02 Panorama Litt Francophone

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 106

Panorama

des littératures
francophones
d’Afrique

BERNARD MAGNIER
Préface
Présenter la richesse et la diversité des littératures africaines écrites en français, telle est
l’ambition de ce panorama qui a, selon la loi du genre, nécessité des choix. Le premier
de ces choix a été d’appréhender le continent dans sa globalité géographique en défiant
les habituelles partitions établies entre le Nord (essentiellement le Maghreb auquel il
convient d’adjoindre l’Égypte et la Libye souvent oubliées) et le Sud saharien. Le Sahara
n’est pas une frontière infranchissable en littérature et, dans leurs livres, les écrivains se
jouent des sables et des visas. Dès lors, il nous a semblé intéressant de croiser leurs mots.
Le mode de classement a également fait l’objet d’un choix. Nous avons éliminé l’ordre
alphabétique, certes garant d’impartialité mais qui n’offre guère d’intérêt si ce n’est une
certaine commodité apparente qu’un index permet aisément de retrouver. Le classement
par pays n’a, quant à lui, que peu de pertinence : il mettrait implicitement en avant une
forme de compétition nationaliste qui n’est pas de mise dans le domaine artistique.
Nous avons donc souhaité appréhender ces auteurs et leurs écrits en les présentant
selon un classement qui mêle l’approche thématique et la progression chronologique.
Sept thématiques et vingt-cinq subdivisions ont été retenues de façon à permettre des
regroupements significatifs, parfois inédits, entre des œuvres guidées par un même
élan. La perspective historique demeurant, par ailleurs, une donnée essentielle dans la
compréhension de ces littératures, si liées aux bouleversements géopolitiques qui ont
sévi sur ces terres depuis près d’un siècle. Ainsi, des origines (autour des années )
jusqu’aux plus récentes publications (début ), nous avons esquissé un parcours de
thèmes en thèmes tout en suivant les mutations de l’Histoire.
Offrir une image, la plus juste possible, de la qualité et de la diversité créatives du
continent, donner la plus grande visibilité aux voix les plus intéressantes ou les plus
novatrices et essayer de mettre en perspective, de permettre les rapprochements, de croiser
les regards, tels sont les objectifs qui ont guidé nos choix.
Nous avons envisagé la création littéraire dans la diversité de sa production en souhaitant
mêler les genres. Si le roman et la nouvelle constituent l’essentiel de cette sélection, nous
avons tenu également à associer la voix des poètes sans lesquels ces littératures ne seraient
pas ce qu’elles sont. Quelques pièces de théâtre, recueils de contes et légendes, bandes
dessinées et autres essais sont également présents car ils sont des maillons importants
dans l’histoire de ces littératures, dans l’approche d’une thématique, ou dans la
trajectoire d’un auteur.
Chaque titre est présenté en quelques lignes afin d’esquisser une intrigue, de suggérer une
ambiance, de mettre en avant une écriture. Les itinéraires biographiques des écrivains
donnent lieu à des présentations, les plus concises possible, dans lesquelles seuls les
éléments factuels les plus pertinents au regard de l’œuvre ont été retenus. La mention des
pays aux côtés des œuvres ne relève pas d’une pratique « douanière » – qui dans ce cas
manquerait de professionnalisme – mais se veut une indication sur le lien (naissance,
origines familiales, présence dans l’œuvre) entretenu par l’auteur avec ce pays.
Enfin, toujours guidé par le souci de conduire à la lecture, nous avons tenu compte de
l’accessibilité et de la disponibilité des ouvrages, afin d’offrir l’outil le plus pratique
possible.
 œuvres de près de  écrivains, voilà ce que propose ce panorama, cet instrument
de découverte qui entend donner une vision du continent africain au-delà des clichés si
souvent rebattus, répondre à l’urgence de mieux entendre et comprendre cette partie du
monde, susciter la curiosité, inviter à la rencontre d’œuvres singulières, à la découverte
du neuf et de l’ailleurs, au partage d’une émotion, d’un plaisir, d’une lecture !
Bernard Magnier
4

Panorama mode d’emploi Ne plus être photographiés


Histoires
Photographier… d’enfants, Si l’on excepte quelques rares pionniers qui les ont précédés, c’est essentiellement d
les années  que les écrivains africains ont fait leur apparition sur les rayons des
Ne plus être de femmes, bibliothèques. Pour l’essentiel, leur mission était alors d’af
photographiés de famille cette partie du monde qui avait été jusqu’alors absente si ce n’est au trav
déformant d’une lorgnette occidentale, souvent e
ont voulu donner à voir la vie quotidienne, la beauté des paysag

1 2 cultures, mais aussi dénoncer les pesanteurs auxquelles étaient soumises les société
En quelque sorte, les écrivains africains ne voulaient plus être les sujets d’observation
d’un regard extérieur, fût-il bienveillant ; ils ne v
se saisir de l’appareil, prendre eux-mêmes la phot
sommes ! »

SOM Au cœur des années 1990 :


MAIRE des guerres, un génocide,
des enfants-soldats
Les poètes
Aux sources À l’écoute
et le « je »

5
de l’oralité du quotidien
des mots

A
SUR CHAQUE UNE INVITATION

chapitre
PAGE,
4 NIVEAUX
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille B
MAIRE Famille je vous aime, famille je vous hais C 2 27 À LA LECTURE
TRANSVERSALE

˜
DE LECTURE A le bouton

˜ š
ALGÉRIE MAROC CAMEROUN

™
LEÏLA MAROUANE (NÉE EN 1960) « Sommaire » permet
du premier coup Ravisseur Cérémonie La transmission Leïla Marouane est née en Tunisie. Journaliste
en Algérie puis en France, elle vit à Paris depuis
de revenir au sommaire
d’œil, un repère Leïla Marouane Yasmine Chami-Kettani Eugène Ebodé 1991. Elle est l’auteur de plusieurs romans qui général de l’ouvrage
géographique, avec le 1998 (Pocket) 1999, Actes Sud 2002, Gallimard
mettent en scène des destins de femmes sou-
vent douloureux : Ravisseur, La Fille de la Cas-
et de circuler ensuite
nom du pays : bleu pour bah, La Jeune Fille et la mer (2005), Le Châ- de partie en partie
Parce que sa femme est allée voir Après son divorce, Khadidja revient Lors de son agonie, Karl Ebodé
le Nord du Continent, timent des hypocrites, La Vie sexuelle d’un
sa bru à la clinique dans un taxi en chez ses parents où elle retrouve demande à son fils d’accomplir ce islamiste à Paris. B en cliquant sur
du Maroc à l’Égypte ; compagnie de son voisin, Omar a sa cousine Malika. Elle y retrace qu’il n’a pas su ou voulu faire de son
jaune pour l’Afrique YASMINE CHAMI-KETTANI (NÉE EN 1967) le premier titre,
décidé de la répudier. Plus tard, son échec ponctué par son divorce. vivant : payer la dot de son épouse Née à Casablanca, Yasmine Chami-Kettani a le lecteur revient au

™
subsaharienne il souhaite la reprendre. Pour Malika est à l’écoute en proie à ses à sa belle-famille… Une occasion suivi ses études au Maroc puis à l’École nor-
cela, celle-ci doit, entre temps, propres doutes et d’autres ombres pour l’adolescent passionné de male de Paris. Anthropologue, elle a publié son début du chapitre
une entrée par se remarier, et être à nouveau féminines rodent sur les confidences football d’aller sur les traces d’un premier roman, Cérémonie, en 1999.
C en cliquant sur
ouvrage : titre, date de répudiée. Le mari va donc des deux cousines. Les deux jeunes père qui a servi de médecin auprès EUGÈNE ÉBODÉ (NÉ EN 1962)
échafauder un plan à la mesure de femmes évoquent les souvenirs, des maquisards et a été l’un des le deuxième, le lecteur
la première parution, Né à Douala, Eugène Ebodé est un ancien
sa colère. Mais tout ne se passera les drames du passé, le poids artisans de l’indépendance de son international de football junior. Il a poursuivi revient au début
maison d’édition ses études au Cameroun, au Tchad puis en
pas comme prévu dans ce roman à d’une société marocaine partagée pays, le « pays des crevettes », alias de la sous-partie
actuelle (entre l’intrigue burlesque et bouffonne entre les contraintes de l’hier et le Cameroun. Tout en s’interrogeant
France, où il réside depuis 1982. Diplômé en
sciences politiques et en sciences de la com-
parenthèses si elle n’est qui souhaite ainsi, avec un humour les incertitudes du lendemain. Un sur les devoirs de cette nouvelle munication et de l’information, il a exercé des D en fin de notice,
pas la maison d’édition corrosif, pousser à bout les limites premier roman en forme de huis charge, le jeune homme découvre fonctions de conseiller municipal et de direc-
le lecteur retrouve les
teur de cabinet dans la banlieue parisienne.
d’origine), notice de l’hypocrisie. clos familial. aussi les secrets, les frasques et les Il réside désormais à Nîmes. Essentiellement autres titres du même
de présentation de DU MÊME AUTEUR
conquêtes d’un héros paternel haut romancier, il est l’auteur d’une œuvre double,
auteur, pour circuler
publiée en deux temps et sous deux noms

šdans la colonne
l’ouvrage en couleurs.
La fille de la Casbah D différents. d’ouvrage en ouvrage

de droite, en regard,
la biographie de « Je n’ai aucun complexe à
l’auteur, permettant de
m’exprimer en français, l’essentiel
comprendre le contexte
étant pour moi, femme vivant en
›
et de replacer l’ouvrage Il est conseillé d’ouvrir cet ouvrage
dans le parcours de Algérie, de pouvoir m’exprimer, de
avec le logiciel Adobe Reader (get.
pouvoir dire ce que j’ai à dire. »
›au fil des pages, des
l’auteur adobe.com/fr/reader/). Sa fonction
Maïssa Bey
« Rechercher » permet de faire une
citations des auteurs recherche par mot-clé, par exemple
mentionnés dans par titre d’ouvrages – dont la liste
l’ouvrage qui évoquent alphabétique est reprise à la fin de
leur rapport à la langue
Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,
Institut français, octobre 2012
ce livret pour plus de commodité.
française

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
5

Histoires
Photographier… d’enfants, De la révolte
Ne plus être de femmes, Les traces aux lendemains
photographiés de famille de l’Histoire qui déchantent

1 2 3 4
SOM Au cœur des années 1990 :
MAIRE des guerres, un génocide, Afrique/Europe :
aller-retour ?
D’autres horizons
littéraires
des enfants-soldats

5 6 7
1

chapitre
SOM 6
MAIRE

Photographier…
Ne plus être photographiés
Si l’on excepte quelques rares pionniers qui les ont précédés, c’est essentiellement
dans les années  que les écrivains africains ont fait leur apparition sur les rayons
des bibliothèques. Pour l’essentiel, leur mission était alors d’affirmer une présence,
de dire cette partie du monde qui avait été jusqu’alors absente si ce n’est au travers
du prisme déformant d’une lorgnette occidentale, souvent exotique ou coloniale.
Ces précurseurs ont voulu donner à voir la vie quotidienne, la beauté des paysages,
la richesse des cultures, mais aussi dénoncer les pesanteurs auxquelles étaient
soumises les sociétés. En quelque sorte, les écrivains africains ne voulaient plus être
les sujets d’observation d’un regard extérieur, fût-il bienveillant ; ils ne voulaient plus
être photographiés mais se saisir de l’appareil, prendre eux-mêmes la photo et dire :
« Voilà comment nous sommes ! »

Les poètes
Aux sources À l’écoute
et le « je »
de l’oralité du quotidien
des mots
1

chapitre
SOM 7
MAIRE Photographier… Ne plus être photographiés

Aux sources ALGÉRIE SÉNÉGAL


JEAN AMROUCHE (1906-1962)
de l’oralité Chants berbères Les contes d’Amadou Né en Algérie dans une famille kabyle conver-
tie au catholicisme, Jean Amrouche com-
Très tôt, les écrivains africains de Kabylie Koumba mence ses études en Tunisie avant d’être élève
à l’École normale de Saint-Cloud. De retour au
ont tenu à transmettre la richesse Jean Amrouche Birago Diop Maghreb, il enseigne en Tunisie et en Algérie.
du patrimoine oral du continent. Il dirige la revue L’Arche  ; puis journaliste à la
1939 (Points Seuil) 1947 (Présence africaine)
Ainsi, entre les albums aux radio, il produit de nombreuses émissions lit-
téraires à Tunis, Alger et Paris où il est le pre-
illustrations séduisantes, parfois Des poèmes et des chants que le Un recueil traduit dans le monde mier à enregistrer des « entretiens » avec des
stéréotypées, qui présentaient journaliste a entendus auprès de sa entier réunissant des contes personnalités du monde des lettres. Outre son
une Afrique estampillée carte mère, Fadhma Aït Mansour, et que appartenant pour l’essentiel à la travail sur le patrimoine oral kabyle, il a éga-
lement publié plusieurs recueils de poèmes
postale et les publications savantes sa sœur, Taos, a chantés. Une part culture wolof. Dans un univers
(Cendres, Étoile secrète). Il est le fils de
aux transcriptions fidèles mais du patrimoine algérien transcrit, géographique décrit avec précision Fadhma Aït Mansour, elle-même auteur d’une
austères des Occidentaux, se sont traduit et présenté dans une version et où le surnaturel voisine avec autobiographie, Histoire de ma vie, et le frère
glissés des recueils de contes, bilingue selon un classement le réalisme des préoccupations de Taos Amrouche, auteur (Jacinthe noire, Le
Grain magique) et chanteuse, en particulier du
légendes, épopées, chants et thématique (chants d’exil, d’amour, matérielles immédiates, ces contes, répertoire traditionnel berbère.
textes traditionnels, réunis chants satiriques, du berceau, parfois plus proches de la fable,
par les poètes, romanciers et du travail, de méditation, des voire de la nouvelle, mettent en BIRAGO DIOP (1906-1989)
pèlerins, etc.). scène le bestiaire familier de la zone Né à Ouakam dans la banlieue de Dakar,
dramaturges. Tous ont tenu,
Birago Diop, s’il a gardé ses distances avec
dans les marges de leurs textes ou (Bouki-l’Hyène, Leuk-le-Lièvre, le mouvement de la Négritude, a participé à
dans des productions spécifiques, Diassigue-le-Caïman, etc.), mais la fondation de Présence africaine puis a été
à transcrire et traduire cette aussi les hommes, offrant ainsi une ambassadeur du Sénégal en Tunisie lors de
l’indépendance. Vétérinaire de formation, il a
part du patrimoine menacée de description de la vie traditionnelle consacré son œuvre littéraire à la collecte, à
disparition. Compagnons fabuleux et quelques leçons de sagesse la transcription et à la traduction de textes tra-
de ces histoires, les animaux, aux dispensées avec humour. ditionnels wolofs (Les Contes puis Les Nou-
veaux Contes d’Ahmadou Koumba, Contes
pouvoirs anthropomorphes ou et lavanes, Contes d’Awa, L’Os de Mor-Lam)
non, dans leurs confrontations et à la rédaction des cinq volumes de ses
avec quelques humains ou Mémoires. Également poète, il est l’auteur du
recueil Leurres et lueurs dans lequel se trouve
quelques archétypes (ogresses,
« Souffles », l’un des plus célèbres poèmes afri-
marâtres, génies, et autres reines cains francophones.
et fous) disent tout à la fois, avec
sagesse et malice, l’universalité
de la condition humaine et la très
grande diversité du Continent.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
1

chapitre
SOM Photographier… Ne plus être photographiés 8
MAIRE Aux sources de l’oralité

RDC SÉNÉGAL
PAUL LOMAMI-TSHIBAMBA (1914-1985)
Ngando
Paul Lomami-Tshibamba
La belle histoire Né à Brazzaville, Paul Lomami-Tshibamba a
vécu de part et d’autre du fleuve Congo, entre

de Leuk-le-Lièvre
les deux colonies belge et française, où il a
occupé divers emplois administratifs. Il a parti-
1948 (Présence africaine) cipé à plusieurs revues pionnières (La Voix du

Un enfant ayant fait l’école Abdoulaye Sadji et Léopold Sédar Senghor Congolais, Liaison) et a constitué une œuvre
dans laquelle le mystère et les forces surna-
buissonnière est emporté par 1953, Hachette turelles jouent un rôle de premier plan. Il est
considéré comme l’un des premiers écrivains
un crocodile (ngando) sur une
île. Dès lors, le monde surréel se Où l’on voit le rusé Leuk-le-Lièvre, personnage de la République démocratique du Congo, en
particulier avec Ngando, prix littéraire de la
mêle au quotidien, et le conte et emblématique, héros facétieux, malin et roublard du Foire coloniale de Bruxelles en 1948.
le merveilleux se trament avec le bestiaire des contes ouest-africains, déployer tous les ABDOULAYE SADJI (1910-1961)
roman, permettant la description
des lieux et la dénonciation des
stratagèmes pour se jouer des hommes, de la nature Né à Rufisque dans une famille maraboutique
au Sénégal, Abdoulaye Sadji est allé à l’école
agissements coloniaux. Un roman hostile et des animaux malveillants. Un album illustré qui coranique, puis à l’École William Ponty de
pionnier et charnière entre l’oralité est un « manuel de lecture destiné aux élèves du cours Gorée et à l’École normale d’instituteurs de
Saint-Cloud. De retour au Sénégal, il fait une
et l’écrit. élémentaire de l’Afrique noire » afin qu’ils apprennent les carrière d’inspecteur de l’Éducation nationale.
« rudiments de la langue française en puisant dans le trésor À ce titre, il écrit, avec Léopold Sédar Senghor,
La Belle Histoire de Leuk-le-Lièvre. Ses deux
des contes ». Un livre qui témoigne des soucis didactiques romans – Nini, mulâtresse du Sénégal (1947)
et Maïmouna – dénoncent la perte de repères
des auteurs et d’une incontestable volonté de rendre de la société africaine confrontée à l’agression
accessible au plus grand nombre – et tout particulièrement du modernisme occidental.

aux jeunes lecteurs – la richesse d’un patrimoine LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR (1906-2001)
jusqu’alors transmis par l’oralité. Né à Joal, au Sénégal, Léopold Sédar Senghor
est élève au Lycée Louis-le-Grand à Paris, puis
DU PREMIER AUTEUR agrégé de grammaire. Avec le Martiniquais
Maïmouna Aimé Césaire et le Guyanais Léon-Gontran
Damas, il élabore le concept de Négritude. Il
DU DEUXIÈME AUTEUR enseigne ensuite en France, puis en 1945, est
Œuvre poétique élu député à l’Assemblée nationale française
pour y représenter le Sénégal avant de devenir
le premier président de la République du Séné-
gal en 1960. Son œuvre, essentiellement écrite
avant les années 1960, est presque entière-
ment consacrée à la poésie. Il est élu à l’Aca-
démie française en 1983.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
1

chapitre
SOM Photographier… Ne plus être photographiés 9
MAIRE Aux sources de l’oralité

CÔTE-D’IVOIRE GUINÉE
BERNARD DADIÉ (NÉ EN 1916)

Le pagne noir Soundjata ou l’épopée


mandingue
Né à Assinie, fils d’un militant syndicaliste, Ber-
nard Dadié revient à Abidjan après des études
en Côte-d’Ivoire puis à Dakar où il est resté dix
Bernard Dadié ans. Il est arrêté et jeté en prison pour ses acti-
Djibril Tamsir Niane vités journalistiques. À l’indépendance, il tra-
1955, Présence africaine vaille au ministère de l’Éducation puis de l’In-
1960 (Présence africaine) formation avant de devenir ministre de la
Un recueil de seize contes du pays agni de Côte-d’Ivoire Conté à la manière d’un griot, à Culture. Son œuvre, en partie autobiogra-
dominé par Kacou Ananzé l’Araignée, personnage avare, partir des éléments de la tradition
phique (Climbié, Carnets de prison) est consti-
tuée de recueils de contes et légendes (Le
égoïste, au demeurant peu sympathique, craint des orale, le destin de Soundjata Pagne noir, Légendes africaines, Les Contes
de Koutou-As-Samala), de poèmes (Afrique
autres animaux, qui ne porte aucun signe zoologique Keita, né dans l’actuelle Guinée et
debout, La Ronde des jours), de chroniques
fondateur de l’empire mandingue au
de son espèce mais prend successivement l’aspect des e siècle, symbole d’une Afrique
faussement naïves sur Paris (Un Nègre à Paris),
Rome (La ville où nul ne meurt) ou New York
animaux les plus divers et jouit d’un anthropomorphisme conquérante, victorieuse et unie. (Patron de New York). Il est également un pion-
lui permettant de multiples apparences humaines.… L’une des figures historiques qui
nier du théâtre en Afrique : sa première pièce,
Les Villes, a été jouée à Paris en 1933 ; plus tard
Autant de qualités qui en font un être d’exception mais inspira le plus de textes littéraires. il a écrit Monsieur Thôgô-Gnini, Béatrice du
Congo, Les Voix dans le vent, Îles de tempête.
qui ne le mettent néanmoins pas à l’abri de nombreuses
déconvenues. DJIBRIL TAMSIR NIANE (1932-2008)
Né à Conakry, d’une mère malienne et d’un
DU MÊME AUTEUR père sénégalais, Djibril Tamsir Niane com-
Climbié
Un Nègre à Paris
« J’essaye de donner à mon français – qui mence ses études de lettres et d’histoire en
Guinée avant de les poursuivre à Dakar et Bor-
n’est pas du français de France – une deaux. De retour, il fait une carrière dans dif-
férentes fonctions de l’Éducation nationale.
coloration africaine, en y mêlant des Historien, il s’est attaché à mettre en avant les
grandes figures de l’histoire du continent, tant
proverbes, des récits. J’utilise la langue dans un manuel, Histoire de l’Afrique occiden-
tale, que par des œuvres narratives, Soundjata
française, en lui appliquant une réaction ou l’épopée mandingue, Sikasso ou la dernière
citadelle, et Chaka pour le théâtre.
mandingue. »
Massa Makan Diabaté

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
1

chapitre
SOM Photographier… Ne plus être photographiés 10
MAIRE Aux sources de l’oralité

MALI TUNISIE
AMADOU HAMPÂTÉ BÂ (1900-1990)

Kaïdara L’ogresse
Nacer Khemir
Né à Bandiagara, en pays dogon, dans une
famille peule, Amadou Hampâté Bâ est, en
tant que fils de chef, envoyé à l’école française.
Amadou Hampâté Bâ Il se rend à Djenné, Kati, Bamako puis Dakar
1975 (Syros) à l’École Normale William Ponty. Il occupe
1969, Les Classiques africains, 1977 Éditions NEA ensuite diverses fonctions dans l’administra-
Autour du personnage de l’ogresse, tion coloniale en Haute-Volta puis au Mali. En
Voyage initiatique de trois personnages vers le « lointain et tour à tour bienveillante ou 1942, il rejoint l’Institut français d’Afrique noire.
proche pays de Kaïdara ». L’un d’eux parviendra à vaincre méchante, le conteur et cinéaste À l’indépendance, il exerce un rôle d’intermé-
diaire entre son pays et le Sénégal puis est élu
toutes les adversités, à se jouer des rencontres et déjouer tunisien a réuni sept contes au Conseil exécutif de l’Unesco en 1962. À par-
bilingues (arabe-français), tir de 1970, il se consacre à son œuvre, publie
les pièges, à faire preuve de probité et ainsi mériter la calligraphiés et illustrés, dans un récit, L’Étrange Destin de Wangrin en 1974,
connaissance. De ce conte initiatique, Amadou Hampâté lesquels le merveilleux fait partie du
puis Vie et enseignement de Tierno Bokar,
le Sage de Bandiagara, en 1980, ainsi que la
Bâ a fait plusieurs versions, en vers ou en prose, tantôt quotidien et l’accès au fantastique transcription et traduction de nombreux textes
savantes et bilingues à l’usage des initiés, tantôt accessibles est à portée d’imaginaire. traditionnels (Kaïdara, Koumen, Djeddo Dewal,
mère de la calamité). Il travaille aussi à la
à un plus large public et parfois destinées aux jeunes rédaction de ses Mémoires qui seront publiés
après sa mort.
lecteurs.
NACER KHÉMIR (NÉ EN 1948)
DU MÊME AUTEUR
Né à Korba en Tunisie, Nacer Khémir est un
Amkoullel l’enfant peul
artiste pluridisciplinaire. Conteur, il exerce son
L’étrange destin de Wangrin
talent avec des publications calligraphiées et
Oui mon commandant !
illustrées, destinées à un public adulte ou pour
de jeunes lecteurs (L’Alphabet des sables, Le
Conteur des conteurs) mais aussi sur scène
« Le français peut être considéré comme et devant des publics variés, parfois avec des
performances, ainsi ces 25 heures de récit
une langue extérieure mais j’ai créé des Mille et une nuits au Théâtre de Chaillot à
Paris. Sculpteur, il expose dans divers musées.
ma langue d’écrivain à l’intérieur Cinéaste (Les Baliseurs du désert), il a réalisé
plusieurs longs métrages.
de la langue apprise. »
Mohammed Dib, entretien avec Hugo Marsan, La Vie

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
1

chapitre
SOM Photographier… Ne plus être photographiés 11
MAIRE Aux sources de l’oralité

ALGÉRIE CAMEROUN CÔTE-D’IVOIRE


RABAH BELAMRI (1948-1995)
Les graines La Lune dans un seau Reine Pokou Né à Bougaâ, Rabah Belamri a fait ses études
à Sétif. Devenu aveugle en 1962, il poursuit
de la douleur tout rouge Véronique Tadjo néanmoins des études de lettres en Algérie et
en France, et s’intéresse tout particulièrement
Rabah Belamri Francis Bebey 2005, Actes Sud à l’œuvre de Jean Sénac. Venu à Paris en 1972,
il a consacré la quasi-totalité de son œuvre à la
1982, Publisud 1989, Éditions Sépia La reine Pokou a sacrifié son enfant poésie (L’olivier boit son ombre, Corps seul), à
Princesses et ogresses, sultans et Deux types de textes dans ce pour sauver son peuple : telle est l’évocation de son enfance et de sa jeunesse,
dans des récits autobiographiques (Le Soleil
forgerons, marâtres et orphelins recueil : les « dicontes », directement la légende fondatrice de la Côte-
sous le tamis, Chronique du temps de l’inno-
sont au générique de ces dix issus de la tradition collective d’Ivoire. Sur cette trame légendaire cence) et à la collecte de textes oraux, qu’il
contes de l’Est algérien réunis par orale et destinés à être dits, et les et au regard des événements qui a transcrits et traduits afin de les offrir à des
ont déchiré son pays, la romancière publics divers.
l’écrivain et conteur Rabah Belamri « diracontes », d’inspiration plus
qui a consacré une large partie de récente, qui sont l’œuvre d’un élabore une série de variations. Et FRANCIS BEBEY (1929-2001)
son œuvre à la transcription des seul et destinés à être lus. Tous si la reine Pokou n’avait pas tué Né à Douala, Francis Bebey s’intéresse tout
textes traditionnels (L’Âne de Djeha, réunis par le romancier et chanteur son enfant ? Et si la reine s’était d’abord au journalisme et travaille à la radio
sacrifiée à la place de son fils ? Et si au Cameroun, puis à Paris, à partir du début
L’Oiseau et le grenadier). camerounais à la croisée des des années 1950. Il publie en 1967 son premier
cultures. la reine s’était enfuie ? Une relecture roman, Le Fils d’Agatha Moudio, puis enre-
DU MÊME AUTEUR
de la tradition opérée en , au gistre un premier disque en 1972. À partir de
Mémoires en archipel
Regard blessé
DU MÊME AUTEUR
moment où le pays se déchirait, 1974, il se consacre à la création, essentielle-
Le fils d’Agatha Moudio ment musicale, et se produit sur les scènes du
menaçant son unité. monde entier tout en poursuivant la publica-
tion de romans (Embarras et Cie, Trois Petits
DU MÊME AUTEUR
Cireurs) et de textes inspirés par la tradi-
Loin de mon père
tion orale (La Lune dans un seau tout rouge,
L’ombre d’Imana
L’Enfant-pluie).

VÉRONIQUE TADJO (NÉE EN 1955)


Née à Paris d’un père ivoirien et d’une mère
française, Véronique Tadjo a vécu son enfance
et son adolescence à Abidjan. Elle y a ensei-
gné à l’université, avant de vivre aux États-Unis,
au Mexique, en Angleterre et au Kenya, puis de
s’installer à Johannesburg où elle enseigne la
littérature à l’université de Witwatersrand. Tout
en constituant une œuvre amorcée avec Laté-
rites en 1984 et destinée au public adulte, elle
est l’une des premières femmes africaines à
souhaiter consacrer une partie de son travail
aux jeunes lecteurs avec des albums dont elle
assure souvent elle-même l’illustration.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
1

chapitre
SOM Photographier… Ne plus être photographiés 12
MAIRE Aux sources de l’oralité | À l’écoute du quotidien

CONGO À l’écoute ALGÉRIE


ALAIN MABANCKOU (NÉ EN 1966)
Mémoires du quotidien La colline oubliée Né à Pointe-Noire, Alain Mabanckou a fait des
études de droit à Brazzaville puis à Paris, où
d’un porc-épic En réponse aux nombreuses études, Mouloud Mammeri  il exerce la profession de conseiller juridique
pour La Lyonnaise des Eaux pendant dix ans.
Alain Mabanckou journaux de voyages, comptes 1952 (Folio) D’abord poète, il publie son premier roman,
rendus d’expéditions et autres Bleu Blanc Rouge, en 1998. En 2001, il part
2009, Seuil Dans son village de Kabylie,
documentaires ethnographiques et pour une résidence d’écriture aux États-Unis. Il
Kibandi, jeune homme doué d’un fictions romanesques écrits par des Mokrane vit son existence d’enfant enseigne aujourd’hui au département d’études
francophones de l’université de Californie-
pouvoir de dédoublement animalier Occidentaux, écrivains, voyageurs, de paysan lorsque l’irruption du
Los Angeles. Il a reçu en 2006 le prix Renau-
héréditaire et aux intentions fort journalistes et/ou représentants à monde moderne et de l’ordre dot pour son roman Mémoires de porc-épic,
malveillantes, a choisi de perpétrer des titres divers de l’appareil colo- colonial, l’imminence de la et est devenu l’un des auteurs-phares de ces
Seconde Guerre mondiale et littératures.
ses méfaits en utilisant les talents nial, les écrivains africains ont sou-
(et plus précisément les piquants !) haité, en utilisant leurs mots, offrir l’embrigadement des hommes pour MOULOUD MAMMERI (1917-1989)
d’un porc-épic. Devenu son double leur propre regard, leur propre mise un combat qui leur paraît pourtant Né à Taourit-Mimoun, Mouloud Mammeri,
et l’exécuteur de ses basses œuvres, en scène des faits et gestes de leurs bien lointain vont bouleverser à revient en Algérie après un séjour à Rabat, et
jamais un quotidien tranquille qui commence des études qu’il poursuit à Paris.
l’animal se charge aussi d’être compatriotes. Mobilisé pendant la Seconde Guerre mon-
le conteur romanesque de leurs En se saisissant de l’outil littéraire, paraissait immuable... diale, il participe à plusieurs campagnes mili-
meurtrières et cocasses aventures. taires. En 1952, il publie son premier roman, La
ils ont donné à voir ce continent DU MÊME AUTEUR
Colline oubliée, et doit quitter l’Algérie pour le
Un roman qui valut à son auteur le dans la multiplicité de ses cultures. L’opium et le bâton Maroc en 1957. Il revient en Algérie lors l’indé-
prix Renaudot en . Ils ont permis de montrer que pendance et se consacre, non sans difficultés,
l’Afrique est un continent, et que la à l’enseignement et à la reconnaissance de la
DU MÊME AUTEUR langue et de la culture berbères. Il meurt en
Bleu blanc rouge géographie, l’histoire, les religions, 1989 dans un accident de voiture qui a suscité
Demain j’aurai vingt ans les langues, les colonisations, les des controverses.
Verre cassé régimes politiques ont fait de ces
lieux des terres diverses. Ces pre-
miers textes, écrits dans une langue
classique et de toute évidence essen-
tiellement destinés à des lecteurs oc- « La langue française :
cidentaux – les notes et explications, un mariage forcé devenu
superflues pour un lectorat africain, un mariage d’amour. »
en témoignent – ont souvent donné,
Jean-Marie Adiaffi
dans un premier temps, une vision
très politiquement correcte, sans
engagement ni dénonciation expli-
cite, en particulier du processus
colonial.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
1

chapitre
SOM Photographier… Ne plus être photographiés 13
MAIRE À l’écoute du quotidien

ALGÉRIE SÉNÉGAL CONGO


MOHAMMED DIB (1920-2003)
La grande maison Le mandat Tribaliques Né à Tlemcen, Mohammed Dib exerce tout
d’abord en Algérie comme instituteur puis tra-
Mohammed Dib  Ousmane Sembène Henri Lopes vaille aux Chemins de fer où il sert d’interprète
aux forces alliées pendant la Seconde Guerre
1952, Seuil 1966, Présence africaine 1971 (Pocket) mondiale. Il publie son premier poème en
1947, travaille en tant que journaliste à Alger
Omar, orphelin de père, vit avec À Dakar, un vieil homme a reçu Un recueil de nouvelles composé Républicain puis publie, en 1951, La Grande
sa mère, qui élève seule ses un mandat et, dès lors, les ennuis comme une recension critique des Maison, premier volume de sa trilogie « Algé-
rie ». En 1959, il quitte l’Algérie pour la France
trois enfants, et la grand-mère, s’accumulent. Sa femme commence maux qui gangrènent la société
où il constitue une œuvre abondante et renou-
impotente. Le jeune garçon, qui à dépenser avant même qu’il ait congolaise (et plus généralement velée, alternant poésie (Feu beau feu), théâtre
souffre de la faim et voit l’existence touché le montant, l’administration africaine) des premières années et surtout nouvelles et romans (Habel, La Nuit
misérable réservée aux plus pauvres se montre tatillonne et inquisitrice de l’indépendance : le mariage sauvage, L’Infante maure).

de son pays, est déchiré entre la au point de l’empêcher de percevoir imposé par les parents, le double OUSMANE SEMBÈNE (1923-2007)
résignation prônée par sa tante et l’argent, de nombreux parasites langage d’un politicien – altruiste et Né à Ziguinchor au Sénégal, Ousmane Sem-
la révolte suggérée par le maître s’empressent d’en convoiter les féministe dans ses discours publics, bène est un autodidacte qui a été maçon à
d’école… avantages. Tout ceci avant que son dominateur et misogyne en privé –, Dakar et docker à Marseille, puis s’est consacré
à la littérature et au cinéma, après avoir suivi
neveu malveillant ne le trompe et ne la dénonciation de la torture et des une formation à Moscou. Militant syndicaliste,
DU MÊME AUTEUR
L’incendie le dépossède de son bien… erreurs judiciaires, les difficultés il a gardé de son expérience du monde du tra-
Neiges de marbre et les limites du militantisme, les vail un attachement pour les luttes ouvrières
DU MÊME AUTEUR et l’engagement politique dont témoignent ses
Si Diable veut
Les bouts de bois de Dieu compromissions économiques et romans et nouvelles (Le Docker noir, Les Bouts
Le docker noir politiques, la lâcheté d’un ouvrier de bois de Dieu, Niiwam) et ses films : Xala,
Xala qui préfère demeurer à l’étranger, Ceddo, Camp Thiaroye, Moolaadé ou encore
Borom Sarret, premier moyen métrage africain
délaissant sa fiancée restée au francophone de fiction réalisé en 1963.
pays… Des nouvelles qui s’attachent
à dénoncer l’archaïsme de certaines HENRI LOPES (NÉ EN 1937)
pratiques traditionnelles ou de Né à Léopoldville, au Congo belge, Henri
Lopes fait sa scolarité à Brazzaville (Congo
certains faits de société, sans pour français) puis des études de lettres et d’his-
autant épargner les comportements toire en France. En 1965, il rejoint Brazzaville
individuels. et le Congo devenu indépendant, où il devient
successivement ministre de l’Éducation natio-
DU MÊME AUTEUR nale, des Affaires étrangères, des Finances
Le chercheur d’Afriques et, enfin, Premier ministre. En 1982, il devient
Le pleurer-rire directeur de la Culture à l’Unesco, à Paris, puis
ambassadeur du Congo en France. En paral-
lèle, il publie plusieurs romans à la suite de son
recueil de nouvelles Tribaliques.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
1

chapitre
SOM Photographier… Ne plus être photographiés 14
MAIRE À l’écoute du quotidien

CÔTE-D’IVOIRE MALI DJIBOUTI


JEAN-MARIE ADIAFFI (1941-1999)
La carte d’identité Le lieutenant de Kouta Le pays sans ombre Né à Bettié en Côte-d’Ivoire, Jean-Marie Adiaffi
a fait des études de cinéma et de philosophie
Jean-Marie Adiaffi Le coiffeur de Kouta Cahier nomade en France. Rentré en Côte-d’Ivoire, il enseigne
et se consacre à son œuvre littéraire. Poète
1980, Hatier Le boucher de Kouta Abdourahman A. Waberi (D’éclairs et de foudres, Galerie infernale), il
est surtout reconnu pour son roman La Carte
Un prince agni, Mélédouman
(nom qui signifie « on a falsifié
Massa Makan Diabaté 1994 et 1996, Le Serpent à plumes d’identité. Volontiers iconoclaste, il revendique
une écriture éclatée mêlant les genres litté-
mon nom »), est arrêté par le 1979, 1980, 1982, Hatier Deux recueils de textes courts raires. Il est aussi l’auteur d’un livre destiné aux
comme autant de petites touches jeunes lecteurs, La Légende de l’éléphanteau.
commandant de cercle car il n’est Situés dans un même lieu, faisant
pas en possession de sa carte pointillistes, permettant de dresser
apparaître quelques personnages MASSA MAKAN DIABATÉ (1938-1988)
d’identité. Emmené en prison, il est une fresque impressionniste et Né à Kita, Massa Makan Diabaté fait ses études
récurrents, ces trois romans consti-
interrogé, rendu aveugle à la suite donnant, peu à peu, la mesure en Guinée et en France. De retour au Mali, il
tuent une trilogie romanesque dont enseigne puis occupe divers postes à respon-
de tortures, puis libéré et condamné d’un espace géographique plus
les intrigues, totalement distinctes, sabilité dans l’administration. Issu d’une famille
à retrouver son document dans vaste que le seul pays djiboutien de griots, il consacre une large partie de son
offrent une chronique de la vie quo-
les sept jours. Il s’ensuit une de l’auteur. Une vision poétique œuvre à la transcription et à la traduction de
tidienne d’une petite ville du Mali : textes traditionnels (Janjon et autres chants
véritable quête… d’identité, qui mais sans concession de cette terre,
un lieutenant, de retour des guerres populaires du Mali), qu’il a parfois adaptés
mènera le héros malheureux entre souvenirs des gens et des pour le théâtre (Le Lion à l’arc). Outre sa tri-
coloniales, revenu s’installer dans
vers divers personnages qui sont lieux, échos souvent tragiques de logie romanesque (Le Lieutenant, Le Coiffeur,
sa ville d’origine, qui impressionne
autant de rencontres et de sujets l’actualité et dénonciation des maux Le Boucher de Kouta), il est également l’au-
par son passé militaire, mais que teur d’un récit d’une circoncision, Comme une
de doute, d’incompréhension et qui gangrènent la société.
son comportement rend très impo- piqûre de guêpe.
d’interrogations. pulaire et dont l’aura sera ternie DU MÊME AUTEUR
ABDOURAHMAN A. WABERI (NÉ EN 1965)
par une morsure de chien fort mal Aux États-Unis d’Afrique
Né à Djibouti (alors Côte française des Somalis,
Balbala
placée ; l’installation, à l’ombre d’un dernière colonie française à obtenir son indé-
grand arbre, d’un nouveau « salon » pendance en 1977), Abdourahman Ali Waberi
quitte son pays en 1985 afin de poursuivre ses
de coiffure, lieu propice à la confi- études en France. Après des études de lettres
dence et aux querelles de minarets, anglophones sur l’œuvre du Somalien Nurud-
qui bouleverse la quiétude de la din Farah, il enseigne l’anglais en Normandie
avant de se consacrer à l’écriture et de rési-
ville ; un boucher rebelle aux pra- der à Berlin, puis aux États-Unis (Boston) et en
tiques fiscales en cours qui, durant France. Son œuvre est constituée de recueils
une famine survenue lors d’un coup de poèmes, de nouvelles et de romans (Bal-
d’État, fait une lecture très person- bala, Transit, Passage des larmes).

nelle des textes religieux afin de


nourrir ses clients et… de s’enrichir.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
1

chapitre
SOM 15
MAIRE Photographier… Ne plus être photographiés

Les poètes et SÉNÉGAL


LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR (1906-2001)
le « je » des mots
Sans doute parce que leur art
Œuvre poétique Né à Joal dans une famille de notables, après
une scolarité au Sénégal, Léopold Sédar Sen-
ghor se rend à Paris, est élève au Lycée Louis-

revendique assez naturellement


Léopold Sédar Senghor le-Grand et devient agrégé de grammaire.
Durant cette période, avec le Martiniquais
une voix plus intime, il est 1990, Seuil Aimé Césaire et le Guyanais Léon-Gontran
souvent bien délicat de classer les Damas, ils élaborent le concept de Négritude.
œuvres des poètes et de placer un
Une somme (« la version définitive de mes poèmes ») Il enseigne ensuite en France, puis est fait pri-

recueil tout entier dans une seule réunie par l’auteur lui-même, qui restitue une trajectoire sonnier pendant la guerre. En 1945, il s’en-
gage en politique, est élu député à l’Assemblée
thématique. Incontestablement poétique sans doute fortement concurrencée par l’exercice nationale française pour y représenter le Séné-
gal, participe à la création de Présence Afri-
à l’avant-garde de cette prise de du pouvoir. Les titres des recueils donnent un aperçu des caine et réunit son Anthologie de la nouvelle
parole du Continent, les poètes
thématiques abordées par celui qui, à défaut d’être le poésie nègre et malgache. En 1960, il devient
ont, souvent très jeunes, livré, le premier président de la République du Séné-
haut et fort, la puissance de leur plus lu, demeure le plus célèbre des écrivains africains gal et le reste jusqu’en 1980. Son œuvre, essen-

« je ». Ils ont été les premiers à francophones : Chants d’ombre (1945) ou l’affirmation tiellement écrite avant les années 1960, est, à
l’exception des cinq volumes d’essais intitulés
affirmer une parole indépendante poétique de la Négritude, Hosties noires (1948) en Liberté, exclusivement consacrée à la poésie. Il
et personnelle, singulière dans hommage aux combattants africains de la Seconde Guerre
est élu à l’Académie française en 1983.
un contexte où le « nous » était
de mise et où la mission de mondiale, Éthiopiques (1956) et le retour sur le continent,
porte-parole avait été volontiers Nocturnes (1961), Lettres d’hivernage et ses accents plus
acceptée voire revendiquée. Ils amoureux et intimes (1972), enfin, les Élégies majeures
sont ici cinq poètes, choisis pour composées pour des êtres aimés, Colette sa femme,
l’excellence de leurs œuvres et pour
le rôle emblématique, pionnier,
Philippe-Maguilen leur fils disparu, Martin Luther King,
exemplaire, qu’ils ont joué Georges Pompidou. Une écriture incontestablement
auprès de leurs cadets : Léopold « métisse » et revendiquée comme telle par le poète.
Sédar Senghor le Sénégalais DU MÊME AUTEUR
revendiquant son métissage La belle histoire de Leuk-le-Lièvre
culturel, Edmond Jabès, l’Égyptien
passeur de cultures, Kateb Yacine, « J’écris en français, je
le poète algérien aux fragments pense en négro-africain. »
étoilés, Tchicaya U Tam’si le Léopold Sédar Senghor, Liberté  Seuil, 
« Congaulois » très influencé par
Rimbaud, Abdellatif Laâbi le
Marocain au « souffle » rebelle.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
1

chapitre
SOM Photographier… Ne plus être photographiés 16
MAIRE Les poètes et le « je » des mots

ÉGYPTE ALGÉRIE
EDMOND JABÈS (1912-1991)
Le Seuil, Le Sable,
Poésies complètes
Soliloques Né au Caire dans une famille juive, Edmond
Jabès publie très tôt, dès 1929, ses premiers
recueils. Il doit quitter l’Égypte en 1956 et s’ins-

Edmond Jabès L’Œuvre en fragments talle à Paris où il demeure jusqu’à sa mort.


