallélisme est le suivant : la construction « vocet ad offi- 3. L’extrait à traduire est caractéristique de la prose cicéro-
cium jubendo » (verbe au subjonctif présent/groupe préposi- nienne, rythmée par les répétitions, les balancements, les
tionnel/gérondif à l’ablatif) est reprise par « vetando e fraude parallélismes, l’accumulation. Une fois repérée ces figures de
deterreat » (gérondif à l’ablatif/groupe prépositionnel/verbe style, la difficulté réside dans la traduction de quelques mots,
au subjonctif présent). qui sous-tendent une certaine conception philosophique du
2. Aux lignes 3 à 11, « jubet » est repris par « jubendo » (l. 4), monde : recta ratio (l. 1), officium (l. 2), probos (l. 3), improbos
« vetat » par « vetando » (l. 4) ; il s’agit de polyptotes. Le mot (l. 4). Il est également malaisé de traduire le double sens du
« loi » est également répété (« legi », l. 5, « [lege] », l. 5, « lege », verbe « contineo » (l. 10), à la fois « unifier » et « réprimer » ;
l.  7, «  lex », l.  10). La racine verbale rog- est reprise dans les nous avons choisi « contenir ».
formes dérivées, avec préfixes, «  obrogari  », «  derogari  » et

Comprendre
1. « Pour eux » (l. 1), « selon leur intérêt » (l. 1-2), « selon leurs écrit Arrien, que si tu considères libres les choses par nature
mœurs » (l. 2), « chez les mêmes hommes » (l. 2), « selon les esclaves et propres les choses étrangères, tu seras entravé,
époques » (l. 2-3), « vers leurs propres intérêts » (l. 4), « par une tu pleureras, tu seras troublé, tu blâmeras dieux et hommes,
nature qui les guide » (l. 4-5), « aux avantages d’autrui » (l. 6). mais que si tu considères comme étant tien ce qui seul est
2.  Carnéade est un représentant de la Nouvelle Académie, tien, et l’étranger, comme ça l’est, étranger, personne ne te
autrement dit un disciple de Platon, pour qui le désir des contraindra jamais, personne ne te forcera, tu ne blâmeras
objets sensibles n’est que la partie inférieure de l’âme personne, tu n’accuseras plus personne, tu n’agiras plus une
humaine, laquelle doit apprendre à contempler, grâce à la seule fois malgré toi, personne ne te nuira, tu n’auras pas
raison désintéressée, les idées intelligibles, dégagées du sen- d’ennemi, car tu ne subiras rien de nuisible  ». Les natures
sible fuyant et insaisissable. Les humains, mus par ce désir particulières de chaque individu mènent spontanément au
des objets sensibles, cherchent à assouvir leurs propres inté- malheur.
rêts à travers l’établissement des lois. La doctrine chrétienne Le secret du bonheur tient dans la connaissance de la
a repris des éléments du néoplatonisme, mettant le désir et nature universelle (c’est-à-dire de l’ordre de l’univers dans
les passions sensibles au rang de péché. Pour les chrétiens, lequel nous nous fondons, de la Raison qui meut le cosmos,
l’homme est par nature marqué par la faute du Péché origi- contre laquelle nous ne pouvons rien) et dans l’acceptation
nel, désir de la chair précisément ; il ne peut accéder au Bien volontaire et heureuse de ce qui nous est donné. Agir bien
sans le secours de la grâce divine et du Christ Rédempteur. et droitement consiste à agir en suivant ce que dicte cette
Pour les philosophes stoïciens, comme l’est ici Cicéron, nature transcendante et immuable, Loi de toute chose. « Ne
l’homme est par nature un être de désir et de passions  : il cherche pas à ce que ce qui arrive arrive comme tu le veux,
cherche le plus souvent à atteindre ce qui ne dépend pas de mais veuille que ce qui arrive arrive comme il arrive, et le
lui, au détriment d’autrui, tous recherchant le plus souvent à cours de ta vie sera heureux  » (Arrien, Manuel d’Épictète,
atteindre les mêmes objets de désir et de passions. Les inté- § 8, traduit par P. Hadot, Le Livre de poche, 2000, p. 169). La
rêts individuels se heurtent et l’homme est plongé dans le nature universelle et la nature humaine ne sont conciliables
malheur de la frustration permanente : « Rappelle-toi donc, que si celle-ci est éduquée à suivre celle-là.

lecture Culpabilité et responsabilité : à qui la faute ?


spécialité

1  L’accusateur accusé (p. 114)


La lettre que nous proposons de lire est adressée à Titus Calestrius Tiro, un sénateur romain qui fit carrière dans
l’administration impériale, jusqu’à devenir consul suffect en 122. Pline lui fait part de sa participation au conseil
de l’empereur dans une affaire « importante pour tous ceux qui gouverneront des provinces » (l. 1). Trajan était
rentré de Dacie à la fin de l’année 106 ; le sort vient d’attribuer à Tiron une province (on sait par d’autres lettres de
Pline qu’il sera établi en Bétique) ; or les gouverneurs ne s’y rendaient pas avant la fin du mois d’avril ; on peut donc
dater cette lettre du début de l’année 107).
«  C’est avec le développement du Principat qu’apparaît et s’affirme ce nouveau type de procédure que l’on
appelle en latin cognitio extraordinaria. […] Liée à l’autorité du prince en matière de justice et à ses interventions
dans ce domaine, elle se trouva rapidement entre les mains de ses fonctionnaires. Ainsi s’instaure une procédure
plus simple, où seul l’empereur, ou le juge, joue un rôle véritable ; la division du procès en deux phases disparaît :
celui qui examine les prétentions des deux parties examine également les preuves pour statuer. En outre, le juge,
devenu un représentant de l’autorité publique, dispose de moyens de contrainte pour assurer la comparution des
parties et l’exécution de la sentence » (Michel Ducos, Rome et le droit, Le Livre de poche, 1996, p. 130).
Dans cette affaire, le collaborateur d’un magistrat a accusé ce dernier, l’un de ses proches ; mais ce collaborateur
fut ensuite lui-même accusé, et condamné par son supérieur, pour avoir trompé celui-là même qu’il accusait…


120 Les dieux dans la cité
TRADUCTION
Et cela, je te l’écris afin de t’avertir, toi qui as tiré au sort
une province : aies principalement confiance en toi et ne
te fies pas trop à quiconque ; ensuite sache, si quelqu’un
d’aventure – ce que j’écarte de mes vœux – te trompe,
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
que la vengeance est prête ; cependant, prends garde que
cela ne soit pas nécessaire, encore et encore. Et en effet • Pline le Jeune est né en 61 ou 62 et mort entre 113
il n’est pas aussi plaisant d’être vengé que déplorable et 115. Il avait près de vingt ans à l’avènement de Titus,
d’être trompé. Porte-toi bien. près de quarante lorsque Trajan devint empereur.
Avocat, il fut sénateur, proche de l’empereur Trajan,
O
consul suffect en 100 et gouverneur de la province
DÉ 1
de Bithynie et Pont entre 111 et 113. La critique débat
1
VI

toujours pour savoir si les lettres de Pline sont le fruit


Visite virtuelle ®
d’une correspondance authentique ou bien le prétexte
Pour se plonger, autant qu’il est possible, dans l’ambiance d’un procès à des exercices de style et le moyen de se mettre en
ordinaire de la Rome impériale, nous proposons une visite virtuelle valeur, pour ne pas dire en scène.
de la Basilique Julia au Forum républicain et de la basilique Ulpienne
au Forum de Trajan. Le concilium Principis, quant à lui, pouvait se • On consultera avec intérêt l’ouvrage de Michèle Ducos,
réunir dans une salle du palais impérial, dans lequel nous entrons Rome et le droit, Le Livre de poche, 1996, en particulier
également. Il est nécessaire de peupler par l’imagination ces lieux le chapitre VII, sur « La procédure ». On recommandera
qui, s’ils sont admirablement restitués, n’en sont pas moins vides aux élèves la lecture cursive du Pour T. Annius Milon de
d’hommes ; il est également important de rappeler aux élèves que Cicéron (édition Classiques en poche) et/ou celle de
ces lieux étaient particulièrement vivants. Meurtre sur la via Appia, de Steven Saylor, 10/18.

Lexique
1. Res acta est : « Une affaire fut jugée » / flagitiis : « scandales » / On peut regrouper les mots en trois ensembles  : les mots
accusaret : « accusait » / cognitio : « la procédure » / in consilio : relatifs à l’action judiciaire en elle-même, les mots relatifs à
« au conseil » / uterque egit : « chacun plaida » / egit : « plaida » / l’accusation ou à la défense, les mots relatifs au crime et à sa
testamentum suum : « son testament » / querendi : « de pour- condamnation.
suivre » / crimina : « chefs d’accusation » / diluere : « se discul- 2. Les mots exprimant la confiance sont : praemonerem (l. 23),
per » / dum defenditur : « au moment de se défendre » / dum credas (l. 24), fidas (l. 24), scias (l. 24).
accusat : « au moment d’accuser » / Damnatus est et relegatus :
Les mots exprimant la tromperie sont  : fallat (l.  25), decipi
« il fut condamné et relégué » / defensus : « s’étant défendu » /
(l. 27).
accusavit : « il accusa »

Traduire
1. « Sortitum » signifie littéralement « ayant tiré au sort » ou 3. L’extrait à traduire compte 45 mots. Les questions précé-
« ayant obtenu du sort ». dentes auront permis d’en repérer la structure et d’en com-
« Abominor » signifie littéralement : « j’écarte ». prendre le sens global. L’expression la plus difficile est tra-
2. Les propositions sont les suivantes : « ut te sortitum provin- duite en note 4.
ciam praemonerem », « si quis forte fallat », « quod abominor »,
« ne sit opus ».

Comprendre
1.  Les éléments caractéristiques de la lettre sont  : l’emploi irréfutables, Trajan ne fut peut-être pas si admirable que le
de la 1re et de la 2e personnes du singulier, la formule d’appel signale Pline, maniant ici possiblement l’hyperbole.
« C. Plinius Tironi suo salutem dat » (l. 1) et la formule de saluta- 3. Pline fustige la mauvaise foi de celui qui accuse alors qu’il
tion « vale » (l. 27). est lui-même le premier trompeur. Il défend une procédure où
2. Pline ne manque pas l’occasion de faire l’éloge du prince, chaque partie peut exposer les faits et produire ses preuves,
comme il l’avait longuement fait dans son Panégyrique de et où les faits sont traités non pas de manière globale (l’ac-
Trajan, composé en 100 à l’occasion de sa nomination au cusé et l’accusateur parlant à tour de rôle d’un trait, sans être
Sénat romain par l’empereur. En l’occurrence, Pline loue la interrompus), mais point par point, chacun pouvant répondre
manière dont le prince mena l’instruction au moment de sta- sur chaque élément l’un après l’autre, « manière de faire par
tuer, après avoir examiné les prétentions des deux parties et laquelle la vérité est aussitôt révélée » (l. 9-10). L’empereur a ici
examiné leurs preuves. Lustricius Bruttianus a déposé plainte été « saisi en première instance : il prend des décisions (decre-
devant Trajan parce que l’un de ses collaborateurs, Montanus ta) en son conseil. […] Par les conditions mêmes où elles sont
Atticinus l’avait accusé après l’avoir lui-même trompé, ce que prises, ces sentences échappent au cadre ordinaire du pro-
comprit parfaitement Trajan. C’est donc immédiatement sur cès : l’empereur statue avec plus de liberté » (M. Ducos, Rome
le cas d’Atticinus que l’empereur demanda au conseil son et le droit, Le Livre de poche, 1996, p. 131). Il ne s’agit donc pas
avis, avant de statuer. Cela dit, les preuves étant, semble-t-il, d’une justice ordinaire, ni populaire.

Les dieux dans la cité • 121


Biblio
La lecture cursive, en édition bilingue de préférence, de l’Œdipe de Sénèque permettra aux élèves de se familiariser avec le cycle
thébain et la malédiction des Atrides, avec les notions de destin, de justice et culpabilité, enfin avec le théâtre latin. Ce sera pour
la plupart d’entre eux/elles une découverte. La pièce de Jean Cocteau sera l’occasion de lire une réécriture du mythe et de confronter
deux œuvres à la fois si proches et si différentes. Des ponts pourront être établis entre monde antique et monde contemporain.

2 Étrange justice, étrange accusé (p. 115)


Dans L’Étranger, à travers le procès de Meursault, Albert Camus pose la question de la responsabilité. Sommes-
nous responsables de tous nos actes ? L’homme est-il maître de tout ce qu’il fait ? S’il ne fait aucun doute que le
personnage principal est coupable d’avoir tué un Arabe sur une plage en plein midi, a-t-il agi volontairement et
délibérément ? La question se pose d’autant plus au sujet de cet homme, qui est comme étranger à lui-même et
à son existence, laquelle est jugée d’emblée immorale par une société figée dans ses normes. On pourra lire aux
élèves les deux dernières pages de la première partie du roman.
La narration du procès, et en particulier l’extrait que nous proposons, permet également de mettre en évidence le
fait que les acteurs agissent à la place de l’intéressé lui-même. N’est-il pas étrange que l’accusé n’ait pas le droit à la
parole ? Est-il légitime de s’arroger le droit de juger un homme autre que soi ainsi que des actes que nous n’avons
pas commis, quand l’intéressé est lui-même bien en peine de discerner ce qui s’est passé ?
Le photogramme de l’adaptation filmée met en évidence la solitude de l’accusé face à la certitude commune des
jurés et des magistrats.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Pour des éclairages sur la peine de mort, son application, son abolition, nous revoyons aux liens suivants :
– www.vie-publique.fr/dossier/19493-labolition-de-la-peine-de-mort-en-france
– www.vie-publique.fr/eclairage/19448-lapplication-de-la-peine-de-mort-en-france-avant-1981
– www.vie-publique.fr/eclairage/19572-les-crimes-passibles-de-la-peine-de-mort-avant-1981

Confronter
1.  Le roman s’intitule L’Étranger car le personnage principal décor. Il sera également intéressant de repérer les lignes de
est comme étranger à lui-même et à sa propre existence. À force et le point de fuite, dirigé vers le visage de l’accusé, lui-
travers lui, l’auteur nous invite à nous interroger sur notre même placé à l’extrême droite. On remarquera les différents
propre conscience d’exister. visages de l’auditoire suspicieux, la position des magistrats
Dans le texte, les éléments qui montrent l’étrangeté de qui se retournent vers l’accusé, la dignité de Meursault.
Meursault sont : « d’entendre parler de soi » (l. 2), « on a beau- 3. Pline indique que « uterque egit pour son propre compte »
coup parlé de moi et peut-être plus de moi que de mon (l. 8) : tour à tour l’accusateur et l’accusé plaident leur propre
crime » (l. 5), « Taisez-vous, cela vaut mieux pour votre affaire » cause. Dans l’extrait de L’Étranger, l’accusé n’a pas le droit à la
(l. 12), « on avait l’air de traiter cette affaire en dehors de moi » parole, qu’assume exclusivement son avocat.
(l.  13-14), «  tout se déroulait sans mon intervention  » (l.  14), 4. Cette question pose celle de la professionnalisation de la
« mon sort se réglait sans qu’on prenne mon avis » (l. 14-15), parole publique en général, en particulier de la parole judi-
« je n’avais rien à dire » (l. 19), « la plaidoirie du procureur m’a ciaire. Cette professionnalisation a commencé avec les logo-
très vite lassé » (l. 22-23), « j’écoutais et j’entendais qu’on me graphes à Athènes, s’est développée et poursuivie avec les
jugeait intelligent » (l. 26-27), « mais je ne comprenais pas bien sophistes et les rhéteurs, avant d’être pratiquée par les ora-
comment les qualités d’un homme ordinaire pouvaient deve- teurs romains. La justice occidentale est l’héritière de ces
nir des charges écrasantes contre un coupable » (l. 27-29). pratiques. La question qui se pose est celle de la vérité : qui
2. On invitera les élèves à identifier et décrire minutieusement connaît mieux un individu que cet individu lui-même ? Pour
les différents éléments du photogramme du film de Luchino autant l’individu est-il en mesure de se juger lui-même ? Il
Visconti. On pourra par exemple s’arrêter sur un personnage, sera intéressant ici d’animer un débat dans la classe.
un groupe, un geste, un vêtement, une position, un objet, le

prolongements
Ces questions font écho à cette phrase d’André Malraux : « juger c’est ne pas comprendre, car si l’on comprenait on ne pourrait pas
juger » (Les Conquérants, 1928). Elles sont d’autant plus cruciales que Meursault est condamné à la peine de mort. À ce titre, le roman
peut également être lu comme un plaidoyer contre la peine capitale. On pourra retracer avec les élèves l’histoire de l’application et
de l’abolition de la peine de mort depuis le XVIIIe s., et préciser les crimes qui en étaient passibles. On pourra également écouter et
lire le discours de Robert Badinter devant l’Assemblée Nationale le 17 septembre 1981.


122 Les dieux dans la cité
pistes pour construire un portfolio

• Diptyque textuel : on pourra inviter les élèves à confronter l’affrontement entre Créon
et Antigone avec le chapitre XIV de Vol de nuit d’Antoine de Saint-Exupéry, où s’affronte
l’intérêt général des services de l’aéropostale et l’intérêt particulier de la femme du
pilote Fabien : « L’intérêt général est formé des intérêts particuliers : il ne justifie rien
de plus. » – « Et pourtant […], si la vie humaine n’a pas de prix, nous agissons toujours
comme si quelque chose dépassait, en valeur, la vie humaine… Mais quoi ? » (Œuvres,
Bibliothèque de la Pléiade, 1959, p. 120).
• Diptyque iconographique : monnaies d’époque impériale représentant la Justitia
Augusta, et un extrait de l’adaptation de L’Étranger par Luchino Visconti (1967).

lecture Crimes et châtiments


spécialité

1 Les pires des supplices (p. 116)


Nous proposons de faire découvrir ou redécouvrir, à travers la lecture d’une fable de Phèdre, cinq figures
mythologiques dont le point commun est de faire partie des suppliciés des Enfers : Ixion, Sisyphe, Tantale, les
Danaïdes, Tityos.
La compréhension du texte sera facilitée par les encadrés, qui séquencent la fable en autant de moralités, et
qui sont traduits en regard. Les questions de la rubrique Lire ne poseront ainsi aucune difficulté. En fonction
des objectifs de la séance et du niveau des élèves, la lecture-compréhension pourra être approfondie par une
activité de traduction, de tout ou partie de la fable. On peut imaginer ici une traduction à plusieurs mains.
Dans un second temps, nous proposons d’effectuer des recherches sur les personnages qui auront été identi-
fiés. Seront sélectionnées une ou plusieurs œuvres plastiques pour illustrer ces recherches, œuvres plastiques
dont les élèves justifieront le choix et qu’ils/elles décriront précisément. À ce titre, il sera particulièrement inté-
ressant de confronter les différentes versions du mythe de Sisyphe à la représentation de Perséphone surveillant
Sisyphe figurée sur l’amphore attique.

TRADUCTION
Les châtiments des Enfers
Ixion qui, dit-on, tourne sur une roue,
enseigne que l’inconstante Fortune est ballotée.
Penché sur de hautes montagnes, Sisyphe pousse
un rocher à grand peine, qui du sommet,
annulant son effort, toujours roule en arrière :
il montre que les misères des hommes sont sans fin.
Dans le fait que Tantale se tient debout au milieu d’un fleuve,
les avares sont représentés, eux qu’inondent
les biens dont ils usent mais qu’ils ne peuvent en rien atteindre.
Dans des vases, les criminelles Danaïdes portent de l’eau,
et ne peuvent remplir les jarres percées :
en réalité, tout ce qu’on consacre au plaisir coule à perte. INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Sur neuf arpents, Tityos est étendu, Pour approfondir la connaissance et la
offrant à un sinistre châtiment son foie renaissant : réflexion sur les condamnés des Enfers,
par là, celui qui possède un plus grand lopin de terre, on visionnera « Tartare, les damnés de la
on s’aperçoit qu’à cause de cela il est affecté de plus graves soucis. terre », Les Grands Mythes, Arte, 2015.
À dessein l’Antiquité dissimule la vérité, Sur Albert Camus, on écoutera : « Albert
afin que le sage la comprenne, que l’ignorant s’égare. Camus, œuvre et vie », France Culture.

Lire
1. Les personnages et leurs supplices sont : Ixion tournant sur une roue, Sisyphe remontant son rocher, Tantale au
milieu d’un fleuve, les Danaïdes emplissant leurs jarres, Tityos offrant son foie en pâture.
2. A - 2 / B - 4 / C - 1 / D - 5 / E - 3

Les dieux dans la cité • 123


Culture
1. Nous conseillons de répartir les recherches entre les élèves, Internet doivent être de bonne qualité, être référencées pré-
éventuellement par groupes, avec un temps de présentation cisément, provenir d’un site qui fait autorité en la matière, en
et de mise en commun ensuite ; les différentes versions des particulier ceux des musées nationaux ou archéologiques
mythes seront évoquées. (Musée du Louvre, du Capitole, du Vatican, Musée archéolo-
2.  Cette recherche iconographique sera l’occasion de rap- gique de Naples, de Delphes…).
peler aux élèves que les illustrations qu’ils/elles trouvent sur

Comprendre
1.  Le supplice d’Ixion est lié au motif de la roue. En effet, noces : seule Hypermnestre avait épargné son mari Lyncée, qui
comme châtiment de ses crimes, Zeus attacha Ixion à une l’avait respectée. Elles incarnent ici le plaisir qui, s’il est exces-
roue enflammée, tournant sans cesse et lancée à travers le sif, mène à la frustration et au malheur. Les épicuriens eux-
ciel. Or la roue est l’un des attributs traditionnels de la déesse mêmes prônaient l’ascèse des désirs et des plaisirs. Il suffit de
de la chance Fortuna : on la représente debout sur une roue, désirer seulement ce qui est nécessaire à la vie, et apprendre
signe de sa versatilité, et les yeux bandés, signe de son aveu- à se satisfaire de ce peu, pour être heureux : « Voix de la chair,
glement. La rota Fortunae symbolise donc les caprices du ne pas avoir faim, ne pas avoir soif, ne pas avoir froid ; celui qui
destin. Au XVe s., une enluminure d’un manuscrit des Échecs dispose de cela, et a l’espoir d’en disposer à l’avenir, peut lutter
amoureux d’Évrard de Conty, représente Fortune tournant même avec Zeus pour le bonheur » (Sentences vaticanes, 33,
une roue munie d’une manivelle, comme celle d’un rouet. traduction de J.-F. Balaudé, cité par P. Hadot, Qu’est-ce que la
Albert Camus a fait de la figure de Sisyphe l’incarnation de philosophie antique ?, Folio, 1995, p. 178-179).
l’absurdité de la condition humaine, tragique quand elle est 2.  Ce texte relève du genre de la fable en particulier parce
consciente d’elle-même  : «  si ce mythe est tragique, c’est qu’il possède un titre, qu’il est en vers, qu’il évoque des figures
que son héros est conscient. Où serait en effet sa peine, mythologiques, qu’il est rythmé par les cinq moralités.
si à chaque pas l’espoir de réussir le soutenait ?  » (Le Mythe 3. On s’appuiera sur les connaissances des élèves, qui rappel-
de Sisyphe, Folio, 1942, p.  165). Ce qui ne signifie pas que leront sans difficulté les caractéristiques principales du genre
l’homme soit voué à un échec absolu : « Je laisse Sisyphe au de la fable chez La Fontaine : texte narratif bref, en vers régu-
bas de la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais liers mais divers, mettant en scène des animaux personnifiés
Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et qui s’opposent d’une manière ou d’une autre, énonçant au
soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet uni- début ou à la fin une moralité.
vers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile. […]
Le genre de la fable dans l’Antiquité est moins homogène. Les
La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur
premières fables, chez Hésiode par exemple dans Les Travaux
d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. C’est le sens la
et les Jours, n’étaient pas des récits autonomes mais des récits
révolte et de l’action. »
insérés dans des narrations plus longues, à titre d’illustration.
Tantale incarne l’homme insatiable qui, bien que plongé La fable se constitue en genre littéraire avec Ésope, en Grèce,
dans les richesses et dans les biens, ne peut en réalité pas au VIIe-VIe s. av. J.-C. Ses fables, rédigées en prose, sont géné-
les atteindre, puisque les biens sont extérieurs à lui, n’étant ralement courtes et mettent le plus souvent en scène deux
pas constitutifs de sa propre nature. Les biens matériels nous personnages, animaux, dieux ou hommes. À Rome, Phèdre
échappent fondamentalement. C’est la raison pour laquelle et Hygin ont repris et adapté le genre : Phèdre écrit en vers,
les doctrines philosophiques enjoignaient aux progressants et traite les mêmes thèmes qu’Ésope ; Hygin écrit en prose,
de s’en détourner  : les épicuriens par l’ascèse des désirs ; traitant de sujets mythologiques.
les stoïciens parce qu’elles font partie des choses «  qui ne
On se reportera ici aux deux ouvrages suivants  : Suzanne
dépendent pas de nous ».
Saïd, Monique Trédé, Alain Le Boulluec, Histoire de la littéra-
Les cinquante Danaïdes furent condamnées, aux Enfers, à ver- ture grecque, PUF, 1997 et René Martin et Jacques Gaillard,
ser éternellement de l’eau dans un vase percé, parce qu’elles Les Genres littéraires à Rome, Nathan, 1990, en particulier aux
avaient toutes coupé la tête de leur mari lors de leur nuit de p. 162-169.

prolongements
L’un des objectifs pourra également être de faire réfléchir sur ce que peuvent nous « dire » les mythes aujourd’hui, comment nous
pouvons en renouveler la lecture à la lumière des interrogations de l’homme contemporain. On pourra faire lire le chapitre
« Le mythe de Sisyphe », dans l’essai du même titre d’Albert Camus, et ouvrir des pistes de réflexion sur la condition humaine,
les notions de tragique et d’absurde, de destin et de révolte. On pourra dès lors inviter les élèves à réfléchir sur le sens de chacune
des leçons de sagesse associées aux différents supplices, et, par-là, sur les enjeux du genre de la fable.

2 Livrés à la vindicte populaire (p. 117)


Si, aux Enfers, les châtiments des suppliciés sont cruels, la justice humaine prévoit aussi des peines terribles. On
pense notamment à la cérémonie rituelle que décrit Plutarque (Vie de Numa, § 10), durant laquelle une vestale
coupable était enterrée vivante, dans une chambre souterraine, à la Porte Colline ; le récit du Messager à la fin de
l’Antigone d’Anouilh nous donne, par exemple, une certaine idée de ce supplice.
Sur le Capitole, trois endroits sont destinés à l’exécution des peines capitales. Le Tullianum : « il est de tous côtés
fermé par des murs, et couvert d’une voûte en pierres de taille ; et la saleté, l’obscurité, l’odeur lui donnent un


124 Les dieux dans la cité
aspect sinistre et terrifiant » (Salluste, Conjuration de Catilina, LV, traduction d’Alfred Ernout, Classiques en poche,
2002). C’est là que Jugurtha mourut de faim vers 104, que Cicéron fit étrangler les complices de Catilina en 63,
que fut emprisonné Séjan avant que son corps ne soit exposé sur l’escalier aux Gémonies. La Roche Tarpéienne,
que certains archéologues placent au sud-est de l’arx, partie proéminente au nord du Capitole, c’est-à-dire juste
au-dessus du Tullianum. L’escalier aux Gémonies, qui permettait de descendre du Capitole au Forum. « Proches
l’un de l’autre, ces trois points occupaient une position centrale au cœur de la cité, à la jonction de la citadelle et
de la place publique, à l’intérieur, bien sûr, du pomerium, la limite religieuse de l’Urbs. La justice et le châtiment
s’exerçaient ainsi au milieu des lieux de rencontre et de réunion de la communauté civique » (Jean-Michel David,
« Du Comitium à la roche Tarpéienne », dans Du châtiment dans la cité, École française de Rome, 1984, p. 134). Tout
proche, se trouve le temple de la Concorde, qui symbolise l’unité du peuple romain, le compromis entre patri-
ciens et plébéiens, la paix entre les ordres.
Sur l’escalier aux Gémonies, on abandonnait les corps des condamnés durant quelques jours, avant de les traîner
à l’aide de crocs jusqu’au Tibre à travers les rues de Rome. Ainsi, le corps humain était privé de vie, mais également
de mémoire : « l’outrage porte l’horreur à son comble. Le corps est mis en pièces en même temps que dévoré
tout cru au lieu d’être livré au feu qui, en le brûlant, le restitue dans l’intégralité de sa forme à l’au-delà. Le héros
dont le corps est ainsi livré à la voracité des bêtes sauvages est exclu de la mort en même temps que déchu de la
condition humaine » (J.- P. Vernant, L’Individu, la mort, l’amour, Folio, 1989, p. 74).

TRADUCTION
On décida après cela qu’on se tournerait vers les autres enfants de
Séjan, bien que la colère du peuple soit en train de se dissiper et que
la plupart des gens eussent été calmés par les supplices antérieurs. Ils
sont donc portés en prison, le fils comprenant ce qui allait se passer,
la fille le soupçonnant si peu que souvent elle demandait pour quelle
faute et où elle était traînée : et elle ne recommencerait plus et on INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
pouvait la corriger du châtiment réservé aux enfants. Les auteurs de
Pour une vue d’ensemble de la ville de
cette époque rapportent que, parce qu’on pensait n’avoir jamais vu
Rome au début du IVe siècle, on consultera
une vierge être punie du supplice infligé par un triumvir, elle fut prise
l’ouvrage de Gilles Chaillet, Dans la Rome des
de force par son bourreau près de la potence ; en tout cas, étranglés Césars, Glénat, 2004, en particulier le plan
à la gorge, les corps d’enfants de cet âge furent jetés aux Gémonies. dépliable en grand format.

O
DÉ 1
2
VI

Visite virtuelle ®
Nous proposons une visite virtuelle de Rome, menant de l’escalier aux Gémonies aux quais du Tibre : l’itinéraire passe devant
le temple de la Concorde, puis devant celui de Saturne, dont le podium abritait la banque de Rome, et longe la Basilique Julienne
bordant le Forum ; on emprunte ensuite le vicus Tuscus pour descendre vers le Forum Boarium et atteindre le fleuve. Les cadavres
étaient ainsi outragés, privés de sépulture, privés même de mort puisqu’ils ne pourraient franchir les portes des Enfers. Renvoyés
au chaos, à une entière inhumanité. Effacés de la mémoire des vivants.

Lexique
1. Cette activité pourra faire l’objet d’un travail sur l’étymo- « supplique », « supplication » ;
logie et la constitution des familles de mots à l’aide d’un dic- « carnifice » de « carne », « carnage », « carnassier », « carnaval »,
tionnaire étymologique. « carogne », « charnier » ;
« Vanescente » est à rapprocher de « évanescent », « évanes- « Gemonias » de « gémir », « gémissement », « geindre » ;
cence », « s’évanouir » ; « abjecta » de « abject », « abjection ».
« plebis » de « plèbe » ; 2.  «  Dans la Rome antique, escalier au flanc nord-ouest du
« ira » de « ire », « irascible », « irascibilité » ; Capitole sur lequel on exposait les cadavres des suppliciés
« priora » de « priorité », « prioritaire », « premier », « prieur », qui étaient ensuite traînés à l’aide de crocs jusqu’au Tibre »
« a priori » ; (CNRTL). En latin, le nom Gemoniae, «  Gémonies  », dérive
«  carcerem  » de «  carcel  » en espagnol, «  incarcérer  », du verbe gemo, « gémir, déplorer, se plaindre ». L’expression
« incarcération » ; «  vouer aux Gémonies  » signifie promettre à un avenir
« delictum » de « délit », « déclictueux », « délinquance » ; funeste, à une vie pleine d’outrages et de peines ; au sens
«  supplicio  » de «  supplice  », «  supplicier  », «  supplier  », faible, « vilipender ».

Traduire
1.  Les propositions soulignées sont des propositions par- complément circonstanciel d’opposition signifiant «  la plu-
ticipiales à l’ablatif. «  Vanescente quamquam plebis ira  » est part des gens ayant été calmés par les supplices antérieurs ».
un complément circonstanciel d’opposition, que l’on peut «  Oblisis faucibus  » est un complément circonstanciel de
traduire littéralement par « la colère de la plèbe se dissipant temps et de cause : « les gorges ayant été étranglées ».
cependant  ». «  Plerisque per priora supplicia lenitis  » est un

Les dieux dans la cité • 125


2. Le verbe « interrogaret » est complété par les propositions personne du singulier (voir leçon 5.2, 4e point, p.  189). La
interrogatives « ob quod delictum et quo traheretur ». deuxième difficulté tient à l’emploi du discours indirect libre
3. Cet extrait de Tacite n’est pas simple à traduire. La première (l. 5-6), les propositions infinitives entre guillemets n’étant pas
difficulté est constituée par les formes « placitum », « adverte- introduites par un verbe de parole. On révisera également la
retur » (l. 1) et « habebatur » (l. 7), « on tenait pour » : on révi- proposition infinitive (voir leçon 8.2 p. 195).
sera avec intérêt l’emploi du passif impersonnel à la troisième

Interpréter
1. L’expression qui montre que l’historien Tacite prend de la En l’occurrence, la procédure semble respectée  : le terme
distance par rapport à son récit est «  Tradunt temporis ejus « placitum » (l. 1) fait référence à une décision du Sénat ; les
auctores ». condamnés sont ensuite menés en prison, puis étranglés,
2.  Tacite semble porter un jugement sévère sur cet événe- enfin jetés sur l’escalier aux Gémonies. Les deux enfants de
ment. Il rappelle en effet que la décision de s’en prendre aux Séjan, comme leur père, ne sont pas des cas isolés.
enfants de Séjan, qui étaient mineurs et légalement « irrespon- Il n’en reste pas moins que l’auteur semble condamner un
sables », a été prise alors que la colère du peuple s’était apaisée certain acharnement contre des innocents, comme nous
et que la plupart des gens étaient repus des premiers supplices l’avons vu précédemment. Il n’est en particulier fait aucune
commis contre Séjan et d’autres citoyens accusés d’avoir com- mention d’un procès. L’exposition des corps sur l’escalier aux
ploté contre l’empereur. De plus, on ne précise pas qui a pris Gémonies est un abandon à la vindicte populaire, outran-
cette décision, comme si les événements s’étaient précipités. cière et outrageuse.
L’emploi de « igitur » (l. 3) renforce cette idée : à peine la décision Ce sera l’occasion de retracer l’histoire de la peine de mort,
prise, les enfants sont menés en prison, sans jugement, si l’on de son usage et de son abolition, en France en particulier. On
en croit l’auteur. L’innocence, au sens propre et au sens figuré, rappellera notamment que le dernier prisonnier à avoir été
des deux enfants est mise en évidence par le parallélisme de guillotiné en France est Hamida Djandoubi, le 10 septembre
construction « filius… intellegens » et « puella… nescia », ainsi 1977. On pourra également revenir sur le sombre épisode
que par l’emploi du verbe « interrogaret » (l. 4) complété par des tondues de la Libération et sur le cas de Simone Touzeau,
deux propositions interrogatives, et par l’emploi du discours chartraine livrée au lynchage public, photographiée par
indirect libre (l. 5-6), où s’exprime l’angoisse de la fillette. Le viol Robert Capa le 16 ou le 18 août 1944.
de cette dernière par son bourreau est légitimé par une sup-
D’une manière générale, l’extrait de Tacite pose cette ques-
position qui apparaît comme un prétexte (« on pensait n’avoir
tion : pourquoi jeter à la vindicte populaire des boucs émis-
jamais vu une vierge être punie du supplice infligé par un triu-
saires, en l’occurrence les enfants de Séjan ? On s’appuiera sur
mvir »), et mis en évidence par la litote « compressam ». Enfin,
les réflexions de René Girard dans Le Bouc émissaire, dans une
l’auteur semble condamner le fait qu’on ait jeté aux Gémonies
analyse qui « de Socrate à nos modernes Goulags, traque la
des corps d’enfants (« id aetatis », l. 9).
grande constante des sociétés humaines, le fait de la persé-
3.  On invitera ici les élèves, pourquoi pas dans le cadre cution comme principe originaire et structurel de tout ordre
d’un débat, à réfléchir sur la notion de justice : qu’est-ce qui social  » (René Girard, Le Bouc émissaire, Le livre de poche,
fonde le juste et la justice ? Quelles instances sont fondées 1982, avant-propos).
à rendre la justice ? Les lois sont-elles toujours justes ? Ce
qui semble injuste aujourd’hui était-il considéré comme tel
dans l’Antiquité ?

lecture Mesure et démesure : hubris et furor

1 La fureur d’Hercule (p. 118)


«  Est furiosus celui que son aliénation mentale rend dangereux pour sa vie comme pour celle des autres. En
d’autres termes, c’est l’être atteint de folie meurtrière, le fou furieux, dont l’état est d’ailleurs fait de crises passa-
gères, de périodes de rémission et de moments de lucidité » (Jacques-Henri Michel, « La folie avant Foucault : furor
et ferocia », dans L’Antiquité classique, 1981, p. 517-518). Le titre de la pièce de Sénèque que la traduction manuscrite
nous a légué est à cet égard significatif : l’œuvre met en scène Hercules furens, autrement dit, « Hercule étant en
furie », de manière passagère, donc. De même, le héros Ajax dans la pièce éponyme de Sophocle.
« Est au contraire insanus, stultus, desipiens, celui dont l’esprit, d’une manière ou d’une autre, est déréglé, mais sans
constituer pour autant un risque pour lui-même ou pour son entourage, et quels que soient par ailleurs les effets
de la maladie mentale sur son intelligence ou sur sa volonté » (Ibid).
Au sens fort, le furor est une aliénation mentale qui emporte celui qui en est victime, poussé par les Furies au meurtre
et/ou à la destruction. Dans notre extrait, la folie d’Hercule est due à la colère de Junon. La puissance de son égare-
ment est mise en scène par le sculpteur Antonio Canova, dans une représentation néo-classique du héros.
À l’opposé du furor, la droite raison des stoïciens, citadelle intérieure inébranlable. La pièce de Sénèque a pu être
interprétée comme la condamnation par le philosophe de l’incapacité des hommes à maîtriser leur égarement
soudain et inexpliqué, passant ainsi du faîte de la gloire au dégoût de soi. Hercule était revenu en héros à Thèbes,
qu’il venait de débarrasser de Lycos, usurpateur du trône ; c’est à ce moment qu’il tue, dans un accès de folie,
sa propre femme, Mégare, et ses enfants, sous les yeux ahuris de son père adoptif, Amphitryon. Puis il tombe
dans un profond sommeil. À son réveil, il prend la mesure de son crime et envisage le suicide. Sur les instances


126 Les dieux dans la cité
d’Amphitryon et de Thésée, il y renonce et accepte de vivre malgré ses épreuves. Hercule peut alors apparaître
comme le modèle du héros stoïcien qui accepte son destin tel qu’il est.
Mais cette interprétation n’est possible que si l’on considère, avec les stoïciens, que c’est la Providence, fondamen-
talement bonne et droite, qui gouverne le monde ; or dans cette pièce à sujet mythologique, c’est bien plutôt les
querelles incessantes qu’entretiennent les dieux et les déesses entre eux qui sont la cause des malheurs du héros.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES

• Sur la notion de furor, on lira avec intérêt l’article de Jacques-Henri Michel, « La folie
avant Foucault : furor et ferocia », dans L’Antiquité classique, année 1981.
• Pour une introduction au théâtre romain en général et au théâtre de Sénèque en
particulier, on se reportera à l’ouvrage de Jean-Christian Dumont et Marie-Hélène
François-Garelli, Le Théâtre à Rome, Le livre de poche, 1998, en particulier au chapitre V
consacré à Sénèque, p. 138-174.

TRADUCTION
Tu n’as pas encore immolé, mon fils : achève le sacrifice.
Elle se tient debout, là, près de l’autel, la victime, elle attend une main,
le cou incliné : « Me voici, j’accours, je viens :
frappe ». – Que se passe-t-il ? L’acuité de mes yeux se trouble-t-elle
et la douleur affaiblit-t-elle ma vue ? Ou vois-je d’Hercule
les mains tremblantes ? Son corps tombe de sommeil
et son cou fatigué, sous le poids de sa tête, chancèle.

viva voce
Le vers utilisé est le sénaire iambique. La scansion des dernier vers est Si la longueur des voyelles n’est pas aisée à rendre à la lecture, en revanche
la suivante : il est facile de placer l’accent tonique et possible de le respecter : dans les
māctā ». – Quĭd hōc ēst ? Ērrăt ăcĭēs lūmĭnŭm mots de deux syllabes, c’est la première qui porte l’accent ; dans les mots
vīsūsquĕ māerŏr hĕbĕtăt ? Ān vĭdĕo Hērcŭlĭs de plus de deux syllabes, l’accent est sur la pénultième si elle est longue,
mănūs trĕmēntēs ? Vūltŭs īn sōmnūm cădĭt sur l’antépénultième si la pénultième est brève.
ēt fēssă cērvīx căpĭtĕ sūbmīssō lăbăt. Cette activité de mise en voix est liée aux deux premières questions de
la rubrique Interpréter, auxquelles il conviendra de répondre en amont.

Culture
1.  On pourra ici s’appuyer sur des extraits de la série Les avec l’aide d’Athéna, à récupérer le corps du héros des mains
Grands Mythes – « Héracles », Arte, 2016. de l’ennemi. Il se dispute avec Ulysse les armes du défunt,
Junon est jalouse des maîtresses de Jupiter. C’est pourquoi mais c’est le roi d’Ithaque qui les obtient. Ajax décide de tuer
elle voue une haine implacable à Hercule, lui-même né de les chefs grecs, accusés de tromperie. À ce moment, pris
l’union de Jupiter et d’Alcmène, que le dieu a trompée en pre- d’une rage voulue par Athéna, il massacre le bétail de l’armée
nant l’apparence de son époux Amphitryon, parti à la guerre. grecque, et non pas les chefs de l’armée achéenne, comme
2. Ajax est l’un des plus vaillants héros grecs de l’Iliade, rivali- il le voulait. Lorsqu’il revient de son égarement, il prend la
sant avec Achille, Diomède et Agamemnon. Sous les murs de mesure de ses actes et se suicide en se jetant sur une épée
Troie, il est invulnérable. Après la mort d’Achille, il parvient, fichée dans le sol, l’épée qu’il avait reçue en cadeau d’Hector.

Traduire
1. La réplique d’Amphitryon est composée de deux parties. cadit  », v. 10). La réplique d’Amphitryon marque donc un
Il commence par encourager Hercule à le tuer : ayant assisté revirement, sinon un coup de théâtre  : alors qu’il s’offrait à
au massacre, par le héros lui-même, de sa propre femme et la mort, le sommeil qui accable Hercule le sauve in extremis.
de ses propres enfants, il n’a que trop vécu. Les phrases sont 2. Plusieurs difficultés émaillent ce passage. Le verbe « litasti »
affirmatives ou injonctives (« consumma », v. 5 et « macta », et le nom «  sacrum  » doivent être traduits respectivement
v. 8). Il s’adresse à son fils à la deuxième personne du singulier par un verbe et un nom qui n’appartiennent pas à la même
(« litasti », v. 5) mais parle de lui, en tant que victime sacrifi- famille, comme en latin  : c’est pourquoi nous avons choisi
cielle, à la troisième personne du singulier (« stat ecce ad aras « immoler » et « sacrifice ». Le présentatif « ecce » (v. 6) trouvera
hostia, exspectat », v. 6), avant de donner la parole, au discours difficilement un équivalent en français. Les verbes « praebeo »
direct, à cette victime, qui n’est autre que lui-même (« prae- et « insequor » appellent un complément en français, or il n’y
beo, occurro, insequor », v. 7). Le tiret (v. 8), marque une rupture. en a pas en latin. Le mot « luminum » (v. 8) est employé au sens
Amphitryon se demande ce qui se passe et met en doute son poétique ; « visus » est également un pluriel poétique. Enfin,
sens de la vue (« errat acies luminum », v. 7-8, « visus… hebe- «  vultus  » ne désigne pas tant ici le visage que l’apparence
tat », v. 9) : trois phrases interrogatives s’enchaînent. Il constate générale du corps, la physionomie ; d’où notre traduction.
enfin qu’Hercule s’écroule de sommeil («  vultus in somnum

Les dieux dans la cité • 127


Interpréter
1 et 2.  La rédaction de didascalies sera l’occasion pour les l’allégorie du Tibre, marbre du IVe s. exposé à Rome. Les per-
élèves de s’interroger sur la représentation concrète de l’ex- sonnages sont en mouvement. Il sera intéressant de faire tra-
trait. Il est conseillé de rappeler ou de mener des recherches cer les lignes de forces de cet ensemble, en particulier celles
sur les conditions matérielles de la mise en scène : architec- qui suivent les membres inférieurs et supérieurs et déter-
ture des théâtres grecs et romains (comme celui de Dionysos minent des courbes, des parallèles et des perpendiculaires.
et celui d’Hérode Atticus, sur les pentes de l’Acropole C’est cette puissance du mouvement qui met en évidence
d’Athènes), festivals, costumes, décors. Cette activité prendra la fureur, ainsi que le visage et le regard déterminés d’Her-
tout son sens si elle aboutit à une courte mise en voix et en cule. Il tient son enfant par les cheveux et par le pied, comme
scène (voir notre rubrique Viva voce), occasion de montrer un animal qu’on voudrait fracasser violemment. La détresse
que le théâtre est avant tout un spectacle vivant, en particu- se lit sur son visage, parce qu’il est impuissant à retenir son
lier dans l’Antiquité. père. L’aveuglement d’Hercule est symbolisé par le fait que
3.  Antonio Canova a représenté Hercule dans le style néo- son visage n’est pas tourné vers l’enfant, à qui il tourne le dos,
classique  : le corps du héros est quasiment nu, musculeux ; mais vers la mort.
la barbe rappelle certaines sculptures antiques, comme

2 Quand le peuple entre en furie… (p. 119)


Cet extrait de l’Octavie fait écho à la fois au passage des Annales de Tacite que nous avons lu p. 117, car l’un et
l’autre mettent en scène la vindicte populaire dans le contexte des luttes autour du pouvoir impérial, et au texte
de l’Hercule furieux de Sénèque proposé p. 118, car l’un et l’autre mettent en scène le furor, bien que dans deux
contextes différents : la figure d’Hercule est mythologique ; Octavie est un personnage historique.
Nous ne savons pas qui est l’auteur de cette pièce de théâtre, mais nous avons la certitude que ce n’est pas
Sénèque. Il s’agit probablement d’un contemporain de Néron, proche de la cour impériale. L’Octavie est la seule
pièce relevant du genre de la tragédie prétexte (fabula praetexta) qui nous soit parvenue intégralement, c’est-à-
dire une tragédie à sujet historique, bien que le genre eût évolué (voir J.-C. Dumont et M.-H. François-Garelli, Le
Théâtre à Rome, p. 173).
L’action se passe en effet à Rome, en 62, dans le palais impérial. L’intrigue évoque le destin tragique de la fille de
l’empereur Claude et de Messaline. Son père, sa mère et son frère Britannicus ont été assassinés ; elle épouse, de
force, Néron, qui la déteste et la trompe, notamment avec Poppée, qu’il épouse en 62 : il répudie Octavie, l’exile
et la fait supprimer. Elle n’a qu’une vingtaine d’années. « L’auteur de la pièce ne présente pas la période néro-
nienne seulement comme l’expression de la décadence de l’humanité. C’est aussi un régime, la tyrannie, qui est
lui-même le revers hideux d’une médaille dont l’avers souriant serait le principat idéal. La tyrannie est le régime
pratiqué par Néron et théorisé par lui dans le dialogue génial (v. 440-645) qui l’oppose à Sénèque. Le princeps
idéal est celui du quinquennium Neronis » (Gautier Liberman, dans Pseudo-Sénèque, Octavie, Classiques en poche,
2002, p. XII) ; sur ce sujet, voir les p. 72-73.
Les vers 785-803 que nous proposons ici appartiennent à l’acte IV (v. 690-982) : le lendemain du mariage de Néron
avec Poppée, le peuple se soulève contre cette dernière pour soutenir Octavie, qu’il veut rétablir dans sa dignité
de fille de l’empereur Claude et épouse de l’empereur Néron.
Nous conseillons d’aborder ce texte après un rappel des conditions matérielles de la représentation théâtrale.
C’est la raison pour laquelle nous mentionnons, dans notre rubrique Quid, la particularité des rôles du chœur et
du messager dans la pièce. L’écoute de la lecture audio permettra ensuite d’entrer pleinement dans le texte.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
On pourra recommander aux élèves la lecture intégrale de la pièce (environ 35 pages), disponible dans la
collection Classiques en poche. L’introduction de Gautier Liberman est une excellente approche de l’œuvre.
Pour une introduction à la tragédie romaine, on se réfèrera aux pages 298-313 de l’ouvrage de René Martin
et Jacques Gaillard, Les Genres littéraires à Rome, Nathan, 1990.