Homme de rencontres et passeur de cultures,
il noue, tout au long de sa vie, des amitiés créa-
1943-1988, Gallimard Kateb Yacine tives avec des écrivains et des artistes. Poète
exigeant et discret, il bâtit une œuvre singu-
Un demi-siècle de poésie réuni 1946 (Éditions Bouchène) et 1986, Sindbad lière, ponctuée de deux livres inclassables,
en un seul volume et en deux Le Livre des questions et Le livre des ressem-
ensembles. Un premier (Le Seuil) La poésie et sa puissance insurrectionnelle sont au cœur blances, mêlant tout à la fois interrogations
philosophiques et créations poétiques.
avec les poèmes composés de  même de l’œuvre de l’écrivain algérien qui avait l’absolue
à , baptisés « chansons », et volonté de demeurer « au sein de la perturbation un KATEB YACINE (1929-1989)
un second (Le Sable) reprenant Né à Zighoud Youcef, Kateb Yacine (il est
Récit () avec ce jeu de mots et éternel perturbateur ». Son œuvre mélange volontiers les d’usage que son nom Kateb précède son pré-
de rôle entre « il » et son féminin genres littéraires et il est parfois difficile d’en établir un nom) fréquente l’école française, découvre
la poésie et publie son premier recueil, Soli-
« île », La Mémoire et la Main classement selon les critères académiques. De Soliloques, loques, en 1946. En 1947, jeune collégien, il
(-) et les trois poèmes de son premier recueil publié à l’âge de 17 ans jusqu’à L’Œuvre assiste à Sétif à la manifestation anticolonialiste
L’Appel (-). Deux temps violemment réprimée au cours de laquelle il est

qui correspondent aux deux temps


en fragments – un ensemble composite patiemment réuni arrêté et emprisonné. Ce traumatisme marque
une étape capitale : il part à Paris et s’engage
de la vie du poète, en Égypte puis par Jacqueline Arnaud, universitaire et amie du poète –, en politique. Il revient à Alger en 1949, et tra-
en France, avec la langue française en passant par son théâtre et, bien sûr, Nedjma, roman-clé vaille à Alger Républicain. De retour en France,
il publie une première version de Nedjma, qui,
pour trait d’union et de ralliement, de l’histoire littéraire algérienne, la poésie est la matrice, à sa parution définitive en 1956, devient le livre
et le questionnement sur le temps
elle irrigue chacun de ses écrits. Son œuvre gravite autour de référence pour nombre d’écrivains maghré-
et la mémoire, sur l’écriture et la bins. Il alterne divers emplois, poursuit son
création qui rendent possible la de cet axe, tel un polygone étoilé, pour reprendre le titre œuvre avec des pièces de théâtre, comme Le
Cadavre encerclé monté par Jean-Marie Ser-
survie. de l’un de ses livres. reau, et voyage en Allemagne de l’Est, en URSS
et au Vietnam. Il publie en 1966 Le Polygone
DU MÊME AUTEUR
étoilé. Plus tard, il rentre en Algérie et décide
L’homme aux sandales de caoutchouc d’écrire et de faire jouer ses pièces (Mohamed
Nedjma prend ta valise, La Guerre de deux mille ans),
dans un arabe dialectal fortement teinté de
berbère devant des publics populaires. À la fin
des années 1980, il est joué au Festival d’Avi-
gnon, invité aux États-Unis et reçoit le Grand
Prix National des Lettres en 1987.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
1

chapitre
SOM Photographier… Ne plus être photographiés 17
MAIRE Les poètes et le « je » des mots

CONGO MAROC
TCHICAYA U TAM’SI (1931-1988)

Le mauvais sang Œuvre poétique I et II


Abdellatif Laâbi
Né à Mpili au Congo d’un père député repré-
sentant l’Afrique équatoriale au Parlement
français, Tchicaya U Tam’si (un pseudonyme

Feu de brousse 2006 et 2010, Éditions de la Différence


qui signifie « petite feuille qui parle pour son
pays ») commence sa scolarité à Pointe-
Noire puis vient en France avec ses parents à

À triche-cœur
Un poète écorché, entier – et qui l’âge de 15 ans. En rupture avec sa famille, il
en est d’autant plus attachant –, exerce divers métiers et commence à écrire
des poèmes. Il publie son premier recueil, Le
qui voit dans la poésie un outil
Mauvais Sang, en 1955 et devient producteur
Tchicaya U Tam’si fondamental de subversion. Un à la radio. Lors de l’indépendance, il regagne
1955, 1957, 1958 (L’Harmattan) homme qui a payé de sa liberté le Congo, mais il revient à Paris après la mort
l’insolence de la revendiquer. Une du Premier ministre Lumumba et devient fonc-
tionnaire international à l’Unesco. Il ne cesse
Un poète essentiel qui a refusé de suivre les traces œuvre riche et abondante, dont de publier et constitue une œuvre essentiel-
de la Négritude et a revendiqué très tôt une plus grande les premiers titres portent la trace lement poétique mais qui comporte aussi une
d’un itinéraire douloureux (Le trilogie romanesque, un recueil de nouvelles
individualité. Pour lui aussi, les titres ont été choisis Règne de barbarie, Sous le bâillon (La Main sèche) et du théâtre (Le Zulu, Le Des-
avec soin et déposés là comme « les clés sur la porte » : le poème, L’Écorché vif, Tous les
tin glorieux du maréchal Nnikon Nniku).

Le Mauvais Sang, emprunté à Rimbaud, sur l’angoisse ; Feu Déchirements). Souvent présenté ABDELLATIF LAÂBI (NÉ EN 1942)
de brousse sur le feu de l’exorcisme ; À Triche-Cœur sur le comme l’archétype de l’écrivain Né à Fès, Abdellatif Laâbi fait ses études de
lettres à Rabat et devient professeur de fran-
compromis, qui n’est pas un acte lâche, mais l’acceptation engagé, il tente de se défaire de çais. Il s’engage politiquement et fonde la
cette image réductrice et tenace revue Souffles, qui sera déterminante dans la
des différentes parties de soi-même ; Épitomé, un précis dans ses derniers recueils qui, sans vie littéraire marocaine. Emprisonné de 1972 à
d’histoire, presque une sorte de bilan pour préparer nullement renier ses engagements, 1980 pour ses idées politiques, il s’exile et vit
à Paris depuis 1985 – à l’exception d’une ten-
l’avenir. Plus tard, d’autres recueils sont venus enrichir témoignent d’un certain apaisement tative malheureuse de retour au pays. Poète
cette œuvre (Le Ventre, Arc musical, Le Pain et la Cendre, (L’automne promet, Les Fruits du avant tout, il est aussi dramaturge (Rimbaud
corps en , Écris la vie en ), et Shéhérazade, Le Baptême chacaliste, Exer-
La Veste d’intérieur), mais les thèmes sont demeurés les tout en demeurant dans la plus
cices de tolérance, Le Juge et l’Ombre) et
auteur de récits et de romans. Il est aussi tra-
mêmes pour ce poète qui déclarait : « Ma poésie est comme grande vigilance et dans l’attention ducteur, en particulier du poète palestinien
le fleuve Congo qui charrie autant de cadavres que de la plus forte aux bruissements Mahmoud Darwich.

jacinthes d’eau. » Une œuvre qui n’est, hélas, pas encore dérangeants du monde (Zone
de turbulence en ).
réunie en un seul volume.
DU MÊME AUTEUR
DU MÊME AUTEUR
Le fond de la jarre
Le bal de Ndinga Le spleen de Casablanca
Les cancrelats

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM 18
MAIRE

Histoires d’enfants,
de femmes, de famille
Au cœur de l’enfance, dans les troubles adolescents, dans l’intimité des voix féminines,
dans les fièvres et déchirements de la famille, les liens entre les uns et les autres
se nouent et se dénouent, tout comme les relations amoureuses se réalisent ou non
dans les sinuosités de la vie. En Afrique, sans doute plus qu’ailleurs, la famille impose
ses lois et ses pesanteurs.

Fatima, Fatou,
Famille je vous Aya, Aïcha, Des amours
Des enfances aime, famille Ramatoulaye contrariées,
je vous hais et les autres déchirées
2

chapitre
SOM 19
MAIRE Histoires d’enfants, de femmes, de famille

Des enfances ALGÉRIE GUINÉE


MOULOUD FERAOUN (1913-1962)
L’enfance est de toutes Le fils du pauvre L’enfant noir Né à Tizi Hibel en Haute-Kabylie, Mouloud
Feraoun suit une formation à l’École normale
les littératures, et l’Afrique Mouloud Feraoun Camara Laye d’Alger, puis devient instituteur et enseigne
n’échappe pas à cette règle. Les en Algérie avant de devenir directeur puis ins-
romans du « pays d’enfance », pour 1950 (Seuil) (Laye Camara) pecteur et de s’engager dans l’alphabétisation
des plus démunis. En 1950, il publie une pre-
la plupart autobiographiques, Menrad Fouroulou (anagramme 1953 (Pocket) mière version de son roman autobiographique,
sont nombreux et de toutes les de Mouloud Feraoun) est le fils Le Fils du pauvre, puis, en 1953, La Terre et le
générations. Ils évoquent les Laye vit dans un village de Haute- Sang. Il meurt assassiné par l’Organisation de
d’un paysan misérable de Kabylie Guinée. Son père, forgeron et l’Armée Secrète en mars 1962, quelques jours
rites et passages obligés de cet qui, grâce à sa réussite scolaire,
âge, mais aussi ceux qui sont orfèvre, l’initie aux mystères de la avant le cessez-le-feu qui marque la fin de la
parvient à échapper à la misère et connaissance et aux techniques guerre d’Algérie.
propres au continent : passage de à son destin de berger pour devenir
l’enfance à l’adolescence, querelle de son art. Laye rend parfois visite CAMARA LAYE (1928-1980)
instituteur. Une autobiographie en à sa grand-mère dans un village Né à Kouroussa en Guinée, Camara Laye
avec les aînés, transplantation deux temps : le premier consacré à
du village à la ville, découverte voisin où il découvre la vie des (Camara étant son nom et Laye son prénom)
la description de la vie en famille paysans. À Kouroussa, il commence
commence ses études à Conakry, puis vient
des écoles (coranique, au village et le second évoquant le en France en 1946, suit des études en ingé-
missionnaire, catholique, à fréquenter l’école française. Puis nierie automobile et rédige son récit autobio-
départ du père pour la France et la vient le temps des initiations et graphique, L’Enfant noir, qui connaît immédia-
européenne), apprentissage découverte pour le jeune garçon tement un succès qui ne s’est jamais démenti.
parfois douloureux de la langue de l’épreuve de la circoncision. À
de sa nouvelle vie au collège. Un  ans, Laye part pour la capitale
De retour sur le continent africain, il entre très
française, confrontation au monde vite en conflit avec le régime de Sékou Touré
témoignage transcrit sur un cahier afin d’entrer au collège technique ; et quitte la Guinée en 1960 pour le Sénégal. Il
occidental, etc. Le regard porté d’écolier avec les accents et la se consacre à la collecte de textes tradition-
évolue aussi : en quelque quarante ayant obtenu son certificat
spontanéité de l’oralité. d’aptitude professionnelle, il a la
nels qui lui permettront d’écrire un récit de la
ans, de L’Enfant noir et du Fils du vie de Soundjata, Le Maître de la Parole.
pauvre à Amkoullel l’enfant peul, possibilité de se rendre en France
le jeune héros n’est plus anonyme pour y poursuivre ses études.
et implicitement représentatif Déchiré, il accepte néanmoins
d’un ensemble racial ou social cette opportunité. Un roman au
indéterminé : il porte titre étonnamment universel qui
un prénom et voit son espace a été contesté pour son manque
culturel et géographique d’engagement et ses descriptions
circonscrit. Peu à peu, l’enfant « de destinées davantage à un lectorat
la brousse » ou « du bled » devient européen, mais qui est, sans doute,
un enfant de la ville. et pour les mêmes raisons, le plus
célèbre des romans africains.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 20
MAIRE Des enfances

CÔTE D’IVOIRE TUNISIE MAROC


BERNARD DADIÉ (NÉ EN 1916)
Climbié L’œil du jour L’enfant de sable Fils d’un militant syndicaliste, Bernard Dadié
fait des études à Dakar puis revient à Abidjan,
Bernard Dadié Hélé Béji Tahar Ben Jelloun où il est arrêté et jeté en prison pour ses acti-
vités journalistiques. À l’indépendance, il tra-
1956, Seghers 1985, Éditions Maurice Nadeau 1985, Seuil vaille au ministère de l’Éducation puis de l’In-
formation avant de devenir ministre de la
Climbié vit auprès de son oncle, Tout à la fois havre de paix et Parce qu’avoir une huitième fille Culture. Son œuvre est constituée de recueils
planteur, qu’il aide aux travaux des lieu d’enfermement, la maison est une trop grande malédiction, de contes et légendes, de poèmes, de chro-
niques faussement naïves sur Paris, Rome ou
champs et qui lui fait découvrir, par de la grand-mère est le lieu un père décide que Zahra aura
New York. Il est également un pionnier du
ses talents de conteur, la richesse principal de ce récit à caractère sa féminité cachée et deviendra théâtre en Afrique (Monsieur Thôgô-Gnini,
du patrimoine oral. Après ses autobiographique dans lequel Ahmed... Le corps de femme de Béatrice du Congo, Les Voix dans le vent, Îles
premières années de scolarité à une femme tunisienne revient, de Zahra sera donc dissimulé sous des de tempête).

Grand-Bassam puis à Bingerville, il Paris où elle réside, sur une terre habits d’emprunt et pour tous elle HÉLÉ BÉJI (NÉ EN 1948)
doit quitter la Côte-d’Ivoire pour le et auprès de personnes qui lui sont sera un homme, dont la destinée Née à Tunis, Hélé Béji poursuit des études de
Sénégal et l’École Normale William à la fois étrangères et proches, et est contée dans une étrange et lettres en Tunisie puis en France. Elle enseigne
Ponty de Gorée. Tout au long de sa ranime au gré des retrouvailles ses contradictoire polyphonie. la littérature à l’université de Tunis puis devient
fonctionnaire internationale à l’Unesco. Essen-
scolarité, il découvre les joies de souvenirs d’enfance. Un roman qui trouve sa suite dans tiellement essayiste (Désenchantement natio-
l’enfance mais aussi les difficultés La Nuit sacrée. nal, Nous décolonisés, Islam pride : derrière le
des études, les méthodes brutales voile), elle collabore à de nombreuses revues
DU MÊME AUTEUR et est également auteur de romans (L’Œil du
pour dissuader les élèves de parler Jour de silence à Tanger jour).
une autre langue que le français, La nuit sacrée
la responsabilité qui pèse sur les Les yeux baissés TAHAR BEN JELLOUN (NÉ EN 1944)
élèves devenus les représentants Né à Fès, Tahar Ben Jelloun vit son adoles-
cence à Tanger, deux villes de formation et
de leur village et de leur pays. de référence dans son œuvre. En 1971, il s’ins-
Ses études terminées, Climbié talle à Paris et collabore au journal Le Monde,
reste au Sénégal et commence, où il signe des chroniques sociologiques sur
l’émigration et des articles littéraires. Il reçoit
à Dakar, son apprentissage de la en 1987 le prix Goncourt pour La Nuit sacrée.
carrière de fonctionnaire qu’il Ses romans constituent la part la plus connue
poursuivra à Abidjan, dans les de son travail, mais il a aussi publié essais (La
Plus Haute des solitudes, Le Racisme expli-
premiers soubresauts précédant
qué à ma fille), poésie et théâtre (La Fiancée
l’indépendance. de l’eau, Entretiens avec M.  Saïd Hammadi
ouvrier algérien).
DU MÊME AUTEUR
Le pagne noir
Un Nègre à Paris

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 21
MAIRE Des enfances

GABON MALI
LAURENT OWONDO (NÉ EN 1948)
Au bout du silence
Laurent Owondo
Amkoullel l’enfant peul Né à Libreville, Laurent Owondo a fait ses
études supérieures en lettres anglo-saxonnes
en France puis enseigné en Angleterre et aux
Amadou Hampâté Bâ États-Unis avant de rejoindre l’université natio-
1985, Hatier nale du Gabon. Auteur d’un unique roman, Au
1991, Actes Sud bout du silence, il est essentiellement drama-
Anka, un fils de pêcheur, apprécie turge (La Folle du gouverneur). En 1994, il est
la compagnie de son grand-père, Dans ce premier volume des Mémoires, les vingt premières devenu directeur du Théâtre national.
qui lui ouvre peu à peu les arcanes années de la vie de l’écrivain malien. Il y relate sa vie AMADOU HAMPÂTÉ BÂ (1900-1990)
secrètes d’un long parcours auprès de sa mère, son univers quotidien, sa rencontre avec Né à Bandiagara, en pays dogon, dans une
labyrinthique. À la mort de son famille peule, Amadou Hampâté Bâ est, en
aïeul, Anka poursuit seul sa quête de
les « Blancs-Blancs », le déchirement que fut pour lui le fait tant que fils de chef, envoyé à l’école française.
connaissances, quitte le village pour d’être réquisitionné, en tant que fils de chef, pour l’école Il se rend à Djenné, Kati, Bamako puis Dakar
à l’École Normale William Ponty. Il occupe
la ville et parvient à la rencontre de coloniale, sa fuite puis son retour au collège ; l’attitude de ensuite diverses fonctions dans l’administra-
l’inaccessible. Un voyage initiatique sa mère et de son père adoptif, les jeux et les découvertes tion coloniale en Haute-Volta puis au Mali. En
« au bout du silence », pour le héros 1942, il rejoint l’Institut français d’Afrique noire.

comme pour le lecteur, à l’issue


de l’enfance, les associations d’enfants et les premières À l’indépendance, il exerce un rôle d’intermé-
diaire entre son pays et le Sénégal puis est élu
duquel le jeune adolescent parvient émotions amoureuses des « Valentins » et des « Valentines ». au Conseil exécutif de l’Unesco en 1962. À par-
à accéder à la connaissance, Il évoque également la généalogie de sa famille, tir de 1970, il se consacre à son œuvre, publie
un récit, L’Étrange Destin de Wangrin en 1974,
devenant ainsi, tout à la fois adulte l’enseignement reçu auprès de celui qui lui donnera son puis Vie et enseignement de Tierno Bokar,
et dépositaire des secrets de son nom, Koullel, « le maître de la parole », ou bien auprès de le Sage de Bandiagara, en 1980, ainsi que la
grand-père et maître. transcription et traduction de nombreux textes
Tierno Bokar, le « sage de Bandiagara », dont il consignera traditionnels (Kaïdara, Koumen, Djeddo Dewal,
mère de la calamité). Il travaille aussi à la
plus tard les leçons... Le tout conté dans une langue qui, rédaction de ses Mémoires qui seront publiés
tout en préservant la rigueur de l’écrit, parvient à restituer après sa mort.

le phrasé de l’oralité.
DU MÊME AUTEUR
L’étrange destin de Wangrin
Kaïdara
Oui mon commandant !

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 22
MAIRE Des enfances

MAROC ALGÉRIE MAROC


ABDELHAK SERHANE (NÉ EN 1950)
Les enfants des rues Mémoires en archipel Le fond de la jarre Né à Séhou au Maroc, Abdelhak Serhane a
suivi des études de psychologie et de littéra-
étroites Rabah Belamri Abdellatif Laâbi ture, et est devenu professeur de psycholo-
gie à l’université de Kenitra avant de quitter le
Abdelhak Serhane 1994, Gallimard 2002, Gallimard Maroc. Il vit désormais entre le Canada et les
États-Unis où il enseigne à l’université de Loui-
1986, Seuil La mère, évoquée avec émotion et Namouss, un jeune garçon servira, siane. Outre un récit autobiographique (Mes-
Des gamins des rues en plein tendresse, les « jeux interdits » et dans les méandres de la mémoire saouda), il a consacré l’essentiel de son œuvre
à la dénonciation des enfances et des ado-
désarroi : s’ils refusent les mirages clandestins des enfants, la mémoire de l’auteur, de guide et de double,
lescences gâchées par le poids des traditions
de l’exil, ils se retrouvent confrontés défaillante du père qui oublie le en étant à la fois « [son] ancêtre et répressives.
au poids de la tradition, à la misère prénom qu’il doit donner à son [son] enfant ». Le poète marocain
impitoyable et, ainsi soumis à fils lors de sa déclaration à l’état se méfie des « thèmes éventés », et RABAH BELAMRI (1948-1995)
Né à Bougaâ, Rabah Belamri a fait ses études
l’immoralité des nantis, ils peuvent civil, les amours du maître et de c’est avec fermeté qu’il s’inscrit au à Sétif. Devenu aveugle en 1962, il poursuit
sombrer dans les pires dérives. l’institutrice, ou bien encore la large de ces évocations récurrentes néanmoins des études de lettres en Algérie et
mort tragique de Jeha, le fou voleur qui semblent être le passage obligé en France, et s’intéresse tout particulièrement
DU MÊME AUTEUR
de poires. Aux anecdotes et aux de bien des récits issus du Maghreb. à l’œuvre de Jean Sénac. Venu à Paris en 1972,
Le soleil des obscurs il a consacré la quasi-totalité de son œuvre à la
personnages familiers de l’enfance, Prudent, c’est avec une exigence poésie (L’olivier boit son ombre, Corps seul), à
et aux souvenirs personnels se attentive qu’il s’en va puiser ses l’évocation de son enfance et de sa jeunesse,
mêlent les traces d’une culture mots et ses traces du passé. Si les dans des récits autobiographiques (Le Soleil
sous le tamis, Chronique du temps de l’inno-
orale, préservée par la magie membres de la famille et ceux de cence) et à la collecte de textes oraux, qu’il
des contes et des légendes. Une l’entourage proche (les copains, le a transcrits et traduits afin de les offrir à des
évocation à la fois émouvante et monde de l’école, les voisins, les publics divers.
douloureuse, qui brise volontiers commerçants) tiennent une place
ABDELLATIF LAÂBI (NÉ EN 1942)
le mythe, pourtant habituellement privilégiée, ce livre est aussi – et une Né à Fès, Abdellatif Laâbi fait ses études de
tenace, des paradis d’enfance. fois de plus – une louange à la gloire lettres à Rabat et devient professeur de fran-
de Fès, la ville tant aimée dont les çais. Il s’engage politiquement et fonde la
DU MÊME AUTEUR revue Souffles, qui sera déterminante dans la
Les graines de la douleur vicissitudes de l’histoire ont tenu vie littéraire marocaine. Emprisonné de 1972 à
Regard blessé l’auteur éloigné. 1980 pour ses idées politiques, il s’exile et vit
à Paris depuis 1985 – à l’exception d’une ten-
DU MÊME AUTEUR tative malheureuse de retour au pays. Poète
Œuvre poétique I et II avant tout, il est aussi dramaturge (Rimbaud
Le spleen de Casablanca et Shéhérazade, Le Baptême chacaliste, Exer-
cices de tolérance, Le Juge et l’Ombre) et
auteur de récits et de romans. Il est aussi tra-
ducteur, en particulier du poète palestinien
Mahmoud Darwich.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 23
MAIRE Des enfances

MAROC CONGO LIBYE


MAHI BINEBINE (NÉ EN 1959)
Les étoiles Demain j’aurai La compagnie Né à Marrakech, Mahi Binebine a fait des
études de mathématiques. Il est venu en 1980
de Sidi Mounen vingt ans des Tripolitaines en France où il a enseigné pendant huit ans. Il
a depuis décidé de se consacrer à la peinture
Mahi Binebine  Alain Mabanckou Kamal Ben Hameda et à l’écriture, et mène simultanément une car-
rière de peintre et de romancier. Après avoir
2009, Flammarion 2010, Gallimard 2011, Elyzad vécu aux États-Unis de 1994 à 1999, il est ren-
tré au Maroc en 2002. Sa peinture, reconnue
À Sidi Mounen, un bidonville aux À travers une lorgnette faussement Un roman en large partie internationalement, et sa littérature se font
portes de Casablanca, Yachine est naïve, Alain Mabanckou, ou plus autobiographique dans lequel écho : ses deux modes de création semblent
l’un de ces enfants perdus qui n’ont exactement Michel, son double, l’auteur revient sur son enfance à en interaction, en complémentarité, jamais en
concurrence.
d’autre horizon qu’un tas d’ordures convoque ses proches pour des Tripoli et dresse, à la hauteur d’un
et le désespoir absolu. Confrontés à retrouvailles avec les années  à regard d’enfant, une galerie de ALAIN MABANCKOU (NÉ EN 1966)
la misère, aux dérives les plus folles, Pointe-Noire au Congo. Maman Pau- portraits de femmes, tour à tour Né à Pointe-Noire, Alain Mabanckou a fait des
ils se retrouvent pris dans un piège line, Papa Roger, « ses deux maisons » aimantes ou sévères, opprimées études de droit à Brazzaville puis à Paris, où
il exerce la profession de conseiller juridique
fatal, dans les mailles des illusions et son admiration pour le « chanteur ou affranchies : Hadja l’initiatrice pour La Lyonnaise des Eaux pendant dix ans.
les plus extrêmes, jusqu’au don de à moustache qui pleure son copain des contes, Jamila la sensuelle, D’abord poète, il publie son premier roman,
soi, jusqu’au sacrifice qui les fera se le chêne », Tonton René, l’oncle Hiba la femme battue, Filomena Bleu Blanc Rouge, en 1998. En 2001, il part
jeter dans les mains de ceux qui leur communiste et riche, Caroline et les et ses origines italiennes, Zaïneb pour une résidence d’écriture aux États-Unis. Il
enseigne aujourd’hui au département d’études
promettent le paradis. premiers émois amoureux, son frère prête à tout pour échapper au francophones de l’université de Californie-
Lounès, les copains d’école, les jeux mariage, Tuna embauchée par Los Angeles. Il a reçu en 2006 le prix Renau-
DU MÊME AUTEUR
Le sommeil de l’esclave de la récréation, la magie du premier les Américains… Toutes jouent dot pour son roman Mémoires de porc-épic,
et est devenu l’un des auteurs-phares de ces
radio-cassette, les films indiens et un rôle dans l’éducation du jeune littératures.
Belmondo, « qui ne tombe jamais »… Hadachinou dans la Libye des
Et aussi la politique du pays et les an- années -. Une initiation KAMAL BEN HAMEDA (NÉ EN 1954)
nées marxistes, la vie du monde avec à l’univers libyen aussi pour le Né à Tripoli, Kamel Ben Hameda a quitté
son pays dans les années 1970 afin de pour-
la fuite du chah d’Iran, les frasques lecteur, aiguisée par une ironie et un suivre ses études en France. Il vit aujourd’hui
meurtrières d’Idi Amin Dada, Giscard humour (im)pertinents. aux Pays-Bas. Poète (Fragments de lumière,
d’Estaing et ses cadeaux. L’occasion La Mémoire de l’absent, Le Saint Je, Plis de
lumière), il a publié en 2011, en Tunisie, son pre-
de feuilleter, avec humour et ten- mier roman, La Compagnie des Tripolitaines.
dresse, un album de souvenirs, vrais
ou inventés, d’en restituer les cou-
leurs, les bruits et les saveurs.
DU MÊME AUTEUR
Bleu blanc rouge
Mémoires d’un porc-épic
Verre cassé

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM 24
MAIRE Histoires d’enfants, de femmes, de famille

Famille je vous MAROC CAMEROUN


DRISS CHRAÏBI (1926-2007)
aime, famille Le passé simple Le fils d’Agatha Moudio Né à Al Jadida, Driss Chraïbi fait ses études
à Casablanca puis quitte le Maroc en 1945
je vous hais Driss Chraïbi Francis Bebey pour étudier la chimie et la neuro-psychiatrie
à Paris. Journaliste, photographe, producteur
Relation difficile avec le 1954 (Folio) 1967, CLE de radio, il vit quelque temps au Canada puis
revient définitivement en France où il ne cesse
père/patriarche autoritaire, rôle Les déchirements du narrateur, Mbenda accepte, contraint, le de poursuivre une œuvre essentiellement
intermédiaire de la mère, présence Driss, qui s’oppose au « seigneur », mariage prévu par son père avant romanesque (Succession ouverte, La Civilisa-
des grands-parents, garants de son père, riche commerçant et sa mort, avec Fanny, bien qu’il tion, ma mère !, La Mère au printemps). Il est
l’un des premiers auteurs maghrébins à ins-
la tradition et transmetteurs de patriarche tyrannique, et qui refuse aime Agatha dont il fera, plus tard, crire le monde de l’émigration dans l’espace
la parole, dialogues heurtés ou aussi les hypocrisies sociales et sa seconde épouse et qui, selon romanesque et, plus tard, l’un des premiers à
complices de la fraternité et de religieuses dont il est le témoin la prédiction de sa mère, « lui en s’intéresser au roman policier.
la sororité : la famille, souvent dans la société marocaine. Après fera voir de toutes les couleurs ». FRANCIS BEBEY (1929-2001)
élargie sur trois générations et le suicide de sa mère, le jeune Francis Bebey donne là une version Né à Douala, Francis Bebey s’intéresse tout
aux parents collatéraux, voire aux homme part pour l’Europe, non romanesque de sa célèbre chanson d’abord au journalisme et travaille à la radio, au
proches – telle la nourrice – est un sans avoir dénoncé les vilénies et les « Agatha ». Cameroun puis à Paris où il réside à partir du
début des années 1950. Il publie en 1967 son
lieu aimant ou conflictuel, qui se turpitudes de son père, mari infidèle premier roman, Le Fils d’Agatha Moudio, puis
DU MÊME AUTEUR
révèle un véritable microcosme de et père de deux enfants illégitimes, enregistre un premier disque en 1972. À partir
La Lune dans un seau tout rouge
la société. Et les écrivains livrent et musulman de petite observance. de 1974, il se consacre à la création, essentiel-
lement musicale, et se produit sur les scènes
ainsi des familles à l’intimité Un premier roman qui aura sa suite du monde entier dans plus de 75 pays mais
mise à nu : des familles unies et quelques années plus tard avec il poursuit néanmoins la publication d’une
aimantes, des familles séparées Succession ouverte. œuvre littéraire qui alterne romans et textes
par les itinéraires de chacun, inspirés par la tradition orale.
DU MÊME AUTEUR
déchirées par ses drames internes
Les boucs
et par les tragédies traversées. Une enquête au pays « Nous sommes les locataires
de la langue française. Nous
payons régulièrement notre loyer.
Mieux même, nous contribuons
aux travaux d’aménagement
de la baraque. Nous sommes
en partance pour une aventure
de co-propriété. »
Sony Labou Tansi, La Semaine africaine, Brazzaville, juin 

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 25
MAIRE Famille je vous aime, famille je vous hais

ALGÉRIE SÉNÉGAL MAROC


RACHID BOUDJEDRA (NÉ EN 1941)
La répudiation L’appel des arènes La nuit sacrée Rachid Boudjedra fait ses études en Algérie et
en Tunisie. Militant actif pendant la guerre d’Al-
Rachid Boudjedra Aminata Sow Fall Tahar Ben Jelloun gérie, puis représentant du Front de Libération
Nationale en Espagne, il revient en Algérie à
1969 (Folio) 1982, Éditions NEA 1987, Seuil l’indépendance. Après différents allers-retours
entre la France, le Maroc et l’Algérie, il revient
Les confessions d’un homme qui Un conflit de générations à rebours Zahra-Ahmed, « l’enfant de sable », en Algérie en 1976 et occupe diverses fonc-
s’adresse à son amante, Céline, au sein d’une famille sénégalaise cette « enfant à l’identité trouble tions au ministère de l’Information, aux Édi-
tions nationales et enseigne à l’Institut des
une femme européenne à laquelle où les enfants sont les tenants et vacillante », est devenue une
sciences politiques d’Alger. Depuis La Répu-
il livre ses rancœurs sur la société de la tradition et les parents les vieille femme. C’est elle-même qui, diation, il n’a cessé d’écrire avec régularité une
algérienne et tout particulièrement protagonistes zélés d’un monde faisant taire les extravagances des des œuvres romanesques maghrébines les
sur son père, tyran domestique, prétendument moderne. Le conteurs, livre son effroyable secret plus abondantes.

gros commerçant arc-bouté sur fils manifeste son attachement en évoquant les jours qui ont suivi la AMINATA SOW FALL (NÉE EN 1941)
ses principes et son coffre-fort, à la musique et surtout aux « nuit sacrée », au cours de laquelle Née à Saint-Louis-du-Sénégal, Aminata Sow
et qui a répudié sa femme et l’a festivités qui accompagnent la son père agonisant l’a affranchie. Fall a suivi des études de lettres à Dakar puis à
remplacée par une jolie jeune fille. lutte traditionnelle. Il parvient Libérée de ses habits d’homme, elle Paris. Tout d’abord enseignante, elle a ensuite
occupé plusieurs postes à responsabilité dans
Une diatribe d’une grande violence à convaincre son père de devient Zahra, retrouve son identité les domaines culturels (membre de la commis-
dans la dénonciation des mauvais l’accompagner à la fête et de féminine et va se venger de ses sion de réforme de l’enseignement du fran-
traitements infligés aux enfants, des renouer ainsi avec l’un des années d’humiliation et de rejet, et çais, directrice des lettres et de la propriété
intellectuelle, directrice du Centre d’études et
humiliations et de l’oppression dont fondements de leur culture. assume, enfin, sa féminité, même si de civilisations). Avec son premier roman, Le
sont victimes les femmes. Et une celle-ci est vite entachée par le viol Revenant, publié en 1976, elle apparaît comme
DU MÊME AUTEUR
mise à nu d’une sexualité dévoyée La grève des bàttu d’un inconnu. l’une des premières romancières africaines
francophones.
par le poids de l’hypocrisie et des
DU MÊME AUTEUR
interdits. L’enfant de sable TAHAR BEN JELLOUN (NÉ EN 1944)
Jour de silence à Tanger Né à Fès, Tahar Ben Jelloun vit son adoles-
DU MÊME AUTEUR
Les yeux baissés cence à Tanger, deux villes de formation et
Timimoun de référence dans son œuvre. En 1971, il s’ins-
Topographie idéale pour une agression talle à Paris et collabore au journal Le Monde,
caractérisée où il signe des chroniques sociologiques sur
l’émigration et des articles littéraires. Il reçoit
en 1987 le prix Goncourt pour La Nuit sacrée.
Ses romans constituent la part la plus connue
de son travail, mais il a aussi publié essais (La
Plus Haute des solitudes, Le Racisme expliqué
à ma fille), poésie et théâtre (La Fiancée de
l’eau, Entretiens avec M. Saïd Hammadi ouvrier
algérien).

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 26
MAIRE Famille je vous aime, famille je vous hais

MAROC ALGÉRIE MAROC


TAHAR BEN JELLOUN (NÉ EN 1944)
Jour de silence Le silence des rives Le sommeil de l’esclave Né à Fès, Tahar Ben Jelloun vit son adoles-
cence à Tanger, deux villes de formation et
à Tanger Leïla Sebbar Mahi Binebine de référence dans son œuvre. En 1971, il s’ins-
talle à Paris et collabore au journal Le Monde,
Tahar Ben Jelloun 1993, Stock 1992, Stock où il signe des chroniques sociologiques sur
l’émigration et des articles littéraires. Il reçoit
1995, Seuil Un homme agonisant revient sur Un premier roman comme un en 1987 le prix Goncourt pour La Nuit sacrée.
Une évocation du père dans un son passé. Les anecdotes, graves album de souvenirs hanté par les Ses romans constituent la part la plus connue
de son travail, mais il a aussi publié essais (La
livre-murmure sur la solitude aigrie ou anecdotiques, se mêlent au gré figures de l’enfance qui ont laissé
Plus Haute des solitudes, Le Racisme expliqué
d’un vieil homme usé par la vie d’une mémoire indocile évoquant de larges et douloureuses traces à ma fille), poésie et théâtre (La Fiancée de
et ses rudesses. Un vieil homme des lieux et des personnages qui dans la mémoire de l’auteur. Ainsi l’eau, Entretiens avec M. Saïd Hammadi ouvrier
ne sont pas identifiés : l’odeur du Milouda, la mère, et le fqih, son algérien).
reclus qui ne croit plus à rien, refuse
de réparer sa maison, jette ses café ou des Gitanes Maïs ; ses gains époux ; Madame Kolomer, veuve LEÏLA SEBBAR (NÉE EN 1941)
médicaments, vit éloigné de tous et au tiercé ou la mort brutale de son d’un militaire français, qui vit, Née à Aflou en Algérie d’une mère française et
de tout. fils ; ses activités d’écrivain public entourée d’une centaine de chats, d’un père algérien, Leïla Sebbar vit en Algérie
et le secret de ses poèmes ; son une illusoire comédie du paraître ; jusqu’en 1961. Elle vient ensuite en France afin
d’y poursuivre ses études de lettres, à Aix-en-
DU MÊME AUTEUR
enfance et ses dernières volontés ; Yamma, la voisine de terrasse, Provence, puis à Paris en 1963. Parallèlement à
L’enfant de sable
La nuit sacrée
sa solitude et ses confidences au « négresse au visage palot » et son travail de professeur de lettres, elle colla-
Les yeux baissés patron du café. son mari, épicier « nabot mais bore à de nombreux magazines et émissions
de radios, et constitue une œuvre abondante,
blanc » ; M’Bark, le porteur d’eau, essentiellement romanesque, de Shérazade,
DU MÊME AUTEUR
Fatima ou les Algériennes au square mais surtout, Dada, la nourrice, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts en 1982 à
La Seine était rouge enlevée à sa famille par les parents La Confession d’un fou en 2011. Elle a égale-
ment réuni plusieurs recueils collectifs autour
du narrateur et employée à leur de l’enfance et de l’histoire algérienne.
service – Dada, la tendre femme
esclave qui préférera tuer son enfant MAHI BINEBINE (NÉ EN 1959)
plutôt de le voir subir les mêmes Né à Marrakech, Mahi Binebine a fait des
études de mathématiques. Il est venu en 1980
déchirements que les siens quand en France où il a enseigné pendant huit ans.
on la sépara de son « p’tit frère ». Il a depuis décidé de se consacrer à la pein-
ture et à l’écriture, et mène simultanément
DU MÊME AUTEUR une carrière de peintre et de romancier. Après
Les étoiles de Sidi Mounen avoir vécu aux États-Unis de 1994 à 1999, il est
rentré au Maroc en 2002. Sa peinture, recon-
nue internationalement, et sa littérature se font
écho : ses deux modes de création semblent
en interaction, en complémentarité, jamais en
concurrence.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 27
MAIRE Famille je vous aime, famille je vous hais

ALGÉRIE MAROC CAMEROUN


LEÏLA MAROUANE (NÉE EN 1960)
Ravisseur Cérémonie La transmission Leïla Marouane est née en Tunisie. Journaliste
en Algérie puis en France, elle vit à Paris depuis
Leïla Marouane Yasmine Chami-Kettani Eugène Ebodé 1991. Elle est l’auteur de plusieurs romans qui
mettent en scène des destins de femmes sou-
1998 (Pocket) 1999, Actes Sud 2002, Gallimard vent douloureux : Ravisseur, La Fille de la Cas-
bah, La Jeune Fille et la mer (2005), Le Châ-
Parce que sa femme est allée voir Après son divorce, Khadidja revient Lors de son agonie, Karl Ebodé timent des hypocrites, La Vie sexuelle d’un
sa bru à la clinique dans un taxi en chez ses parents où elle retrouve demande à son fils d’accomplir ce islamiste à Paris.
compagnie de son voisin, Omar a sa cousine Malika. Elle y retrace qu’il n’a pas su ou voulu faire de son
YASMINE CHAMI-KETTANI (NÉE EN 1967)
décidé de la répudier. Plus tard, son échec ponctué par son divorce. vivant : payer la dot de son épouse Née à Casablanca, Yasmine Chami-Kettani a
il souhaite la reprendre. Pour Malika est à l’écoute en proie à ses à sa belle-famille… Une occasion suivi ses études au Maroc puis à l’École nor-
cela, celle-ci doit, entre temps, propres doutes et d’autres ombres pour l’adolescent passionné de male de Paris. Anthropologue, elle a publié son
premier roman, Cérémonie, en 1999.
se remarier, et être à nouveau féminines rodent sur les confidences football d’aller sur les traces d’un
répudiée. Le mari va donc des deux cousines. Les deux jeunes père qui a servi de médecin auprès EUGÈNE ÉBODÉ (NÉ EN 1962)
échafauder un plan à la mesure de femmes évoquent les souvenirs, des maquisards et a été l’un des Né à Douala, Eugène Ebodé est un ancien
sa colère. Mais tout ne se passera les drames du passé, le poids artisans de l’indépendance de son international de football junior. Il a poursuivi
ses études au Cameroun, au Tchad puis en
pas comme prévu dans ce roman à d’une société marocaine partagée pays, le « pays des crevettes », alias France, où il réside depuis 1982. Diplômé en
l’intrigue burlesque et bouffonne entre les contraintes de l’hier et le Cameroun. Tout en s’interrogeant sciences politiques et en sciences de la com-
qui souhaite ainsi, avec un humour les incertitudes du lendemain. Un sur les devoirs de cette nouvelle munication et de l’information, il a exercé des
fonctions de conseiller municipal et de direc-
corrosif, pousser à bout les limites premier roman en forme de huis charge, le jeune homme découvre
teur de cabinet dans la banlieue parisienne.
de l’hypocrisie. clos familial. aussi les secrets, les frasques et les Il réside désormais à Nîmes. Essentiellement
conquêtes d’un héros paternel haut romancier, il est l’auteur d’une œuvre double,
DU MÊME AUTEUR
en couleurs. publiée en deux temps et sous deux noms
La fille de la Casbah différents.

« Je n’ai aucun complexe à


m’exprimer en français, l’essentiel
étant pour moi, femme vivant en
Algérie, de pouvoir m’exprimer, de
pouvoir dire ce que j’ai à dire. »
Maïssa Bey

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 28
MAIRE Famille je vous aime, famille je vous hais

ALGÉRIE ALGÉRIE GUINÉE


BOUALEM SANSAL (NÉ EN 1949)
Harraga L’envers des autres Le diable dévot Né à Thienet El Had en Algérie, Boualem San-
sal suit des études d’ingénieur à Alger et Paris.
Boualem Sansal Kaouther Adimi Libar M. Fofana Enseignant puis haut-fonctionnaire au minis-
tère de l’Industrie, il se consacre à l’écriture
2006, Gallimard 2011, Actes Sud 2010, Gallimard après son limogeage pour dissension politique
et publie son premier roman, Le Serment des
Lamia est pédiatre et vit une Dans une Algérie douloureuse et L’imam d’un village sent son pouvoir barbares, en 1999. Demeurant en Algérie, il est
solitude qu’elle n’a pas tout à traquée, une famille pas comme diminuer et craint de perdre sa essentiellement romancier mais également
l’auteur de deux essais (Poste restante : Alger,
fait choisie mais qu’elle a fini par les autres, en proie aux regards place. Il espère restaurer son
lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes
accepter au fil du temps. Son père et au poids de la tradition et des image en se rendant en pèlerinage et Petit Éloge de la mémoire : quatre mille et
est mort, tout comme l’un de ses silences, se raconte. La parole est à La Mecque mais il manque de une années de nostalgie).
frères, tandis que le deuxième est donnée à chacun, comme autant moyens. Un homme de  ans lui
KAOUTHER ADIMI (NÉE EN 1986)
parti. Un soir, elle voit surgir à sa de chapitres : la mère, seule, qui propose de financer son voyage en Née à Alger, Kaouther Adimi a fait des études
porte, telle une furie, Cherifa, une s’étonne de voir ses enfants si échange de sa fille de  ans. L’imam de lettres en Algérie. Venu en France en
jeune adolescente enceinte qui lui différents ; ses deux filles, la belle et accepte mais en attendant, la fille 2010, elle a obtenu un master en ressources
demande l’hospitalité de la part de rebelle Yasmine, convoitée et rejetée se prostitue, tout en devant rester humaines et travaille dans une société privée.
Son premier roman, Des ballerines de Papicha,
son frère. Dès lors, sa vie sans doute pour son indépendance, et sa sœur vierge pour le mariage. Elle va se paru en 2009 en Algérie, a été publié en France
un peu monotone mais paisible n’est Sarah, mariée à un psychologue révolter à l’instar de l’une de ses en 2011 sous le titre L’Envers des autres.
plus qu’un souvenir tant la jeune et revenue à la maison familiale aînées, compagne de détresse.
LIBAR M. FOFANA (NÉ EN 1959)
fille bouleverse l’existence de cette après que son mari a sombré dans
Né à Conakry, Libar Fofana doit fuir la Guinée à
célibataire devenue soudainement la déraison. Il y a leur frère Adel, 17 ans suite à l’arrestation de son père. Il gagne
mère… par accident. le jeune homme fragile. Et puis, l’Europe – la Suisse puis la France où il tra-
il y a Mouna, la fille de Sarah qui vaille dans le domaine de l’informatique. Venu
DU MÊME AUTEUR à l’écriture à la suite d’une perte de l’audition
Rue Darwin rêve de ballerines roses ; Tarik, son qui l’a privé de communication, il est essen-
Le serment des barbares amoureux de  ans aux cheveux tiellement romancier et ses textes se carac-
prématurément blanchis. térisent par un choix de sujets d’une grande
douleur et d’une grande violence, depuis son
Tous livrent leur altérité, premier roman, en 2004, Le Fils de l’arbre,
leur part de vérité. Les voix jusqu’à L’Étrange Rêve d’une femme inache-
se succèdent, vée, paru en 2012.
les regards et les
versions contradictoires
aussi.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 29
MAIRE Famille je vous aime, famille je vous hais

ALGÉRIE CAMEROUN CÔTE-D’IVOIRE


BOUALEM SANSAL (NÉ EN 1949)
Rue Darwin Nous, enfants Loin de mon père Né à Thienet El Had en Algérie, Boualem San-
sal suit des études d’ingénieur à Alger et Paris.
Boualem Sansal  de la tradition Véronique Tadjo Enseignant puis haut-fonctionnaire au minis-
tère de l’Industrie, il se consacre à l’écriture
2011, Gallimard Gaston-Paul Effa 2011, Actes Sud après son limogeage pour dissension politique
et publie son premier roman, Le Serment des
Yazid et sa vie, ou plus exactement, 2008, Anne Carrière Éditions Nina revient dans son pays, la barbares, en 1999. Demeurant en Algérie, il est
Yazid et ses femmes. Et tout Osele, un ingénieur émigré et Côte-d’Ivoire, en proie aux années essentiellement romancier mais également
l’auteur de deux essais (Poste restante : Alger,
d’abord Lalla Sadia, « la Djeda », marié à une Française, voit son de trouble, pour y enterrer son
lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes
sa grand-mère dans l’intimité et couple se défaire sous la pression père et organiser les funérailles. et Petit Éloge de la mémoire : quatre mille et
mère maquerelle dans le civil, des demandes venues du continent Face à la famille, aux parents, aux une années de nostalgie).
considérablement enrichie et africain. Une dénonciation amis, aux voisins, elle est seule. Sa
GASTON-PAUL EFFA (NÉ EN 1965)
devenue une personnalité qui romanesque dans laquelle l’écrivain mère est morte. Sa sœur a pris ses Né à Yaoundé, Gaston-Paul Effa est élevé
compte, tant son commerce est camerounais écrit tout haut ce que distances. Elle redécouvre le pays par les religieuses auxquelles ses parents
florissant, tant sa « collaboration » beaucoup d’exilés africains vivent qu’elle a quitté il y a longtemps l’ont confié. Destiné à la prêtrise, il vient en
est effective avec tous les régimes pour vivre sa vie à l’étranger. Elle France afin de suivre des études de théolo-
tout bas : la contrainte d’adresser gie mais il choisit la philosophie qu’il enseigne
et sous toutes les latitudes. Mais il y des sommes importantes à leur doit ménager les susceptibilités, aujourd’hui dans l’Est de la France. Depuis
a aussi Karima, Houda, Farroudja, famille et à leurs proches demeurés déjouer les pièges des autorités Tout ce bleu en 1996 et Mâ en 1998, il pour-
les autres mères qui se succèdent au pays. politiques, le poids de la tradition, suit une œuvre essentiellement romanesque
(Le cri que tu pousses ne réveilleras personne,
jusqu’à cette dernière, qui, sur les prérogatives des anciens, les Cheval-Roi). Il est aussi critique littéraire et cui-
son lit de mort, enjoint Yazid de DU MÊME AUTEUR
mesquineries et les convoitises des sinier, et a créé à Sarrebourg un restaurant
Tout ce bleu
« retourner à la rue Darwin », proches, les demandes multiples associatif à visée humanitaire.
une venelle du quartier Belcourt qui surgissent en ces instants de
VÉRONIQUE TADJO (NÉE EN 1955)
d’Alger, à quelques pas de la maison grande vulnérabilité. Elle est aussi Née à Paris d’un père ivoirien et d’une mère
d’un certain Albert Camus, pour y confrontée à la découverte des faces française, Véronique Tadjo a vécu son enfance
débusquer la vérité. cachées de son père. et son adolescence à Abidjan. Elle y a ensei-
gné à l’université, avant de vivre aux États-Unis,
DU MÊME AUTEUR DU MÊME AUTEUR au Mexique, en Angleterre et au Kenya, puis de
Harraga L’ombre d’Imana s’installer à Johannesburg où elle enseigne la
Le serment des barbares Reine Pokou littérature à l’université de Witwatersrand. Tout
en constituant une œuvre amorcée avec Laté-
rites en 1984 et destinée au public adulte, elle
est l’une des premières femmes africaines à
souhaiter consacrer une partie de son travail
aux jeunes lecteurs avec des albums dont elle
assure souvent elle-même l’illustration.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM 30
MAIRE Histoires d’enfants, de femmes, de famille

Fatima, Fatou, SÉNÉGAL ALGÉRIE


MARIAMA BÂ (1929-1981)
Aya, Aïcha, Une si longue lettre Femmes d’Alger dans Née au Sénégal, Mariama Bâ a suivi les cours
de l’École normale de Rufisque et est deve-
Ramatoulaye Mariama Bâ leur appartement nue institutrice puis inspectrice de l’Éducation
nationale. Elle est l’auteur de deux romans :
et les autres 1979 (Le Serpent à plumes) Assia Djebar Une si longue lettre, l’un des livres les plus lus
du Continent, qui a fait d’elle un des pionniers
À la mort de son mari, une femme 1980 (Le Livre de poche) des lettres féminines africaines, et Un chant
Elles sont peu nombreuses, les
femmes qui ont osé braver le écrit à sa meilleure amie afin de lui À propos de deux tableaux (Femmes écarlate, dans lequel elle met en scène la des-
tinée d’un couple mixte franco-sénégalais.
monde littéraire très masculin confier ce qu’a été sa vie d’épouse d’Alger dans leur appartement de
avant la toute fin des années . et de mère, ses relations parfois Delacroix et la version qu’en a ASSIA DJEBAR (NÉE EN 1936)
Certaines ont alors volontairement difficiles avec sa belle-famille et la donnée plus tard Picasso, Femmes Née à Cherchell en Algérie, Assia Djebar fait

fait entendre une voix féminine détresse qui a été la sienne lorsque d’Alger d’après Delacroix), donc à
des études de lettres et d’histoire à Alger puis
à Paris. Elle publie son premier roman, La Soif,
– féministe parfois –, d’autres son mari a décidé de prendre pour propos de deux regards de peintres en 1957, puis quitte la France et part ensei-
ont choisi les chemins du roman co-épouse une jeune adolescente, occidentaux, Assia Djebar livre à gner au Maroc. Lors de l’indépendance, elle

sans faire de la cause des femmes amie de leur fille. Un roman son tour des portraits de femmes regagne l’Algérie et enseigne à l’université
courageux, écrit par une pionnière d’Alger jusqu’en 1965. Elle vit ensuite entre la
l’unique objet de leur ressentiment. « d’hier » et « d’aujourd’hui » selon France et l’Algérie avant de diriger en 1995 le
Elles ont mis en scène leurs sénégalaise des lettres féminines le découpage en deux temps de Centre d’études francophones de Louisiane et
congénères, mères, épouses, sœurs, francophones sur le Continent. son recueil de nouvelles. Un livre d’enseigner à l’université d’État de New York.
Essayiste et romancière, réalisatrice de deux
amantes, combattantes, soumises comme un jeu de connivences et de films, elle a été élue à l’Académie française en
ou révoltées. Elles ont fait entendre complicités, entre femmes et entre 2005.
des paroles inédites, des points de artistes par-delà les temps et les
vue originaux. Elles ont enfreint lieux.
des interdits, bravé des tabous, DU MÊME AUTEUR
pour évoquer des sujets jusqu’alors Les alouettes naïves
peu présents : polygamie, inceste,
mutilations sexuelles, sexualité,
prostitution, maladies, sida, etc.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 31
MAIRE Fatima, Fatou, Aya, Aïcha, Ramatoulaye et les autres

ALGÉRIE ALGÉRIE ALGÉRIE


LEÏLA SEBBAR (NÉE EN 1941)
Fatima ou les Princesses Des rêves Née en Algérie d’une mère française et d’un
père algérien, Leïla Sebbar vit en Algérie
Algériennes au square Fatima Gallaire et des assassins jusqu’en 1961. Elle vient ensuite en France
suivre des études de lettres à Aix-en-Pro-
Leïla Sebbar  1988, Editions des Quatre-Vents Malika Mokkedem  vence, puis à Paris en 1963. Parallèlement à
son travail de professeur de lettres, elle colla-
1981 (Elyzad) Une jeune femme, mariée à un 1995, Grasset bore à de nombreux magazines et émissions
Au début des années , dans Français, revient dans son village La quête douloureuse de Kenza, de radios, et constitue une œuvre abondante,
essentiellement romanesque, de Shérazade,
le square au pied d’une cité de algérien natal après une longue une jeune femme algérienne 17  ans, brune, frisée, les yeux verts en 1982 à
La Courneuve, dans la banlieue absence. Elle retrouve les lieux, les opprimée, qui vient dans le Sud La Confession d’un fou en 2011. Elle a réuni
parisienne, Leïla Sebbar est allée gestes et les visages familiers. Les de la France afin de retrouver sa plusieurs recueils collectifs autour de l’enfance
amies d’enfance, les parentes, les et de l’histoire algériennes.
à la rencontre de femmes mère qui l’a abandonnée alors
algériennes de , ,  ans, mères voisines, toutes viennent saluer qu’elle était enfant. De témoignage FATIMA GALLAIRE (NÉE EN 1944)
de familles, « illettrées », « nées dans son retour et évoquer les souvenirs, en témoignage, la jeune femme Née à El-Arrouche en Algérie, Fatima Gallaire
l’Algérie coloniale et rurale ». ceux qui s’en sont allés, ceux qui reconstruit l’itinéraire difficile de a suivi des études de lettres à l’université d’Al-
ont fui, les mariages, les enfants, les ger, puis de cinéma à Paris. Après un court
Le square est le lieu de la parole, de celle qu’elle avait cru mauvaise séjour en Algérie où elle dirige la cinéma-
la confidence, et de l’écoute pour bonheurs et les ingratitudes de la mère et qui avait été contrainte thèque d’Alger, elle revient en France, reprend
l’auteur mais aussi pour la fille de vie. Malgré la joie des retrouvailles, à l’exil, victime, elle aussi, de ses études sur le cinéma et écrit sa première

Fatima, Dalila, qui, après une ultime toutes la mettent en garde et lui l’oppression masculine.
pièce, Princesses ou Ah, vous êtes venus là il
y a quelques tombes  !, présentée au public en
brimade de son père, décide de fuir prédisent un prochain malheur 1986. Dramaturge, conteuse, elle a également
et d’échapper aux destins dont elle qui ne tardera pas à venir avec écrit des romans et des nouvelles et réalisé un
a entendu le récit. l’arrivée de vieilles femmes vêtues documentaire, Les Porteurs de valise.
de noir et voilées qui s’acharneront
MALIKA MOKKEDEM (NÉE EN 1949)
DU MÊME AUTEUR
sur « l’impure », « la parjure ». Une Née à Kenadsa en Algérie, Malika Mokkedem a
La Seine était rouge
Le silence des rives
pièce de théâtre qui dénonce, avec fait des études de médecine à Oran puis Paris,
force et efficacité, les dérives et les et s’est installée à Montpellier en 1979 avant
de se consacrer à la littérature dès 1985 et de
intolérances. publier son premier roman, Les Hommes qui
marchent, en 1990.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 32
MAIRE Fatima, Fatou, Aya, Aïcha, Ramatoulaye et les autres

ALGÉRIE CÔTE-D’IVOIRE SÉNÉGAL


LEÏLA MAROUANE (NÉE EN 1960)
La fille de la Casbah Rebelle Riwan Leïla Marouane est née en Tunisie. Journaliste
en Algérie puis en France, elle vit à Paris depuis
Leïla Marouane Fatou Keita Ken Bugul 1991. Elle est l’auteur de plusieurs romans qui
mettent en scène des destins de femmes sou-
1996, Julliard 1998, Présence africaine 1999, Présence africaine vent douloureux : Ravisseur, La Fille de la Cas-
bah, La Jeune Fille et la mer (2005), Le Châ-
Pas facile pour Hadda de dire non Mariée par son père à un riche La destinée d’une jeune femme timent des hypocrites, La Vie sexuelle d’un
et de refuser le mariage qui lui est commerçant à l’âge de  ans, sénégalaise qui, après avoir reçu islamiste à Paris.
proposé par sa famille. Pourtant Malimouna s’enfuit le soir de une éducation occidentale, choisit
FATOU KEITA (NÉE EN 1955)
cette enseignante qui vit avec sa ses noces, après avoir assommé de devenir l’épouse d’un marabout Née à Soubré en Côte-d’Ivoire, Fatou Keita
mère dans la casbah d’Alger et son époux : celui-ci venait de beaucoup plus âgé qu’elle, auprès a suivi ses études primaires et secondaires
semble soumise aux décisions de s’apercevoir qu’elle avait échappé de qui elle trouvera apaisement et dans son pays et en France, puis des études
de lettres anglophones en Angleterre et aux
ceux qui l’entourent choisit le refus. à l’épreuve de l’excision. Dès lors, épanouissement. Un roman qui est États-Unis. Elle a ensuite enseigné à l’uni-
Mais le prix de la liberté sera bien en Afrique et en Europe, elle sera aussi une occasion de plonger au versité d’Abidjan. Elle a publié de nombreux
lourd pour celle qui a refusé le confrontée aux oppressions et cœur de la vie communautaire et albums destinés aux jeunes lecteurs et publiés
destin que d’autres lui avait écrit… humiliations dont sont victimes les polygamique. en Côte-d’Ivoire.

femmes africaines et tentera de les KEN BUGUL (NÉE EN 1947)


DU MÊME AUTEUR DU MÊME AUTEUR
Ravisseur combattre et d’inviter ses consœurs Rue Félix-Faure Née à Ndoucoumane au Sénégal, Ken Bugul
à les refuser. Le baobab fou choisit un pseudonyme qui signifie en wolof
« celle dont personne ne veut ». Elle com-
mence sa carrière d’écrivain, en 1982, avec Le
Baobab fou, qui fait d’elle l’une des voix fémi-
SÉNÉGAL nines pionnières de l’Afrique francophone.
La nuit est tombée Après avoir travaillé à Dakar au planning fami-
lial et dans diverses structures internationales,
sur Dakar elle se consacre à l’écriture. Après avoir vécu à
Porto-Novo au Bénin, où elle gérait un centre
Aminata Zaaria de promotion d’objets d’art et d’artisanat, elle
est récemment rentrée au Sénégal.
2004, Grasset
AMINATA ZAARIA (NÉE EN 1973)
La dérive de deux jeunes Dakaroises Née à Thiès, au Sénégal, Aminata Zaaria est
qui, face aux difficultés de la vie et journaliste, elle a publié son premier roman,
aux rejets dont elles sont victimes La nuit est tombée sur Dakar, en 2004, et un
récit autobiographique écrit après la mort de
dans leur famille, choisissent
son mari, La Putain amoureuse d’un pèlerin
les mirages de la séduction et juif. Elle est également actrice pour le cinéma
l’apparente facilité, en bravant les (Lili et le baobab).
barrières morales et en se livrant à
la prostitution.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 33
MAIRE Fatima, Fatou, Aya, Aïcha, Ramatoulaye et les autres

ALGÉRIE MAROC SÉNÉGAL


MAÏSSA BEY (NÉE EN 1950)
Cette fille-là Marrakech, lumière Celles qui attendent Née à Ksar el Boukhari en Algérie, Maïssa Bey
a fait ses études de lettres à l’université d’Alger
Maïssa Bey d’exil Fatou Diome puis enseigné à Sidi Bel Abbès avant d’occu-
per les fonctions de conseillère pédagogique.
2001, Éditions de L’Aube Rajae Benchemsi 2010, Flammarion Elle multiplie les activités socio-culturelles en
Algérie : elle a fondé les éditions Chèvre feuille
Malika, qui a été abandonnée, 2003, Sabine Wespieser Éditeur Pour ce roman, la romancière étoilée et créé une association de femmes,
s’invente des mères, des compagnes Après dix ans passés à Paris, la sénégalaise Fatou Diome a choisi de Paroles et écritures.
de détresse, des frangines de narratrice revient à Marrakech, poser sa lorgnette en terre africaine,
RAJAE BENCHEMSI (NÉE EN 1957)
désamours : Malika, Aïcha, Yamina, où elle rencontre Bahia, qui de demeurer avec les mères, les Née à Meknès, Rajae Benchemsi a fait, à Paris,
Fatima… des filles perdues, des dessine avec du henné sur les épouses, les sœurs qui ne sont pas des études de lettres, couronnées par un doc-
égarées du monde, des femmes que mains des touristes, puis sa fille, parties et n’ont pas accompagné torat de lettres et une thèse sur l’écrivain fran-
çais Maurice Blanchot. De retour au Maroc,
la vie (et les hommes !) ont abusées, Zahia, une jeune autiste rejetée, les hommes partis en Europe en elle a enseigné à l’École normale supérieure
broyées, rejetées, meurtries. exclue et recluse dans un hôpital quête de meilleurs lendemains. de Marrakech. Poète (Paroles de nuit), roman-
psychiatrique, que la narratrice va Ces femmes « qui attendent » dans cière (La Controverse des temps) et nouvelliste
DU MÊME AUTEUR
l’espoir, parfois vain, de retrouver (Fracture du désir), elle se consacre aussi à la
Entendez-vous dans les montagnes tenter d’aider. En contrechamp, critique d’art.
Puisque mon cœur est mort d’autres rencontres, d’autres celui qui les a (dé)laissées, à moins
souvenirs et la destinée des aïeules qu’elles ne voient revenir un autre FATOU DIOME (NÉE EN 1968)
de la famille. homme, tant l’exil l’aura changé. Née au Sénégal dans l’île de Niodor, Fatou
Diome vit en France depuis 1994 où elle a
DU MÊME AUTEUR occupé de nombreux emplois afin de pour-
La préférence nationale suivre ses études de lettres. C’est cette situa-
Le ventre de l’Atlantique tion qui lui a inspiré, en 2001, son premier livre,
un recueil de nouvelles, La Préférence natio-
nale. Son premier roman, Le Ventre de l’At-
lantique, lui a très vite assuré une renommée
internationale. Désormais, elle enseigne à l’uni-
versité de Strasbourg et consacre son temps à
l’écriture (Kétala, Inassouvies nos vies).

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 34
MAIRE Fatima, Fatou, Aya, Aïcha, Ramatoulaye et les autres | Des amours contrariées, déchirées

CAMEROUN Des amours SÉNÉGAL LÉONORA MIANO (NÉE EN 1973)


Née à Douala au Cameroun, Léonora Miano
Blues pour Élise contrariées, Maïmouna est venue en France en 1991, afin de pour-
suivre des études de lettres et travailler sur les
Léonora Miano déchirées Abdoulaye Sadji littératures anglophones. Elle a publié son pre-
mier roman, L’Intérieur de la nuit, en 2005, puis,
2010, Plon Hostilité ou diktat de la famille, 1953, Présence africaine l’année suivante, Contours du jour qui vient,
pour lequel elle a obtenu le prix Goncourt des
Le sous-titre, « Figures regard des autres, poids de la Malgré ses attentions et son amour lycéens. Également musicienne et chanteuse,
afropéennes saison  », dit très société : les amours africaines sont maternel, Baro, une commerçante elle est l’auteur-interprète d’un spectacle poé-
clairement les intentions de soumises à bien des pressions. sur les marchés, ne peut retenir tique et musical, Sankofa Cry.

la romancière camerounaise : Interdits et tabous, barrières auprès d’elle au village sa seconde ABDOULAYE SADJI (1910-1961)
dresser une galerie de portraits morales, hiérarchies sociales, fille, Maïmouna, tentée par la vie Né à Rufisque dans une famille maraboutique
montrant diverses facettes de la intérêts financiers : les amours dakaroise que connaît déjà son au Sénégal, Abdoulaye Sadji est allé à l’école
communauté noire en France, et, africaines sont soumises aux aînée, mariée à un homme riche coranique, puis à l’École William Ponty de
Gorée et à l’École normale d’instituteurs de
tout particulièrement, de quatre lois du groupe, avec lesquelles de la capitale. Maïmouna rejoint sa Saint-Cloud. De retour au Sénégal, il fait une
figures féminines. Quatre femmes elles se doivent de composer ou sœur qui la prend en main et la met carrière d’inspecteur de l’Éducation nationale.
noires dans leur intimité, quatre qu’elles doivent enfreindre. Les en valeur au point de devenir l’objet À ce titre, il écrit, avec Léopold Sédar Senghor,
La Belle Histoire de Leuk-le-Lièvre. Ses deux
femmes et leur vie amoureuse, leurs enjeux dépassent souvent les seuls de bien des convoitises. Sa réussite romans – Nini, mulâtresse du Sénégal (1947) et
désirs, leurs envies, leurs certitudes, membres du couple. est incontestable, tout comme le Maïmouna – dénoncent la perte de repères de
leurs doutes. sera sa chute, car les pièges et les la société africaine confrontée à l’agression du
modernisme occidental.
séductions de la ville ne manquent
DU MÊME AUTEUR
L’intérieur de la nuit pas pour une jeune fille sans
Tels des astres éteints défense.
DU MÊME AUTEUR
La belle histoire de Leuk-le-Lièvre

« Pour une personne de ma génération,


il n’y a pas de tiraillement identitaire
ni de questionnement sur notre légitimité
à utiliser cette langue, ni même sur
la légitimité de cette langue dans nos
espaces ».
Léonora Miano

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 35
MAIRE Des amours contrariées, déchirées

TUNISIE ALGÉRIE MALI


ALBERT MEMMI (NÉ EN 1920)
Agar Le quai aux fleurs Sous l’orage Né à Tunis, dans une famille juive, Albert
Memmi fait des études de lettres et de philo-
Albert Memmi ne répond plus Seydou Badian sophie en Tunisie, puis à l’université d’Alger et
de la Sorbonne, à Paris. Enseignant à Tunis, il
1955 (Folio) Malek Haddad 1963, Présence africaine quitte le pays lors de l’indépendance et s’ins-
talle en France où il enseigne à l’Ecole des
Après avoir épousé Marie, une 1961 (10/18) Benfa souhaite marier sa fille hautes études de commerce puis à l’université
étudiante alsacienne, un jeune Khaled, écrivain algérien, fuit Kany avec un riche commerçant de Nanterre. Il est l’auteur de nombreux essais
parmi lesquels, en 1957, Portrait du colonisé,
médecin juif rentre dans son pays, la la guerre et vient à Paris où il polygame. Celle-ci refuse et se
suivi de Portrait du colonisateur.
Tunisie. Très vite le couple dérange, compte se réfugier chez son ami heurte violemment à son père, car
les deux époux ne parviennent pas à Simon, mais ce dernier est absent. elle aime Samou, un camarade MALEK HADDAD (1927-1978)
surmonter le regard réprobateur des C’est son épouse qui le reçoit d’enfance. Les frères de Kany sont Malek Haddad fait ses études à Constantine où
il est né, puis devient instituteur. Il part ensuite
parents et des amis, et leur union ne – immédiatement séduite et… divisés : Birama soutient sa sœur en France poursuivre des études de droit, qu’il
résiste pas au choc des cultures et séductrice. Khaled, demeuré fidèle tandis que Sibiri prône l’obéissance arrête avant la fin. Durant la guerre d’indépen-
aux pesanteurs de la société. à son épouse restée en Algérie, au père. Afin de faire entendre dance, il collabore à diverses revues et radios
raison à ses enfants, Benfa envoie et publie ses romans (Je t’offrira une gazelle,
apprend peu après que celle-ci L’Élève et la leçon). En 1962, il rentre en Algé-
a été tuée en compagnie d’un Kany et Birima, auprès de leur rie, occupe les fonctions de chargé de la
parachutiste. oncle, le vieux Djigui, dans un culture au ministère de l’Information, fonde la
village au bord du fleuve Niger, revue Promesse, puis est nommé président de
l’Union des écrivains algériens en 1974.
souhaitant que ce dernier les amène
à de meilleures intentions. SEYDOU BADIAN (NÉ EN 1928)
Né à Bamako, Seydou Badian fait des études de
médecine en France et publie en 1957 un des
romans les plus étudiés sur le Continent, Sous
l’orage. De retour au Mali, il exerce comme
médecin jusqu’en 1962 puis devient ministre
de l’Économie rurale et du Plan sous le régime
de Modibo Keita, et écrit les paroles de l’hymne
national. Il démissionne en 1966. Lors du chan-
gement de régime en 1968, il est mis en prison
pendant sept ans. Malade, il est libéré et soigné
en France. Il vit aujourd’hui à Dakar.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 36
MAIRE Des amours contrariées, déchirées

CONGO MALI MAROC SONY LABOU TANSI (1947-1995)


Né dans l’actuelle République démocratique
L’anté-peuple Toiles d’araignées Le soleil des obscurs du Congo, Sony Labou Tansi vient très tôt
au Congo où il demeure toute sa vie. Ensei-
Sony Labou Tansi Ibrahima Ly Abdelhak Serhane  gnant d’anglais, il découvre le théâtre et crée à
Brazzaville le Rocado Zulu Théâtre, qui monte
1983, Seuil 1982 (Babel) 1992, Seuil ensuite toute ses pièces en Afrique, en Europe
et en Amérique du Nord. Dramaturge – l’un
Dadou, directeur d’un collège de Mariama, contrainte de devenir la Soltane et Mina sont deux des plus joués du continent de son vivant –, il
jeunes filles, est un homme intègre, troisième épouse d’un homme de adolescents à peine sortis de est aussi l’auteur de six romans et de recueils
marié et père de deux enfants.  ans que ses parents et l’ensemble l’enfance, que leurs parents ont de poèmes. Par son œuvre et sa personnalité,
il a fortement marqué l’écriture francophone
Un soir, il est attendu par une de du village lui destinent, refuse ce décidé de marier. L’un et l’autre africaine et plusieurs écrivains revendiquent sa
ses élèves, Yavelde, qui tente de mariage. Après que son prétendant ignorent tout des « choses de la vie » filiation.
le séduire. Le lendemain, il reçoit lui a infligé la « morsure infamante » et de leur sexualité en particulier.
une invitation pour se rendre à une du viol, elle est condamnée à la Le mariage sera une effroyable IBRAHIMA LY (1936-1989)
Né à Kayes au Mali, Ibrahima Ly fait des études
fête où il est invité à danser par prison par les autorités villageoises. descente aux enfers pour ces supérieures de mathématiques à Dakar, Tou-
Yealdera, la cousine de Yavelde. Elle y subit les vexations et les deux victimes d’une même erreur louse et Paris, où il milite pour la Fédération
Afin de masquer sa gêne, Dadou humiliations les plus horribles de la inéluctablement tragique. des étudiants d’Afrique noire. Il rentre ensuite
au Mali et enseigne à l’Ecole normale supé-
boit au point d’en être malade. Dès part des gardiens et des co-détenus. rieure de Bamako. Arrêté, il est emprisonné
DU MÊME AUTEUR
cet instant, la vie du héros bascule Elle rencontre Bissou le fou diseur Les enfants des rues étroites dans les geôles maliennes pour raisons poli-
dans un tourbillon incontrôlable. de bien des vérités, le « Babouin » tiques de 1974 à 1978. À sa libération, il part
enseigner à Dakar et transpose son expérience
Sur cette trame mélodramatique, cruel et sans scrupule, Hamada carcérale dans son roman Toiles d’araignées,
un roman sur les interrogations auprès duquel elle trouve un peu qui sera suivi d’un second, demeuré inachevé,
existentielles d’un héros emporté de réconfort et d’humanité, Daouda Les noctuelles vivent de larmes.
par une destinée qu’il ne maîtrise l’intellectuel, Tiécoura le lépreux et
ABDELHAK SERHANE (NÉ EN 1950)
pas. surtout Yoro, le prisonnier politique, Né à Séhou au Maroc, Abdelhak Serhane a
qui lui conte son propre martyre. suivi des études de psychologie et de littéra-
DU MÊME AUTEUR
Antoine m’a vendu son destin Après une douloureuse détention, ture, et est devenu professeur de psycholo-
gie à l’université de Kenitra avant de quitter le
La vie et demie elle meurt épuisée, victime des Maroc. Il vit désormais entre le Canada et les
mauvais traitements mais aussi de États-Unis où il enseigne à l’université de Loui-
sa totale désespérance. Un roman siane. Outre un récit autobiographique (Mes-
inspiré par la propre incarcération saouda), il a consacré l’essentiel de son œuvre
à la dénonciation des enfances et des ado-
de l’auteur dans les geôles lescences gâchées par le poids des traditions
maliennes durant la dictature. répressives.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 37
MAIRE Des amours contrariées, déchirées

ALGÉRIE MAROC TCHAD


RACHID BOUDJEDRA (NÉ EN 1941)
Timimoun Chocolat chaud Les jambes d’Alice Rachid Boudjedra fait ses études en Algérie et
en Tunisie. Militant actif pendant la guerre d’Al-
Rachid Boudjedra Rachid O. Nimrod gérie, puis représentant du Front de Libération
Nationale en Espagne, il revient en Algérie à
Denoël, 1995 1998, Gallimard 2000, Actes Sud l’indépendance. Après différents allers-retours
entre la France, le Maroc et l’Algérie, il revient
Dans le Tassili, un chauffeur de Un roman en large partie La quête amoureuse et la fuite d’un en Algérie en 1976 et occupe diverses fonc-
car transporte des touristes et autobiographique pour dire professeur follement épris de l’une tions au ministère de l’Information, aux Édi-
tions nationales et enseigne à l’Institut des
tente de leur faire partager sa l’absence d’une mère décédée de ses élèves dans le Tchad en proie
sciences politiques d’Alger. Depuis La Répu-
fascination pour le désert. Être alors que le narrateur, un aux démons de la guerre. Récit diation, il n’a cessé d’écrire avec régularité une
en dérive, il tente d’oublier sa adolescent marocain, avait deux poétique des élans et des lâchetés des œuvres romanesques maghrébines les
détresse, sa quarantaine névrosée, ans. Pour confier ses troubles, ses d’un homme, de ses fantasmes et de plus abondantes.

son passé de pilote de chasse amitiés masculines et sa passion son amour dans la liberté trouble RACHID O. (NÉ EN 1970)
réformé pour mauvaise conduite, homosexuelle pour un garçon accordée par la guerre. Né à Rabat, Rachid O. a fait ses études à Mar-
ses amis qu’il envie parfois. Il français entraperçu sur une photo. rakech puis est venu en France. Il publie, en
DU MÊME AUTEUR
tente surtout d’oublier sa détresse 1995, L’Enfant ébloui, son premier roman évo-
Le départ quant son homosexualité. Afin de préserver sa
sexuelle et ses échecs amoureux en famille, il publie sous cette seule identité.
contemplant dans le rétroviseur le
visage d’une jeune fille. Compagne NIMROD (NÉ EN 1959)
Né au Tchad, Nimrod a enseigné à N’Djamena
involontaire et silencieuse, elle
et Abidjan, avant de venir en France où il se
devient la confidente distante de consacre à l’écriture. Il a été rédacteur en chef
ses souvenirs, de ses élans et de ses de la revue Aleph, beth de 1997 à 1999 et co-
fantasmes, d’un amour esquissé anime depuis 2003 la revue Agotem. Il a consa-
cré deux essais au poète sénégalais Léopold
mais impossible. Sédar Senghor (Tombeau pour Léopold Sédar
Senghor). Poète, romancier à la langue sub-
DU MÊME AUTEUR
tile et précise, Nimrod arpente les traces de
La répudiation la mémoire en particulier celle de l’enfance et
Topographie idéale pour une agression de l’adolescence dans ses romans Les Jambes
caractérisée d’Alice et Le Bal des Princes, et dans son récit
Le Départ.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 38
MAIRE Des amours contrariées, déchirées

MAURITANIE MAROC MALI


MBAREK OULD BEYROUK (NÉ EN 1957)
Et le ciel a oublié L’armée du salut Vieux lézard Né à Atar en Mauritanie, Mbarek Ould Bey-
rouk fait du droit et devient journaliste. Il crée
de pleuvoir Abdellah Taïa Ousmane Diarra et dirige Mauritanie demain, premier jour-
nal indépendant de son pays, puis collabore
Mbarek Ould Beyrouk  2006, Seuil 2006, Gallimard à diverses revues. Premier président de l’Asso-
ciation mauritanienne de la presse indépen-
2006, Éditions Dapper Les illusions et désillusions d’un À Bamako, la rencontre d’un dante, puis directeur à l’Agence mauritanienne

Lolla, une jeune femme belle, jeune Marocain qui, délaissant bibliothécaire, quadragénaire marié, d’informations, il est aujourd’hui membre de
la Haute Autorité de la presse et de l’audiovi-
provocante et convoitée, porte en l’intimité familiale mais aussi les et d’une jeune lectrice, étudiante suel. Auteur d’une cinquantaine de nouvelles
elle la mémoire de son peuple et interdits, part à Genève où il se croit énigmatique et insaisissable… Il publiées dans la presse nationale, il a publié
revendique avec force sa liberté. Elle attendu par Jean, un ami suisse est question de lectures, bien sûr, son premier roman, Et le ciel a oublié de pleu-
voir, en 2006.
s’est refusée à Béchir, le descendant avec qui il a voyagé au Maroc, qu’il mais aussi des incertitudes de
des Oulad Ayatt, le « fils des temps a aimé et qu’il est venu retrouver l’amour et des regards critiques des ABDELLAH TAÏA (NÉ EN 1973)
d’infamie », et elle n’a pu être en Europe afin d’y poursuivre ses uns et des autres dans une société Abdellah Taïa a fait ses études de lettres à
aimée de Mahmoud, sacrifié sur les études. Une Europe idéalisée par musulmane où les interdits religieux Rabat où il est né, ainsi qu’à Genève et Paris
où il réside. Auteur de plusieurs romans (Le
décombres des amours interdites. son jeune âge et qui ne répond pas à ne manquent pas. Rouge du tarbouche, Le Jour du roi), il a coor-
Lolla, Béchir et Mahmoud, trois ses attentes. donné plusieurs ouvrages collectifs (Lettres
à un jeune Marocain ; Jean Genet, un saint
personnages pour une même marocain) et également publié un article inti-
intrigue, qui, l’un après l’autre, vont tulé « L’homosexualité expliquée à ma mère ».
en entrelacer les fils. Tous trois
apporteront leur version du drame, OUSMANE DIARRA (NÉ EN 1960)
Né à Bassala, au Mali, Ousmane Diarra a suivi
conté avec un lyrisme poétique qui des études de lettres, puis enseigné avant de
sied à cette douloureuse histoire des devenir bibliothécaire au Centre culturel fran-
sables mauritaniens aux accents de çais de Bamako. Conteur, il y anime réguliè-
rement « L’heure du conte » et a publié plu-
tragédie antique.
sieurs ouvrages pour la jeunesse (La Longue
Marche des animaux assoiffés, Néné et la che-
nille, La Princesse capricieuse, Les Jumeaux
à la recherche de leur mère). Ses nouvelles
sont parues dans divers ouvrages collectifs.
Son premier roman, Vieux Lézard, est sorti en
2006.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
2

chapitre
SOM Histoires d’enfants, de femmes, de famille 39
MAIRE Des amours contrariées, déchirées

MAROC CÔTE-D’IVOIRE TCHAD


MOHAMED NEDALI (NÉ EN 1962)
Morceaux de choix Babyface Mosso Né à Tahannaoute dans une famille paysanne
marocaine, Mohamed Nedali a fait des études
Mohamed Nedali Koffi Kwahulé Noël Nétonon Ndjékéry de lettres en France avant d’enseigner dans le
lycée de sa ville natale. Morceaux de choix,
2003, Le Fennec 2006, Gallimard 2011, Éditions Infolio son premier roman, a été suivi par Grâce à
Jean de La Fontaine (2004), Le Bonheur des
Contre l’avis de son père qui entend Un roman à trois voix et trois Dendo, une adolescente, est mariée moineaux (2008), La Maison de Cicine (2010)
préserver la réputation de la famille, partitions pour dire, entre autres par ses parents à un professeur et Triste Jeunesse (2012).
un jeune homme interrompt ses intrigues enchâssées, la vie de gymnastique trentenaire,
KOFFI KWAHULÉ (NÉ EN 1956)
études et devient apprenti boucher. amoureuse et douloureuse de mais ce dernier meurt, poussé Né à Abengourou en Côte-d’Ivoire, Koffi Kwa-
Et c’est dans l’exercice de cette Mozati, une jeune fille violée par un sous un camion par « deux types hulé a reçu une formation de comédien et
profession qu’il va rencontrer ses maître d’école et qui s’est accrochée enturbannés » qui prennent la fuite metteur en scène à l’Institut national des arts
d’Abidjan puis à l’École nationale supérieure
futures conquêtes, s’initier aux par nécessité à un vieil expatrié dans les rues de N’Djamena. Dendo des arts du Théâtre de Paris. Dramaturge
plaisirs, assouvir ses désirs et français, avant de succomber aux refuse la diya (le « prix du sang »), depuis Cette vieille magie noire, en 1993, il
tomber amoureux de ses clientes. charmes de Babyface, un séducteur compensation traditionnelle donnée est l’auteur de nombreuses pièces jouées sur
Hlima, l’initiatrice bienveillante et malveillant qui la conduit à la folie. en contrepartie d’une faute ou d’un plusieurs scènes du monde. Il a publié deux
romans, Babyface en 2006 et Monsieur Ki en
chevronnée, Habiba avec laquelle il crime, que le chauffeur se propose 2010.
DU MÊME AUTEUR
sera arrêté, et surtout la sculpturale Bintou de payer. Elle veut démasquer les
et sublime Zineb, co-épouse d’un assassins de son mari et connaître NOËL NÉTONON NDJÉKÉRY (NÉ EN 1956)
Né à Moundou au Tchad, Noël Nétonon Ndjé-
vieil homme retraité… Les amours les raisons de leur crime. Elle finit
kéry a suivi des études de mathématiques et
d’un apprenti boucher, comme cependant par quitter le Tchad de physique puis d’informatique. Il vit et tra-
l’annonce le sous-titre, amours pour la Suisse, où elle rejoint une vaille en Suisse et a publié son premier roman,
contrariées mais rapportées avec amie. Son exil volontaire, devenu Noix de kola, en 1999.

humour, gouaille et sensualité. contraint, se dessine aussi comme


une tragédie.

« Dans tout ce que j’écris,


il y a toujours le souci de trouver
une langue qui soit à la frontière
de l’oral et de l’écrit. La vraie
langue de théâtre se trouve dans
cet équilibre-là.
Koffi Kwahulé, entretien avec Sylvie Chalaye, AfriBD

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
3

chapitre
SOM 40
MAIRE

Les traces
de l’Histoire
Dans ces années de mise en place des littératures africaines, des liens d’une grande
proximité sont entretenus avec l’Histoire en marche et l’immédiate actualité.
Les écrivains en sont les observateurs attentifs, parfois les acteurs, ils accompagnent
l’Histoire, ils en rendent compte quand ils ne la précèdent pas de leurs textes
prémonitoires. Leurs engagements militants les détournent ou les distraient parfois
de la création littéraire pour les conduire à des postes à responsabilité politique.
Ils les mènent aussi sur des chemins d’exil, ou plus grave, vers la prison ou la mort.
À ce titre, leur courage se doit d’être salué. Les dates de première publication (et donc
d’écriture) sont des indices essentiels dans la compréhension de leurs textes.