TRADUCTION
Le Chœur
Quelle est, agitant les esprits, cette furie en délire ? […]
Le Messager
À rendre les pénates paternelles à la fille de Claude, ils se préparent,
ainsi que le lit de son frère, la part d’Empire qui lui est due,
qu’occupe déjà Poppée, par un engagement réciproque.
Voilà pourquoi une ferveur trop obstinée échauffe les esprits
et mène à la fureur des gens qui se précipitent aveuglément :


128 Les dieux dans la cité
Traduire
1.  Nous nous permettons de rappeler cette évidence  : la difficulté, son caractère illustratif de tel point de grammaire, de
maîtrise de la grammaire, fût-elle très bonne, et l’analyse vocabulaire, de civilisation), se contraindre à formuler ce que
morphosyntaxique d’un extrait en latin ne suffisent pas à l’on a compris dans le moule de la structure d’origine. Le but
comprendre le texte, ni à le traduire. Le choix des mots et est d’avancer davantage dans la perception du sens, dans le
des tournures dans la langue cible, en l’occurrence le français, détail de cette perception. Rédiger une version, c’est, dans le
sera également dicté par les connaissances culturelles préa- cadre de l’enseignement secondaire, demander un effort sup-
lables. Nous conseillons donc de commencer par effectuer plémentaire visant non plus la compréhension du sens, mais sa
les questions de recherches de notre rubrique Culture. rédaction dans la langue cible » (Anne Armand, Didactique des
Pour l’analyse en elle-même, on invitera les élèves les plus langues anciennes, Bertrand-Lacoste, 1997, p. 76).
fragiles à utiliser le lemmatiseur en ligne Collatinus, présenté Dans cette perspective, la traduction juxtalinéaire est préci-
à la p. 15. Cet outil sera une béquille solide, mais ne fera pas sément la formulation, « dans le moule de la structure d’ori-
tout le travail à la place de l’élève, qui devra trier et combi- gine », de ce qu’on a compris. Le but est que les élèves, selon
ner les sens et les formes possibles pour aboutir à un sens leur niveau, s’approprient une plus longue partie du texte,
satisfaisant. On pourra également proposer une traduction avec pour objectif éventuellement une mise en voix ou en
universitaire des premiers vers, celle de Gautier Liberman par scène. On sait que la traduction en français, si elle est une
exemple, dans l’édition Classiques en poche, ou celle de M. E. aide, constitue parfois un obstacle à l’analyse morpho-syn-
Greslou, consultable sur le site de Philippe Remacle. taxique, les deux langues n’étant pas fondées exactement
2. Citons un point qui nous semble essentiel : « Lire un texte, sur le même système.
c’est passer d’une appréhension du sens (attentes, intuition) à L’épreuve de spécialité exige d’être capable de traduire dans
sa compréhension (repérage des éléments qui font sens, orga- le temps imparti un extrait de 50 mots au maximum. Il nous
nisation de ces repérages en réseaux de significations, percep- a semblé intéressant de demander aux élèves de délimiter
tion globale du sens). […] Traduire, c’est pouvoir, sur un pas- eux-mêmes le passage de leur choix, en étant capables de le
sage donné (choisi pour son intérêt particulier, sa plus grande justifier, à la fois thématiquement et grammaticalement.

Comprendre
1. Aux vers 1-6, le messager annonce au Chœur, constitué de 2. La fureur du peuple de Rome se manifeste par son irres-
citoyens romains de la Rome impériale, les raisons de l’éga- pect envers les statues à l’effigie de Poppée. Si elles ne sont
rement du peuple romain  : celui-ci est favorable à Octavie, que des représentations, elles n’en symbolisent pas moins la
membre légitime de la famille impériale par son père Claude souillure que l’on inflige, par mimétisme, au corps de celle
et sa mère Messaline, issue de la haute noblesse, et non pas qu’on exècre. Ces pratiques ne sont pas sans rappeler l’ou-
à Poppée, dont le père Titus Ollius fut l’ami de Séjan, et qui trage fait au corps du héros après le combat, dans l’Iliade,
n’est que la deuxième épouse de Néron, son troisième mari. outrage qui prive le défunt de toute forme de vie après la
Le peuple souhaite qu’Octavie soit rétablie dans sa dignité de mort : il ne trouvera pas le repos aux Enfers ; sa mémoire ne
membre de la famille impériale et d’épouse légitime : « red- perdurera pas. Nous renvoyons ici aux analyses de Jean-Pierre
dere penates Claudiae patrios parant / torosque fratris, debitam Vernant au premier chapitre de L’Individu, la mort, l’amour,
partem imperi » (v. 2-3). Folio, 1989. Cet outrage rappelle également la loi de Créon
S’ensuit, aux vers 7-13, une description vivante des actes et et le geste pieux d’Antigone (voir p. 112), ainsi que l’exposi-
des paroles vengeurs des Romains : « toute statue […] portant tion des corps des suppliciés sur les marches de l’escalier aux
les traits de Poppée, frappée par les mains de la foule et ren- Gémonies (voir p. 117).
versée par une cruelle épée, gît » (v. 7-10) ; « les membres […], Dans notre extrait, le nom « furor » est répété aux vers 1 et
ils les souillent honteusement » (v. 10-11) ; « les mots mêlés à 6, qualifié de « attonitus » et sujet de « agitat » (v. 1), ou com-
leurs actes vont bien avec » (v. 12-13). plément de destination de « agit » (v. 6). Les habitants sont
Enfin, le Messager annonce l’intention de la foule : « ils se pré- désignés par le terme «  praecipites », renforcé par l’adverbe
parent à entourer de flammes la résidence du prince » (v. 14). « temere » (v. 6).

Culture
1.  Dans la religion romaine, les pénates sont des «  divinités Néron épousa Poppée, qu’il chérit par-dessus tout ; néan-
domestiques, au nombre de deux, qui, chez les Étrusques et les moins, il la tua, elle aussi, d’un coup de pied, parce que,
Romains, veillaient à la prospérité de la famille et dont l’autel enceinte et malade, elle l’avait accablé de reproches un soir
était le foyer de la maison » (CNRTL). Il s’agit à l’origine des dieux qu’il revenait tardivement d’une course de chars  » (Vies des
qui veillent sur le penus, c’est-à-dire sur les provisions, le garde- douze Césars, «  Néron  », XXXV, traduction de Henri Ailloud,
manger. Existaient également des pénates pour l’État, (penates Folio classique, 1975, p. 330).
publici), dont le culte était rattaché au temple de Vesta. Après avoir été répudiée, Octavie est reléguée dans l’île de
Nombre d’élèves se souviendront probablement qu’Énée Pandataria, et assassinée  : «  on l’attache, on lui ouvre les
a reçu l’ordre de quitter Troie en flammes en emmenant les veines de tous les membres et parce que, retenu par la vio-
pénates pour les mettre en sécurité dans une nouvelle cité ; lence de son effroi, le sang ne coulait que lentement, on la
on relira opportunément le début du chant III de l’Énéide. porte dans un bain bouillant, dont la chaleur la tue. On ajoute
Dans l’extrait d’Octavie, les pénates désignent donc la maison à cela un acte de cruauté plus atroce encore : sa tête, coupée
de Claude, au sens propre et au sens figuré. et portée à Rome, fut présentée à la vue de Poppée » (Tacite,
Annales, Livre XIV, Chapitre LXIV, traduction de Pierre Grimal,
2. Poppée n’a pas été livrée à la vindicte populaire : si l’on en
Folio classique, 1990, p. 379).
croit Suétone, «  onze jours après son divorce avec Octavie,

Les dieux dans la cité • 129


au cœur des mots p. 120-121

Étymologie
Mots latins : Racine indo-européenne : Mots étrangers :
deus : dieu DEI- : briller day, daily, diurnal (anglais)
dea : déesse dia, deus, adivinhar (portugais)
dio, indovinare (italien)
deificare : déifier
Mots latins : Mots latins :
divus : dieu, divinité Mots latins :
diurnus :
Mots français : dies :
divinus : divin
• formes populaires : dieu,
divinare : prévoir
jour
diurne
adieu, pardi (abrévation
de « par dieu ») divinitas : nature divine
• formes savantes : déesse, Mots français :
lundi, midi,
Mots français :
jour, bonjour,
déification, déifier
Mots français : quotidien, journal,
devin, deviner, divin, diva méridien séjourner

activité 1
Les Romains conçoivent leur rapport avec les dieux dans le Les hommes doivent donc être attentifs aux signes envoyés.
cadre d’un contrat. Faire des sacrifices, en respectant le mos L’interprétation de ces signes relèvent d’un art particulier,
majorum, c’est s’assurer la faveur des dieux (« deorum », l. 1), appelé «  divinatio  » (l.  8). Le mot est construit sur l’adjectif
sans laquelle aucun individu («  singulis hominibus  », l.  3) ne « divinus » (l. 9), lui-même issu de la racine indo-européenne
peut réussir, aucune cité (« civitatibus », l. 2) ne peut prospérer. dei- renvoyant à la lumière divine (cf. schéma étymologique
Le terme « praesentiae » (l. 1) s’explique donc par la proximité p. 120). Cet art est exercé par des spécialistes appelés augures
que les divinités entretiennent avec les mortels. Ce lien est ou haruspices. Lors d’un sacrifice, ce sont eux qui sont char-
aussi de façon très concrète visible à travers l’édification de gés d’observer la conformité des entrailles (« extis », l. 6) des
temples et d’autels. Les dieux disposent de plusieurs moyens victimes qui constituent des « ostenta » (l. 6). Le mot ostentum
pour guider favorablement l’action des hommes en les infor- vient du verbe ostendere qui signifie « montrer ». Il désigne
mant de l’avenir. Cette notion d’avenir est exprimée en latin donc ce que concrètement les dieux donnent à voir aux
par le participe futur du verbe esse, que nous trouvons dans hommes. Ces signes peuvent aussi se trouver dans les songes
le texte employé comme épithète : « rerum futurarum » (l. 4). ou dans la vie quotidienne (l. 5).

activité 2
TRADUCTION
Nous avons fondé une ville après avoir consulté les auspices et les augures ; pas un endroit dans cette ville
qui ne soit pas plein de notre religion et de nos dieux ; pour les sacrifices solennels des jours ont été fixés
autant que les lieux dans lesquels ils s’accomplissent. Ce sont ces dieux publics et privés, Quirites, que vous
voulez abandonner ? […] Mais convient-il de ne pas interrompre les cultes familiaux même en temps de
guerre, et d’abandonner les cultes publiques et les dieux romains même en temps de paix, et aux pontifes et
aux flamines d’être plus négligents des cérémonies publiques qu’un simple particulier dans une cérémonie
de famille ?

Aucune action humaine ne peut réussir sans le concours des Rome n’aurait pu être fondée (l. 1). De fait, chaque fondation
dieux (« deorum », l. 2). Camille rappelle la manière d’obtenir de ville ou de colonie est précédée d’un sacrifice. Au sein de
ce concours. Les Romains ont construit des temples et des la cité, des prêtres, les « flamines » (l. 5), veillent à la bonne
autels de sorte à marquer la présence des dieux dans la ville observance des rites à l’attention de la divinité à laquelle ils
(l. 1-2). Ils honorent les dieux dans des cérémonies publiques sont attachés. D’autres prêtres, les « pontifices » (l. 5), ont pour
et privées (l. 3, 6-7). Ils doivent suivre à la lettre les rituels héri- mission de veiller, de façon générale, à la bonne observance
tés des anciens. Cet attachement aux règles qui régissent la des pratiques religieuses. L’adjectif « sollemnibus », qui qualifie
pratique religieuse est fondamentale. C’est à travers elles que à la ligne 2 le mot « sacrificiis », souligne combien la religion
les Romains, de façon très concrète, manifestent leur devotio. romaine tient avant tout à ce respect scrupuleux des rites. Le
Toute action doit faire l’objet d’une consultation préalable sens premier du terme est « religieusement suivi à date fixe »,
qui est du ressort des augures («  inaugurato  », l.  1, signifie comme le précise l’expression «  dies stati  » (l.  2-3). Les rites
« prendre les augures ») ou des haruspices, chargés d’interpré- sont donc ce qui relie les hommes au dieux. C’est le sens éty-
ter les signes envoyés par les dieux, appelés auspices (« auspi- mologique du mot religio (l. 2 et 6) qui appartient à la famille
cato », l. 1). Camille rappelle que sans l’approbation des dieux du verbe ligare, signifiant « lier ».


130 Les dieux dans la cité
activité 3
TRADUCTION
Pensez-vous aussi que nous cachons ce que nous honorons, si nous n’avons pas de sanctuaires ni d’autels ?
Quelle représentation en effet pourrais-je façonner de Dieu, alors que, si tu réfléchis justement, c’est l’homme
lui-même qui est une représentation de dieu ? Quel temple lui construirais-je, alors que tout ce monde, façon-
né par son œuvre ne peut le contenir ? […] Donc celui qui honore l’innocence, prie Dieu ; celui qui honore
la justice, sacrifie à Dieu, celui qui s’abstient des crimes, se concilie Dieu ; celui qui soustrait un homme au
danger, il abat la victime la plus chère. Voilà nos sacrifices, voilà notre culte rendu à Dieu : ainsi chez nous
est très religieux celui qui est très juste.

Vocabulaire de la religion traditionnelle romaine  : delubra employé aux lignes 2 et 3. Le sentiment religieux exprimé
(l. 1), aras (l. 1), simulacrum (l. 2 et 3), victima (l. 6), sacrificia (l. 6), par Minucius Félix est beaucoup plus abstrait. Il se passe de
sacra (l. 6). représentation et de rituel pour la raison que le dieu chré-
Vocabulaire du christianisme : dei, deo, deum (l. 2, 4, 5, 6), inno- tien, créateur du monde (« fabricatus », l. 5) est partout. Cette
centiam (l. 4), supplicat (l. 4), justitiam (l. 5), libat (l. 5). omniprésence est signifiée à travers l’emploi de l’indéfini de
la totalité totus («  totus hic mundus  », l.  3). Voilà pourquoi,
Dans son dialogue intitulé Octavius, Minucius Félix s’em-
pour un chrétien, vouloir représenter la divinité n’a pas de
ploie à défendre le christianisme et à réfuter le paganisme.
sens. Si, pour se concilier les dieux, les païens accomplissent
La religion traditionnelle romaine s’appuie sur des signes
des rites (« sacra », l. 6), le chrétien doit avant tout avoir un
extérieurs concrets pour marquer la dévotion des hommes
comportement irréprochable au regard de la morale en
à l’égard des dieux. Le temple est considéré comme la mai-
cultivant l’ « innocentia » (l. 4) et la « justitia » (l. 5). La concep-
son du dieu (« delubra », l. 1, « templum », l. 3). L’autel (« aras »,
tion du divin est donc radicalement différente. D’un côté,
l. 1), situé à l’extérieur, est le lieu où sont pratiqués les « sacri-
on prie les dieux (polythéisme) pour obtenir une faveur, de
ficia » (l. 6), mot qui signifie étymologiquement « accomplir
l’autre on prie un dieu (monothéisme : dei, deo, deum, l. 2, 4,
des actes sacrés ». Les dieux sont donc présents dans la cité,
5, 6) pour le remercier (« supplicat », l. 4, « libat », l. 5) du bien
rendus visibles par des constructions et des statues qui en
dont il est la source et auquel il nous invite.
donnent une image. C’est le sens du mot «  simulacrum  »

grammaire La forme passive et les verbes déponents p. 122-123 memento

G p. 188 -189
La notion de « déponent » est mal maîtrisée par les élèves. Cette page doit les aider à se l’approprier, notamment
dans sa différence avec la forme passive.

étape 1 étape 2
L’essentiel L’essentiel
a) Les Romains honorent Jupiter au Capitole.
b) Les Romains honoraient Jupiter au Capitole.
• Les verbes venerantur, minabantur et hortantur sont tra-
duits respectivement par « honorent », « menaçaient » et
c) Jupiter est honoré par les Romains au Capitole. « engagent », tous conjugués à la voix active.
d) Jupiter était honoré par les Romains au Capitole.
• Les verbes des phrases a) et b) sont à la voix active, ceux
• Les terminaisons de ces verbes rappellent les terminai-
sons passives.
des phrases d) et c) à la voix passive.
• Les temps simples des verbes latins se construisent à
• Un verbe déponent a donc un sens actif.
partir d’un radical, en l’occurrence du présent, et des ter- • Un verbe déponent se conjugue comme les verbes à la
voix passif.
minaisons actives ou passives.
Les temps composés des verbes latins constituent une étape 3
périphrase, formée du participe parfait passif et de l’auxi-
liaire sum. Pour aller plus loin
• Les deux verbes sont à la voix passive.
• La traduction qui vient naturellement est « s’exercent »
et « se préparent ».
•Un verbe latin à la voix passive peut aussi avoir un sens
pronominal.

Les dieux dans la cité • 131


Réponses aux exercices

1. Forme active Personne Temps Mode Forme passive


devovebamus 3 pers. pl.
e
Imparfait Indicatif devovabamur
colunt 3e pers. pl. Parfait Indicatif culti sunt
celebremus 1re pers. pl. Imparfait Subjonctif celebremini
ama 2e pers. sg. Présent Impératif amare
praedicent 3e pers. pl. Présent Subjonctif praedicentur
supplicavi 1re pers. sg. Parfait Indicatif supplicatus, a, um sum
celebrare - Présent Infinitif celebrari

2. Les verbes à la voix active à entourer en vert sont : perierunt c) Romani Graecique eosdem deos venerebantur.
(l. 6), incipiunt (l. 7), posuerunt (l. 7). Forme : déponente
Les verbes à la voix passive à entourer en rouge sont : conti- Temps et mode : imparfait de l’indicatif.
netur (l. 2), administrantur (l. 3), servantur (l. 4), vocantur (l. 5). Traduction : Les Romains et les Grecs vénéraient les mêmes
• Les verbes passifs sont conjugués à l’indicatif présent. dieux.
3. a) In deae ara multae victimae immolatae sunt. d) In urbe Janum Jovemque precamur.
Forme : passive Forme : déponente
Temps et mode : parfait de l’indicatif. Temps et mode : présent de l’indicatif.
Traduction : Sur l’autel de la déesse beaucoup de victimes ont Traduction : Dans la ville, nous prions Janus et Jupiter.
été/furent/eurent été immolées. e) Multae feriae celebrantur.
b) Haruspex ante pugnam auspicatus est. Forme : passive
Forme : déponente Temps et mode : présent de l’indicatif.
Temps et mode : parfait de l’indicatif. Traduction : Beaucoup de fêtes sont célébrées.
Traduction : L’haruspice a pris/prit les auspices avant la bataille.

grammaire La forme passive et le complément d’agent p. 124-125 memento

G p. 189
Cette page prolonge l’observation de la forme passive initiée dans les pages précédentes (p. 122-123). Elle fait de
plus manipuler le complément d’un verbe passif et fait découvrir la tournure personnelle.

étape 1 étape 3
L’essentiel Pour aller plus loin
• Les verbes à la voix passive qu’il faut souligner sont : • Le verbe dico est conjugué à la voix passive.
amabatur, missi sunt, fertur, spectamur, interfectus est,
amor, laederis, spectabantur. • À Rome, les Romains sont dits honorer Vénus.
• Les verbes conjugués à la voix passives, soit ont des ter- • Un passif introduisant une proposition infinitive a pour
sujet le même sujet que celui de la proposition infinitive.
minaisons passives, soit sont composés d’une périphrase
En français, on traduit ce passif par un impersonnel, en
formée du participe parfait passif et du verbe sum.
l’occurrence « on dit que... ».
étape 2
L’essentiel
• Les compléments d’agent à souligner dans les phrases
françaises sont : « par des flèches », « par leurs parents »,
« par un médecin », « par les pluies ».
Les équivalents latins à entourer sont respectivement  :
sagittis, a parentibus, a medico, imbribus.
• Tous les compléments sont déclinés à l’ablatif. Deux
sont précédés de la préposition a(b).
• Quand le complément d’un verbe passif est un nom de
personne, il se construit au moyen de la préposition a(b)
suivi de l’ablatif. Quand le complément d’un verbe passif
est un nom de chose, il se construit au moyen de l’ablatif
sans préposition.


132 Les dieux dans la cité
Réponses aux exercices
1. a) Verbe à la voix passive à souligner : « furent impressionnés ». b) Les matelots tiraient chaque jour leurs navires sur le rivage.
Complément d’agent à entourer : « par les Luperques ». Transposition à la voix passive : Ab nautis in litus quotidie naves
b) Pas de verbe conjugué à la voix passive. trahebantur.
c) Pas de verbe conjugué à la voix passive. c) Les citoyens qualifient Scipion de meilleur des hommes.
d) Pas de verbe conjugué à la voix passive. Transposition à la voix passive : Ab civibus Scipio optimus homi-
e) Verbe à la voix passive à souligner : « furent consultés ». num appellatur.
Complément d’agent à entourer : « par des prêtres romains ». d) La maladie accable violemment les habitants de Rome.
2. a) Nous les esclaves, nous étions terrifiés par les cris. Transposition à la voix passive  : Morbo vehementer incolae
Complément : clamore. Romani oppressi sunt.
b) Tu dis que les flots sont agités par le vent. e) Tous les plus courageux conduisent un char.
Complément : ventis. Transposition à la voix passive : Ab fortissimis quibusque currus
c) Ô dieux, vous étiez honorés par les hommes. ducetur.
Complément : ab homonibus. 4. Les verbes à la forme passive à souligner et à analyser sont :
d) Vous dites que le temple des dieux a été détruit par les traditur (3e pers. sg., présent de l’indicatif), obsita (participe
ennemis. parfait passif au nominatif singulier féminin), dicitur (3e pers.
Complément : ab hostibus. sg., présent de l’indicatif), recepta (participe parfait passif à
e) La statue de la déesse Junon est portée par une matrone l’ablatif singulier féminin), facta (est) (3e pers. sg., parfait de
Romaine jusqu’au temple. l’indicatif), vocatur (3e pers. sg., présent de l’indicatif).
Complément : a matrona Romana. • La forme du verbe fio à entourer et à analyser est facta (l.5).
3. a) Les habitants construisent un grand temple pour Junon. Elle est conjuguée à la 3e pers. sg. du parfait de l’indicatif.
Transposition à la voix passive  : Ab incolis Junoni templum
magnum aedificatur.
• Les verbes qui constituent des tournures personnelles à
entourer en rouge sont : traditur et dicitur.

grammaire Les interjections p. 126-127 memento


spécialité
G p. 198
Les interjections, les formes verbales syncopées et le passif impersonnel sont des points du programme de spé-
cialité qui ne poseront pas de problème particulier : les interjections parce que le dictionnaire pourra toujours être
consulté ; les formes verbales syncopées parce qu’il s’agit d’un mécanisme somme toute simple et ne touchant
que peu de cas facilement repérables ; le passif impersonnel parce que sa formation et son sens sont là encore
aisément identifiables.
Une heure devrait suffire pour aborder ces trois points, construire une leçon à partir des exemples de la p. 126 et
manipuler des formes à travers les exercices.
• Les interjections sont heu, vae, en, pro. Me miserum est à • Heu exprime la douleur, Vae la menace, Pro l’admiration ;
l’accusatif singulier, hostibus victis au datif pluriel, consulem à En est un présentatif.
l’accusatif, di immortales au nominatif pluriel.

memento
Les formes verbales syncopées
G p. 199
lettre(s)
temps mode radical du
supprimée(s)
amavero = amaro -ve- fut. antérieur indicatif parfait
fut. antérieur indicatif
deleverint = delerint -ve- parfait subjonctif
parfait
audii = audivi -v- parfait indicatif parfait
novissem = nossem -vi- plus-q-parfait subjonctif parfait
rogavisse = rogasse -vi- parfait infinitif parfait
• Le mot « syncoper » signifie « Abréger (un mot) en lui enlevant une lettre, un phonème, une syllabe » (CNRTL).

Les dieux dans la cité • 133


memento
Le passif impersonnel G p. 189
• Dabitur est une forme verbale composée du radical de est), conjuguée à la 3e personne de l’indicatif parfait passif.
Traduction : « on vint/on est venu ».
l’infectum, du suffixe -bi- et de la terminaison -tur (da-bi-tur)
conjuguée à la 3e personne du singulier du futur de l’indicatif - Dicitur est une forme verbale composée du radical de l’infec-
passif. Traduction : « on donnera ». tum, de la voyelle suffixale -i- et de la terminaison -tur, conju-
- Pugnatur est une forme verbale composée du radical de guée à la 3e personne du singulier du présent de l’indicatif
l’infectum, de la voyelle suffixale -a- et de la terminaison -tur passif. Traduction : « On dit que Jupiter est grand ».
(pugn-a-tur), conjuguée à la 3e personne du singulier du pré- - Sacrificari est une forme verbale composée du radical de
sent de l’indicatif actif. Traduction : « on combat ». l’infectum, de la voyelle suffixale -a- et de la terminaison -ri,
- Ventum est est une forme verbale composée du radical du conjuguée à l’infinitif présent passif. Traduction  : «  Sacrifier
supin, de la terminaison -um et de l’auxiliaire être (vent-um est nécessaire ».
• On traduit le passif impersonnel à la voix active en français.

Réponses aux exercices


1. age : « allons ! », « eh bien ! » G exprime l’exhortation. 3. a) petierant : petiverant, 3e pers. du pluriel de l’indicatif plus-
- io : « oh ! », « ah ! » G exprime la joie, en particulier lors des que-parfait actif G « ils avaient demandé ».
fêtes, ou au contraire la douleur ; b) putassent : putavissent, 3e pers. du pluriel du plus-que-par-
- Mehercle : « par Hercule ! », « eh ! » G exprime la surprise, fait du subjonctif actif G « qu’ils aient pensé », « ils auraient
l’indignation ; peut être utilisé comme un juron ; pensé ».
- heus : « hé ! », « holà ! » G sert à interpeler ; c) clamarunt : clamaverunt, 3e pers. du pluriel de l’indicatif par-
- ehem : « eh ! », « ah ! » G exprime la surprise ; fait actif G « ils crièrent », « ils ont crié ».
- macte : « bravo ! », « bien ! », « courage ! » G exprime la satis- d) munissent  : munivissent, 3e pers. du pluriel du plus-que-
faction, le souhait, l’encouragement ; parfait du subjonctif G « qu’ils aient fortifié », « ils auraient
- pro : « oh ! », « ah ! », « hélas » G exprime l’admiration, l’indi- fortifié ».
gnation, le dépit ; e) expetierant : expetiverant, 3e pers. du pluriel du plus-que-
- eho : « ho ! », « hé ! », « holà ! » G exprime l’étonnement, l’in- parfait de l’indicatif G « ils étaient survenus ».
sistance ; sert également à interpeler ; 4. a) Oboediri est conjugué à l’infinitif présent passif G Il faut
- ecce  : «  voici  » G permet de présenter quelqu’un ou un obéir aux lois.
événement ; b) Dicitur est la 3e personne du singulier de l’indicatif présent
- vae : « malheur ! », « ah ! », « hélas ! » G exprime la menace passif G On dit qu’il en fut ainsi.
ou la douleur ; c) Curabitur est la 3e personne du singulier de l’indicatif futur
- papae  : «  eh bien !  », «  fichtre !  », «  diable !  » G exprime passif G On veillera à ce que les dieux soient honorés par les
l’admiration ; citoyens.
- o : « ô », « ah ! » G sert à invoquer, à appeler ; exprime égale- d) Agendum est est le nominatif neutre de l’adjectif ver-
ment la douleur. bal accompagné du verbe sum à la 3e personne du singu-
2. a) Ô mon fils, sûr mais tardif sauveur des Thébains ! lier du présent de l’indicatif G Désormais il faut agir plus
b) Voici le premier de mes travaux ! subtilement.
c) Hélas ! malheureuse piété. e) Putandum est est le nominatif neutre de l’adjectif verbal
d) Ah ! quel doux mal en plus pour les mortels… accompagné du verbe sum à la 3e personne du singulier du
e) Voici un vieillard avancé en âge. présent de l’indicatif G Il faut croire qu’Athènes a été fondée
pour les Athéniens.


134 Les dieux dans la cité
r
L ' A T E L I E R du traducteu p. 128-129

L’apothéose de Jules César


Le texte proposé permet de réinvestir les acquis culturels sur la manière dont les Romains envisage le divin, le
lexique et les points grammaticaux abordés dans le chapitre.
étape 1
• Les coordonnants à entourer sont : atque (l. 1), non modo… sed et (l. 2), -que (l. 4), et (l. 5), ac (l. 7).
• Le mot « apothéose » est un mot grec composé de la préposition ἀπό marquant l’éloignement et du verbe θεόω,
qui signifie « diviniser », lui-même issu du mot θεός, « dieu ». L’apothéose désigne donc la déification d’un mortel.

Personne Temps Mode Voix


relatus est (l.1-2) 3 pers. sg.
e
parfait indicatif passif
edebat (l.3) 3e pers. sg. imparfait indicatif actif
fulsit (l.3) 3e pers. sg. parfait indicatif actif
creditum est (l.4) tournure impersonnelle parfait indicatif passif
esse (l.4) - présent infinitif actif
additur (l.5) 3e pers. sg. présent indicatif passif
occisus est (l.5-6) 3e pers. sg. parfait indicatif passif
obstrui (l.6) - présent infinitif passif
placuit (l.6) impersonnel parfait indicatif passif
nominari (l.6) - présent infinitif passif
ageretur (l.7) 3e pers. sg. imparfait subjonctif actif

• Verbe introducteur Sujet de l’infinitif Infinitif


creditum est (l. 4) stellam (sous-entendu) esse (l. 4)
placuit (l. 6) curiam (l. 5) obstrui (l. 6)
placuit (l. 6) Idus Martias (l. 6) nominari (l. 6)
Participes parfaits passifs Participes présents
relatus (l. 1) se rapporte à Caesar (sous-entendu)
consecrato (l. 2) ei (l. 2) mis pour Caesari decernentium (l. 2), participe substantivé
recepti (l. 5) se rapporte à Caesaris (l. 4) exoriens (l. 4) se rapporte à stella (l. 3)
occisus (l. 6) se rapporte à Caesar (sous-entendu)

étape 2
ore : bouche, employé ici de façon métonymique pour voix
decernentium : décider (sens législatif)
persuasione : conviction
consecrato : consacrer, ici immortaliser (dans le cadre de l’apothéose)
stella crinita : étoile chevelue, c’est-à-dire comète
vertice : sommet (de la tête)

étape 3
Il périt dans la cinquante-sixième année de son âge et fut placé au nombre des dieux,
non seulement par la voix de ceux chargés du décret, mais aussi par la conviction du peuple.
De fait, lors des premiers jeux que son héritier Auguste donnait pour son apothéose (littéralement « pour lui
qui avait été consacré »),
une comète brilla pendant sept jours consécutifs en se levant vers la onzième heure
et l’on crut que c’était l’âme de César accueilli dans le ciel ;
et c’est pour cette raison qu’une étoile est ajoutée à sa représentation au-dessus de sa tête.
On décida de murer la curie dans laquelle il avait été assassiné, de nommer les ides de Mars
« [jour] parricide »,
et de ne jamais réunir le Sénat à cette date.

Les dieux dans la cité • 135


r
L ' A T E L I E R du traducteu p. 130-131

Description du calendrier romain


Le texte proposé permet de réinvestir les acquis culturels sur les fêtes et leur sens, le lexique et les points gram-
maticaux abordés dans le chapitre.

étape 1
• À partir de la deuxième ligne, c’est le présent de l’indicatif qui domine l’extrait.
• Le présent s’explique par le caractère descriptif du texte.
• Macrobe rend compte de la manière dont est organisé le calendrier romain. Cette description précise relève
d’une démarche didactique.

étape 2
PHRASE 1
Mots répétés : menses/mensem ; dies/dies ; festos/pro-festos
Organisation du calendrier par Numa.
PHRASES 2 ET 3
Mots répétés : festis/pro-festis
Répartition des jours entre le culte des dieux et les activités humaines et catalogue des activités.
PHRASE 4
Mots répétés : festis/pro-festis
Organisation des jours mixtes.
PHRASES 4 ET 5
Mot répété : fari
Règles pour rendre la justice lors des jours mixtes.

étape 3
• menses/dies G hyperonyme-hyponyme G mois/jours
dierum/horis G hyperonyme-hyponyme G jours/heures
deorum/hominum G antonymes G dieux/hommes
fas/nefas G antonymes G permis/non permis
festi/profesti G antonymes G fêtés/non fêtés
privatam/publicam G antonymes G privée/publique
• sacrifia : sacrifice ; epulae : festins ; ludi : jeux ; feriae : fêtes
fasti comitiales : jours des assemblées comitiales ; comperendi : jours d’audience ; stati : jours de rendez-vous ; proe-
liares : jours pour livrer bataille.

étape 4
1. De même qu’il divisa l’année en mois, de même Numa divisa chaque mois en jours, et il appela tous les jours
ou fêtés ou non fêtés ou fractionnés.
2. Les jours fêtés furent consacrés aux dieux ; les jours non fêtés furent cédés aux hommes pour s’occuper de
leurs affaires privées et publiques ; les jours fractionnés sont communs aux dieux et aux hommes. Aux jours
fêtés ont lieu les sacrifices, les festins, les jeux et les fêtes ; aux jours non fêtés, les jours destinés aux affaires,
les jours des assemblées comitiales, les jours d’audience, les jours de rendez-vous, les jours pour livrer bataille.
3. Les jours fractionnés sont divisés non entre eux, mais chacun en lui-même : car à certaines heures de ces jours
il est permis, à certaines autres il n’est pas permis, de rendre la justice.
4. En effet, quand la victime est sacrifiée, il est interdit de parler ; entre le sacrifice et l’offrande, il est permis de
parler ; et de nouveau, quand la victime est brûlée, cela n’est pas permis.


136 Les dieux dans la cité
folio
construire mon port p. 132-133

Diptyque iconographique
Nous proposons d’élaborer un diptyque iconographique, comme au chapitre 1, mais dont l’œuvre contempo-
raine est un film. Si nos élèves regardent pour la plupart beaucoup de films et/ou de séries, ils/elles n’ont généra-
lement pas l’habitude d’analyser des images mobiles.
Il faudra en premier lieu les inviter à ne retenir qu’un court extrait d’œuvre cinématographique (d’une à cinq
minutes). Il faudra également les familiariser avec le vocabulaire spécifique de l’analyse filmique ; on consultera
avec grand intérêt les pages du site http://upopi.ciclic.fr
Notre démarche en quatre étapes fournit une méthode progressive pour chercher conjointement l’œuvre antique
et l’œuvre filmique contemporaine, puis pour analyser chacune des deux œuvres, enfin pour les confronter.
Rappelons que confronter, c’est d’abord comparer, « pour mettre en évidence les rapports de ressemblance ou de
différence sur lesquels fonder son opinion. » (CNRTL). C’est également « Opposer, mettre face à face, faire s’affron-
ter » (CNRTL) les œuvres, afin de mettre en évidence des représentations, des interprétations, des conceptions,
des idées, des options, différentes et divergentes sur un objet d’étude, une thématique donnés. Il faut mettre en
évidence ce qui pose question, ce qui interroge le rapport entre les deux œuvres choisies.
Comme le stipulent les programmes, la présentation du diptyque est libre et l’on favorisera l’originalité (voir
p. 174-175). Les élèves s’appuieront sur l’expérience qu’ils/elles ont acquise lors de l’élaboration de leur portfolio
en classe de 2de. Il sera intéressant, avant toute chose, de lister les types de portfolios choisis par chacun l’année
précédente, afin de faire émerger des idées et de diversifier les approches.

a ÉTAPE 1 : a ÉTAPE 2 :


Nos suggestions de films renvoient en particulier aux sous- Marsyas est un silène de Phrygie, fils de Hyagnis et Olympos,
thématiques du programme de spécialité (« Justice des dieux, ou encore Œagre. Sa légende se rattache à l’invention de la
justice des hommes ») que nous traitons dans les pages de flûte à deux tuyaux. Cet instrument avait été, raconte-t-on,
lecture : la question du juste et de l’injuste, culpabilité et res- inventé par Athéna, avec des os de cerfs, au cours d’un ban-
ponsabilité, crimes et châtiments. quet chez les dieux. Mais en la voyant jouer, Héra et Aphrodite
Œdipe est la figure tragique de l’homme qui a commis, s’étaient moqué d’elle, que ses joues déformées rendaient
malgré lui, deux fautes gravissimes, et qui subit un destin laide. Athéna s’était alors rendue en Phrygie, pour se regarder
implacable contre lequel il a cru lutter depuis qu’il a quitté dans une rivière. En apercevant son reflet, elle s’aperçut que
Corinthe. Après avoir appris la vérité, qui lui avait pourtant été les déesses avaient raison, jeta la flûte au loin et interdit à qui-
révélée bien avant par l’aveugle Tirésias, Œdipe se crève les conque de la ramasser. Or Marsyas s’empara de l’objet, qu’il
yeux et quitte Thèbes, expiant ainsi ses « crimes ». La mise en trouva si harmonieux qu’il défia Apollon de produire un plus
scène de Pier Paolo Pasolini met en évidence l’égarement du beau son avec sa lyre. Le dieu releva le défi, à cette condition :
personnage  : Franco Citti est filmé de dos, par une caméra que la vainqueur inflige au vaincu le châtiment qu’il voudrait.
mobile, dans la pénombre, voire l’obscurité. Les deux instruments s’avérèrent être aussi harmonieux l’un
que l’autre, mais Apollon demanda à Marsyas de jouer de la
La malédiction qui pèse sur la famille des Labdacides ne s’éteint
flûte à l’envers, comme lui pouvait le faire avec sa lyre… Le
pas avec lui  : Antigone la portera jusqu’à sa mort dans des
silène fut déclaré vaincu. Apollon le suspendit à un arbre et
conditions terribles. Le récit qu’en fait le Messager dans la pièce
l’écorcha.
de Jean Anouilh donne à voir l’horreur de la scène et la détresse
d’Antigone et d’Hémon. On pourra montrer aux élèves un Pour davantage d’informations sur la sculpture de Marsyas
extrait de la mise en scène épurée de Nicolas Briançon (2002). suspendu, nous renvoyons à la notice détaillée disponible sur
Il sera intéressant de la comparer et de la confronter avec celle le site du Musée du Louvre (www.louvre.fr/oeuvre-notices/
de Marc Paquien (2012) ; à ce propos, voir p. 112. marsyas-supplicie). On invitera les élèves à identifier indivi-
duellement entre trois et cinq détails qui leur semblent parti-
Nous aurions également pu citer, dans notre rubrique
culièrement intéressants et éloquents.
« Suggestions de films », les œuvres de Marcel Pagnol, Jean de
Florette et Manon des sources, qui peuvent être lues comme une Cette œuvre invite à une réflexion sur la notion d’hybris. En
tragédie familiale au sens antique du terme. On se reportera ici effet, Marsyas a fait preuve d’arrogance et de démesure en
aux deux films de Claude Berri, sur une musique de Jean-Claude défiant Apollon. Il a voulu se hisser au-dessus de sa condi-
Petit dont le thème reprend La Force du destin de Giuseppe Verdi. tion. Or d’un point de vue juridique et humain, l’hybris était
un acte transgressif violent, considéré comme un crime ; d’un
Dans un tout autre registre, les élèves pourront aussi choisir
point de vue philosophique et moral, l’hybris confine à la folie,
des extraits de films montrant un assassinat prémédité : celui
celle des hommes qui veulent rivaliser avec les dieux, et qui
de Gandhi ou d’un membre de la mafia. Dans les deux cas,
en sont punis. Cette œuvre invite également à une réflexion
des hommes se font « justice » eux-mêmes, pour des raisons
sur la vengeance, la souffrance, la violence causée et subie,
personnelles ou pour défendre le groupe auquel ils appar-
sur les rapports de soumission et de domination que les êtres
tiennent. « Justice » expéditive et non fondée en droit.
établissent entre eux.
Enfin, la scène de torture, qui reste suggestive, du film Casino
Royale, évoque sans détour la thématique du châtiment et de
la vengeance, et pourra aisément être rapprochée de la sculp-
ture de Marsyas suspendu que nous proposons en regard.

Les dieux dans la cité • 137


a ÉTAPE 3 : a ÉTAPE 4 :
L’analyse du film dépendra de l’extrait qui aura été retenu. La confrontation, qui n’est pas une simple comparaison pour
Dans tous les cas, on veillera à se limiter à quelques minutes identifier les points communs et les différences (il y en a
seulement, qui se suivent ou non (on pourra faire un mon- nécessairement entre deux œuvres, quelles qu’elles soient),
tage). Tous les aspects de la mise en scène doivent être pris doit aboutir à des interrogations, à un questionnement, qui
en compte, en employant le vocabulaire technique spéci- pourront être formulées sous la forme de pistes probléma-
fique de l’analyse de l’image mobile (http://upopi.ciclic.fr/ tisées. Elles dépendront spécifiquement des deux œuvres
vocabulaire/#s1-1). S’il s’agit d’un extrait de pièce de théâtre retenues.
filmé, ce n’est pas tant la manière dont la scène est filmée que On pourra interroger la manière dont l’humain pense son
le jeu des acteurs, les décors, qu’il faudra analyser. Pour s’ap- rapport au destin, aux châtiments. Cela rejoindra les interro-
proprier le vocabulaire spécifique du théâtre, on se reportera gations formulées par René Girard qui poursuit sa réflexion
à http://actintheatre.com/fr/le-vocabulaire-du-theatre sur le « mécanisme sacrificiel » : « les Persécutions, le Mal sont-
ils une fatalité ? Les sociétés humaines sont-elles vouées à la
violence ? » (Le Bouc émissaire, Le Livre de poche, 1982, qua-
trième de couverture).

Proposition de critères d’évaluation


L’évaluation portera sur la réalisation finale et/ou sur le processus de l’élaboration du diptyque.
On évaluera :
- la pertinence du choix des œuvres ;
- la qualité des recherches et des connaissances utilisées ;
- la présentation du diptyque : on sera particulièrement attentif à la mise en œuvre de l’analyse iconographique et
filmique, qui sera illustrée par des captures d’écran, des recadrages, des découpages… ;
- la créativité, mise au service de la clarté ;
- la finesse de l’analyse et la mise en perspective des œuvres.

faire le bilan du chapitre


Le sujet que nous proposons doit amener l’élève à s’approprier et à penser les thématiques, les supports, les
enjeux du chapitre. La rédaction d’un plaidoyer implique de prendre position, en l’occurrence pour défendre le
principe de la laïcité.
Nous conseillons de commencer cette activité par des recherches sur la notion de laïcité et ses trois valeurs fon-
damentales. On consultera le portail « Qu’est-ce que la laïcité ? », sur le site du gouvernement français (www.
gouvernement.fr/qu-est-ce-que-la-laicite). On y visionnera les trois courtes vidéos suivantes :
- un entretien avec Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité ;
- un entretien avec Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité ;
- le court-métrage de l’association Coexister, qui retrace l’histoire de la laïcité.
On invitera également les élèves à choisir des textes du chapitre, qui permettent d’aborder la question du divin
dans la sphère publique : quelle place accorde-t-on aux dieux dans la cité ? Le divin doit-il être restreint à la sphère
privée ?
Ces interrogations pourront s’étendre à d’autres époques que le XXIe siècle, à d’autres pays et continents que la
France. L’histoire récente a montré que le principe de laïcité ne va pas de soi. Il s’agit de mieux comprendre pour-
quoi notre nation en fait l’un de ses principes fondamentaux : « Le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution
de 1958 prévoit que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’éga-
lité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les
croyances […]  ». Pour plus de précisions, on se reportera à la page dédiée du site du Conseil constitutionnel
(www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/comment-la-constitution-protege-t-elle-la-laicite).
Pour ce qui est de la forme et du ton, on pourra écouter et lire à nouveau les premiers paragraphes de la Première
Catilinaire de Cicéron (p. 68). En moins virulent et plus proche de nous, on visionnera le discours de Martin Luther
King, « I have a dream » (www.youtube.com/watch?v=VSOc7HNnsZ0) ou celui de Robert Badinter plaidant pour
l’abolition de la peine de mort (www.youtube.com/watch?v=waM7DsuhX28).
On pourra prolonger l’activité d’écriture par une mise en voix et en scène du plaidoyer ainsi rédigé. On peut ima-
giner de modifier la disposition de la salle de classe, d’utiliser un pupitre, par exemple.
On évaluera :
- la pertinence de la réflexion ;
- le choix du titre du plaidoyer ;
- le choix des intertitres et des parties de l’argumentation ;
- la qualité de l’argumentation et de l’expression ;
- l’appropriation et l’utilisation des supports du chapitre.