Les eaux Les échos La guerre


sombres de de la d’Algérie
l’Histoire colonisation et après
3

chapitre
SOM 41
MAIRE Les traces de l’Histoire

Les eaux BÉNIN MALI


FÉLIX COUCHORO (1900-1968)
sombres de L’esclave Le devoir de violence Né à Ouidah, au Dahomey devenu Bénin, Félix
Couchoro, après avoir suivi une formation dans
l’Histoire Félix Couchoro Yambo Ouologuem divers établissements catholiques, se consacre
à l’enseignement puis devient employé de
La traite, « ce sac, ce vrac » comme 1929, Éditions Akpagnon 1968 (Le Serpent à plumes) commerce et commence à publier quelques
textes dans La Dépêche africaine. Dès 1929, il
la nommait Césaire, est une Un jeune esclave, acheté à l’âge de L’histoire de l’empire imaginaire publie un premier roman, L’Esclave. Plus tard,
béance dans la mémoire, que  ans, fait désormais partie de la du Nakem, du début du e siècle il crée le journal L’Éveil togolais, puis L’Éveil
peu d’écrivains ont entrepris de famille. À la mort du père, il entend jusqu’à la colonisation. Une histoire togo-dahoméen, et s’engage en politique tout
en continuant de publier de nombreux textes
combler. Sur ce moment tragique obtenir une part de l’héritage, ce qui violente qui met à mal l’idée d’une de fiction sous forme de feuilletons dans la
s’est imposé une sorte de silence, n’est pas de l’avis du fils légitime. Afrique précoloniale idyllique. Un presse togolaise. Il est mort à Lomé, au Togo,
peut-être un traumatisme La rivalité s’installe entre « le fils roman à la réception controversée : en 1968.
dévastateur, un malaise puissant, de l’argent » et « le fils de sang ». peu apprécié en Afrique pour sa YAMBO OUOLOGUEM (NÉ EN 1940)
sans doute une pudeur. Elle se terminera dans le drame. Ce vision du passé et pour ses passages Né à Bandiagara au Mali, Yambo Ouologuem
Les écrivains africains ont peu roman est considéré comme l’un des érotiques, il a été bien accueilli par a suivi des études de lettres, de philosophie
écrit sur cette période de l’Histoire premiers écrits en français d’Afrique la critique européenne, avant que et de sociologie à Bamako puis à Paris. Son
roman, Le Devoir de violence, a fait de lui le
dont il faut chercher les traces subsaharienne, après Les Trois son auteur ne soit accusé de plagiat. premier Africain à recevoir le prix Renaudot en
de l’autre côté de l’Atlantique, Volontés de Malic d’Amadou Mapaté 1968, mais une accusation de plagiat a brisé sa
auprès des romanciers américains Diagne, en , et Force-Bonté de carrière littéraire. Il est l’auteur, en 1969, d’un
pamphlet, Lettre à la France nègre, et d’un livre
et caribéens. Bakary Diallo, en . érotique, Les Mille et Une Bibles du sexe.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
3

chapitre
SOM Les traces de l’Histoire 42
MAIRE Les eaux sombres de l’Histoire | Les échos de la colonisation

TOGO/BÉNIN Les échos ALGÉRIE


WILLIAM ADJÉTÉ WILSON (NÉ EN 1952)
L’océan noir de la L’incendie Né à Tours d’une mère française et d’un père
togolo-béninois, William Wilson fait ses études
William Adjété Wilson colonisation Mohammed Dib de philosophie et d’ethnologie en France.
Artiste plasticien, il fait sa première exposition
2009, Gallimard Jeunesse La période coloniale, ses 1954, Seuil en 1976, obtient la Villa Médicis hors les murs
en 1986, et part pour un an aux États-Unis.
Un livre retraçant l’histoire coulisses, ses acteurs principaux Omar, le jeune héros de La Grande À partir de 1995, il expose régulièrement ses
individuelle de la famille de et les victimes n’ont pas manqué Maison, vit pour quelque temps œuvres dans différents pays. Illustrateur, il col-
l’auteur et la destinée collective d’inspirer les écrivains, tout de vacances dans un village de labore avec Marie Nimier, Isabelle Jarry, Muriel
Bloch, Patrick Chamoiseau. Il est aussi l’auteur
des esclaves, de leurs descendants particulièrement les romanciers. montagne où il découvre la vie des d’une série de recueils de proverbes animaliers
et de la diaspora, sans occulter Ces derniers ont décrit avec force, fellahs qui ont été dépossédés de et de l’album Océan noir.
la part des marchands et des humour parfois, les divers aléas, leurs terres par les colons. Tout
contraintes, oppressions, dérives MOHAMMED DIB (1920-2003)
complices. Un livre illustré avec des d’abord résignés, ces derniers Né à Tlemcen, Mohammed Dib exerce tout
documents familiaux et surtout la et errements de la colonisation prennent conscience de l’injustice d’abord en Algérie comme instituteur puis tra-
reproduction d’une série de dix- et de ses représentants. Ils ont de leurs conditions de vie, se vaille aux Chemins de fer où il sert d’interprète
sept tentures en appliqué de tissus mis en scène les représentants de révoltent et décident de faire grève. aux forces alliées pendant la Seconde Guerre
mondiale. Il publie son premier poème en
de coton de couleur, conçues par l’ordre colonial. Les commandants Un incendie survenu dans une 1947, travaille en tant que journaliste à Alger
l’auteur et réalisées à Abomey de cercle et leurs épouses ont étés de leurs maisons brise leur élan : Républicain puis publie, en 1951, La Grande
selon une technique traditionnelle stigmatisés, les missionnaires des « coupables » sont arrêtés et Maison, premier volume de sa trilogie « Algé-
rie ». En 1959, il quitte l’Algérie pour la France
perpétuée aujourd’hui encore au brocardés et moqués, de même emmenés. Mais les mentalités où il constitue une œuvre abondante et renou-
Bénin. Un superbe album pour une qu’ont été dénoncées les méthodes ont changé en cette période velée, alternant poésie (Feu beau feu), théâtre
douloureuse histoire, celle de la brutales, les maladresses et les qui voit aussi survenir un autre et surtout nouvelles et romans (Habel, La Nuit
malveillances de tous. Les cadets sauvage, L’Infante maure).
traite et plus généralement de la bouleversement : la mobilisation des
destinée du peuple noir. n’ont pas totalement oublié cette hommes pour la Seconde Guerre
page de l’Histoire, officiellement mondiale. Cette prise de conscience
tournée à la fin des années  ou politique du monde rural sera suivie
au début des années . par celle du monde des artisans
dans le troisième volet de la trilogie
de Mohammed Dib,
Le Métier à tisser.
DU MÊME AUTEUR
La grande maison
Neiges de marbre
Si Diable veut

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
3

chapitre
SOM Les traces de l’Histoire 43
MAIRE Les échos de la colonisation

CAMEROUN CAMEROUN CAMEROUN


FERDINAND OYONO (1929-2010)
Une vie de boy Le vieux nègre Le pauvre Christ Né à Ebolowa, au Cameroun, Ferdinand
Oyono a fait des études de droit et de sciences
Ferdinand Oyono et la médaille de Bomba politiques en France. Il écrit et publie ses trois
romans, entre 1956 (Une vie de boy, Le Vieux
1956 (Pocket) Ferdinand Oyono Mongo Béti Nègre et la médaille) et 1960 (Chemin d’Eu-
rope). Il se consacre ensuite à la diplomatie, en
Un jeune garçon employé comme 1956 (10/18) 1956 (Présence africaine) tant qu’ambassadeur dans de nombreux pays,
boy à la mission catholique puis Meka, le « vieux Nègre », a tout Denis, un jeune boy et enfant de et à la politique en assumant divers ministères
et fonctions auprès de la Présidence de la
par la famille du commandant donné à la « mère-patrie ». Ses chœur de  ans, est au service du République camerounaise.
de cercle devient rapidement un deux fils sont morts pour la France Révérend Père Drumond, supérieur
témoin gênant dans la vie privée durant la Seconde Guerre mondiale d’une mission catholique au MONGO BÉTI (1932-2001)
de la femme du commandant et et il a cédé ses terres à la mission Cameroun : il consigne ses faits et
Né au Cameroun, Mongo Béti (un pseudo-
nyme, tout comme Eza Boto sous lequel il a
de son amant, le directeur de la catholique. En reconnaissance, il gestes dans un journal tenu avec signé son premier roman, Ville cruelle, en 1954)
prison. Violemment frappé, mis en doit être décoré et recevoir une fidélité et candeur. Un vigoureux vient en France en 1951 afin de poursuivre des
prison, il mourra des suites de ses médaille. Très ému, il prépare avec pamphlet contre la colonisation études de lettres. Il enseigne à Rouen et mène
blessures.… une vie active d’intellectuel et de militant poli-
émotion et fébrilité l’événement. et ses principaux représentants tique. Il est aussi l’auteur d’essais et animateur
La cérémonie a lieu mais, au-delà et un portrait sévère de l’action de la revue Peuple noirs, peuples africains,
des belles paroles et des discours missionnaire d’un homme ce qui lui vaut exclusions et censures. À sa
retraite, en 1994, il ouvre à Yaoundé la Librai-
convenus, lorsque Meka invite le autoritaire et violent : son échec est rie des peuples noirs et continue d’enrichir une
haut commissaire à venir partager présenté comme la conséquence œuvre romanesque, largement enseignée sur
le bouc sacrifié en cette occasion, de sa domination maladroite et le Continent.
celui-ci refuse et laisse le vieux brutale, et de son incompréhension
Nègre humilié. Meka arrose alors du pays et des hommes.
sa médaille sans modération et,
DU MÊME AUTEUR
ivre, s’endort dans le quartier blanc. Remember Ruben
Malmené puis conduit en prison, il Trop de soleil tue l’amour
perd sa médaille et sort meurtri de
cette aventure.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
3

chapitre
SOM Les traces de l’Histoire 44
MAIRE Les échos de la colonisation

SÉNÉGAL MALI
OUSMANE SEMBÈNE (1923-2007)
Les bouts de bois
de Dieu
L’étrange destin Né à Ziguinchor au Sénégal, Ousmane Sem-
bène a été maçon à Dakar et docker à Mar-

de Wangrin
seille, puis s’est consacré à la littérature et au
cinéma, après avoir suivi une formation à Mos-
Ousmane Sembène cou. Militant syndicaliste, il a gardé de son

1960 (Presses Pocket) Amadou Hampâté Bâ expérience du monde du travail un attache-


ment pour les luttes ouvrières et l’engagement
1973, 10/18 politique dont témoignent ses romans et nou-
Au lendemain de la Seconde Guerre velles (Le Docker noir, Les Bouts de bois de
mondiale, lors de la construction
Récit véridique des aventures d’un familier de l’auteur qui Dieu, Niiwam) et ses films  Xala, Ceddo, Camp
de la ligne de chemin de fer reliant Thiaroye, Moolaadé ou encore Borom Sarret,
Dakar au fleuve Niger, une grande lui avait demandé de raconter sa vie afin de « servir aux premier moyen métrage africain francophone
de fiction réalisé en 1963.
grève paralyse le chantier. Autour hommes à la fois de divertissement et d’enseignement ».
du leader syndicaliste Bakayoko, Amadou Hampâté Bâ préserve son anonymat, en utilisant AMADOU HAMPÂTÉ BÂ (1900-1990)
les cheminots décident, à Bamako, l’un de ses surnoms, Wangrin, et en dissimulant ses Né à Bandiagara, en pays dogon, dans une
famille peule, Amadou Hampâté Bâ est, en
de montrer leur mécontentement
par un arrêt de travail mais, très lieux de résidence sous des anagrammes. Personnage tant que fils de chef, envoyé à l’école française.
Il se rend à Djenné, Kati, Bamako puis Dakar
vite, la grève s’étend et gagne le truculent et goguenard, Wangrin va profiter de sa situation à l’École Normale William Ponty. Il occupe
siège de la compagnie basée à d’interprète pour s’enrichir illicitement mais il sait aussi ensuite diverses fonctions dans l’administra-
tion coloniale en Haute-Volta puis au Mali. En
Thiès. La solidarité est active mais compromettre certains représentants du pouvoir qui 1942, il rejoint l’Institut français d’Afrique noire.
la répression est sévère et même À l’indépendance, il exerce un rôle d’intermé-
meurtrière. Les vivres manquent et
lui assurent l’impunité. Il sera à son tour spolié par une diaire entre son pays et le Sénégal puis est élu
les femmes s’organisent pour faire entraîneuse européenne dont il est l’amant, et finira, un au Conseil exécutif de l’Unesco en 1962. À par-
tir de 1970, il se consacre à son œuvre, publie
passer la nourriture aux grévistes. soir de débauche, dans la déchéance... un récit, L’Étrange Destin de Wangrin en 1974,
Elles organisent une marche sur puis Vie et enseignement de Tierno Bokar, le
DU MÊME AUTEUR Sage de Bandiagara en 1980 ainsi que la trans-
Dakar où se tient un meeting, au Amkoullel l’enfant peul cription et traduction de nombreux textes tra-
cours duquel Bakayoko parvient à Kaïdara ditionnels (Kaïdara, Koumen, Djeddo Dewal,
convaincre son auditoire et à mettre Oui mon commandant ! mère de la calamité). Il travaille aussi à la
en place une grève générale qui rédaction de ses Mémoires qui seront publiés
après sa mort.
contraint les autorités à céder aux
revendications.
DU MÊME AUTEUR
Le docker noir
Le mandat
Xala

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
3

chapitre
SOM Les traces de l’Histoire 45
MAIRE Les échos de la colonisation

NIGER MALI
ABDOULAYE MAMANI (1932-1993)
Sarraounia
Abdoulaye Mamani
Oui mon commandant ! Né à Zinder, au Niger, Abdoulaye Mamani
s’est très vite engagé dans la vie politique en
devenant député de l’Afrique équatoriale fran-
Amadou Hampâté Bâ çaise, puis en créant un parti – ce qui lui vaut,
1980, L’Harmattan au lendemain des indépendances, un exil de
1992, Actes Sud quatorze ans dans divers pays et plus tard un
Au Niger, à la fin du e siècle, emprisonnement de deux ans. Poète (Poémé-
Sarraounia (« reine » en haoussa), Dans ce deuxième volet de ses Mémoires, Amkoullel rides) et dramaturge, Abdoulaye Mamani a écrit
s’est opposée à la progression de a 22 ans et « l’enfant peul » a fait place à l’« écrivain un seul roman, Sarraounia, qui a été adapté au
cinéma par le Mauritanien Med Hondo.
l’expédition militaire française mais temporaire à titre essentiellement révocable ». Les
ne peut vaincre les canons et armes AMADOU HAMPÂTÉ BÂ (1900-1990)
à feu avec les lances et les flèches
portraits se succèdent et, loin de tout manichéisme, Né à Bandiagara, en pays dogon, dans une
des chasseurs de son village. Un Amadou Hampâté Bâ relate, avec distance et humour, les famille peule, Amadou Hampâté Bâ est, en tant
que fils de chef, envoyé à l’école française. Il
personnage de l’Histoire devenu événements vécus de ses 20 à 33 ans. Jamais servile, son se rend à Djenné, Kati, Bamako puis Dakar
un symbole de la résistance et un œil semble plus amusé que dupe, comme en témoigne à l’École Normale William Ponty. Il occupe
mythe national. ensuite diverses fonctions dans l’administra-
cette fausse soumission suggérée par le titre, Oui mon tion coloniale en Haute-Volta puis au Mali. En
1942, il rejoint l’Institut français d’Afrique noire.
commandant !, choisi par Amadou Hampâté Bâ lui-même. À l’indépendance, il exerce un rôle d’intermé-
On en devine bien vite toute l’ironie, même si le respect diaire entre son pays et le Sénégal puis est élu
au Conseil exécutif de l’Unesco en 1962. À par-
n’en est pas absent, pas plus que ne le sont l’esprit critique tir de 1970, il se consacre à son œuvre, publie
et la détermination. un récit, L’Étrange Destin de Wangrin en 1974,
puis Vie et enseignement de Tierno Bokar, le
DU MÊME AUTEUR Sage de Bandiagara en 1980, ainsi que la trans-
Amkoullel l’enfant peul cription et traduction de nombreux textes tra-
L’étrange destin de Wangrin ditionnels (Kaïdara, Koumen, Djeddo Dewal,
Kaïdara mère de la calamité). Il travaille aussi à la
rédaction de ses Mémoires qui seront publiés
après sa mort.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
3

chapitre
SOM Les traces de l’Histoire 46
MAIRE Les échos de la colonisation

CONGO ALGÉRIE
TCHICAYA U TAM’SI (1931-1988)
Les cancrelats La Kahéna Né à Mpili au Congo d’un père député repré-
sentant l’Afrique équatoriale au Parlement
Tchicaya U Tam’si Salim Bachi  français, Tchicaya U Tam’si (un pseudonyme
qui signifie « petite feuille qui parle pour son
1980, Albin Michel 2003, Gallimard pays ») commence sa scolarité à Pointe-
Noire puis vient en France avec ses parents à
En 1880, Thom’Ndundu suit son patron blanc en France, Sur les hauteurs de Cyrtha, ville l’âge de 15 ans. En rupture avec sa famille, il
chère à l’imaginaire de Salim exerce divers métiers et commence à écrire
puis le quitte en 1900 et regagne le continent africain, des poèmes. Il publie son premier recueil, Le
Bachi, se trouve une maison ayant
où naissent ses deux enfants, Sophie et Prosper. En 1921, appartenu à un colon maltais venu
Mauvais Sang, en 1955 et devient producteur
à la radio. Lors de l’indépendance, il regagne
Jean de L’Escaut, fils du gouverneur au service duquel s’y installer pour faire commerce le Congo, mais il revient à Paris après la mort
était employé Thom’Ndundu, s’installe à Pointe-Noire, au de vin et de tabac avant de devenir du Premier ministre Lumumba et devient fonc-
tionnaire international à l’Unesco. Il ne cesse
Congo, et emploie, à son tour, Sophie comme cuisinière et maire de la ville. Cette maison, « la de publier et constitue une œuvre essentiel-
Kahéna », est, de fait, le personnage lement poétique mais qui comporte aussi une
Prosper comme boy. Compromis dans une affaire de vol, du roman et ses murs bruissent des trilogie romanesque, un recueil de nouvelles
Prosper est arrêté. Il s’évade, épouse Mlila et s’installe à aventures de ses habitants mais (La Main sèche) et du théâtre (Le Zulu, Le Des-
tin glorieux du maréchal Nnikon Nniku).
Brazzaville où il est rejoint par sa sœur. Un roman qui est le aussi de l’histoire de l’Algérie, de sa
premier volet d’une trilogie poursuivie par Les Méduses en conquête aux émeutes des années SALIM BACHI (NÉ EN 1971)
. Né à Alger, Salim Bachi est venu en France en
1982 et Les Phalènes en 1984. 1997, afin de poursuivre ses études de lettres.
DU MÊME AUTEUR En 2001, il a publié Le Chien d’Ulysse qui lui
DU MÊME AUTEUR a valu la Bourse Goncourt du premier roman.
Le chien d’Ulysse
À triche-cœur Dans son œuvre (La Kahéna, Les Douze
Le bal de Ndinga Contes de minuit), il recourt à une prose
Feu de brousse lyrique et multiplie les références et les cita-
Le mauvais sang tions, afin de dire les doutes et les errements
– de ses personnages en proie aux multiples
soubresauts et aux chaos qui ont meurtri l’Al-
gérie et le monde, et de lui-même (Autopor-
« J’ai pensé en malinké et écrit en trait avec Grenade).
français, en prenant la liberté – que
j’estime naturelle – avec la langue
classique. J’ai traduit le malinké en
français en cassant le français pour
retrouver le rythme africain. »
Ahmadou Kourouma, entretien

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
3

chapitre
SOM Les traces de l’Histoire 47
MAIRE Les échos de la colonisation

CÔTE-D’IVOIRE GUINÉE
AHMADOU KOUROUMA (1927-2003)

Monnè, outrages et défis Le roi de Kahel


Tierno Monénembo
Né à Boundiali, Ahmadou Kourouma poursuit
ses études en Côte-d’Ivoire puis à Bamako,
d’où il est renvoyé suite à des grèves étu-
Ahmadou Kourouma diantes. Effectuant son service militaire et refu-
2008, Seuil sant de participer à une répression de l’armée
1990, Seuil en 1949, il est affecté en Indochine. Il rentre
L’extraordinaire aventure africaine en 1954, reprend des études d’actuaire et,
Djigui Keita, roi de Soba, en pays mandingue, règne sur d’Aimé Olivier, comte de Sanderval, dès 1959, travaille dans les assurances, tout
ses terres lorsqu’il voit arriver les Nazaréens du général ingénieur et pionnier de la d’abord à Lyon, puis à Abidjan lors de l’indé-
pendance. Il publie en 1968 un roman-clé des
Faidherbe. D’abord hostile, il décide de résister mais, peu à colonisation française, qui, après littératures africaines, Les Soleils des indépen-
avoir conquis le Fouta-Djalon, dances, et continue d’occuper ses fonctions
peu, succombe et, de malentendu en malentendu, accepte entreprend d’établir sur cette terre en résidant successivement au Cameroun,
le monné (l’outrage), et devient l’infortuné complice de guinéenne un territoire placé sous
au Togo puis en France. Il ne publie un deu-
xième roman, Monnè, outrages et défis, qu’en
la colonisation. Survivant à ces humiliations et bientôt sa seule gouverne et ce avec l’accord 1990. Il obtient une reconnaissance interna-
centenaire, il conservera le pouvoir jusqu’à ce que « l’enfant des autorités traditionnelles, tionale ponctuée de nombreux prix avec ses
deux romans suivants : En attendant le vote
avec lesquelles il entretient
sorti de sa ceinture » le conduise à une ultime et vaine d’étonnantes relations. Il envisage la
des bêtes sauvages, prix du Livre Inter en 1999,
et Allah n’est pas obligé, prix Renaudot et Gon-
rébellion. Une savoureuse leçon d’histoire que le romancier construction d’une ligne de chemin court des lycéens en 2000.
prend soin de confier à un griot « diseur de vérité ». Le de fer permettant de désenclaver
TIERNO MONÉNEMBO (NÉ EN 1947)
deuxième roman d’Ahmadou Kourouma publié en 1990, l’intérieur du pays. Né en Guinée, Tierno Monénembo quitte son
bien après Les Soleils des indépendances, paru en 1968. DU MÊME AUTEUR
pays dès 1969 pour fuir la dictature. Il rejoint la
Côte-d’Ivoire puis la France où il fait des études
L’aîné des orphelins
DU MÊME AUTEUR de biochimie. Il enseigne en Algérie, au Maroc,
Un attiéké pour Elgass
Allah n’est pas obligé puis en France où il demeure aujourd’hui, et
Les crapauds-brousse
En attendant le vote des bêtes sauvages publie son premier roman, Les Crapauds-
Pelourinho
Les soleils des indépendances Brousse, en 1979. Essentiellement romancier
(Les Écailles du ciel, Un rêve utile, Pelourinho,
Cinéma), il se consacre désormais à l’écriture.
En 2004, il a publié Peuls, une épopée roma-
nesque de son peuple et, en 2008, il a obtenu
le prix Renaudot pour Le Roi de Kahel.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
3

chapitre
SOM Les traces de l’Histoire 48
MAIRE Les échos de la colonisation | La guerre d’Algérie et après

MAROC La guerre ALGÉRIE


KEBIR M. AMMI (NÉ EN 1952)
Mardochée d’Algérie L’opium et le bâton Né à Taza d’un père algérien et d’une mère
marocaine, Kebir Mustapha Ammi a quitté le
Kebir M. Ammi et après Mouloud Mammeri Maroc en 1970 et vécu successivement en
France, en Angleterre et aux États-Unis, avant
2011, Gallimard Au regard d’une production 1965 (La Découverte) de revenir dans la région parisienne, où il
enseigne l’anglais. Son œuvre mêle des essais
Un vieux juif à la destinée hors littéraire algérienne très En pleine guerre de libération, consacrés à de hauts personnages de l’his-
du commun qui conte sa vie, sa abondante, et qui n’a fait que Bachir, un médecin quitte Alger et toire du Maghreb (Saint Augustin, Apulée, Abd
jeunesse à Mogador (Essaouira), croître ces dernières années – alors retourne dans son village natal, qu’il el-Kader) et des romans ancrés dans la réalité
souvent douloureuse du quotidien (Feuille de
sa réussite dans le commerce, ses que certains avaient prédit la mort découvre profondément bouleversé verre) ou emportant le lecteur vers de nou-
voyages à Tombouctou, en France et du roman écrit en français –, la par les événements. Le village est veaux espaces et d’autres temps (Les Vertus
en Algérie, ses mésaventures et ses guerre de libération de l’Algérie sous la tutelle de l’armée et de immorales).

revers, et surtout sa rencontre avec n’a pas été un sujet très abordé la misérable tyrannie d’un petit MOULOUD MAMMERI (1917-1989)
Joseph Aleman, un jeune officier par les romanciers – du moins le chef revanchard et collaborateur. Né à Taourit-Mimoun, Mouloud Mammeri,
géographe, très « intéressé » par le cœur même de son déroulement. Ses deux frères se sont engagés revient en Algérie après un séjour à Rabat et
pays, qu’il a accepté d’accompagner Quelques années plus tard, ce et Bachir décide à son tour de commence des études qu’il poursuit à Paris.
Mobilisé pendant la Seconde Guerre mon-
au Maroc, en l’invitant à dissimuler sont davantage les conséquences, rejoindre les combattants. diale, il participe à plusieurs campagnes mili-
ses origines chrétiennes sous un les traumatismes, les « effets taires. En 1952, il publie son premier roman, La
DU MÊME AUTEUR
déguisement de vieux rabbin et collatéraux » de la guerre qui Colline oubliée, et doit quitter l’Algérie pour le
La colline oubliée Maroc en 1957. Il revient en Algérie lors l’indé-
dont on apprend par l’éditeur qu’il ont été mis en avant par les
pendance et se consacre, non sans difficultés,
s’agit de l’ermite vénéré Charles de romanciers. à l’enseignement et à la reconnaissance de la
Foucault. langue et de la culture berbères. Il meurt en
1989 dans un accident de voiture qui a suscité
DU MÊME AUTEUR des controverses.
Les vertus immorales

« Le silence, c’est la mort,


et toi, si tu te tais, tu meurs
et si tu parles, tu meurs.
Alors dis et meurs ! »
Tahar Djaout

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
3

chapitre
SOM Les traces de l’Histoire 49
MAIRE La guerre d’Algérie et après

ALGÉRIE ALGÉRIE ALGÉRIE


ASSIA DJEBAR (NÉE EN 1936)
Les alouettes naïves Les chercheurs d’os Le conseil Née à Cherchell en Algérie, Assia Djebar fait
des études de lettres et d’histoire à Alger puis
Assia Djebar Tahar Djaout  de discipline à Paris. Elle publie son premier roman, La Soif,
en 1957, puis quitte la France et part ensei-
1967 (Babel) 1984, Seuil Slimane Benaïssa gner au Maroc. Lors de l’indépendance, elle
regagne l’Algérie et enseigne à l’université
Dans le contexte de la guerre Un adolescent part à la recherche 1994, Lansman Éditeur d’Alger jusqu’en 1965. Elle vit ensuite entre la
d’indépendance, des portraits de des restes de son frère aîné mort En mai , dans un collège de France et l’Algérie avant de diriger en 1995 le
Centre d’études francophones de Louisiane et
femmes, de quelques hommes, durant la guerre de libération, afin l’Est algérien, se tient une réunion d’enseigner à l’université d’État de New York.
et de leurs relations, intimes ou de les ensevelir dans le cimetière informelle afin de préparer un Essayiste et romancière, réalisatrice de deux
militantes. Autour de la narratrice et du village. Emporté dans cette conseil de discipline qui doit décider films, elle a été élue à l’Académie française en
de Nfissa, une enseignante engagée traque collective qui s’inscrit dans 2005.
des sanctions à prendre contre
néanmoins attachée aux traditions, un mouvement de « récupération » deux élèves, dont l’un d’eux a été TAHAR DJAOUT (1954-1993)
la romancière multiplie les voix et des ossements des victimes blessé au cours d’une bagarre. Il y Tahar Djaout fait des études de mathéma-
les situations qui mettent en avant mais aussi de l’image des héros a là deux Pieds-Noirs chrétiens, un tiques à Alger, mais s’intéresse très tôt au jour-
le rôle des femmes dans le quotidien martyrs, le jeune homme porte nalisme culturel. Auteur de chroniques pour le
Français d’origine allemande, un quotidien El Moudjahid, il devient responsable
singulier de cette période. un regard dubitatif et critique sur Algérien musulman, un « françaoui » de la rubrique culturelle d’Algérie-Actualité.
les comportement de ses proches, socialiste et athée, un Français Après deux années à Paris, il reprend à Alger
DU MÊME AUTEUR
Femmes d’Alger dans leur appartement sur les traditions qui pèsent au d’Algérie de confession juive, autour
en 1987 des études en science de l’informa-
tion, puis créé, en 1992, l’hebdomadaire Rup-
quotidien sur ses contemporains. du proviseur, Pied-Noir et président tures. Poète, il a publié cinq romans, depuis
DU MÊME AUTEUR de la Fédération Algérie française... L’Exproprié en 1975 jusqu’au Dernier Été de la
raison. Son assassinat en 1993 a fait de lui l’un
Les vigiles Une pièce de théâtre et sept des premiers écrivains victimes des années de
personnages en quête d’une vérité terrorisme.
forcément multiple et complexe en
ce temps et en ce lieu. SLIMANE BENAÏSSA (NÉ EN 1944)
Né à Guelma en Algérie, Slimane Benaïssa
s’est très vite consacré au théâtre après avoir
fait des études de mathématiques. Animateur
de troupe, comédien, metteur en scène et dra-
maturge, il écrit en arabe et en français et tra-
vaille tout d’abord en Algérie avant de devoir
quitter le pays et de venir en France en 1993.
Ses pièces (Au-delà du voile, Les Fils de l’amer-
tume, Prophète sans dieu) ont été jouées à
de nombreuses reprises et dans de nombreux
pays. Il est également romancier (Les Colères
du silence).

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
3

chapitre
SOM Les traces de l’Histoire 50
MAIRE La guerre d’Algérie et après

ALGÉRIE ALGÉRIE ALGÉRIE


MAÏSSA BEY (NÉE EN 1950)
Entendez-vous Moze La Seine était rouge Née à Ksar el Boukhari en Algérie, Maïssa Bey
a fait ses études de lettres à l’université d’Alger
dans les montagnes Zahia Rahmani Leïla Sebbar puis enseigné à Sidi Bel Abbès avant d’occu-
per les fonctions de conseillère pédagogique.
Maïssa Bey  2003, Sabine Wespieser Éditeur 1999 (Babel) Elle multiplie les activités socio-culturelles en
Algérie : elle a fondé les éditions Chèvre feuille
2002, Éditions de L’Aube Le  novembre , Moze passe Trente-cinq ans après la répression étoilée et créé une association de femmes,
Dans un wagon de train français, devant le monument aux morts meurtrière de la manifestation Paroles et écritures.

une femme s’apprête à lire d’une ville de France et va se noyer pacifique d’octobre  dans les
ZAHIA RAHMANI (NÉE EN 1962)
lorsqu’un homme d’une soixantaine dans l’étang voisin... Plus tard, rues de Paris, une jeune fille de Née en Algérie, Zahia Rahmani est venue très
d’années prend place dans le même sa fille restitue l’itinéraire de ce  ans va à la rencontre du passé jeune en France avec ses parents. Elle y a suivi
compartiment, bientôt rejoint par harki rescapé de la guerre et des de sa famille et de l’Histoire. En des études d’histoire de l’art et d’esthétique.
Elle travaille à l’Institut national d’histoire de
une jeune fille. Ils ont en commun persécutions qui ont suivi, dont les compagnie d’un journaliste algérien l’art à Paris et a publié trois livres entre fic-
l’Algérie mais les générations et blessures n’ont jamais cicatrisé. exilé et d’un jeune Français, tion et réflexion : Moze en 2003, « Musulman »
les rives de la Méditerranée les Un récit qui porte le nom du père, fils d’une militante de la cause roman en 2005 et France, récit d’une enfance
Moze, mais témoigne aussi de la algérienne, elle découvre ce que en 2006.
séparent. Entre la « petite fille de
Pieds-Noirs », l’« ancien combattant » détresse de sa fille et qui livre ainsi sa mère et sa grand-mère lui ont LEÏLA SEBBAR (NÉE EN 1941)
(français) et la « fille de fellaga […] une réflexion sur la condition d’un toujours tu. Née en Algérie d’une mère française et d’un
elle-même contrainte à fuir son pays harki, « ni exilé, ni immigré », sur père algérien, Leïla Sebbar vit en Algérie
DU MÊME AUTEUR jusqu’en 1961. Elle vient ensuite en France
pour échapper à la folie intégriste », la destinée de cet homme mort Fatima ou les Algériennes au square suivre des études de lettres à Aix-en-Provence,
la conversation s’engage… Les avant sa mort et qui a entraîné sa Le silence des rives puis à Paris en 1963. Parallèlement à son tra-
blessures, les silences et les oublis famille dans une même et terrible vail de professeur de lettres, elle collabore à de
damnation. nombreux magazines et émissions de radios,
vont alors tisser une maille des plus et constitue une œuvre abondante, essen-
fines entre ce trio « presqu’irréel ». tiellement romanesque, de Shérazade, 17
ans, brune, frisée, les yeux verts en 1982 à La
DU MÊME AUTEUR Confession d’un fou en 2011. Elle a réuni plu-
Cette fille-là sieurs recueils collectifs autour de l’enfance et
Puisque mon cœur est mort de l’histoire algériennes.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
4

chapitre
SOM 51
MAIRE

De la révolte aux
lendemains qui déchantent
Dans cette période qui a suivi les indépendances – obtenues en  pour la Tunisie
et le Maroc, en  pour l’essentiel des pays subsahariens, en  pour l’Algérie –,
certains écrivains de la première génération ont tenu à donner à leurs écrits une
nouvelle dimension critique et politique, une portée contestataire et revendicative.
Les nouveaux pouvoirs ont souvent déçu ; leurs lots de présidents-dictateurs, de
« maréchalissimes », de tyrans et de potentats plus ou moins ubuesques, de ministres
corrompus, ont offert une matière première aussi grandiose dans sa déraison
qu’effrayante dans sa démesure sanguinaire. Les écrivains ont alors mis en scène des
rebelles et leurs révoltes parfois aussi nobles que vaines. Ils ont aussi décrit l’envers de
ces « soleils des indépendances », l’amertume des lendemains. Pour en montrer la folie
et la cocasserie, l’insolence et la bêtise, la monstruosité et l’ignominie, ils n’ont pas
hésité à pénétrer dans les entrailles sordides du pouvoir.

Des espoirs et Dans


Les
des illusions… les méandres
soubresauts de
désespoir des nouveaux
la révolte
et désillusions pouvoirs
4

chapitre
SOM 52
MAIRE De la révolte aux lendemains qui déchantent

Les soubresauts GUINÉE RDC


ALIOUM FANTOURÉ (NÉ EN 1938)
de la révolte Le cercle des Tropiques Entre les eaux Né à Forécariah en Guinée, Alioum Fantouré
a fait des études de sciences économiques et
Figures récurrentes, les héros Alioum Fantouré V. Y. Mudimbé commerciales en France et en Belgique, et a
travaillé dans diverses institutions européennes
rebelles sont souvent directement 1972, Présence africaine 1973, Présence africaine à Bruxelles, puis à Vienne en Autriche. Avec
inspirés par les leaders des ses romans (Le Cercle des tropiques en 1972,
révoltes qui, ici et là, ont porté Dans la capitale du pays des Après avoir suivi des études en Le Récit du cirque en 1975, L’Homme du trou-
la contestation politique et/ou « Marigots du Sud », Bodi Hi, Europe, Pierre Landu est devenu peau du Sahel en 1979), il a été parmi les pre-
miers écrivains à dénoncer la dérive des pou-
armée dans des pays en proie « l’homme de la terre », est le témoin prêtre. Très vite, la controverse
voirs issus des indépendances, principalement
aux dictatures. Ils sont parfois et narrateur des bouleversements s’installe en lui et autour de lui : celui de Sékou Touré en Guinée.
librement imaginés, parfois en des de son pays : suite à un complot, il se revendique « prêtre noir », on
terres elles-mêmes imaginaires. le nouveau chef de l’État a mis lui reproche d’être « prêtre d’une V. Y. MUDIMBÉ (NÉ EN 1941)
Né à Likasi dans l’actuelle République démo-
Jeunes personnages emportés par en place un régime d’intolérance, religion étrangère »... Plus tard, le cratique du Congo, Valentin-Yves (ou Vumbi-
des élans naïfs, trublions, généreux d’injustice et de terreur. Les déchirement est plus grand encore Yoka) Mudimbe fréquente les établissements
et nécessaires, venus gripper les opposants sont systématiquement lorsqu’il hésite entre la poursuite catholiques de sa région, puis entre, en 1952,
éliminés, la famine règne. Un culte de son sacerdoce et un engagement au séminaire – qu’il abandonne en 1959. Il fait
régimes et semer les ferments des études de lettres et de philosophie à Kin-
des lendemains, ils se montrent de la personnalité est instauré et plus immédiatement politique shasa et à Louvain, où il enseigne successive-
aussi fragiles et ne parviennent le dictateur tente de dissimuler la dans un mouvement de libération ment, avant de venir à Paris et de s’exiler aux

pas à résister aux démons et aux réalité sordide par des discours nationale. États-Unis où il réside depuis 1981. Auteur de
nombreux essais littéraires et philosophiques,
frénésies du pouvoir. Ils sont les révolutionnaires ; il maintient il est poète (Déchirures, Les Fuseaux parfois)
personnages du doute, partagés son pouvoir par l’omniprésence et romancier (Le Bel Immonde, L’Écart).

entre des enjeux qui les dépassent, violente d’une milice policière.
entre un destin personnel et Pourtant quelques-uns tentent de
une destinée collective, entre résister… Un roman comme une
« l’horizon d’un seul et l’horizon de mise en garde en écho au « modèle »
tous » (Paul Éluard). guinéen.

« Le français doit être une


fête ou disparaître. » 
Mongo Béti, Peuples noirs, peuples africains n°, 

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
4

chapitre
SOM De la révolte aux lendemains qui déchantent 53
MAIRE Les soubresauts de la révolte

CONGO CAMEROUN CONGO


EMMANUEL DONGALA (NÉ EN 1941)
Un fusil dans la main, Remember Ruben La vie et demie Né en République centrafricaine d’une mère
centrafricaine et d’un père congolais, Emma-
un poème Mongo Béti Sony Labou Tansi nuel Dongala se retrouve très jeune au Congo,
où il fait ses premières études. Il part ensuite
dans la poche 1974, 10/18 1979, Seuil aux États-Unis, puis en France afin de pour-
Emmanuel Dongala Deux amis, Mor Zamba, devenu Dans un pays imaginaire, la
suivre des études scientifiques. De retour à
Brazzaville, il enseigne la chimie à l’univer-
1973 (Le Serpent à plumes) infirmier alors qu’il était en prison, Katamalanasie, un « Guide sité. Il crée durant cette période le Théâtre
de l’Éclair et commence à publier. Suite à la
et Abéna, engagé dans l’armée, se providentiel » impose une dictature
Mayéla dia Mayéla attend son retrouvent dans la guérilla lancée absurde et sanglante. Sa toute-
guerre civile, il est contraint, en 1997, de quit-
ter son pays et trouve refuge aux États-Unis où
exécution et revit les moments qui pour renverser le pouvoir colonial. puissance n’arrive pas à venir à bout il enseigne la littérature et la chimie, et conti-
l’ont conduit dans ces lieux. Revenu Ils parviennent à faire évader le de son plus farouche opposant, le nue d’écrire.
en Afrique après avoir abandonné leader Ruben. À la mort de ce rebelle Martial. Malgré l’usage de
ses études suivies en Europe, il MONGO BÉTI (1932-2001)
dernier, Abéna prend sa place et toutes les armes en sa possession, Né au Cameroun, Mongo Béti (un pseudo-
a rejoint un maquis d’Afrique charge son ami de poursuivre la le Guide ne parvient pas à tuer nyme, tout comme Eza Boto sous lequel il
australe : il y a rencontré Meeks, un lutte dans leur région natale. Une Martial qui déclare ne pas vouloir a signé son premier roman, Ville cruelle, en
Noir américain, et Marobi, un vieil « autopsie de la décolonisation » « mourir cette mort ». Finalement
1954) vient en France en 1951 afin de pour-
suivre des études de lettres. Il enseigne à
homme venu de Soweto après le selon les mots mêmes de l’auteur tué, Martial viendra, de génération Rouen et mène une vie active d’intellectuel et
massacre de sa famille. Leur combat et un roman militant inspiré par la en génération, hanter les jours et les de militant politique. Il est aussi l’auteur d’es-
conduit le héros à une irrésistible destinée tragique du syndicaliste nuits des « Guides providentiels »
sais et animateur de la revue Peuple noirs,
ascension. Un roman aux accents peuples africains, ce qui lui vaut exclusions
camerounais Ruben Um Niobé qui a successifs… L’œuvre de Martial est et censures. À sa retraite, en 1994, il ouvre à
militants ancré dans l’actualité des fini assassiné. poursuivie par sa fille Chaïdana, Yaoundé la Librairie des peuples noirs et conti-
luttes des communautés noires des qui, pour venger son père, se nue d’enrichir une œuvre romanesque, large-
années . DU MÊME AUTEUR
prostitue avec les dignitaires du
ment enseignée sur le Continent.
Le pauvre Christ de Bomba
DU MÊME AUTEUR Trop de soleil tue l’amour régime et les tue les uns après SONY LABOU TANSI (1947-1995)
Jazz et vin de palme les autres. L’invention verbale, le Né dans l’actuelle République démocratique
Johnny Chien méchant du Congo, Sony Labou Tansi vient très tôt
chaos, la démesure, la caricature au Congo où il demeure toute sa vie. Ensei-
Photo de groupe au bord du fleuve
et le rire pour dénoncer les gnant d’anglais, il découvre le théâtre et crée à
frasques sanglantes d’une dictature Brazzaville le Rocado Zulu Théâtre qui monte
ensuite toute ses pièces en Afrique, en Europe
ubuesque, tout aussi risible que
et en Amérique du Nord. Dramaturge – l’un
meurtrière. des plus joués du Continent de son vivant –, il
est aussi l’auteur de six romans et de recueils
DU MÊME AUTEUR
de poèmes. Par son œuvre et sa personnalité,
L’anté-peuple il a fortement marqué l’écriture francophone
Antoine m’a vendu son destin africaine et plusieurs écrivains revendiquent sa
filiation.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
4

chapitre
SOM De la révolte aux lendemains qui déchantent 54
MAIRE Les soubresauts de la révolte

GUINÉE SÉNÉGAL MAROC


WILLIAMS SASSINE (1944-1997)
Le jeune homme Le temps de Tamango Aïlen ou la nuit du récit Né en Guinée, d’une mère guinéenne et d’un
père libanais, Williams Sassine fait des études
de sable Boubacar Boris Diop Edmond El Maleh  de mathématiques à Paris. Il revient enseigner
à Conakry mais il doit fuir la dictature et vit en
Williams Sassine 1981 (Le Serpent à plumes) 1983 (Éditions André Dimanche) exil, principalement en Mauritanie. Il revient
en Guinée en 1984 où il collabore à diverses
1979, Présence africaine En , des étudiants tentent de Sans souci chronologique et dans publications dont la revue satirique, Le Lynx,
Lycéen révolté, Oumarou se reconstituer les événements qui le désordre de la mémoire ou du où il tient « La Rubrique à Sassine ». Il a publié
son premier roman, Saint Monsieur Baly, en
heurte au régime dictatorial et à ont bouleversé leur pays, « une télescopage des idées, le romancier
1973. Ses derniers textes ont fait l’objet d’adap-
l’incompréhension de son père, République d’Afrique Noire au trame la toile des oppressions tations à la scène (Légende d’une vérité, Les
allié du pouvoir. Il trouve volontiers lendemain de ce qu’on appelait subies par le peuple marocain et les Indépendan-tristes).

refuge dans les confidences et les les Indépendances », un siècle condamne à un même opprobre.
BOUBACAR BORIS DIOP (NÉ EN 1946)
conseils d’un joueur de kora et d’un auparavant, dans les années Émeutes de la période coloniale ou Né à Dakar, d’abord professeur de littérature
ancien proviseur. Les intrigues . Une observation distanciée événements plus récents, exactions et de philosophie, Boubacar Boris Diop s’est
amoureuses se mêlent aux combats des comportements des tenants des années  ou répressions des ensuite orienté vers le journalisme. Depuis plu-
du pouvoir, des complicités années , souvenirs personnels, sieurs années, il poursuit un travail de réflexion
politiques et conduisent Oumarou qu’il livre dans de nombreux articles critiques
au drame. Ce roman, inspiré par la étrangères dont ils bénéficient et récits des événements, trajectoires et quelques essais. Il a travaillé pour plusieurs
dictature guinéenne, trame les fils des agissements des syndicats et des brisées ou sinueuses de certains journaux sénégalais et dirigé le quotidien

d’une quête individuelle avec ceux mouvements révolutionnaires. Un protagonistes : la trame est dense Le Matin de Dakar. Son œuvre romanesque
explore des thématiques et des registres d’écri-
du destin collectif de la société. roman qui fait une place importante et volontairement chaotique, « à la ture inédits. En 2003, il a publié un roman en
Il superpose la double tutelle à la symbolique et à l’imaginaire du démesure » des folies dénoncées. wolof, Doomi Golo, qu’il a ensuite lui-même
oppressive du Guide suprême de rêve, et se permet quelques audaces librement traduit en français (Les Petits de la
guenon).
l’État et la figure du père, dignitaire d’écriture.
du régime, complice des violences DU MÊME AUTEUR EDMOND EL MALEH (1917-2010)
perpétrées, et donc doublement Kaveena Né à Safi au Maroc dans une famille juive,
Murambi, le livre des ossements Edmond El Maleh a tout d’abord choisi la poli-
coupable aux yeux d’Oumarou, tout tique pour s’exprimer. Devenu l’un des diri-
à la fois fils et rebelle. geants du Parti communiste en 1945, il le
quitte en 1959, puis s’installe en France en
DU MÊME AUTEUR 1965 où il enseigne la philosophie. Il collabore
Le Zéhéros n’est pas n’importe qui à différents journaux et revues, écrit des essais
(Jean Genet ou le captif amoureux) et des
monographies et, en 1980, publie son premier
roman d’inspiration autobiographique (Par-
cours immobile). L’essentiel de son œuvre est
une quête mêlant ses cultures juives et arabes,
marocaines et françaises.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
4

chapitre
SOM De la révolte aux lendemains qui déchantent 55
MAIRE Les soubresauts de la révolte

DJIBOUTI CONGO
ABDOURAHMAN A. WABERI (NÉ EN 1965)
Balbala
Abdourahman A. Waberi
Photo de groupe Né à Djibouti (alors Côte française des Somalis,
dernière colonie française à obtenir son indé-

au bord du fleuve
pendance en 1977), Abdourahman Ali Waberi
quitte son pays en 1985 afin de poursuivre ses
1997 (Folio) études en France. Après des études de lettres

Waïs, le marathonien, « héros Emmanuel Dongala anglophones sur l’œuvre du Somalien Nurud-
din Farah, il enseigne l’anglais en Normandie
de la Nation » ; Anab, sa sœur la 2011, Actes Sud avant de se consacrer à l’écriture et de rési-
der à Berlin, puis aux États-Unis (Boston) et en
« femme-fruit, fleur de bidonville »,
compagne de Yonis le médecin Quatorze femmes concassent des pierres et remplissent des France. Son œuvre est constituée de recueils
de poèmes, de nouvelles et de romans (Bal-
et, enfin, Dylleyta le poète sacs qu’elles revendent à des intermédiaires dominateurs bala, Transit, Passage des larmes).
fonctionnaire. Tous quatre se et méprisants. La demande suscitée par des grands travaux EMMANUEL DONGALA (NÉ EN 1941)
heurtent aux douleurs de la vie et
à l’oppression politique qui sévit
d’État fait monter les prix, sans que les femmes n’y trouvent Né en République centrafricaine d’une mère
centrafricaine et d’un père congolais, Emma-
dans le pays. « Quatre cavaliers la moindre compensation. Apprenant cela, elles décident nuel Dongala se retrouve très jeune au Congo,
d’une dérisoire apocalypse » de protester, refusent de vendre et tentent de faire valoir où il fait ses premières études. Il part ensuite
aux États-Unis, puis en France afin de pour-
emportés dans l’impétuosité et la leurs droits. C’est le début d’une lutte exemplaire contée suivre des études scientifiques. De retour à
générosité de leur jeunesse brisée à la deuxième personne et menée par Méréana et ses Brazzaville, il enseigne la chimie à l’université. Il
par l’intolérance et la répression, ils crée durant cette période le Théâtre de l’Éclair
se heurteront à la corruption et à la compagnes : Ya Moukietou, la « grande sœur » qui n’hésite et commence à publier. Suite à la guerre civile,
il est contraint, en 1997, de quitter son pays et
bêtise ; la suffisance des privilégiés pas à faire le coup de poing avec les hommes ; Mâ Bileko, trouve refuge aux États-Unis où il enseigne la
et le népotisme régnant auront une ancienne femme d’affaires ruinée par sa belle-famille littérature et la chimie, et continue d’écrire.
raison de leur fougue. à la mort de son mari ; Laurentine, « la plus coquette » ;
DU MÊME AUTEUR Iyissou « la taciturne » ; ou encore Mama Mayolo « qui
Aux États-Unis d’Afrique
Cahier nomade pouvait clouer un gendarme sur place rien qu’avec son
Le pays sans ombre regard »… Ce roman a valu à son auteur le prix RTL/Lire
du meilleur roman français.
BD DU MÊME AUTEUR « Le français n’est pas la langue de la colonisation.
Un fusil dans la main, un poème dans la poche Les colonisateurs n’avaient pas de langue, ils avaient
Jazz et vin de palme
des fusils... et une administration. Le français est un
Johnny Chien méchant
butin que nous avons razzié, et j’ai dressé autour de
ce butin une tente où j’abrite mon imaginaire. »
M’Bareck Ould Beyrouk

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
4

chapitre
SOM 56
MAIRE De la révolte aux lendemains qui déchantent

Des espoirs ALGÉRIE


KATEB YACINE (1929-1989)
et des illusions…
désespoir
Nedjma Né à Zighoud Youcef, Kateb Yacine (il est
d’usage que son nom Kateb précède son pré-
nom) fréquente l’école française, découvre
Kateb Yacine la poésie et publie son premier recueil, Soli-
et désillusions 1956, Seuil
loques, en 1946. En 1947, jeune collégien, il
assiste à Sétif à la manifestation anticolonialiste
Les années de décolonisation violemment réprimée au cours de laquelle il est
L’histoire d’un quatuor masculin (Lakhdar, Mourad, arrêté et emprisonné. Ce traumatisme marque
et celles qui suivent les
indépendances sont des périodes Mustapha et Rachid) amoureux d’une femme, Nedjma, une étape capitale : il part à Paris et s’engage
en politique. Il revient à Alger en 1949, et tra-
d’attentes et d’espoirs immenses. objet et sujet de tous les rêves et de toutes les convoitises. vaille à Alger Républicain. De retour en France,
il publie une première version de Nedjma, qui,
Hélas, les déceptions sont souvent Inaccessible et proche, altière et bâtarde, elle est la mère et à sa parution définitive en 1956, devient le livre
au rendez-vous, avec parfois l’épouse, la sœur complice et l’amante convoitée. Elle est de référence pour nombre d’écrivains maghré-
l’insigne douleur d’être opprimé bins. Il alterne divers emplois, poursuit son
par ceux dont on se sentait proche. la femme mais aussi, bien sûr, la figure allégorique de la œuvre avec des pièces de théâtre, comme Le

Les écrivains dépeignent des héros terre algérienne dans le tumulte de son histoire en marche. Cadavre encerclé monté par Jean-Marie Ser-
reau, et voyage en Allemagne de l’Est, en URSS
désabusés, vaincus dans leurs Composé dans les bruissements de l’après Seconde Guerre et au Vietnam. Il publie en 1966 Le Polygone
combats politiques et souvent étoilé. Plus tard, il rentre en Algérie et décide
mondiale et les tumultes de la guerre d’Algérie, Nedjma d’écrire et de faire jouer ses pièces (Mohamed
dépités dans leur vie personnelle.
Une double désillusion pour dire
est incontestablement un texte fondateur, bouleversant prend ta valise, La Guerre de deux mille ans),
dans un arabe dialectal fortement teinté de
le désarroi d’une génération qui et difficile, éclatant et éclaté, une œuvre-phare à laquelle berbère devant des publics populaires. À la fin
avait beaucoup attendu et qui a les écrivains des générations suivantes ont souvent fait des années 1980, il est joué au Festival d’Avi-
gnon, invité aux États-Unis et reçoit le Grand
peu reçu. référence. Prix National des Lettres en 1987.

DU MÊME AUTEUR
L’homme aux sandales de caoutchouc
L’Œuvre en fragments
Soliloques

« J’écris en français, certes, histoire oblige, mais à bien tendre


l’oreille, ce sont d’autres langues qui parlent en moi, elles
s’échangent des saveurs, se passent des programmes télé, se fendent
la poire. Il y a au moins, et surtout, le kabyle, l’arabe des rues et
le français. Voisines de paliers, ces langues font tout de suite dans
l’hétérogène, l’arlequin, le créole... »
Aziz Chouaki, dossier artistique « Les Oranges », Théâtre du nord, 

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
4

chapitre
SOM De la révolte aux lendemains qui déchantent 57
MAIRE Des espoirs et des illusions… désespoir et désillusions

SÉNÉGAL MAROC GUINÉE CHEIKH HAMIDOU KANE (NÉ EN 1928)


Né à Matam au Sénégal, Cheikh Hamidou
L’aventure ambiguë Agadir Les crapauds-brousse Kane fait sa scolarité au Sénégal, puis vient à
Paris afin de suivre des études de lettres et de
Cheikh Hamidou Kane Mohamed Khaïr-Eddine  Tierno Monénembo droit. De retour à Dakar, il occupe plusieurs
postes dans la haute administration, repré-
1961, 10/18 1967, Seuil 1979, Seuil
sente l’Unicef auprès des États africains, puis
Samba Diallo est un excellent Un fonctionnaire est envoyé dans De retour de Hongrie où il a suivi est nommé ministre du Plan et de la Coopé-
ration. Il publie en 1961 L’Aventure ambiguë,
élève de Thierno, sévère maître la ville d’Agadir qui vient d’être des études d’ingénieur en électricité, roman majeur des lettres africaines qui ne sera
d’école coranique qui voit en lui un détruite par un séisme... Un texte un jeune homme retrouve son suivi que d’un second, en 1995, Les Gardiens
possible successeur. Mais le conseil déroutant qui mêle les genres pays (la Guinée ?) et la dictature du temple.
du village, et en particulier la (roman, poésie, théâtre), bouleverse du président Sâ Matrak. Avec
MOHAMED KHAÏR-EDDINE (1941-1995)
sœur du chef, la « Grande Royale », la narration, abandonne volontiers des idées généreuses, il veut Né à Tafraout au Maroc, Mohamed Khaïr-
préconise de l’inscrire à l’école la ponctuation et prend prétexte de s’engager pour l’avenir de son Eddine s’installe à Agadir, dont le séisme l’a for-
européenne afin qu’il apprenne « à l’intrigue pour évoquer un monde pays ; mais il découvre la réalité tement marqué, et lui son consacre son pre-
mier roman éponyme en 1967. Venu à Paris
vaincre sans avoir raison ». Samba chaotique à reconstruire. et il est emporté dans une intrigue dès 1965, il travaille comme ouvrier tout en
Diallo y est brillant : on lui propose politico-amoureuse qui va, peu à collaborant à quelques revues littéraires. Il
de poursuivre ses études à Paris. peu, le confronter aux dérives de est de retour au Maroc en 1979 et y demeure
jusqu’à sa mort.
Dans la capitale française, Samba la corruption et le conduire aux
Diallo découvre une autre vie mais compromis et aux compromissions. TIERNO MONÉNEMBO (NÉ EN 1947)
souffre de son isolement et de Né en Guinée, Tierno Monénembo quitte son
DU MÊME AUTEUR
son déchirement entre ses deux L’aîné des orphelins
pays dès 1969 pour fuir la dictature. Il rejoint la
Côte-d’Ivoire puis la France où il fait des études
cultures. Il rencontre Lucienne, Un attiéké pour Elgass de biochimie. Il enseigne en Algérie, au Maroc,
une militante communiste, et Pelourinho puis en France où il demeure aujourd’hui, et
Le roi de Kahel
Pierre-Louis, un avocat antillais publie son premier roman, Les Crapauds-
Brousse, en 1979. Essentiellement romancier
militant, avec lesquels il débat de la
(Les Écailles du ciel, Un rêve utile, Pelourinho,
confrontation et du bien-fondé de Cinéma), il se consacre désormais à l’écriture.
l’interpénétration des cultures. À En 2004, il a publié Peuls, une épopée roma-
la demande de son père, il regagne nesque de son peuple et, en 2008, il a obtenu
le prix Renaudot pour Le Roi de Kahel.
l’Afrique, incapable de concilier
les mondes blanc et noir, les
cultures africaine et européenne, le
modernisme et la tradition en mal
de « n’être pas deux ».

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
4

chapitre
SOM De la révolte aux lendemains qui déchantent 58
MAIRE Des espoirs et des illusions… désespoir et désillusions

CÔTE-D’IVOIRE ALGÉRIE
AHMADOU KOUROUMA (1927-2003)

Les soleils Le fleuve détourné


Rachid Mimouni 
Né à Boundiali, Ahmadou Kourouma poursuit
ses études en Côte-d’Ivoire puis à Bamako,

des indépendances
d’où il est renvoyé suite à des grèves étu-
diantes. Effectuant son service militaire et refu-
1982 (Pocket) sant de participer à une répression de l’armée
Ahmadou Kourouma Après une longue amnésie qui lui
en 1949, il est affecté en Indochine. Il rentre
en 1954, reprend des études d’actuaire et,
1968, Seuil vaut un internement en hôpital dès 1959, travaille dans les assurances, tout
d’abord à Lyon, puis à Abidjan lors de l’indé-
psychiatrique, Mohand Larbi écrit
« Mais alors qu’apportèrent les indépendances ? Rien, si ce à l’administration pour retrouver
pendance. Il publie en 1968 un roman-clé des
littératures africaines, Les Soleils des indépen-
n’est la carte d’identité et celle du parti unique ! » Terrible son identité. Il revient au pays alors dances, et continue d’occuper ses fonctions
que tout le monde le croit mort. Son en résidant successivement au Cameroun, au
désillusion de Fama qui a beaucoup attendu de la fin de Togo puis en France. Il ne publie un deuxième
nom est inscrit sur le monument qui
la colonisation ; lorsque celle-ci est advenue, il n’en a célèbre les victimes de guerre mais
roman, Monnè, outrages et défis, qu’en 1990.
Il obtient une reconnaissance internationale
rien reçu. D’où sa déconvenue. C’est donc meurtri, amer il entreprend néanmoins ce voyage ponctuée de nombreux prix avec ses deux
et floué, qu’il va conter ses déboires de prince déchu et dans un lieu qu’il ne reconnaît romans suivants : En attendant le vote des
bêtes sauvages, prix du Livre Inter en 1999, et
d’époux sans enfant devant subir la loi de ceux qui se sont plus. Son itinéraire est celui des Allah n’est pas obligé, prix Renaudot et Gon-

emparés du pouvoir. Un livre capital qui a fait date dans désillusions, de la stupéfaction face court des lycéens en 2000.
au détournement des idéaux de la
l’histoire des littératures africaines subsahariennes par sa révolution et au dévoiement des
RACHID MIMOUNI (1945-1995)
Né à Boudouaou en Algérie, Rachid Mimouni
thématique dérangeante et par l’audace de son écriture qui institutions. C’est aussi le temps de fait des études commerciales en Algérie puis
mêle à la langue française l’inspiration et la saveur de la la vengeance lorsqu’il apprend le au Canada, et revient enseigner à l’École supé-
rieure de commerce d’Alger. Il occupe égale-
langue malinké de l’auteur. sort qui a été réservé à sa femme. ment plusieurs fonctions à responsabilité dans
DU MÊME AUTEUR
des organismes culturels et politiques. Il publie
DU MÊME AUTEUR en 1978 son premier roman, Le Printemps n’en
Une peine à vivre
Allah n’est pas obligé sera que plus beau, bientôt suivi par L’Honneur
En attendant le vote des bêtes sauvages de la tribu, Le Fleuve détourné, Une peine à
Monnè, outrages et défis vivre, Tombeza, La Ceinture de l’ogresse. En
1993, il doit quitter l’Algérie et va à Tanger où il
tient des chroniques radiophoniques.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
4

chapitre
SOM De la révolte aux lendemains qui déchantent 59
MAIRE Des espoirs et des illusions… désespoir et désillusions

ALGÉRIE CONGO
RABAH BELAMRI (1948-1995)
Regard blessé
Rabah Belamri
Le bal de Ndinga Né à Bougaâ, Rabah Belamri a fait ses études
à Sétif. Devenu aveugle en 1962, il poursuit
néanmoins des études de lettres en Algérie et
Tchicaya U Tam’si en France, et s’intéresse tout particulièrement
1987, Gallimard à l’œuvre de Jean Sénac. Venu à Paris en 1972,
1987, Éditions L’Âge d’homme il a consacré la quasi-totalité de son œuvre à la
Victime d’un décollement de la poésie (L’Olivier boit son ombre, Corps seul), à
rétine, Hassan, un jeune garçon, Le 30 juin 1960, jour de l’indépendance du Congo belge, l’évocation de son enfance et de sa jeunesse,
quitte son village et se rend à Alger la destinée tragique d’un homme de ménage de l’Hôtel dans des récits autobiographiques (Le Soleil
sous le tamis, Chronique du temps de l’inno-
afin de subir une intervention Régina. Sur l’air d’« Indépenda cha cha », il chante et cence) et à la collecte de textes oraux, qu’il
chirurgicale. La scène se passe en a transcrits et traduits afin de les offrir à des
mars  : Hassan est opéré la
danse. Il ne veut plus être « un macaque mais un homme, publics divers.

veille du cessez-le-feu qui mettra un homme de vérité et mieux, un Monsieur ». Il rêve à


TCHICAYA U TAM’SI (1931-1988)
un terme à la guerre. Il subit les « une augmentation de la vie ». Il rêve aussi à Sabine, belle Né à Mpili au Congo d’un père député repré-
conséquences des troubles et des et vénale métisse. Il n’entend pas les conseils de son ami sentant l’Afrique équatoriale au Parlement
attentats qui ont suivi l’arrêt officiel français, Tchicaya U Tam’si (un pseudonyme

des combats et ne peut bénéficier


et meurt sous les balles d’un détachement de soldats. Une qui signifie « petite feuille qui parle pour son
pays ») commence sa scolarité à Pointe-
des soins nécessaires à sa guérison. nouvelle devenue un succès dans son adaptation à la scène. Noire puis vient en France avec ses parents à
De retour au village, les guérisseurs DU MÊME AUTEUR
l’âge de 15 ans. En rupture avec sa famille, il
exerce divers métiers et commence à écrire
vont profiter de la crédulité de sa À triche-cœur
des poèmes. Il publie son premier recueil, Le
mère et recourir à des méthodes Les cancrelats
Mauvais Sang, en 1955 et devient producteur
Feu de brousse
traditionnelles peu fiables. Leurs Le mauvais sang
à la radio. Lors de l’indépendance, il regagne
le Congo, mais il revient à Paris après la mort
soins se révéleront inopérants et du Premier ministre Lumumba et devient fonc-
Hassan perdra la vue… Un drame tionnaire international à l’Unesco. Il ne cesse
personnel (l’auteur était lui-même de publier et constitue une œuvre essentiel-
aveugle), inscrit en parallèle de la « En tant qu’écrivain, lement poétique mais qui comporte aussi une
trilogie romanesque, un recueil de nouvelles
tragédie qui bouleverse le pays, un
double mouvement contradictoire
je serai écrivain en (La Main sèche) et du théâtre (Le Zulu, Le Des-
tin glorieux du maréchal Nnikon Nniku).
qui conduit un jeune garçon à la n’importe quelle langue. »
cécité alors que son pays accède à Tchicaya U Tam’Si
l’indépendance.
DU MÊME AUTEUR
Les graines de la douleur
Mémoires en archipel

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
4

chapitre
SOM De la révolte aux lendemains qui déchantent 60
MAIRE Des espoirs et des illusions… désespoir et désillusions

TUNISIE CÔTE-D’IVOIRE ALGÉRIE MUSTAPHA TLILI (NÉ EN 1937)


Né à Fériana en Tunisie, Mustapha Tlili fait ses
La montagne du lion Matins de couvre-feu Archéologie du chaos études de philosophie à Paris, puis part pour
les États-Unis où il travaille comme fonction-
Mustapha Tlili Tanella Boni (amoureux) naire à l’Organisation des Nations Unies de
1967 à 1980, puis revient à Paris. Romancier, il
1988, Gallimard 2005, Le Serpent à plumes Mustapha Benfodil a peu publié depuis La Rage aux tripes (1975) :
Le Bruit dort (1978), Gloire des sables (1982), La
Une vieille femme tunisienne dont À Zamba – un pays qui ressemble 2010, Barzakh
Montagne du lion (1988), Un après-midi dans
les deux fils sont partis, l’un en exil beaucoup à la Côte-d’Ivoire La vie d’un étrange héros qui recourt le désert (2008).
aux États-Unis, l’autre au combat, alors en proie aux tumultes de la à diverses écritures (carnet de bord,
doit faire face, avec l’aide de son guerre civile –, la tenancière d’un TANELLA BONI (NÉE EN 1954)
séquences narratives, passages Née à Abidjan, Tanella Boni, après des études
vieux serviteur noir, aux visées petit restaurant est brusquement poétiques ou dialogués, manifeste supérieures à Toulouse et Paris, a enseigné la
mercantiles qui entendent récupérer assignée à résidence. Condamnée à politique, lettre électronique, notes, philosophie à l’université d’Abidjan et exercé
sa terre pour y installer un complexe rester chez elle, elle passe en revue dessins, autographes), multiplie les
plusieurs postes à responsabilité au sein de
l’université, du ministère de la Culture et de
touristique... ses souvenirs et évoque quelques citations et explore les langages afin diverses instances de recherche, avant de
figures familières de son entourage. de revivre sa vie en la confrontant devoir quitter son pays. Elle vit aujourd’hui à
L’occasion de portraits peu flatteurs à la littérature et à ses maîtres. Un
Paris où elle poursuit ses activités de création,
essentiellement poétique, et de critique en
pour les hommes de son entourage, texte ambitieux, audacieux. Un collaborant à diverses revues.
et une observation acerbe des autre « bavardage du seul », pour
relations individuelles. reprendre le texte d’un autre de ses MUSTAPHA BENFODIL (NÉ EN 1968)
Né à Relizane, Mustapha Benfodil a fait des
romans, un cri drôle et désespéré, études de mathématiques avant de se consa-
avec la littérature pour unique crer à l’écriture. Poète, romancier, dramaturge,
échappatoire à la déraison du il est aussi l’auteur d’un essai  : Les Six Der-
niers jours de Bagdad, Journal d’un voyage de
monde. guerre.

« Les premières images, les premières


mots qui ont alimenté mon existence ont
été les images de Pierre Loti, de Flaubert
avec la langue qui les charriait, les
véhiculait. En même temps, il y avait le
Coran […]. Les deux se mélangent et se
nourrissent réciproquement. »
Mustapha Tlili, La Presse de Tunisie, novembre 

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
4

chapitre
SOM 61
MAIRE De la révolte aux lendemains qui déchantent

Dans SÉNÉGAL SÉNÉGAL OUSMANE SEMBÈNE (1923-2007)

les méandres Xala La grève des bàttu Né à Ziguinchor au Sénégal, Ousmane Sem-
bène a été maçon à Dakar et docker à Mar-

des nouveaux Ousmane Sembène Aminata Sow Fall seille, puis s’est consacré à la littérature et au
cinéma, après avoir suivi une formation à Mos-

pouvoirs 1973, Présence africaine 1979, NEA / Le Serpent à plumes cou. Militant syndicaliste, il a gardé de son
expérience du monde du travail un attache-

Afin de comprendre de l’intérieur El Hadji Abdou Kader Bèye, Les mésaventures d’un ment pour les luttes ouvrières et l’engagement
politique dont témoignent ses romans et nou-
les dérives des nouveaux maîtres, homme d’affaires douteux, fonctionnaire qui, après avoir
velles (Le Docker noir, Les Bouts de bois de
les écrivains ont introduit leurs confortablement installé dans la expulsé les mendiants hors de la Dieu, Niiwam) et ses films : Xala, Ceddo, Camp
héros dans les lieux du pouvoir. bourgeoisie dakaroise, décide, à ville de Dakar, se voit proposer, Thiaroye, Moolaadé ou encore Borom Sarret,
 ans, d’épouser en troisièmes en récompense, une promotion premier moyen métrage africain francophone
Les coulisses et les coins d’ombre, de fiction réalisé en 1963.
les couloirs et les alcôves des noces une jeune fille de plus de pour laquelle il devra, selon les
palais ont été investis. Des portes trente ans sa cadette. Victime du conseils de son marabout, sacrifier AMINATA SOW FALL (NÉE EN 1941)
se sont ouvertes, des rideaux se xala (impuissance), il ne peut quelques animaux et les offrir aux Née à Saint-Louis-du-Sénégal, Aminata Sow
consommer ce mariage. Afin d’être plus pauvres. Mais les mendiants, Fall a suivi des études de lettres à Dakar puis à
sont levés sur les compromis et Paris. Tout d’abord enseignante, elle a ensuite
compromissions de l’exercice de délivré du sortilège, il consulte choqués par leur exclusion, refusent occupé plusieurs postes à responsabilité dans
la politique, sur la corruption plusieurs marabouts. La ruine et alors de mendier et de tendre la les domaines culturels (membre de la com-

et les errements des instances l’humiliation sont au rendez-vous sébile, le bàttu… mission de réforme de l’enseignement du
français, directrice des lettres et de la propriété
dirigeantes, sur les dictatures dans ce roman adapté au cinéma intellectuelle, directrice du Centre d’études et
DU MÊME AUTEUR

fantoches et criminelles. Les par l’auteur. L’appel des arènes de civilisations). Avec son premier roman, Le
Revenant, publié en 1976, elle apparaît comme
exemples ne manquant pas, les DU MÊME AUTEUR l’une des premières romancières africaines
écrivains ont pu, à loisir, disposer Les bouts de bois de Dieu francophones.
Le docker noir
de modèles pour les aider à
Le mandat
esquisser une triste galerie.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
4

chapitre
SOM De la révolte aux lendemains qui déchantent 62
MAIRE Dans les méandres des nouveaux pouvoirs

CONGO CONGO ALGÉRIE


HENRI LOPES (NÉ EN 1937)
Le pleurer-rire Antoine m’a vendu Une peine à vivre Né à Léopoldville, au Congo belge, Henri
Lopes fait sa scolarité à Brazzaville (Congo
Henri Lopes son destin Rachid Mimouni français) puis des études de lettres et d’his-
toire en France. En 1965, il rejoint Brazzaville
1982, Présence africaine Sony Labou Tansi 1991 (Pocket) et le Congo devenu indépendant, où il devient
successivement ministre de l’Éducation natio-
Dans un pays africain qui n’est 1986 (Éditions Acoria) Sur le point d’être exécuté, le nale, des Affaires étrangères, des Finances
jamais identifié (« quelque part Afin de se prémunir des complots, maréchalissime-dictateur conte et, enfin, Premier ministre. En 1982, il devient
directeur de la Culture à l’Unesco, à Paris, puis
sur le Continent, bien sûr »), un le prince Antoine a décidé avec sa grandeur et ses misères, son
ambassadeur du Congo en France. En paral-
militaire revenu de toutes les ses fidèles soutiens de se destituer irrésistible ascension et sa chute lèle, il publie plusieurs romans à la suite de son
campagnes coloniales, devient, à lui-même et de diriger son pays non moins vertigineuse. Parvenu au recueil de nouvelles Tribaliques.
la suite d’un coup d’État, « père du depuis la prison où il est conduit faîte du pouvoir après avoir éliminé
SONY LABOU TANSI (1947-1995)
pays » sous le nom de maréchal en compagnie de sa mère et de son tous ses rivaux, il rencontre une Né dans l’actuelle République démocratique
Tonton Bwakamabé Na Sakadé et amante. Mais les traîtrises ne vont jeune étudiante qui le subjugue. du Congo, Sony Labou Tansi vient très tôt
impose une dictature sanglante pas tarder à se manifester dans Aussi follement amoureux qu’il au Congo où il demeure toute sa vie. Ensei-
et grotesque. Assisté dans son peut être furieusement cruel, il gnant d’anglais, il découvre le théâtre et crée à
cette pièce, qualifiée par l’auteur Brazzaville le Rocado Zulu Théâtre, qui monte
entreprise par Gourdain, « un d’« histoire loufoque d’un complot ». n’aura de cesse de la conquérir. Pour ensuite toute ses pièces en Afrique, en Europe
oncle venu du pays des oncles » cela, il est prêt à tout. Vraiment et en Amérique du Nord. Dramaturge – l’un
et « véritable inspirateur de la DU MÊME AUTEUR
à tout puisqu’il envisage même des plus joués du Continent de son vivant –, il
L’anté-peuple est aussi l’auteur de six romans et de recueils
répression permanente », le La vie et demie
de... démocratiser son pays ! Cette de poèmes. Par son œuvre et sa personnalité,
maréchal régente tout dans le pays. dernière séduction sera vaine et, il a fortement marqué l’écriture francophone
Il doit faire face à une tentative de dès lors, rien ne pourra empêcher africaine et plusieurs é
prise du pouvoir qu’il réprime par sa déchéance, si ce n’est une ultime
RACHID MIMOUNI (1945-1995)
la force. Une personnalité ubuesque pirouette du destin, une dernière Né à Boudouaou en Algérie, Rachid Mimouni
dont les frasques sont rapportées, volonté du romancier. fait des études commerciales en Algérie puis
dans le roman, par un maître au Canada, et revient enseigner à l’École supé-
DU MÊME AUTEUR rieure de commerce d’Alger. Il occupe égale-
d’hôtel. Le fleuve détourné ment plusieurs fonctions à responsabilité dans
des organismes culturels et politiques. Il publie
DU MÊME AUTEUR
en 1978 son premier roman, Le Printemps n’en
Le chercheur d’Afriques
sera que plus beau, bientôt suivi par L’Honneur
Tribaliques
de la tribu, Le Fleuve détourné, Une peine à
vivre, Tombeza, La Ceinture de l’ogresse. En
1993, il doit quitter l’Algérie et va à Tanger où il
tient des chroniques radiophoniques. crivains
revendiquent sa filiation.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
4

chapitre
SOM De la révolte aux lendemains qui déchantent 63
MAIRE Dans les méandres des nouveaux pouvoirs

CÔTE-D’IVOIRE SÉNÉGAL
AHMADOU KOUROUMA (1927-2003)

En attendant le vote Kaveena


Boubacar Boris Diop
Né à Boundiali, Ahmadou Kourouma poursuit
ses études en Côte-d’Ivoire puis à Bamako,

des bêtes sauvages


d’où il est renvoyé suite à des grèves étu-
diantes. Effectuant son service militaire et refu-
2006, Éditions Philippe Rey sant de participer à une répression de l’armée
Ahmadou Kourouma Un chef d’État africain en fuite vient
en 1949, il est affecté en Indochine. Il rentre
en 1954, reprend des études d’actuaire et,
1998, Seuil de mourir dans un étrange bunker. dès 1959, travaille dans les assurances, tout
d’abord à Lyon, puis à Abidjan lors de l’indé-
Sa vie va être reconstituée par son
Bingo, le griot louangeur, et Tiécoro, le saltimbanque, ancien chef de la police et par les
pendance. Il publie en 1968 un roman-clé des
littératures africaines, Les Soleils des indépen-
deux personnages doués de la force de la parole et courriers laissés par sa maîtresse, dances, et continue d’occuper ses fonctions
artiste-peintre et mère d’une en résidant successivement au Cameroun,
bénéficiant d’une sorte d’immunité due à leurs fonctions, au Togo puis en France. Il ne publie un deu-
fillette victime d’un meurtre rituel.
sont chargés de conter, en six veillées, la destinée du Une intrigue politico-amoureuse
xième roman, Monnè, outrages et défis, qu’en
1990. Il obtient une reconnaissance interna-
président, général et dictateur Koyaga, sans rien taire qui, de liaisons personnelles tionale ponctuée de nombreux prix avec ses
ni cacher. Ils en profitent pour faire une galerie de en relations troubles avec des deux romans suivants : En attendant le vote
des bêtes sauvages, prix du Livre Inter en 1999,
portraits de ses confrères, quelques tyrans de l’Afrique puissances étrangères, livrera bien et Allah n’est pas obligé, prix Renaudot et Gon-

contemporaine qui appartiennent à l’histoire récente (et des horreurs, mais aussi le rôle d’un court des lycéens en 2000.
manipulateur français, véritable
pour certains encore en activité à la publication du livre), ordonnateur de la politique locale.
BOUBACAR BORIS DIOP (NÉ EN 1946)
Né à Dakar, d’abord professeur de littérature
dont on peut reconnaître la véritable identité sous les et de philosophie, Boubacar Boris Diop s’est
DU MÊME AUTEUR
caricatures proposées, sans pour cela être féru d’histoire Murambi, le livre des ossements
ensuite orienté vers le journalisme. Depuis plu-
sieurs années, il poursuit un travail de réflexion
contemporaine africaine. Ahmadou Kourouma a reçu pour Le temps de Tamango
qu’il livre dans de nombreux articles critiques
ce roman le prix du Livre Inter en 1999. et quelques essais. Il a travaillé pour plusieurs
journaux sénégalais et dirigé le quotidien
DU MÊME AUTEUR
Le Matin de Dakar. Son œuvre romanesque
explore des thématiques et des registres d’écri-
Allah n’est pas obligé
ture inédits. En 2003, il a publié un roman en
Monnè, outrages et défis
wolof, Doomi Golo, qu’il a ensuite lui-même
Les soleils des indépendances
librement traduit en français (Les Petits de la
guenon).

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
5

chapitre
SOM 64
MAIRE

Au cœur des années 1990 :


des guerres, un génocide,
des enfants-soldats
Les années  ont vu se succéder sur le sol africain une série de conflits
effroyablement meurtriers, avec des millions de morts, anonymes et oubliés, dans
l’ignorance ou l’indifférence du monde. L’Algérie a connu ses années de terreur, le
Rwanda a vécu un génocide ; d’autres pays, les deux Congo en particulier, ont subi une
décennie entière de guerre. En de nombreux pays, les populations ont été confrontées
à ces engrenages monstrueux, n’épargnant jamais les civils et engageant une nouvelle
catégorie de combattants, les « enfants-soldats ». Tous ces drames ont suscité des écrits,
émanant ou non, selon les pays, des ressortissants eux-mêmes.

L’Algérie Et dans la
des années Rwanda 94 compagnie des
de terreur enfants-soldats
5

chapitre
SOM 65
MAIRE Au cœur des années 1990 : des guerres, un génocide, des enfants-soldats

L’Algérie ALGÉRIE ALGÉRIE


ABDELKADER DJEMAÏ (NÉ EN 1948)
des années Un été de cendres Les oranges Né à Oran, Abdelkader Djemaï travaille tout
d’abord dans le journalisme et collabore à
de terreur Abdelkader Djemaï Aziz Chouaki divers journaux en Algérie (El Moudjahid, Algé-
rie-Actualité, La République) et publie son pre-
De  à , l’Algérie a connu 1995 (Folio) 1998, Mille et une nuits mier roman, Saison de pierre, en 1986. En
1993, il quitte l’Algérie et vient s’installer en
une décennie noire, marquée Sid Ahmed Benbrik, fonctionnaire Depuis son balcon, un homme ob- France où il participe à de nombreux ateliers
par des massacres, des attentats algérien, s’est vu rabaisser serve sa ville, Alger. Il en retrace le d’écriture et se consacre à l’élaboration d’une
d’une grande violence, une à l’échelon inférieur et doit passé, évoque ses hôtes de passage œuvre essentiellement romanesque depuis Un
été de cendres, en 1995, jusqu’à La Dernière
période de terreur et de mort. maintenant obéir à ceux qu’il puis décrit le drame qui la meurtrit Nuit de l’Emir, en 2012.
Les écrivains ont payé le prix commandait autrefois. Veuf et sans aujourd’hui. Un monologue, sou-
fort de ces « années de plomb » : enfant, il vit reclus dans un cagibi vent adapté à la scène, qui mêle les AZIZ CHOUAKI (NÉ EN 1951)
plusieurs d’entre eux sont morts Né à Alger, Aziz Chouaki a fait des études d’an-
sur les lieux mêmes de son travail. réflexions amoureuses aux évoca- glais. Il vit en France depuis 1991. Il est musi-
sous des balles assassines qui Il fume trop, ne boit jamais et, tions nostalgiques, le bon sens et la cien et auteur de plusieurs pièces de théâtre
les visaient explicitement parce chaque fin de mois, rend visite à langue de la rue aux querelles philo- (Les Oranges, El Maestro, L’Arrêt de bus, Zol-
qu’ils étaient écrivains. Plus tard, Nouria la prostituée. Toujours rasé sophiques, la brutalité du quotidien tan) et romans (L’Étoile d’Alger, Arobase).
certains de leurs « collègues » ont de près et obsédé par la propreté de à la folie des hommes. ARESKI MELLAL (NÉ EN 1949)
tenu à témoigner de ces années ses chaussures, il vit comme absent Né à Alger, Arezki Mellal y exerce la profes-
d’obscurantisme, de règlements de du monde qui l’entoure. Pourtant, ALGÉRIE sion de graphiste, maquettiste et éditeur. Il se
compte, de guerre civile. D’autres autour de lui, le drame se joue, les consacre essentiellement au théâtre (La Délé-
en ont évoqué les conséquences
Maintenant gation officielle, Sisao, En remontant le Niger)
crimes et les attentats se succèdent :
et leurs multiples traumatismes : il demeure enfermé dans un ils peuvent venir et a publié en 2000 un premier roman, Main-
tenant ils peuvent venir, qu’il a ensuite adapté
familles et couples déchirés, monde qui n’appartient qu’à lui et Areski Mellal à la scène.
suspicion permanente, résignation trouve refuge dans l’anecdotique 2000, Barzakh / 2003, Actes Sud
et abattement, exil, folie, suicide... et le quotidien, dans le futile et
le dérisoire. Il assume l’absurdité Tout d’abord oppressé par une mère
d’une situation au sein de laquelle il malade, le héros de ce roman ne
a choisi d’être étranger. peut se résoudre à connaître une
vie pleine d’entraves et d’interdits.
DU MÊME AUTEUR
Il doit, en effet, faire face à la folie
Gare du Nord
obscurantiste, au terrorisme du
quotidien, sourd, insidieux et inqui-
siteur, mais aussi barbare et meur-
trier. Il ne peut s’y résoudre et tente
de vivre avec son épouse, d’échap-
per à la menace de vivre, d’aimer.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
5

chapitre
SOM Au cœur des années 1990 : des guerres, un génocide, des enfants-soldats 66
MAIRE L’Algérie des années de terreur

MAROC/ALGÉRIE ALGÉRIE ALGÉRIE


ANOUAR BENMALEK (NÉ EN 1956)
Le rapt Si tu cherches la pluie, Puisque mon cœur Né à Casablanca d’une mère marocaine et
d’un père algérien, Anouar Benmalek a fait
Anouar Benmalek  elle vient d’en haut est mort des études de mathématiques à Constantine
et à Kiev, en Ukraine, puis enseigné à Alger. Il
2009 (Le Livre de poche) Yahia Belaskri Maïssa Bey  milite dans diverses instances pour le respect
des droits de l’homme dans son pays. Poète et
Une jeune fille de  ans a été 2010, Vents d’ailleurs 2010, Éditions de L’Aube essayiste, il a publié son premier roman, Lud-
enlevée par un fou qui cherche à Déhia est universitaire, Adel est Une femme algérienne, seule, écrit à mila, en 1986, et a depuis constitué avec régu-
larité une œuvre romanesque abondante (Les
se venger. Son père est prêt à tout cadre. Tous deux ont fui les années son fils qui vient d’être assassiné ce Amants désunis, L’Enfant du peuple ancien, Ô
pour la retrouver. Il devra entendre sombres d’un pays jamais nommé, qu’elle n’a pu, ni osé lui dire de son Maria, Le Rapt).
les secrets les plus inavouables, la déliquescence, la malhonnêteté vivant. Elle évoque ses agacements,
ceux qui ont motivé le et la cupidité des collègues et des ses silences, ses secrets. Elle dit sa
WAHIBA KHIARI (NÉE EN 1969)
Née à Alger, Wahiba Khiari fait des études
ravisseur et qui ont leur pouvoirs, lorsque tout s’achète, là où solitude, les vraies tendresses des d’anglais et enseigne cette langue en Algérie
origine dans la guerre tout se vend et semble soumis aux uns, les fausses larmes des autres. jusqu’en 1997. Elle quitte alors son pays pour
d’indépendance… pires obscurantismes. Mais surtout Elle découvre Assia, l’amie du fils, la Tunisie où elle est libraire et où elle a publié
son premier livre, Nos silences, en 2009.
ils ont fui les douleurs brûlantes et rencontre Kheïra, une mère comme
les folies humaines nichées au cœur elle victime du même drame, YAHIA BELASKRI (NÉ EN 1952)
ALGÉRIE
même de leurs deux familles. Partir, entend la confession d’Hakim le Né à Oran, Yahia Belaskri a suivi des études de
sociologie. Venu en France en 1988, il y exerce
Nos silences c’est oublier un peu, mais c’est aussi copain... L’assassin est là aussi, la profession de journaliste. Il est l’auteur d’une
se souvenir longtemps, car le passé non loin, connu, reconnu, à portée
Wahiba Khiari est tenace et s’en revient frapper à la de vengeance. Et derrière cette
biographie du chanteur algérien Khaled. Il a
publié, en 2008, son premier roman, Le Bus
2010, Elyzad dans la ville, bientôt suivi par Si tu cherches la
mémoire des deux amants. bouleversante confession, l’Algérie
pluie, elle vient d’en haut en 2008, puis Une
Une professeur d’anglais a dû fuir d’aujourd’hui partagée dans longue nuit d’absence en 2012.
DU MÊME AUTEUR
l’Algérie et ses furies. Depuis son Un bus dans la ville l’oubli, le déni des années grises de
exil, elle retrace son itinéraire, sa douleurs et de drames. MAÏSSA BEY (NÉE EN 1950)
Née à Ksar el Boukhari en Algérie, Maïssa Bey
décision de partir, sa culpabilité DU MÊME AUTEUR a fait ses études de lettres à l’université d’Alger
d’avoir fui et trouvé le bonheur. En Cette fille-là puis enseigné à Sidi Bel Abbès avant d’occu-
Entendez-vous dans les montagnes per les fonctions de conseillère pédagogique.
contrepoint à ces chapitres plus Elle multiplie les activités socio-culturelles en
personnels, d’autres voix, celles de Algérie : elle a fondé les éditions Chèvre feuille
femmes demeurées au étoilée et créé une association de femmes,
Paroles et écritures.
pays, victimes à qui l’on a
demandé de se taire et de
pardonner.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
5

chapitre
SOM 67
MAIRE Au cœur des années 1990 : des guerres, un génocide, des enfants-soldats