138 Les dieux dans la cité
évaluation p. 134-135
vers le bac
Prophétie de Cassandre
L’extrait que nous proposons est conforme aux sujets de l’épreuve de spécialité LLCA que passent les élèves
abandonnant cette spécialité en fin d’année : un texte d’environ 300 mots, suivi d’un passage à traduire de moins
de 50 mots. Nous avons conservé la présentation versifiée de la pièce de Sénèque et choisi une traduction, celle
d’Olivier Sers, à la fois versifiée et récente.
La prophétie de Cassandre s’inscrit dans le cycle de la famille des Atrides et de la cité de Mycènes. Le texte évoque
donc la présence et l’intervention des dieux dans la cité, et se rapporte plus particulièrement aux deux sous-thé-
matiques suivantes : « Le politique et le sacré » et « Justice des dieux, justice des hommes ». Ce sujet pourra donc
être donné à la fois aux élèves inscrits en option LCA et aux élèves inscrits en spécialité LLCA. C’est la raison pour
laquelle nous proposons, au choix, deux questions de langue, la deuxième relevant du programme de spécialité.
Les allusions à des realia et à des mythes qui émaillent la réplique de Cassandre sont explicitées aussi simplement
que possible en note. Pour le reste, la structure du passage est simple : la prophétesse révèle une série d’images
qui se présentent à ses yeux : « Quelle autre image attire à présent mes regards ? » (v. 18).
Nous conseillons de réserver deux heures pour traiter ce sujet, dans les conditions de l’épreuve du baccalauréat :
trente à quarante-cinq minutes seront consacrées aux questions de lexique et de langue ; une heure quinze à une
heure trente à la version ou à la rédaction de l’essai.
Comme activité préparatoire, on invitera les élèves à prendre connaissance du paratexte et à lire attentivement
le texte, en latin et en traduction. Un excellent moyen pour que chacun s’approprie l’extrait est de demander
aux élèves, en amont, d’effectuer une lecture expressive enregistrée de la traduction, in extenso, et d’un passage
choisi en latin, d’environ 50 mots, en justifiant ce choix. Étant donné qu’il s’agit d’une pièce de théâtre, on pourra
également faire rédiger des didascalies. Ce pourra être l’occasion de rappels concernant le théâtre antique et les
conditions de sa représentation. Il ne sera pas inutile non plus d’effectuer des recherches sur le cycle des Atrides.

partie 1
A. Lexique B. Fait de langue
Le nom masculin furor est ici employé sous la forme « furo- • Aux vers 1 à 7, les mots « Quid », « Cui » et « Ubi » sont les trois
ris » (v. 1), au génitif singulier ; il complète le nom « stimulis » et mots interrogatifs différents. « Quid » est le neutre du pronom
est qualifié par l’adjectif « novi ». L’expression « furoris stimulis interrogatif quis, pris adverbialement : il signifie « pourquoi »
novi » peut être traduite littéralement de la manière suivante : et est employé trois fois (v. 1, 2 et 6). « Cui » est le pronom inter-
« par les aiguillons d’une furie nouvelle » ; cela rejoint la tra- rogatif quis décliné au datif masculin ou féminin singulier : il
duction d’Olivier Sers. signifie « pour qui », « à destination de qui », et est employé
Le nom furor, en latin, est ici employé dans le second sens du deux fois (v. 5). « Ubi » est l’adverbe interrogatif concernant
dictionnaire  : «  délire prophétique, inspiration des poètes, une question de lieu sans mouvement : il signifie donc « où ? »
enthousiasme créateur » (Le Grand Gaffiot, éd. 2000). Il s’agit et est employé une fois (v. 7).
du sens positif du mot, celui que loue Érasme dans son Éloge Au total, les vers 1-7 comportent six mots interrogatifs, ce qui
de la folie : « Il y a deux sortes de folie : l’une est celle que des s’explique par le fait que Cassandre entre en délire prophé-
Enfers envoient les Cruelles vengeresses chaque fois qu’elles tique : ce passage correspond en effet au moment où, ne s’y
lancent leurs serpents et font entrer dans le cœur des mortels attendant pas, elle s’interroge sur ce qui lui arrive une nou-
l’ardeur belliqueuse, une soif d’or inextinguible ou un amour velle fois.
honteux et coupable, le parricide, l’inceste, le sacrilège ou
tout autre peste de ce genre, ou bien qu’elles poursuivent
• «  Ecce » est un adverbe classé par les grammaires dans la
catégorie des interjections. Il signifie « voici », « voilà » et sert
l’âme du coupable criminel de leurs Furies et de leurs torches à présenter. Il porte sur un nom au nominatif ou à l’accusa-
effrayantes. L’autre, toute différente de la première, est celle tif. Ici, il annonce le nom « dies » (v. 9), au nominatif. On peut
qui, bien sûr, provient de moi et qui est des plus désirables. traduire littéralement « ecce dies » par « voici que le jour ». Ce
Elle se produit chaque fois qu’un délicieux égarement de mot marque le début de la vision prophétique de Cassandre.
l’esprit à la fois libère l’âme de l’angoisse des soucis et l’emplit Après les interrogations exprimées aux vers 1-7, « Le doux jour
des voluptés les plus diverses » (Traduction de Jacques-Henri à fui, la nuit profonde/couvre [ses] yeux, le ciel s’enfouit dans
Michel, cité dans « La folie avant Foucault : furor et ferocia », les ténèbres ! » (v. 7-8). Puis la lumière apparaît, révélant l’ave-
dans L’Antiquité classique, année 1981, p. 520). nir par la bouche de la prophétesse.
Ici, Cassandre est emportée par la même furie que celle de la
Pythie ou de la Sibylle.

Les dieux dans la cité • 139


partie 2
Choix 1
Le Chœur. –
Maintenant, éteinte d’elle-même, se brise la furie
et elle tombe, le genou fléchi devant les autels, tel
un taureau portant au cou une blessure non mortelle.
Relevons ce corps. Voici qu’enfin, vers ses propres dieux
ceint du laurier du vainqueur, Agamemnon s’avance
et solennelle, son épouse va vers lui
à sa rencontre et revient à ses côtés, d’un pas accordé.

Choix 2
La méthode pour rédiger un essai est nouvelle pour les élèves, destin d’Agamemnon est en train de s’accomplir, malgré lui : à
à moins qu’ils/elles ne s’y soient déjà entraînés en classe de 2de. son retour, il pensait reprendre son trône ; il va être assassiné.
Il sera important de reprendre, pour mémoire, les différents Le plus puissant des hommes est-il donc si impuissant ? Ne
conseils que nous donnons aux chapitres 1 et 2 en marge de peut-il pas échapper au châtiment des Furies qui accourent
cette question de culture (p. 51 et 93). En complément, on lira pour laver le sacrifice d’Iphigénie ? Le destin des hommes
ceux qui figurent ici. On se reportera également avec intérêt est-il prédéfini par une instance supérieure aux hommes
au document intitulé « La pratique de l’essai et l’exercice de ou immanente à l’univers ? Y a-t-il une place pour la liberté,
l’argumentation  », publiée sur Eduscol. Nous en citons les pour la volonté, pour le hasard, dans la vie des hommes ? Les
points fondamentaux  : «  L’élève est ainsi invité à mettre sa hommes peuvent-ils stopper « la machine infernale » ?
pensée à l’épreuve, sans prétendre exprimer un jugement La question que pose également cette tirade de Cassandre
définitif ni une vérité incontestable. L’essai met en tension la est celle de la parole révélatrice face à l’aveuglement des
recherche d’une vérité relative et l’expression d’une pensée hommes, grâce au don de prophétie.
subjective. C’est pourquoi il peut être rédigé à la première
Si l’on s’en tient strictement à l’énoncé du sujet, l’essai doit
personne.
s’appuyer sur un corpus de cinq œuvres au total, texte
L’essai est, en effet, conçu comme une prise de parole et un
d’étude inclus, comme nous le rappelons dans notre rubrique
engagement assumés par son auteur. C’est un espace de liber-
« Conseils ». Nous privilégions ici des références autres que
té et de plaisir, régi cependant par un “contrat d’énonciation
celle de notre chapitre, la perspective étant axée sur la notion
et de lecture, une véridicité conditionnelle où s’équilibrent et
de fatum.
se contestent conviction et hésitation” ; il est régi également
par “un modèle générique alliant visée argumentative, pro- Voici quelques propositions :
gression par reprises”  » (http://cache.media.eduscol.edu- - texte littéraire antique : Sophocle, Œdipe roi, v. 380-462 (vers
cation.fr/file/LCA/68/5/RA19_Lycee_G_1_LLCA_pratique- 430-420 av. J.-C.) G Tirésias, irrité par les injures d’Œdipe,
essai_exercice-confrontation_1223685.pdf, consulté en annonce à mots couverts la terrible vérité ;
mai 2020). - texte littéraire antique : Eschyle, Agamemnon, v. 1178-1241
Dans l’introduction, nous conseillons de partir d’une citation (458 av. J.-C.) G Cassandre annonce le double meurtre ;
du texte d’étude (dans sa traduction en français), que l’on - texte littéraire antique : Lucrèce, De natura rerum, II, v. 1-293
choisit parce qu’elle permettra de poser une problématique. G le mouvement et la déviation des atomes, preuve de
Nous proposons ici, comme amorce : « Spectate, miseri : fata se l’antiprovidentialisme ;
vertunt retro » (v. 39), « les destins sont sans dessus dessous ! » - texte littéraire moderne : Marivaux, Le Jeu de l’amour et du
En effet, l’un des enjeux de ce passage, dans la pièce hasard (1730) G le questionnement de l’ordre établi ;
de Sénèque, est la force du destin qui venge le sacrifice - texte littéraire contemporain  : Marcel Pagnol, Manon des
d’Iphigénie. sources, dernier chapitre, de « Un soir d’automne » à « Je vais
On pourra se référer à l’étymologie du mot fatum, dérivé du prier pour toi » (1962) G Delphine, vieille et aveugle, révèle
verbe for, faris, fari, fatus sum, « parler ». Le fatum c’est, au sens au Papet qu’il est le père de Jean de Florette et le grand-père
propre, «  ce qui est dit  », c’est le lot attribué à chacun, que de Manon ;
ce soit par les dieux ou par une nécessité (anankê en grec) : - texte littéraire contemporain : Jean Anouilh, Antigone, inter-
le monde en général et les individus en particuliers seraient mède du Prologue au centre de la pièce (1944) ;
gouvernés par un destin inéluctable ; selon cette conception,
- texte littéraire contemporain : Isabel Allende, La Maison aux
ils ne peuvent échapper à leur destin.
esprits (1982) ;
C’est le sens de la malédiction qui pèse sur les familles mau-
- une œuvre filmique : Claude Berri, Manon des sources (1986)
dites, comme celle des Atrides : chaque génération paie un
lourd tribut pour la faute originelle commise par l’ancêtre G adaptation du dernier chapitre ;
commun. Lorsque Cassandre s’écrie «  fata se vertunt retro  », - une œuvre musicale  : Giuseppe Verdi, La Force du destin,
elle veut dire que « la roue de la Fortune tourne » et que le « Ouverture » (1862).


140 Les dieux dans la cité
Proposition de plan :

1. La force du destin
A. Les dieux se jouent des hommes
- la malédiction des Atrides : Sénèque, Agamemnon.
B. Le pouvoir performatif des mots
- le rôle des devins : Sophocle, Œdipe roi.
C. L’homme aveuglé par son ignorance
- quand le destin nous rattrape : M. Pagnol, Manon des sources.
« la tragédie, c’est l’affirmation d’un lien horrible entre l’humanité et un destin plus grand que le destin humain ; c’est l’homme
arraché à sa position de quadrupède par une laisse qui le retient debout… » (Jean Giraudoux)

2. Les jeux du rêve et du hasard


A. La déviation spontanée des atomes
- la physique d’Épicure : Lucrèce, De natura rerum.
B. Le drame et la tragédie
- mourir et aimer par hasard : J. Anouilh, Antigone ; Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard.
C. La possibilité d’une autre réalité
- le réalisme magique : Isabel Allende, La Maison aux esprits.

critères d’évaluation
Partie 1 8 points
Lexique
- Analyser grammaticalement le mot
3 points
- Définir son sens premier du mot
- Définir son sens en contexte et en proposer une autre traduction éventuellement
Fait de langue
- Analyser les mots proposés
5 points
- Établir un lien pertinent entre le fait de langue et l’effet produit par son emploi
- Clarté de la réponse
Partie 2
Choix n° 1 (Langue)
- Compréhension du texte
- Justesse et caractère personnel de la traduction
- Maîtrise de la langue française
Choix n° 2 (Culture) 12 points
- Pertinence de la problématique
- Capacité à mobiliser ses connaissances
- Présence et pertinence de la confrontation des mondes antique, moderne
et contemporaine
- Capacité à organiser sa réflexion
- Maîtrise de la langue française

Les dieux dans la cité • 141


CHAPITRE
4 Masculin, féminin

ouverture p. 136-137
« Les conceptions du masculin et du féminin sont aujourd’hui, de citoyens romains. Les censeurs ont donc légiféré pour inci-
plus que jamais, discutées et questionnées. Découvrir les ter les hommes à ne pas rester célibataires, et pour les dis-
représentations antiques, dans leur diversité, invite l’élève suader de répudier leur épouse, à une époque où le divorce
à enrichir sa réflexion sur les modèles familiaux, le mariage était encore fort rare et vu d’un très mauvais œil, non pas
et la sexualité. Les récits mythologiques (travestissement, tant, précisément, pour des raisons morales, au sens où nous
échange et confusion des sexes) permettent de penser la l’entendons aujourd’hui, que pour des raisons pratiquement
différence des sexes ; par ailleurs, philosophes, historiens ou politiques : c’est la survie de Rome qui en dépendait.
poètes dramatiques montrent la réalité des statuts et des Nous interrogeons ensuite les idées reçues sur le «  sexe
rôles sociaux respectifs de l’homme et de la femme. Enfin, faible » et le « sexe fort ». En page de gauche, une lettre d’un
les couples mythiques et historiques représentent dans leur égyptien de langue grecque d’époque romaine adressée à
diversité heureuse ou tragique les relations amoureuses sa femme, pour laquelle il semble avoir des sentiments mais
hétérosexuelles ou homosexuelles » (B.O.). à laquelle il demande d’exposer leur bébé si c’est une fille ;
Comme dans les autres chapitres, notre parti a été de trai- un extrait des Nuits attiques d’Aulu-Gelle, qui définit le statut
ter chacune des quatre sous-thématiques recensées par les exceptionnel des vestales. En page de droite, une statue de
programmes d’option, en variant autant qu’il est possible les Jules César d’après l’Antique ira probablement dans le sens des
supports (textes et images), les auteurs (époque et genre), les opinions des élèves sur la figure du conquérant des Gaules ;
approches et les démarches. mais le célèbre portrait qu’en dresse Suétone ne va pas vrai-
Notre objectif est de bousculer certaines idées reçues et de ment dans le même sens. De quoi remettre en question, là
susciter l’interrogation, pour ne pas dire, en l’occurrence, le encore, certaines représentations.
débat, afin que les catégories de masculin et de féminin ne Une troisième double-page propose une réflexion sur
soient pas/plus perçues comme allant de soi. l’image de l’homme idéal, à travers la lecture d’un extrait de
• Féminin et masculin dans la mythologie  : nous l’Amphitryon de Plaute, que l’on confrontera à une caricature
de Mix et Remix figurant l’homme contemporain en homme
consacrons deux doubles-pages à cette première sous-thé-
matique. Un extrait du Banquet de Platon et un extrait d’une préhistorique invectivé par sa femme prétendument plus
fable de Phèdre permettent de s’interroger d’emblée sur « émancipée » qu’il n’est évolué. Un extrait de l’essai Le Mythe
l’origine de la différence sexuelle et sur la dualité homme/ de la virilité de la philosophe Olivia Gazalé permet de faire le
femme. N’y avait-il pas à l’origine, un troisième sexe ? D’où point sur l’émancipation de la femme et, par là même, sur la
vient que certains hommes aiment les femmes, que d’autres manière dont l’homme la considère.
hommes aiment les hommes, que certaines femmes aiment • Amours, amantes et amants  : nous déclinons cette
les hommes, que d’autres femmes aiment les femmes, que sous-thématique en trois doubles-pages. Nous partons de
certains individus soient hermaphrodites  ? Les réponses l’exemple du couple historique que formèrent Cnaeus Julius
apportées par les deux auteurs sont certes de l’ordre du Agricola et Domitia Decidiana, présentés par Tacite comme
mythe ; du moins le débat est-il lancé. En regard, pour illuster des modèles pour une vie conjugale heureuse. Pour mettre
le travestissement, l’échange et la confusion des sexes, nous en perspective le bref portrait de ce couple, nous avons illus-
proposons un extrait du Livre II des Métamorphoses d’Ovide, tré la page avec le Sacrophage des époux, d’art étrusque (VIe s.
où Jupiter prend forme féminine pour séduire et posséder la av. J.-C.). Sur la page de droite, nous fleurtons avec l’érotisme,
nymphe Callipso et la représentation picturale du mythe par avec le jeune couple fougueux, mais légendaire, formé par
Pierre Paul Rubens. le héros des Métamorphoses d’Apulée, Lucius, et sa maîtresse
Pour poursuivre la réflexion, nous avons choisi de consacrer Photis, la fille de son hôte. Une « promesse de plaisir », pour
la deuxième double-page au mythe d’Orphée et d’Eurydice, reprendre notre titre, pour peu que l’on traduise les passages
qui peut être interprété comme une méditation sur l’impos- qui ne le sont pas…
sible union des amants, que cette union soit physique ou spi- Ensuite, nous proposons de lire et de traduire quatre ins-
rituelle. Les élèves liront un extrait de la Quatrième Géorgique criptions érotiques, au sens premier du terme, relevées sur
de Virgile. Ils/elles le confronteront à un passage de l’Eurydice les murs de Pompéi, dont deux très brèves, et deux courts
de Jean Anouilh, qui se révèle également sombre et pessi- poèmes de Catulle adressés à Lesbie, dont un accompagné
miste sur la relation homme/femme, et à une séquence vidéo d’une traduction assez ancienne. Si Lesbie n’est peut-être
de la mise en scène de l’opéra de Gluck par Raphaël Pichon, que le nom d’une muse poétique, en revanche les inscrip-
dont nous avons reproduit un photogramme. tions pariétales sont l’expression directe des sentiments
• Femmes et hommes : dans une première double-page, d’hommes ou de femmes qui habitaient la baie de Naples
voici deux millénaires. Nous avons d’ailleurs reproduit une
nous commençons par une lecture de neuf articles de lois
tirés du Digeste, recueil de citations de jurisconsultes romains photographie de l’une des inscriptions, qu’il s’agira de déchif-
de l’époque archaïque, hellénistique et surtout classique ; frer. Une visite virtuelle en immersion numérique du quartier
il s’agit de définir les fondements légaux des fiançailles, du de Subure à Rome permettra de se plonger dans une rue où
mariage et du divorce. En regard, un extrait des Faits et dits se trouvait un lupanar.
mémorables de Valère Maxime, qui fait l’éloge du mariage en Enfin, nous nous arrêtons sur les amours couramment qua-
tant que cette insitution garantit la pérennité des générations lifiées d’interdites, parce qu’homosexuelles. Deux textes


142 Masculin, féminin
antiques, à savoir un extrait des Césars d’Aurelius Victor sur immergera les élèves au cœur du Circus Maximus. Mais la
la relation entretenue par l’empereur Hadrien avec le jeune séduction peut provoquer les plaintes : celles de Didon aban-
Antinoüs et une épigramme de Martial faisant l’éloge de donnée par Énée, épisode mythologique qui doit faire partie
Telesphore, donnent une vision contrastée de la pratique de de la culture générale des latinistes.
l’homosexualité dans l’Antiquité romaine ; une représenta- Nous avons, dans la deuxième sous-thématique, voulu diver-
tion sur un kylix d’un éraste embrassant son éromène invi- sifier à nouveau les supports  : une longue stèle funéraire
tera à se renseigner sur la « pédagogie pédérastique » (Olivia qu’un mari a fait dresser pour sa jeune épouse défunte, une
Gazalé) en Grèce antique. En regard, un texte de Marcel lettre de Pline le Jeune à sa femme, une lettre de Cicéron à
Proust évoquant l’homosexualité féminine dans Albertine sa femme et à ses deux enfants, un poème de Jean Salmon
disparue et une affiche du ministère de l’Enseignement Macrin à sa femme, en marge duquel nous avons reproduit
supérieur et de la Recherche qui a mené campagne en 2009 La Joconde, afin là aussi de bousculer les idées reçues. Pour
contre l’homophobie. confrontation, une élégie de Marceline Desbordes-Valmore,
• Amour, amours (spécialité) : nous avons retenu trois poétesse française méconnue bien que publiée de son
sous-thématiques du programme de spécialité : « désirer et vivant, et une planche de bande-dessinée extraite du Combat
séduire », « dire et chanter l’amour », « représenter l’amour ». ordinaire de Manu Larcenet.
Désir et séduction parcourent nombre d’œuvres de la lit- Pour achever ce parcours, nous consacrons une double-page
térature latine, ce que ne soupçonnent probablement pas à la représentation, antique et moderne, de l’amour, à travers
la grande majorité de nos élèves. L’un des auteurs les plus les figures mythologiques de Vénus et de Cupidon : Apulée,
emblématiques est Ovide, dont les écrits érotiques lui ont héritier du platonisme, définit quelles sont les deux Vénus ;
peut-être valu l’exil. Nous commençons donc par la lecture le début de la Troisième Pontique évoque l’apparition de
de quelques conseils de séduction au Grand Cirque, extraits Cupidon au poète exilé. Pour illustrer ces deux pages, nous
de L’Art d’aimer. Un portrait de femme du Fayoum illustre la proposons une lithographie de Pablo Picasso intitulée Vénus
page. Une vidéo réalisée par le CIREVE de l’Université de Caen et l’Amour, que l’on confrontera aux textes antiques.

Entrées possibles dans le chapitre


- Approche par la mythologie : la mythologie permet souvent lecture suivant : les mythes sur l’origine et la dualité des sexes
de prendre du recul et de mettre à distance nos propres repré- (p. 138), les neuf articles de lois sur les fiançailles, le mariage
sentations du monde et des réalités qui nous entourent. Le et le divorce (p. 142), l’éloge du mariage (p. 143), le sexe soi-
sujet traité dans ce chapitre étant somme toute assez particu- disant faible et le sexe soi-disant fort (p. 144-145), l’homme
lier parce qu’il touche à l’individu en tant qu’être sexué, dans idéal emprunt de virilité et la femme émancipée (p. 146-147),
ce qu’il a de plus intime, il pourra être opportun d’aborder ce l’amour homosexuel (p. 152-153).
sujet par le prisme des mythes. On lira en premier lieu, dans - Approche par l’expression des sentiments : quel que soit le
cette perspective, les textes consacrés à la représentation de type d’amour, homo- ou hétérosexuel (catégorisation qui est
Vénus et de Cupidon (p. 160-161). On poursuivra par l’image récente), conjugal ou filial, les amants ou les parents, au sens
de l’homme idéal véhiculé par Plaute dans l’Amphitryon large, ressentent le besoin incompressible d’exprimer leurs
(p. 146), puis par le mythe d’Orphée et d’Eurydice (p. 140-141), sentiments, par écrit, sur tout type de supports. Nous propo-
les plaintes de Didon (p. 155). On terminera par les amours sons ici de lire des lettres réelles ou fictives, en prose ou en vers
de Jupiter et Callisto, où la violence affleure sous couvert de (p. 144, 155, 157), des graffitis (p. 150), des poèmes, élégies ou
litote (p. 139). Un parcours progressif aura ainsi été suivi. épigramme (p. 151, 152, 158, 159), une stèle funéraire (p. 156).
- Approche par la catégorie des sexes : la catégorisation des - Approche plus érotique  : sans tabou ni fausse pudeur, on
sexes, indéniablement naturelle, a entraîné, au cours de l’his- pourra se risquer à aborder la thématique « Masculin, fémi-
toire de l’humanité, la construction mentale et sociétale d’une nin » sous l’angle érotique, au premier et au second sens du
mythologie du féminin et du masculin, comme l’analyse terme. On pourra commencer, ici aussi, par étudier les repré-
la philosophe Olivia Gazalé ; un véritable « mythe de la viri- sentations de Vénus et de Cupidon (p. 160-161). On poursui-
lité » s’est forgé, en même temps qu’une mise en place d’un vra par les leçons de flirt d’Ovide (p. 154), puis par les graf-
système viriarcal affirmant la toute-puissance de l’homme. fitis de Pompéi (p. 150). La « promesse de plaisir » physique
Pour s’interroger sur les concepts et les catégories de mas- sera en quelque sorte le point d’orgue de cette approche (p.
culin et de féminin, et l’institution du mariage qui se fonde 149). On ne manquera pas cependant d’évoquer les amours
sur cette catégorisation, on pourra suivre le parcours de homosexuelles (p. 152-153).

Présentation des documents et problématisation


La première illustration que nous présentons est l’une des rien à l’interprétation. Nos certitudes ne peuvent être tirées
fresques les plus célèbres retrouvées à Pompéi ; elle est que de la seule observation de l’œuvre.
conservée au Musée archéologique national de Naples sous Nous ne montrons que la partie centrale de cette fresque,
le numéro d’inventaire 9058. Pour autant, nous ne savons dont le cadre, haut de 58 cm, est en réalité presque carré : la
en réalité rien sur les deux personnages qui y sont repré- partie haute n’est que le prolongement du fond « marbré » ;
sentés : déduire le nom et la profession des personnages à la partie basse, relativement abîmée, le prolongement des
partir de la lecture d’inscriptions gravées sur les murs inté- éléments visibles :
rieurs ou extérieurs de la domus dans laquelle a été retrou-
- à gauche, une jeune femme, au teint blanc, aux cheveux
vée cette œuvre est pour le moins hasardeux et n’apporte
bruns divisés par une raie médiane et attachés en arrière,

Masculin, féminin • 143


coiffés d’un bandeau serre-tête laissant retomber une frange féminin et du masculin tranche avec nos représentations
de boucles sur le front ; ses sourcils fournis surmontent des habituelles du couple antique.
yeux marron pensifs ; elle semble porter des pendentifs ; elle En regard, Le Baiser, de Constantin Brancusi (1910). La sculp-
est vêtue d’un pallium qui était peut-être pourpre à l’origine ; ture que nous reproduisons appartient à une série de qua-
elle tient dans sa main droite un « carnet » de trois tablettes rante pièces réalisées à partir de 1905 et qui sont devenues
de cire lissée, dans sa main gauche un stylet dont la pointe comme la marque de fabrique de cet artiste d’origine rou-
effleure ses lèvres ; maine. Au fur et à mesure, la forme s’épure, jusqu’à être un
- à droite, un jeune homme sensiblement du même âge, à la pavé droit dégrossi figurant les bustes d’un couple d’amants
peau plus mate, aux cheveux bruns et courts, le front un peu enlacés, front contre front, nez contre nez, lèvres contre
plissé ; ses yeux sont marron ; sa barbe est encore juvénile et lèvres, poitrine contre poitrine. L’homme et la femme sont
très peu fournie ; il porte lui aussi un pallium, plutôt qu’une quasiment semblables, de part et d’autre d’un axe de symé-
toge ; il tient verticalement dans sa main droite un volumen trie verticale. Cette œuvre fait penser à un style archaïque, à
qui effleure son menton et dont on aperçoit l’étiquette de l’art premier. On sait en particulier que Brancusi s’opposait
pourpre en forme de feuille d’arbre. au style d’Auguste Rodin.
Sont-ils frères et sœurs ? Forment-ils un couple ? Sont-ils le La confrontation de ces deux œuvres iconographiques amè-
dominus et la matrona de la domus ? Trancher serait aller trop nera les élèves à s’interroger sur le couple masculin/féminin et
loin dans l’interprétation. Ces deux personnages ont toutes la relation qu’entretiennent hommes et femmes, selon leurs
les chances d’appartenir à une famille cultivée de la nobilitas a priori, depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque contemporaine.
pompéienne. Ce qui est certain, c’est qu’ils sont représen- Nous posons explicitement une question dont la réponse ne
tés sur un pied d’égalité, si ce n’est que l’homme dépasse va évidemment pas de soit dès lors précisément qu’on se la
de quelques centimètres la jeune femme. Cette vision du pose : « Comment définiriez-vous le masculin et le féminin ? ».

lecture Féminin et masculin dans la mythologie

Dans les pages Lecture, les onglets de question sont indépendants les uns des autres. Il est donc possible
de les traiter dans l’ordre que l’on souhaite ou de ne traiter que ceux que l’on souhaite. Ce dispositif per-
met d’envisager une approche différenciée du texte.

1 Le troisième sexe (p. 138)


Pour entrer dans ce chapitre « Masculin, féminin », il nous a semblé pertinent de commencer par traiter la sous-
thématique « Féminin et masculin dans la mythologie : représentations littéraires et artistiques ; travestissement,
échange et confusion des sexes ; expression des émotions et des sentiments ».
Dans cette première page, nous avons retenu deux mythes afin de susciter la réflexion sur ce qui semble pour-
tant aller de soi : l’origine et l’attribution aux hommes et aux femmes d’un sexe différent. Mais n’existe-t-il que
deux sexes différents ? Qu’en était-il à l’origine ? Qui a doté l’homme et la femme d’un sexe distinct ? Dans quelle
circonstance ?
Si l’extrait du Banquet de Platon et celui des Fables de Phèdre s’apparentent bien à la mythologie, ce qui n’échap-
pait ni à leur auteur ni à leurs contemporains, ces textes ne nous révèlent-ils cependant pas quelque chose sur
notre condition sexuée, sur la différence des sexes, sur les différents types d’amour, hétéro- et homosexuels ? Ce
sont ces interrogations que nous avons souhaité susciter chez les élèves.
Dans Le Banquet, on trouve six éloges d’Éros  : celui de Phèdre, celui d’Agathon, celui de Pausanias, celui de
Éryximaque, celui d’Aristophane et Socrate, qui parle au nom de Diotime, enfin celui d’Alcibiade. « Au lieu de
décrire la nature d’Éros, puis de montrer quels bienfaits découlent d’une telle nature, Aristophane veut plutôt
révéler la puissance du dieu, qui seul peut guérir de ce mal dont la guérison constitue pour l’espèce humaine la
plus grande des félicités. Pour ce faire, il va dépeindre l’état antérieur de l’espèce humaine et indiquer l’origine du
mal qui la frappe » (Luc Brisson, Platon, Le Banquet, GF, 2016, « Introduction », p. 43-44). C’est l’objet de notre extrait.
Quant à Phèdre, il pose cette question au début de sa fable (v. 1-2, traduction de J.-L. Valin, La Différence, 2005) :
« Les femmes lesbiennes, les mâles efféminés,
Quelle raison les explique ? demandait-on au Vieillard. »
Il répond à cette question par un récit fabuleux, qui n’en est pas moins l’occasion de réfléchir plus avant à la ques-
tion posée.

TRADUCTION
Il est soudain invité à manger par Liber,
d’où, les veines imbibées de beaucoup de nectar,
il revint tard chez lui, le pied titubant.
Alors, l’esprit moitié endormi et dans l’égarement de l’ivresse,
il adapta un organe féminin à l’espèce mâle
et appliqua des membres masculins aux femmes.


144 Masculin, féminin
Comprendre
1. Le premier type d’amour, selon nos catégories modernes, Ces trois types d’êtres se sont séparés en deux, comme on
est l’amour hétérosexuel des hommes pour les femmes  : découpe un poisson : les deux parties de cet être auparavant
« Tous ceux des hommes qui sont un morceau de cette être unique cherchent à se réunir, étant les seules à pouvoir se
commun […] sont attirés par les femmes et la plupart des correspondre parfaitement, de même que lorsqu’on retrouve
hommes adultères proviennent de cette espèce ». deux morceaux d’un même objet qui s’est brisé, ils « collent »
Le second type d’amour est l’amour hétérosexuel des parfaitement. C’est le sens du mot grec sumbolon, comme
femmes pour les hommes : « toutes les femmes attirées par nous le rappelons en note.
les hommes et adultères, proviennent de cette espèce ». Lorsque l’être originel était androgyne et possédait deux
Le troisième type d’amour est l’amour homosexuel, des sexes différents, les deux moitiés d’êtres qui en sont issues
hommes pour les hommes ou des femmes pour les femmes : sont l’une masculine, l’autre féminine ; elles se cherchent l’une
«  toutes celles parmi les femmes qui sont un morceau de l’autre et pratiquent l’amour hétérosexuel.
femme, celles-ci ne prêtent absolument aucune attention aux Lorsqu’en revanche l’être originel était doublement mascu-
hommes : mais se tournent davantage vers les femmes, et les lin, les deux moitiés qui en sont issues sont toutes les deux
courtisanes des femmes proviennent de cette espèce. Et tous masculines ; elles se cherchent l’une l’autre et pratiquent
ceux qui sont un morceau de mâle, recherchent les mâles et, l’amour homosexuel. De même si l’être originel était dou-
aussi longtemps qu’ils sont jeunes, puisqu’ils sont des petites blement féminin.
tranches de mâle, ils aiment les hommes et prennent plaisir à 3. Le locuteur n’établit aucune hiérarchie entre ces trois types
coucher avec eux et à s’unir à eux. » d’amours. Dans l’Antiquité, les concepts et les catégories
2.  Platon explique l’attirance des êtres entre eux par leur d’homo- et d’hétérosexualité n’existaient pas. Les pratiques
origine androgyne commune. Chaque être n’est qu’une homo- et hétérosexuelles coexistaient et étaient encoura-
moitié d’un être originel de forme ronde, à quatre mains, gées, dans le respect de codes bien définis (voir en particulier
quatre pieds, quatre jambes, deux visages et bisexué, avec ci-dessous la double-page 152-153).
deux sexes masculins, deux sexes féminins ou deux sexes
différents. Il y avait trois sortes d’êtres originels : des doubles
mâles, des doubles femelles, des androgynes.

Traduire
1.  Sur l’accusatif de relation, voir la leçon 1.2 p. 179 ; sur 2. « Titubanti pede » est une proposition dont le verbe est le
l’accusa­tif de lieu, voir la leçon 1.6 p. 180. participe présent titubante, accordé à l’ablatif masculin sin-
«  Venas  » complète le participe parfait passif «  inrigatus  », gulier avec le nom pede. Nous l’avons traduite par « le pied
accordé au nominatif masculin singulier avec le sujet du verbe titubant ».
« reversus est », c’est-à-dire Prométhée. On peut traduire litté- « Semisomno corde » et « errore ebrio » sont des groupes nomi-
ralement « venas inrigatus » par : « imbibé quant à ses veines », naux composés d’un adjectif (semisomno, ebrio) et d’un nom
« imbibé concernant ses veines » ; ce sont ses « veines » qui commun (corde, errore) accordés à l’ablatif singulier, complé-
sont « imbibées » d’alcool, et non pas son corps entier. ments circonstanciels de manière. Nous les avons traduits par
« Domum » peut être littéralement traduit par « à la maison ». « l’esprit moitié endormi » et « dans l’égarement de l’ivresse ».

Interpréter
1 et 2. Les mythes rapportés respectivement par Platon et par indiquer l’origine du mal qui la frappe » (Luc Brisson, Platon,
Phèdre ne sont pas crédibles et n’avaient pas vocation à l’être. Le Banquet, GF, 2016, « Introduction », p. 43-44).
Les interlocuteurs des dialogues de Platon n’hésitent pas à De son côté, Phèdre est un fabuliste et n’a pas la prétention
s’appuyer sur des récits mythiques ou des allégories, avançant de dire le vrai. Il tente simplement de répondre à la question
par le dialogue dans la recherche d’une vérité. Dans le Banquet, qu’il pose d’emblée aux deux premiers vers de sa fable :
après les discours de Phèdre et Agathon puis de Pausanias et Rogavit alter trabidas et molles mares
Éryximaque, « avec Aristophane et Socrate, les éloges d’Éros Quae ratio procreasset. Exposuit senex.
prennent une tout autre tournure. Alors que les quatre dis- L’enjeu est ici non pas de rechercher une vérité mais de donner
cours qui viennent d’êtres mentionnés s’insèrent dans un pro- un fondement d’ordre divin à l’existence des trabidas et des
cessus d’interprétation et donc de transformation des ensei- molles mares, de même qu’Ovide, dans les Métamorphoses,
gnements de la mythologie traditionnelle sur Éros, les deux donne une explication d’ordre divin à la séparation des élé-
éloges prononcés par ces personnages nous font entrer dans ments constitutifs du chaos lors de la création du cosmos.
des domaines religieux très différents. […] Au lieu de décrire la
nature d’Éros, puis de montrer quels bienfaits découlent d’une prolongements
telle nature, Aristophane veut plutôt révéler la puissance du
On pourra ici rapprocher la fable de l’extrait d’Albertine disparue
dieu, qui seul peut guérir de ce mal dont la guérison consti-
de Marcel Proust et de l’affiche contre l’homophobie du Ministère
tue pour la race humaine la plus grande des félicités. Pour ce de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (voir p. 153).
faire, il va dépeindre l’état antérieur de l’espèce humaine et

Masculin, féminin • 145


2 Jupiter prend forme féminine (p. 139)
En regard de la page de gauche consacrée à l’origine légendaire des êtres sexués, masculins, féminins et herma-
phrodites, nous avons choisi le mythe de Jupiter et Callisto pour illustrer « travestissement, échange et confusion
des sexes » (B.O.).
Le Livre II des Métamorphoses d’Ovide s’ouvre sur la description du palais du Soleil et de ses portes ouvragées
(v. 1-18). S’ensuit le mythe de Phaéton, jusqu’à son anéantissement par la foudre de Jupiter pour éviter un nou-
veau chaos (v. 19-332) ; ses proches le pleurent (v. 333-400). Jupiter, qui a évité le pire, entend désormais faire
revivre la nature : il s’intéresse en premier lieu à l’Arcadie et s’éprend de la belle Callisto, une jeune vierge, com-
pagne de chasse de Diane. Alors que la nymphe se repose à l’orée d’un bois, le dieu prend l’apparence de Diane
et la viole : c’est le sujet de l’extrait que nous proposons. Lorsque Junon apprend que Callisto a accouché d’Arcas,
de jalousie elle la métamorphose en ourse (v. 401-495). Les vers suivants rapportent la catastérisation de Callisto
et d’Arcas (v. 496-530).
Jupiter fait donc preuve, une fois encore, de ruse et de dissimulation, abusant de la naïveté de la nymphe. C’est
ce qui ressort du tableau de Pierre Paul Rubens que nous avons mis en regard. La nudité de Callisto, la blancheur
de sa peau, sa position et son regard symbolisent sa virginité, sa candeur, sa pudeur, sa vulnérabilité. Face à elle,
Jupiter, que le spectateur reconnaît d’emblée grâce à l’aigle aux ailes semi-déployées à l’arrière-plan ; pour le
reste, le personnage de gauche est bel et bien une femme, dont les intentions n’échappent à personne. Comme
le dernier vers de l’extrait, le tableau peut être lu comme une litote : nec sine crimine prodit.
Nous conseillons de commencer par l’analyse de l’illustration, qui permettra d’émettre des hypothèses de lecture,
qui seront ensuite à confirmer ou infirmer. Dans un second temps, on pourra répondre aux questions d’Interpré-
tation, puis de Compréhension, enfin de Traduction.

Biblio
Comme le stipulent les programmes de la classe de 1re, « la lecture C’est la raison pour laquelle nous avons retenu, comme premier
des œuvres et des textes majeurs de la littérature gréco-latine, situés diptyque bibliographique de ce chapitre, le mythe d’Éros et Pscyhé tel
dans leur contexte, constitue le socle de l’apprentissage. En fonction que le rapporte Apulée dans Les Métamorphoses et Les Amours de Psyché
de la situation pédagogique, ces œuvres et textes sont abordés selon et de Cupidon par La Fontaine, qui a puisé aux sources antiques. Dans
diverses modalités de lecture : en traduction, en lecture bilingue, en Les Métamorphoses, l’histoire d’Éros et Psyché est enchâssée dans le
langue originale ; dans leur intégralité ou en extraits. Ils sont confrontés récit principal : une vieille femme la raconte à une jeune fille capturée
à des œuvres modernes et contemporaines, issues de la littérature par des brigands, pour la divertir. La Fontaine reprend et détourne le
française ou étrangère, avec lesquelles ils entrent en résonance. Cette mythe, à des fins notamment satiriques.
confrontation peut être l’occasion d’aborder l’évolution des formes Les évocations artistiques de ce mythe sont nombreuses et variées :
littéraires (continuité, reprise ou rupture, voire disparition) ». peintures, sculptures, gavures, tapisseries, vitraux, littérature, musique.

TRADUCTION
Aussitôt il revêt la forme et l’élégance de Diane
Et dit : « Ô jeune fille, qui fait partie de mes compagnes,
Sur quels sommets as-tu chassé ? De l’herbe épaisse la jeune fille
Se lève et dit : « Salut, divinité, d’après moi
– il peut bien m’entendre – plus grande que Jupiter. » Il rit en l’entendant
Et se réjouit d’être préféré à lui-même, et joint des baisers
pas suffisamment sages, que ne doit pas donner une vierge.
S’apprêtant à lui raconter dans quelle forêt elle allait chasser,
Il l’en empêche en l’entourant [de ses bras] et, non sans crime, se révèle.

Traduire
1. Dans le texte en latin, « sibi » (v. 6) et « se » (v. 6 et 9) sont les - la disjonction du nom « oscula » (v. 6) et du participe parfait
formes au datif et à l’accusatif masculin singulier du pronom passif « moderata » (v. 7) qui le complète ;
réfléchi de la troisième personne. Ils renvoient à Jupiter, qui est - l’identification de l’adjectif verbal d’obligation, que com-
également le sujet des verbes « gaudet » (v. 6) et « prodit » (v. 9). plète le groupe prépositionnel « a virgine » ;
« Sibi » est le COI de « praeferri », verbe de la proposition infini- - l’antéposition de la proposition relative «  qua venata foret
tive dépendant de « gaudet » et dont le sujet à l’accusatif est silva » (v. 8) : le pronom relatif est à l’ablatif de lieu (« qua ») ;
le pronom réfléchi « se » (v. 6). Au vers 9, « se » est le COD de l’antécédent du pronom relatif, « silva », est inclus dans la pro-
« prodit ». position et a pris le cas, par attraction, du pronom relatif ; nor-
2. Ce passage à traduire n’est pas très long, mais comporte malement « silva » devrait être à l’accusatif, COD de « narrare » ;
quelques difficultés : - l’identification de la litote « nec sine crimine » (v. 9), qui signi-
- selon la logique narrative, le verbe « audit » devrait être pré- fie : « en la violant ».
cédé le verbe « ridet » (v. 5), ce qui n’est pas le cas pour des
raisons de métrique ;


146 Masculin, féminin
Comprendre
1. Cette question classique ne posera pas de difficultés parti- 3. L’amour de Jupiter pour la jeune fille se manifeste par le fait
culières aux élèves. On les invitera cependant à citer les mots qu’il s’approche d’elle et engage le dialogue, joignant à ses
en latin. On pourra déjà observer le tableau de Pierre Paul paroles des « baisers pas suffisamment sages, que ne doit pas
Rubens, qui permettra de « planter le décor ». donner une vierge ». Ne lui laissant pas le temps de répondre
2.  Comme dans d’autres épisodes mythologiques, on rap- à la question qu’il lui avait posée auparavant, il l’enserre dans
porte ici une aventure de Jupiter avec une mortelle, en l’oc- ses bras et la prend de force (v. 9).
currence la nymphe Callisto. Le maître de l’Olympe ne par- La question qui se pose est celle de savoir si, effectivement,
vient à ses fins que parce qu’il dupe sa victime : Callisto croit on peut parler d’amour. On ne s’interdira pas de poser cette
voir la déesse Diane, dont elle est une compagne ; en réalité, question aux élèves, et de faire émerger leurs interprétations
il s’agit de Zeus métamorphosé (« induitur faciem cultumque sur le sens de ce mythe. Il sera pertinent de rapprocher ce récit
Dianae », v. 1). de celui des amours de Jupiter et Europe (Métamorphoses, II,
833-875).

Interpréter
1.  2.  L’observation et l’analyse d’image reste une activité peu
évidente pour nos élèves, qui ont tendance à s’en tenir à des
remarques d’ordre général, sans entrer dans les détails ni dans
l’interprétation. Nous conseillons de prendre le temps de
l’observation attentive de l’ensemble de l’œuvre : d’abord en
A. une vision d’ensemble, ensuite en zoomant sur chaque zone
D. de l’image, pour en révéler tous les détails. Au fur et à mesure
de cette phase d’observation en classe entière, on notera sur
C. une partie du tableau, à gauche de préférence, les éléments
observés et nommés objectivement. Enfin, on demandera
B. aux élèves de donner un sens à chaque élément relevé : cela
passera par un moment de réflexion individuelle, avant une
mise en commun sur la partie droite du tableau. Pour chaque
détail, on tentera d’apporter un réponse, parfois personnelle,
à la question suivante : pourquoi cet élément est-il représenté
à cet endroit de cette façon ? En un mot, il s’agira de donner
A. Induitur faciem cultumque Dianae atque ait. du sens à l’ensemble du tableau en ne négligeant aucun
B. Virgo, pars una mearum. détail dans la composition, le style, les couleurs…
C. Caespite.
D. Oscula jungit.

3 Il a le regard qui tue (p. 140)


Avec Orphée et d’Eurydice, figures masculine et féminine de la mythologie, couple malheureux, nous abordons
l’ « expression des émotions et des sentiments » (B.O.).
Nous avons choisi un extrait de la Quatrième Géorgique de Virgile, dont le plan général est le suivant :
- v. 1-7 : adresse à Mécène en forme d’introduction au sujet qui va être évoqué ;
- v. 8-280 : description de la cité idéale des abeilles, que sont l’essaim et la ruche, en forme de méditation sur la
situation de la Rome contemporaine et le « roi » idéal ;
- v. 281-558 : réflexion sur la mort et la renaissance à travers le mythe du berger Aristée, le premier à avoir utilisé
la technique de la bougonia, venue d’Égypte, pour rescussiter les abeilles ; pleurant la mort de son essaim, Aristée
était allé se plaindre à sa mère Cyrène, qui lui conseilla d’aller consulter Protée, le dieu des métarmophoses : celui-
ci lui révéle que la destruction de ses abeilles était le châtiment suscité par Orphée pour la mort d’Eurydice et lui
raconte le mythe, la descente aux Enfers et l’irréparable séparation des amants ; grâce à des rites destinés à obtenir
le pardon des nymphes des bois, compagnes d’Eurydice, et celui des Mânes d’Orphée, Aristée parvient à faire
renaître ses abeilles ;
- v. 559-566 : conclusion des Géorgiques.
Dans cette perspective, le mythe d’Orphée et d’Eurydice nous apparaît comme une méditation pessimiste sur
l’irrémédiable séparation des êtres, fussent-ils amants.
Les vers 485-498 que nous reproduisons rapportent précisément le moment où Orphée oublie sa promesse, pro-
voquant la perte d’Eurydice, qui s’éplore en s’évanouissant dans les ténèbres. L’activité de mise en voix (voir notre
rubrique ci-dessous) sera l’occasion d’exprimer, un tant soit peu, l’émotion de la jeune femme.