Rwanda  CÔTE-D’IVOIRE SÉNÉGAL


VÉRONIQUE TADJO (NÉE EN 1955)
En , le génocide rwandais L’ombre d’Imana Murambi, le livre Née à Paris d’un père ivoirien et d’une mère
française, Véronique Tadjo a vécu son enfance
a atteint les sommets de Véronique Tadjo des ossements et son adolescence à Abidjan. Elle y a ensei-
l’horreur : par son ampleur, par gné à l’université, avant de vivre aux États-Unis,
sa rapidité, par l’efficacité de sa 2000, Actes Sud Boubacar Boris Diop au Mexique, en Angleterre et au Kenya, puis de
s’installer à Johannesburg où elle enseigne la
démesure. Un génocide préparé, La romancière ivoirienne a choisi 2000 (Le Serpent à plumes) littérature à l’université de Witwatersrand. Tout
prémédité et orchestré, et qui d’aller à la rencontre des survivants, en constituant une œuvre amorcée avec Laté-
« Chronique d’un génocide
a bénéficié, pour le moins, du d’entendre leurs témoignages mais rites en 1984 et destinée au public adulte, elle
annoncé » : tel aurait pu être le est l’une des premières femmes africaines à
silence complice des puissances aussi de questionner les bourreaux. titre de ce roman qui retrace la souhaiter consacrer une partie de son travail
étrangères. Dans les quelques mois Un « voyage jusqu’au bout du aux jeunes lecteurs avec des albums dont elle
préparation et l’accomplissement
de cette folie humaine qui a fait Rwanda » de l’après-génocide, assure souvent elle-même l’illustration.
de l’effroyable drame rwandais.
  victimes, aucun Rwandais qui est aussi une interrogation Une structure narrative éclatée, BOUBACAR BORIS DIOP (NÉ EN 1946)
n’a échappé au triangle composé sur les folies inhumaines et le des témoignages, des enquêtes Né à Dakar, d’abord professeur de littérature
du bourreau, de la victime et du comportement de chacun dans les et de philosophie, Boubacar Boris Diop s’est
et un personnage de fiction,
témoin, sauf de rares absents, situations les plus extrêmes. ensuite orienté vers le journalisme. Depuis plu-
Cornélius, jeune Rwandais de sieurs années, il poursuit un travail de réflexion
qui, dès lors, culpabilisent et
DU MÊME AUTEUR retour au pays après un exil de qu’il livre dans de nombreux articles critiques
s’interrogent sur l’attitude qu’ils et quelques essais. Il a travaillé pour plusieurs
Loin de mon père quatre ans à Djibouti, constituent
auraient adoptée. Reine Pokou journaux sénégalais et dirigé le quotidien
l’essentiel de ce livre d’effroi devant Le Matin de Dakar. Son œuvre romanesque
En , l’opération « Écrire par
la monstruosité des faits et leur explore des thématiques et des registres d’écri-
devoir de mémoire » a été mise en
ampleur, et d’indignation au regard ture inédits. En 2003, il a publié un roman en
place et dix écrivains du Continent wolof, Doomi Golo, qu’il a ensuite lui-même
de l’attitude de la France et des
se sont rendus au Rwanda afin de librement traduit en français (Les Petits de la
explications pseudo-scientifiques, guenon).
rompre le silence des intellectuels
historiques et politiques, livrées a
et porter témoignage. Ils sont
posteriori.
allés sur les lieux de mémoire, à
la rencontre des survivants et des DU MÊME AUTEUR

bourreaux. Certains ont choisi le Kaveena


Le temps de Tamango
récit documentaire, d’autres la
fiction. Quant aux Rwandais – en
l’occurrence essentiellement des
femmes –, ils ont choisi, à quelques
très rares exceptions, la voie du
témoignage.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
5

chapitre
SOM Au cœur des années 1990 : des guerres, un génocide, des enfants-soldats 68
MAIRE Rwanda 94

TCHAD GUINÉE RWANDA


KOULSY LAMKO (NÉ EN 1959)
Les phalènes L’aîné des orphelins SurVivantes : Rwanda, Né à Dadouar, au Tchad, Koulsy Lamko quitte
son pays en 1983 lors de la guerre civile, part
des collines Tierno Monénembo histoire d’un génocide au Burkina Faso, poursuit des études de lettres
et enseigne à Ouagadougou. Il enregistre un
Koulsy Lamko 2000 (Seuil) La fleur de Stéphanie, album de chansons. En 1998, il se rend au
Rwanda et reste quatre ans, enseigne à l’uni-
2000 (Le Serpent à plumes) Adolescent de  ans rescapé Rwanda entre versité et créé le Centre universitaire des arts.
Un papillon échappé du corps d’une d’une tuerie collective et lui- réconciliation et déni Avec Wasis Diop, il écrit L’Opéra du Sahel, pré-
senté à Bruxelles et Paris. Depuis 2003, il vit à
reine, violée et assassinée par un même meurtrier, Faustin, dans
l’attente de son exécution, va Esther Mujawayo Mexico où il dirige la Casa Africa. Comédien,
prêtre pendant le génocide, hante le metteur en scène et dramaturge (Tout bas, si
monde des survivants. Une présence revivre le massacre de ses parents, 2004, L’Aube ; 2006, Flammarion bas, Comme des flèches), il est aussi nouvel-
la disparition de son frère et de liste et romancier (Les Racines du yucca).
en écho à celle d’une jeune fille Deux livres témoignages écrits en
venue au pays dans le cadre d’une sa sœur, puis leurs retrouvailles
collaboration avec la journaliste TIERNO MONÉNEMBO (NÉ EN 1947)
mission d’enquête, à la recherche et, enfin, le viol de sa sœur et le Né en Guinée, Tierno Monénembo quitte son
Souâd Belhaddad portés par la
de la tombe de sa tante et comme meurtre du violeur. Muré dans le pays dès 1969 pour fuir la dictature. Il rejoint la
volonté de témoigner dans la Côte-d’Ivoire puis la France où il fait des études
éperdue dans le chaos qu’elle silence de l’oubli, cet anti-héros
simplicité et l’effroyable douleur de biochimie. Il enseigne en Algérie, au Maroc,
découvre. La rencontre se fera en d’une fable tragique parvient à
des mots. Le premier, récit puis en France où il demeure aujourd’hui, et
l’église-cimetière, musée-témoin libérer sa parole et plonge, avec publie son premier roman, Les Crapauds-
autobiographique écrit dix ans après
de l’horreur. Une « polyphonie quelques autres compagnons de Brousse, en 1979. Essentiellement romancier
le génocide de , décrit l’horreur (Les Écailles du ciel, Un rêve utile, Pelourinho,
sur des arpèges de cacophonies dérive, au cœur de l’horreur dont le
du drame mais aussi tout ce qui a Cinéma), il se consacre désormais à l’écriture.
douloureuses » : telle est l’intention romancier guinéen restitue l’absolue En 2004, il a publié Peuls, une épopée roma-
précédé, « annoncé » le génocide.
de l’écrivain tchadien qui emprunte inhumanité. nesque de son peuple et, en 2008, il a obtenu
Un livre essentiel pour approcher le le prix Renaudot pour Le Roi de Kahel.
les chemins de la fable et la fièvre DU MÊME AUTEUR drame et prendre la démesure de la
des mots pour vaincre le « seuil du Un attiéké pour Elgass folie des hommes. Dans le second, ESTHER MUJAWAYO (NÉE EN 1958)
silence ». Les crapauds-brousse Fille d’un pasteur, Esther Mujawayo est née
Pelourinho
Esther Mujawayo, à la recherche de au Rwanda et a connu très tôt les premières
Le roi de Kahel la dépouille de sa sœur Stéphanie, exclusions dues à son appartenance à la com-
va à la rencontre des génocidaires munauté tutsie. Après des études en Belgique,
elle a exercé la profession d’assistante sociale
et se heurte à leurs échappatoires,
au Rwanda. Rescapée du génocide de 1994,
à leurs dénis, rendant ainsi le sociologue et psychothérapeute, elle vit désor-
deuil impossible. Au-delà du cas mais à Dusseldorf, en Allemagne et s’occupe
personnel, une observation des principalement des traumatismes des popula-
tions réfugiées. Elle a créé une association de
gacaca (les tribunaux traditionnels veuves chargée d’aider ces femmes démunies
confrontant rescapés et bourreaux), et seules, qui ont souvent été violées et sont
et les difficiles et douloureuses atteintes du sida.
tentatives de réconciliation.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
5

chapitre
SOM Au cœur des années 1990 : des guerres, un génocide, des enfants-soldats 69
MAIRE Rwanda 94 | Et dans la compagnie des enfants-soldats

RWANDA Et dans la BÉNIN


SCHOLASTIQUE MUKASANGA (NÉE EN 1956)
Inyenzi ou les cafards compagnie des Charly en guerre Née à Gikongoro, au Rwanda, qu’elle a dû
quitter pour le Burundi en 1973, Scholastique
Scholastique Mukasanga enfants-soldats Florent Couao-Zotti Mukasonga est venue en France en 1992
et s’est installée en Normandie. En 1994, sa
2006, Gallimard Parmi les images tragiques 1996 (Éditions Dapper) famille demeurée au pays est victime du géno-
cide, et c’est en 2006 qu’elle publie un pre-
Un témoignage autobiographique désormais associées au continent Charly est orphelin. Son père a mier témoignage autobiographique, Inyenzi
comme une tentative pout « donner africain figure celle des « enfants- été tué et sa mère enlevée alors ou les Cafards, suivi par d’autres : La Femme
aux disparus une digne sépulture soldats », contraints et dressés, qu’elle était réfugiée dans un aux pieds nus, consacré à la mère assassinée
très jeunes, à délaisser toute de l’auteur, ou L’Iguifou, sur les déplacés de
de mots ». Un livre écrit pour les camp de la Croix-Rouge. Le gamin Nyamata.
victimes du génocide humanité pour piller, violer ou de  ans va, dès lors, connaître
qui hantent l’esprit des tuer. Ces gamins déshumanisés, l’effroyable engrenage de la GILBERT GATORE (NÉ EN 1981)
survivants, absents du tristes petits héros de détresse guerre, du compagnonnage aux Né au Rwanda, Gilbert Gatore a quitté son
pays en 1994 afin de fuir le génocide. Tout
drame ou réchappés de et de malheur, dépassés par prétendues amitiés viriles. Baptême d’abord réfugié en République démocratique
l’horreur. les événements comme par de la drogue, baptême du feu et du Congo, il est venu en France en 1997 pour
leur kalachnikovs, pauvres des dérives meurtrières comme suivre des études à l’Institut d’études politiques
marionnettes d’un monde à vau- de Lille, puis à l’Ecole des hautes études com-
RWANDA autant de cérémonies d’initiation à merciales à Paris, où il réside désormais. En
l’eau, sont devenus les personnages risques menées par ses compagnons
Le passé principaux de plusieurs romans. de misère et de drame. Une seule
2008, il a publié Le Passé devant soi, un pre-
mier roman dans lequel, pour l’une des toutes
devant soi Ainsi « l’enfant noir » est devenu un obsession occupe sa frêle silhouette premières fois, un Rwandais choisit la fiction
pour dire l’effroyable tragédie de son pays,
Gilbert Gatore « enfant-soldat ». d’apprenti soldat, l’image de sa mère sans toutefois jamais le nommer.
qu’il n’aura de cesse de retrouver
2008 (10/18)
par-delà l’effroyable cortège des FLORENT COUAO-ZOTTI (NÉ EN 1964)
Né à Pobé au Bénin, Florent Couao-Zotti suit
Une jeune fille africaine adoptée blessures et des morts. des études de lettres et devient journaliste (en
par un couple d’Européens décide particulier dans des publications satiriques,
DU MÊME AUTEUR
de quitter le confort et l’insouciance L’homme dit fou
Canard du Golfe ou Abito), puis professeur.
Demeurant à Cotonou, il se consacre à l’écri-
pour rejoindre son pays natal alors Notre pain de chaque nuit
ture, qu’il décline à travers pièces de théâtre,
bouleversé par un effroyable drame. bandes dessinées et surtout romans (Notre
Elle y rencontre un jeune homme pain de chaque nuit en 1998, Le Cantique des
muet, refugié dans l’effroyable cannibales, Poulet-bicyclette et Cie en 2008)
et nouvelles. En 2011, il s’intéresse au roman
solitude de ses cauchemars et les policier (Si la cour du mouton est sale, ce n’est
ombres de son passé. Deux pas au porc de le dire).
personnages dans une
tourmente qui n’est pas sans
évoquer le Rwanda natal de
l’auteur.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
5

chapitre
SOM Au cœur des années 1990 : des guerres, un génocide, des enfants-soldats 70
MAIRE Et dans la compagnie des enfants-soldats

AHMADOU KOUROUMA (1927-2003)


CÔTE-D’IVOIRE CONGO Né à Boundiali, Ahmadou Kourouma fait ses

Allah n’est pas obligé


études en Côte-d’Ivoire puis à Bamako, d’où il
Johnny Chien méchant est renvoyé suite à des grèves étudiantes. Refu-

Emmanuel Dongala sant de participer, pendant son service mili-


Ahmadou Kourouma taire, à une répression de l’armée en 1949, il
est affecté en Indochine. Il reprend ensuite des
2002, Le Serpent à plumes
2000, Seuil études d’actuaire et, dès 1959, travaille dans les
Deux adolescents dans le chaos de assurances, à Lyon, puis à Abidjan lors de l’in-
Orphelin en déroute, Birahima, petit malinké de Côte- la guerre : lui est orphelin, assassin dépendance. Il publie en 1968 un roman-clé
des littératures africaines, Les Soleils des indé-
d’Ivoire, flanqué de Yacouba, féticheur et « multiplicateur et violeur et appartient à l’une des pendances, et continue d’occuper ses fonc-
de billets », part en quête de sa tante et se retrouve enrôlé milices qui rançonnent le pays ; tions en résidant successivement au Came-
roun, au Togo puis en France.
dans les conflits qui sévissent au Liberia et en Sierra Leone. elle a vu son avenir personnel brisé
et sa famille détruite. Un roman à EMMANUEL DONGALA (NÉ EN 1941)
Rapidement initié (« C’était facile, il suffisait d’appuyer deux voix dans les dérives des folies Né en République centrafricaine d’une mère
sur la détente et ça faisait tralala... Et ça tuait, ça tuait, les inhumaines, des silences et des centrafricaine et d’un père congolais, Emma-
nuel Dongala se retrouve très jeune au Congo,
vivants tombaient comme des mouches. »), Birahima voit intérêts complices, avec, ça et là, où il fait ses premières études. Il part ensuite
quelques lueurs d’espoir.
mourir ses jeunes compagnons d’arme et apprend bien aux États-Unis, puis en France afin de pour-
suivre des études scientifiques. De retour à
vite que, dans un tel monde, la vie « ne vaut pas le pet DU MÊME AUTEUR
Brazzaville, il enseigne la chimie à l’univer-
Un fusil dans la main, un poème sité. Il crée durant cette période le Théâtre
d’une vieille grand-mère »... Emporté par la tourmente, dans la poche de l’Éclair et commence à publier. Suite à la
Birahima vit et subit toutes les horreurs de la guerre et Jazz et vin de palme
Photo de groupe au bord du fleuve
guerre civile, il est contraint, en 1997, de quit-
ter son pays et trouve refuge aux États-Unis où
toutes les monstruosités qui l’accompagnent. Rien ne lui il enseigne la littérature et la chimie, et conti-
sera épargné et, de ses 10 ou 12 ans (sa mère et sa grand- CONGO nue d’écrire.

mère ne sont pas d’accord !), il ne cesse de côtoyer la mort Le socle des vertiges DIEUDONNÉ NIANGOUNA (NÉ EN 1976)
quand il ne la provoque pas lui-même. Ce roman a reçu le Dieudonné Niangouna
Né à Brazzaville, Dieudonné Niangouna a suivi
les cours de l’École nationale des beaux-arts.
prix Renaudot et le Goncourt des lycéens en 2000. 2011, Éditions Les Solitaires intempestifs
Il a vécu dans le tumulte des guerres et son
œuvre, essentiellement théâtrale, en porte la
DU MÊME AUTEUR marque. Comédien et metteur en scène, il a
En attendant le vote des bêtes sauvages
Ils sont devenus adultes, mais leurs créé à Brazzaville la compagnie Les Bruits de
Monnè, outrages et défis souvenirs d’adolescence sont meur- la rue avec laquelle il a monté ses premières
Les soleils des indépendances tris par des années de chaos et de pièces (Attitude Clando, Carré Blanc, Banc
de touche). Joué dans de nombreuses villes
violences inouïes. Ils racontent leur africaines et européennes, souvent dans ses
traversée de la guerre qui a anéanti propres mises en scène, son théâtre (Les Inep-
leur vie et leur pays, le Congo. Des ties volantes, Le Socle des vertiges) est l’un des
images d’inhumanité et de mort plus en vue des années 2000.

transcendées par un texte dramatur-


gique heurté à la syncope fiévreuse.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM 71
MAIRE

Afrique/Europe :
aller-retour ?
Entre l’Afrique et l’Europe, l’histoire est longue et tumultueuse. Et les liens
sont aussi ténus que distendus. Entre ces deux continents, les migrations sont
nombreuses et les auteurs comme les personnages des fictions africaines sont souvent
de grands voyageurs. Nés en Afrique, venus en Europe, repartis ou installés,
ou effectuant de multiples allers-retours, ils incarnent cette relation privilégiée,
heurtée, inégale à bien des titres.

Travailleurs D’autres départs, Des cahiers Ici ou là, nulle


Partir émigrés, exilés, d’autres exils, de retours au part, entre
déplacés d’autres douleurs pays natal deux
6

chapitre
SOM 72
MAIRE Afrique/Europe : aller-retour ?

Partir GUINÉE TOGO


TIERNO MONÉNEMBO (NÉ EN 1947)
Les personnages des livres africains Un attiéké pour Elgass Tout ce bleu Né en Guinée, Tierno Monénembo quitte son
pays dès 1969 pour fuir la dictature. Il rejoint la
sont souvent sur le départ, en Tierno Monénembo Gaston-Paul Effa Côte-d’Ivoire puis la France où il fait des études
partance pour un ailleurs. Ce de biochimie. Il enseigne en Algérie, au Maroc,
sont des migrants. En cela, ils 1993, Seuil 1996, Grasset puis en France où il demeure aujourd’hui, et
publie son premier roman, Les Crapauds-
ressemblent à leurs créateurs À la veille du départ d’Idjatou Douo Papus, un jeune garçon Brousse, en 1979. Essentiellement romancier
qui, eux-mêmes, ont souvent dû pour l’Europe, une petite bande donné très jeune par ses parents (Les Écailles du ciel, Un rêve utile, Pelourinho,
quitter le pays qui les a vu naître. de Guinéens en exil à « Bidjan à des religieuses, quitte Douala et Cinéma), il se consacre désormais à l’écriture.
En 2004, il a publié Peuls, une épopée roma-
À la lecture des biographies, il là-même » se retrouve chez Tantie vient à Paris, où il se retrouve sous nesque de son peuple et, en 2008, il a obtenu
est révélateur de constater qu’un Akissi, qui tient l’un des maquis l’emprise spirituelle du Père Marie le prix Renaudot pour Le Roi de Kahel.
grand nombre d’écrivains vivent de la métropole ivoirienne. La fête Pâques et envisage de devenir
dans un pays qui n’est pas celui de devient rapidement l’occasion d’un prêtre. Mais il découvre aussi GASTON-PAUL EFFA (NÉ EN 1965)
Né à Yaoundé, Gaston-Paul Effa est élevé
leur naissance : cet éloignement de tragique règlement de comptes les livres et le goût des mots. Il par des religieuses auxquelles ses parents
la terre natale ou cet exil n’est pas et la belle solidarité de façade abandonne cette voie et décide de l’ont confié. Destiné à la prêtrise, il vient en
toujours synonyme d’un départ laisse la place à des querelles, prendre en main son destin. France afin de suivre des études de théolo-
gie mais il choisit la philosophie qu’il enseigne
vers l’Europe, car l’exil interne des accusations et de sordides
DU MÊME AUTEUR aujourd’hui dans l’Est de la France. Depuis Tout
au continent est aussi un recours, révélations qui n’auront de cesse ce bleu en 1996 et Mâ en 1998, il poursuit une
Nous enfants de la tradition
une alternative à une situation qu’après avoir emporté les convives œuvre essentiellement romanesque (Le cri
devenue insoutenable. que tu pousses ne réveilleras personne, Che-
dans le drame. Une plongée au val-Roi). Il est aussi critique littéraire et cuisi-
cœur d’un sujet rarement abordé, nier, et a créé à Sarrebourg un restaurant asso-
l’émigration interne au continent ciatif à visée humanitaire.
africain.
DU MÊME AUTEUR
L’aîné des orphelins
Les crapauds-brousse
Pelourinho
Le roi de Kahel

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM Afrique/Europe : aller-retour ? 73
MAIRE Partir | Travailleurs émigrés, exilés, déplacés

TCHAD Travailleurs MAROC


NIMROD (NÉ EN 1959)
Le départ émigrés, exilés, Les boucs Né au Tchad, Nimrod a enseigné à N’Djamena
et Abidjan, avant de venir en France où il se
Nimrod déplacés Driss Chraïbi consacre à l’écriture. Il a été rédacteur en chef
de la revue Aleph, beth de 1997 à 1999 et co-
2005, Actes Sud Contraints pour des raisons le plus 1955 (Folio) anime depuis 2003 la revue Agotem. Il a consa-
cré deux essais au poète sénégalais Léopold
Un enfant de  ans suit son père, souvent économiques, sociales et po- Waldik a fui la misère de son pays, Sédar Senghor (Tombeau pour Léopold Sédar
pasteur, dans ses différentes litiques, de quitter leur pays, les écri- le Maroc, et rejoint en France Senghor). Poète, romancier à la langue sub-
affectations. Chaque voyage est une vains africains, même si plusieurs les « promus au sacrifice », les tile et précise, Nimrod arpente les traces de la
mémoire, en particulier celle de l’enfance et
initiation, une découverte des autres ont récemment choisi la destination travailleurs immigrés, les « boucs ». de l’adolescence dans ses romans Les Jambes
mondes dans les turbulences du de l’Amérique du nord, se dirigent Il connaît le sort de ces hommes d’Alice et Le Bal des Princes, et dans son récit
Tchad qui va bientôt sombrer dans essentiellement vers la France et Pa- « parqués à la lisière de la société Le Départ.

le chaos. Une errance comme un ris. Contrairement à leurs aînés qui et de l’humain ». Le premier DRISS CHRAÏBI (1926-2007)
prélude au grand exil de l’écrivain. pouvaient rester plusieurs décennies grand roman de dénonciation Né à Al Jadida, Driss Chraïbi fait ses études à
Une occasion de revisiter l’enfance, en Europe sans évoquer ce continent des conditions de l’immigration Casablanca puis quitte le Maroc en 1945 pour
de dire les liens et les distances avec et restaient fixés sur le pays quitté, prolétaire. Un regard cru et brut étudier la chimie et la neuro-psychiatrie à Paris.
Journaliste, photographe, producteur de radio,
le père, l’amour fraternel pour la les nouvelles générations intègrent sur l’univers quotidien imposé à il vit quelque temps au Canada puis revient
sœur, les amitiés complices mais très vite dans leurs textes le lieu l’immigré maghrébin en France définitivement en France où il ne cesse de
aussi la force poétique des lieux et qui les voit vivre. Ainsi Paris est un dans les années . poursuivre une œuvre essentiellement roma-
nesque (Succession ouverte, La Civilisation,
des paysages. espace romanesque régulièrement
DU MÊME AUTEUR ma mère !, La Mère au printemps). Il est l’un
investi et les titres des livres portent des premiers auteurs maghrébins à inscrire le
DU MÊME AUTEUR Le passé simple
la marque de cet ancrage. Une enquête au pays monde de l’émigration dans l’espace roma-
Les jambes d’Alice
Longtemps, pourtant, l’émigra- nesque et, plus tard, l’un des premiers à s’inté-
resser au roman policier.
tion populaire est demeurée un
thème abordé par les seuls écrivains
maghrébins. Leurs collègues sub-
sahariens prenaient souvent pour
héros – sur des trames autobiogra-
phiques plus ou moins avouées – des
étudiants qui ne connaissaient la vie
d’immigré qu’au travers du prisme,
plus confortable ou du moins plus
court, de la vie étudiante. Depuis
les années  et , l’émigré a
trouvé à son tour sa place dans les
écrits subsahariens.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM Afrique/Europe : aller-retour ? 74
MAIRE Travailleurs émigrés, exilés, déplacés

SÉNÉGAL GUINÉE ALGÉRIE


OUSMANE SEMBÈNE (1923-2007)
Le docker noir Chaîne Topographie idéale Né à Ziguinchor au Sénégal, Ousmane Sem-
bène a été maçon à Dakar et docker à Mar-
Ousmane Sembène Saïdou Bokoum pour une agression seille, puis s’est consacré à la littérature et au
cinéma, après avoir suivi une formation à Mos-
1956, Présence africaine 1974, Denoël caractérisée cou. Militant syndicaliste, il a gardé de son

Un roman en partie auto- Kanaan a renoncé à ses études et Rachid Boudjedra expérience du monde du travail un attache-
ment pour les luttes ouvrières et l’engagement
biographique qui décrit la vie rompu avec son amie. Au bord 1975 (Folio) politique dont témoignent ses romans et nou-
velles (Le Docker noir, Les Bouts de bois de
misérable d’un travailleur sénégalais du suicide, il échappe à sa propre
sur le port de Marseille, vivant mal mort en sauvant d’un incendie un Une journée particulière, celle Dieu, Niiwam) et ses films : Xala, Ceddo, Camp
Thiaroye, Moolaadé ou encore Borom Sarret,
et de peu, soutenu par l’espoir de habitant d’un foyer de travailleurs. d’un travailleur algérien et de sa premier moyen métrage africain francophone
voir publier les pages du cahier qu’il Il quitte l’univers intellectuel valise en carton bouilli, dans les de fiction réalisé en 1963.

noircit, mais il se heurte, là encore, et rencontre le monde ouvrier wagons et les couloirs du métro
parisien. Une errance dans les SAÏDOU BOKOUM (NÉ EN 1945)
à de bien désagréables surprises. émigré au sein duquel il retrouve Né à Dinguirayé en Guinée, Saïdou Bokoum
la force des valeurs africaines et entrailles cruelles de l’émigration. quitte son pays en 1963 et vit successivement
DU MÊME AUTEUR
découvre la fraternité des luttes Une description clinique et une aux États-Unis, à Alger, puis à Paris, où il pour-
Les bouts de bois de Dieu
communautaires. L’extrême dureté narration volontairement dénuée de suit des études de droit et de sociologie tout
Le mandat en exerçant divers métiers avant de travailler
Xala des conditions de vie engendre une toute émotivité pour mieux suggérer dans l’animation socio-culturelle. Dramaturge
énergie rageuse qui accompagne la violence de la douleur. et metteur en scène, il est l’auteur d’un unique
roman, Chaîne, publié en 1974.
la « descente aux enfers » de ce fils DU MÊME AUTEUR

maudit. La répudiation RACHID BOUDJEDRA (NÉ EN 1941)


Timimoun Rachid Boudjedra fait ses études en Algérie et
en Tunisie. Militant actif pendant la guerre d’Al-
gérie, puis représentant du Front de Libération
Nationale en Espagne, il revient en Algérie à
l’indépendance. Après différents allers-retours
entre la France, le Maroc et l’Algérie, il revient
en Algérie en 1976 et occupe diverses fonc-
tions au ministère de l’Information, aux Édi-
tions nationales et enseigne à l’Institut des
sciences politiques d’Alger. Depuis La Répu-
diation, il n’a cessé d’écrire avec régularité une
des œuvres romanesques maghrébines les
plus abondantes.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM Afrique/Europe : aller-retour ? 75
MAIRE Travailleurs émigrés, exilés, déplacés | D’autres départs, d’autres exils, d’autres douleurs

ALGÉRIE D’autres CÔTE-D’IVOIRE


ABDELKADER DJEMAÏ (NÉ EN 1948)
Gare du Nord départs, Un Nègre à Paris Né à Oran, Abdelkader Djemaï travaille tout
d’abord dans le journalisme et collabore à
Abdelkader Djemaï d’autres exils, Bernard Dadié divers journaux en Algérie (El Moudjahid, Algé-
rie-Actualité, La République) et publie son pre-
2003, Seuil
d’autres 1956, Présence africaine mier roman, Saison de pierre, en 1986. En
1993, il quitte l’Algérie et vient s’installer en
Bonbon car il est doux comme
une sucrerie. Bartolo à cause de
douleurs Le récit des quinze jours passés à
Paris par un jeune « Ivoirien naïf »,
France où il participe à de nombreux ateliers
d’écriture et se consacre à l’élaboration d’une
Aux côtés des travailleurs œuvre essentiellement romanesque depuis Un
ses joues rondes et de sa bedaine. confronté à un monde qu’il s’efforce
été de cendres, en 1995, jusqu’à La Dernière
Zalamite parce que vif comme émigrés – ouvriers, employés, de décrire à un ami resté au pays. Nuit de l’émir, en 2012.
une allumette. Trois chibanis, prolétaires échoués Observant les Parisiens et leurs
trois « vieux », trois compagnons dans un exil laborieux –, mœurs étranges, l’auteur renverse BERNARD DADIÉ (NÉ EN 1916)
Fils d’un militant syndicaliste, Bernard Dadié
d’infortune – mais pas de misère d’autres personnages, emportés avec humour l’habituel regard ethno- fait des études à Dakar puis revient à Abidjan,
– venus d’Algérie, échoués là, en par une aventure familiale logique porté par les Européens sur le où il est arrêté et jeté en prison pour ses activi-
fin de vie, dans une France tour ou bien attirés par les attraits continent africain. tés journalistiques. À l’indépendance, il travaille
à tour bienveillante et hostile. de l’Europe, par ses paillettes au ministère de l’Éducation puis de l’Informa-
DU MÊME AUTEUR tion avant de devenir ministre de la Culture.
De leur passé, on saura peu de et leurs miroirs, ont pris place Climbié Son œuvre est constituée de recueils de
choses hormis quelques bribes : dans les écrits africains. Le pagne noir contes et légendes, de poèmes, de chroniques
Bonbon a été mineur à Noeux-les- Ces destinées singulières faussement naïves sur Paris, Rome ou New
SÉNÉGAL York. Il est également un pionnier du théâtre
Mines, Bartolo a connu l’amour à mettent en avant le caractère en Afrique (Monsieur Thôgô-Gnini, Béatrice du
Marseille, Zalamite a vécu dans la individuel d’une démarche Le baobab fou Congo, Les Voix dans le vent, Îles de tempête).
région de Lille. Mais l’important n’engageant en rien
est désormais dans le quotidien une population toute entière. Ken Bugul KEN BUGUL (NÉE EN 1947)
Née à Ndoucoumane au Sénégal, Ken Bugul
parisien de ces trois hommes dont 1982, NEA choisit un pseudonyme qui signifie en wolof
les boîtes à lettres ne s’emplissent « celle dont personne ne veut ». Elle com-
Après une enfance vécue dans son
que de publicités et dont l’activité mence sa carrière d’écrivain en 1982 avec Le
village, une jeune Sénégalaise part Baobab fou, qui fait d’elle l’une des voix fémi-
principale consiste à déambuler
pour l’Europe et y découvre avec nines pionnières de l’Afrique francophone.
entre le café La Chope verte et les Après avoir travaillé à Dakar au planning fami-
avidité un autre monde. Un choc
chambres qu’ils occupent au Foyer lial et dans diverses structures internationales,
des cultures en large partie auto- elle se consacre à l’écriture. Après avoir vécu à
de l’Espérance, dans ce quartier de
biographique, vécu par une jeune Porto-Novo au Bénin, où elle gérait un centre
la Gare du Nord qui donne son titre de promotion d’objets d’art et d’artisanat, elle
femme qui a dû se construire loin de
au roman. est récemment rentrée au Sénégal.
sa famille et faire face aux hostilités
DU MÊME AUTEUR de la vie loin de sa terre.
Un été de cendres
DU MÊME AUTEUR
Riwan
Rue Félix-Faure

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM Afrique/Europe : aller-retour ? 76
MAIRE D’autres départs, d’autres exils, d’autres douleurs

RDC MAROC CONGO


PIUS NGANDU NKASHAMA (NÉ EN 1946)
Vie et mœurs d’un Les yeux baissés Le chercheur d’Afriques Né à Mbujimayi en République démocratique
du Congo, Pius Ngandu Nkashama fait des
primitif en Essonne Tahar Ben Jelloun Henri Lopes  études de lettres et de philosophie à Kinshasa
puis à Strasbourg, avant d’enseigner à l’univer-
Pius Ngandu Nkashama 1991, Seuil 1990, Seuil sité à Kinshasa, puis de quitter son pays pour
l’Algérie, la France et enfin les États-Unis où il
1987, L’Harmattan Les « yeux baissés » d’une petite Né d’une mère africaine et d’un père réside et où il est professeur à l’université de
Le récit amer et désabusé de fille que son père, travailleur européen, un jeune homme venu Louisiane à Bâton Rouge. Il est l’auteur d’une
œuvre très abondante tant dans le domaine
l’expérience de l’auteur congolais émigré, viendra un jour arracher à en France afin de poursuivre ses
critique que dans tous les genres littéraires de
(alors zaïrois) Pius Ngandu la misère pour l’emmener à Paris, études – qui ressemble beaucoup la fiction.
Nkashama, convié au début des où commence pour l’adolescente à l’auteur – se met en quête de
années  à parcourir pendant un une seconde vie, avec ses espoirs son père, ancien commandant TAHAR BEN JELLOUN (NÉ EN 1944)
Né à Fès, Tahar Ben Jelloun vit son adoles-
an un département francilien pour et ses désillusions mais aussi le de cercle qui avait abandonné en cence à Tanger, deux villes de formation et
y porter une présence africaine et douloureux constat de l’impossible terre africaine sa femme et son de référence dans son œuvre. En 1971, il s’ins-
devenir ainsi le « premier coopérant retour au pays natal... enfant aujourd’hui devenu adulte. talle à Paris et collabore au journal Le Monde,
Au-delà de la recherche du père, où il signe des chroniques sociologiques sur
africain sur le sol français ». DU MÊME AUTEUR l’émigration et des articles littéraires. Il reçoit
L’enfant de sable ce roman est aussi une évocation en 1987 le prix Goncourt pour La Nuit sacrée.
Jour de silence à Tanger tendre et nostalgique d’une époque, Ses romans constituent la part la plus connue
La nuit sacrée des plaisirs des premières amours de son travail, mais il a aussi publié essais (La
Plus Haute des solitudes, Le Racisme expliqué
étudiantes, de l’insouciance de la à ma fille), poésie et théâtre (La Fiancée de
musique et de la danse, mais aussi l’eau, Entretiens avec M. Saïd Hammadi ouvrier
de la gravité des engagements algérien).
« L’écrivain français politiques du moment et, aussi, de
HENRI LOPES (NÉ EN 1937)
écrit français. la richesse et des malentendus du
métissage.
Né à Léopoldville, au Congo belge, Henri
Lopes fait sa scolarité à Brazzaville (Congo
Nous, nous écrivons DU MÊME AUTEUR
français) puis des études de lettres et d’his-
toire en France. En 1965, il rejoint Brazzaville
en français. » Le pleurer-rire
Tribaliques
et le Congo devenu indépendant, où il devient
successivement ministre de l’Éducation natio-
Henri Lopes nale, des Affaires étrangères, des Finances
et, enfin, Premier ministre. En 1982, il devient
directeur de la Culture à l’Unesco, à Paris, puis
ambassadeur du Congo en France. En paral-
lèle, il publie plusieurs romans à la suite de son
recueil de nouvelles Tribaliques.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM Afrique/Europe : aller-retour ? 77
MAIRE D’autres départs, d’autres exils, d’autres douleurs

CAMEROUN CÔTE-D’IVOIRE GABON


CALIXTHE BEYALA (NÉE EN 1961)
Le petit Prince Bintou 53 cm Née à Douala, Calixthe Beyala vient à Paris à
l’âge de 17 ans et publie son premier roman,
de Belleville Koffi Kwahulé Bessora C’est le soleil qui m’a brûlée, en 1987. Révélée
avec Le Petit Prince de Belleville, en 1992, elle
Calixthe Beyala 1997, Lansman Éditeur 1999, Le Serpent à plumes est simultanément lauréate de prix littéraires et
accusée du plagiat de plusieurs auteurs. Elle
1992, Albin Michel Bintou, « type africain,  ans, Une jeune mère helveto-gabonaise poursuit sa carrière de romancière, très pré-
Mamadou Traoré, « Loukoum » chef de gang », est une héroïne comme l’auteur, qui veut être sente sur la scène médiatique et habile polé-
miste, et a publié plusieurs romans et des livres
pour les intimes, un petit Malien sulfureuse et endiablée, qui « gaulologue » et se livre à une étude
sur des faits de société ou des anecdotes
qui ne manque pas de malice et proclame haut et fort son ethnologique de la population autobiographiques.
de drôlerie, vit dans le quartier de indépendance. Enfant rebelle, française, part, accompagnée de sa
Belleville à Paris, entouré de son flanquée de ses compères de fille, en quête d’une carte de séjour. KOFFI KWAHULÉ (NÉ EN 1956)
Né à Abengourou en Côte-d’Ivoire, Koffi Kwa-
père et ses deux mères, de Monsieur bande, elle erre entre les paradis Une aventure grandguignolesque hulé a reçu une formation de comédien et
Guillaume le patron de bistrot, de artificiels des uns, les rêves de dans les dédales des administrations metteur en scène à l’Institut national des
Monsieur Kaba, le « monsieur le « sunlights » des autres et se françaises. arts d’Abidjan puis à l’École nationale supé-
heurte à l’incompréhension de sa rieure des arts du théâtre de Paris. Dramaturge
mieux habillé de Paris, toujours depuis Cette vieille magie noire, en 1993, il
accompagné de son garde du corps famille. La mère dépassée, le père est l’auteur de nombreuses pièces jouées sur
et de deux filles », et de quelques absent, l’oncle incestueux, la tante plusieurs scènes du monde. Il a publié deux

autres personnages encore, souvent offusquée constituent le quatuor romans, Babyface en 2006 et Monsieur Ki en
2010.
pittoresques, pitoyables parfois. d’un ordre que ne peut admettre la
Du haut de ses  ans, Loukoum « petite fleur sauvage ». Une pièce BESSORA (NÉE EN 1968)
passe en revue la misère, l’exil, mais de théâtre pour dire la rage et la Née à Bruxelles dans une famille de diplo-
détresse d’une génération. mates, d’une mère suisse et d’un père gabo-
aussi la joie de vivre et la complicité nais, Bessora a vécu en Suisse, aux États-
qui règnent dans le quartier au DU MÊME AUTEUR Unis et au Gabon. Après avoir travaillé dans
sein des différentes communautés Babyface le domaine de la finance, elle vient en France
et poursuit des études d’anthropologie et se
immigrées. Il promène un regard lance dans l’écriture de fiction (53cm, Et si
moqueur et, s’il ne comprend pas Dieu me demande dites-lui que je dors, Petro-
toujours tout ce qui lui arrive, il leum, Cueillez-moi jolis Messieurs…).
comprend bien plus que ce que
les adultes veulent bien croire.
Un roman controversé pour ses
emprunts à d’autres œuvres.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM Afrique/Europe : aller-retour ? 78
MAIRE D’autres départs, d’autres exils, d’autres douleurs

CONGO TOGO ALGÉRIE


ALAIN MABANCKOU (NÉ EN 1966)
Bleu blanc rouge Place des Fêtes Rue des petites Né à Pointe-Noire, Alain Mabanckou a fait des
études de droit à Brazzaville puis à Paris, où
Alain Mabanckou Sami Tchak daurades il exerce la profession de conseiller juridique
pour La Lyonnaise des Eaux pendant dix ans.
1999, Présence africaine 2000, Gallimard Fellag D’abord poète, il publie son premier roman,
Bleu Blanc Rouge, en 1998. En 2001, il part
Fasciné par la « réussite » de son Ses parents sont « nés là-bas » et lui 2001, JC Lattès pour une résidence d’écriture aux États-Unis. Il
aîné, Massala-Massala va, à son « ici ». Il est noir et porte un « vilain Dans une rue imaginaire – ou enseigne aujourd’hui au département d’études
francophones de l’université de Californie-
tour, entreprendre le grand voyage nom ». Ses sœurs se prostituent presque – d’un quartier cosmopolite Los Angeles. Il a reçu en 2006 le prix Renau-
vers la France et le Paris de toutes aux Pays-Bas. Outre ses convoitises de Paris, il y a une église, une dot pour son roman Mémoires de porc-épic,
les convoitises, vers ce « bleu- incestueuses avec sa cousine, ses école, une boulangerie, un hôtel et est devenu l’un des auteurs-phares de ces
blanc-rouge » que d’aucuns disent relations troubles avec sa mère, littératures.
mais aussi six bistrots dont deux
merveilleux. Mais les relations ses différends avec son père, sa méritent l’attention de l’humoriste SAMI TCHAK (NÉ EN 1960)
de son « ami » ne sont guère vie ressemble à une « galère en chroniqueur du quotidien Né au Togo, Sami Tchak a enseigné la philoso-
recommandables et ses pratiques majuscules » ou, comme le dit Sami qu’est Fellag : le Révizor, où se phie dans son pays. Venu en France en 1986, il
conformes à son immoralité. De Tchak en guise de titre de l’un de a suivi des études de sociologie qui l’ont mené
réunissent les aigris arc-boutés sur à Cuba, puis au Mexique et en Colombie –
petits trafics sur les chéquiers volés ses plus de soixante-dix chapitres, quelques certitudes étriquées et autant de lieux très présents dans son œuvre
et les coupons de carte orange une « putain de… vie, de Paris, de revanchardes, et les Chants alisés, littéraire. Si son premier roman, Place des
en combines en tous genres, de banlieue, de parents, de métier, de où un petit monde échange des
Fêtes, se passe à Paris, les trois autres ont pour
cadre une Amérique latine imprécise, parfois
squats en situations illégales à déception ». brèves de comptoir et de rue, de un peu africaine, dans laquelle errent quelques
multiples rebondissements, le héros tendresse populaire et de sympathie exclus du monde. Son dernier roman, Al
DU MÊME AUTEUR
est emporté dans un tourbillon Le paradis des chiots villageoise, au cœur de la capitale
Capone le Malien, renoue avec le continent
africain et une intrigue qui mêle culture, mafia
de magouilles, débrouilles et Filles de Mexico française. et politique.
embrouilles. Il déchante bien vite et
au terme d’une série d’aventures qui DU MÊME AUTEUR
FELLAG (NÉ EN 1950)
L’allumeur de rêves berbères
tiennent autant du roman policier Né à Azefoun en Algérie, Fellag a fait des
études de théâtre à l’Institut d’art dramatique
que du récit social, revient, penaud d’Alger et commencé sa carrière avec un pre-
et miséreux, « à la case départ », mier spectacle en 1987. Il quitte l’Algérie en
non sans passer par la prison et les 1995 et poursuit une carrière de comédien
pour le cinéma (Le Gône du chaâba) et d’hu-
humiliations de l’expulsion.
moriste, auteur et acteur de one-man show
DU MÊME AUTEUR
comiques (Djurdjurassique bled, Che bella la
vita, Tous les Algériens sont des mécaniciens).
Demain j’aurai vingt ans
Il publie son premier roman, Rue des petites
Mémoires d’un porc-épic
daurades, en 2001.
Verre cassé

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM Afrique/Europe : aller-retour ? 79
MAIRE D’autres départs, d’autres exils, d’autres douleurs

SÉNÉGAL BURKINA FASO MAROC


FATOU DIOME (NÉE EN 1968)
La préférence Loin de mon village, French Dream Née au Sénégal dans l’île de Niodor, Fatou
Diome vit depuis 1994 en France où elle a
nationale c’est la brousse Mohamed Hmoudane occupé de nombreux emplois afin de pour-
suivre ses études de lettres. C’est cette situa-
Fatou Diome Sayouba Traoré 2005, La Différence tion qui lui a inspiré, en 2001, son premier livre,
un recueil de nouvelles, La Préférence natio-
2001, Présence africaine 2005, Vents d’ailleurs L’exil parisien et ses « mille nale. Son premier roman, Le Ventre de l’At-
Un recueil de nouvelles pour dire La vie d’une famille burkinabè chimères » racontés, dans un roman lantique, lui a très vite assuré une renommée
internationale. Désormais, elle enseigne à l’uni-
les déconvenues, les déboires, les sur trois générations, depuis patchwork, par un poète marocain.
versité de Strasbourg et consacre son temps à
rejets et les humiliations d’une l’arrivée des premiers colons et le Un livre rageur pour dire les raisons l’écriture (Kétala, Inassouvies nos vies).
jeune étudiante venue du Sénégal traumatisme vécu dans le village, et les douleurs de l’émigration, les
pour terminer, en Alsace, sa thèse jusqu’à la décision de l’exil et attentes et les douleurs de l’exil, SAYOUBA TRAORÉ (NÉ EN 1955)
Né au Burkina Faso, Sayouba Traoré est venu à
de doctorat de lettres. Elle travaille la découverte des rigueurs de les illusions et la désillusion, à Paris en 1981 afin de poursuivre ses études. Il
à divers petits emplois subalternes l’émigration. travers les itinéraires chaotiques du y est resté et après avoir exercé divers métiers,
et doit faire face au mépris, à narrateur et les échos distants de ses travaille comme journaliste à Radio France
deux frères. Internationale. Dans ses romans (Loin de mon
l’inculture, au racisme primaire village c’est la brousse en 2005, Les Mous-
ou plus subtilement décalé, et aux taches du chat en 2008), il évoque la destinée
manifestations de l’imbécillité de personnages qui, sur plusieurs générations,
ont connu l’éloignement du pays natal et l’exil
ordinaire. vers la France.
DU MÊME AUTEUR
MOHAMED HMOUDANE (NÉ EN 1968)
Celles qui attendent
Né au Maroc, Mohammed Hmoudane est
Le ventre de l’Atlantique
venu en France en 1989. Poète (Attentat ;
Blanche mécanique ; Parole prise, parole don-
née), il a publié, en 2006, son premier roman,
French Dream.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM Afrique/Europe : aller-retour ? 80
MAIRE D’autres départs, d’autres exils, d’autres douleurs

ALGÉRIE CONGO CONGO


HACÈNE ZEHAR (1939-2002)
Miroir d’un fou Le cœur Le Silence des esprits Né à Ksar el-Boukhari, Hacène Zehar a quitté
l’Algérie en 1957 pour l’Europe, qu’il a parcou-
Hacène Zehar des enfants-léopards Wilfried N’Sondé rue avant de se fixer en France. Journaliste
dans diverses publications, il a fait paraître son
1979 (Barzakh) Wilfried N’Sondé 2010, Actes Sud premier livre, un recueil de nouvelles, Peloton
de tête, en 1966.
Écrite à la première personne, 2007, Actes Sud Dans une gare parisienne, un
l’errance d’un jeune Algérien de Depuis sa prison, un jeune homme homme, craignant une patrouille WILFRIED N’SONDÉ (NÉ EN 1968)
vingt-sept ans dans le Paris des retrace sa destinée dans une cité policière, se réfugie dans un Né à Brazzaville au Congo, venu en France à
l’âge de 5 ans, Wilfried N’Sondé a passé son
années . Héros fragile et de la région parisienne, ses amours wagon de RER. Il y rencontre enfance et son adolescence dans la région
vagabond aux marges de la folie déçues, ses amitiés, mais aussi ses une femme, un peu trop seule parisienne, où il a suivi des études de sciences
dont on suit les méandres et les liens avec ses ancêtres congolais… elle aussi. Tous deux vont se dire, politiques. Il vit depuis 1991 à Berlin où il
exerce les fonctions d’animateur social. Égale-
chaos de la vie et de la pensée. Il Une histoire d’amour et d’amitié. s’entendre, s’aimer et trouver ment musicien et chanteur, il a publié son pre-
crie sa rage et ses détresses, sans Une dérive romanesque dans refuge dans l’écoute de l’autre. mier roman, Le Cœur des enfants-léopards,
rien occulter et en creusant au plus cet univers où les fraternités se Chacun livrera son passé : celui en 2007. Depuis, il se consacre entièrement
profond les raisons de sa dérive. De d’un ancien enfant-soldat africain à l’écriture et à la musique, et poursuit cette
heurtent aux exclusions, loin des double carrière artistique.
son enfance et de son adolescence clichés habituels sur la banlieue. aujourd’hui clandestin en France,
au pays jusqu’à sa confrontation Une réflexion sur l’attachement à celui d’une femme délaissée par
avec l’inconnu et la brutalité de l’Afrique, sur le mal-vivre dans une son mari, maltraitée dans son
l’exil, l’homme se confie sans société aux blessures multiples. enfance, devenue aide-soignante.
complaisance mais avec une dureté Deux dérives qui vont connaître un
et une crudité qui dérangent et bonheur éphémère, bien difficile à
émeuvent à la fois. préserver.