Masculin, féminin • 147


INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES viva voce
• On lira avec intérêt les vers 1 à 142 du Livre X des Pour faire faire l’activité de mise en voix, on pourra s’inspirer
Métamorphoses d’Ovide, qui donne une autre version du mythe de notre lecture audio. Il ne s’agira pas d’en reproduire
d’Orphée et d’Eurydice. les accents, car elle n’est qu’un essai de prononciation
• Pour davantage de détails sur les deux personnages et les restituée et d’interprétation. Notre lecture pourra cependant
constituer un exemple de ce qu’il est possible de faire, et
mythes qui s’y rattachent, on consultera le Dictionnaire de la peut-être un horizon d’attente.
mythologie grecque et romaine de Pierre Grimal, PUF, 1999.
On pourra différencier les exigences et les objectifs, certains
• Il sera opportun de visionner le treizième épisode des Grands élèves se contentant des premiers vers (1 à 5). On pourra
mythes, « Orphée, l’amour impossible », Arte, 2015 également confier la mise en voix à plusieurs élèves, qui
(www.youtube.com/watch?v=82o42cGNnFQ). prendront en charge la voix du narrateur et celle d’Eurydice.

TRADUCTION
Et déjà, revenant sur ses pas, il avait évité tous les dangers,
Et, ayant été rendue, Eurydice venait vers les airs d’en haut,
Derrière lui (et en effet c’est cette règle que Proserpine avait fixée),
Lorsqu’une soudaine démence s’empara de l’imprudent amant,
Pardonnable certes, si elles savaient pardonner, les Mânes !
Il s’arrêta, et son Eurydice, déjà sous la lumière du jour,
– Oubliant tout, hélas ! et vaincu en son âme – il la regarda. Là, tout
Son effort fut anéanti, et son pacte avec le cruel tyran
Fut rompu, et trois fois un fracas fut entendu aux marais de l’Averne.
Elle alors : « Qui, dit-elle, m’a perdue, malheureuse, ainsi que toi, Orphée ?
Quelle est cette fureur si grande ? Voici qu’à nouveau en arrière les cruels
Destins m’appellent, et un sommeil noie mes yeux qui se voilent.
Et maintenant, adieu ! Je suis emportée par une immense nuit qui m’entoure,
Vers toi tendant – hélas je ne suis plus tienne – mes impuissantes mains. »

Langue
1.  Le mot «  heu » est une interjection. Au vers 7, il exprime singulier avec le nom « furor » et traduit par « Quelle ». Ils sont
la peine causée par le fait qu’Orphée oublie sa promesse. Au employés dans des phrases interrogatives.
vers 14, il exprime le regret et la douleur, causés par le fait 3.  «  Tantus  » est un déterminant démonstratif de quantité,
qu’Orphée a perdu Eurydice à tout jamais. de grandeur, accordé au nominatif masculin singulier avec le
2. Au vers 10, « quis » est un pronom interrogatif au nominatif nom « furor ». Ce déterminant marque l’intensité du furor qui a
masculin singulier, traduit par « Qui ». Au vers 11, « quis » est égaré Orphée, en une sorte de redondance, le furor étant déjà
un déterminant interrogatif accordé au nominatif masculin en soi un excès d’égarement.

Traduire
1. Dans les vers 1 à 5, les conjonctions sont le coordonnant «  Cum subita incautum dementia cepit amantem, ignoscenda
enclitique « -que » (v. 1, 2 et 3) et les subordonnants « cum » et quidem » (v. 4-5) est la proposition circonstancielle de temps
« si » (v. 4 et 5). Les cinq verbes conjugués sont : evaserat (v. 1), subordonnée à la principale idenfiée au vers 2.
veniebat (v. 2), dederat (v. 3), cepit (v. 4) et scirent (v. 5). « Si scirent ignoscere Manes ! » est une proposition subordon-
« Jamque pedem referens, casus evaserat omnes » (v. 1) est une née à la précédente.
proposition indépendante. 2. Il sera opportun ici de pratiquer la différenciation pédago-
« Redditaque Eurydice superas veniebat ad auras » (v. 2) est la gique : on fera identifier aux élèves, a priori, les mots qui pose-
proposition principale à laquelle est subordonnée la propo- ront davantage de difficulté pour l’analyse ; certains élèves
sition circonstancielle de temps commençant par cum (v. 4). pourront, le cas échéant et à la marge, utiliser le logiciel en
«  Namque hanc dederat Proserpina legem  » est une propo- ligne Collatinus.
sition indépendante, que certaines éditions mettent entre
parenthèses.

Interpréter
1. L’un des champs lexicaux dominants dans le texte en latin Un autre champ lexical dominant est celui du monde infer-
est celui de l’égarement. Voici les mots qui appartiennent à nal et de la mort, auquel appartiennent les mots suivants  :
ce champ lexical : dementia (v. 4), immemor (v. 7), victus animi Proserpina (v. 3), Manes (v. 5), immitis tyranni (v. 8), qui désigne
(v. 7), perdidit (v. 10), furor (v. 11), natantia lumina (v. 12), ingenti ici Hadès, fragor (v. 9), stagnis Avernis (v. 9), miseram (v. 10), per-
nocte (v. 13). didit (v. 10), crudelia fata (v. 11-12), somnus (v. 12), vale (v. 13),
ingenti nocte (v. 13).


148 Masculin, féminin
2. Dans cet extrait, le registre est pathétique, suscitant chez le - l’emploi du discours direct (v. 10-14), avec une hypotypose
lecteur émotion et compassion. destinée à frapper les esprits  : Eurydice se trouve prise par
Le pathétique est fondé sur plusieurs procédés littéraires : le sommeil qui trouble ses yeux, enveloppée d’une nuit pro-
- l’utilisation du lexique de la mort et de la douleur, que nous fonde ; elle tend ses mains impuissantes vers Orphée qui déjà
avons déjà mentionné ; s’éloigne irrémédiablement.
- la répétition de l’interjection « heu » (v. 7 et 14), qui fait direc- La thématique de la séparation est en elle-même pathétique.
tement écho, par un effet de rime, au nom propre « Orpheu » L’allusion au Destin cruel (« crudelia fata », v. 11-12) est cepen-
(v. 10) placé en fin de vers, contribue à exprimer davantage dant caractéristique du registre tragique : une fatalité, pour
encore la douleur ; ne pas dire une malédiction, pèse sur le personnage qui subit
- la rupture que constitue la conjonction de subordination un malheur. La présence du Fatum est ici renforcée par l’inter-
« cum » (v. 4), au moment où Orphée et Eurydice étaient sur jection « en » (v. 11) et par l’adverbe « iterum » (v. 11).
le point de sortir des Enfers ; cette rupture est renforcée par 3. Nous conseillons ici de visionner le documentaire « Orphée,
l’adjectif « subita », qui qualifie le nom « dementia », situé à la l’impossible amour  » (Les Grands Mythes, Arte, 2015, épisode
coupe penthémimère ; 13), et de faire émerger les interprétations personnelles des
- l’emploi de l’exclamation (v. 1-5, 7 et 13) et de l’interrogation élèves, pourvu qu’elles soient étayées et justifiées. On pourra
(v. 10 et 11) ; confronter cet extrait des Géorgiques avec le texte de l’Eurydice
de Jean Anouilh à la page suivante.
- l’expression du regret au vers 5, que met en évidence le
polyptote « ignoscenda/ignoscere » et l’allitération en [s] et en
[k] (ignoscenda quidem, scirent si ignoscere Manes) ;

4 Le rêve de ne faire qu’un… (p. 141)


Eurydice (1942) est l’une des quatre pièces à sujet mythologique de Jean Anouilh, avec Antigone (1944), Médée
(1946) et Œdipe ou le Roi boiteux (1978). Elle fait partie des Pièces noires, avec L’Hermine (1931), Le Sauvage (1934) et
Le Voyageur sans bagage (1937).
L’auteur s’écarte délibérément du mythe. En effet, dans la pièce éponyme Eurydice est comédienne dans une
troupe de théâtre en tournée, Orphée est violoniste. Ils se rencontrent et tombent amoureux au buffet d’une
gare. Alors qu’ils vivent ensemble, le directeur de la troupe révèle que la jeune femme est son amante. Orphée
est jaloux ; les amants se disputent. Mais lorsqu’il apprend qu’Eurydice a eu un accident, Orphée s’en remet à un
certain M. Henri, un homme inquiétant parfois assimilé au Destin. Il ramène Eurydice à la vie, avec cette condition :
Orphée ne doit pas la regarder jusqu’au matin, promesse qu’il ne tient pas… Eurydice meurt pour la seconde fois
et M. Henri n’a plus que la mort à proposer à Orphée comme remède pour rejoindre son amante. C’est ainsi que
les deux amants sont réunis à nouveau, dans une chambre d’hôtel.
L’extrait que nous avons choisi fait référence à l’interdiction faite à Orphée de regarder Eurydice avant le lende-
main matin. Au-delà de cette référence au mythe, le dialogue est une réflexion sur l’incommunicabilité fonda-
mentale entre deux êtres humains, si proches fussent-ils sentimentalement et physiquement : « Parce qu’à la fin
c’est intolérable d’être deux ! Deux peaux, deux enveloppes, bien imperméables autour de nous, chacun pour soi
avec son oxygène, avec son propre sang quoi qu’on fasse, bien enfermé, bien seul dans son sac de peau » (l. 7-11).
Orphée se fait le porte-parole d’un pessimisme profond et insurmontable.
C’est peut-être le sens que l’on doit donner au mythe d’Orphée et d’Eurydice, et une réponse à la troisième ques-
tion d’Interprétation que nous posons à la page précédente en regard du texte de Virgile.
Le photogramme de la mise en scène de Raphaël Pichon invite à cette interprétation : Orphée et Eurydice, qui se res-
semblent et sont en quelque sorte des doubles d’eux-mêmes, comme en témoignent leurs visages, leurs coiffures,
leurs vêtements, leur position, leurs gestes, sont pourtant bien distincts et séparés l’un de l’autre. Orphée se garde
bien de se retourner, mais l’on connaît la suite et la fin… Orphée et Eurydice ou le rêve, irréalisable, de ne faire qu’un.

Confronter
1.  Le texte de Jean Anouilh fait allusion au mythe antique (« tantus furor », v. 11), qui s’emparent d’Orphée, lequel oublie
d’Orphée et d’Eurydice. Perséphone accorda à Orphée de sa promesse et se tourne vers Eurydice  : «  – Oubliant tout,
ramener Eurydice des Enfers, à la condition qu’il ne se retour- hélas ! et vaincu en son âme – il la regarda ».
nerait pas pour la regarder tandis qu’il la précédait sur le che- L’extrait de Jean Anouilh peut être lu comme une méditation
min du retour à la lumière : sur l’essentielle et incompressible incommunicabilité entre
- «  Le jour va se lever bientôt, mon chéri, et tu pourras me deux êtres, fussent-ils extrêmement proches affectivement
regarder » (l. 1-2) ; et physiquement : « chacun pour soi avec son oxygène, avec
- « Demain, tu pourras te retourner. Tu m’embrasseras » (l. 29). son propre sang quoi qu’on fasse, bien enfermé, bien seul
dans sons sac de peau » (l. 9-11), « deux prisonniers qui ne se
D’une manière générale, la pièce de Jean Anouilh est une réé-
verront jamais. Ah ! on est seul » (l. 20-21), « Deux mystères,
criture du mythe antique.
deux mensonges. Deux » (l. 33-34).
2.  Dans le texte de Virgile, la cause invoquée de l’impos-
3. Le photogramme que nous proposons montrent Orphée
sible union entre Orphée et Eurydice est «  une soudaine
précédant Eurydice  : les deux personnages sont liés parce
démence » (« subita dementia », v. 4), une « fureur si grande »

Masculin, féminin • 149


qu’ils se ressemblent étrangement physiquement, que ici du célèbre « J’ai perdu mon Eurydice ». On mettra notam-
leur posture est la même, qu’ils se tiennent la main, qu’ils ment en évidence la solitude et le désaroi d’Orphée, qui
regardent dans la même direction ; mais ils sont séparés par pleure la mort de son amante, étendue au sol enveloppée
un vide entre eux, qui finalement ne sera jamais comblé. de longs tissus noirs. À la cinquième minute de l’extrait,
L’extrait vidéo vers lequel nous renvoyons s’avèrera relative- ces tissus noirs sont tirés depuis le fond de la scène dans
ment long pour nos élèves qui ne sont pas habitués, pour la les coulisses : Eurydice disparaît ainsi lentement mais défi-
majorité d’entre eux, à ce genre de spectacle somme toute nitivement, comme hapée par le monde souterrain, et est
assez statique. Il sera possible de ménager des pauses. Il s’agit soustraite aux regards d’Orphée, qui reste seul.

pistes pour construire un portfolio


La confrontation de l’extrait de l’Eurydice de Jean Anouilh avec celui des Géorgiques de Virgile (p. 140)
pourra constituer un diptyque textuel. On invitera les élèves intéressés par le mythe d’Orphée et Eurydice
à lire intégralement la pièce d’Anouilh et la quatrième Géorgique de Virgile.
Pour diversifier les approches et les présentations, on pourra également constituer un diptyque hybride :
- un texte antique : Virgile, Géorgiques, IV, v. 485-498 ;
- un extrait de mise en scène filmée : Gluck, Orphée et Eurydice, dans la mise en scène de Raphaël Pichon
et Aurélien Bory à l’Opéra Comique, en 2018 (voir notre extrait vidéo). Une interview très stimulante est
disponible en ligne : www.youtube.com/watch?v=SeVcY47LszA.

lecture Femmes et hommes

1 Dura lex ? (p. 142)


Pour la sous-thématique « Femmes et hommes », les programmes précisent : « réalités sociologiques ; représen-
tations et préjugés » (B.O.). Il nous a semblé intéressant de partir des textes de lois que nous a légués le Digeste. Il
s’agit d’un immense recueil, réalisé entre 530 et 533, date de sa publication, compilation de quelque 9 000 frag-
ments d’une quarantaine de juristes des siècles précédents  : trois appartenant à l’époque archaïque, trois à
l’époque hellénistique, trente-cinq à l’époque classique. Ces 9 000 fragments sont répartis en cinquante livres,
divisés en titres ; les livres XXIII à XXVII règlent les relations au sein de la famille (fiançailles, mariage, dot, filiation,
tutelle). Nous voyons donc qu’il ne s’agit pas de l’équivalent de notre Code civil. Les élèves découvriront ainsi que
nos textes de lois sont les héritiers d’une longue tradition juridique.
Nous avons retenu trois articles sur les fiançailles, trois articles sur le rite du mariage, trois articles sur le divorce. Seuls
trois d’entre eux sont accompagnés de leur traduction. Il sera aisé de pratiquer la différenciation, en fonction du
niveau et de l’intérêt des élèves. On peut prévoir de répartir la traduction entre eux : chacun pourra rendre compte
de son propre travail au reste de la classe, ce qui constituera également, en soi, un exercice oral à part entière.
Nous conseillons cependant de commencer par traiter les questions de Lexique, qui faciliteront l’accès au sens.
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
On peut consulter les textes du Digeste et du Code de Justinien, ainsi que les « Trésors de l’ancienne
jurisprudence romaine », comme les fragments de la Loi des XII tables, à l’adresse suivante :
www.histoiredudroit.fr/corpus_iuris_civilis.html

TRADUCTION
Les fiançailles 3. Une mineure de douze ans qui se marie deviendra
1. Les fiançailles sont la mention et promesse du mariage épouse légitime au moment où, chez son mari, elle attein-
futur. dra les douze ans.
2. Quant au mot « fiançailles », il vient de « fiancer  »  :
Le divorce
car ce fut une coutume chez les anciens d’« engager sa
1. Le mariage est dissous par le divorce, la mort, un em-
confiance » pour recevoir ou donner des épouses futures.
prisonnement, ou un autre assujettissement touchant l’un
3. Il suffit d’un simple accord pour instituer un mariage.
ou l’autre des deux.
Le rite du mariage 2. Quant au « divorce », on le nomme ainsi du fait de la «
1. Le mariage est l’union d’un mari et d’une femme et une divergence » des pensées ou bien parce que prennent des
communion entière de vie  : une communauté de droits, chemins « divers » ceux qui déchirent le mariage.
divins et humains. 3. Il n’y a pas de divorce, s’il n’est réel, parce qu’en
2. Les noces ne peuvent se produire si tous ne sont pas conscience se produit une opposition à l’institution pour
consentants, c’est-à-dire ceux qui s’unissent et ceux sous toujours.
la puissance de qui ils sont.


150 Masculin, féminin
Traduire
1. « Constituenda » est un adjectif verbal remplaçant un géron- pour en proposer une juxtalinéaire, ou bien pour une activité
dif accompagné d’un COD à l’accusatif  :  ad constituendum d’analyse morphosyntaxique aboutissant à une traduction
sponsalia G ad constituenda sponsalia (voir leçon 7.3 p. 194). plus personnelle.
Nous avons traduit ce groupe prépositionnel par « pour insti- Nous attirons ici l’attention sur la construction, difficile, de
tuer un mariage ». la dernière proposition subordonnée (De divortiis, art. 3)  :
«  Constituendi  » est un gérondif au génitif, complément du « quod animo perpetuam constituendi dissensionem fit ». « Un
nom « dissensionem » : « une opposition à l’institution ». accusatif complément de l’impersonnel apparaît – du reste,
2. La longueur variable et le nombre des articles de lois pro- rarement – avec le neutre de l’adjectif en -ndus. Hors de là, il
posés ici permettent de pratiquer la différenciation, en fonc- n’y a que des traces isolées et presque toutes tardives et dou-
tion du niveau des élèves et de leur appétence. Même les teuses : et sic fit orationem, où derrière fit se profilerait le fran-
passages déjà traduits pourront donner lieu à une activité de çais “on fait (une pière)” » (Alfred Ernout et François Thomas,
traduction : ou bien pour justifier cette traduction, ou bien Syntaxe latine, Klincksieck, 1964, p. 205-206).

Lexique
1. Moris : coutume 3. Dans les articles sur le divorce, les mots dirimitur, divortio,
uxores/uxorem : épouse(s) divortium, diversitate, diversas, distrahunt, divortium et dissen-
feminae : femme sionem commençent par le préfixe di(s)-, qui indique la sépa-
virum : mari ration, la différence, voire l’absence.
2.  Les mots en bleu commencent par le préfixe co-/con-/ « Dirimo » vient de dis et emo (« prendre, recevoir ») ; « divor-
com-, dérivé de la préposition cum. Il indique la réunion, l’as- tium », « diversitas », « diversus », viennent de dis et verto (« tour-
sociation, la participation. ner, changer ») ; « distraho » vient de dis et traho (« tirer, traî-
ner ») ; « dissensio » vient de dis et sentio (« sentir, penser »).
Culture
1.  À Rome, la cérémonie du mariage était très codifiée. Le 2.  Le mariage pouvait être célébré cum manu  : la femme
mois choisi préférentiellement était le mois de juin. passe alors sous l’autorité juridique de son mari ; le divorce
La mariée portait les cheveux coiffés en six mèches et rete- est exclu ; seule la répudiation de l’épouse est permise ; si
nus par des bandeaux de laine, ainsi qu’une tunique blanche l’époux décède, un tuteur est désigné. Mais il existait aussi
retenue à la taille par une ceinture, un voile et des chaussures un mariage sine manu : la femme reste sous l’autorité de son
dont la couleur évoquait le feu. Le rituel se déroulait dans la père, qui exerce sur elle la patria potestas, pouvant ainsi la pro-
maison du père de la fiancée. Une femme mariée joignait téger, la recueillir ou l’obliger à divorcer. Ce type de mariage
entre elles les mains droites des fiancés. On procédait égale- est plus souple pour la femme, le divorce étant possible sur
ment à un sacrifice ; c’est à ce moment que l’on signait, le cas l’initiative de l’un des deux époux ; l’épouse est plus « indé-
échéant, le contrat de mariage. Le marié offrait un banquet pendante », notamment après la mort de son père. Vers la fin
de noces, qui pouvait être dressé dans la maison de son père. de la République, le mariage sine manu tend à se généraliser ;
Ensuite, la mariée était « prise » (capta), dans un simulacre de le divorce devient plus facile et semble se généraliser, même
violence, des bras de sa mère et emmenée en procession s’il reste mal vu. Si elle est indépendante, la femme peut tout
dans la maison de son mari ; elle portait à la main un fuseau à fait répudier son mari.
et une quenouille. Pour éviter un faux pas, qui aurait été un 3. De notre point de vue moderne, certains articles du Digeste
mauvais présage, la mariée était portée pour franchir le seuil peuvent paraître « durs » pour les femmes. C’est le cas du deu-
de sa nouvelle maison. À l’intérieur, son époux lui offrait du xième article sur les fiançailles, qui sont en réalité une affaire
feu et de l’eau, qu’elle devait toucher. Elle saluait alors son d’hommes : « ce fut une coutume chez les anciens d’“engager
mari avec la formule : ubi tu Gaius, ego Gaia. Elle était enfin sa confiance” pour recevoir ou donner des épouses futures ».
conduite au lit de mariage dans l’atrium, déshabillée par C’est le cas également du troisième article sur le rituel des
des femmes, avant qu’on ne fasse entrer son mari. C’est à ce noces, l’âge légal du mariage pour les jeunes filles étant
moment-là qu’était chanté le chant nuptial. douze ans.
Le bas-relief représente Jason et Médée au moment où ils se Il faut cependant noter que mariage et divorce ne sont pas
tiennent la main droite, signe que la femme passe sous l’au- qu’une affaire d’hommes  : juridiquement, l’épouse doit
torité de son mari : c’est à ce moment-là qu’elle est « prise » être consentante pour se marier, même si le père doit éga-
(capta, voir le texte d’Aulu-Gelle à la p. 144 ; voir aussi le bas- lement être d’accord, ce qui réduit assurément la liberté de
relief de la p. 9). la jeune fille, si tant qu’elle ait une part de liberté dans son
choix. Quant au divorce, rien ne précise que seuls les hommes
peuvent en avoir l’initiative.

prolongements

Il sera pertinent de consulter les textes de lois contemporains qui régissent les institutions du mariage et du divorce. On peut
imaginer de faire rédiger aux élèves, en français, de courts articles de lois sur le mariage et/ou le divorce, qu’ils/elles traduiront
ensuite en latin ; ce sera là un exercice de thème très formateur, d’autant plus si l’on impose d’utiliser des tournures grammaticales
particulières, comme l’adjectif verbal d’obligation et/ou le gérondif remplacé par l’adjectif verbal.

Masculin, féminin • 151


2 Éloge du mariage (p. 143)
Le nom « mariage » est dérivé, par suffixation, du nom « mari », du latin classique maritus, lui-même dérivé de
mas, maris, m., le mâle, qui a supplanté vir, viris, m. L’étymologie est à elle seule éloquente : dans le mot lui-même
prédomine l’élément masculin. Ce que confirme la définition du CNRTL : « union d’un homme et d’une femme,
consacrée par un ensemble d’actes civils ou parfois religieux et destinée à la fondation d’une famille ». En Grèce
comme à Rome, le mariage est avant tout une institution destinée à légitimer la naissance des enfants et à faire
perdurer les liens familiaux, dans un système patriarcal, pour ne pas dire viriarcal.
Le texte de Valère Maxime que nous proposons ici fait écho à la mainmise des hommes sur l’institution du
mariage dont nous avons rappelé certaines règles à la page précédente. Tout est affaire d’hommes : les censeurs
chargés de surveiller les mœurs des citoyens romains sont des hommes ; ceux que l’on condamne à une amende
pour avoir vécu en célibataires ou celui que l’on exclut du Sénat pour avoir répudié son épouse sans consultation,
ce sont des hommes. Les mesures prises par les censeurs M. Furius Camillus et M. Postumius Albinus Regillensis
en 403 av. J.-C., puis par les censeurs M. Valerius Maximus et Caius Junius Brutus Bubulcus en 307 av. J.-C., étaient
destinées à éviter qu’un citoyen romain n’ait pas de descendance, ni fils pour devenir lui-même citoyen romain,
ni fille pour enfanter de futurs citoyens romains. Au Ve-IVe s. av. J.-C., le divorce reste (très) rare à Rome. Valère
Maxime date le premier à 231 av. J.-C.
Le texte en latin n’est pas d’un abord facile. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de traduire la première
et la troisième partie, et de ne laisser en langue originale que le discours reconstitué des censeurs Camille et
Postumius, avec notre traduction en regard. En effet, l’objectif premier n’est pas de traduire, mais de comprendre.
Après une première lecture magistrale (voir notre fichier audio), on prendra connaissance de la traduction inté-
grale du passage. Après plusieurs relecture et après avoir répondu aux questions des trois rubriques, les élèves
seront en mesure de comprendre, sans nécessairement le traduire, les lignes 7 à 14. On pourra alors prolonger la
séance par une activité de traduction juxtalinéaire (voir rubrique Prolongements ci-dessous).

TRADUCTION
« La nature, d’une certaine manière, vous donne pour loi de naître, et ainsi de procréer, et vos parents,
en vous nourrissant, vous ont obligés au devoir d’élever des petits-enfants, si le sens de l’honneur existe.
S’ajoute à cela que par chance vous avez en plus obtenu un long délai pour remplir cette obligation,
lorsqu’entre-temps vos années se sont consumées sans porter le nom de mari ni de père. Allez donc et
acquittez-vous d’une offrande non haïssable, utile à une nombreuse postérité. »

Lexique
1. Legem : loi «  obligation  ») faire perdurer de génération en génération
parentes : parents (« postérité »).
nepotum : petits-enfants 2. En latin, le mot nepos, nepotis, m. signifie « petit-fils » ; au
debito : devoir pluriel, il prend le sens de « descendants », « neveux ». Le mot
alligaverunt : obliger « népotisme » est quant à la lui un emprunt à l’italien nepotis-
muneris : obligation mo (1672), qui a le sens de « faveurs excessives accordées par
mariti : mari certains papes ou hauts dignitaires de l’Église à leurs neveux
patris : père et proches parents  » (Alain Rey, Dictionnaire historique de la
posteritati : postérité langue française, Le Robert, p. 2363). Par extension, ce mot
Ces mots appartiennent au champ lexical de la famille, a pris le sens de : « Tendance à accorder des avantages aux
constituée de membres («  parents  », «  petits-enfants  », membres de sa famille, à ses amis ou à ses relations indépen-
« mari », « père »), et que l’on doit (« loi », « devoir », « obliger », damment de leur valeur » (CNRTL).

Langue
1. « Nascendi », « gignendi », « alendo » sont des gérondifs. Ils 2. Le gérondif n’a jamais un sens d’obligation. En l’occurrence,
signifient : « de naître », « de procréer », « en nourrissant ». les deux adjectifs verbaux remplacent des gérondifs accom-
« Nutriendorum » et « praestandi » sont des adjectifs accordés pagnés d’un COD :
respectivement au génitif masculin pluriel avec « nepotum » - nepotes nutriendorum G nepotum nutriendorum
(l. 8) et au génitif neutre singulier avec « muneris » (l. 11). Nous - praestandi munus G praestandi muneris
les avons traduits par : « d’élever », « pour remplir ». Ils n’ont pas valeur d’obligation (voir leçon 7.3 p. 194).

Comprendre
1. Il faut distinguer deux mesures prises respectivement par 2.  Les deux premiers censeurs légifèrent à l’encontre des
deux pairs de censeurs  : Camille et Postumius ordonnèrent citoyens « qui avaient atteint la vieillesse en célibataires » (l. 2) et
«  de verser au trésor de l’argent à titre d’amende  » (l.  2-3) ; méprisé « les liens sacrés du mariage » (l. 20) ; les deux autres à
M. Valerius Maximus et C. Junius Brutus Bubulcus « exclurent l’encontre des citoyens qui répudient leur épouse et bafouent
du Sénat L. Annius » (l. 17). ainsi juridiquement ces mêmes « liens sacrés du mariage ».


152 Masculin, féminin
3.  D’après ce texte, la vocation du mariage est de donner le rôle qu’on lui attribuait avant tout : « À Rome, tant qu’une
naissance et d’élever des enfants, qui deviendront de futurs épouse n’avait pas mis au monde trois enfants vivants, elle
cives Romani et de futures cives Romanae, afin que Rome, n’était pas pleinement respectée. Une idéologie du nombre
son empire et sa civilisation, perdurent. L’on sait que le qu’on voit systématiquement ressurgir dans l’histoire, dès
mariage romain n’est pas avant tout un acte d’amour, mais que s’annonce un péril démographique, et qu’entretiennent
un acte social créant les conditions légales de la procréa- conjointement l’Église, fervente opposante à la contracep-
tion. La mortalité infantile étant très importante dans la tion, et la conscience populaire, désireuse d’accroître la
Rome antique, l’exposition des filles à la naissance étant main d’œuvre de l’exploitation familiale » (Olivia Gazalé, Le
relativement courante, une femme romaine était suscep- Mythe de la virilité, Pocket, 2017, p. 157).
tible d’accoucher un certain nombre de fois. C’est d’ailleurs

prolongements
On ne s’interdira pas de s’appuyer sur la traduction pour demander aux élèves une analyse morphosyntaxique du texte en latin,
d’en proposer une traduction juxtalinéaire ou encore une traduction personnelle.

3 Le sexe faible ? (p. 144)


Nous avons conçu cette double-page comme un diptyque pour, une fois encore, bousculer les opinions et les
représentations des élèves : dans l’Antiquité, la femme est-elle nécessairement réduite à être « le sexe faible », et
l’homme, fût-il l’un des plus connus et des plus puissants, représente-t-il nécessairement « le sexe fort » ? Étant
entendu que ces deux expressions sont elles-mêmes issues de l’histoire des relations entre les hommes et les
femmes et de la mise en place, si l’on en croit l’essai d’Olivia Gazalé (voir p. 147), du « mythe de la virilité » et du
système viriarcal, lequel a supplanté le système matriarcal.
Pour traiter du prétendu « sexe faible », nous avons choisi de faire lire :
- une lettre écrite au Ier s. par un Égyptien de langue grecque à son épouse restée au domicile familiale, alors
qu’elle est enceinte et manque visiblement d’argent ;
- un extrait des Nuits attiques d’Aulu-Gelle définissant le statut particulier des vestales, qui sont « prises » par le
Grand Pontife avec émancipation automatique.
L’épouse d’Hilarion représente ces femmes appartenant à une certaine classe sociale qui, sans être aisée en l’oc-
currence, entretient du personnel domestique. Cette lettre pourra être rapprochée avec intérêt de celles de Pline
le Jeune et de Cicéron, adressées à leur épouse respective et, dans le cas de Cicéron, à ses enfants, et exprimant
la douleur de la séparation (voir p. 157). Dans les trois cas, le couple semble uni par des liens d’affection mutuelle,
ce qui n’est pas sans rappeler le portrait que fait Tacite d’Agricola et Domitia (voir p. 148). Voilà un certain nombre
d’exemples qui viennent contrebalancer l’image d’Épinal, souvent très négative, des relations entre hommes et
femmes dans l’Antiquité, image qui ne doit cependant pas masquer une réalité sans doute beaucoup plus dure
parfois, quel que soit le milieu social. Mais la lettre d’Hilarion à sa femme mentionne également une coutume qui
ne semble pas avoir été isolée : il enjoint sa femme d’exposer leur bébé si celui-ci est une fille.
O
DÉ 1
4
VI

Visite virtuelle ®
Le cas des vestales est tout à fait exceptionnel, puisque seules les six prêtresses en activité en bénéficiaient.
Pour mieux se rendre compte de ce statut tout à fait à part dans le monde antique, il sera opportun de visiter
virtuellement, comme nous le proposons avec le CIREVE de l’Université de Caen, le temple et la maison des
vestales, comme jamais nous ne les avons vus. Ce qui frappe d’emblée, lorsqu’on aperçoit de l’extérieur le
temple de Vesta, c’est le mur d’enceinte, qui ne permet d’entrevoir que l’architrave et la partie supérieure du
monument, preuve que les prêtresses de Vesta et leur déesse tutélaire ne sont pas en communication directe
avec l’extérieur, tout en étant au centre de Rome, en bordure du vieux Forum Romanum. On pénètre dans
le sanctuaire par une porte donnant sur la rue que borde, en face, la Regia. Si le temple où est entretenu le
feu sacré est modeste par sa taille et, à tout prendre, relativement bien connu, l’atrium Vestae se révèle être
spacieux et luxueux, preuve de l’importance que l’on accordait à ces femmes et à leur rôle.

TRADUCTION
Or on dit qu’une vierge est prise, apparemment, parce que, le Grand Pontife l’ayant saisie de sa main, elle
est enlevée au père sous la puissance duquel elle est, tout comme une prisonnière à la guerre.

Culture
1, 2 et 3. Le nom matrona est dérivé du nom mater, auquel la matrone reste une mineure perpétuelle, soumise à l’auto-
on a ajouté un suffixe augmentatif, sur le modèle de pater/ rité de son mari : « le pater familias est le maître de la maison,
patronus. C’est la femme d’un citoyen, digne et respectable, c’est-à-dire des êtres, libres et non-libres, et des choses qui s’y
et la mère de famille, appelée aussi domina, à l’instar de son trouvent, ensemble qui constitue la familia » (D. Gourevitch
mari, le dominus. Malgré son statut de maîtresse de maison, et M.-T.  Raepsaet-Charlier, La Femme dans la Rome antique,

Masculin, féminin • 153


Hachette, 2001, p. 65). Bien qu’elle soit une civis Romana, la les jeunes filles de bonne famille sur des critères physiques,
matrona ne peut exercer aucun des droits du citoyen : servir peut-être légaux, ainsi que sur des critères moraux et sociaux
l’armée, voter dans les assemblées et être élu aux fonctions très précis, étaient automatiquement «  émancipées  ». Elles
des magistrats. Son rôle est donc avant tout domestique : elle devaient rester chastes et vierges. Leur fonction première
s’occupe de l’éducation et de l’instruction des enfants, et de était d’entretenir le feu du foyer public qui se trouvait dans
l’économie, au sens étymologique du terme, de la domus ; le temple de Vesta jouxtant leur demeure sur le Forum ; elles
nous dirions aujourd’hui qu’elle est le manager des domes- veillaient également sur les objets sacrés provenant de Troie,
tiques. Elle n’était pas censée travailler elle-même, sinon garants de la pérennité de la Ville. Elles pouvaient également
pour tisser la laine ; nous avons cependant trace d’un labor avoir une vie mondaine et un rôle politique important. Elles
matronalis. avaient le droit, par exemple, de faire un testament, comme
« Les vestales constituaient un sacerdoce public majeur qui le rappelle ici Aulu-Gelle ; c’est chez elles que Jules César avait
empiétait notablement sur le terrain des hommes et qui pla- mis en dépôt son propre testament.
çait l’élément féminin à un niveau de responsabilité tel qu’il Les autres femmes occupaient généralement des places
en consacrait le rôle essentiel malgré toutes les exclusions » moins enviables, contraintes de travailler, en tant que nour-
(Ibid., p. 210-211). Comme nous le rappelons en note sous le rice, sage-femme, médecin, artisan, boutiquière, actrice, gla-
texte d’Aulu-Gelle, les six vestales, choisies très jeunes parmi diateur, prostituée, courtisane.

Langue
1. Dans l’expression « jus testamenti faciendi », l’adjectif verbal « Dici » est l’infinitif présent passif du verbe dico, is, ere, dixi,
est faciendi, accordé au génitif neutre singulier avec le nom dictum.
testamentum ; il s’agit en réalité d’un gérondif au génitif qui « Videtur » est la 3e personne du singulier de l’indicatif présent
s’est transformé en adjectif verbal, qui n’a donc pas de valeur passif du verbe video, es, ere, vidi, visum.
d’obligation (voir la leçon 7.3 p. 194). On peut traduire ce
« Est » est la 3e personne du singulier du présent de l’indicatif
groupe de mots par « le droit de faire un testament ».
du verbe esse.
Dans l’expression « more rituque capiendae virginis », l’adjectif
« Abducitur » est la 3e personne du singulier de l’indicatif pré-
verbal est capiendae, accordé au génitif féminin singulier avec
sent passif du verbe abduco, is, ere, duxi, ductum.
le nom virginis ; là aussi, il s’agit d’un gérondif au génitif qui
s’est transformé en adjectif verbal et qui n’a donc pas de valeur La proposition introduite par quia est : « quia pontifici maximi
d’obligation. Nous avons traduit cette expression par « au sujet manu prensa ab eo parente veluti bello capta abducitur  ». À
de la coutume et du rite consistant à prendre une vierge ». l’intérieur de cette proposition se trouve la relative introduite
par cujus : « in cujus potestate est ».
2. « Capi » est l’infinitif présent passif du verbe capio, is, ere,
cepi, captum.

Comprendre
1.  D’après la lettre d’Hilarion à sa femme Alis, cette der- «  la lettre d’Hilarion constitue l’unique témoignage docu-
nière est restée au domicile familial, probablement à mentaire explicite d’un abandon déterminé uniquement
Oxyrhynchos, au sud de Fayoum, en Moyenne-Égypte, assez par le sexe du nouveau-né. Néanmoins, il n’est sans doute
loin d’Alexandrie, où lui se trouve. Elle est accompagnée pas anodin que, dans les contrats de nourrice concernant
de la maîtresse de maison, Bérous, et d’une autre femme, des enfants « pris sur un tas d’ordures », le nombre de filles
Apollonarion, ce qui implique qu’Hilarion et sa femme ont soit double de celui des garçons  » (Sandra Boerhinger et
un certain statut social. Nous apprenons également qu’ils Violaine Sebillotte-Cuchet, Hommes et femmes dans l’Anti-
ont un enfant, et qu’Alis est enceinte. Hilarion semble aimer quité grecque et romaine, Armand Colin, 2017, p. 87).
sa femme, laquelle s’inquiète de lui. A priori, le sort de cette 2. Dans le texte d’Aulu-Gelle, les éléments qui rappellent le
femme est enviable, socialement et affectivement, si ce mariage romain sont les suivants : « dès qu’elle a été prise
n’est que son mari s’est éloigné pour un moment. et conduite dans l’atrium de Vesta et remise aux pontifes »
Mais des problèmes d’argent sont visibles  : Hilarion est (l. 1-2), « le Grand Pontife l’ayant saisie de sa main, elle est
obligé de rester à Alexandrie quand d’autres ont pu ren- enlevée au père sous la puissance duquel elle est ». En effet,
trer ; il promet à son épouse de lui envoyer de l’argent, à le jour du mariage, la fiancée, dans la maison de son père,
une condition, qu’il en reçoive. De plus, il demande à sa où était organisé un banquet de noces, symboliquement
femme d’abandonner l’enfant à naître si c’est une fille, de « était arrachée, avec une violence apparente, aux bras de
le garder si c’est un garçon. En effet, c’est l’homme qui, en sa mère et menée en procession dans la maison du mariée »
tant que pater familias, a le droit de reconnaître, ou non, (Dictionnaire de l’Antiquité, Oxford, Robert Laffont, 1993, p.
le nouveau-né. Juridiquement, Alis est mineure et ne pos- 610). Quant à la cérémonie lors de laquelle les futurs époux
sède pas la puissance paternelle (patria potestas). Il était se prenaient par la main droite, elle est attestée par de nom-
habituel d’abandonner des nouveaux-nés, parfois dans breuses sources, en particulier le bas-relief du sarcophage
des décharges publiques. Cela n’est donc pas un cas isolé : que nous présentons à la page 142.


154 Masculin, féminin
prolongements
Les connaissances des élèves sur le statut des femmes dans l’Antiquité se réduisent parfois à quelques idées reçues. Dans le cadre de
l’étude de la sous-thématique « Femmes et hommes », nous conseillons de consacrer un peu de temps à des recherches qui pourront
faire l’objet d’exposés ou d’un débat sur le thème : « Être femme dans l’Antiquité, un statut enviable ? » Il est possible d’organiser ce
débat en recréant, autant que faire se peut, les conditions d’un enregistrement pour la radio, la télévision ou une chaîne Youtube. Ce
sera l’occasion de travailler les compétences d’oral.
Certains élèves travailleront sur le statut juridique et social de la femme en Grèce, d’autres sur le statut de la femme à Rome, d’autres
encore sur les matrones, les vestales, les esclaves, les prostituées et les courtisanes, des figures célèbres (Livia Drusilla, Octavie, Fulvie,
Agrippine, Messaline). Le panorama sera ainsi plus complet.

4 Le sexe fort ? (p. 145)


Quel homme mieux que Jules César incarne, aux yeux des élèves et de nos contemporains, la figure du conqué-
rant, vainqueur sur toutes les terres et à qui l’on attribue sans conteste cette formule qui en dit long à elle seule :
Veni, vidi, vici !
Nous conseillons justement de partir, à travers la lecture du titre en forme de question, des connaissances et des
représentations des élèves sur Jules César. Ils/elles convoqueront en particulier leurs souvenirs des cours d’histoire
de la classe de 6e, des cours de Langues et cultures de l’Antiquité de la classe de 3e, et peut-être des éléments de
culture personnelle.
Dans un second temps, on étudiera la statue de Jules César d’après l’antique sculptée par Ambrogio Parisi durant
le règne de Louis XIV et actuellement visible dans le Jardin des Tuileries. Cette représentation peut être compa-
rée à celle qui orne la niche centrale du théâtre antique d’Orange, dont la tête était amovible pour pouvoir être
remplacée lors du changement d’empereur. Elle peut également être comparée à celle d’Hadrien, qui a perdu ses
jambes, ses bras et sa tête, visible aujourd’hui sur l’Agora grecque d’Athènes en contrebas du temple ­d’Héphaïstos.
Il s’agit d’une représentation type de l’imperator romanus, dont le corps est ici particulièrement robuste. Quant au
visage, on le comparera au buste de Jules César retrouvé dans le Rhône en 2007 et authentifié par les équipes de
Luc Long, aujourd’hui exposé au Musée de l’Arles et de la Provence antique.
Dans un troisième temps, on écoutera la lecture audio du texte de Suétone. Les questions de Langue, de
Traduction et d’Interprétation amèneront petit à petit les élèves à se rendre compte que le portrait qui est dressé
du plus célèbre des imperatores romains n’est en réalité pas celui du plus viril des hommes, comme on pourrait le
supposer a priori.
Cette page sera l’occasion d’inviter les élèves à réfléchir à l’utilisation, par certains souverains européens, de l’héri-
tage césarien pour asseoir leur pouvoir (Louis XIV, Napoléon 1er, Benitto Mussolini, par exemple), en ne retenant
que les attributs de puissance et de virilité.

TRADUCTION
Il avait, dit-on, une grande taille, le teint blanc, des membres bien faits, le visage un peu replet, les yeux
noirs et vifs, une bonne santé, quoique dans les derniers temps il fût sujet à des syncopes soudaines et
même à des terreurs qui interrompaient son sommeil. Il eut aussi deux fois des attaques d’épilepsie en plein
travail. Trop minutieux dans le soin de sa personne, il ne se bornait pas à se faire tondre et raser minutieu-
sement, mais allait jusqu’à se faire épiler, à ce que certains lui reprochèrent, et se consolait à grand peine
d’être chauve, ayant constaté plus d’une fois que cette disgrâce provoquait les plaisanteries de ses détrac-
teurs. Aussi avait-il coutume de ramener en avant ses cheveux trop rares et, parmi tous les honneurs que
lui décernèrent le Sénat et le peuple, celui qu’il reçut et dont il profita bien volontiers fut le droit de porter
en toute occasion une couronne de laurier.

Langue
1. « Excelsa statura » : une grande taille «  Diligenter » est un adverbe au positif, signifiant ici
« colore candido » : le teint blanc « minutieusement ».
« teretibus membris » : des membres bien faits «  Iniquissime  » est un adverbe au superlatif de supériorité
« ore paulo pleniore » : le visage un peu replet absolu, que nous avons traduit par « à grand peine ».
« nigris vegetisque oculis » : les yeux noirs et vifs
« Libentius » est un adverbe au comparatif de supériorité ; il
« valetudine prospera » : une bonne santé
peut se traduire par « bien volontiers ».
2. « Morosior » est un adjectif de la première classe au compa-
« Saepius » est un adverbe au comparatif de supériorité signi-
ratif de supériorité, décliné au nominatif masculin singulier ;
fiant « assez souvent ».
on peut le traduire par « trop minutieux ».

Masculin, féminin • 155


Traduire
1. Les deux propositions introduites par ut sont : s’accorde en genre et en nombre avec le nom qu’il accom-
- ut non solum tonderetur diligenter ac raderetur, sed velleretur pagne (ici au féminin singulier). Nous conseillons ici de se
etiam (l. 5-6) ; reporter à la leçon du Memento n° 7.3 (p. 194).
- ut quidam exprobraverunt (l. 7). 3.  L’extrait que nous proposons contient 95 mots, soit le
Sur le sens de la conjonction ut, on renverra les élèves aux double de ce qui est attendu dans l’épreuve de spécialité en
leçons n°11.1, 11.2 et 11.3 du Memento (p. 196-197). fin de première. On pourra différencier les attentes : les lignes
2. « Deficientem » (l. 9) est un participe présent actif accordé 1 à 5, de « Fuisse » jusqu’à « correptus est », ne posent pas de
à l’accusatif masculin singulier avec le nom « capillum » (l. 9). problème de compréhension particulier, d’autant plus que
les questions de lexique auront facilité l’analyse et l’accès au
« Gestandae » (l. 12) est adjectif verbal accordé au génitif fémi-
sens. La suite (l. 5-12) est plus longue et plus ardue.
nin singulier avec le groupe nominal « laureae coronae » (l. 11),
qui n’a pas de valeur d’obligation. En effet, il s’est substitué Pour faire émerger les premières hypothèses, on écoutera et
au gérondif gestandi : dans l’expression jus lauream coronam réécoutera la lecture audio, en invitant les élèves à repérer les
gestandi, le gérondif au génitif est complément du nom jus et éléments qu’ils/elles comprennent, les mots transparents, les
à pour COD lauream coronam ; dans ce cas, il peut être rem- structures les plus évidentes. Le dernier passage, traduit en
placé par l’adjectif verbal, sans valeur d’obligation : le groupe français, permettra de comprendre que Jules César était un
nominal se met au cas du gérondif (ici au génitif) ; ce dernier personnage remarquable, pour ne pas dire original.

Interpréter
1. On invitera les élèves à relever tous les éléments qui ne vont d’apparat ornée de motifs décoratifs, la tunique du général ;
pas dans le sens de la virilité. Suétone ne dresse pas le por- il tient le bâton de commandement dans sa main gauche, le
trait d’un général d’armée, mais d’un homme que son image globe de l’univers dans sa main droite ; son casque est posé à
préoccupe et qui cultive une certaine beauté masculine. Cela ses pieds, surmonté de l’aigle impérial. Il est donc cosmocrator.
rapproche César des hommes efféminés, dont le modèle est, Il n’est pas anodin que cette sculpture de Jules César d’après
aux yeux des Romains, le Grec, plus que du vir Romanus. Le l’antique date du règne de Louis XIV, dans un contexte de
fait de porter lâche la ceinture est considéré par les commen- guerres incessantes  : en 1683-1684, la guerre des Réunions
tateurs comme un signe particulier d’effémination. oppose la France à l’Espagne ; de 1688 à 1697, la guerre de la
2. La statue de Ambrogio Parisi valorise la puissance virile : Ligue d’Augsbourg met aux prises Louis XIV à une coalition
Jules César porte la cape pourpre de l’imperator, une cuirasse de souverains européens.

prolongements
Le film Jules César de Uli Edel (2002) donne de cet homme une image assez contrastée ; le général y apparaît parfois sensible (comme
au moment de l’annonce de la mort de sa fille Julia), assailli par le doute (comme au moment où son ex-épouse vient l’informer d’un
mauvais rêve au matin des Ides de Mars), victime de crises d’épilepsie (comme le jour de son triomphe après son retour des Gaules).

5 L’homme idéal ? (p. 146)


La figure d’Amphitryon permet d’aborder la différence des sexes d’un point de vue mythologique. Notre objectif
est ici plus particulièrement de nous interroger sur l’image de l’homme idéal véhiculée par les deux personnages.
Si l’on en croit la tradition manuscrite, Plaute lui-même a qualifié sa pièce de tragico-comoedia, puisque s’y
mélangent : les déboires d’une femme moralement vertueuse qui commet l’adultère à son insu par une trompe-
rie de Jupiter et est condamnée, pour son infidélité, au bûcher ; la situation comique, pour ne pas dire burlesque,
du mari trompé et du quiproquo créé par la duperie de Jupiter et Sosie.
À la scène 1 de l’acte II (si l’on suit le découpage établi par un éditeur du XVIe s.), Sosie tente de convaincre son
maître Amphitryon de ce qui s’est passé. Ce dernier ne le croit pas et conclut : « Fassent les dieux que ce que tu
m’as dit ne s’accomplisse pas dans la suite des événements » (v. 632). La scène 2 est le moment des retrouvailles
entre Alcmène et Amphitryon, qui finissent par se disputer puisque Amphitryon ne se résout pas à croire ce
qu’affirme Alcmène, à savoir qu’il était là la nuit précédente…
Notre extrait se situe au début de cette scène. Alcmène sort de chez elle sans voir son mari et son valet revenir ;
Amphitryon rentre de campagne militaire avec Sosie. Ce passage est composé de deux répliques, celle d’Alcmène
suivie de celle d’Amphitryon. Mais ce dernier ne répond pas à ce qu’a dit Alcmène, puisqu’ils ne se sont pas encore
revus. Alcmène exprime sa joie d’avoir retrouvé son mari chargé de gloire ; Amphitryon assure être certain de
l’accueil que va lui réserver son épouse. Ils sont donc en parfait accord. À ceci près qu’Alcmène s’est fait tromper
par Jupiter, Amphitryon par sa femme sans qu’elle le sache. C’est là que réside l’ironie – et le comique – de la situa-
tion : leur parfait accord va se muer en incompréhension et en dispute.
La représentation d’Alcmène au bûcher permet aux élèves de constater que la légende rapportée par Plaute
s’ancre dans la tradition mythologique grecque, et d’anticiper le dénouement de la pièce. Alcmène se trouve
assise sur un bûcher de rondins recouvert d’une sorte de cloche généralement assimilée à un arc-en-ciel. En effet,
alors qu’Anténor, prince troyen rallié aux Grecs, et Amphitryon alimentent le feu, les Hyades, sous le regard de
Zeus (en haut à gauche) et de l’Aurore (en haut à droite), versent de leur vase une pluie fine dont les gouttelettes
tombent sur le feu. Devant ce prodige, Amphitryon pardonne à son épouse.


156 Masculin, féminin
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Le thème tragi-comique légendaire de l’Amphitryon, que
Plaute lui-même a repris à la tradition grecque, a inspiré viva voce
la création d’œuvres modernes et contemporaines, La mise en voix pourra ici s’accompagner d’une mise en scène, et
parmi lesquelles : s’appuiera sur les didascalies rédigées par chaque élève (voir la
- Molière, Amphitryon (1668) ; première question d’Interprétation). Cette activité sera menée par
- John Dryden, Amphitryon (1690), sur un thème de binômes. On donnera le choix d’une mise en voix et scène antique
Henry Purcell ; ou moderne, ce qui implique de connaître les conditions matérielles
- Jean Giraudoux, Amphitryon 38 (1929). de la représentation de la palliata.

TRADUCTION
Amphitryon.
Par Pollux, je crois que mon arrivée à la maison est attendue par mon épouse,
qui m’aime, qu’en retour j’aime ; surtout après un succès,
les ennemis vaincus : eux que personne ne pensait pouvoir être dominés,
eux, sous mes auspices et mon commandement, à la première rencontre, nous les avons vaincus.
C’est une certitude, je sais que ma venue est attendue et lui fera plaisir.

Traduire
1. « Exoptatum » et « expectatum » sont des participes parfaits Les propositions relatives de ce passage sont :
passifs accordés à l’accusatif masculin singulier avec le pro- - quae me amat (v. 12) ;
nom personnel « me » (v. 11 et 15). « Adventurum » et « ventu- - quam contra amo (v. 12) ;
rum » sont des participes futurs actifs accordés à l’accusatif - quos nemo posse superari ratust (v. 13).
masculin singulier avec le pronom personnel « me ». 3. La réplique d’Amphitryon n’est pas très longue ; les repé-
2. « Re gesta bene » et « victis hostibus » sont des propositions rages et les analyses effectués aux deux questions précé-
participiales à l’ablatif (absolu), ce que ne sont pas les groupes dentes faciliteront nettement l’accès au sens. Un premier tra-
nominaux « auspicio meo atque ductu » ni « primo coetu ». vail de mémorisation pourra également y aider et préparera
l’activité d’interprétation.

Comprendre
1. La réplique d’Alcmène débute par une explication (v. 1-6) : chacun des deux personnages est dupe de la situation.
la femme d’Amphitryon nous apprend qu’elle peut d’autant Amphitryon, de son côté, ne sait pas qu’Alcmène croit qu’il
mieux endurer les absences de son mari que ce dernier rentre est rentré la veille.
couvert de gloire de ses expéditions ; la gloire qu’il a acquise 3. Le comique est avant tout fondé sur l’ironie de la situation
est en quelque sorte la compensation, pour ne pas dire la suite à la duperie de Jupiter et Mercure, comme nous l’indi-
récompense, du manque dû à la séparation. quons dès le chapeau. Le comique de mots est également
S’ensuit un bref éloge de la virtus Romana (v.  6-10), éloge présent. On soulignera :
rythmé par l’anaphore « La virtus » (v. 6, 7 et 10). Notons que - l’insistance avec laquelle Alcmène vante les mérites mili-
le nom virtus n’a pas d’équivalent en français : on ne peut le taires de son mari («  qu’il ait vaincu nos ennemis et qu’il
traduire ni par « vertu », ni par « courage », trop réducteurs. revienne à la maison chargé de gloire », v. 1-2, « une fois la
Il s’agit en effet, comme nous le rappelons en note, de l’en- gloire acquise », v. 3, « mon mari est célébré comme vainqueur
semble des qualités réunies qui font la valeur de l’homme à la guerre », v. 5) ; ceci est repris par Amphitryon lui-même :
idéal selon les Romains : droiture, force, courage, maîtrise de « re bene gesta » (v. 13) et « victis hostibus » (v. 14) ;
soi ; « la virtus contient tout en elle », proclame Alcmène au
- l’emploi du polyptote, qui contribue à mettre en valeur l’ab-
présent de vérité général. Les termes mélioratifs contribuent
négation d’Alcmène : « je supporterai et resupporterai » (v. 3) ; 
à renforcer cet éloge de la virtus : « la plus haute récompense »
(v. 6), « surpasse toute chose, vraiment » (v. 7), « contient tout - l’emploi de plusieurs adverbes à la suite : « encore » (v. 3),
en elle » (v. 10), « tous les biens sont là » (v. 10). Enfin, l’accu- « courageusement et résolument » (v. 4).
mulation de ces biens assurés par la virtus est un moyen d’en La structure de la réplique d’Amphitryon, qui se persuade lui-
montrer la haute valeur  : «  liberté, santé, vie, bien matériel, même que son retour est attendu en se répétant, peut être
parents, Patrie et enfants » (v. 8). L’exagération est évidente, ce analysée comme un élément comique de répétition :
qui indique que le ton est probablement ironique de la part - polyptote « adventurum/venturum » (v. 11 et 15) ;
de l’auteur : il est en particulier ridicule d’affirmer que la virtus
- jeu des sonorités dans des mots presque homophones  :
assure « santé » et « vie ».
« exoptatum/expectatum » (v. 11 et 15) ;
2.  Le spectateur sait que Jupiter et son serviteur Mercure
- parallélisme de construction des v. 11 et 15 avec variation :
ont trompé Alcmène, en se faisant passer pour Amphitryon
« Edepol me uxori/Certe enim me illi », « exoptatum credo/expec-
et Sosie. L’épouse croit donc avoir déjà revu son mari la nuit
tatum optato », « adventurum domum/venturum scio ».
précédente. C’est la raison pour laquelle, avant même qu’Am-
phitryon lui-même ne revienne chez lui (v.  11-15), Alcmène Il nous faut enfin imaginer un comique de geste : c’est l’objet
revient sur son retour… L’ironie est ici basée sur le fait que de la première question d’interprétation.

Masculin, féminin • 157


Interpréter
1.  On pourra ici mener des recherches sur le théâtre grec souligné par l’adverbe « praesertim » ; l’ablatif absolu « victis
antique, ainsi que sur le théâtre romain, en particulier sur les hostibus » est précisé par les deux propositions qui suivent :
conditions matérielles de la représentation (plan des théâtres, Amphitryon a vaincu des ennemis que l’on pensait invin-
décors, comédiens…). L’illustration figurant sur le cratère grec cibles ; son rôle de premier plan est mis en évidence par l’ac-
et représentant Alcmène au bûcher pourra fournir quelques cumulation « auspicio meo atque ductu primo coetu » (v. 15).
éléments. Si l’on en croit Amphitryon, le couple est amoureux (« quae
Rien n’interdit cependant d’imaginer une mise en scène me amat, quam contra amo », v. 12), la question étant de savoir
moderne voire contemporaine. À ce titre, nous conseillons de ce qui fonde cet amour.
visionner des extraits de mises en scène de pièces de théâtres 3. Si on lit cet extrait au sens premier, l’homme idéal est le
antiques ou bien, à défaut, de l’Amphitryon de Molière (1668), vir. Mais les éléments de comique que nous avons relevés
par exemple dans la mise en scène de Bérangère Janelle, Cie ci-dessus montrent que ce texte peut être lu, d’une cer-
Ricotta, 2015 (www.youtube.com/watch?v=47u5Zd3cJQQ). taine manière, comme une caricature de la relation homme-
2. Plaute semble ici caricaturer la relation homme-femme. femme fondée sur la toute-puissance masculine. Il ne s’agit
Alcmène, dupée par un tout-puissant et trompeur Jupiter qui certes pas du thème central de la pièce de Plaute, mais de l’un
lui fait commettre un adultère, s’enorgueillit de voir revenir de ses enjeux.
son vir : son « mari », son « homme » dirions-nous, dans la plé- Sur l’illustration, le désespoir d’Alcmène condamnée au
nitude du terme, en tant qu’il possède la virtus, c’est-à-dire bûcher par Amphitryon lui-même après qu’il eut appris par
les qualités qui font de lui un homme viril. D’où l’éloge – exa- l’oracle la vérité sur la relation adultère entre Jupiter et sa
géré – de la virtus. femme, est un élément qui corrobore cette lecture.
Amphitryon incarne le mari sûr de lui qui, auréolé de gloire L’on connaît cependant le dénouement de la pièce  : Zeus
militaire, est certain d’être attendu et sera fêté à son retour. sauve Alcmène in extremis, en éteignant les flammes du
L’insistance avec laquelle, lui aussi, évoque ses exploits, res- bûcher par une averse soudaine. Les hommes ont donc pou-
sortit au comique : l’ablatif absolu « re bene gesta » (v. 12) est voir de vie et de mort sur la femme.

prolongements
En fonction de l’intérêt des élèves, on peut proposer de lire l’intégralité de l’Amphitryon de Plaute (disponible
en édition bilingue Garnier-Flammarion), ou bien la version qu’en ont donné Molière ou Jean Giraudoux et
prévoir une mise en scène d’un plus large extrait de la scène 2 de l’acte II, selon le découpage moderne.

6 Être une femme libérée ? (p. 147)


Nous avons choisi ici d’accorder une place importante au point de vue d’une philosophe contemporaine au sujet
de l’émancipation des femmes aujourd’hui. Olivia Gazalé rappelle avec force qu’elle est loin d’être acquise : même
si le sort de la « femme-moderne-et-privilégiée-des-pays-riches » peut être envié par des dizaines de millions de
femmes, les relations entre hommes et femmes restent souvent dissymétriques, pour ne pas dire violentes, phy-
siquement, verbalement, psychologiquement.
D’une manière générale, l’auteure entend montrer que la domination masculine, mise à mal par les mouvements
féministes, ne repose pas sur un fondement naturel et immuable, mais résulte de la longue histoire de l’huma-
nité, laquelle a fabriqué le « mythe de la virilité » : « l’hypothèse de ce livre est que le malaise masculin est réel,
mais qu’il ne résulte pas tant de la récente révolution féministe (processus loin d’être achevé) que du piège que
l’homme s’est tendu à lui-même, il y a près de trois millénaires, en accomplissant la révolution viriarcale qui fit de
lui le maître absolu de la femme, révolution qu’Engels qualifiera de “grande défaite historique du sexe féminin”.
Car le premier à avoir renversé l’ordre sexuel n’est pas la femme, mais l’homme, lorsque, entre le troisième et le
premier millénaire av. J.-C., il mit fin au monde mixte – dans lequel les droits et libertés des femmes étaient beau-
coup plus étendus et où le féminin était respecté et divinisé – pour bâtir un nouveau monde, le monde viriarcal,
dans lequel la femme allait être infériorisée, enfermée, et perdre tous ses pouvoirs » (Le Mythe de la virilité, Pocket,
2017, p. 17-18).
La lecture de cette page permettra de susciter la réflexion et de remettre en cause un schéma de pensée qui
modèle encore notre société et les relations entre hommes et femmes.
C’est ce à quoi fait échos la caricature de Mix et Remix pour Siné Mensuel. Une femme fait face à celui qui semble
être son mari et l’interpelle sur son «  évolution  », puisqu’il est représenté avec les attributs de l’homme des
cavernes. Là encore, nous avons pensé que cette caricature suscitera réflexion et débat.


158 Masculin, féminin
Confronter
1. Sur la caricature réalisée par Mix et Remix en 2015, le per- 3. Selon l’étymologie, le nom « émancipation » vient du latin
sonnage de droite est caricaturé en homme préhistorique, emancipatio, lui-même dérivé du verbe mancipo, as, are, avi,
vêtu d’une simple peau couvrant la moitié seulement de atum, « vendre », « aliéner », auquel on a jouté le préfixe e/
corps et portant un long gourdin sur l’épaule droite. Son ex, « hors de ». Dans l’Antiquité romaine, l’emancipatio est un
visage, à la barbe hirsute, semble inexpressif : son menton est acte juridique par lequel un père de famille peut libérer de
disproportionné et son nez proéminent. En un mot, il n’a pas son autorité une personne de sa famille : « Acte qui conférait
l’air très inspiré. Le seul élément qui le rend un peu civilisé, à un esclave ou à un enfant le droit d’homme libre » (CNRTL).
ce sont ses lunettes. Il incarne la brutalité, la virilité dans ce Actuellement, en droit civil français, il existe deux sortes
qu’elle a de plus primitif, le machisme d’une certaine manière. d’émancipation réglées par les articles 476 à 487 du Code
Face à lui, presque de même taille, le nez tout aussi proémi- civil. Par extension, l’émancipation désigne l’ « action de (se)
nent, celle qui doit être sa femme. Elle porte des chaussures à libérer, de (s’)affranchir d’un état de dépendance » (CNRTL) ;
talon, une robe noire, un sac à main en bandoulière ; elle a la c’est en ce sens que l’on parle de l’émancipation de la femme.
main droite posée sur sa hanche, dans une attitude critique et A priori et objectivement, dans les pays considérés comme
défiante ; ses cheveux sont coiffés. Elle n’a pas l’air commode. développés, les relations entre les hommes et les femmes ont
La parole rapportée au style direct dans la bulle occupe toute beaucoup évolué depuis l’Antiquité. Peut-on dire pour autant
la partie supérieure de la vignette. La phrase est précédée et qu’elles se sont améliorées ? Au cas par cas, c’est indéniable ;
suivie de points de suspension, ce qui indique qu’elle est pro- en général, rien n’est moins sûr. Un article du Monde publié le
noncée dans le contexte d’une réplique plus longue, sinon 8 mars 2017 est titré : « Les droits des femmes dans le monde :
d’un dialogue. Le propos est ironique, eu égard à l’accoutre- de très fortes disparités entre Nord et Sud » (www.lemonde.
ment de l’homme. fr/les-decodeurs/article/2017/03/08/les-droits-des-
On peut se poser la question de savoir si la caricature ne femmes-dans-le-monde-de-tres-fortes-disparites-entre-
dénonce pas également une certaine idée de l’émancipation nord-et-sud_5090982_4355770.html). Comme indicateurs
féminine. de ces disparités, les journalistes retiennent le droit à l’avorte-
ment sans condition, l’accès à la majorité juridique et le droit
2. La philosophe Olivia Gazalé rappelle avec insistance que
au divorce, trois points qui sont loin d’être acquis pour toutes
dans le monde toutes les femmes ne sont pas émancipées,
les femmes dans le monde. L’accès des filles et des femmes
même dans les régions où leur sort semble, a priori, enviable,
à l’éducation peut être un autre indicateur : là aussi, les sta-
en comparaison de celui d’autres femmes.
tistiques sont éloquentes et les disparités très importantes
Ceux (et parfois celles) qui dénoncent l’émancipation de la d’un continent, voire d’un pays à l’autre (www.unesco.org/
femme, notamment au cours du XXe s., pensent avant tout new/fr/unesco/events/prizes-and-celebrations/celebra-
à la femme occidentale contemporaine des pays riches. Ils tions/international-days/international-womens-day-2014/
dénoncent le fait que les femmes aient soi-disant pris le pou- women-ed-facts-and-figure).
voir et remettent en question la virilité masculine, en pleine
Il sera important de revenir sur l’histoire récente de l’émanci-
crise identitaire selon l’auteure. Ils en oublient que la majo-
pation des femmes, ne serait-ce qu’en France, en menant une
rité des femmes dans le monde ne sont pas émancipées, tant
séance de recherches. On pourra également organiser une
s’en faut, et que, même dans les pays dits développés, le sort
revue de presse recensant les informations récentes qui ont
des femmes est loin d’être toujours enviable. Autrement dit,
été publiées sur ce sujet dans les journaux français ou étran-
l’émancipation de la femme n’est pas un fait acquis, ni en
gers : les faits divers peuvent être éloquents, tout comme les
France ni ailleurs : « l’existence de millions, voire de dizaines de
débats de société ou les lois votées.
millions, de femmes esclaves à travers le monde, ne devrait-
elle pas, à elle seule, suffire à tempérer le radicalisme des pro- On proposera également des recherches sur le statut, le droit
phètes de la disparition de l’homme et autres contempteurs et la place des femmes dans l’Antiquité. Les élèves pourront
du “règne des femmes” ? » (l. 34-38). en rendre compte sous la forme d’exposés. Ils/elles confron-
teront leurs recherches aux trois textes antiques auxquels
nous renvoyons ici, qui ne donnent pas une image unique de
la relation hommes-femmes.

prolongements pistes pour construire un portfolio


On pourra prolonger cette séance
par des recherches sur l’évolution
• Pour un diptyque textuel, il sera pertinent de confronter deux textes appartenant
à des genres a priori moins littéraires : les articles de lois du Digeste, qui date de 533
du droit des femmes en France et
(p. 142) et l’extrait de l’essai d’Olivia Gazalé, Le Mythe de la virilité, 2017 (p. 147).
à l’étranger au XXe siècle et au
début du XXIe siècle. • Pour un diptyque iconographique, on pourra confronter les deux supports
suivants : Jason et Médée joignant leurs mains droites, bas-relief d’un sarcophage, Ier s.,
musée du Palais Altemps, à Rome (p. 142) et la caricature réalisée par Mix et Remix
pour Siné Mensuel, novembre 2015 (p. 147).

Masculin, féminin • 159


lecture Amours, amantes et amants

1 Le bonheur d’être ensemble (p. 148)


Nous avons choisi de consacrer six pages à l’étude de la sous-thématique « Amours, amantes et amants » : « décou-
vrir les représentations antiques, dans leur diversité, invite l’élève à enrichir sa réflexion sur les modèles familiaux,
le mariage et la sexualité » (B.O.).
Cette première page est consacrée à un couple historique dont le mariage passe, d’après l’historien Tacite,
pour avoir été particulièrement heureux  : celui de Cnaeus Julius Agricola, originaire de la colonie de Fréjus en
Narbonnaise, et de Domitia Decidiana, fille de Domitius Decidius, qui fit carrière sous Claude (il fut notamment pré-
teur en 47). Il s’agit donc d’un couple hétérosexuel, marié, appartenant à la noblesse impérial, dont l’homme et la
femme semblent avoir eu une relation d’égal à égale ; l’insistance avec laquelle l’historien le souligne montre assez
que cela n’allait pas de soi : « vixeruntque mira concordia, per mutuam caritatem et in vicem se anteponendo » (l. 4-5).
Nous sommes bien sûr dans le registre de l’éloge et dans le genre de la biographie d’un homme qui doit servir
d’exemple : « un livre inspiré par la piété filiale, destiné à honorer son beau-père, c’est ainsi que Tacite définit son
ouvrage. Ce texte très oratoire, qui s’achève sur une invocation au disparu, ressemble à ces discours d’apparat
que les Romains prononçaient au moment des funérailles » (Anne-Marie Ozanam, Tacite, Vie d’Agricola, Classiques
en poche, 2010, « Introduction », p. XV). La Vie d’Agricola est en particulier l’occasion pour l’historien de tracer
un portrait noir de Domitien, qui verse dans la tyrannie, ce qui annonce les pages les plus noires des Annales.
« Transmettre à la postérité les actions et le caractère des hommes célèbres est une pratique ancienne, à laquelle
même notre époque, si peu soucieuse qu’elle soit des siens, n’a pas renoncé, chaque fois que quelque mérite de
taille, digne d’être connu, a vaincu et surmonté ce vice commun à toutes les cités, grandes ou petites : l’ignorance
du bien ou l’hostilité à son égard » (Tacite, Vie d’Agricola, I, 1, traduction de Jacques Perret). On met ici en lumière
le fait que, même dans sa vie la plus privée, Cnaeus Julius Agricola fut un exemple à suivre.
L’extrait que nous proposons suit immédiatement les trois paragraphes qui constituent en quelque sorte l’exorde
du livre, et les deux paragraphes consacrés à la naissance, à l’enfance, à la jeunesse et aux premières années de
service militaire en Bretagne : « Agricola ne fit preuve d’aucune indiscipline, comme souvent les jeunes gens qui
transforment le service militaire en vie de débauche, et il ne fit pas servir paresseusement son titre de tribun et
son inexpérience pour se procurer plaisirs et permissions. Il apprenait à connaître la province, se faisait connaître
de l’armée, s’instruisait auprès des hommes d’expérience, s’attachait aux pas des meilleurs, ne recherchait aucune
mission pour se mettre en avant, n’en refusait aucune par crainte, et se montrait à la fois circonspect et déter-
miné » (Vie d’Agricola, III, 2, traduction de Jacques Perret).
C’est ce qui permet de comprendre la première phrase du texte : après avoir brillé en campagne, il rejoint Rome
pour y briguer une magistrature et faire carrière, en commençant par faire un beau mariage, d’amour et d’intérêt.
On pourra confronter cet extrait à celui de l’Amphitryon de Plaute (p. 146).
Pour mettre en perspective cet éloge, nous remontons au VIe s. av. J.-C., en Étrurie, avec ce qui est communément
appelé le Sarcophage des époux. Le couple semble serein, heureux, la femme tenant une place que n’a pas la
femme grecque, par exemple, à la même époque.
Nous conseillons ici de commencer par l’étude de l’œuvre d’art étrusque, qui amènera peut-être les élèves à
remettre en cause certains clichés sur la place de certaines femmes dans le monde antique. Cela sera une sorte
d’introduction à la lecture du texte de Tacite.

TRADUCTION
Ensuite, descendu à Rome pour briguer les magistratures, il s’unit à Domitia Decidiana, issue d’une brillante
famille ; et ce mariage, pour lui qui aspirait à de plus hautes fonctions, lui fut un honneur et un appui ; et ils vé-
curent dans une admirable entente, chacun préférant l’autre à lui-même par une mutuelle affection, sans oublier
que l’éloge d’une bonne épouse est d’autant plus grand qu’il y a davantage de reproche à faire à une mauvaise.

Langue
1. Dans le texte en latin, l’adjectif verbal est « capessendos » d’obligation, auquel cas «  anteponendo  » doit être analysé
(l.  1). Il s’accorde à l’accusatif masculin pluriel avec «  magis- comme un adjectif verbal accordé à l’ablatif avec «  se  ». La
tratus », ces deux mots étant régis par la préposition « ad ». substitution du gérondif par l’adjectif verbal n’étant pas obli-
Ce groupe prépositionnel peut être traduit littéralement par gatoire dans ce cas précis, les deux solutions sont possibles.
« pour chercher à obtenir des magistratures ». Nous avons privilégié la première, qui nous semble plus
Le gérondif est «  anteponendo » (l.  5), décliné à l’ablatif sin- simple pour l’analyse syntaxique du passage.
gulier. Le pronom se peut être analysé de deux manières 2. Le pronom personnel « sibi » (l. 2) est un réfléchi : il renvoie
différentes : ou bien l’on considère qu’il est à l’accusatif sin- au sujet du verbe « junxit », c’est-à-dire à Agricola, sous-enten-
gulier, COD du gérondif, comme nous l’avons indiqué par le du. De même, le pronom « se » (l. 5) est un réfléchi : il renvoie
code couleur ; ou bien l’on considère qu’il y a eu substitution au sujet de « vixerunt », à savoir Agricola et son épouse.
du gérondif par l’adjectif verbal, qui n’a alors plus valeur


160 Masculin, féminin
Traduire
Cet extrait n’est pas très long, mais est conforme aux exi- proposer une version en langue française, ce qui implique
gences de l’épreuve de spécialité de fin de première. Le code tout autant un travail sur la langue cible que sur la langue
couleur, l’aide lexicale et les notes seront précieuses. La diffi- source, à la fois au niveau du lexique et de la syntaxe. On veil-
culté ne sera pas de comprendre le sens du texte, mais d’en lera particulièrement à l’ordre des mots.

Comprendre
Selon Tacite, Agricola s’est marié par amour et par inté- On attirera l’attention des élèves sur le fait que, contrairement
rêt  : «  ce mariage, pour lui qui aspirait à de plus hautes à ce qui se passait dans le monde grec, où les femmes étaient
fonctions, lui fut un honneur et un appui ; et ils vécurent exclues des banquets, réservés aux seuls hommes, la femme
dans une admirable entente, chacun préférant l’autre à étrusque est ici représentée aux côtés de son époux : les deux
lui-même par une mutuelle affection  ». Nous proposons personnages, à demi allongés et s’appuyant sur des cous-
d’étudier l’œuvre en terre cuite intitulée (peut-être à tort) sins en forme d’outres de vin, sont dans la même position et
le Sarcophage des époux, qui provient d­ ’Étrurie. Pour plus de semblent sur un pied d’égalité ; l’homme enlace sa femme ;
détails, nous renvoyons à la notice détaillée disponible sur leur visage est serein. L’homme ne domine pas la femme  :
le site du Musée du Louvre (www.louvre.fr/œuvre-notices/ comme dans le texte de Tacite, on est loin de la représenta-
sarcophage-des-epoux-de-cerveteri). tion habituelle du couple dans l’Antiquité.

2 Promesse de plaisir (p. 149)


Avec cet extrait du roman d’Apulée, nous emmenons les élèves aux confins de l’érotisme. C’est pourquoi nous
expliquons d’emblée, dans notre rubrique Quid, que l’érotisme fait partie du quotidien des Romaines et des
Romains, comme permet de le constater la visite des musées présentant des collections d’œuvres et/ou d’objets
de l’Antiquité : statues, bas-relief, fresques, lampes à huile notamment. On pourra commencer cette séance par
des recherches sur les sites des musées du Louvre, du Vatican, Capitolins, de Naples. On pourra également vision-
ner des extraits de la Nocturne du Plan de Rome consacrée à « L’amour à Rome », du 2 octobre 2019.
Au Livre I des Métamorphoses, le héros narrateur Lucius se rend pour affaires en Thessalie. C’est là qu’il rencontre
Aristomène, un marchand qui devient son ami et qui lui raconte l’histoire d’un vieil ami assassiné par la magie de
deux sorcières. Lucius, reçu par son hôte Milon dans la cité d’Ypati, reste sceptique.
Au début du Livre II, Lucius part à l’aventure, « entêté de m’instruire de raretés et de prodiges, me ressassant que
j’étais à l’épicentre de cette Thessalie qu’un chœur universel proclame foyer natif des incantations et berceau des
arts magiques » (II, 1, 2, traduction de Olivier Sers). Il apprend que la femme de Milon, Pamphile, est une sorcière.
Piqué de curiosité, il retourne chez son hôte et tombe en extase devant la beauté de Photis, fille de Milon et
Pamphile : « Cloué au sol par cette apparition je restai stupide d’admiration, raidi comme un piquet, y compris mes
parties jusque-là molles » (II, 7, 4, traduction de Olivier Sers).
L’extrait que nous proposons est long. C’est pourquoi nous avons traduit les parties dialoguées. Les passages
restants (l. 1-5 et 12-16 essentiellement) contiennent, au total, près de 70 mots, davantage que l’extrait à traduire
dans l’épreuve de spécialité de fin de 1re. Nous conseillons de commencer par écouter notre lecture audio, inté-
gralement, puis de prendre connaissance du sens des répliques, que l’on reliera aux paragraphes correspondants
en latin. Cette première approche permettra d’appréhender le sens global du texte.

TRADUCTION
Et je ne pus plus longtemps soutenir un tel supplice, celui d’une rare volupté, mais, incliné vers elle, à
l’endroit où les cheveux remontent vers le haut de la tête, j’imprimai un baiser, un doux comme le miel le
plus doux. Alors elle pencha son cou et, s’étant retourné vers moi avec un clin d’œil en coin :
– « Attention à toi, petit apprenti », dit-elle, « tu prends un apéritif doux-amer. Méfie-toi de ne pas contrac-
ter une longue aigreur d’estomac à cause de l’excessive douceur du miel. »
– « Qu’est-ce que c’est que ça », dis-je, « mon cœur, alors que je suis prêt, même en étant rétabli entre-temps
par un seul baiser, à rôtir étendu sur ce feu. »
Et en disant cela, la serrant plus étroitement, je commençai à l’embrasser. Et s’accordant déjà avec moi en
rivalisant de désir pour un amour d’égal à égal, s’échauffant déjà, par le souffle de cannelle de sa bouche
entrouverte et le doux élan de sa langue qui m’assaillait, d’une prompte ardeur :
– « Je meurs », lui dis-je, « ou plutôt je suis déjà mort, si tu ne dis pas oui. »
À ces mots, celle-ci reprit, en m’embrassant :
– « Sois gentil », dit-elle, « car moi je m’abandonne à toi par notre consentement mutuel, et notre plaisir
ne sera pas différé plus longtemps, mais, à la première torche allumée, je viendrai dans ton lit. Va donc et
prépare-toi, toute la nuit en effet avec toi énergiquement et avec cœur, je livrerai bataille. »

Masculin, féminin • 161


Lexique
1. Le verbe « volo » signifie « vouloir », « consentir » ; le par- 2. On pourra mener ici une séance spécifique de recherche
ticipe présent volens, ntis, a pris le sens de «  qui veut bien, lexicale, à l’aide des outils présentés aux p. 14-15. On fera
propice », en parlant des dieux, notamment dans la formule ensuite émerger les hypothèses de lecture des élèves.
cum volentibus dis, «  avec le consentement des dieux  ». Le capillus, i, m. : cheveu
nom voluntas, dérivé de volo, a le sens premier de « consen- cervix, icis, f. : nuque, cou
tement », d’où « volonté ». Le nom « voluptas » (l. 1 et 21) est oculus, i, m. : œil
formé de la racine vol- et du suffixe -tas, -tatis ; il se rapporte complexus, a, um, participe parfait passif de complector :
à ce qui est agréable à la volonté, et se traduit par « plaisir, embrasser, serrer contre soi
volupté ». savior, aris, ari : embrasser, donner des baisers
L’impersonnel «  libet  », ancien lubet, vient du verbe lubere, os, oris, n. : bouche
« avoir envie de », par opposition à licet, « avoir la permission inhalatus, us, m. : souffle, haleine
de ». Libet est généralement traduit par « il plaît », « il fait plai- lingua, ae, f. : langue
sir  ». En est dérivé le nom commun libido, inis, f., «  envie  », cubiculum, i, n. : lit
« désir », « passion », « plaisir ». proelior, aris, ari, atus sum : combattre, livrer bataille
Le nom cupiditas, atis, f. est dérivé du verbe cupio, « désirer (comprendre : faire l’amour)
ardemment ».

Langue
1. Les adverbes « diutius », « artius » et « ulterius » sont au com- 2. L’emploi de plusieurs adverbes au comparatif de supério-
paratif de supériorité, formés à partir des adverbes au positif rité s’explique par la tonalité érotique du texte  : au fur et à
diu, arte et ultra. L’adverbe « fortiter » est au positif. mesure que le désir monte chez les deux personnages, les
gestes s’accélèrent et les corps se rapprochent.
Traduire
1. A G 4 ; B G 2 ; C G 1 ; D G 3. Il est ici possible de prévoir de différencier les objectifs de tra-
duction en fonction du niveau des élèves ; on peut imaginer
2. Il nous a semblé pertinent et intéressant de proposer un
une traduction intégrale à plusieurs mains, certains élèves se
texte narratif contenant des dialogues déjà traduits, qui sont
chargeant de la première partie narrative (l. 1-5), d’autres de la
autant de jalons de compréhension. L’objectif est à la fois de
seconde (l. 12-16) ainsi que de la ligne 19.
faciliter l’accès au sens et de susciter l’intérêt des élèves. Ils/
elles seront également rassurés par la longueur des passages
à traduire.

prolongements
L’objectif de cette page pourra être de mettre en voix, sinon en scène, cet extrait des Métamorphoses d’Apulée. La mise en voix
implique en effet d’avoir parfaitement compris le texte. On peut imaginer, en l’occurrence, une performance à trois voix : le narrateur,
Photis, Lucius.

3 À cœurs ouverts (p. 150)


Après l’expression littéraire de l’érotisme, dans le cadre du roman d’Apulée (voir p. 149), les élèves découvriront
l’authenticité des mots écrits par tout un chacun sur les murs des domus pompéiennes. Sans être cru, le langage
est direct et sans détour. Notre objectif est donc de lire des textes authentiques.
Il s’agit également de déchiffrer un texte épigraphique, ce qui n’est pas chose aisée, eu égard à l’état de conser-
vation du graffiti et à la taille de l’illustration. En réalité, il s’agit plutôt d’identifier à quelle inscription retranscrite
correspond celle qui est reproduite. Les élèves pourront aisément le deviner ; il sera en revanche moins évident,
même à l’aide de la transcription, d’identifier toutes les lettres de l’inscription.
La longueur variée des inscriptions permettra ici encore de pratiquer la différenciation. Leur authenticité suscitera
immanquablement l’intérêt des élèves.
O
DÉ 1
5
VI

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES Visite virtuelle ®


Nous recommandons la lecture du recueil d’inscriptions L’extrait vidéo est une captation d’une des Nocturnes
lapidaires et pariétales de Pompéi de Philippe Moreau, du Plan de Rome intitulée « L’amour à Rome », du
Sur les murs de Pompéi, Le Promeneur, 1993. Nous 2 octobre 2019. En sortant du Forum d’Auguste par
y trouvons un bon nombre de messages d’amour, une porte du mur pare-feu séparant le temple de Mars
entre autres, et entrons « dans les préoccupations Ultor du quartier de Subure, nous débouchons sur un
quotidiennes, banales ou touchantes, les goûts et les lupanar dont le mur extérieur porte plusieurs inscriptions
passions des Pompéiens d’avant l’ensevelissement sous grivoises. Sophie Madeleine nous lit l’une d’elles, tout
les cendres du Vésuve » (4e de couverture). à fait explicite.


162 Masculin, féminin
TRADUCTION
Méthè, esclave de Cominia, une Atellane, aime Sarra, tu n’agis pas bien, tu me laisses seul.
Chrestus.
Que de tout cœur Venus Pompéienne soit à chacun Si tu ressentais les feux de l’amour, muletier,
propice, et que toujours ils vivent unis.
tu te presserais davantage, pour voir ta vénus.
J’aime une jeune vénusienne ; je t’en prie, fouette,
Les amants, comme les abeilles, réclament une vie allons !
de miel. Tu as bu : allons, prends les rênes et secoue [la bête] !
On m’emmène chez les Pompéiens, où est mon doux
amour.

Lire
1. La fresque dite du canard est endommagée ; le graffiti n’est 2. Sur la fresque, il est écrit sur une même ligne : « Amantes
plus bien lisible. Deux types d’aide peuvent être apportés : la ut apes vitam mellitam exigunt ». Sous le mot «  Amantes » a
projection au tableau de l’illustration, disponible en ressource été ajouté le verbe « velle », qui se raccorde mal à la phrase
numérique, qui permettra notamment de zoomer ; l’utilisa- précédente et constitue probablement une inscription à part
tion de la transcription des inscriptions 2457, 1951, 8408 et entière.
5092 du Corpus inscriptionum Latinarum (voir la question 2).
Traduire
1. La première inscription peut avoir été rédigée par Méthè, La longue et dernière inscription a été écrite par un homme
par Chrestus, qui parleraient d’eux à la troisième personne, pressé de se rendre à Pompéi, où il a laissé son amour. Elle est
comme cela est courant, ou bien par une tierce personne qui adressée au muletier qui l’y conduit.
leur souhaite d’être heureux en amour. Elle est adressée aux 2.  Nous conseillons ici de pratiquer la différenciation et de
deux amants, ou bien à l’un des deux à l’autre. laisser les élèves choisir quelle(s) inscription(s) ils/elles pré-
La deuxième a été gravée par un amant malheureux, qu’a fèrent traduire.
quitté une certaine Sarra, destinataire de l’inscription.
On ne connaît ni le destinateur ni le destinataire de la troi-
sième inscription, écrite au présent de vérité générale.

Comprendre
1. Nous ne savons bien évidemment pas dans quelles circons- de communication habituel et efficace. Les inscriptions
tances précises ont été gravées ces quatre inscriptions  : au étaient peintes ou gravées sur la chaux ou sur le stuc blanc
début de la relation entre Méthè et Chrestus, peu de temps qui recouvre le tuf ou la brique des murs. Les murs étaient
après que Sarra eut quitté son amant, par quelqu’un en mal régulièrement ré-enduits de chaux ou de stuc pour effacer
d’amour, par un jeune homme que le désir de revoir sa belle ces inscriptions.
enflammait. Il sera opportun de visionner ici la vidéo du CIREVE présen-
D’une manière générale, nous savons que les murs des rues tant un graffiti grivois sur mur de Rome.
des cités romaines, de Pompéi en particulier, étaient cou- 2. Le ton est plus souvent badin que grave, si tant est qu’il soit
verts d’inscriptions de toutes sortes et en tous genres, pour vraiment grave dans la troisième inscription. La quatrième
honorer les dieux, rendre hommage à des notables, faire inscription est un peu à part : elle est plus longue ; le ton y
de la propagande, annoncer des festivités, passer des mes- est plus incisif, les phrases étant rythmées par des verbes à
sages personnels, quelle qu’en soit la teneur. C’était un mode l’impératif.

4 Ah, ma chère maîtresse ! (p. 151)


Nous proposons de lire deux courtes poésies adressées à Lesbie qui forme, avec Catulle, l’un des couples poé-
tiques, sinon mythiques, du moins les plus célèbres de l’Antiquité. Il n’est pas question ici de trancher la question
de savoir si Lesbie est une femme réelle, un nom d’emprunt, une muse poétique. Nous savons simplement que le
poète lui adresse environ la moitié de ses textes.
Sur cette page, nous trouvons les poèmes 86 et 87, en distiques élégiaques, qui se suivent dans le recueil : le
premier est un éloge à la beauté de Lesbie ; le second une déclaration d’amour hyperbolique. Le poème 86 est
accompagné d’une traduction assez ancienne de Maurice Rat, en prose et assez éloignée du latin. Le poème 87
est plus court, mais n’est pas traduit. L’occasion est ainsi donnée de pratiquer la différenciation.
Pour illustrer le registre élégiaque et enrichir nos propositions textuelles, nous avons choisi un tableau de Charles-
Guillaume Brun : Le Moineau de Lesbie (1860). Le tableau représente une scène intimiste dans un atrium au décor
de style pompéien, conformément au goût de cette époque pour les découvertes effectuées sur le site archéolo-
gique de Pompéi. Ce tableau illustre plus particulièrement le poème 2 du recueil de Catulle « Passer deliciae meae
puellae » : le moineau fait l’objet de toutes les attentions de l’amante, qui n’a cure de celui qui lui fait la cour.

Masculin, féminin • 163


INFORMATIONS TRADUCTION
SUPPLÉMENTAIRES
Traduction du poème 86 :
Les représentations plastiques À Lesbie
de Lesbie sont nombreuses.
Quintia est belle, pour beaucoup ; pour moi elle est blanche, élancée,
On citera, à titre d’exemples :
Bien faite. Chacune de ces qualités, moi-même je les reconnais ;
- Jacques-Hyacinthe Chevalier, Dans l’ensemble « belle », je le nie ; en effet, nulle grâce,
La Toilette de Lesbie, 1861 ;
Nulle once de charme dans un si grand corps.
- François Lanno, Lesbie, 1832 ; Lesbie est belle, non seulement parce qu’elle est tout à fait magnifique,
- Edward Poynter, Lesbie et son Mais parce qu’à toutes [les femmes], à elle seule, elle a dérobé tous les charmes.
moineau, 1907 ;
- Laure Coutan, Le Moineau
de Lesbie, 1911.

viva voce TRADUCTION


L’expression des sentiments, fût-elle exagérée et/ou fictive, peut Traduction du poème 87 :
être une occasion de proposer une activité de mise en voix. La À Lesbie
mémorisation d’un ou des deux textes ne posera pas de difficulté Nulle femme ne peut se dire autant aimée
étant donné leur longueur. Outre une prononciation et une Véritablement, que par moi ma Lesbie n’est aimée.
articulation irréprochables, on pourra attendre des élèves qu’ils/elles
roulent les r et qu’ils/elles marquent l’accent tonique. Pour le placer, Nulle fidélité ne fut jamais, par aucun serment, telle
il suffira d’identifier les voyelles longues et les voyelles brèves en se Qu’on la trouve dans l’amour que je te porte.
reportant aux règles de la scansion (voir p. 199) : dans les mots de
deux syllabes, c’est la première qui porte l’accent tonique (rósa) ; dans
les mots de plus de deux syllabes, l’accent est sur la pénultième si elle
est longue (dubitáre), sur l’antépénultième si elle est brève (dúbitat).

Lire
1.  Les procédés littéraires qui contribuent à l’éloge de la « omnibus » (v. 6) encadrent le pronom « una » qui désigne
femme aimée sont : « Lesbia », ce qui met en évidence l’idée que cette dernière
- l’accumulation, renforcée par l’homéotéleute : formosa, can- cumule à elle seule les charmes de toutes les autres femmes.
dida, longa, recta (v. 1-2) ; - l’emploi du superlatif de supériorité absolu «  pulcerrima  »
- le jeu sur l’homophonie : « nego » (v. 3), fait écho à « ego » (v. 5), attribut du sujet « Lesbia ».
(v.  2), ce qui renforce l’opposition entre le fait que le poète 2.  Le poème 87 est constitué de deux distiques qui com-
reconnait des qualités physiques à Quintia, mais nie qu’elle mencent par le déterminant indéfini anaphorique «  nulla  »
soit « belle » ; (v. 1 et 3). Dans le premier distique, « tantum » appelle « quan-
- l’anaphore « nulla » (v. 3 et 4) accentue l’aspect négatif du tum » ; dans le second, « tanta » appelle « quanta ». La répéti-
portrait de Quintia et, par contraste, met en évidence la beau- tion des mots « amatam/amata » (v. 1-2) et « mea est » en fin
té sans faille de Lesbie ; de vers (v. 2 et 4), renforce encore l’effet d’écho entre les deux
distiques. On peut également relever, à cet égard, le polyp-
- la métaphore « mica salis » (v. 4) : le charme est comparé au
tote : « amatam/amata/amore » (v. 1, 2 et 4).
sel, qui donne du goût (d’où notre traduction, elle-même
métaphorique) ; Quintia, qui semble dépourvue de tout 3.  Le registre lyrique domine dans le poème 87, comme le
charme, n’en a même pas une once, le grain étant ici l’image prouvent l’utilisation du champ lexical de la relation amoure-
concrète d’une quantité infime se rapportant à une qualité ; ruse (mulier, v. 1, amatam/amata, v. 1-2, vere, v. 2, fides/foedere,
v.  3, amore, v.  4), les pronoms personnels et déterminants
- la répétition : l’adjectif « formosa » (v. 3 et 5) qualifie d’abord
posses­sifs de la première et de la deuxième personne du sin-
Quintia, mais est accompagné du verbe «  nego  », puis le
gulier (me, v. 2, mea, v. 2 et 4, tuo, v. 4).
sujet Lesbia, dont il est l’attribut ; les adjectifs «  omnis  » et

Traduire
1.  La traduction de Maurice Rat est ancienne, en prose et nous leur avons attribué une quantité, quand normalement
assez éloignée de la poésie latine. Si elle permettra évidem- elles n’en ont pas, puisqu’elles s’élident. Le déterminant pos-
ment aux élèves de comprendre le sens général du texte, elle sessif «  mĕā  » (v.  4), est accordé à l’ablatif féminin singulier
ne les dispensera pas, ici non plus, de faire l’analyse morpho- avec le nom « parte » (« ex parte mea »).
syntaxique des trois distiques élégiaques. 3.  Ces deux distiques seront plus simples à traduire que le
On pourra s’aider de la scansion et compléter le rythme des poème 86. Le lexique et la syntaxe en sont plus simples et
vers 2-6. la compréhension, par là même, en sera plus intuitive. La
2. Les mots à repérer sont : Nūllă, Lēsbĭă, ămātă, mĕă, Nūllă, réponse à la deuxième question de Lecture sera également
tāntă, Quāntă, rĕpērtă. Notons que les voyelles en italiques une aide précieuse pour une première compréhension glo-
dans le texte en latin correspondent aux voyelles élidées ; bale du texte. On ne manquera pas, ici aussi, de s’appuyer sur
la scansion pour repérer certains cas.