« Lorsque je m’exprime
en français, il y a toujours, quelque
part en moi, la langue peule
qui m’interpelle et me demande
des comptes. »
Tierno Monénembo

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM 81
MAIRE Afrique/Europe : aller-retour ?

Des cahiers MAROC ALGÉRIE


ABDELLATIF LAÂBI (NÉ EN 1942)
de retours au Le spleen Si Diable veut Né à Fès, Abdellatif Laâbi fait ses études de
lettres à Rabat et devient professeur de fran-
pays natal de Casablanca Mohammed Dib  çais. Il s’engage politiquement et fonde la
revue Souffles, qui sera déterminante dans la
Les tentatives de retour au pays Abdellatif Laâbi  1998, Albin Michel vie littéraire marocaine. Emprisonné de 1972 à
1980 pour ses idées politiques, il s’exile et vit
sont un sujet largement abordé 1996, Éditions de La Différence Ymran a quitté la « terre étrangère » à Paris depuis 1985 – à l’exception d’une ten-
par les écrivains africains, qu’elles pour se rendre « au pays de sa tative malheureuse de retour au pays. Poète
Un livre « écrit pour une part au
soient inspirées ou non par leurs mère ». Il retrouve son oncle, avant tout, il est aussi dramaturge (Rimbaud
Maroc, pour l’autre en France, et Shéhérazade, Le Baptême chacaliste, Exer-
propres trajectoires. Revenus après sa tante Safia, la « fiancée du
qui se déroule comme le journal cices de tolérance, Le Juge et l’Ombre) et
une absence plus ou moins longue, printemps », mais, devenus auteur de récits et de romans. Il est aussi tra-
de bord d’un impossible retour ».
les héros (les doubles des auteurs ?) étrangers les uns aux autres, ducteur, en particulier du poète palestinien
L’impossible retour du poète Mahmoud Darwich.
se trouvent confrontés à une la confrontation est rude et
emprisonné, libéré, exilé et qui
réalité qu’ils méconnaissent, qu’ils difficile. Pris dans l’engrenage
revient à sa terre natale. Un MOHAMMED DIB (1920-2003)
ne reconnaissent pas et qui ne les des retrouvailles impossibles, de Né à Tlemcen, Mohammed Dib exerce tout
livre des retrouvailles manquées
reconnaît pas davantage. Le pays maladresses en malentendus, les d’abord en Algérie comme instituteur puis tra-
dont on mesure tout ce qu’il vaille aux Chemins de fer où il sert d’interprète
n’est plus le même, le « revenant » rencontres tournent court, dans
contient d’amertume et de aux forces alliées pendant la Seconde Guerre
a changé et les retrouvailles le tumulte d’une autre douleur. mondiale. Il publie son premier poème en
douleur contenues, même si, une
sont alors souvent difficiles et Depuis quelque temps, en effet, 1947, travaille en tant que journaliste à Alger
fois encore, l’écriture parvient Républicain puis publie, en 1951, La Grande
amères. Elles donnent lieu à la des « créatures de l’enfer » viennent
à maintenir l’espoir et aide à maison, premier volume de sa trilogie « Algé-
comparaison de deux douleurs : hanter les villages, attaquer les
« apprendre le dur métier du rie ». En 1959, il quitte l’Algérie pour la France
partir vers des ailleurs incertains, habitants et les maintenir dans où il constitue une œuvre abondante et renou-
retour » et à se « guérir du rêve ». velée, alternant poésie (Feu beau feu), théâtre
demeurer dans des lieux de misère la terreur. Ymran, son oncle et et surtout nouvelles et romans (Habel, La Nuit
ou de terreur. DU MÊME AUTEUR
quelques autres tentent de rompre sauvage, L’Infante maure).
Le fond de la jarre
Œuvre poétique I et II
le silence et refusent de « laisser
la calamiteuse destinée imposer
sa loi ». À l’issue de ces épreuves,
Ymran, « étranger de par le monde
autant qu’ici, nu et solitaire,
doublement en exil », repart d’où il
était venu...
DU MÊME AUTEUR
La grande maison
L’incendie
Neiges de marbre

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM Afrique/Europe : aller-retour ? 82
MAIRE Des cahiers de retours au pays natal

ALGÉRIE TOGO CAMEROUN


SALIM BACHI (NÉ EN 1971)
Le chien d’Ulysse Cola cola jazz L’intérieur de la nuit Né à Alger, Salim Bachi est venu en France en
1997, afin de poursuivre ses études de lettres.
Salim Bachi Kangni Alem Léonora Miano En 2001, il a publié Le Chien d’Ulysse qui lui
a valu la Bourse Goncourt du premier roman.
2001, Gallimard 2003, Éditions Dapper 2005 (Pocket) Dans son œuvre (La Kahéna, Les Douze Contes
de minuit), il recourt à une prose lyrique et
Dans un dédoublement des Venue rejoindre sa demi-sœur De retour dans son village natal multiplie les références et les citations, afin de
personnalités, des lieux et des à TiBrava, ville africaine qui après quelques années passées dire les doutes et les errements – de ses per-
sonnages en proie aux multiples soubresauts
temps, Hocine/Ulysse connaît une ressemble à toutes les villes du en France, Ayané découvre un
et chaos qui ont meurtri l’Algérie et le monde,
« journée particulière », depuis continent mais sans doute un peu territoire à l’abandon, car la et de lui-même (Autoportrait avec Grenade).
son rendez-vous avec son ami plus au Lomé de l’auteur, une jeune guerre fait rage alentours. C’est
sous l’horloge de la gare de Cyrtha métisse, venue d’Europe, découvre alors que des militaires viennent KANGNI ALEM (NÉ EN 1966)
Après des études de sémiologie théâtrale, Kan-
jusqu’à son errance nocturne, où l’Afrique et part à la recherche de y faire une razzia : des hommes gni Alem, qui est né à Lomé, a créé L’Atelier
seul son chien, Argos, le reconnaît. leur père frivole. Un regard tout pour la guérilla, des filles pour la Théâtre de Lomé. Comédien, il a joué dans
Il se rend chez son professeur à la fois proche et distancié sur sa troupe. Et ils se livrent aussi à une La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire.
d’université et sa très belle épouse, découverte et ses étonnements. effroyable cérémonie : une nuit de Installé en France en 1992, il est depuis peu
rentré au Togo, où il exerce les fonctions de
puis croise successivement un la transgression. représentant de la Francophonie. Dramaturge,
militaire, un journaliste, des amis metteur en scène et comédien, il a également
DU MÊME AUTEUR
et un gérant d’hôtel qui l’embauche Blues pour Élise
enseigné à l’université, en France et aux États-
Unis. Il est aussi traducteur de textes anglo-
avant de le renvoyer poursuivre son Tels des astres éteints phones, en particulier du romancier nigerian
errance dans la nuit. Ken Saro-Wiwa.

DU MÊME AUTEUR
LÉONORA MIANO (NÉE EN 1973)
La Kahéna Née à Douala au Cameroun, Léonora Miano
est venue en France en 1991, afin de pour-
suivre des études de lettres et de travailler sur
les littératures anglophones. Elle a publié son
premier roman, L’Intérieur de la nuit, en 2005,
puis, l’année suivante Contours du jour qui
vient, pour lequel elle a obtenu le prix Gon-
court des lycéens. Également musicienne
et chanteuse, elle est l’auteur interprète d’un
spectacle poétique et musical, Sankofa Cry.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM Afrique/Europe : aller-retour ? 83
MAIRE Des cahiers de retours au pays natal

TOGO ALGÉRIE CAMEROUN


KOSSI EFOUI (NÉ EN 1962)
Solo pour un revenant Un bus dans la ville Bamako climax Né à Anfouin au Togo, Kossi Efoui suit des
études de philosophie mais doit quitter son
Kossi Efoui Yahia Belaskri Élisabeth Tchoungui pays pour échapper à la répression de la dicta-
ture. Il vient en France où il demeure toujours.
2009, Seuil 2010, Vents d’ailleurs 2010, Plon Tout d’abord homme de théâtre, il a écrit une
vingtaine de pièces depuis Le Carrefour, en
Nous sommes à Gloria Grande, un Dans une ville algérienne, Céleste, journaliste métisse, 1989. Il a publié son premier roman, La Polka,
« revenant » est de retour dans son « endormie », « éteinte », « absente », disparaît lors d’un reportage en en 1998, et depuis, alterne publications drama-
turgiques et romanesques.
pays. Il doit passer un check-point, une ville « en bord de mer sans la Afrique. Son mari, Elio, un Italien
il ne (re)connaît plus personne et mer », qui n’est jamais nommée, à la judéité mal assumée, et Elliot, YAHIA BELASKRI (NÉ EN 1952)
cherche à retrouver son ami Asafo un homme, au hasard d’un trajet son amant, un Antillais qui porte Né à Oran, Yahia Belaskri a suivi des études de
Johnson. Dix ans ont passé, dix d’autobus, retrouve les traces de ses sa couleur de peau comme « une sociologie. Venu en France en 1988, il y exerce
la profession de journaliste. Il est l’auteur d’une
années de massacres et de folies amis disparus, les espoirs perdus plaie, un fardeau », partent à sa biographie du chanteur algérien Khaled. Il a
meurtrières. Il prend la mesure d’une ville et d’un pays meurtris. recherche… publié, en 2008, son premier roman, Le Bus
de l’horreur, de la déraison et des Il promène son regard sur les lieux dans la ville, bientôt suivi par Si tu cherches
distances établies. et sur son passé. Les souvenirs la pluie, elle vient d’en haut en 2008, puis Une
longue nuit d’absence en 2012.
affluent, les parents, les amours de
DU MÊME AUTEUR
La Polka jeunesse, le frère, les voisins, les ÉLISABETH TCHOUNGUI (NÉE EN 1974)
copains, ceux qui sont restés, ceux Née à Washington d’un père camerounais
diplomate et d’une mère française, Élisabeth
qui sont les perdants de l’histoire.
Tchoungui a passé son enfance au Came-
Et puis le Petit Théâtre où il a roun, puis fait des études de journalisme en
joué, les fièvres révolutionnaires, France. Elle a animé plusieurs émissions pour
les premières lectures, l’éveil à la la télévision française : « Les Écrans du savoir »,
« Ubik », « Afrik’Art », « JT de la Culture » et,
poésie, Aragon, Les Yeux d’Elsa… depuis 2011, le magazine culturel « Avant-pre-
mières » sur France 2. Elle a publié en 2005 son
DU MÊME AUTEUR
premier roman, Je vous souhaite la pluie.
Si tu cherches la pluie, elle vient d’en haut

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM 84
MAIRE Afrique/Europe : aller-retour ?

Ici ou là, nulle MAROC ALGÉRIE


LEÏLA HOUARI (NÉE EN 1959)
part, entre deux Zeida de nulle part Entre-deux Je Née à Casablanca, Leïla Houari est venue, avec
sa mère et ses frères et sœurs, rejoindre son
Ils sont d’ici et de là-bas ou Leïla Houari Souâd Belhaddad père en Belgique en 1966. À 19 ans, elle choi-
sit de rentrer au Maroc mais l’expérience est
parfois, ils ne sont pas encore 1985, L’Harmattan 2001, Mango douloureuse et elle revient en Belgique où elle
d’ici et ne sont plus de là-bas. s’investit dans l’action socio-culturelle. Elle
Étrangers dans une terre d’exil Zeïda ne se sent chez elle ni en « Algérienne ? Française ? Comment vit à Paris depuis 1996 et poursuit ses activi-
souvent hostile et inhospitalière Belgique où elle réside, ni dans choisir… » : telle est la question tés dans les domaines du théâtre, du docu-
mentaire et de l’écriture (Zeïda de nulle part,
et ne se retrouvant plus dans les le village marocain natal où elle posée, dès le sous-titre, par l’auteur
Quand tu verras la mer, Les Rives identitaires).
lieux qu’ils ont dû quitter. Ce retourne pour les vacances. Une qui traque dans les interstices de
sont ces destinées que content errance dans un entre-deux, la mémoire et dans l’histoire de sa SOUÂD BELHADDAD (NÉE EN 1957)

plusieurs romans : expériences accompagnée par Antar, le chevalier famille cette double identité dont Née en Algérie, Souâd Belhaddad a grandi en
France où elle vit et exerce la profession de
douloureuses des malaises de noir légendaire d’Arabie. elle voudrait conserver les deux journaliste. Après son premier livre, Entre-deux
l’exil, de la difficile conciliation, volets et ne pas être contrainte de Je, paru en 2001, elle publie en 2006 un essai
du mal-être, de l’ambiguïté, de refuser l’un pour endosser l’autre. sur les oubliés de l’histoire algérienne récente
(Algérie le prix de l’oubli), une monographie du
l’impossibilité de « n’être pas chanteur Manu Chao, et deux livres consacrés
deux » (Cheikh Hamidou Kane). au génocide rwandais, co-écrits avec Esther
Mujawayo : SurVivantes et La Fleur de Stépha-
nie. Plus récemment, Souâd Belhaddad a écrit
et interprété un one-woman show comique,
Fatima a beaucoup de choses à vous djire.

« Pour moi, Algérien, je n’ai pas


choisi le français. Il m’a choisi, ou
plutôt il s’est imposé à moi à travers
des siècles de sang et de larmes…
mais c’est grâce aux écrivains
français que je me sens en paix avec
cette langue, avec laquelle j’établis
un rapport passionnel qui ne fait
qu’ajouter à sa beauté. »
Rachid Boudjedra, Lettres algériennes, Grasset, 

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
6

chapitre
SOM Afrique/Europe : aller-retour ? 85
MAIRE Ici ou là, nulle part, entre deux

SÉNÉGAL SÉNÉGAL CAMEROUN


FATOU DIOME (NÉE EN 1968)
Le ventre Sarcelles-Dakar Tels des astres éteints Née au Sénégal dans l’île de Niodor, Fatou
Diome vit depuis 1994 en France, où elle a
de l’Atlantique Insa Sané Léonora Miano occupé de nombreux emplois afin de pour-
suivre ses études de lettres. C’est cette situa-
Fatou Diome  2006, Sarbacanes 2008 (Pocket) tion qui lui a inspiré, en 2001, son premier
livre, un recueil de nouvelles, La Préférence
2003 (Le Livre de poche) Djiraël, un jeune à la dérive vivant Ils sont à Paris, ils sont noirs, ont des nationale. Son premier roman, Le Ventre de
Salie, venue en France où elle avec sa mère qui l’élève seule manières fort différentes de vivre l’Atlantique, lui a très vite assuré une renom-
mée internationale. Désormais, elle enseigne
travaille, correspond régulièrement avec ses frères à Sarcelles, dans dans leur peau et entretiennent
à l’université de Strasbourg et consacre son
avec son frère Madické demeuré la banlieue parisienne. Une vie avec leur « communauté » des temps à l’écriture (Kétala, Inassouvies nos vies).
au Sénégal. Il est passionné où alternent les magouilles et les rapports distendus ou de proximité,
de football ; elle fait mine de embrouilles, les histoires d’amour ambigus et complexes ou affirmés INSA SANÉ (NÉ EN 1974)
Né à Dakar, Insa Sané vit en France depuis
s’y intéresser et lui transmet et d’amitié de la cité. Mais sa mère et épanouis. Ils sont trois : Amok l’âge de 6 ans. Artiste polyvalent, il est à la fois
informations et résultats pour a programmé avec la famille un d’une famille camerounaise comédien pour le cinéma (Voisins voisines
satisfaire sa curiosité. Il est voyage initiatique au Sénégal, un et d’un passé dont il n’entend de Malik Chibane) et le théâtre (Les Oranges
retour vers des sources inconnues. pas être prisonnier ; Shrapnel, d’Aziz Chouaki) ; slameur et rappeur, il a créé
aussi fasciné par les paillettes de et enregistré avec son groupe le « Soul Slam
l’émigration européenne et par les son ami, également venu du Band ». Depuis 2006, il est aussi l’auteur de
récits merveilleux des exilés lors de Cameroun, qui vante pour sa part le quatre romans, inscrits dans un processus d’al-

leur retour, elle doit alors le mettre panafricanisme, tandis qu’Amandla ler-retour entre les banlieues des villes, de Sar-
celles à Dakar : Sarcelles-Dakar (2006), Gueule
en garde contre les revers nombreux est une Guyanaise rasta. Un roman de bois (2008), Du plomb dans le crâne (2009)
d’une médaille aux attraits syncopé par sa « bande-son » et des et Daddy est mort (2010).
trompeurs. Elle lui dit sans détours références musicales qui illustrent
parfaitement le propos. LÉONORA MIANO (NÉE EN 1973)
le poids des exigences des parents Née à Douala au Cameroun, Léonora Miano
et amis, et la situation douloureuse DU MÊME AUTEUR est venue en France en 1991, afin de pour-
lorsqu’on se retrouve en porte-à- Blues pour Élise suivre des études de lettres et de travailler sur
L’intérieur de la nuit les littératures anglophones. Elle a publié son
faux dans le pays natal comme dans premier roman, L’Intérieur de la nuit, en 2005,
celui de l’exil. puis, l’année suivante Contours du jour qui
vient, pour lequel elle a obtenu le prix Gon-
DU MÊME AUTEUR court des lycéens. Également musicienne
Celles qui attendent et chanteuse, elle est l’auteur interprète d’un
La préférence nationale spectacle poétique et musical, Sankofa Cry.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM 86
MAIRE

D’autres horizons
littéraires
La découverte de territoires littéraires jusqu’alors peu fréquentés et les urgences
des premiers combats avaient conduit les écrivains africains des premières générations
à demeurer sur des horizons romanesques circonscrits à l’Afrique et aux terres d’exil,
dans des écritures plutôt sages.
Ces dernières années, des audaces – de plus en plus présentes – ont vu le jour
dans l’exploration de nouveaux espaces urbains, dans le choix de destinations
géographiques inédites et dans le recours à des genres littéraires jusqu’alors peu
pratiqués. Des hardiesses qui se sont accompagnées d’un désir d’être reconnus comme
« écrivains » avant tout, et d’une volonté de se défaire d’épithètes – « africain »,
« francophone » – devenus encombrants ou trop lourds à porter.

De l’absurde
Au cœur
Le polar et du rire pour De l’Afrique
des villes
et ses marges échapper au monde
et des nuits
aux drames
7

chapitre
SOM 87
MAIRE D’autres horizons littéraires

Au cœur ÉGYPTE BÉNIN


ALBERT COSSERY (1913-2008)
des villes Mendiants Notre pain Né au Caire dans une famille orthodoxe émigrée
de Syrie, Albert Cossery fait ses études dans des
et des nuits et orgueilleux de chaque nuit établissements francophones. Il publie, en 1940,
son premier roman, Les Hommes oubliés de
Au cours du XXe siècle, l’Afrique Albert Cossery L’homme dit fou Dieu, avec l’aide d’Henry Miller. Il quitte l’Égypte
en 1945 et s’installe à Paris, à l’Hôtel La Loui-
s’est urbanisée et, tout 1951 (Éditions Joëlle Losfeld) Florent Couao-Zotti siane, où il demeure jusqu’à sa mort. Il ne cesse
naturellement, l’enfant de la d’écrire sur l’Égypte et notamment sur les habi-
Gohar, grand consommateur de 1998 et 2000, Le Serpent à plumes
brousse et des campagnes est tants du Caire (La Maison de la mort certaine,
haschich qui s’est fait mendiant 1944 ; Mendiants et orgueilleux, 1951 ; Un com-
devenu un enfant de la ville. La Dans ces deux livres, une même
après avoir quitté son poste à plot de saltimbanques, 1981 ; Les Couleurs de
ville lieu de vie, lieu de toutes violence humaine, une même l’infamie, 1999).
l’université, est le meurtrier
les tentations, de toutes les violence urbaine, à chaque coin de
d’une jeune pensionnaire de FLORENT COUAO-ZOTTI (NÉ EN 1964)
turbulences, de toutes les audaces page, à chaque coin de rue, celles de
maison close. Nour el-Din, un Né à Pobé au Bénin, Florent Couao-Zotti fait
plus ou moins recommandables. Cotonou.
policier homosexuel, est chargé des études de lettres, et devient journaliste
Ainsi les grandes métropoles, Dans le premier, Dendjer et Nono, (en particulier dans des publications satiriques,
de l’enquête. Toutefois l’essentiel
avec leurs lots de zones d’ombre le boxeur et la prostituée, vivent un Canard du Golfe ou Abito), puis professeur.
n’est pas la recherche du coupable Demeurant à Cotonou, il se consacre à l’écri-
mais aussi d’espaces de vie et de amour passionné et violent comme
dont l’identité est connue, mais ture, qu’il décline à travers pièces de théâtre,
rencontres, sont un terrain propice la ville qui les entoure. Une passion bandes dessinées et surtout romans (Notre
plutôt la ronde de tous les autres
à l’imagination des romanciers, des corps qui les mène à l’extrême. pain de chaque nuit en 1998, Le Cantique des
personnages rencontrés qui, face à cannibales, Poulet-bicyclette et Cie en 2008)
désormais eux-mêmes souvent Dans le second, qui est un recueil
l’adversité et à la misère, trouvent et nouvelles. En 2011, il s’intéresse au roman
issus de ces terres urbaines. de nouvelles, les personnages sont
une parade à la mesure de leur policier (Si la cour du mouton est sale, ce n’est
marginalité. Tous ces « mendiants des humains nostalgiques de leur pas au porc de le dire).

et orgueilleux », « damnés de la d’enfance ou des enfants versés


terre » et autres « oubliés de Dieu » trop tôt dans une destinée adulte, à
qui hantent les rues du Caire l’instar de celui qui donne son titre,
recréent d’autres règles de vie et cet « homme dit fou », meurtrier,
s’inventent un code moral hors des kidnappeur et insensible aux
normes habituellement admises. balles de la police, ou de l’« enfant-
Ce livre empreint de pessimisme caniveau, un être oublié dans les
mais néanmoins teinté d’un humour décharges du monde ».
caustique a également été publié DU MÊME AUTEUR
dans une version adaptée en bande Charly en guerre
dessinée par Golo.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 88
MAIRE Au cœur des villes et des nuits

TUNISIE SÉNÉGAL TOGO


ALI BÉCHEUR (NÉ EN 1939)
Tunis blues Rue Félix-Faure Port-Mélo Né à Sousse en Tunisie, Ali Bécheur a fait ses
études de droit à Paris et a enseigné à la faculté
Ali Bécheur Ken Bugul Edem de droit de Tunis avant d’entamer une carrière
d’avocat. Il se consacre aujourd’hui à la rédac-
2002, Zellige 2005, Hoëbeke 2006, Gallimard tion de ses livres, anime des ateliers d’écriture
et vit à Tunis. Il est l’auteur d’un essai (La Porte
Les chapitres portent les noms des À Dakar, rue Félix-Faure – une rue Dans un port africain, Mélo ouverte), de nouvelles et de romans (De miel
protagonistes et ils sont cinq à se de vie et de bars clandestins, de (anagramme de Lomé), en et d’aloès, Le Paradis des femmes, L’Attente).
succéder dans les pages de ce livre musique, de rire et de plaisirs, mais proie au chaos, dont nous sont
KEN BUGUL (NÉE EN 1947)
comme dans les rues de Tunis. Il y aussi de détresse et de dérives –, contées les fièvres et les fureurs Née à Ndoucoumane au Sénégal, Ken Bugul
a là un jeune révolté en dérive, de le cadavre émasculé d’un lépreux par l’intermédiaire de différents choisit un pseudonyme qui signifie en wolof
retour au pays après son expulsion est découvert. L’enquête habitants tour à tour protagonistes, « celle dont personne ne veut ». Elle com-
mence sa carrière d’écrivain en 1982 avec Le
de France, une bourgeoise épouse policière peut commencer. où la violence la plus extrême, Baobab fou, qui fait d’elle l’une des voix fémi-
d’un homme riche, une voyante Mais l’énigme n’est pas les répressions policières, les nines pionnières de l’Afrique francophone.
gitane, un juge rigoriste et une forcément celle que meurtres, les viols appartiennent au Après avoir travaillé à Dakar au planning fami-
journaliste intransigeante. Tous l’on croit. quotidien, Manuel, un jeune garçon, lial et dans diverses structures internationales,
elle se consacre à l’écriture. Après avoir vécu à
ont une blessure, une faille, tous personnage mystérieux et recherché Porto-Novo au Bénin, où elle gérait un centre
DU MÊME AUTEUR
sont réunis, affectivement ou Le baobab fou par la police, tient, dans son petit de promotion d’objets d’art et d’artisanat, elle
professionnellement, au cœur d’un Riwan carnet, une comptabilité macabre. est récemment rentrée au Sénégal.
même « blues » et d’une même ville.
CAMEROUN PATRICE NGANANG (NÉ EN 1970)
Né à Yaoundé, Patrice Nganang vit aux États-
Temps de chien Unis où il enseigne, depuis 2000, la littéra-
ture et la théorie littéraire à l’université de New
Patrice Nganang York. Il est l’auteur de plusieurs essais (Mani-
feste d’une nouvelle littérature africaine) et
2003, Le Serpent à plumes romans : La Promesse des fleurs en 1997,
Temps de chien en 1999 ou Mont Plaisant en
Au milieu des habitués du bar Le 2011.
Client est roi, dans le quartier de
Madagascar où se rassemble une EDEM (NÉ EN 1975)
partie de la misère de Yaoundé, Né à Lomé, Edem Awumey a, au cours de ses
études de lettres au Togo, puis en France pen-
Mboudjak, un étrange client, va être dant cinq ans, travaillé principalement sur le
le chroniqueur des faits et gestes des thème de l’exil, en particulier dans les œuvres
habitants. Philosophe et humaniste du Marocain Tahar Ben Jelloun et du Guinéen
Tierno Monénembo. Depuis 2005, il vit au
et doté d’un solide sens de l’humour, Québec, à la frontière du Canada anglais, où
il connaît bien les lieux. Le il enseigne le français.
propriétaire est aussi son maître car
Mboudjak est… un chien !

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 89
MAIRE Au cœur des villes et des nuits | Le polar et ses marges

SÉNÉGAL Le polar MAROC


FELWINE SARR (NÉ EN 1972)
105 rue Carnot et ses marges Une enquête au pays Né à Niodor, au Sénégal, Felwine Sarr a fait
des études d’économie à Orléans et enseigne
Felwine Sarr Villes tentaculaires propices Driss Chraïbi à l’université de Saint-Louis. Il a publié son pre-
mier roman, Dahij, en 2009. Il est également
2011, Mémoire d’encrier aux coins et recoins mal famés, 1981, Seuil musicien et chanteur.
quartiers et personnages
Les désillusions d’une militante interlopes, petites et grandes Deux inspecteurs viennent de DRISS CHRAÏBI (1926-2007)
humanitaire, les difficultés pour délinquances, rues chaudes, la ville, arrivent dans un village Né à Al Jadida, Driss Chraïbi fait ses études
obtenir un visa, les affres des monde de la nuit : le décor est reculé des montagnes marocaines à Casablanca puis quitte le Maroc en 1945
pour étudier la chimie et la neuro-psychiatrie
étudiants, les relations de voisinage dressé, les personnages sont déjà et se heurtent à un monde rural à Paris. Journaliste, photographe, producteur
de la rue Carnot à Dakar… Autant dans l’ombre, dans les marges. ancré dans ses traditions, son bon de radio, il vit quelque temps au Canada puis
de scènes de vie et de ville, dans Il suffit de les faire sortir, de les sens, ses us et silences. Un choc revient définitivement en France où il ne cesse
de poursuivre une œuvre essentiellement
les six récits réunis dans un recueil confronter et tout naturellement des cultures cocasse autour d’une romanesque (Succession ouverte, La Civilisa-
fortement marqué par les lectures le roman policier surgit – plutôt enquête prétexte à la confrontation tion, ma mère !, La Mère au printemps). Il est
de l’auteur. tardivement, pour l’essentiel à souvent burlesque de deux univers. l’un des premiers auteurs maghrébins à ins-
En la personne du plus jeune crire le monde de l’émigration dans l’espace
la fin des années  – dans romanesque et, plus tard, l’un des premiers à
l’univers littéraire africain. Les des deux policiers, la première s’intéresser au roman policier.
commissaires Ali, Llob, Habib apparition de l’inspecteur Ali que
ou Doré Dynamite apparaissent Driss Chraïbi mandatera, plus tard,
pour résoudre les énigmes, en d’autres lieux plus « exotiques »
souvent mâtinées de politique, encore dans L’Inspecteur Ali à Trinity
de corruption et d’intérêts College (), L’Inspecteur Ali et la
multinationaux. Ils sont tour à CIA () et, enfin, L’Homme qui
tour désinvoltes ou expéditifs, venait du passé ().
nonchalants et néanmoins DU MÊME AUTEUR
perspicaces ; ils sont parfois Les boucs
l’ultime rempart d’une intégrité Le passé simple

rare, les bouffons malins qui


tiennent tête aux puissants.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 90
MAIRE Le polar et ses marges

CAMEROUN RDC ALGÉRIE


SIMON NJAMI (NÉ EN 1962)
Cercueil et C ie
Agence Black Bafoussa Morituri Né à Lausanne de parents camerounais, Simon
Njami suit des études de lettres à Paris et tra-
Simon Njami Achille Ngoye Double blanc vaille comme journaliste, puis comme consul-
tant en arts visuels. En 1991, il participe à la
1985, Lieu Commun 1996, Gallimard L’automne création de Revue noire. Commissaire de plu-
sieurs expositions et manifestations artistiques,
Deux vrais-faux policiers de Harlem Un opposant au régime autocratique des chimères il est responsable, en 2001, 2003 et 2005, de la
disent être les inspirateurs des du maréchal-président est retrouvé Biennale de la photographie de Bamako, puis
romans de Chester Himes qui, mort dans son appartement d’une
Yasmina Khadra de l’exposition « Africa Remix » présentée dans
de nombreux pays. Romancier, il a également
dans son dernier titre, les a fait cité de la banlieue parisienne. Son 1997 et 1998 (Folio) publié, en 1991, une biographie de l’écrivain
disparaître. Ils partent alors en ami journaliste venu lui rendre Dans Morituri, la fille d’un homme américain James Baldwin.
quête du romancier noir américain visite est accusé du meurtre. puissant a été enlevée par un ACHILLE NGOYE (NÉ EN 1944)
pour rétablir « leur » vérité et L’inspecteur Cardoso, Portugais groupuscule financé par une mafia Né à Likasi, en République démocratique du
sauver leur réputation. S’en suit un né en Angola, et son supérieur, politico-affairiste qui traque les Congo (ex-Zaïre), Achille Ngoye a tout d’abord
« imbroglio negro », « à la manière Jacques Mayotte, sont chargés de intellectuels algériens. L’enquête
exercé la profession de journaliste à Kinshasa.
de », avec en tête de générique, l’enquête… Venu à Paris en 1982, il est chroniqueur dans
est confiée au commissaire Llob, le domaine musical. Nouvelliste et romancier,
Cercueil et Fossoyeur, les deux double de l’auteur – qui emprunte il privilégie le genre policier. Il est le premier
DU MÊME AUTEUR
héros emblématiques de l’auteur. Ballet noir à Château-Rouge son identité –, un policier dont écrivain africain à voir ses titres figurer dans
la célèbre collection « Série noire », créée en
la tête est mise à prix et dont les 1945 par Marcel Duhamel.
voisins s’étonnent de le voir toujours
en vie. Il est encore vivant dans YASMINA KHADRA (NÉ EN 1955)
Né en Algérie, Yasmina Khadra fréquente,
Double blanc où il est confronté dès 1964, l’École des Cadets de la Révolu-
à l’assassinat d’un député et au tion, puis en 1975 l’Académie militaire. Il com-
suicide de son collaborateur, ou mence à publier dès 1984, quitte l’armée en
2000 et vient en France. Il choisit le pseudo-
dans L’Automne des chimères, dans
nyme de Yasmina Khadra, les deux prénoms
lequel il est convoqué par ses de sa femme, pour échapper aux représailles,
supérieurs hiérarchiques, accusé avant de révéler sa véritable identité. Auteur
d’écrire des romans policiers et mis de romans policiers et, plus récemment, de
titres situés hors du Maghreb (Les Hirondelles
à la retraite. de Kaboul, Les Sirènes de Bagdad), il est l’un
des écrivains algériens les plus traduits dans le
DU MÊME AUTEUR
monde.
Les hirondelles
de Kaboul
Les sirènes de Bagdad

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 91
MAIRE Le polar et ses marges

RDC ALGÉRIE CAMEROUN


BOLYA (1957-2010)
La polyandre De bonnes nouvelles Trop de soleil tue Né à Kinshasa, Bolya Baenga est venu à Paris
en 1977, afin de suivre des études en sciences
Les cocus posthumes d’Algérie l’amour politiques. Il a publié son premier roman, Can-
nibale, en 1986. Il est l’auteur de plusieurs
Bolya Chawki Amari Mongo Béti essais (L’Afrique en kimono, Afrique le maillon
faible) et romans policiers.
1998 et 2001, Serpent noir 1998, Baleine 1998 (Pocket)
Sous la dérision du titre, douze Zam, mélomane averti qui travaille CHAWKI AMARI (NÉ EN 1964)
Trois cadavres émasculés sont Né à Alger, Chawki Amari a suivi une forma-
retrouvés sur un trottoir dans le nouvelles très noires pour dire au rythme du jazz et mène une vie tion de géologue mais s’est très vite orienté
quartier de la Bastille, à Paris, avec l’Algérie de la fin des années , mouvementée, épicée par l’alcool vers le dessin et la caricature. Il a publié des
une pancarte sur le ventre « Nègre cet « immense hôpital psychiatrique et ses amours tumultueuses avec dessins et des chroniques dans plusieurs jour-
naux algériens (Le Matin, El Watan, La Tribune).
= sida »... (La Polyandre). à ciel ouvert ». Des univers aux sa compagne, est aussi journaliste En 1996, certains de ses dessins lui vaudront
Sur le marché d’Aligre dans le confins du fantastique et de la – « le plus militant, le plus redouté une condamnation et une incarcération. Il vit
e arrondissement de Paris, deux fable dans la banalité d’une vie des gens en place ». En rentrant chez en France depuis 1997. Il est aussi l’auteur d’un
récit de voyage en Algérie, Nationale 1.
jumelles, « deux fillettes noires », quotidienne frappée de folie et de lui, il découvre un cadavre dans son
ont été violées, assassinées et le démesure. appartement, et sa collection de CD MONGO BÉTI (1932-2001)
crâne rasé... (Les Cocus posthumes). lui a été dérobée… Né au Cameroun, Mongo Béti (un pseudo-
nyme, tout comme Eza Boto sous lequel il a
Dans les deux cas, l’enquête est DU MÊME AUTEUR signé son premier roman, Ville cruelle, en 1954)
confiée à l’inspecteur Nègre (!) Le pauvre Christ de Bomba vient en France en 1951 afin de poursuivre des
Deux intrigues « voisines » qui Remember Ruben études de lettres. Il enseigne à Rouen et mène
une vie active d’intellectuel et de militant poli-
mêlent crapulerie et politique
tique. Il est aussi l’auteur d’essais et animateur
internationale, racisme ordinaire de la revue Peuple noirs, peuples africains,
et pratiques traditionnelles, ce qui lui vaut exclusions et censures. À sa
folies macabres et fantasmes retraite, en 1994, il ouvre à Yaoundé la Librai-
rie des peuples noirs et continue d’enrichir une
dérangeants... œuvre romanesque, largement enseignée sur
le Continent.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 92
MAIRE Le polar et ses marges

ALGÉRIE SÉNÉGAL RDC


BOUALEM SANSAL (NÉ EN 1949)
Le serment Ramata Ballet noir Né à Thienet El Had en Algérie, Boualem San-
sal suit des études d’ingénieur à Alger et Paris.
des barbares Abasse Ndione à Château-Rouge Enseignant puis haut-fonctionnaire au minis-
tère de l’Industrie, il se consacre à l’écriture
Boualem Sansal 2000, Gallimard Achille Ngoye après son limogeage pour dissension poli-
tique et publie son premier roman, Le Serment
1999, Gallimard Ramata, la très belle épouse du 2001, Gallimard des barbares, en 1999. Demeurant en Algérie,
De retour dans les faubourgs ministre de la justice, vit, dans le Kalogun est chargé de retrouver il est essentiellement romancier mais égale-
ment l’auteur de deux essais (Poste restante :
d’Alger après une vie de travailleur luxe et les allées du pouvoir, une l’origine – et donc l’auteur – des Alger, lettre de colère et d’espoir à mes com-
émigré en France, Abdallah ne existence confortable et monotone, différents malheurs qui ont frappé patriotes et Petit Éloge de la mémoire : quatre
reconnaît pas le pays qu’il a quitté lorsqu’un soir, elle monte dans un la vie, déjà douloureuse, de Djeli mille et une années de nostalgie).

trente ans plus tôt et dont il évoque taxi, conduit par Ngor, un petit Diawara, travailleur malien exilé ABASSE NDIONE (NÉ EN 1946)
avec nostalgie les souvenirs. Il est bandit tout juste sorti de prison, exerçant dans le bâtiment, muni Né à Bargny au Sénégal, Abasse Ndione a fait
retrouvé assassiné dans la petite de vingt-cinq ans son cadet. Il ne d’un faux passeport et embarqué des études d’infirmier et exercé cette profes-
maison retirée où il s’est installé. l’emmène pas jusqu’à la destination dans une sinistre affaire de sion à partir de 1966. Il est l’auteur de trois
qu’elle avait indiquée. Une autre romans : La Vie en spirale, publié pour la pre-
Larbi, le vieil inspecteur intègre squat et de faux-papiers, qui a mière fois en 1984, puis Ramata, en 2000,
chargé de l’enquête, s’intéresse vie commence pour elle… Autour soudainement disparu à la suite de adapté au cinéma par le Congolais Léandre-
aussi à la mort concomitante, à son de cette intrigue aux ramifications contrôles dérangeants. Une photo Alain Baker et, en 2008, Mbëkë mi.