164 Masculin, féminin
Interpréter
1. Le poème 86 est construit sur l’opposition entre la beauté de Aux vers 5-6, l’emploi du superlatif de supériorité absolu
Quintia et celle de Lesbia, toutes deux qualifiées de « formosa » « pulcerrima », renforcé par « tota », et de l’hyperbole (« omni-
(v. 1 et 5). Ce qui différencie les deux femmes, ce n’est pas tant bus una omnis surripuit veneres »), renforcée par le polyptote
leur beauté que le regard subjectif qui est porté sur elles : beau- « omnibus/omnis » et la position du mot « una » entre les deux,
coup de gens trouvent Quintia belle (« Quintia formosa est mul- contribuent à mettre en évidence l’opposition entre le point
tis », v. 1), mais pas le poète (« totum illud “formosa” nego », v. 3), de vue du poète et celui des autres.
lequel trouve Lesbia belle (« Lesbia formosa est », v. 5). 2. Au vers 2, le mot Lesbia est placé à la coupe pentémimère,
L’opposition est mise en évidence stylistiquement au vers 1 : selon le schéma suivant : « Vērē/, quānt[um] ā/ mē // Lēsbĭ[a]
les pronoms « multis » et « mihi », qui sont tous deux dissylla- ă/mātă mĕ/[a] ēst. »
biques, se trouvent de part et d’autre de la coupe hepthémi- De plus, il est encadré par le groupe prépositionnel « a me »
mère ; au groupe nominal « Quīntĭă fōrmōs(a) », en début de et le participe parfait passif et le déterminant possessif de la
vers, font échos, par le rythme identique (3-2) et l’homéoté- même famille, «  amata mea ». Le nom propre de la femme
leute en -a, les adjectifs « cāndĭdă lōngă », en fin de vers. Il y a aimé se trouve donc comme « embrassé » par les mots dési-
là comme un effet de miroir. gnant l’amant et ses sentiments pour elle.
Après avoir concédé que Quintia est « candida », « longa » et 3. Dans le poème 86, la relation amoureuse du poète avec sa
« recta » (v. 1-2), qualités qu’il lui reconnaît une à une (« haec maîtresse semble être fondée avant tout sur l’attirance phy-
ego sic singula confiteor  »), le verbe «  nego  », placé entre la sique. Le poème 87, qui le suit immédiatement, ne contredit
coupe trochaïque et la coupe hepthémimère, n’en est que pas cette interprétation.
plus brutal. D’autant plus qu’il annonce la répétition de la
négation « nulla » (v. 3 et 4).

5 Amours interdites ? (p. 152)


Les aventures amoureuses et les relations sexuelles entre hommes ou entre femmes, pour ne pas dire « homo-
sexuelles » puisque ce terme et cette catégorie n’existaient pas dans l’Antiquité, semblent aller de soi, dans l’esprit
des élèves, chez les Grecs et les Romains. Comme le rappelle le dernier vers de l’épigramme de Martial que nous
reproduisons ici, les relations sexuelles entre hommes ont la caution mythologique des dieux, en l’occurrence des
aventures de Jupiter et Ganymède. Toutefois, si les civilisations grecque et romaine ont en effet développé une
« pédagogie pédérastique » (pour reprendre le titre d’un chapitre du Mythe de la virilité d’Olivia Gazalé, Pocket,
2017, dont nous citons un large extrait ci-dessous), l’homosexualité n’était cependant pas totalement libre : elle
avait ses codes et ses interdits. Elle était donc encouragée, voire incontournable, notamment en Grèce, mais pas
toujours bien vue si elle outrepassait certaines règles.
C’est la raison pour laquelle nous proposons ici trois supports qui donnent une vision ouverte de la question :
- le détail d’un kylix grec figurant un éraste embrassant son éromène, scène suffisamment admise, banale et
importante pour qu’elle soit représentée sur un vase ;
- un extrait des Césars de l’historien Aurelius Victor, qui rapporte que l’empereur Hadrien fut parfois critiqué pour
la relation durable qu’il eut avec le jeune Antinoüs ;
- un épigramme du poète Martial, qui chante sur le mode lyrique, sa relation (si tant est que le poème soit auto-
biographique) avec Telesphorus, peut-être un jeune homme d’origine grecque.
En fonction du niveau des élèves et des objectifs de la séance, il sera opportun de pratiquer la différenciation
pédagogique : l’extrait d’Aurelius Victor est relativement long ; l’épigramme de Martial est plus court, et accom-
pagné de sa traduction, ce qui n’interdit pas d’en demander l’analyse ou une traduction juxtalinéaire, afin de
s’assurer de la compréhension fine du texte en latin.

Biblio
c Les « programmes, sans réduire la part cruciale de l’apprentissage de la langue,
mettent l’accent sur les lectures suivies en latin et en grec, en édition bilingue, de
manière à rendre possible une réelle confrontation des œuvres antiques avec nos
textes modernes et contemporains » (programmes des classes de 2de, de 1re et de
Tle). Pour approfondir l’objet d’étude « Masculin, féminin », nous proposons de lire
les Livres I-II des Amours d’Ovide, aux éditions Classiques en poche. Cette lecture
suivie pourra s’accompagner de celle des Élégies de Louise Labé, qui puise aux
sources antiques. INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES

c Les Livres I et II des Amours sont composés respectivement de 15 et 19 élégies, La Société des Belles Lettres a publié, dans
adressées pour la plupart à la jeune fille aimée, en l’occurrence Corinne ; ces la collection Signets, Homo/sexualité – Aimer
élégies évoquent notamment les affres et les plaisirs de l’amour. en Grèce et à Rome, 2010. On y trouvera
c Le recueil de Louise Labé est divisé en trois sections : Élégie I, qui évoque le coup notamment un « Parcours de lecture »
de foudre ; Élégie II, qui évoque la relation amoureuse et ses douleurs ; Élégie III, qui intitulé « Les relations sexuelles entre
évoque le regard rétrospectif sur la relation amoureuse. femmes », p. 279-280.

Masculin, féminin • 165


TRADUCTION
De là naquirent de méchantes rumeurs, [selon lesquelles] il avait flétri l’honneur de jeunes gens et s’était
enflammé pour Antinoüs avec un empressement décrié, et [selon lesquelles] il n’y avait pas d’autre motif
au fait qu’il ait fondé une ville à son nom ou fait disposer des statues pour cet éphèbe. Quant à cela, d’autres
veulent [y voir] des actes pieux et religieux : de fait, Hadrien désirant prolonger son destin, comme des
mages réclamaient un volontaire [pour mourir] à sa place, tous ayant refusé, Antinoüs se proposa, rap-
porte-t-on, et c’est de là que vinrent les égards envers lui mentionnés ci-dessus. Nous, nous laisserons
la question en suspens bien que, chez un tempérant indolent, nous estimions suspecte une relation avec
quelqu’un d’âge aussi différent.

Traduire
1.  Dans le texte d’Aurelius Victor, les propositions sont les 2. Cet extrait est relativement long, dépassant largement les
suivantes : attendus de l’épreuve de spécialité de fin de 1re. L’aide lexi-
- participiales  : Hadriano cupiente fatum producere (l.  4-5), cale sera précieuse, mais pas suffisante pour certains élèves.
cunctis retractantibus (l. 6), suspectam aestimantes societatem Il sera probablement nécessaire, en amont, de situer ce texte
aevi longe imparilis (l. 8-9) ; dans son contexte historique, à savoir les nombreux voyages
d’Hadrien et son goût pour les œuvres d’arts. En l’occurrence,
- subordonnée : cum voluntarium ad vicem magi poposcissent
la ville dont on fait mention est Antinoupolis, ou Antinoé, fon-
(l. 5-6) ;
dée sur la rive orientale du Nil. On expliquera également ce
- infinitives : injecisse stupra puberibus atque Antinoi flagravisse qu’est un éphèbe. Outre ces éléments de culture, les expres-
famoso ministerio (l.  1-2, complète rumores mali, l.  1), urbem sions «  fatum producere » (l.  5) et «  ad vicem » (l.  5) seront à
conditam ejus nomine aut locasse ephebo statuas (l.  3, com- expliciter.
plète rumores mali, l. 1), Antinoum objecisse se (l. 6-7, complète
referunt, l. 7).

Comprendre
1.  Aurelius Victor émet un jugement négatif sur la relation est consacrée et qui correspond au chapitre 14 des Césars, s’il
qu’a entretenu Hadrien avec Antinoüs, comme le prouve les ne dresse pas un portrait à charge d’Hadrien, il n’en fait pas
premières lignes : « de là naquirent de méchantes rumeurs, non plus l’éloge.
[selon lesquelles] il avait flétri l’honneur de jeunes gens et 2.  Dans l’épigramme de Martial, le sentiment amoureux se
s’était enflammé pour Antinoüs avec un empressement manifeste par l’emploi d’appositions  : «  grata quies  » (v.  1),
décrié  » («  Hinc orti rumores mali injecisse stupra puberibus « blanda cura » (v. 1), renforcées par le présentatif « o », répété.
atque Antinoi flagravisse famoso ministerio  », l.  1-2). Cela dit, Il est également exprimé par le parallélisme, basé sur la répé-
l’auteur précise qu’il s’agit ici de « rumores » ; de même, s’il ne tition du verbe «  da  », précédé dans chaque cas d’un nom
cite pas précisément ses sources, il mentionne que « d’autres commun décliné à l’accusatif neutre pluriel en -a et suivi d’un
veulent [y voir] des actes pieux et religieux » (« quae quidem pronom ou d’un nom terminés par le son -is («  nobis », v.  3
alii pia volunt religiosaque », l. 4) et suspend son jugement sur et «  labris », v.  4) ; le parallélisme est renforcé par le rythme
ce point (« nos rem in medio relinquemus », l. 7-8), « bien que, du début de ces deux vers successifs : les expressions « bāsĭă
chez un tempérant indolent, nous estimions suspecte une dā nōbīs » et « pōcŭlă dā lābrīs » constituent les six premières
relation avec quelqu’un d’âge aussi différent » (« quamquam syllabes de deux types de vers différents (hexamètre et pen-
in remisso ingenio suspectam aestimantes societatem aevi longe tamètre), mais sont constituées toutes les deux d’un dactyle
imparilis », l. 8-9). D’une manière générale, dans la page qui lui (pied 1 du vers), suivi d’un spondée puis d’une syllabe longue.

Interpréter
1. On pourra ici proposer aux élèves de faire des recherches deux hommes devra cesser ; ils resteront liés par une pro-
sur Internet. Voici la définition que donne Olivia Gazalé de fonde amitié (philia), qui n’aura plus rien d’érotique.
« la pédagogie pédérastique » : « L’homophilie est un passage 2. Le kylix montre à l’évidence que l’éraste et l’éromène ne
obligé dans la haute société, qui s’inscrit dans le processus sont pas sur un pied d’égalité. L’éraste domine par sa taille
d’intégration du futur citoyen à la collectivité. Elle n’est nul- et sa position, en surplomb de l’éromène, jeune et imberbe.
lement l’indice d’une orientation sexuelle (concept inconnu L’éraste embrasse puissamment, au premier sens du terme,
des Grecs) choisie, assumée, exclusive, intime et définitive. son éromène : de sa main droite il lui enserre la tête ; de sa
C’est au contraire un rituel social, à la portée hautement main gauche les épaules.
civique, plus ou moins imposé temporairement à tout jeune
Pour davantage de précisions sur cette œuvre, en particulier
aristocrate, et auquel il convient de donner une publicité
si on la présente en entier aux élèves, nous renvoyons aux
maximale. Le tout dans la plus stricte homophobie…  » (Le
p.  112-114 de Hommes et femmes dans l’Antiquité grecque et
Mythe de la virilité, Pocket, 2017, p. 262). À sa puberté, le jeune
romaine, de Sandra Boerhinger et Violaine Sébillotte Cuchet,
garçon (éromène) doit faire en sorte d’attirer sur lui le regard
Armand Colin, 2017.
d’un homme plus âgé (éraste) ayant les moyens d’assurer en
particulier l’organisation du banquet qui marquera l’entrée Nous avons vu qu’Aurelius Victor précisait que la relation
du jeune homme dans la communauté civique des hommes, entre Hadrien et Antinoüs avait été quelque peu décriée. Dans
après l’éphébie. C’est alors que la relation sexuelle entre les l’épigramme de Martial, on comprend que celui s’exprime


166 Masculin, féminin
à la la première personne du singulier est l’éromène, qui du jeune homme, et dont la brutalité est manifeste lors du
s’adresse à son éraste, Télésphore. Le vers 5, presque explici- service militaire. Pour mériter de faire son retour triomphal
tement érotique, semble indiquer que l’un et l’autre ne sont lors du rite de réintégration, l’éphèbe devra, en plus du rite de
pas sur un pied d’égalité, Télésphore étant un mignon à la marginalisation […], se soumettre au rite d’inversion sexuelle.
merci, en quelque sorte, des désirs de son éromène. Olivia Il lui faudra se vêtir et se comporter en femme pendant toute
Gazalé écrit à propos de la relation pédérastique grecque  : cette période de féminisation forcée et d’absolu assujettisse-
«  on souligne trop rarement la violence de cette pédophi- ment. N’est-ce pas d’une rare cruauté, dans une société qui a
lie, qui implique la subordination sexuelle et psychologique l’effémination et la servilité en horreur ? » (Ibid., p. 266).

prolongements

c On pourra lire des extraits du chapitre Saeculum aureum des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar (cf. p. 35).
c On pourra également écouter des extraits de l’émission animée par Franck Ferrand : « Au cœur de l’histoire : Hadrien », Europe 1,
2020 (www.youtube.com/watch?v=J0sRyx7y55w).

6 Un sujet tabou ? (p. 153)


Dans l’Antiquité, on ne parlait pas d’«  orientation  » ou d’«  identité sexuelle  », on n’accordait pas de valeur, en
soi, aux relations hétérosexuelles et aux relations homosexuelles, terme très récent. Ce mot, « peut-être formé
d’après l’anglais homosexual (1869) ou l’allemand homosexuell, désigne (1891) une personne qui éprouve une
appétence sexuelle plus ou moins exclusive pour les individus de son propre sexe. Le mot, aussi adjectif (1894),
abrégé familièrement en « homo » pour « homosexuel masculin », est aujourd’hui plus souvent employé en par-
lant d’un homme. Homosexuel et homosexuelle (ce dernier à la différence de lesbienne) ont partiellement perdu
leurs connotations péjoratives ; cette évolution tient à l’atténuation des interdits sur les relations sexuelles et au
développement, après 1970, des mouvements homosexuels, masculins et féminins » (Dictionnaire étymologique
de la langue française, Le Robert, 2000, p. 3493).
Lorsque Marcel Proust écrit À la recherche du temps perdu, l’homosexualité est un tabou. Il est l’un des premiers à
évoquer ce sujet en littérature : avant de l’exposer dans ses romans, il l’a fait dans des nouvelles restées secrètes,
parues en 2019 (Marcel Proust, Le Mystérieux Correspondant et autres nouvelles inédites, de Fallois, 2019), qui
révèlent un auteur tourmenté par son identité sexuelle, qu’il vit comme un drame, comme encore beaucoup de
nos contemporains. Dans ses romans, certains personnages, hommes ou femmes, se révèlent être homosexuels.
Ce qui est remarquable, c’est que le narrateur, qui n’est pas Marcel Proust lui-même, ne prend pas partie pour ou
contre l’amour homosexuel ; il se pose en observateur des mœurs, y compris sexuelles, des barons et des grands
bourgeois de la haute société du début du XXe s. Il se dégage cependant de ses romans un certain pessimisme, à
rebours de l’homosexualité joyeuse célébrée par André Gide à la même époque.
Dans À la Recherche du temps perdu, le narrateur brouille les pistes et joue avec l’implicite et le sous-entendu. Dans
le texte que nous proposons de lire, l’homosexualité féminine est explicitement évoquée, bien que le mot n’appa-
raisse pas. L’objectif de cette lecture est de monter la modernité d’un auteur du début du XXe s, modernité qui
contraste avec la nécessité, un siècle plus tard, de mener campagne contre l’homophobie, signe que les préjugés
et les discriminations ont encore cours. Les arguments principaux des homophobes sont que l’homosexualité
est contre-nature, ce qui n’est scientifiquement pas démontrable, et qu’être homosexuel, c’est, dans le cas des
hommes, ne pas être véritablement un homme : « aux yeux de la norme hétérosexuelle, les homosexuels forment
une sorte de sous-espèce mâle, qu’il faut bien tolérer pour se dire moderne. […] Pourquoi l’expression de la fémi-
nité est-elle à ce point perçue comme une déchéance ? Car “s’amollir”, comme disent les Romains, c’est s’abîmer
dans la parenté avec les femmes, cette espèce inférieure, une faiblesse dont seuls les dépravés se rendent cou-
pables. Depuis toujours, l’homophobie découle de la gynophobie » (Olivia Gazalé, Le Mythe de la virilité, Pocket,
2017, p. 22).

Confronter
1. Dans le texte de Marcel Proust, l’homosexualité féminine oui, elle aimait bien qu’on aille se promener dans la vallée de
est évoquée de manière explicite, comme en attestent le Chevreuse » (l. 41-42).
passage suivant : « du goût qu’elle-même Andrée avait pour 2. Bien qu’il se doutât que cette relation homosexuelle exis-
les femmes et de ses propres relations avec Mlle Vinteuil. Elle tât depuis des années, le narrateur éprouve de la douleur
avoua tout cela sans aucune difficulté  » (l.  9-12) ; «  Andrée lorsqu’il en a la confirmation  : «  tant qu’Andrée fut là je ne
ayant été la meilleure amie d’Albertine, et celle pour laquelle rentrai pas en moi-même pour y examiner la douleur qu’elle
celle-ci était probablement revenue exprès de Balbec, main- m’apportait et que je sentais bien causer déjà à mes serviteurs
tenant qu’Andrée avait ces goûts, la conclusion qui devait physiques, les nerfs, le cœur, de grands troubles » (l. 31-35) ; « il
s’imposer à mon esprit était qu’Albertine et Andrée avaient me fut particulièrement pénible d’entendre Andrée me dire
toujours eu des relations ensemble  ». Dans ce contexte, les en parlant d’Albertine […] » (l. 39-40).
phrases suivantes sont des allusions implicites à la relation
3.  La question ainsi formulée ne manquera pas de susciter
homosexuelle entre les deux femmes  : «  je n’eusse pas osé
un débat, qu’il conviendra de réguler. L’affiche du ministère
demander à Andrée des confidences sur le caractère de leur
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche prouve que
amitié entre elles et avec l’amie de Mlle Vinteuil » (l. 1-3) ; « Ah !
cette question est d’actualité et que l’homosexualité est loin

Masculin, féminin • 167


d’aller de soi. On pourra d’ailleurs montrer aux élèves les trois Il est évident, au demeurant, que l’homosexualité, qui n’avait
autres affiches identiques, incarnées par plusieurs hommes d’ailleurs pas de nom dans l’Antiquité, est moins bien accep-
(www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid49384/la- tée au XXIe s. qu’il y a deux voire trois millénaires, comme
campagne-de-lutte-contre-l-homophobie-dans-les-uni- en atteste le kylix grec (p. 152) représentant la relation
versites.html). courante établie entre un éraste et son éromène ainsi que
En décembre 2009, il s’agissait de la troisième phase d’une cam- l’épigramme de Marial (p. 152) : « je nierai qu’est plus heu-
pagne contre l’homophobie dans les établissements d’ensei- reuse la relation de Jupiter avec Ganymède » (v. 6). Le texte
gnement supérieur, pour toucher la classe d’âge censée être, a ­d’Aurelius Victor, à l’inverse, semble condamner la relation
priori, la plus « ouverte » sur ce sujet. Il s’agissait de révéler que homosexuelle qu’Hadrien a entretenu avec Antinoüs : mais
certaines attitudes, certains comportements, certains gestes, l’auteur précise qu’il s’agit de «  rumores », qui s’expliquent
certaines paroles, qui peuvent paraître anodins ou pris comme peut-être par le fait que « si elle est encouragée dans l’en-
un jeu/une boutade, sont en réalité homophobes. Lors de fance, au-delà de dix-huit ans, la pédérastie devient une
cette troisième phase, avait été mise en avant la création d’un infamie  », écrit Olivia Gazalé à propos des Grecs de l’Anti-
numéro Azur, anonyme et confidentiel. Près de 50 000 affiches quité (Le Mythe de la virilité, Pocket, 2017, p. 263).
avaient été placardées dans les commerces des grandes villes Pour alimenter le débat, on pourra renvoyer les élèves à l’ar-
et les établissements d’enseignement supérieur. ticle de Rue 89 : « À propos de décadence : les Grecs n’étaient
On veillera en particulier à battre en brèche l’opinion la plus ni homos, ni hétéros » (www.nouvelobs.com/rue89/rue89-
répandue des homophobes, selon laquelle l’homosexualité les-echos-de-lhistoire/20121109.RUE6437/a-propos-de-
serait « contre-nature » : nous savons par exemple que cer- decadence-les-grecs-n-etaient-ni-homos-ni-hetÉros.html).
tains animaux la pratiquent.

prolongements
Il sera opportun ici d’élargir la question de l’homophobie d’un point de vue chronologique, en évoquant l’exclusion systématique
dont furent victimes les homosexuels au XXe s., notamment dans les régimes fascistes, lesquels ont sacralisé la virilité, ainsi que d’un
point de vue géographique, certaines législations étant au XXIe s. encore très homophobes.

lecture Désirer et séduire


spécialité

1 Leçon de flirt… (p. 154)


« Désirer et séduire : rencontres et coups de foudre » : sans fausse pudeur, cette sous-thématique suscitera l’inté-
rêt des élèves. Non pas parce qu’il y a là démagogie de la part des concepteurs des programmes, mais parce
qu’elle soulève une question fondamentale : celle de la genèse de l’amour, sans nécessairement qu’il y ait coup
de foudre. Le sentiment amoureux peut-il être provoqué, peut-on le faire naître dans le cœur d’autrui ? Existe-t-il
des astuces, des techniques, un art, pour séduire, pour approcher celui ou celle qu’on aime et faire naître en lui/
elle sentiments et désir ? Si oui, sur quels fondements s’établissent de tels sentiments, un tel désir ?
Le titre Ars amatoria est un élément de réponse à ces questions : les trois livres, d’environ 800 vers chacun, sont
une initiation à la séduction et à l’amour. L’ouvrage se veut d’emblée didactique :
Si quis in hoc artem populo non novit amandi,
Hoc legat et lecto carmine doctus amet.
(Si quelqu’un chez ce peuple ne connaît pas l’art d’aimer
Qu’il lise ceci et, la lecture du poème l’ayant rendu savant, qu’il aime.)
Le premier livre indique aux hommes comment séduire les femmes. Le deuxième livre enseigne comment faire
perdurer l’amour ainsi conquis. Le troisième apprend aux femmes à séduire et rendre durable une relation,
en leur donnant des conseils sur leur coiffure, leur habillement, leur maquillage, entre autres. C’est pourquoi
nous avons mis en regard du texte d’Ovide un des portraits dits du Fayoum, série de portraits funéraires pro-
venant de l’Égypte romaine des Ier-IVe s., le défunt étant représenté en buste de manière réaliste et minutieuse.
La femme dont nous pouvons observer le visage à la p. 154 est jeune et coquette ; elle fait partie de la haute
société et pourrait être l’amante désirée par un séducteur ou être celle qui se prête au jeu de la séduction pour
attirer à elle un amant. La visite virtuelle du Grand Cirque et l’observation de ce portrait rendent plus concrète
la « leçon de flirt ». On pourra confronter ce texte et le portrait à la fresque représentant un jeune couple retrou-
vée à Pompéi (voir p. 136).
Dans l’extrait que nous proposons, l’auteur prodigue quelques conseils pour séduire une future amante dans le
cadre des jeux du Grand Cirque, où la configuration des lieux est propice aux rapprochements stratégiques. Pour
faciliter la mise en contexte, on pourra commencer par lire le paratexte et visiter virtuellement le Circus Maximus
grâce à la haute technologie numérique (voir notre rubrique ci-dessous).
Le début du texte est déjà traduit vers pour vers. La longueur du passage à traduire (48 mots) correspond aux
exigences des sujets d’examen de spécialité en fin de 1re.


168 Masculin, féminin
O
DÉ 1

6
VI
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES Visite virtuelle ®
On visionnera avec intérêt « L’amour à Rome », l’une La visite virtuelle du Circus Maximus nous permet
des Nocturnes du Plan de Rome, qui a eu lieu à d’accéder aux places assises et à la piste en passant
l’Université de Caen le 2 octobre 2019 par les portes d’accès extérieures, les couloirs et les
(www.youtube.com/watch?v=zH4_6irrhxk). escaliers sous les gradins qui permettaient d’arriver
On se reportera également au livre de Pierre Grimal, jusqu’aux vomitoires. C’est une vision inédite
L’Amour à Rome, 2002. de l’édifice, comme si on y était ; on peut ainsi
en mesurer la taille impressionnante.

TRADUCTION
Et si, comme cela arrive, par hasard une poussière tombe jusqu’à la poitrine
de ta belle, tes doigts devront l’épousseter.
Et s’il n’y a rien comme poussière, cependant époussette ce rien :
n’importe quelle raison justifiera tes attentions.
Si son manteau, trop descendu, traîne par terre,
ramasse-le et relève-le avec empressement du sol immonde.
Dans la foulée, pour prix de ce service, avec le consentement de ta belle,
il arrivera sûrement que ses jambes se montrent à tes yeux.

Langue
1. L’expression « officii pretium » indique par rapport à quoi, 2. L’adjectif verbal est « videnda » (v. 22). Il est accordé au nomi-
en fonction de quoi, le jeune homme pourra entrapercevoir natif neutre pluriel avec le nom « crura » ; son complément au
les jambes de sa future maîtresse. « Officii pretium » peut être datif d’intérêt est « occulis tuis » (v. 22). Littéralement, on peut
traduit par « pour prix de ton service », le service rendu, non traduire ces mots par : « il y a obligation pour tes yeux de voir
sans intention, étant ici d’avoir ramassé et secoué le vêtement les jambes » ou « les jambes devant être vues par tes yeux ».
de la jeune femme tombé par terre.

Traduire
1. Dans le texte en latin, les deux temps verbaux dominants 2. Les propositions introduites par ut et si sont :
sont le futur simple ou antérieur (« deciderit », « erit », « jace- - utque fit ;
bunt », « contingent ») et l’impératif présent (« excute », « col- - si forte in gremium puellae pulvis deciderit ;
lige », « effer »). - si nullus erit pulvis ;
« Deciderit » et « jacebunt » sont les verbes de deux proposi- - si pallia terra nimium demissa jacebunt.
tions subordonnées de condition introduites par « si » (v. 15), Les analyses morphologiques et les repérages syntaxiques
considérés comme des faits futurs. Les autres verbes au futur aideront les élèves dans leur démarche de traduction. En
désignent des actions situées dans l’avenir. fonction du niveau des élèves et du moment choisi pour
L’emploi de l’impératif présent est lié à l’emploi du futur : des traiter cet objet d’étude dans l’année, on pourra différen-
conseils sont donnés à celui qui entreprend de « chasser » au cier : certains se contenteront du dictionnaire papier, d’autres
Cirque, à qui l’on annonce à l’avance ce qui va se passer et ce utiliseront les outils en ligne présentés en début d’ouvrage
qu’il devra faire dans chaque circonstance future. (cf. p.  15), d’autres encore s’appuieront sur une traduction
universitaire.

Comprendre
1. Conseil 1 : s’asseoir directement à côté de sa future maî- 2. Nous conseillons ici à nouveau de laisser libre cours à l’inter-
tresse (v. 5). prétation. Les avis les plus divers peuvent, a priori, s’exprimer,
Conseil 2 : coller son corps au sien (v. 6-8). si tant est qu’ils puissent être justifiés par le texte. Un débat
ne manquera pas de naître au sein du groupe, marquant
Conseil 3 : trouver un sujet de conversation commun en com-
peut-être une scission entre garçons et filles. On invitera là
mençant par des sujets banals (v. 9-10).
encore à éviter les clichés et les opinions toutes faites, surtout
Conseil 4 : encourager les mêmes chevaux que sa future maî- sur un sujet aussi délicat que les relations hommes-femmes.
tresse (v. 11-12).
Conseil 5 : l’encourager (v. 14).
Conseil 6 : ôter toute poussière qui tomberait, ou pas, sur la
jeune fille.
Conseil 7 : ramasser son manteau tombé à terre.

Masculin, féminin • 169


2 Les plaintes de Didon (p. 155)
Les plaintes de Didon dans les Héroïdes sont un texte incontournable de la littérature latine pour évoquer le volet
« blessures et trahisons » de la sous-thématique « Désirer et séduire » (B.O., p. 10).
Beaucoup d’élèves connaissent la légende d’Énée et son périple de Troie au Latium. Il sera en revanche opportun
de faire le point sur la figure de la reine Didon, qui fait échos aux migrations du VIIIe s. av. J.-C., époque à laquelle
les implantations phéniciennes de la Méditerranée occidentale sont dominées par la plus puissante d’entre elles,
Carthage (cf. p. 18 et 54). Nous rappelons l’essentiel dans le paratexte ; mais on pourra approfondir cette mise en
contexte par des recherches, en particulier sur l’épisode des amours malheureuses de Didon et Énée.
Les Heroidum epistulae, «  Lettres d’héroïnes  », que nous connaissons sous le titre simplifié Héroïdes, sont des
lettres fictives d’amour, écrites en distiques élégiaques par des héroïnes (femmes célèbres ou mythiques) à leurs
maris ou amants. Il s’agit en réalité davantage de tirades où les personnages se plaignent d’avoir été trahies ou
abandonnées, punies pour leur amour, victimes de passions illégitimes ou anxieuses pour leur mari parti au loin.
Nous proposons ici de lire douze vers sur les 196 que compte l’ensemble de la lettre. Le texte est difficile, c’est
pourquoi nous avons préféré le traduire in extenso, à l’exception de cinq adjectifs verbaux, afin de travailler parti-
culièrement ce point de langue. Nous conseillons d’ailleurs de commencer par les questions de cette rubrique et
non pas par l’écoute de notre lecture audio, qui donne ces adjectifs verbaux. À moins précisément que l’objectif
de la séance ne soit pas ce point de grammaire, mais plutôt son étude stylistique (voir les questions de Lecture) et
lexicale (voir les questions de Lexique).

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Les plaintes de Didon ont inspiré de nombreux artistes. On se viva voce
reportera en particulier : L’exercice de la déclamation, que le texte soit lu ou
- aux vers 584-629 du chant IV de l’Énéide de Virgile, lorsque Didon mémorisé, est une tâche complexe impliquant une
maudit Énée et sa race ; compréhension fine de l’extrait en question, et son
- au chapitre 42 du De claris mulieribus de Boccace (1313-1375) ; interprétation, d’abord littéraire. Il est possible de
- au tableau de Andrea Sacchi (1599-1661), Didon abandonnée ; proposer une déclamation à deux voix, un élève disant
- aux plaintes de Didon à l’acte III de l’opéra de Purcel (1869) Didon le latin, un autre le français, se répondant
et Énée (http://youtu.be/ou8A0g_jYyA). éventuellement vers pour vers.

Lire
1. L’écoute de la lecture de ce texte permet de repérer diffé- - les polyptotes  : facta/facienda (v.  7), quaerenda/quaesita
rentes figures de style. Notons qu’il n’est pas toujours aisé de (v. 7-8), quaerenda devant être complété ; dabit/danda (v. 10 et
différencier certaines anaphores de simples répétitions : 12), danda devant être complété.
- les anaphores : certus es (v. 1 et 3), nec (v. 5-6), quis (v. 9-10) ; 2. On invitera ici les élèves à interpréter l’effet produit par une
- les répétitions : fidem/fides (v. 2 et 12), alter/altera (v. 8, 11 et ou plusieurs figures de style, en particulier l’allitération.
12), terra/terram (v. 8-9) ; Les figures de styles employées, qui sont toutes des figures
- les allitérations : venti vela fidemque ferent (v. 2), foedere sol- d’insistance, contribuent à renforcer la tonalité lyrique de
vere naves (v. 3), facta fugis, facienda petis (v. 7), allitération ren- l’extrait et à traduire ce que ressent Didon.
forcée par le parallélisme et l’homéotéleute ;

Langue
1. « Tu dois chercher » G quaerenda (v. 7) 2. Les adjectifs verbaux « quaerenda », « habendam », « tenen-
« pour la posséder » G habendam (v. 9) da », « habenda » et « danda » ont pour complément au datif
« Pour les occuper » G tenenda (v. 10) d’intérêt le pronom « tibi », parfois sous-entendu ; ils peuvent
« Dois-tu avoir » G habenda (v. 11) être traduits littéralement par : « il y a obligation [pour toi] de
« devrais-tu promettre » G danda (v. 12) chercher/de posséder/d’occuper/d’avoir/de promettre ».

Lexique
1. Les mots « fides » et « foedus » sont de la famille du verbe terminaison -o. Le verbe solvo signifie, en général, « délier »,
fīdo, is, ere, fisus sum, « avoir confiance en », dont la racine a « détacher », mais dans le domaine agricole « dételer », dans le
les trois vocalismes réguliers : fīd (degré normal), foed (degré domaine nautique « lever l’ancre », dans le domaine religieux
fléchi), fĭd (degré zéro). Le foedus, c’est le traité basé sur la « s’acquitter d’un vœu », dans le domaine technique « désa-
confiance réciproque ; la fĭdes, c’est d’abord un terme de reli- gréger », « dissoudre », « résoudre ».
gion signifiant « croyance », « foi » ; c’est également un terme Le zeugme est un «  procédé stylistique consistant à ratta-
juridique désignant l’engagement pris solennellement, la cher syntaxiquement à un mot polysémique deux complé-
fidélité à la parole donnée, la bonne foi. ments (ou plus) qui ne se construisent pas de la même façon
2. Le verbe solvo, is, ere, solvi, solutum est de la famille du verbe ou qui ne correspondent pas au même emploi de ce mot »
luo, is, ere, lui, luiturus (λύω en grec), « délier », « dégager ». Il (CNRTL). En l’occurrence, Didon indique qu’Énée va « défaire
est composé de la racine sŏ, degré fléchi de sĕ, marquant la la confiance avec les navires », en latin « cum foedere naves ».
séparation, et de la racine lu, écrite lv devant la voyelle de


170 Masculin, féminin
prolongements

c Pour aller plus loin, et bien que la traduction soit donnée, il sera pertinent de demander aux élèves d’analyser, en fonction de leur
niveau, un passage plus ou moins long de ce texte, afin d’en proposer une traduction juxtalinéaire.
c On pourra également proposer de confronter une ou plusieurs traductions universitaires, afin de confirmer ou d’infirmer les choix
des traducteurs, en justifiant. On se reportera par exemple à celle du site Itinera Electronica, sous la direction de M. Nisard (1938),
ou à celle de Marcel Prévost, aux Belles Lettres (1928), ou encore à celle de Jean-Pierre Néraudau, Folio (1999).

lecture Dire et chanter l’amour


spécialité

1 À l’épouse idéale (p. 156)


Pour varier les supports, nous proposons de lire un document épigraphique, à savoir une inscription funéraire du
IIIe s. Il s’agit d’une épitaphe gravée sur une stèle de marbre, qui devait être fixée sur un monument plus imposant,
comme un sarcophage. Cette stèle provient de la villa Pamphilia, à Rome, comme nous le mentionnons dans le para-
texte. Elle a été élevée par un certain Quintius Oppius Secundus à sa femme Agileia Prima, décédée à l’âge de 20 ans.
La plaque de marbre contient trois parties : deux cartouches trapézoïdaux de part et d’autre d’un cartouche rec-
tangulaire de plus grande taille ; sur la partie latérale de gauche, une formule d’appel au vocatif, finissant par
« have » ; sur la partie latérale de droite, une formule de salutation finissant par l’expression consacrée « anima tua
in bono [est] », équivalent de : « ton âme repose en paix ». Sur la partie centrale, le corps du message adressée à
Agileia Prima ; sur les bandeaux supérieur et inférieur, deux adresses : « À une sainte maison éternelle » et « Portez-
vous bien, vous qui êtes vivants, toutes et tous ». Le ton est convenu et le contenu stéréotypé : après l’adresse à la
défunte (l. 1), le dédicant commence par un éloge de son épouse (l. 2-5), puis rappelle que c’est lui qui a fait dresser
ce monument (l. 5) ; les lignes qui suivent sont une prosopopée où la défunte évoque sa courte existence (l. 6-9)
et demande à Oppius, sur le mode du conseil philosophique, de ne pas craindre la mort, qui fait partie du cours
des choses naturelles, afin de ne pas « oublier les joies de la vie ». Le texte central est relativement long. Mais on
pourra proposer de n’en lire qu’une partie ou l’intégralité, selon le découpage suivant :
- lignes 1-5 : Quintus Oppius Secundus dédicace la stèle à son épouse Agileia Prima, dont il fait l’éloge ;
- lignes 6-8 : Agileia Prima évoque le cours de sa vie ;
- lignes 9-14 : sur fond de doctrines épicurienne et stoïcienne, Agileia Prima rassure son mari sur ce qu’est la mort.

TRADUCTION
À gauche :
Auguria, âme douce et innocente, salut.
Au centre :
À une sainte maison éternelle
C’est pour Agileia Prima, également nommée Auguria, épouse pour toujours la plus irréprochable, la plus
intègre et la plus mesurée, qui aima irréprochablement son mari et sa maison, ayant tout mérité d’elle-
même, que Quintus Oppius Secundus, son mari, a fait faire [ce monument], ainsi que pour lui-même. Au
moment où je suis née, la nature m’a accordé deux fois dix ans. Une fois accomplis, le septième jour après,
libérée des lois [de la vie], je fus remise à un repos perpétuel. Telle fut ma vie. Oppius, ne crains pas le
Léthé ; car il est insensé, surtout [quand c’est] tout le temps, d’oublier les joies de la vie pendant que l’on
craint la mort. Et de fait la mort est dans la nature des hommes, elle n’est pas un châtiment : celui à qui il
échoit de naître se prépare aussi à mourir, donc. Oppius, mon tuteur et mon mari, ne pleure pas sur moi
parce que je t’ai précédé. J’attendrai, sur notre couche éternelle, ta venue.
Portez-vous bien, vous qui êtes vivants, toutes et tous.
À droite :
Auguria, ton innocente âme repose en paix.

Lire
1. La partie latérale gauche porte ces mots : « Auguria, anima membre de la nobilitas à l’époque impériale, ce que prouvent
dulcis et innocua, have  ». La partie latérale droite porte ces ensuite les tria nomina « Quintus Oppius Secundus » (l. 5).
mots : « Auguria, innocua anima tua in bono [est] ». À gauche, la formule d’appel (« ave Auguria ») indique que l’ins-
Cette inscription se trouvait à coup sûr sur un monument cription est adressée à une femme. Comme il est de règle dans
funéraire, comme en atteste l’expression «  in bono est ». Ce le genre de l’épitaphe, on vante la qualité de cette personne :
monument devait être assez imposant, eu égard à l’ampleur à gauche comme à droite, les groupes nominaux «  anima
du texte et à sa typographie très soignée. Nous pouvons dulcis et innocua » et « innocua anima tua » sont apposés au
donc supposer qu’il s’agit d’une épitaphe commandée par un nom propre «  Auguria  », inscrit en premier. Le parallélisme

Masculin, féminin • 171


de construction (nom propre Auguria, groupe nominal les mots se rapportant à l’épouse sont au datif) et pour lui-
apposé, formule d’appel/de vœu) et la répétition («  anima même (« et sibi). »
innocua ») contribuent à mettre en évidence l’éloge de cette La deuxième partie du texte (l. 6-14) est rédigée à la première
femme. personne du singulier. Auguria s’adresse directement à son
La place faite à la femme laisse à penser qu’il s’agit d’un mari.
texte et d’un monument chrétien ; les propos tenus par cette Aux lignes 6 à 8, le lecteur apprend qu’Auguria est décédée à
femme sur la vie et la mort dans le corps de l’inscription l’âge de vingt ans : « Tempore quo sum genita, natura mihi bis
peuvent également rappeler les doctrines stoïciennes et épi- denos tribuit. Annos quibus completis, septima deinde die, reso-
curiennes (voir ci-dessous notre réponse à la deuxième ques- luta legibus, otio sum perpetuo tradita ».
tion de compréhension).
Aux lignes 9 à 12, l’épouse défunte, en une assez longue proso-
2. Les cinq premières lignes de la partie centrale constituent popée, enjoint son mari à ne pas craindre la mort (« ne metuas
une phrase : « Agileiae Primae, q[uae] e[t] Auguriae, uxori supra Lethen/mortem »), qui fait partie du cours naturel des choses
aetatem castissimae et pudicissimae et frugalissimae, quae (« cui contigit nasci instat et mori igitur »), et à ne pas oublier les
innocenter maritum et domum ejus amavit, omnia de se meren- joies de la vie (« amittere gaudia vitae ») : « Haec mihi vita fuit.
ti, fecit Q[uintus] Oppius Secundus maritus, et sibi ». On apprend Oppi, ne metuas Lethen : nam sultum est, tempore et omni, dunc
ici qu’Auguria était aussi connue sous le nom d’Agileia Prima, mortem metuas, amittere gaudia vitae. Mors etenim hominum
qu’elle était une épouse admirable (« castissimae et pudicissi- natura non poena est : cui contigit nasci instat et mori igitur. »
mae et frugalissimae »), qu’elle aimait son mari et sa maison
Les lignes 13-14 sont des mots de réconforts : « Domine Oppi
(« quae maritum et domum ejus amavit ») ; on apprend égale-
marite, ne doleas mei quod praecessi. Sustineo in aeterno toro
ment que c’est son mari Quintus Oppius Secundus (« Q Oppius
adventum tuum ».
Secundus maritus ») qui a fait ériger cette stèle, pour elle (tous

Langue
1. Dans les cinq premières lignes, les trois adjectifs au super- 3. « Quae innocenter maritum et domum ejus amavit » est une
latif sont  : castissimae, pudicissimae et frugalissimae. Le par- proposition subordonnée relative :
ticipe présent est « merenti ». Ces quatre mots sont déclinés - « quae » est le pronom relatif au nominatif féminin singu-
au datif féminin singulier et se rapportent aux noms propres lier, sujet du verbe « amavit » ; son antécédent est « Agileiae
« Agileiae Primae Auguriae ». Primae Auguriae » ;
2. Le pronom personnel « se » est à l’ablatif, régi par la pré- - « innocenter » est un adverbe de manière au positif ;
position de : le groupe prépositionnel « de se » complète le
- « maritum et domum ejus » sont COD du verbe « amavit » ;
participe « merenti », qui se rapporte à « Auguria ».
- « ejus » n’est pas un réfléchi, et ne se rapporte pas au sujet
Le pronom personnel « sibi » est le réfléchi de la troisième per-
du verbe « amavit » ; il ne désigne donc pas l’épouse mais son
sonne, au datif singulier : il se rapporte donc au sujet du verbe
mari.
« fecit », à savoir « Quintus Oppius Secundus ».

Comprendre
1.  C’est un certain Quintus Oppius Secundus qui a dédié d’embarras, provoque une affliction vide lorsqu’on l’attend.
cette stèle, et le monument sur lequel elle était probable- Le plus terrifiant des maux, la mort, n’a donc aucun rapport
ment fixée, à sa femme Agileia Prima, également appelée avec nous, puisque précisément, tant que nous sommes, la
Auguria. Nous ne connaissons pas par ailleurs cet homme ni mort n’est pas là, et une fois que la mort est là, alors nous ne
cette femme. Par cette dédicace, Quintus Oppius Secundus sommes plus », écrit Épicure, Lettre à Ménécée, § 125, traduc-
souhaites rendre hommage à son épouse, dont il fait l’éloge, tion de Jean-François Balaudé, Le Livre de Poche, 1994. Pour
recommander son âme aux Mânes et, par la prosopopée, se être heureux, il convient donc ne pas redouter la mort. Dans
donner des raisons d’espérer. la perspective épicurienne, il convient également non pas de
2. Aux lignes 6-13, les mots qui signifient que la mort est natu- jouir des plaisirs déréglés de la vie (au sens de l’expression
relle et qu’il ne faut pas la craindre sont : « ne metuas Lethen : « faire bonne chère »), mais de pratiquer l’ascèse des désirs
nam sultum est, tempore et omni, dunc mortem metuas, amit- afin de ne souffrir d’aucun manque ; les « joies de la vie » se
tere gaudia vitae. Mors etenim hominum natura non poena est : réduisent à trois : « Voix de la chair : ne pas avoir faim, ne pas
cui contigit nasci instat et mori igitur » et « ne doleas mei ». avoir soif, ne pas avoir froid ; celui qui dispose de cela, et a
l’espoir d’en disposer à l’avenir, peut lutter <avec Zeus> pour
Ces deux phrases véhiculent un fond de pensée philoso-
le bonheur  » (Sentences vaticanes, § 33, traduction de Jean-
phique, qui puise à la fois aux sources épicuriennes («  ne
François Balaudé, Ibid.).
metuas Lethen  : sultum est, tempore et omni, dunc mortem
metuas, amittere gaudia vitae ») et stoïciennes (« Mors etenim Aux sources stoïciennes  : la mort fait partie «  des choses
hominum natura non poena est : cui contigit nasci instat et mori qui ne dépendent pas de nous  » (τὰ δὲ οὐκ ἐφ’ ἡμῖν, écrit
igitur et ne doleas mei »). Épictète, Manuel, § 1), mais du cours naturel des choses ; celui
qui tente de la conjurer ne peut vivre que dans le malheur ; il
Aux sources épicuriennes car, selon le fondateur de cette
est au contraire nécessaire de l’accepter comme une chose
secte, la mort n’est rien pour nous : « car il n’y a rien à redou-
indifférente car elle arrivera nécessairement, qu’on le veuille
ter, dans le fait de vivre, pour qui a authentiquement compris
ou non ; le bonheur ne tient qu’à nous : « Ne cherche pas à ce
qu’il n’y a rien à redouter dans le fait de vivre. Si bien qu’il est
que ce qui arrive arrive comme tu le veux, mais veuille que
sot celui qui dit craindre la mort non parce qu’elle l’affligera
ce qui arrive arrive comme il arrive, et le cours de ta vie sera
lorsqu’elle sera là, mais parce qu’elle l’afflige à l’idée qu’elle
heureux » (Épictète, Manuel, § 8).
sera là. Car la mort qui, lorsqu’elle est là, ne nous cause pas


172 Masculin, féminin
prolongements

c On pourra prolonger les activités de lecture et de compréhension par une activité de traduction, de tout ou partie de la stèle.
c On pourra également prolonger la lecture par l’étude du Sarcophage des époux, sculpture étrusque en terre cuite du VI s. av. J.-C.
e

(voir p. 148) ou du Sarcophage de la Trinité ou des époux, datant du IVe s., exposé au Musée de l’Arles et de la Provence antique.

2 Douleur de la séparation (p. 157)


Nous proposons ici de lire deux lettres révélant les sentiments d’amour conjugal et filial : l’une de Pline le Jeune,
envoyée à sa femme Calpurnia, l’autre de M. Tullius Cicéron, envoyée à sa femme Térentia, à sa fille Tullia et à son
fils Cicéron. Les deux hommes se sont absentés de Rome pour un temps et expriment la douleur de la séparation.
En littérature, la lettre a un statut singulier : c’est le seul genre qui soit écrit à l’intention d’une ou plusieurs per-
sonnes en particulier, et non pas pour un public large et anonyme, comme lorsqu’on rédige une pièce de théâtre,
un roman, un traité, un recueil de poésies. Lorsque « j’écris des lettres à des parents, des amis, des collègues, je
n’accomplis pas une action spécifiquement littéraire, mais une action banale (dans la société cultivée tout au
moins), action qui est le simple substitut d’une conversation rendue impossible par l’éloignement » (René Martin
et Jacques Gaillard, Les Genres littéraires à Rome, Nathan, 1990, p. 454). À moins de les publier, auquel cas l’acte
d’écrire n’est pas le même, moins spontané que réfléchi, à tel point que l’on peut se poser la question de l’authen-
ticité des lettres. La critique s’accorde à considérer la correspondance de Pline et de Cicéron comme authentique,
bien que (re)travaillée en vue de la publication, les deux hommes étant des personnages publics de la haute
société romaine. Si, dans les deux cas, le ton semble convenu et quelque peu grandiloquent, nous n’avons pas de
raison de douter, en soi, de l’authenticité des sentiments exprimés.
Pline (vers 61-vers 113) fut adopté par son oncle paternel Pline l’Ancien. Célèbre avocat romain, il exerça les fonc-
tions de sénateur et fut un proche de Trajan. Il fut consul en 100 et gouverneur impérial de la province de Bithynie
et Pont de 111 à 113. Il publia 369 missives, à plus de cent destinataires différents. Les livres IV à VII des Lettres furent
publiés en 107 ou 108, mais on ne connaît pas précisément la date de chacune, comme celle que nous proposons.
Pline était souvent appelé à l’extérieur de Rome pour affaires.
On ne présente plus Cicéron. Environ 800 lettres sont passées à la postérité, adressées à son ami Atticus, à Brutus,
à sa famille, ou à son frère Quintus. La lettre que nous proposons de lire est envoyée de Brindes, en Italie.

TRADUCTION
Caius Plinius, à sa chère Calpurnia adresse un salut.
C’est incroyable combien je suis obsédé par le désir que j’ai de toi. En cause, l’amour d’abord, ensuite le fait
que nous n’avons pas l’habitude d’être séparés. De là vient que je passe, éveillé, une grande partie de mes
nuits avec ton image ; de là vient que le jour, aux heures où j’avais l’habitude de te voir, vers tes apparte-
ments mes pieds eux-mêmes, pour être tout à fait sincère, me conduisent ; qu’enfin, souffrant et abattu, et
semblable à un homme repoussé, je reviens de ton seuil vide. Un seul moment est exempt de ces tourments,
quand je m’épuise au forum ou en des débats entre amis. Figure-toi quelle peut être ma vie, moi qui trouve
le repos dans le travail, dans la difficulté et les soucis le soulagement. Porte-toi bien.

Lire
1. Cette question ne posera aucune difficulté. On s’appuiera « Inde » introduit une conséquence. À la ligne 2, le premier
à la fois sur le paratexte et sur les éléments constitutifs du «  quod » introduit une proposition subordonnée de cause  :
genre épistolaire : expression de la date et du lieu, formules « quod non consuevimus abesse ». Les trois autres conjonctions
d’appel et de politesse, destinateurs et destinataires, contenu « quod » (l. 2, 3 et 5) introduisent des propositions subordon-
du corps de la lettre. nées complétives :
2. La principale anaphore qui structure le texte de Pline est - quod magnam noctium partem in imagine tua vigil exigo ;
la répétition de la conjonction « quod » (l. 2 à deux reprises, 3 - quod interdiu ad diaetam tuam ipsi me pedes ducunt ;
et 6). Cette anaphore est renforcée par la reprise de l’adverbe
- quod denique aeger et maestus ac similis excluso a vacuo
« inde » (l. 2 et 3), comme annoncé par l’adverbe « deinde »
limine recedo.
(l.  2), qui est lui-même composé de la préposition de et de
inde. Dans sa lettre, Pline expose donc les trois conséquences que
cause chez lui la séparation.
Traduire
1. Dans le texte de Pline, les verbes et les autres mots se rap- Les verbes et les autres mots se rapportant à la 2e personne
portant à la 1re personne sont : tenear (l. 1), consuevimus (l. 2), sont : tui (l. 1), tua (l. 3), te (l.5), tuam (l.5), aestima tu (l. 9).
exigo (l. 3), solebam (l. 4), me (l. 6), recedo (l. 7), conteror (l. 9), 2. Nous avons délimité les propositions introduites par quod
mea (l. 9), cui (l. 9). dans notre réponse à la deuxième question de lecture.

Masculin, féminin • 173


La proposition introduite par ut est : ut verissime dicitur. identifiées et analysées aux deux questions précédentes. Le
Quanto (l. 1), quibus (l. 5), quo (l. 8), quae (l. 9) et cui (l. 9) intro- repérage des anaphores facilitera également la compréhen-
duisent des propositions relatives : sion et la traduction.
- quanto desiderio tui tenear ; Il n’en reste pas moins que ce texte de près de cent mots est
- quibus horis te visere solebam ; deux fois plus long que les attendus de l’épreuve de spécia-
- quo in foro et amicorum litibus conteror ; lité telle qu’elle est conçue en fin de 1re pour les élèves qui
- quae vita mea sit ; l’abandonnent. On veillera donc à différencier les exigences
- cui requies in labore [est], in miseria curisque solacium [est]. en fonction du niveau des élèves, en pratiquant la différen-
3.  La courte lettre de Pline ne présente pas de difficultés ciation quant à la longueur proposée.
lexicales ou grammaticales majeures. Celles-ci auront été

Comprendre
1. D’une manière générale, les lettres que nous a transmises cliché, selon lequel le tempérament méditerranéen rendrait
l’Antiquité, les correspondances de Pline et de Cicéron en et aurait rendu les Latins plus expressifs que les habitants
particulier, qu’elles soient fictive ou réelle, nous donnent d’in- d’autres contrées. Si on en croit le texte, Cicéron aime lui aussi
nombrables informations sur la vie quotidienne, les relations profondément son épouse et ses enfants (il défend par là le
humaines, les activités et fonctions de leurs auteurs, les realia mos majorum et la familia) et est affecté par cette séparation.
les plus diverses de l’époque. 2.  Le registre des deux lettres est lyrique. Pline et Cicéron
En l’occurrence, on apprend que Pline aime profondément expriment leurs sentiments amoureux ; le second également
son épouse ; on peut cependant se demander s’il est pleine- son amour filial.
ment sincère où s’il ne se met pas en avant une fois de plus Nous l’avons vu, la lettre de Pline est rythmée et structurée
(on relèvera notamment la dernière phrase, où le parallélisme par l’anaphore (voir ci-dessus notre réponse à la deuxième
accentue l’hyperbole). On apprend également que le couple question de lecture), qui lui permet d’énumérer ses faits et
n’a pas l’habitude d’être séparé et que cette séparation rend gestes quotidien, de nuit et de jour. L’auteur utilise également
Pline insomniaque et nostalgique. On apprend enfin que l’hyperbole (« incredibile est quanto desiderio tui tenear », l. 1 et
l’auteur est un citoyen romain, habitué du Forum et de ses « unum tempus his tormentis caret », l. 7-8), l’antithèse renfor-
procès. cée par le parallélisme (« requies in labore », l. 9 et « in miseria
Quant à Cicéron, grâce à ses nombreuses lettres à sa famille curisque solacium », l. 10).
et à ses amis, nous connaissons le calendrier et la géogra- De la même manière, Cicéron emploie l’hyperbole (« tous les
phie de certains de ses déplacements et de ses activités : il instants me sont un tourment », l. 3-4, « je me consume en
était par exemple à Brindes le 30 avril 696 ab Urbe condita. larmes, au point que je ne puisse le supporter », l. 4-5, « que
Lui aussi a l’habitude de se mettre en avant et manie réguliè- n’avons-nous pas été moins désireux de vivre », l. 5-6), la répé-
rement exagération et hyperbole. Nous n’avons pas cepen- tition et le parallélisme (« si », l. 7 et 8, « je désire te voir », l. 8 et
dant lieu de douter, ici, de sa sincérité, puisqu’il s’agit d’une 9, « ni les dieux, que toi tu as honorés »/« ni les hommes, à qui
lettre privée adressée seulement à sa femme et à ses deux moi j’ai toujours voulu rendre service », l. 9-10). Il désigne éga-
enfants. Gardons-nous de l’anachronisme, et peut-être du lement son épouse par le surnom affectueux « ma vie » (l. 9).

prolongements
On pourra proposer aux élèves de lire l’ensemble du livre VII de la correspondance de Pline, soit 33 lettres.
La lecture de ces textes pourra s’accompagner de la lecture de lettres modernes ou contemporaines tirées :
- des Lettres de l’année 1671 de Madame de Sévigné, Folio, 2012 ;
- des Paroles de poilus – Lettres et carnets du front, Librio, 2013 ;
- des Lettres à sa fille – 1916-1953 de Colette, Folio, 2006 ;
- de la Correspondance (1944-1959) d’Albert Camus avec Maria Casarès, Folio, 2020.


174 Masculin, féminin
3 La plus aimable des femmes (p. 158)
La poésie de Jean Salmon Macrin (1490-1557) s’inscrit dans le courant de la renaissance des lettres et des arts de
l’Antiquité. Il est l’exact contemporain de Clément Marot (1496-1544) et de Marguerite de Navarre (1492-1549), qui
écrivaient déjà en français ; ils ont précédé la génération de Joachim du Bellay (1522-1560), Ronsard (1524-1585)
et Louise Labé (1524-1566). Jean Salmon Macrin a écrit quant à lui exclusivement en latin, c’est-à-dire en néolatin,
terme désignant la langue de la troisième période de la littérature latine, celle qui succède au Moyen Âge, depuis
la Renaissance italienne jusqu’à la fin du XIXe s. Il fut secrétaire de l’archevêque de Bourges, puis précepteur des
enfants de René de Savoie, oncle du roi, avant de se voir gratifié de la charge de valet de chambre et de lecteur du
roi. Il occupe ce poste durant de longues années, aux côtés de Clément Marot notamment, à la cour de François Ier
puis de Henri II. La muse du poète est Gélonide Borsale, nom latinisé de son épouse Guillonne Boursault, de vingt
ans sa cadette.
En regard de ce texte, nous avons choisi le portrait le plus célèbre du monde : celui de Lisa Gherardini, épouse
de Francesco del Giocondo, dite Monna Lisa, la Gioconda ou la Joconde. Ce tableau est en réalité mal connu.
Notre objectif ici est de susciter la curiosité, de bousculer les idées reçues. C’est ce que permet, pensons-nous, la
confrontation de ce tableau avec le poème de Macrin et son inscription dans la perspective amoureuse.

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES TRADUCTION


• Pour un panorama de la poésie du XVI e
s., on se S’il existait plus belle parmi toutes
reportera à l’édition de J. Céard et L.-G. Tin, Anthologie les jeunes femmes que possède la riche Gaule,
de la poésie française du XVIe s., Gallimard, NRF, 2005. si [il existait] plus gracieuse et plus élégante que toi,
• La lecture du tableau sera l’occasion d’approfondir les on pourrait à bon droit me pardonner
connaissances sur Léonard de Vinci, son art, et la genèse de la fréquenter, elle, et de l’aimer plus passionnément,
de l’œuvre. Nous renvoyons à plusieurs documentaires, même en te délaissant. Mais puisque toi-même tu es
plus ou moins longs : la plus belle et la plus convoitée
- La Joconde, les secrets d’un tableau iconique, des élégantes et gracieuse plus que toutes
National Geographic celles que possède la riche Gaule,
(www.youtube.com/watch?v=I_zTG8UQ7mg) ; il ne conviendrait pas de me pardonner,
- Le vol de la Joconde - Invitation au voyage, Arte si j’aimais quelqu’une, te délaissant, Gélonide.
(www.youtube.com/watch?v=ziDyAWaAVqc) ;
- La Joconde ne vous suit pas du regard, Arte viva voce
(www.youtube.com/watch?v=cPXJrtD4mxw) ;
- Les grands maîtres de la peinture - Léonard de Vinci, Toute c Nous proposons ici la lecture d’un texte court, dans son intégralité :
l’histoire (www.youtube.com/watch?v=8n_1yBvGV30). cela facilite sa compréhension et son interprétation orale. Les jeux
d’échos et de reprises, que les élèves identifieront en répondant aux
questions de lecture, de langue et d’interprétation, rendront plus aisée
la mémorisation. On peut également imaginer une déclamation à deux
voix, chaque voix assumant une moitié du poème.
c On pourra aussi apprendre aux élèves à placer et prononcer l’accent
tonique, selon les règles de la scansion (voir Memento p. 199).

Lire
1. L’auteur utilise plusieurs figures d’insistance : 2.  Il est possible de répondre à cette question en même
- la répétition : si (v. 1, 3 et 11), dives Gallia quas habet puellas temps qu’à la première, la distinction n’étant pas tou-
(v. 2 et 9), ignosci mihi (v. 4 et 10) ; te posthabita (v. 6 et 11) ; jours facile à faire entre les parallélismes de construction,
les reprises et ce que nous nommons ici les «  échos  ». Du
- la redondance : formosior/mundior elegantiorque (v. 1 et 3),
point de vue de sa structure, le poème se compose de deux
sectanti/amanti/amarem (v. 5 et 11), formosissima et elegantia-
phrases de même longueur exactement (cinq vers et la
rum refertissima praeque munda cunctis (v. 7-8) ;
moitié d’un sixième). La ponctuation forte et la conjonction
- le polyptote  : formosior/formosissima (v.  1 et 7), mundior/ « sed », à l’hémistiche du vers 6, sont comme le pivot, l’axe
munda (v. 3 et 8), elegantior/elegantiarum (v. 3 et 7), amanti/ de symétrie du texte, la deuxième phrase étant comme le
amarem (v. 5 et 11) ; reflet de l’autre. Le sens général du texte est le suivant : si
- le parallélisme : si formosior esset/cum sis formosissima (v. 1 quelqu’une était, en Gaule, plus belle que toi, il serait juste
et 6-7), inter omnes dives Gallia quas habet puellas/praeque de me pardonner de l’aimer plutôt que toi ; mais puisque
munda cunctis dives Gallia quas habet puellas (v.  1-2 et 8-9), tu es la plus belle des Gauloises, on ne me pardonnera pas
te mundior elegantiorque/elegantiarum refertissima praeque d’en aimer une autre que toi. Ce poème lyrique est donc
munda cunctis (v. 3 et 7-8), ignosci mihi jure posset illam/ignosci un éloge de la beauté de l’aimée, en l’occurrence Gélonide,
mihi non deceret, ullam ((v. 4 et 10), vel te posthabita/si, te pos- le sentiment amoureux étant causé uniquement, ici, par
thabita (v. 6 et 11). cette beauté physique, que mettent particulièrement en
- l’hyperbole  : inter omnes dives Gallia quas habet puellas/ évidence les figures d’insistance et l’emploi des adjectifs au
praeque munda cunctis dives Gallia quas habet puellas (v. 1-2 et comparatif et au superlatif de supériorité. C’est ce qui fait de
8-9), formosissima et elegantiarum refertissima (v. 7-8). Gélonide « la plus aimable des femmes ».

Masculin, féminin • 175


Langue
1. « Formosior », « mundior » et « elegantior » sont des adjectifs 3. Les différentes propositions de ce poème sont :
au comparatif de supériorité, déclinés au nominatif féminin - si formosior esset inter omnes puellas G proposition subor-
singulier et se rapportant au sujet sous-entendu du verbe donnée de condition ;
« esset » (v. 1), à savoir puella, par exemple. On peut les traduire
- quas dives Gallia habet G proposition subordonnée relative ;
par « plus belle », « plus gracieuse » et « plus élégante ».
- si te mundior elegantiorque [esset] G proposition subordon-
« Vehementius » est un adverbe au comparatif de supériorité,
née de condition ;
dont le positif est vehementer. On peut le traduire par « plus
passionnément ». - ignosci mihi jure posset illam sectanti vehementiusque amanti
« Formosissima » et « refertissima » sont des adjectifs au superla- G proposition principale ;
tif de supériorité, déclinés au nominatif féminin singulier et se - vel te posthabita G proposition participiale à l’ablatif ;
rapportant au sujet sous-entendu du verbe « sis », à savoir tu. Ils - cum ipsa sis formosissima et elegantiarum refertissima praeque
peuvent être traduits par « la plus belle » et « la plus convoitée ». munda cunctis puellis G proposition subordonnée de cause
2. Le complément de « formosior » est « inter omnes puellas quas (le nom « puellas », au vers suivant, est l’antécédent postposé
dives Gallia habet » (voir les « autres constructions du compara- du pronom relatif « quas ») ;
tif », dans la Syntaxe latine de Alfred Ernout et François Thomas, - quas dives Gallia habet G proposition subordonnée relative ;
Klincksieck, 1964, p. 170-171) ; le complément de « mundior » et - ignosci mihi non deceret G proposition principale ;
« elegantior » est le pronom « te » (v. 3), à l’ablatif singulier.
- si ullam, te posthabita, Geloni, amarem G proposition subor-
Le complément de « formosissima » et de « refertissima » est donnée de condition.
l’adjectif substantivé « elegantiarum », décliné au génitif fémi-
La difficulté de ce texte réside précisément dans sa syntaxe,
nin pluriel.
les propositions principales et subordonnées n’étant pas
simples à délimiter.
Interpréter
1. Pour établir des rapports, nous conseillons de faire décla- procédés d’écriture, sur les figures de style. Il sera important
mer, en premier lieu, le texte de Jean Salmon Macrin (voir de laisser ouverte l’interprétation et la mise en rapport des
Viva Voce), moyen qui nous semble le meilleur pour que les deux auteurs.
élèves s’approprient pleinement cette poésie. En second 2. Là encore, il sera important de laisser libre court à l’inter-
lieu, étant donné qu’ils sont très courts, on pourra faire la prétation, si tant est, cela va sans dire, qu’elle s’appuie sur
même activité avec les poèmes 86 et 87 de Catulle. Pourquoi des éléments tangibles qui la justifient. On amènera les
ne pas organiser une séance dédiée à la déclamation, qui élèves à mieux connaître le peintre, l’œuvre et le contexte
fera l’objet d’une évaluation ? de sa création (voir ci-dessus la rubrique Informations sup­
On attirera l’attention sur la thématique amoureuse et les plé­mentaires).
champs lexicaux y afférant, sur le registre lyrique et ses

4 Des déclarations ordinaires ? (p. 159)


Pour compléter la lecture de l’inscription funéraire du IIIe s. (p. 156), la lecture des lettres de Pline et Cicéron expri-
mant l’amour conjugal ou l’amour filial (p. 157), et la lecture du poème lyrique en néo-latin de Jean Salmon Macrin
(p. 158), nous avons choisi deux supports très différents : une élégie écrite en 1830 par la poétesse Marceline
Desbordes-Valmore, qui puise son inspiration aux sources antiques ; une planche de bande dessinée tirée de
la série Combat ordinaire, de Manu Larcenet, publiée en 2003. Ils permettront une confrontation entre monde
antique et monde contemporain.
Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) a vécu une existence mouvementée, rythmée par les soubresauts de
l’histoire politique de la France, par un voyage en Guadeloupe qui, au lieu d’être un nouveau départ, s’avéra être
un calvaire, une carrière théâtrale de comédienne et de metteur en scène, à Douai, à Lille, à Rouen et à Paris, les
liaisons amoureuses, la naissance de cinq enfants issus de deux unions. L’écriture poétique accompagna sa vie :
en 1919, elle publie son premier recueil, Élégies et romances ; en 1820, Poésies de Mme Desbordes-Valmore ; en 1824,
Élégies et poésies nouvelles ; en 1833, Les Pleurs ; en 1839, Pauvres fleurs ; en 1843, Bouquets et prières. Sa sensibilité
poétique fut notamment saluée par Charles Baudelaire. Le poème que nous avons reproduit a une double dette
envers l’Antiquité : il s’agit d’une élégie ; elle fait allusion à Cupidon. La poésie de Marceline Desbordes-Valmore
n’en est pas moins, par certains traits, moderne.
Manu Larcenet est un auteur de bande-dessinée contemporain. Il accède à la notoriété au début des années
2000, avec la série humoristique Le Retour à la terre, Dargaud. Il obtient le prix du meilleur album en 2004, avec
le Combat ordinaire, série en quatre tomes racontant l’existence de Marco, jeune photographe en manque
d’inspiration et névrosé, que sa rencontre avec Émilie parvient petit à petit à tirer de ses angoisses. À travers
ses personnages, l’auteur mène une réflexion sur le passage à l’âge adulte, l’acceptation de soi et le rapport à
autrui. La planche forme un tout qu’il conviendra de lire dans son intégralité, la dernière vignette contrastant
avec la première.
Tout semble, a priori, opposer ces deux déclarations d’amour. Mais l’élégie de Marceline Desbordes-Valmore et
le langage de Manu Larcenet révèlent, à travers des formes artistiques très différentes, l’humble sensibilité d’une
femme et d’un homme.


176 Masculin, féminin
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES

• Un recueil de Marceline Desbordes-Valmore, Les Pleurs, a été publié aux éditions GF en 2019. Yves
Bonnefoy a établi une anthologie : Poésies, Gallimard, NRF, 1983. On écoutera avec intérêt :
- « Une femme poète », conférence de Christine Planté, BNF, 2009
(www.youtube.com/watch?v=H8qHjGd9QEk)
- « Marceline Desbordes-Valmore – Une vie, une œuvre », France Culture, 1995
(www.youtube.com/watch?v=nmIEqZLpg-g)
• Laurent Tuel s’est inspiré de l’œuvre de Manu Larcenet pour réaliser le film Le Combat ordinaire, 2014.

Confronter
1. Nous conseillons ici, en amont d’une séance dédiée à cette 2.  La lecture de la planche de Manu Larcenet sera l’occa-
page, au choix : sion de s’approprier le langage de la bande dessinée. Nous
- de travailler les textes et documents de la double-page renvoyons par exemple au site Le Coin des Bulles (http://
160-161, consacrée à Vénus et Cupidon, en lien avec d’autres lecoindesbulles.blogspot.com/2007/03/le-vocabulaire-de-
œuvres iconographiques (voir nos réponses ci-dessous) ; la-bande-dessine.html), qui recense les éléments que l’on
trouve sur une planche, ceux que l’on trouve dans les bulles,
- de mener des recherches sur Éros-Cupidon.
ainsi que les différents plans et angles de vue, enfin les procé-
La lecture de la poésie de Marceline Desbordes-Valmore n’en dés d’enchaînement des vignettes.
sera que plus évidente.
On notera en particulier le contraste entre la première et la
À l’inverse, il est possible de considérer cette lecture comme dernière vignette, toutes deux aussi larges : la première est
une propédeutique à celle des textes et documents de la assez sombre, muette, présentant en plongée le plan général
double-page suivante. d’un quartier urbain densément peuplé, dans lequel l’indi-
Afin de mieux comprendre les enjeux de ce texte et l’expres- vidu semble se perdre, pour ne pas dire ne pas exister ; la der-
sion lyrique des sentiments, il sera important de le replacer nière présente, en plongée et selon un plan large également,
dans son contexte de création et de donner toute sa place les deux personnages principaux au centre d’un grand cadre
dans l’histoire littéraire à Marceline Desbordes-Valmore (1786- vide, sur fond jaune soutenu alors que sur les deux bandes
1859), poétesse trop peu connue à la vie si mouvementée en précédentes ils se trouvaient sur le trottoir d’une rue grisâtre :
cette première moitié de XIXe s. si mouvementée elle-même : la brève déclaration d’amour prend ainsi toute son intensité,
« elle a les grandes et vigoureuses qualités qui s’imposent à en particulier dans la bouche d’un personnage qui s’avère
la mémoire, les trouées profondes faites à l’improviste dans taciturne, mal dans sa peau et peu loquace ; l’intimité de
le cœur, les explosions magiques de la passion. Aucun auteur cette déclaration somme toute peu ordinaire, préparée par
ne cueille si facilement la formule unique du sentiment, le les vignettes précédentes, est ainsi mise en relief.
sublime qui s’ignore », écrit Charles Baudelaire à son sujet. On 3. Cette question est ouverte et appelle des réponses person-
lira avec intérêt la préface d’Yves Bonnefoy dans l’anthologie nelles, qui devront être justifiées. On invitera les élèves à ne
des Poésies de l’auteure publiée aux éditions Gallimard, NRF pas se contenter d’une lecture et d’une interprétation super-
n°178, 1983. On consultera également l’édition avec dossier ficielle des œuvres, mais à réfléchir plus avant aux termes
des Pleurs, GF, 2019. « expression » et « sincérité ». Il conviendra également d’in-
Il faudra cependant prendre garde de ne pas réduire l’in- terroger les genres littéraires et artistiques : quelles formes,
terprétation littéraire, comme le voulait Sainte-Beuve, à la quelles longueurs, quel langage, quels procédés, quels
recherche, dans l’œuvre, des éléments et événements biogra- non-dits, sont les plus à même d’exprimer les sentiments et
phiques qui peuvent l’expliquer, mais pas en épuiser le sens. de toucher l’aimé(e) ? Si le choix des mots est primordial, le
silence en dit parfois autant.

pistes pour construire un portfolio

• On pourra confronter le poème de Marceline Desbordes-Valmore avec une des Élégies de Properce,
par exemple l’élégie II, XV, empreinte d’érotisme. Les élèves pourront également choisir un texte de Tibulle.
•Les lettres de Pline et de Cicéron ne sont pas sans rappeler, à certains égards, celles des poilus.
On se reportera par exemple au recueil Paroles de poilus, Lettres et carnets du front, Librio, 2013.

Masculin, féminin • 177


lecture Représenter l’amour
spécialité

1 Les deux Vénus (p. 160)


Comme le rappellent les programmes de spécialité, les différents types d’amour sont désignés en grec par les
mots éros, philia et agapé, en latin par les mots amor, amicitia et caritas. Apulée se réfère ici à l’éros-amor. Dans son
Apologie, « il se défend contre les accusations de sorcellerie dont il fut l’objet. Comment, en route pour Alexandrie,
Apulée retrouva un ancien condisciple d’Athènes, comment ce dernier l’amena à épouser sa mère, la riche veuve
Pudentilla, comment enfin ce mariage lui valut, de la part des gens dont il dérangeait les projets, une accusation
de magie – il aurait ensorcelé la veuve pour accaparer sa fortune » (Apulée, Apologie, Classiques en poche, 4e de
couverture). Apulée commence par se défendre contre les deux accusations suivantes, qui n’en font qu’une en
réalité, formulées par un certain Sicinius Emilianus : avoir écrit des vers, d’une part une lettre-poème à un ami
pour lui conseiller une substance pour se nettoyer les dents, d’autre part des « vers d’amour » (« vorsus ludicros et
amatorios », § IX).
Dès le début de son discours, et dans notre passage en particulier, Apulée cherche à montrer qu’amour et sagesse
ne sont pas incompatibles, pour peu que l’on soit attiré par l’amour du beau et non par le désir du corps, par la
Venus céleste et non par la Vénus vulgaire. La beauté corporelle, dans le cadre de l’Éros-céleste et non pas de
l’Éros-­vulgaire, « rappelle aux âmes, qui sont d’essence divine, la beauté qu’elles ont jadis contemplée, vraie et
pure, au séjour des dieux » (§ XII, traduction de Paul Vallette, Classiques en poche, 2001, p. 29). Apulée fait ici
explicitement référence à la théorie des réminiscences de Platon : notre accès à la connaissance de la vérité n’est
possible que parce que nous gardons en nous le souvenir d’un état ancien où notre âme, libérée de la servitude
du corps, était au contact des Idées, pures et intelligibles. Autrement dit, la beauté corporelle est l’incarnation de
l’Idée de beauté, pure et sans défaut.
Pour compléter la lecture de cet extrait, nous proposons une lithographie de Picasso intitulée Vénus et l’Amour
(1957). Notre choix a été guidé par le « choc » que peut produire l’observation de cette Vénus, qui ne répond pas,
a priori, aux canons classiques de la beauté féminine ; de plus, l’Amour qui l’accompagne est représenté comme
un enfant qui pleure, conformément à certaines traditions mythologiques (voir ci-dessous notre réponse à la
première question de Culture p. 161). On confrontera cette lithographie avec L’Amour puni, fresque provenant de
la Villa de l’amour puni à Pompéi, conservée au Musée national archéologique national de Naples. On invitera les
élèves à confronter cette œuvre avec le texte d’Apulée et avec le portrait de Cupidon par Ovide (p. 161).

INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
Au sujet de l’accusation qui porte sur l’écriture de vers érotiques, telle est en substance l’argumentation
de l’orateur (§§ IX-XI) : d’autres auteurs grecs et latins, y compris des philosophes et Platon lui-même, ont
écrit des vers, autrement plus érotiques que les siens ; il a changé des noms de personnes, comme d’autres
l’ont fait avant lui ; écrire des vers érotiques n’implique pas, en soi, d’être quelqu’un d’immoral ; au contraire,
plus les vers sont explicites, plus ils prouvent la chasteté de l’auteur ; d’ailleurs, comme l’a écrit Platon par la
bouche de Pausanias dans le Banquet, il existe deux sortes d’éros, liés à deux Aphrodites : « Tout le monde
sait bien qu’il n’y a pas d’Aphrodite sans Éros. Si donc il n’y avait qu’une seule Aphrodite, il n’y aurait qu’un
seul Éros ; mais, puisqu’il y a bien deux Aphrodites, il s’ensuit nécessairement qu’il y a aussi deux Éros.
Comment nier qu’il y ait deux Aphrodites ? L’une, qui est sans doute la plus ancienne et qui n’a pas de mère,
c’est la fille d’Ouranos, celle que naturellement nous appelons la « Céleste ». L’autre, la plus jeune, qui est
la fille de Zeus et de Dionè, c’est celle que nous appelons la “Vulgaire” (Platon, Le Banquet, 180d, traduction
de Luc Brisson, GF, 1998, p. 101).

TRADUCTION
… l’autre quant à elle, la Vénus céleste, qui est préposée à l’amour noble, veille sur les seuls humains et sur
peu d’entre eux, ne précipitant ses adeptes par aucun aiguillon dans la dépravation, ni par aucun charme ;
de fait, son amour n’est ni délicieux ni lascif, mais au contraire simple et sérieux, s’appuyant sur la beauté
morale il amène à la vertu ses adorateurs, et si quelquefois il fait valoir l’élégance pour les corps, il em-
pêche qu’on leur fasse le moindre outrage ; et en effet il n’y a rien d’autre, dans la grâce des corps, à aimer,
que ceci : ils rappellent aux âmes, divines, leur beauté, que jadis, vraie et pure, ils ont vu parmi les dieux.

Traduire
1. Les verbes à l’infinitif sont : curare (l. 11), esse (l. 14), conciliare 2. Les propositions contenant un verbe conjugué sont :
(l.  15), absterrere (l.  17), esse (l.  18). Attention, «  videre » est la - quae praedita sit optimati amore (l. 10-11) ;
3e personne du pluriel de l’indicatif parfait actif du verbe video.
- si quando decora corpora commendet (l. 15-16) ;
Le sujet de curare est alteram caelitem Venerem (l. 10) ; le sujet
- quod ammoneant divinos animos ejus pulchritudinis (l. 18-19) ;
de esse, de conciliare et de absterrere est amorem (l.  13) ; le
sujet de esse est quicquam aliud (l. 17). - quam prius veram et sinceram inter deos videre (l. 19-20).


178 Masculin, féminin
Comprendre
1. Relevons d’abord que l’auteur parle des « Vénus jumelles » 2.  Platon a imaginé l’existence de deux déesses différentes,
(l. 3-4) : leur nom est identique, leur apparence également. qui ne sont pas de même naissance : la première est Aphrodite
De plus, elles ont toutes les deux un rapport avec l’amour. On Ourania (l. 10), née d’Ouranos, déesse de l’amour pur ; l’autre
peut également remarquer que les deux Vénus ont des pou- est l’Aphrodite Pandémienne, c’est-à-dire Populaire (l. 5), fille
voirs similaires. Elles sont impérieuses : l’une « incite » (l. 6), de Dioné et déesse de l’amour vulgaire. Aphrodite Ourania,
l’autre « poussant » (l. 13) ; elles ont aussi un pouvoir d’attrac- vénérée par peu d’humains, est préposée à l’amour noble,
tion : « enchaînant » (l. 8), « conciliare » (l. 15). On remarque dégagé des passions et de la gangue corporelle ; elle est libéra-
enfin l’utilisation d’un balancement («  l’une  », «  l’autre  ») et trice car elle conduit à la contemplation du Beau idéal, au sens
d’un parallélisme de construction, qui permettent de mettre platonicien, d’où vient notre expression « amour platonique ».
en évidence la ressemblance des deux Vénus  : le pronom Aphrodite Pandémienne, à l’inverse, règne sur l’amour tel que
« l’une » est suivi de l’adjectif « populaire » et de la proposition le pratiquent les bêtes et la majorité des humains ; elle asservit
subordonnée relative « qui est sensible à l’amour vulgaire » ses adorateurs à leur instinct ou à leurs pulsions. On retrouve
(l. 5-6) ; le pronom « alteram » est suivi de l’adjectif « caelitem » ici le principe qui structure toute la philosophie de Platon : les
et de la proposition subordonnée relative « quae praedita sit corps visibles, mêmes les plus beaux, ne sont qu’une lointaine
optimati amore » (l. 10-11). image, impure, d’une réalité invisible idéale, dégagée de toute
contingence et de toute matérialité, la Beauté ; d’un côté, l’ex-
périence sensible, de l’autre, la connaissance rationnelle.
Interpréter
1.  On pourra partir ici de la définition courante de l’amour 2.  Les élèves auront probablement tendance à considérer
dit platonique. Puis on amènera les élèves à débattre de ce que la Vénus de Picasso est difforme, maigre, « laide » en un
qu’est l’amour  : quelle est son origine, sa nature, sa raison mot, et à l’interpréter, à ce titre, comme la Vénus Populaire.
d’être, son but ? Est-il rationnel et s’explique-t-il, s’apprend-il ? On replacera donc l’œuvre dans son contexte de création, en
Est-il expérimenté par tous de la même manière ? Ce sera l’oc- 1957. Il s’agit d’une œuvre cubiste de la maturité de l’artiste
casion de définir les différentes forme d’amour : agapè, philia, (Guernica date de 1937), inspirée de l’abondante série Vénus
éros ; amor, amicitia, caritas. et Cupidon voleur de miel, de Lucas Granach l’Ancien (années
On prendra garde de ne pas tomber dans les discours sexistes 1520-1530), peintre et graveur de la Renaissance germanique.
hérités de la longue histoire de la pensée occidentale, selon Nous renvoyons en particulier aux deux œuvres suivantes :
lesquels les hommes sont supposés être mus par l’amour - http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Venus_with_Cupid_
populaire, les femmes par l’amour ouranien, tels que précisé- the_Honey-Thief.jpg
ment ils sont définis ici, opposition qui serait la source d’une - http://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Lucas_
incompréhension mutuelle et fondamentale. Cranach_d.%C3%84._-_Amor_beklagt_sich_bei_Venus_
Pour élever le débat, on invitera les élèves à lire Le Banquet de (National_Gallery,_London).jpg
Platon, qui pose les bases de la réflexion sur la philosophie Picasso semble avoir eu accès à plusieurs tableaux différents
de l’amour. Fondamentalement, l’amour est manque et désir, portant ce même titre, tableaux dont il reprend des motifs.
de l’autre et de soi. On n’oubliera pas que cette réflexion est
Nous conseillons ici de commencer par l’observation de plu-
à mener dans le cadre de l’objet d’étude « Masculin, féminin »,
sieurs tableaux de Lucas Granach l’Ancien, avant d’aborder
genres qui s’attirent autant qu’ils se repoussent. Pour définir
l’œuvre de Picasso, dont l’interprétation reste ouverte et qui
ces deux pôles de la nature humaine, on veillera à éviter les
est difficilement réductible à l’une des deux Vénus définies
clichés sur les tendances prétendument naturelles du mascu-
par Apulée à la suite de Platon.
lin et du féminin. « On ne naît pas femme, on le devient », écrit
Simone de Beauvoir ; Olivia Gazalé, dans le Mythe de la virilité,
montre quant à elle qu’on ne naît pas homme, mais qu’on le
devient : le féminin et le masculin sont le fruit d’une évolution
historique qu’il convient de replacer dans leur contexte. En
dépendent notre philosophie et notre expérience de l’amour.

prolongements

c Il sera intéressant de confronter cet extrait d’Apulée avec le discours de Pausanias dans Le Banquet de
Platon (§ 180c-185c).
c Pour compléter la lecture de la lithographie de Picasso, on pourra mener un travail de recherche pour
confronter cette œuvre avec d’autres représentations de Vénus plus classiques, d’époque antique, moderne
et/ou contemporaine, par exemple la Vénus de Milo.

Masculin, féminin • 179


2 Amour enfant (p. 161)
Pour faire suite à la page consacrée aux deux Vénus, nous proposons la lecture du début d’une lettre poétique
extraite des Pontiques d’Ovide. Celui-ci est en exil à Tomes, sur les bords de la côte occidentale de la Mer Noire,
pour des raisons qui nous échappent en grande partie. Dans cette troisième lettre adressée à Fabius Maximus,
juste après notre passage, le poète accuse précisément Éros d’être à l’origine de sa relegatio. La première partie du
texte, déjà traduite, pose le cadre réaliste d’une apparition nocturne. La deuxième partie, en langue originale ac-
compagnée d’une traduction du XIXe s., constitue la description du dieu. L’auteur dresse un portrait négatif d’Éros.
Les mythes se rapportant à Éros sont nombreux : sa physionomie, son rôle et son tempérament ont beaucoup évo-
lué depuis l’époque archaïque jusqu’à la période alexandrine puis romaine. Les traditions les plus anciennes font de
lui une divinité primordiale, née du Chaos primitif en même temps que Gaia et Ouranos : Éros est la force d’attraction
des éléments entre eux, assurant la cohésion du cosmos, et la puissance d’amour permettant la naissance des pre-
mières générations de dieux. D’autres traditions lui donne une autre ascendance et, partant, d’autres rôles. Platon le
considère comme un daimôn, intermédiaire entre les hommes et les dieux, né de l’union de Poros et de Penia. Une
tradition en fait le fils d’Hermès et d’Artémis chtonienne, une autre le fils d’Hermès et de l’Aphrodite Ouranienne (voir
« Les deux Vénus », p. 160). Peu à peu, les poètes et mythographes ont donné à Éros le visage qui est devenu tradi-
tionnel : celui d’un enfant turbulent, à la fois espiègle et tout-puissant, capable de briser les cœurs les plus endurcis.
On commencera par prendre connaissance du paratexte et par lire le texte de manière magistrale. Après cette
première approche, nous conseillons de répondre d’abord aux questions de Culture, puis de poursuivre par l’acti-
vité de traduction, qui s’appuiera sur la traduction de M. Nisard, avant de pouvoir Interpréter.

TRADUCTION
L’Amour se tenait là, avec un visage qu’avant il n’avait pas l’habitude d’avoir,
tenant les montants d’érable de sa main gauche,
et n’ayant ni collier au cou ni peigne aux cheveux,
ni une coiffure bien disposée comme sa chevelure auparavant.
Ses cheveux tombaient, souples, sur son visage hirsute
et j’ai vu de mes propres yeux ses plumes hirsutes,
telles celles qui sont, d’habitude, sur le dos d’une colombe des airs,
qu’en la caressant beaucoup de mains ont touchée.

Traduire
1. La proposition relative est « non quo prius esse solebat », avec analyse morphosyntaxique, combinée à une approche plus
antéposition de la négation portant sur le verbe. Le reste de la intuitive par la lecture et à la relecture. C’est ainsi que se
phrase (vers 13-16) constitue la proposition principale, dont le construira la sens. Si l’intuition achoppe rapidement, l’analyse
sujet et le verbe conjugué sont les mots « Stabat Amor ». grammaticale ne résoudra pas tout.
On peut traduire le vers 13 par : « L’Amour se tenait là, avec un Notre parti pris est de conserver le sens premier des mots
visage qu’avant il n’avait pas l’habitude d’avoir ». latins et la syntaxe de la phrase d’Ovide, autant que faire se
2.  Traduire, c’est trahir, plus ou moins. Au XIXe s., M. Nisard peut dans le cadre du genre poétique et du distique élé-
a dirigé de nombreuses traductions, vieillies aujourd’hui. giaque. Dans cet esprit, nous conseillons de partir dans un
La version des vers 13 à 20 prend quelques libertés avec le premier temps, avec les élèves, d’une traduction la plus lit-
lexique et la syntaxe du texte latin : Ovide écrit « tristis » (v. 14), térale possible, qui permet d’accéder au sens tout en conser-
Nisard traduit « triste, abattu » (l. 2-3) ; Ovide écrit « vultu non vant la lettre. Dans un second temps, on pourra assouplir
quo prius esse solebat » (v. 13), Nisard traduit « non pas avec ce cette première version pour traduire l’idée tout en essayant
visage que je lui connaissais jadis » (l. 1-2). La traduction en de ne pas trop s’éloigner de la lettre.
regard du texte latin ne dispensera pas l’élève de la nécessaire

Interpréter
1.  Le récit pose le cadre de l’apparition de Cupidon : durant 2. Dans le texte en latin, les négations sont les suivantes : non
l’exil (v. 1), pendant une nuit où la lune brille intensément à (v. 13), nec (v. 15 et 16) et neque (v. 15).
travers la fenêtre entrouverte (v. 5-6), le sommeil étant pro- Les adjectifs dépréciatifs sont : tristis (v. 14) et horrida (v. 17 et
fond et le corps au repos (v. 7-8). Autrement dit, le cadre est 18).
réaliste. Le texte se présentant comme une lettre adressée
Le poète dresse un portrait original de Cupidon (voir notre
par un destinateur en exil à un ami dont l’existence est attes-
réponse à la première question de Culture ci-dessous)  :
tée, en l’occurrence Fabius Maximus, tout se passe comme si
« L’Amour se tenait là, avec un visage qu’avant il n’avait pas
Ovide lui-même rapportait une expérience personnelle. C’est
l’habitude d’avoir ». En effet, son visage est caractérisé par la
dans ce cadre que, « soudain », le dieu fait son entrée, non pas
tristesse. La version de M. Nisard est ici fautive : le texte latin
dans un grand fracas, mais dans un léger frémissement d’ailes
dit simplement «  tristis » ; la traduction «  triste  », «  abattu  »,
et d’air. Le contexte de la nuit et du sommeil laisse à penser
cet adjectif n’ayant cependant pas d’équivalent dans le texte
que cette apparition n’est que le prolongement d’un rêve.


180 Masculin, féminin
d’Ovide. De plus, la fin de la première phrase est émaillée venu toi aussi en ce lieu où ne règne jamais la paix, où la glace
de négations, comme le prouve l’anaphore nec, neque, nec contracte les eaux du barbare Hister ? Pourquoi ce voyage,
(v. 15-16). Cupidon n’a pas ses attributs de beauté, plutôt fémi- sinon pour contempler mes malheurs qui, si tu l’ignores, te
nins : ni collier au cou, ni peigne dans les cheveux, ni une coif- rendent odieux  » (traduction de Jacques André, Les Belles
fure soignée. La répétition de l’adjectif « horrida » (v. 17-18), Lettres, 1977, p. 92). Aux vers 59 et suivants, il prie le dieu
qui qualifie le nom « ora » (v. 17) et le nom « penna » (v. 18), d’apaiser la colère d’Auguste : « Mais toi – puissent tes flèches
contribue à renforcer cet aspect négatif. frapper partout, puisse ne jamais s’éteindre le feu dévorant
3. Aux vers 21-64 de cette lettre poétique, le poète s’adresse de tes torches, puisse César, qui t’est apparenté par Énée, ton
à Cupidon au discours direct, et lui reproche d’avoir causé sa frère, gouverner l’Empire et contenir l’univers ! – fais que sa
perte et son exil : « Enfant qui trompa ton maître et causas son colère ne me soit pas implacable et qu’elle fixe pour mon châ-
exil, toi qu’il eût mieux valu pour moi ne pas instruire, es-tu timent un séjour moins désagréable. »

Culture
1. « On le représente comme un enfant, souvent ailé, mais 2.  Ovide était devenu une figure intellectuelle importante
aussi dépourvu d’ailes, et qui se plaît à porter le trouble dans du règne d’Auguste, lorsqu’en 8 il fut banni par ce dernier
les cœurs. Ou bien il les enflamme de sa torche, ou bien il les à Tomes, sur les rives de la Mer Noire. Il ne s’agit pas d’un
blesse de ses flèches. Ses interventions sont innombrables. exsilium, mais d’une simple relegatio  : le poète conservait
Il s’attaque à Héraclès, à Apollon […], à Zeus même, à sa ses biens et ses droits civiques à Rome. Les raisons de cette
propre mère, et, naturellement, aux hommes. Les poètes sanction sont, selon les mots d’Ovide lui-même, un carmen
alexandrins aiment à le montrer jouant aux noix (les équi- et une error, autrement dit un texte poétique et une faute
valents antiques des billes) avec des enfants divins, notam- grave. Les historiens pensent que le poème est l’Ars amatoria,
ment Ganymède, se disputant avec eux, ou avec son frère dont le succès, huit ans auparavant, put déplaire à Auguste
Antéros. Et ils imaginent des scènes enfantines en accord qui avait fait promulguer des lois moralisantes. Quant à l’error,
avec ce caractère du dieu : Éros puni pour avoir cueilli des Ovide insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un scelus, un crime :
roses sans prendre garde aux épines, etc. […] Mais toujours peut-être a-t-il été présent lors d’une faute commise, peut-
– et c’est là un thème favori des poètes – sous l’enfant appa- être fut-il impliqué dans l’un des adultères de Julia, petite-
remment innocent on devine le dieu puissant, qui peut, au fille d’Auguste, elle-même également bannie en 8. Quoi qu’il
gré de sa fantaisie causer des blessures cruelles  » (Pierre en soit, Ovide évoque dans certains poèmes des Tristes et
Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, PUF, des Pontiques, sa tristesse de vivre dans une contrée hostile,
2002, p. 148). On pourra confronter cet extrait des Pontiques notamment à cause de son climat, du danger qui règne aux
avec la lithographie de Picasso (p. 160). proches frontières de l’Empire, et de la langue des autoch-
tones, les Gètes. Après dix années passées en exil, Ovide
mourut sans être revenu à Rome.

prolongements
Les représentations artistiques d’Éros sont innombrables à travers les siècles. En plus de la lecture de la
lithographie de Pablo Picasso présentée à la p. 160, que nous avons mise en perspective (voir ci-dessus) avec
la série de tableaux de Lucas Granach l’Ancien qui l’ont inspirée, on mènera avec les élèves une activité de
recherches : chacun devra trouver et présenter, en justifiant son choix, un portrait d’Éros-Cupidon ayant fait
date dans l’histoire de l’art. On pourra dresser une galerie de tableaux, et les confronter.

Masculin, féminin • 181


au cœur des mots p. 162-163

Étymologie
Racine indo-européenne : *Dhé

felix, icis
Latin fecundus, a, um femina, ae, f. felicitas, tatis, f.
felicito, as, are, avi, atum

fécondité, femme, femelle, félicité,


fécond, femmelette, féliciter,
Français féconder, féminin, félicitation,
infécondité, efféminer, féminiser, Félix
infécond, féminisme, féministe,
fécondation féminité

fecundity (anglais) gefeliciteerd (néerlandais)


Langues femeie (roumain)
fecondità (italien) felicidade (portugais)
européennes frau (allemand)
fecundidad (espagnol)

activité 1
Des tuteurs sont institués tant pour les hommes que pour les femmes ; mais pour les hommes impubères, il est
vrai, c’est à cause de la faiblesse de leur âge ; pour les femmes quant à elles, tant impubères que pubères, c’est
à la fois à cause de la faiblesse de leur sexe et à cause de leur ignorance des affaires du forum.

activité 2
- Le mot « pacta » est une forme du participe parfait passif du du mariage telle qu’elle était pratiquée à Rome, la fiancée,
verbe pango, is, ere, panxi/pepigi, panctum/pactum. Il est décli- dans la maison de son père, où était organisé un banquet de
né au nominatif féminin singulier et s’accorde avec «  haec noces, symboliquement «  était arrachée, avec une violence
filia ». Au sens premier, pango signifie « enfoncer », « ficher », apparente, aux bras de sa mère et menée en procession dans
« fixer », « planter », en parlant d’un clou ou d’une plante. Il est la maison du mariée  » (Dictionnaire de l’Antiquité, Oxford,
ici employé dans son second sens, « établir solidement », et, Robert Laffont, 1993, p. 610).
dans le cas de fiançailles, « promettre ». - Le mot « miseria » est une forme du nom miseria, ae, f., au
- Le mot « ducam » est une forme du verbe duco, is, ere, duxi, nominatif féminin singulier, sujet du verbe est dans la forme
ductum, conjugué à la première personne du singulier du contractée « hominist ». Ce mot est ici employé dans son sens
futur simple de l’indicatif. Au sens premier, duco signifie premier, le mariage étant considéré dans le contexte de la
« tirer », « attirer », « mener », « étirer ». Il est ici employé dans comédie comme un « malheur », source de maints fâcheux
son second sens, celui de « conduire », au sens propre, en réa- ennuis.
lité, puisqu’il signifie ici « emmener comme femme chez soi », - Pour le mot «  ducat  », on se reportera à la définition de
d’où « épouser ». On sait en effet que, lors de la cérémonie ducam ci-dessus.

activité 3
Les mots latins appartenant au champ lexical de la rivalité et - « rumperis » G rompre, rupture
de la jalousie sont :
- « formosiorem » G forme, former, formation
- « rivalis » G « rival », « rivalité », « rivaliser », dérivé de « ru ».
- « pravessimus » G dépravé, dépraver, dépravation
- « invidiose » G envie, enviable
- « bellus » G belle, bel, bellâtre


182 Masculin, féminin
grammaire Le pronom personnel réfléchi p. 164-165 memento

G p. 186
L’observation, la compréhension, la mémorisation et le réinvestissement de la déclinaison du pronom personnel
réfléchi de troisième personne sont au programme de la classe de 3e. En 2de, il s’agit d’en revoir la morphologie et
d’en étudier la syntaxe.
Bien qu’il ne soit pas inscrit au programme de cette classe, nous avons abordé ce point dès la 2de, au chapitre 2 du
livre-cahier, dans le cadre de la leçon sur les pronoms personnels (p. 72). Une rubrique lui est également consacrée
dans le Memento du livre-cahier de 2de (p. 147).
Nous conseillons, en amont, de revoir la morphologie du pronom personnel, en français et en latin (leçon 3.6
p. 186), ainsi que la déclinaison, le sens et les emplois du pronom démonstratif is, ea, id (leçon 3.3 p. 185), afin qu’il
n’y ait aucune ambiguïté.

étape 1
• En français, les pronoms personnels qui reprennent les • En latin, les pronoms démonstratifs qui reprennent les
groupes nominaux soulignés sont respectivement  : «  la  », groupes nominaux soulignés sont respectivement  : eam,
« les » et « les ». Aucun d’entre eux ne désigne la même per- à l’accusatif féminin singulier, COD du verbe prehendit ; eas,
sonne que le verbe qu’il complète. à l’accusatif féminin singulier, COD du verbe odero ; et eos, à
l’accusatif masculin pluriel, COD du verbe vicimus.
étape 2
• Dans les phrases françaises, les pronoms en rouge renvoient • En latin, les pronoms personnels renvoyant au sujet princi-
respectivement à : « il » et « celui-là », à « Daphnis », et à « la pal de la phrase sont respectivement : se, sibi et se.
jeune fille ».

étape 3
• En français, les pronoms personnels réfléchis sont respecti- COD du verbe offert ; sibi, au datif masculin singulier, COI du
vement : « s’ », COD du verbe « offre » ; « à lui », COI du verbe verbe detrahat ; et se, à l’accusatif féminin singulier, COD du
« attire » ; et « se », COD du verbe « dire ». verbe dicere.
• En latin, les pronoms personnels réfléchis sont respective- • En français, « s’ » renvoie à « il », « à lui » à « un autre » et
ment : sese, forme renforcée à l’accusatif masculin singulier, « se » à « aucune femme ». En latin, se renvoie à meus ignis,
sibi à quis, et se à nulla mulier.

Réponses aux exercices


1. eos G se (acc.) 3. a) En latin, le pronom réfléchi est sibi ; il renvoie à qui amant
ejus G sui et est COI du verbe fingunt.
earum G sui En français, le pronom réfléchi est «  s’  » ; il renvoie à «  les
eis G sibi amoureux » et est COI du verbe « inventent ».
eo G se (abl.) b) En latin, les pronoms réfléchis sont sibi et se ; ils renvoient
eas G se (acc.) à rarae feminae ; sibi est COI du verbe fatentur, se est COD du
verbe dedecuisse.
2. a) « Leur » renvoie à « les femmes du XXIe siècle » ; il s’agit d’un
En français, les pronoms réfléchis sont « s’ » et « leur » ; ils ren-
pronom de rappel G eis en latin, COI du verbe « accorde ».
voient à « de rares femmes » ; « s’ » est COI du verbe « avouent »
b) « Lui » renvoie à « Properce » ; il s’agit d’un pronom de rap-
et « leur » est COI du verbe « convenir ».
pel G ei en latin, COI du verbe « rend ».
c) En latin, le pronom réfléchi est sibi ; il renvoie au sujet sous-
c) « S’ » renvoie à « Zeus » ; il s’agit d’un pronom réfléchi G se
entendu du verbe placeat, dont il est le COI.
en latin, COD du verbe « est métamorphosé ».
En français, le pronom réfléchi est « se » ; il renvoie au pronom
« S’ » renvoie à « Europe » ; il s’agit d’un pronom réfléchi G se
personnel « elle » et est COI du verbe « plaise ».
en latin, COD du verbe « est laissé ».
d) En latin, pronom réfléchi est sui ; il renvoie à optimus ille et
« lui » renvoie à « Zeus » ; il s’agit d’un pronom de rappel G eo
est complément du nom vindex.
en latin, complément d’agent du verbe « séduire ».
En français, le pronom réfléchi est « de lui-même » ; il renvoie
d) « L’ » renvoie à « sa future épouse » ; il s’agit d’un pronom de
à « celui-là » et est complément du nom « vengeur ».
rappel G eam en latin, COD du verbe « emmène ».
e) « L’ » renvoie à « Didon » ; il s’agit d’un pronom de rappel G 4. a) Tibulle a aimé Délie plus que lui-même et les siens.
eam en latin, COD du verbe « a abandonnée ». b) Chacun se plait à soi.
c) Le poète, quand il écrit, se réjouit de lui et s’admire
lui-même.

Masculin, féminin • 183


grammaire Le gérondif et l’adjectif verbal p. 166-167 memento

L’observation et la compréhension de la formation du gérondif et de l’adjectif verbal sont inscrites au programme


G p. 194
de la classe de 3e. Cependant, assez peu d’élèves, probablement, auront abordé ce point.
La formation de ces deux temps verbaux, facilement identifiables, ne posera pas de problème particulier. En
revanche, leurs emplois et la substitution de l’un par l’autre dans certains cas seront des points moins évidents.
N’oublions pas néanmoins que nous nous plaçons dans la perspective de la traduction du latin au français, et non
pas du thème ; c’est la raison pour laquelle nous avons essayé de simplifier au maximum cette page, en quatre
étapes et en lien avec la leçon de la p. 194.
Quant aux formes du degré de l’adverbe, également au programme de la classe de 3e, elles seront sans doute
mal connues des élèves. Pour aborder ce point, il ne sera probablement pas inutile de revoir les degrés de
l’adjectif qualificatif.

étape 1
• Les formes verbales correspondant aux mots soulignés en • Ces deux formes sont déclinées au génitif singulier ; amandi
français sont respectivement amandi et venandi. Leur point et venandi sont des compléments du nom.
commun est la fin du mot : -andi. • Amandi complète le nom ver, venandi complète le nom
studium.
étape 2
• L’adjectif verbal d’obligation est linquendum. Il se rapporte • Voici une traduction moins littérale de cette phrase  : «  Je
au mot cubiculum et son complément au datif est mihi. dois quitter le lit, puisque le Soleil est levé ».

étape 3
• Dans la première phrase, l’adjectif verbal d’obligation est • Voici une traduction littérale de ces phrases :
eundum ; il est accompagné de l’auxiliaire être au présent (est). « C’est une obligation d’aller à Rome. »
Dans la deuxième phrase, l’adjectif verbal d’obligation est
« C’était une obligation pour Jupiter d’aimer par la ruse. »
amandum ; il est accompagné de l’auxiliaire être à l’imparfait
(erat).

étape 4
• Jus faciendi testamenti.
memento
Les degrés de l’adverbe
G p. 183
• lev-e / lev-ius / lev-issim-e ; pulchr-e / pulchr-ius / pulcher-rim-e ; cit-e / cit-ius / cit-issim-e
• levius (plus légèrement) – levissime (très/le plus légèrement)
pulchrius (plus joliment) – pulcherrime (très/le plus joliment)
citius (plus vite) – citissime (très/le plus vite)

Réponses aux exercices


1. a) dolendo : à souffrir 4.
b) paenitendi : de regretter
c) cupiendum : (pour) désirer grave : gravius : plus gravissime : le
d) ascendendo : à monter lourdement lourdement plus lourdement
e) mancipando : en vendant durius : plus durissime : très
dure : durement
f) abominandum : (pour) repousser durement durement
2. a) amor reticendus : un amour devant être tenu secret acrius : plus acerrime : très
acre : amèrement
b) epistulas quaerendas : des lettres devant être cherchées amèrement amèrement
c) viris spectandis : pour/par des hommes devant être admirés optime : très bien,
d) deae colendae  : pour/d’une déesse devant être honorée ; bene : bien melius : mieux
excellemment
des déesses devant être honorées
g uxoribus capiendis : pour/par des femmes devant être prises 5. Pour les amants, les oiseaux chantent plus mélodieuse-
pour épouses ment qu’aucun art [ne peut le faire].
3. a) Il y a obligation pour moi de prendre les breuvages de la
marâtre Phèdre.
b) Pénélope resta vingt ans à attendre Ulysse.
c) Maintenant, à cause de toi, les yeux de ma belle, gonflés de
pleurs, rougissent.
d) Cette matrone n’a aucune crainte à réclamer, aucune
crainte à donner.


184 Masculin, féminin
grammaire Les comparatifs et superlatifs des adjectifs p. 168-169 memento
spécialité en -ilis, -dicus, -ficus, -volus G p. 183
Les comparatifs et superlatifs des adjectifs en -ilis, -dicus, -ficus et -volus, l’accusatif de relation et le génitif et
l’ablatif de qualité sont des points du programme de spécialité qui ne poseront pas de problème particulier :
la formation des comparatifs et superlatifs en -ilis, -dicus, -ficus et -volus est particulière, plus qu’irrégulière ; de
même, l’accusatif de relation, le génitif et l’ablatif de qualité sont des emplois particuliers de chacun de ces cas,
emplois qui ne sont pas difficiles à comprendre, mais dont il faut se souvenir.
En revanche, pour le premier point, il sera probablement nécessaire, au préalable, de rappeler quelle est la forma-
tion des comparatifs et des superlatifs des adjectifs dans les cas réguliers, ainsi que leur emploi et leur construc-
tion, qui ont été abordés au chapitre 2 du livre-cahier de 2de (voir leçons n°2.3 et 2.4 p. 182). C’est ce que per-
mettent également de faire les deux étapes que nous avons définies.
Une heure devrait suffire pour aborder ces trois points, construire une leçon à partir des exemples de la p. 168 et
manipuler des formes à travers les exercices.

étape 1
• Les adjectifs qui qualifient feminas, Venus et Quintiam sont respectivement maledicas, à l’accusatif féminin plu-
riel, benevolentissima, au nominatif féminin singulier, et graciliorem, à l’accusatif féminin singulier.
• Maledicas est un adjectif au positif, benevolentissima au superlatif, graciliorem au comparatif.

étape 2
• Dans la première phrase, benevolentiores est un adjectif au • Les mots qui complètent benevolentiores sont quam vires
comparatif, qui se rapporte au nom feminae. (nominatif masculin pluriel) ou viris (ablatif masculin pluriel).
Dans la deuxième phrase, difficillimi est un adjectif au super- Les mots qui complètent difficillimi sont amantium (génitif
latif, qui se rapporte aux noms Catullus et Lesbia. masculin pluriel) ou ex amantibus (ablatif masculin pluriel).
Dans la troisième phrase, magnifica est un adjectif au positif, Les mots qui complètent magnifica sont quam Venus (nomi-
qui se rapporte à Cynthia. natif féminin singulier).

memento
L’accusatif de relation
G p. 179
• La traduction de omnia est « sur tous les points », la traduction de pectus est « au cœur ».
• Omnia exprime l’ « objet » sur lequel porte l’accord entre mari et femme, pectus l’organe atteint par le sentiment
amoureux.
memento
Le génitif et l’ablatif de qualité
G p. 179
• Magni ingenii et summa prudentia sont des groupes nominaux constitués d’un adjectif et d’un nom commun :
le premier est au génitif neutre singulier, le second à l’ablatif féminin singulier.
• Ces deux groupes expriment deux qualités de l’homme en question.
Réponses aux exercices
1. e) Credo Augustum mentem faciliorem esse quam Claudium.
f) Credo Augustum beneficissimum e principibus esse.
magnificus magnificentior magnificentissimus
(magnifique) (assez (le plus magnifique) 4. Statura fuit prope justa, corpore maculoso et fetido, subflavo
magnifique) capillo, vultu pulchro magis quam venusto, oculis caesis et hebe-
tioribus, cervice obesa, ventre projecto, gracillimis cruribus, vali-
benevolus benevolentior benevolentissimus
tudine prospera.
(bienveillant) (assez (très bienveillant) - Sa taille était presque moyenne, son corps couvert de taches
bienveillant) et malodorant, son cheveu un peu blond, son visage beau
facilis facilior facillimus plus que gracieux, ses yeux pers et faibles, son cou enflé, son
(facile) (plus facile) (le plus facile) ventre rebondi, ses jambes grêles, sa santé robuste.
2. a) Philippus, vir summa nobilitate et summa eloquentia, mag- 5. Statura fuit prope justiore, corpore maculosissimo et feti-
num exercitum duxit. dissimo, subflaviore capillo, vultu pulcherrimo magis quam
b) Difficillimum est amicum solacere. venusto, oculis caesissimis et hebetioribus, cervice obe-
c) Manlius Torquatus dicitur priscae ac nimis durae severitatis. siore, ventre projectiore, gracilioribus cruribus, valitudine
On dit que Manlius Torquatus était d’une sévérité à l’ancienne prosperissima.
et assez dure.
6. a) Cela, j’en accuse l’amour.
3. a) Livia benedica est. b) Pour ce qui est de l’esprit et de la taille, Romulus était le
b) Livia nobilior est quam Cynthia. premier des Romains.
c) Livia nobilissima est Romanarum/ex Romanis. c) Énée s’arrêta et resplendit dans une claire lumière, sem-
d) Credo Neronem virum maledicum esse. blable aux dieux pour ce qui est du visage et des épaules.

Masculin, féminin • 185


r
L ' A T E L I E R du traducteu p. 170-171

Parité hommes-femmes ?
Cet atelier de traduction porte sur un passage nettement plus long que ce qui est attendu à l’épreuve de spé-
cialité en fin de première. Le genre narratif de la fable facilitera l’appréhension et la compréhension du sens.
De plus, aucune connaissance préalable n’est véritablement nécessaire pour comprendre le texte : le chapeau
introductif suffira.
Les différentes étapes seront une aide utile, notamment pour les élèves les plus fragiles. Cet atelier s’adresse
donc à tous ; il sera cependant opportun de pratiquer la différenciation : certains pourront se passer de l’étape 1,
d’autres non ; certains seront capables de traduire l’ensemble de la fable, d’autres non, et pourront s’arrêter à la fin
de l’étape 2. En effet, celle-ci est basée sur la méthode de traduction dite « boule de neige » : nous n’avons retenu
dans chaque phrase que les éléments essentiels du point de vue de la syntaxe et de la compréhension ; parfois
nous avons rétabli des mots ou des syntagmes sous-entendus, afin de faciliter la compréhension et la traduction.
L’étape 3 permettra d’identifier les passages non traduits et de les analyser à la lumière des autres éléments.

TRADUCTION
On dit que sur le mont Cyllène, Tirésias, fils d’Évèrès, un berger, frappa d’un bâton des dragons s’accouplant ;
ailleurs [on dit] qu’il les piétina ; pour cela il fut changé en femme ; ensuite, conseillé par des oracles, comme il
avait au même endroit piétiné des dragons, il retrouva son premier aspect. Au même moment, entre Jupiter et
Junon eut lieu une plaisante dispute : qui, en faisant l’amour, prenait le plus de plaisir, l’homme ou la femme ?
À ce sujet, ils choisirent Tirésias comme juge, lui qui avait l’expérience de l’un et l’autre. Celui-ci, comme il
avait rendu un jugement en faveur de Jupiter, Junon, en colère, d’un revers de main le rendit aveugle ; mais
Jupiter, pour cela, fit en sorte qu’il vive sept générations et qu’il soit un devin surpassant les autres mortels.

étape 1
L’ordre des étapes du récit est le suivant : [1] Tirésias frappa ou piétina des dragons accouplés.
[2] À cause de cela, il fut changé en femme. [3] Averti par un oracle, il piétina au même endroit les dragons et
[8] Mais Jupiter lui accorda deux faveurs. retrouva sa première forme.
[4] Au même moment, une dispute naquit entre Jupiter et Junon. [5] Lequel prend le plus de plaisir en amour  : l’homme ou la
[6] On choisit comme juge Tirésias, qui était doublement expert. femme ?
[7] Il se prononça en faveur de Jupiter ; Junon aveugla Tirésias.

étape 2
• Les verbes à la voix active sont : calcasset, redit, fuit, caperet, Les verbes à l’infinitif sont : percussisse, calcasse.
sumpserunt, judicasset, excaecavit, fecit, viveret, esset. • Les propositions subordonnées introduites par cum et ut
Les verbes à la voix passive sont : dicitur, conservus est, monitus sont  : cum dracones calcasset ; cum Tiresias secundum Jovem
est. judicasset ; ut septem aetates viveret et vates esset.
Voici la traduction littérale de chaque proposition :
Tiresias dracones dicitur baculo percussisse ; Tirésias est dit avoir frappé des dragons avec un bâton ;
alias Tiresias dracones dicitur calcasse ; ailleurs, Tirésias est dit avoir piétiné des dragons ;
Tiresias in mulieris figuram conversus est ; Tirérsias fut changé en forme de femme ;
postea, monitus est a sortibus : ensuite, il fut averti par des oracles :
cum dracones calcasset, redit in pristinam speciem. lorsqu’il eut piétiné les dragons, il revint à sa première
apparence.
Inter Jovem et Junonem fuit jocosa altercatio : Entre Jupiter et Junon eut lieu une plaisante discussion :
quis magis voluptatem caperet, masculus an femina ? qui prendrait le plus de plaisir, l’homme ou la femme ?
Jupiter et Juno Tiresiam judicem sumpserunt. Jupiter et Junon choisirent Tirésias comme juge.
Cum Tiresias secundum Jovem judicasset, Juno eum Comme Tirésias avait jugé en faveur de Jupiter,
excaecavit : Junon le rendit aveugle :
at Jupiter fecit ut septem aetates viveret et vates esset. mais Jupiter fit en sorte qu’il vive sept générations
et qu’il soit devin.


186 Masculin, féminin
étape 3
À cette étape, il reste les éléments suivants à repérer et à - De qua re G idem
analyser :
- qui utrumque erat expertus G proposition subordonnée
- In monte Cyllenio G CC de lieu relative dont l’antécédent est Tiresiam
- Everis filio, pastor G apposition à Tiresias - Is G pronom de rappel désignant Tirésias
- venerantes G participe présent complétant dracones - irata G participe parfait passif complétant Juno
- ob id G CC de cause reprenant la proposition précédente - manu aversa G CC de moyen
- in eodem loco G CC de lieu - ob id G CC de cause reprenant la proposition précédente
- eodem tempore G CC de temps - praeter ceteros mortales G groupe prépositionnel indiquant
- de re venera G groupe prépositionnel désignant le domaine qui Tirésias surpasse grâce au don de divination
dont on parle

r
L ' A T E L I E R du traducteu p. 172-173

Mon vœux le plus cher, c’est toi !


Nous proposons de traduire le début de la Troisième élégie des Juvenilia de l’humaniste Marc-Antoine Muret
(1526-1585), dont Montaigne fut l’étudiant, à Bordeaux, en 1547-1548. Il s’agit de distiques élégiaques dans le
registre lyrique, qui ne demandent pas de connaissances préalables particulières ; trois notes explicitant le sens
des mots les plus difficiles.
Pour préparer cette activité de traduction, il est possible de demander aux élèves d’enregistrer leur propre lecture
des huit vers, ou mieux, de les mémoriser et de les déclamer. La simple lecture, ou la mémorisation, permettra à
chacun de se familiariser avec le lexique, de s’approprier la structure, de repérer les effets stylistiques. Une bonne
lecture ou une bonne récitation impliquent également de comprendre, au moins globalement, le sens de l’ex-
trait. On se reportera à l’aide lexicale.
Nous conseillons, cette fois-ci, de suivre les étapes dans l’ordre que nous avons défini, logique et progressif.

TRADUCTION
Tu désires savoir quel serait le plus cher de mes vœux,
Et ce qu’avant tout je voudrais vivre, plût au destin ?
Non, moi, ce ne sont pas des palais appuyés sur des colonnes de Phrygie,
Ou mille lingots d’or opulent que je rechercherai,
Ni les coquilles que l’on peut trouver sur le rivage de l’Érythrée,
Ou les jugères1 que cent taureaux labourent,
Mais avec toi passer le temps d’une longue vie,
Et être sûr de toujours jouir de ton amour.
1. Nous conseillons d’expliciter le mot « jugères », probablement inconnu des élèves : « Unité de mesure de
superficie romaine, non connue exactement de nos jours et évaluée approximativement à vingt-cinq ares »
(CNRTL).

étape 1
• Les deux propositions subordonnées interrogatives intro- • Les deux autres compléments d’objet directs du verbe
duites par quae sont  : quae sit votorum summa meorum et petam sont repetendas conchas et jugera, antécédent du pro-
quae praecipue vivere sorte velim. Elles sont reliées par la nom relatif quae ; ils sont coordonnés par la conjonction aut.
conjonction et ; elles complètent l’infinitif scire. • Les deux verbes à l’infinitif qui complètent également petam
•La négation est non. Les deux compléments d’objet directs sont traducere et frui ; ils sont coordonnés par la conjonction
du verbe petam sont tecta innixa et pondera mille ; ils sont -que.
coordonnés par la conjonction aut.

étape 2
vivere : vivre littore : littoral G rivage
ego : moi longae : longue
columnis : colonnes tempora : temps
mille : mille amore : amour

Masculin, féminin • 187


étape 3
• Vers 1 : l’attribut du pronom interrogatif quae au nominatif • Vers 6  : le nom jugera est l’antécédent du pronom relatif
féminin singulier est summa, que complète le groupe nomi- quae, qui introduit la proposition quae centenus taurus aret.
nal au génitif pluriel votorum meorum. • Vers 8 : la fonction du pronom personnel me sous-entendu
• Vers 2 : le pronom quae à l’accusatif pluriel neutre peut être est sujet du verbe à l’infinitif frui ; il est qualifié par l’adjectif
traduit littéralement par « les choses que », « ce que ». securum.
• Vers 5 : repetendas est un adjectif verbal d’obligation décliné
à l’accusatif féminin pluriel, qui complète le nom conchas ; ce
mot signifie littéralement « devant être trouvés ».

étape 4
Cupis scire Tu désires savoir divitis auris, d’or opulent,
quae sit summa quelle serait le plus cher non [petam] conchas je ne rechercherai pas
votorum meorum de mes vœux les coquilles
et quae praecipue velim et les choses que surtout repetendas ab devant être trouvées sur le
je voudrais Erythraeo littore, rivage érythréen,
sorte vivere ? vivre grâce au destin ? aut jugera ou les arpents
Non ego mihi petam Moi, je ne rechercherai pas quae centenus
pour moi taurus aret, que cent bœufs labourent,
tecta innixa des palais appuyés sed tecum traducere mais passer avec toi
Phrygiis columnis sur des colonnes phrygiennes longae tempora vitae, les temps d’une longue vie,
aut mille pondera ou mille lingots securumque semper frui et, en sécurité, toujours jouir
tuo amore ; de ton amour.

étape5
Scire cupis, quae sit votorum summa meorum, Tu désires savoir quel serait le plus cher de mes vœux,
Et quae praecipue vivere sorte velim Et ce qu’avant tout je voudrais vivre, plût au destin ?
Non ego tecta mihi Phrygiis innixa columnis, Non, moi, ce ne sont pas des palais appuyés sur des
colonnes de Phrygie,
Divitis aut auri pondera mille petam, Ou mille lingots d’or opulent que je rechercherai,
Non ab Erythraeo repetendas littore conchas, Ni les coquilles que l’on peut trouver sur le rivage de
l’Érythrée,
Aut quae centenus jugera taurus aret, Ou les jugères que cent taureaux labourent,
Sed tecum longae traducere tempora vitae, Mais avec toi passer le temps d’une longue vie,
Securumque tuo semper amore frui. Et être sûr de toujours jouir de ton amour.


188 Masculin, féminin
folio
Présenter mon port p. 174-175

Que ce chapitre « Masculin, féminin » soit traité en début, en milieu ou en fin d’année de 1re, les élèves n’en seront
pas à leur premier portfolio, à moins qu’ils/elles ne soient grands débutants. Quoi qu’il en soit, on aura intérêt à se
reporter aux doubles-pages « Construire mon portfolio » des chapitres 1 à 3, dont la démarche se veut progres-
sive (p. 48-49, 90-91 et 132-133).
Nous mettons ici l’accent sur la présentation du portfolio, en deux volets : un support à remettre au professeur ;
une courte soutenance sur le projet.
Chaque élève doit faire le choix d’un type de présentation, sur support papier ou numérique, synoptique ou
chronologique : en fonction du diptyque et des pistes problématisées que l’on souhaite mettre en avant pour
confronter les œuvres retenues, on optera pour un panneau grand format, un livret de feuilles reliées entre elles,
un carnet, un diaporama, un livre numérique, une présentation numérique comme Prezi, une courte vidéo, ou
tout autre format, éventuellement hybride. On attendra un travail soigné et, de préférence, original, pour peu que
l’originalité soit au service du sens donné à la présentation.
Tous les choix devront être justifiés. C’est l’objet de la présentation orale, dans un deuxième temps. Même si
l’élève opte pour un format vidéo, il/elle devra présenter cet objet vidéo. L’objectif est d’apprendre à prendre du
recul par rapport à son travail et de prendre conscience qu’aucun élément ne doit être laissé au hasard.
Suggestion de diptyque sur le thème du droit des femmes
Nous proposons d’élaborer un diptyque « hybride » : un texte antique du Ier s. av. J.-C. et une œuvre composite
contenant texte et images, par exemple une planche de bande dessinée du XXIe s. Tite-Live rapporte ce qui
doit être l’une des premières manifestations de femmes (nous éviterons d’écrire « féministes », adjectif qui serait
anachronique) de l’histoire, au livre XXXIV de l’Ab Urbe condita. On invitera tout d’abord les élèves à lire in extenso
les chapitres 1 et 2 de ce livre, et de sélectionner un extrait qui, en latin, contiendra environ 300 mots ; ils/elles
pourront consulter le texte latin disponible sur le site Itinera electronica, dont ils/elles vérifieront ensuite atten-
tivement la leçon avec une édition de référence qu’on leur fournira (Classical Loeb Library ou Belles Lettres) ; ils/
elles devront être capables de justifier leur choix.
Ce texte antique fait échos à de nombreuses œuvres composites contemporaines, comme des planches de
bande dessinée, des calligrammes, des dessins de presse et, à la limite, des publicités, pour peu que leur qualité
graphique soit intéressante. On proposera aux élèves de choisir l’une des œuvres suivantes, à lire intégralement,
afin d’affiner leur choix :
- Marjane Satrapi, Persepolis, 2002 ;
- P. Bagieu, Culottées : des femmes qui ne font que ce qu’elles veulent, 2016 ;
- les calligrammes de Guillaume Apollinaire dans Poèmes à Lou.

a ÉTAPE 1 a ÉTAPE 3
On rappellera aux élèves que l’objectif est avant tout la per- La mise en page dépendra du support et du type de présen-
tinence et la clarté du propos, que doit permettre et soutenir tation. S’il est vrai que les éléments se mettent en place au
une présentation écrite et orale de qualité. fur et à mesure que progresse le travail de présentation, on
Il faudra distinguer les présentations synoptiques, qui favo- insistera sur le fait qu’il est nécessaire d’élaborer un plan au
risent la confrontation simultanée, des présentations chro- préalable, qui sera susceptible d’évoluer et de s’enrichir. On
nologiques, qui permettent de rendre compte des œuvres insistera également sur le fait que les supports devront être
successivement. On privilégiera les supports papiers, dont visibles sous différents angles, chacun de manière synop-
la présentation est souvent plus aboutie et originale. Si les tique et par des détails, afin de suivre un parcours de lecture
élèves souhaitent se lancer dans une présentation numé- de chacune des deux œuvres, parcours personnel et original
rique, on leur demandera de ne pas se contenter d’un diapo- qui devra être justifié.
rama trop simple, afin que ce travail soit l’occasion de décou- a ÉTAPE 4
vrir de nouvelles fonctionnalités numériques. Des tutoriels
La présentation orale ne sera pas une simple reprise de la
sont disponibles en vidéo sur Internet pour prendre en main
présentation écrite : elle est destinée à expliciter la démarche
les nouveaux logiciels.
de réflexion personnelle qui a sous-tendu l’élaboration du
a ÉTAPE 2 portfolio, à définir les étapes de la création, à justifier le choix
Il s’agit pour les élèves à la fois de faire une présentation des supports, à prendre de la distance critique par rapport au
générale des deux œuvres choisies, de leur auteur, des cir- produit fini.
constances de leur création, et de sélectionner des éléments
particuliers qui permettront d’illustrer la ou les pistes pro-
blématiser retenues. On ne demande pas de rendre compte
exhaustivement des œuvres, mais de n’en retenir que les
aspects et les détails qui seront intéressants pour la confron-
tation des supports choisis.

Masculin, féminin • 189


Proposition de critères d’évaluation
L’évaluation portera sur la réalisation finale et/ou sur le processus de l’élaboration du diptyque. Il sera pertinent de
définir une échelle descriptive à plusieurs niveaux, numérotés de 1 à 4, pour évaluer la présentation orale :
- niveau 1 : descriptif sans implication ;
- niveau 2 : descriptif ;
- niveau 3 : argumentatif ;
- niveau 4 : critique.
On pour ainsi évaluer :
- la réflexion de l’élève ;
- le contenu du portfolio ;
- sa structure formelle ;
- l’implication de l’élève.

faire le bilan du chapitre


Le sujet que nous proposons doit amener l’élève à s’approprier et à penser les thématiques, les supports, les
enjeux du chapitre. La rédaction de la Une d’un quotidien implique de présenter un sujet important d’un certain
point de vue, à travers le prisme, plus ou moins déformant, d’un parti pris, d’une personnalité, d’un mode de
pensée.
Nous conseillons de commencer par familiariser les élèves avec les éléments constitutifs d’une Une : bandeau,
manchette, oreilles, tribune, ventre, sous-tribune, rez-de-chaussée. Une activité de recherches pourra être menée ;
il est également possible, et peut-être plus pertinent, de lire différentes Unes de journaux afin d’en analyser les
contenus et les enjeux.
La Une traite d’un événement marquant de l’actualité, ou bien d’un anniversaire, de quelque nature qu’il soit. On
invitera donc les élèves à se renseigner sur les événements ou les « anniversaires » se rapportant à la thématique
« Masculin, féminin ». On initiera utilement les élèves à l’histoire du mouvement féministe, à ses réussites, ses
échecs, certaines de ses dérives, quand féminisme rime avec extrémisme, afin de compléter les références pro-
posées dans le chapitre.
Dans ce bilan, les élèves devront réutiliser un ou plusieurs supports proposés aux pages 136-175. On peut donc
imaginer de faire rédiger une Une traitant d’un événement survenu dans l’Antiquité : l’extrait de Tite-Live que
nous proposons comme œuvre pour le portfolio conviendra parfaitement.
On évaluera :
- la présentation de la Une et de ses différents éléments ;
- la pertinence du sujet traité et du titre choisi ;
- la qualité de la réflexion ;
- l’appropriation et l’utilisation des supports du chapitre.


190 Masculin, féminin
évaluation p. 176-177
vers le bac
Ah… les femmes !
Comme au chapitre 3, nous proposons un sujet conforme à ceux de l’épreuve de spécialité LLCA que passent les
élèves qui abandonnent cette spécialité en fin d’année : un texte d’environ 300 mots, suivi d’un passage à traduire
de moins de 50 mots. Nous avons choisi la traduction d’Olivier Sers, récente et moderne.
Cet extrait du Satiricon met en scène les affranchis parvenus de la société impériale au Ier s., étalant leurs biens,
qui ne sont pas toujours du meilleur goût. Au-delà de la satire des mœurs, l’auteur met en particulier en question
le statut de l’homme et de la femme et les relations entre maris et épouses, avec d’un côté le couple Trimalcion-
Fortunata, de l’autre le couple Habinnas-Scintilla. Ce texte s’inscrit donc dans les deux sous-thématiques sui-
vantes du chapitre 4, Masculin, Féminin : « Femmes et hommes » et « Amour, amours ». En effet, Trimalcion et
Habinnas représentent un aspect de la masculinité, le nouveau riche prêt à dépenser des fortunes pour que sa
femme puisse paraître ; Fortunata et Scintilla représentent un type de femme, l’épouse du nouveau-riche dont la
préoccupation première est justement de paraître. Il s’agit bien entendu de caricatures. La relation entre époux
est avant tout, ici, basée sur l’apparence et la « valeur » commune de l’argent.
À ce stade, nous conseillons de donner ce sujet à traiter dans les conditions de l’épreuve. Néanmoins, étant donné
qu’il s’agit d’un entraînement, on pourra également préparer la lecture en demandant aux élèves d’enregistrer
toute la traduction en français et le passage à traduire en latin. Pour préparer l’essai, on confrontera le texte de
Pétrone aux portraits de couples présentés aux p. 136-137 et 148, et à la caricature de Mix et Remix (p. 147), aux
extraits d’Amphitryon (p. 146), du Mythe de la virilité (p. 147), à l’inscription en l’honneur de l’épouse idéale (p. 156),
ou encore à la planche de bande dessinée de Manu Larcenet (p. 159).
partie 1
A. Lexique B. Fait de langue
Le mot dominus est employé sous la forme « domini » (l. 33), au • «  Illam  » et «  illa  » (l.  6 et 9) sont des formes du pronom
génitif masculin singulier : il est accompagné du déterminant démonstratif ille, illa, illud, respectivement à l’accusatif et au
possessif « mei » et complète le nom « beneficio ». Olivier Sers nominatif féminin singulier : « illam » est complément d’objet
traduit ce groupe de mots par « C’est un cadeau de Monsieur direct du verbe contracté « nosti » (l. 6) ; « illa » est le sujet du
Habinnas » (l. 39-40). verbe « discumbit » (l. 10). Ces deux mots désignent Fortunata,
épouse de Gaïus Trimalcion. Ils sont employés ici avec leur
Il y a probablement un jeu de mots ici. En effet, dominus est
valeur méliorative  : Habinnas, qui vient d’arriver chez son
employé ici aux quatrième et cinquième sens donnés par le
ami, s’enquiert de la femme de son hôte, qu’il flatte en la dési-
Gaffiot  : «  ami, amant  » et «  terme de politesse qui répond
gnant par ce pronom démonstratif, probablement pour une
au Monsieur des modernes ». Mais, dans le contexte des rela-
ou plusieurs de ses qualités (beauté, richesse, gentillesse ?),
tions hommes-femmes, le mot dominus peut également être
peut-être simplement pour faire un compliment poli.
pris en son premier sens : en tant que tuteur légal, le mari est
comme le maître de son épouse ; il est néanmoins employé ici • Aux lignes 29 à 34, « melior » et « meliora » sont deux formes
avec ironie : Fortunata mène son mari « par le bout du nez », du mot bonus au comparatif. Il s’agit d’un comparatif de supé-
en lui faisant dépenser des fortunes ; de ce point de vue, elle riorité irrégulier (voir notre tableau p. 183) formé à partir de la
est la bien-nommée « Fortunée », au sens propre et au sens racine mel/mol, commune aux mots de la famille de multus,
figuré, en latin comme en français. a, um et qui a donné « meilleur » en français. « Melior » est un
adjectif accordé au nominatif féminin singulier avec le nom
Pour rendre ces différentes nuances, nous proposons de tra-
propre « Scintilla », qu’il qualifie ; « meliora » est un adjectif subs-
duire « domini mei » par « mon homme », dont le niveau de
tantivé, décliné à l’accusatif neutre pluriel, complément d’objet
langue est conforme à la tonalité de l’extrait.
direct du verbe « habet » ; il reprend duo « crotalia » (l. 32).
La répétition de ce comparatif s’explique dans ce contexte
parce que les personnages du récit comparent leurs objets
de valeur, rivalisant les uns avec les autres pour savoir qui est
le plus riche. En l’occurrence, Scintilla affirme que ses pen-
dentifs sont les plus beaux (« nemo habet meliora »). « Melior »,
précédé de la négation « nec », est employé pour montrer que
Scintilla «  n’est pas meilleure  » que son mari, tous les deux
s’accordant à prouver que leurs bijoux sont les plus précieux.
partie 2
Choix 1
Deux points particuliers retiennent notre attention : Pendant ce temps, les femmes, outragées, riaient entre elles
- nous avons essayé de rendre le jeu sur les mots «  diligen- et, ivres, se donnaient des baisers, pendant que l’une vante
tia »/  «  indiligentia » en traduisant respectivement ces mots l’obligeance de la mère de famille, l’autre les amours et la né-
par « obligeance » et « négligence » ; gligence du mari. Et pendant qu’ainsi elles se lient d’amitié,
- dans la deuxième phrase nous avons conservé les temps uti- Habinnas discrètement se leva brusquement, prit les pieds de
lisés par l’auteur en latin, et l’anacoluthe. Fortunata et les envoya par-dessus lit. Oh ! Oh ! s’écria celle-
ci, sa tunique s’étant égarée au-dessus du genou.

Masculin, féminin • 191


Choix 2
De chapitre en chapitre, nous avons donné, en marge du travers laquelle Marjane Satrapi dénonce la mise en place du
choix n°2, des conseils permettant aux élèves de comprendre régime islamique après la chute du Shah. On relèvera en par-
les attendus de cet exercice nouveau pour eux, et d’acquérir ticulier, sur la dernière vignette de la planche que nous pro-
progressivement une méthode pour rédiger un essai. Nous posons, le jeu de contraste entre le noir et le blanc et le jeu
conseillons de relire les encadrés « Conseils » des p. 51, 93 et des regards.
135. Pour aller plus loin dans la définition de l’essai, nous rap- Comme amorce à l’introduction, nous proposons cette
pelons, avec Jean Starobinski, son étymologie : « Essai, connu citation du texte de Pétrone, dans la traduction d’Olivier
en français dès le XIIe siècle, provient du bas latin exagium, la Sers : « Il n’y aurait pas les femmes, on aurait tout au prix de
balance ; essayer dérive d’exagiare qui signifie peser. Au voisi- la gadoue, au lieu qu’aujourd’hui c’est rien qu’à pisser du
nage de ce terme on trouve examen : aiguille, languette sur le chaud pour picoler du froid », s’emporte Habinnas, l’un des
fléau de la balance, par suite, pesée, examen, contrôle. Mais convives. Cette phrase n’est pas sans rappeler un proverbe
un autre sens d’examen désigne l’essaim d’abeilles, la nuée contemporain empreint de misogynie : « L’homme pense, la
d’oiseaux. L’étymologie commune serait le verbe exigo, pous- femme dépense ». Attention cependant à ne pas commettre
ser dehors, chasser, puis exiger. Que de tentations si le sens d’anachronisme : la notion de misogynie n’existait pas dans
nucléaire des mots d’aujourd’hui devait résulter de ce qu’ils l’Antiquité ; dans le système viriarcal qui s’était lentement mis
ont signifié dans un passé lointain ! L’essai autant dire la pesée en place depuis des siècles, les relations hommes-femmes
exigeante, l’examen attentif, mais aussi l’essaim verbal dont on étaient fondées sur la toute-puissance masculine.
libère l’essor » (http://cache.media.eduscol.education.fr/file/
Cette phrase n’en est pas moins choquante parce que le per-
LCA/68/5/RA19_Lycee_G_1_LLCA_pratique-essai_exer-
sonnage qui la prononce utilise un langage familier, voire
cice-confrontation_1223685.pdf, consulté en mai 2020).
vulgaire, et qu’il représente l’homme grossier, qui ne pense
Plus particulièrement, nous nous concentrons ici sur un point qu’aux fonctions sensibles de l’être humain, pour ne pas
essentiel : comment citer et analyser les œuvres du corpus. dire charnelles : goûter les mets, regarder les femmes et leur
En s’appuyant sur un cas concret, on montrera aux élèves apparence physique, toucher les corps (comme le montre le
que, dans le cadre restreint des 500 mots autorisés, il est pos- passage à traduire) ; l’odorat et l’ouïe, dans le cadre du ban-
sible, et recommandé, de décrire et d’analyser un élément, quet entre convives qui se parent, sont également présents
un détail, ou deux, d’une ou plusieurs œuvres, dans chaque implicitement, sinon explicitement. Ces fonctions sensibles
sous-partie de l’argumentation. Prenons un exemple. Afin se réduisent à une préoccupation essentielle  : l’argent. Cet
de démontrer que le rapport de force et de domination des extrait du Satiricon, et la phrase que nous avons relevée par-
hommes sur les femmes a encore cours, on pourra s’appuyer ticulièrement, nous amène à nous interroger sur la nature et
sur une vignette de la bande dessinée Persepolis (p. 174), à les fondements de la relation homme-femme.

Proposition de plan :

1. « Je t’aime, moi non plus » : l’homme et la femme, meilleurs ennemis


A. L’attrait de la chair
- sensations et amour de l’apparence : Pétrone, Satiricon, 66-67.
B. Amour et désir
- l’attrait de la chair : Ovide, L’Art d’aimer, I, 135-156 ; Apulée, Les Métamorphoses, II, 10.
C. Les problèmes du genre
- amours interdites ? : Platon, Le Banquet, 191 ; Marcel Proust, Albertine disparue.

2. Masculin, féminin : pour une complémentarité des sexes


A. Éloge du mariage ?
- les jeux de l’amour et du mariage : Sarcophage des époux ; caricature de Mix et Remix.
B. Un rêve impossible
- l’irrémédiable séparation des êtres : Jean Anouilh, Eurydice, III.
C. Plaidoyer pour l’égalité des sexes
- pour une relation d’égale à égal : Olivia Gazalé, Le Mythe de la virilité.

critères d’évaluation
Partie 1 8 points
Lexique 3 points

Fait de langue 5 points


Partie 2
Choix n° 1 (Langue) 12 points
Choix n° 2 (Culture)


192 Masculin, féminin

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