domicile, d’un riche commerçant multiples, enchâssée dans le récit de le représentant – « un grand maigre ACHILLE NGOYE (NÉ EN 1944)
voisin… Une enquête qui est surtout la découverte du corps d’une vieille sans bonnet, la quarantaine CFA » –, Né à Likasi, en République démocratique du
l’occasion de revisiter l’histoire femme dans une arrière-cour de en compagnie d’une cinquantaine Congo (ex-Zaïre), Achille Ngoye a tout d’abord
algérienne et ses zones d’ombre bistrot, un roman policier au cœur d’Africains, hommes, femmes et exercé la profession de journaliste à Kinshasa.
de la société sénégalaise. Venu à Paris en 1982, il est chroniqueur dans
durant les dernières décennies. enfants, regroupés sur le parvis de le domaine musical. Nouvelliste et romancier,
l’église Saint-Bernard à Paris – sert il privilégie le genre policier. Il est le premier
DU MÊME AUTEUR
de premier indice à une enquête écrivain africain à voir ses titres figurer dans
Harraga la célèbre collection « Série noire », créée en
Rue Darwin pour le moins mouvementée, 1945 par Marcel Duhamel.
ponctuée de sérieuses embûches et
jonchée de cadavres...
DU MÊME AUTEUR
Agence Black Bafoussa

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 93
MAIRE Le polar et ses marges

MALI TOGO GUINÉE


MOUSSA KONATÉ (NÉ EN 1951)
L’empreinte du renard Un reptile par habitant Kalachnikov blues Né à Kita, au Mali, Moussa Konaté fait ses études
à l’École normale supérieure de Bamako, puis
La malédiction Théo Ananissoh Sunjata enseigne au Mali avant de se consacrer à l’écri-
ture et à l’édition. Il fonde à Bamako les Édi-
du lamentin 2007, Gallimard 2009, Vents d’ailleurs tions du Figuier, dont le catalogue comporte
des titres écrits en français, mais aussi en bam-
Moussa Konaté Narcisse, un professeur de lycée qui À N’Zérékoré dans le Sud de la bara et en peul, destinés au public adulte et

2006 et 2009 (Points Seuil)


collectionne les conquêtes et dont Guinée, non loin du Liberia et de aux jeunes lecteurs. Vivant entre Limoges et
Bamako, il est aussi le responsable de la ver-
la frivolité n’a d’égal que celle de la Côte-d’Ivoire, un ancien boxeur
sion malienne du festival littéraire Étonnants
Une série de meurtres ont eu lieu ses éphémères compagnes, est en est devenu le commissaire de Voyageurs. Dramaturge et romancier, il est l’un
au Mali, dans le pays Dogon. Le compagnie de l’une d’elles lorsque police Doré Dynamite. Une sorte de des premiers écrivains africains à s’être inté-
commissaire Habib doit vaincre qu’une de ses anciennes amantes lui Colombo mêlé à un Nestor Burma ressé à l’écriture de romans policiers (L’Assas-
sin du Bankoni, Gorgui).
les croyances, les superstitions demande de venir le rejoindre au qui aurait copiné avec l’inspecteur
et les silences complices afin de plus vite. Chez elle, il découvre le Ali du Marocain Driss Chraïbi, THÉO ANANISSOH (NÉ EN 1962)
débusquer la vérité (L’Empreinte du corps sans vie d’un colonel, beau- ou encore Fossoyeur et Cercueil, Né en Centrafrique, de parents togolais, Théo
renard). frère du président. Sur les conseils les deux acolytes du romancier Ananissoh est venu au Togo à l’âge de 12 ans,
puis en France pour suivre des études de lettres
Au Mali, sur les berges du fleuve du sous-préfet, autre amant de la américain Chester Himes. Il va à La Sorbonne à Paris. Tout d’abord ensei-
Niger, le commissaire Habib doit jeune femme, ils enterrent le corps devoir démêler une intrigue à la gnant à l’université de Cologne en Allemagne,
jouer d’habilité pour faire surgir la et décident de se taire. Aux marges sauce françafrique et affronter il vit désormais à Düsseldorf, où il partage son
vérité sur une mort qui n’est peut- temps entre l’enseignement et l’écriture.
du roman policier, une intrigue qui les convoitises extérieures et les
être pas aussi « surnaturelle » que est l’occasion d’une dénonciation complicités locales qui organisent SUNJATA (NÉ EN 1971)
les habitants du lieu le prétendent… des… dessous du régime, pimentée la spoliation des richesses du pays. Né à Paris, d’un père guinéen et d’une mère
(La Malédiction du lamentin). de quelques envolées érotiques. Une « affaire », de fiction, qui en sénégalo-malienne, Sunjata a grandi en Côte-
d’Ivoire et vit aujourd’hui en France, où il
Un même commissaire, vieux et rappelle quelques autres… exerce ses talents de musicien et de cinéaste.
blasé, pour deux romans policiers Il est l’auteur de trois albums de hip-hop
ancrés dans la singularité des (Rédemption, Liste Noire, Identités) et de plu-
cultures des provinces maliennes. sieurs documentaires (Identités, Colonialisme).
Administrateur d’un lieu de fabrique artistique,
La Chapelle, à Montpellier, il a publié son pre-
mier roman, Kalachnikov blues, en 2009.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 94
MAIRE Le polar et ses marges | De l’absurde et du rire pour échapper aux drames

GABON De l’absurde GUINÉE


JANIS OTSIÉMI (NÉ EN 1976)
La bouche qui mange et du rire pour Le Zéhéros n’est pas Né à Franceville au Gabon, Janis Otsiémi a tra-
vaillé à la Fondation Raponda-Walker puis au
ne parle pas échapper n’importe qui Gouvernorat de l’estuaire et enfin à l’Union
des écrivains gabonais. Il a publié son premier
Janis Otsiemi aux drames Williams Sassine roman, Tous les chemins mènent à l’autre, en
2002 et s’intéresse depuis au roman policier
2010, Éditions Jigal 1985, Présence africaine avec Peau de balle en 2007, La vie est un sale
La farce, l’excès, la démesure, la
boulot en 2009, La bouche qui mange ne parle
Solo et Tito sont deux compères en caricature, le clin d’œil sont les En exil, Camara apprend que le pas en 2010.
coups tordus qui n’imaginent pas soupapes nécessaires à l’évocation PDG (Président Dictateur Général)
vivre autrement qu’avec des vols, des drames qui ne manquent pas de son pays, la Guinée, vient de WILLIAMS SASSINE (1944-1997)
braquages et embrouilles. À la sortie sur le continent. Le rire est là, mourir. Au même moment, son Né en Guinée, d’une mère guinéenne et d’un
père libanais, Williams Sassine fait des études
de prison de Solo, Tito l’embarque salvateur, exutoire libérateur, cousin Laye lui demande de rentrer de mathématiques à Paris. Il revient enseigner
dans une toute autre affaire. Il nez rouge, masque protecteur. au pays afin de recevoir l’héritage à Conakry mais il doit fuir la dictature et vit en
s’agira de voler une voiture – ce qui L’humour, cette « politesse du d’une parente récemment décédée. exil, principalement en Mauritanie. Il revient
en Guinée en 1984 où il collabore à diverses
ne saurait poser problème –, mais à désespoir » (Boris Vian), mais C’est l’occasion d’un retour au pays publications dont la revue satirique, Le Lynx,
des fins d’enlèvements d’enfants – aussi le grotesque, l’absurde natal dont il attend beaucoup, au où il tient « La Rubrique à Sassine ». Il a publié
ce qui n’est plus du même registre, sont des adjuvants corrosifs point d’emmener avec lui son fils son premier roman, Saint Monsieur Baly, en
d’autant qu’il s’agit d’un sordide afin qu’il vive lui aussi cette belle 1973. Ses derniers textes ont fait l’objet d’adap-
et piquants, efficaces dans la tations à la scène (Légende d’une vérité, Les
trafic d’organes sexuels… démonstration ou la dénonciation. aventure… Camara, redécouvrant Indépendan-tristes).
un pays qu’il a peine à reconnaître,
va de déceptions en désillusions.
DU MÊME AUTEUR
Le jeune homme de sable

« J’ai toujours parlé en mon nom


propre. Je ne suis ni dans un file,
ni chef de file, ni maître à penser,
ni élève. »
Williams Sassine, entretien avec Bernard Magnier, 

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 95
MAIRE De l’absurde et du rire pour échapper aux drames

CAMEROUN ALGÉRIE MAROC


BLAISE N’DJEHOYA (NÉ EN 1953)
Le Nègre Potemkine Les vigiles Méfiez-vous Journaliste camerounais, Blaise N’Djéhoya
réside à Paris où il a réalisé plusieurs docu-
Blaise N’Djehoya Tahar Djaout des parachutistes mentaires consacrés à Manu Dibango, Alpha
Blondy, Aimé Césaire, ainsi qu’un film sur l’im-
1985, Lieu Commun 1991, Le Seuil Fouad Laroui migration africaine en France, Sang d’encre. Il
a publié son unique roman, Le Nègre Potem-
Une invitation officielle a été Un professeur bricoleur, parvenu 1999 (J’ai lu) kine, en 1988.
adressée à trois anciens tirailleurs à inventer un métier à tisser, tente De retour au Maroc après ses
sénégalais pour venir défiler de faire homologuer sa trouvaille, TAHAR DJAOUT (1954-1993)
études, l’ingénieur Machin reçoit Tahar Djaout fait des études de mathéma-
sur les Champs-Élysées, à Paris, ce qui lui vaut bien des ennuis et sur la tête un parachutiste ! tiques à Alger, mais s’intéresse très tôt au jour-
le  juillet. Le capitaine Laplanck, entraîne dans la mort un innocent. Incarnation des conformismes et nalisme culturel. Auteur de chroniques pour le
en poste à Ouagadougou, doit les Une « fable sur la condition du des contraintes du Marocain moyen,
quotidien El Moudjahid, il devient responsable
de la rubrique culturelle d’Algérie-Actualité.
accompagner et ainsi profiter de créateur », un plaidoyer pour ces cet encombrant compagnon ne le Après deux années à Paris, il reprend à Alger
ce voyage pour régler un héritage. artisans de l’imaginaire et du rêve, quitte plus, prend place dans son en 1987 des études en science de l’informa-
Pendant ce temps, les membres d’un soumis à la loi de la bêtise et du appartement et s’incruste dans tion, puis créé, en 1992, l’hebdomadaire Rup-
« club de plumitifs » qui a entrepris conformisme et trop souvent pris tures. Poète, il a publié cinq romans, depuis
sa vie de tous les jours jusqu’à en L’Exproprié, en 1975, jusqu’au Dernier Été de la
des recherches sur les anciens au piège d’un effroyable délire modifier le cours. Une parabole raison. Son assassinat en 1993 a fait de lui l’un
combattants africains vont accueillir administrativo-policier. burlesque des poids de la société des premiers écrivains victimes des années de
les vétérans et les emmener à la et du collectif sur l’individu et ses
terrorisme.
DU MÊME AUTEUR
rencontre d’un Paris inattendu… Les chercheurs d’os libres choix. FOUAD LAROUI (NÉ EN 1958)
Né à Oujda, Fouad Laroui a suivi dans un pre-
mier temps des études d’ingénieur à Paris,
puis est revenu au Maroc en 1986, avant de
reprendre des études d’économie à Paris,
Cambridge et New York. Il s’est installé en 1989
à Amsterdam, où il enseigne l’économétrie.
Romancier et nouvelliste, il est l’auteur, pour
le magazine Jeune Afrique, de chroniques,
réunies dans Chroniques des temps dérai-
sonnables 1997-2000, et de poèmes écrits en
néerlandais.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 96
MAIRE De l’absurde et du rire pour échapper aux drames

ALGÉRIE CONGO CÔTE-D’IVOIRE


HAMID SKIF (1951-2011)
Monsieur le président Verre cassé Aya de Yopougon Né à Oran, Hamid Skif a consacré sa vie à
l’animation culturelle, au théâtre et à la poé-
Hamid Skif  Alain Mabanckou Marguerite Abouet sie en particulier, et au journalisme. Menacé,
il a dû quitter l’Algérie en 1995 et se réfugier
2002, Éditions 00h00.com 2005, Seuil 2005-2010, Gallimard en Allemagne où il demeure jusqu’à sa mort
à Hambourg et poursuit une œuvre de poète
Quarante lettres adressées au Le propriétaire du bar « Le Crédit À Yop City, un quartier d’Abidjan, (Poèmes de l’adieu, Les Exilés du matin) et
président de la République par un a voyagé » a demandé à son Aya et ses amies adolescentes ont romancier (Monsieur le président, La Princesse
et le clown en 1999, La Géographie du dan-
instituteur à la retraite réclamant, fidèle client, Verre cassé, d’être le les doutes et les certitudes de leur
ger en 2006).
parmi bien d’autres demandes et greffier en chef des mémoires de âge. Aya, sérieuse, veut devenir
griefs, le paiement de sa pension l’établissement. Avec une conscience médecin, ses amies, elles, cherchent ALAIN MABANCKOU (NÉ EN 1966)
et la reconnaissance de ses talents professionnelle qui n’a d’égale que le bon parti. Elles découvrent les Né à Pointe-Noire, Alain Mabanckou a fait des
études de droit à Brazzaville puis à Paris, où
d’inventeur, mais aussi la prise en sa propension à la boisson, le pilier garçons, se heurtent aux convoitises il exerce la profession de conseiller juridique
compte des intérêts et des attentes de bar va rapidement en devenir des uns, aux maladresses des pour La Lyonnaise des Eaux pendant dix ans.
de ses pairs et de ses enfants. le mémorialiste zélé et talentueux, autres et à l’autorité des parents qui D’abord poète, il publie son premier roman,
contant dans le détail les souvenirs rêvent pour elles du fils du patron. Bleu Blanc Rouge, en 1998. En 2001, il part
pour une résidence d’écriture aux États-Unis. Il
des murs et des ombres du lieu. Les unes veulent aller à Paris. Les enseigne aujourd’hui au département d’études
Une joyeuse galerie de portraits de autres mettent leurs espoirs dans francophones de l’université de Californie-
consommateurs où se succèdent, l’élection de Miss Yopougon. Les Los Angeles. Il a reçu en 2006 le prix Renau-
dot pour son roman Mémoires de porc-épic,
parmi bien d’autres, quelques mères à la maison s’occupent des et est devenu l’un des auteurs-phares de ces
épaves échouées là par les hasards tâches ménagères. Les pères ont des littératures.
de la vie, quelques survivants d’une « deuxièmes bureaux » et la vie n’est
autre époque, quelques clientes pas facile pour le garçon coiffeur MARGUERITE ABOUET (NÉE EN 1971)
Née à Abidjan, Marguerite Abouet est venue à
peu farouches... Tous trouvant là qui doit donner ses rendez-vous à l’âge de 12 ans en France où elle s’installe, dans
un exutoire et un lieu de débats et « l’hôtel aux mille étoiles »… Cet la région parisienne, et exerce la profession
ébats des plus truculents. Un livre album a été suivi par six autres, tous d’assistante juridique. Scénariste, elle a ima-
giné le personnage d’Aya de Yopougon, des-
écrit d’une seule phrase comme une contant avec humour la vie d’un siné par Clément Oubrerie, et ils ont obtenu
longue et bouffonne logorrhée de quartier populaire de la métropole le prix du meilleur premier album au Festival
fin de soirée. ivoirienne, dans l’insouciance de la de la bande dessinée d’Angoulême en 2006.
Depuis, six volumes sont parus en 2010, elle a
fin des années .
DU MÊME AUTEUR imaginé la petite sœur d’Aya, Akissi, nouvelle
Bleu blanc rouge héroïne d’une série destinée aux plus jeunes
Demain j’aurai vingt ans lecteurs.
Mémoires d’un porc-épic

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 97
MAIRE De l’absurde et du rire pour échapper aux drames

MAROC ALGÉRIE RDC


SALIM JAY (NÉ EN 1951)
Embourgeoisement L’allumeur de rêves Mathématiques Né à Paris d’un père marocain et d’une mère
française, ce critique attentif et percutant,
immédiat berbères congolaises habile polémiste, est l’auteur de plusieurs
titres, souvent drôles et en large partie auto-
Salim Jay  Fellag In Koli Jean Bofane biographiques parmi lesquels Portrait du géni-
teur en poète officiel, en 1985, consacré à
2006, La Différence 2007 (J’ai lu) 2008, Actes Sud son père et L’Oiseau vit de sa plume, explici-
tement sous-titré « Essai d’autobiographie ali-
Qu’adviendrait-il à un écrivain Depuis son balcon, un écrivain Celio Mathématik, compulsif mentaire », en 1989, ainsi que d’un pamphlet
pauvre, expulsé de son appartement observe ses voisins et consigne leur maniaco-comptable, traîne son mal- d’une durable pertinence, 101 Maliens nous
parisien et recourant à l’hospitalité propos afin de nourrir son prochain être entre parties de dames avec ses manquent, en 1987.
de ses amis, si un « oncle livre. Sous le jeu de mots du titre copains, calculs et autres plans sur
FELLAG (NÉ EN 1950)
d’Amérique » lui léguait sa fortune ? – qui renvoie à « l’allumeur de une (piètre) comète, lorsqu’il voit Né à Azefoun en Algérie, Fellag a fait des
Pas grand-chose car l’homme est réverbères » –, l’humoriste algérien son avenir soudain bouleversé par études de théâtre à l’Institut d’art dramatique
généreux et adepte du partage. Un fait un tableau tendre et complice des promesses de lendemains qui d’Alger et commencé sa carrière avec un pre-
mier spectacle en 1987. Il quitte l’Algérie en
autoportrait par l’auteur de L’Oiseau d’un petit monde dont les faits et comptent… Ses compétences vont 1995 et poursuit une carrière de comédien
vit de sa plume, qui est aussi un gestes sont rythmés par l’arrivée, lui permettre de pénétrer quelques pour le cinéma (Le Gône du chaâba) et d’hu-
lecteur professionnel boulimique aussi rare qu’imprévisible, de l’eau arcanes du pouvoir en collaborant moriste, auteur et acteur de one-man show
à la plume aiguisée et pertinente dans les canalisations. Il conte ainsi avec la présidence de la République comiques (Djurdjurassique bled, Che bella la
vita, Tous les Algériens sont des mécaniciens).
qui sait pratiquer la tendresse et avec drôlerie la survie au quotidien dans un bureau aux étranges et Il publie son premier roman, Rue des petites
l’autocritique. des habitants d’un quartier d’Alger bien troubles activités. Un voyage daurades, en 2001.
dans les années . dans les hautes sphères intrigantes,
IN KOLI JEAN BOFANE (NÉ EN 1954)
mais aussi et surtout une efficace
DU MÊME AUTEUR Né en République démocratique du Congo, In
Rue des petites daurades dénonciation de la misère et de Koli Jean Bofane a suivi des études de publicité
l’oppression dans laquelle vivent les et communication. Après des allers-retours
habitants de Kinshasa, compatriotes entre l’Europe et la RDC, il rentre à Kinshasa
et, en 1991, fonde les Publications de l’Exocet,
de ce héros à la triste fraction. maison d’édition produisant entre autres des
bandes dessinées satiriques. Il quitte son pays
en 1993 et s’installe en Belgique où il travaille
dans le monde associatif. Il consacre ses pre-
miers écrits au jeune public (Pourquoi le lion
n’est plus le roi des animaux) et publie son pre-
mier roman, Mathématiques congolaises, en
2008.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM 98
MAIRE D’autres horizons littéraires

De l’Afrique ALGÉRIE
KATEB YACINE (1929-1989)
au monde L’homme aux sandales Né à Zighoud Youcef, Kateb Yacine (il est
d’usage que son nom Kateb précède son pré-

de caoutchouc
Longtemps, les écrivains africains nom) fréquente l’école française, découvre
la poésie et publie son premier recueil, Soli-
sont demeurés sur « leur » terrain. loques, en 1946. En 1947, jeune collégien,
Ils étaient Africains et ils écrivaient Kateb Yacine il assiste à Sétif à la manifestation anticolo-
sur l’Afrique, parfois sur l’Europe, nialiste violemment réprimée au cours de
1970, Seuil laquelle il est arrêté et emprisonné. Ce trau-
la France ou Paris, mais comme matisme marque une étape capitale : il part
une terre d’exil où les personnages
Dans la lignée militante de la fin des années 1960, à Paris et s’engage en politique. Il revient
issus du continent se retrouvaient, à Alger en 1949, et travaille à Alger Républi-
volontaires ou non, pour des une pièce de théâtre en hommage au peuple vietnamien cain. De retour en France, il publie une pre-
mière version de Nedjma, qui, à sa parution
aventures malheureuses et souvent et treize tableaux de la vie du héros de la décolonisation et définitive en 1956, devient le livre de référence
« ambiguës », pour reprendre le de la lutte contre l’impérialisme, Hô Chi Minh. Le portrait pour nombre d’écrivains maghrébins. Il alterne
titre du roman de Cheikh Hamidou divers emplois, poursuit son œuvre avec des
d’un homme simple et proche du peuple, aperçu dans ses pièces de théâtre, comme Le Cadavre encer-
Kane. Désormais, l’Afrique et
l’Europe ne sont plus leurs seuls gestes les plus quotidiens, comme le suggère le titre. clé monté par Jean-Marie Serreau, et voyage
en Allemagne de l’Est, en URSS et au Vietnam.
lieux romanesques d’inspiration, DU MÊME AUTEUR Il publie en 1966 Le Polygone étoilé. Plus tard,
il rentre en Algérie et décide d’écrire et de faire
et ils invitent volontiers leurs Nedjma
jouer ses pièces (Mohamed prend ta valise, La
L’Œuvre en fragments
personnages à effectuer des Guerre de deux mille ans), dans un arabe dia-
Soliloques
voyages plus lointains. Ils les lectal fortement teinté de berbère devant des
publics populaires. À la fin des années 1980,
entraînent vers les Amériques,
il est joué au Festival d’Avignon, invité aux
du Nord et du Sud, vers la États-Unis et reçoit le Grand Prix National des
Scandinavie, vers d’autres mondes. Lettres en 1987.
Ils évoquent Gutenberg, Hô Chi
Minh ou John Coltrane, ils mènent
leurs personnages à New York ou
Helsinki, à Mexico ou à Salvador
de Bahia, à Kaboul, à Bagdad
« Aucune langue
ou encore dans un imaginaire
« Saint-Dallas ».
n’est étrangère à condition
de pratiquer d’abord
sa propre langue. »
Kateb Yacine, Nouvelles littéraires, 

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 99
MAIRE De l’Afrique au monde

TUNISIE CONGO MAROC


ABDELWAHAD MEDDEB (NÉ EN 1946)
Talismano Jazz et vin de palme Un été à Stockholm Né à Tunis, Abdewahad Meddeb a fait des
études de lettres et d’histoire de l’art en Tuni-
Abdelwahad Meddeb  Emmanuel Dongala Abdelkebir Khatibi sie, puis à Paris où il réside depuis 1967. Col-
laborateur à de nombreuses revues, il travaille
1979, Sindbad 1982 (Le Serpent à plumes) 1990, Flammarion également dans l’édition, enseigne la littéra-
ture et anime sur France-Culture l’émission
Une balade dans Paris, du métro Un recueil qui permet à l’auteur, Au cours d’un trajet vers la « Cultures d’Islam ». Poète, il est l’auteur de
Strasbourg-Saint-Denis à la rue dans les cinq premières nouvelles, Suède, le narrateur, traducteur nombreux essais sur l’art et sur la culture isla-
mique ; il a publié son premier roman, Talis-
du même nom, de Beaubourg au d’évoquer les mystères de l’Afrique et « voyageur professionnel »,
mano, en 1979.
cimetière du Père-Lachaise. La traditionnelle, de dénoncer rencontre une hôtesse de l’air qui
rencontre d’une jeune femme à la les dérives et les tracasseries va momentanément bouleverser EMMANUEL DONGALA (NÉ EN 1941)
beauté réelle et fantasmée. Une administratives, de se montrer sa vie. Début d’intrigue et prétexte Né en République centrafricaine d’une mère
centrafricaine et d’un père congolais, Emma-
balade dans les grands textes et la critique avec les pouvoirs en place. pour aborder les interrogations nuel Dongala se retrouve très jeune au Congo,
graphie des écritures anciennes, Puis, de porter un regard sur New identitaires d’un intellectuel qui ne où il fait ses premières études. Il part ensuite
dans les citations multiples et York, son métro en particulier, et de cesse de remettre en cause les idées aux États-Unis, puis en France afin de pour-
cosmopolites, dans l’évocation célébrer l’œuvre du saxophoniste reçues et trouve dans l’ailleurs du suivre des études scientifiques. De retour à
Brazzaville, il enseigne la chimie à l’univer-
des chefs-d’œuvre du monde. Une John Coltrane, si apprécié par le Nord les traces d’un autre lui-même. sité. Il crée durant cette période le Théâtre
errance au sein de la haute culture nouvelliste que ce dernier en vient de l’Éclair et commence à publier. Suite à la
et une traversée cosmopolite en à imaginer sa rencontre avec le guerre civile, il est contraint, en 1997, de quit-
ter son pays et trouve refuge aux États-Unis où
la compagnie érudite du poète jazzman américain. Ce recueil de il enseigne la littérature et la chimie, et conti-
tunisien Abdelwahad Meddeb. nouvelles est aujourd’hui l’un des nue d’écrire.
livres plus étudiés sur le continent
africain. ABDELKÉBIR KHATIBI (1938-2009)
Né à El Jadida au Maroc, Abdelkhébir Khatibi
DU MÊME AUTEUR a suivi des études de lettres et de sociologie
Un fusil dans la main, un poème à Casablanca, puis à Paris. Il enseigne ensuite
dans la poche au Maroc puis dirige l’Institut universitaire de
Johnny Chien méchant la recherche scientifique. Il écrit son premier
Photo de groupe au bord du fleuve roman, La Mémoire tatouée, en 1971 et ne
cesse de publier, alternant romans, recueils de
poésie et de nombreux essais.

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 100
MAIRE De l’Afrique au monde

ALGÉRIE GUINÉE TOGO


MOHAMMED DIB (1920-2003)
Neiges de marbre Pelourinho La Polka Né à Tlemcen, Mohammed Dib exerce tout
d’abord en Algérie comme instituteur puis tra-
Mohammed Dib Tierno Monénembo Kossi Efoui vaille aux Chemins de fer où il sert d’interprète
aux forces alliées pendant la Seconde Guerre
1990 (La Différence) 1995, Seuil 1998, Seuil mondiale. Il publie son premier poème en
1947, travaille en tant que journaliste à Alger
Dans un Nord, lointain en Escritore, un écrivain africain en Sur une carte postale ramenée par Républicain puis publie, en 1951, La Grande
apparence, trois personnages : un quête de ses racines, se rend à « L’Homme Papier » apparaît pour la Maison, premier volume de sa trilogie « Algé-
rie ». En 1959, il quitte l’Algérie pour la France
narrateur, une femme absente, Salvador de Bahia, la plus africaine première fois la Polka, une superbe
où il constitue une œuvre abondante et renou-
l’épouse qui fut aimée et qui des villes brésiliennes. Sur le adolescente tropicale, véritable velée, alternant poésie (Feu beau feu), théâtre
aujourd’hui s’est éloignée, et, entre pelourinho (pilori), l’ancienne cliché et personnage énigmatique et surtout nouvelles et romans (Habel, La Nuit
eux deux, leur fille, que le père voit place du marché aux esclaves, il aux identités multiples, issue d’on sauvage, L’Infante maure).

peu à peu lui échapper. Des liens se se retrouve confronté à un univers ne sait où, qui vient s’échouer à TIERNO MONÉNEMBO (NÉ EN 1947)
distendent, la complicité fait place qui lui est tout à la fois proche et Saint-Dallas, une ville tout droit Né en Guinée, Tierno Monénembo quitte son
à la distance jusqu’à ce que chacun étranger, familier et lointain. sortie des feuilletons télévisés. pays dès 1969 pour fuir la dictature. Il rejoint la
devienne étranger aux autres. Plus Dans une boîte de nuit rythmée Côte-d’Ivoire puis la France où il fait des études
DU MÊME AUTEUR de biochimie. Il enseigne en Algérie, au Maroc,
que le couple adulte déchiré, ce L’aîné des orphelins par la fièvre tropicale, une sorte puis en France où il demeure aujourd’hui, et
sont les rapports de la fille et de son Un attiéké pour Elgass de narrateur cultivé et fantasque publie son premier roman, Les Crapauds-
père qui préoccupent le romancier. Les crapauds-brousse observe et côtoie une mosaïque Brousse, en 1979. Essentiellement romancier
Le roi de Kahel (Les Écailles du ciel, Un rêve utile, Pelourinho,
Troisième volet de ce qu’on pourrait de personnages pittoresques et Cinéma), il se consacre désormais à l’écriture.
appeler un cycle « nordique » ou baroques qui vivent en connivence, En 2004, il a publié Peuls, une épopée roma-
même « finlandais », après Les lorsque, tout à coup, surgit dans nesque de son peuple et, en 2008, il a obtenu
le prix Renaudot pour Le Roi de Kahel.
Terrasses d’Orsol et Le Sommeil cette ambiance aux accents
d’Ève. Une trilogie de l’oubli, de surréalistes le mot « événement ». KOSSI EFOUI (NÉ EN 1962)
l’absence et du désenchantement, Et il s’agit bien ici du mot lui- Né à Anfouin au Togo, Kossi Efoui suit des
qui trace une ligne de rencontre même, et non du phénomène, qui études de philosophie mais doit quitter son
pays pour échapper à la répression de la dicta-
entre un Nord et un Sud à peine fait irruption et trouble l’absolu ture. Il vient en France où il demeure toujours.
nommés, et traduit l’éloignement, désordre qui régnait déjà en maître Tout d’abord homme de théâtre, il a écrit une
tout en gommant toute étrangeté dans ces lieux... vingtaine de pièces depuis Le Carrefour, en
1989. Il a publié son premier roman, La Polka,
facile et tout exotisme de pacotille.
DU MÊME AUTEUR en 1998, et depuis, alterne publications drama-
DU MÊME AUTEUR Solo pour un revenant turgiques et romanesques.
La grande maison
L’incendie
Si Diable veut

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 101
MAIRE De l’Afrique au monde

ALGÉRIE TOGO SÉNÉGAL


YASMINA KHADRA (NÉ EN 1955)
Les hirondelles Le paradis des chiots Bridge Road Né en Algérie, Yasmina Khadra fréquente,
dès 1964, l’École des Cadets de la Révolu-
de Kaboul Sami Tchak Mamadou Mahmoud tion, puis en 1975 l’Académie militaire. Il com-
mence à publier dès 1984, quitte l’armée en
Yasmina Khadra 2006, Mercure de France N’Dongo 2000 et vient en France. Il choisit le pseudo-
nyme de Yasmina Khadra, les deux prénoms
2002 (Pocket) 2006, Le Serpent à plumes
Filles de Mexico de sa femme, pour échapper aux représailles,
avant de révéler sa véritable identité. Auteur
Largement inspiré par les tech-
Les sirènes de Bagdad 2008, Mercure de France
niques du cinéma, un roman
de romans policiers et, plus récemment, de
titres situés hors du Maghreb (Les Hirondelles
2006 (Pocket) Deux romans ancrés par un qui mêle, au cœur d’une enquête de Kaboul, Les Sirènes de Bagdad), il est l’un
romancier togolais dans un espace dans l’Amérique de la ségrégation, des écrivains algériens les plus traduits dans le
Deux romans inscrits hors de géographique latino-américain. monde.
l’Algérie de l’auteur, dans une un suicide à Paris, un lynchage
Dans Le Paradis des chiots, de raciste et la disparition d’un photo- SAMI TCHAK (NÉ EN 1960)
géographie de la plus immédiate pauvres adolescents tentent de
actualité. graphe afro-américain… Né au Togo, Sami Tchak a enseigné la philoso-
survivre dans les bas-fonds d’une phie dans son pays. Venu en France en 1986, il
Dans Les Hirondelles de Kaboul, la mégapole latino-américaine a suivi des études de sociologie qui l’ont mené
tragédie de deux couples dans le baptisée par provocation « El « Le français a été la première à Cuba, puis au Mexique et en Colombie –
autant de lieux très présents dans son œuvre
Kaboul du début des années , Paraiso ». Il y a là Laura la fragile, langue écrite que j’ai apprise littéraire. Si son premier roman, Place des
emportés dans l’effroyable terreur Rikki le gros dur, Juanito « un vrai Fêtes, se passe à Paris, les trois autres ont pour
du régime instauré par les Talibans. mais ma langue maternelle cadre une Amérique latine imprécise, parfois
meneur », et puis, Ernesto l’enfant un peu africaine, dans laquelle errent quelques
Dans Les Sirènes de Bagdad, la éperdu, Linda, sa mère, « putain- est restée en moi la plus exclus du monde. Son dernier roman, Al
détermination, dans un village née, folle pute, divine trimardeuse », profonde, celle dans laquelle Capone le Malien, renoue avec le continent
des montagnes d’Irak, d’un jeune El Che... Autant de « gosses sans
africain et une intrigue qui mêle culture, mafia
bédouin rattrapé par la furie de la j’ai appris le monde avant de et politique.
horizon, ni père ni mère, ni hier ni
guerre qui, pour venger l’offense demain »... Dans Filles de Mexico, l’interpréter en français. » MAMADOU MAHMOUD N’DONGO (NÉ EN 1970)
faite à son père, s’engage dans le les séductions et les répulsions Sami Tchak, entretien (France ) Né à Pikine au Sénégal, Mamadou N’Dongo,
combat et part pour Bagdad puis suscitées par Djibril, un écrivain
qui réside à Paris, est un artiste polyvalent,
tour à tour écrivain, photographe et cinéaste.
Beyrouth. africain, auprès des personnes – et Il a publié, en 1997, un premier recueil ico-
DU MÊME AUTEUR surtout des femmes – rencontrées à noclaste, L’Histoire du fauteuil qui s’amoura-
cha d’une âme, puis, en 1999, un second titre
L’automne des chimères Mexico. Un étrange jeu de regards reconstituant les fragments d’une mémoire
Double blanc
et de dissimulations dans lequel les éclatée d’un ancien combattant, L’Errance de
Morituri
hiérarchies sociales et les fantasmes Sidiki Ba, et en 2006, Bridge Road.
sexuels s’immiscent avec force et
violence.
DU MÊME AUTEUR
Place des Fêtes

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
7

chapitre
SOM D’autres horizons littéraires 102
MAIRE De l’Afrique au monde

TUNISIE MAROC DJIBOUTI


TAHAR BEKRI (NÉ EN 1951)
Si la musique doit Les vertus immorales Aux États-Unis Né à Gabès en Tunisie, Tahar Bekri vit depuis
1976 à Paris, où il enseigne la littérature à l’uni-
mourir Kebir M. Ammi d’Afrique versité de Paris-X. Il est l’auteur de plusieurs
essais et de nombreux articles sur les littéra-
Tahar Bekri 2009, Gallimard Abdourahman A. Waberi tures du Maghreb et d’une œuvre poétique
abondante, depuis Le Laboureur du soleil, son
2006, Al Manar Éditions Né à Salé, au Maroc, au début du 2006 (Babel) premier recueil publié en 1983.
Un recueil de poèmes en lutte e siècle, Moumen est orphelin Et si l’Afrique devenait le
et trouve réconfort auprès d’un ABDOURAHMAN A. WABERI (NÉ EN 1965)
contre les censures imposées, en continent nanti ? Dès lors, les Né à Djibouti (alors Côte française des Somalis,
Iran et en Libye, à la musique et ses vieux maître qui lui apprend que autoroutes sillonneraient les dernière colonie française à obtenir son indé-
instruments. Un recueil qui évoque le salut est dans le savoir et la sables, les multinationales seraient pendance en 1977), Abdourahman Ali Waberi
aussi Mozart et l’Afghanistan, connaissance. Il entreprend alors un ghanéennes, les grandes banques
quitte son pays en 1985 afin de poursuivre ses
études en France. Après des études de lettres
Pouchkine et Neruda. Une fabuleux voyage initiatique qui le seraient maliennes et les cours anglophones sur l’œuvre du Somalien Nurud-
internationale géopoétique chère conduit de son Maroc natal jusqu’à mondiaux y seraient fixés, les din Farah, il enseigne l’anglais en Normandie
à Tahar Bekri, dont le thème du l’Amérique, tout juste « découverte » émigrés seraient suisses et les avant de se consacrer à l’écriture et de rési-
par Christophe Colomb, et l’Europe der à Berlin, puis aux États-Unis (Boston) et en
voyage ne cesse de hanter les vers. prostituées… vaticanes ! Et autres France. Son œuvre est constituée de recueils
des premiers temps de l’imprimerie. bouleversements du monde de poèmes, de nouvelles et de romans (Bal-
Il fait des rencontres extraordinaires imaginés avec humour. bala, Transit, Passage des larmes).
et improbables, connaît ses
KEBIR M. AMMI (NÉ EN 1952)
premières amours, déjoue les pièges DU MÊME AUTEUR
Balbala Né à Taza d’un père algérien et d’une mère
et les drames. Il croise Rébecca la Cahier nomade marocaine, Kebir Mustapha Ammi a quitté le
juive, trois Castillans portés par Le pays sans ombre Maroc en 1970 et vécu successivement en
un idéal pécuniaire, religieux ou France, en Angleterre et aux États-Unis, avant
de revenir dans la région parisienne, où il
philosophique, une Indienne, un enseigne l’anglais. Son œuvre mêle des essais
Danois, un Macédonien à l’identité consacrés à de hauts personnages de l’his-
ambigüe, un descendant d’un toire du Maghreb (Saint Augustin, Apulée, Abd
el-Kader) et des romans ancrés dans la réalité
compagnon de Gutenberg, des souvent douloureuse du quotidien (Feuille de
voyageurs, des aventuriers et des verre) ou emportant le lecteur vers de nou-
vagabonds de toutes origines et de veaux espaces et d’autres temps (Les Vertus
immorales).
toutes obédiences. Il découvre les
civilisations, les religions, le monde
et les hommes...
DU MÊME AUTEUR
Mardochée

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
103

D’œuvre en œuvre
PARCOURS ALPHABÉTIQUE
105 rue Carnot, S (Felwine), Archéologie du chaos (amoureux), Bintou, K (Koffi), Côte- Cette fille-là, B (Maïssa), Algérie Contes d’Amadou Koumba (Les),
Sénégal B (Mustapha), Algérie d’Ivoire Chaîne, B (Saïdou), Guinée D (Birago), Sénégal
53 cm, B, Armée du salut (L’), T Bleu blanc rouge, M Chants berbères de Kabylie, Crapauds-brousse (Les),
Gabon (Abdellah), Maroc (Alain), Congo A (Jean), Algérie M (Tierno), Guinée
À triche-cœur, T Au bout du silence, O Blues pour Élise, M Charly en guerre, C-Z De bonnes nouvelles d’Algérie,
U T’, Congo (Laurent), Gabon (Léonora), Cameroun (Florent), Bénin A (Chawki), Algérie
Agadir, K-E Automne des chimères (L’), Bouche qui mange ne parle pas Chercheur d’Afriques (Le), L Demain j’aurai vingt ans,
(Mohamed), Maroc K (Yasmina), Algérie (La), O (Janis), Gabon M (Alain), Congo
(Henri), Congo
Agar, M (Albert), Tunisie Aux États-Unis d’Afrique, W Boucher de Kouta (Le), D Départ (Le), N, Tchad
Chercheurs d’os (Les), D
(Abdourahman A.), Djibouti (Massa Makan), Mali
Agence Black Bafoussa, (Tahar), Algérie Devoir de violence (Le),
N (Achille), République Aventure ambiguë (L’), K Boucs (Les), C (Driss), O (Yambo), Mali
Chien d’Ulysse (Le), B
démocratique du Congo (Cheikh Hamidou), Sénégal Maroc (Salim), Algérie Des rêves et des assassins,
Aïlen ou la nuit du récit, Aya de Yopougon, A Bouts de bois de Dieu (Les), M (Malika), Algérie
Chocolat chaud, R O., Maroc
E M (Edmond), Maroc (Marguerite), Côte-d’Ivoire S (Ousmane), Sénégal
Climbié, D (Bernard), Côte- Diable dévot (Le), F (Libar
Aîné des orphelins (L’), Babyface, K (Koffi), Côte- Bridge Road, N’D (Mamadou M.), Guinée
d’Ivoire
M (Tierno), Guinée d’Ivoire Mahmoud), Sénégal
Cocus posthumes (Les), B, Docker noir (Le), S
Allah n’est pas obligé, K Bal de Ndinga (Le), T U Cahier nomade, W (Ousmane), Sénégal
République démocratique du
(Ahmadou), Côte-d’Ivoire T’, Congo (Abdourahman A.), Djibouti Congo Double blanc, K (Yasmina),
Allumeur de rêves berbères (L’), Balbala, W (Abdourahman Cancrelats (Les), T Algérie
Cœur des enfants-léopards (Le),
A.), Djibouti
F, Algérie U T’, Congo N’S (Wilfried), Congo Embourgeoisement immédiat,
Ballet noir à Château-Rouge,
Alouettes naïves (Les), D Carte d’identité (La), A Coiffeur de Kouta (Le), D J (Salim), Maroc
N (Achille), République
(Assia), Algérie (Jean-Marie), Côte-d’Ivoire (Massa Makan), Mali Empreinte du renard (L’), K
démocratique du Congo
Amkoullel l’enfant peul, H Celles qui attendent, D Cola cola jazz, A (Kangni), (Moussa), Mali
Bamako climax, T
B (Amadou), Mali (Fatou), Sénégal Togo En attendant le vote des bêtes
(Élisabeth), Cameroun
Anté-peuple (L’), S L Cercle des Tropiques (Le), Colline oubliée (La), M sauvages, K (Ahmadou),
Baobab fou (Le), K B,
T,Congo F (Alioum), Guinée (Mouloud), Algérie Côte-d’Ivoire
Sénégal
Antoine m’a vendu son destin, Belle histoire de Leuk-le-Lièvre Cercueil et Cie, N (Simon), Compagnie des Tripolitaines Enfant de sable (L’), B J
S L T, Congo (La), S (Abdoulaye) et Cameroun (La), B H (Kamal), Libye (Tahar), Maroc
Appel des arènes (L’), S F S (Léopold Sédar), Cérémonie, C-K Conseil de discipline (Le), Enfant noir (L’), C (Laye),
(Aminata), Sénégal Sénégal (Yasmine), Maroc B (Slimane), Algérie Guinée

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
104

Enfants des rues étroites (Les), Fleuve détourné (Le), M Jour de silence à Tanger, B Méfiez-vous des parachutistes, Nous, enfants de la tradition,
S (Abdelhak), Maroc (Rachid), Algérie J (Tahar), Maroc L (Fouad), Maroc E (Gaston-Paul), Cameroun
Entendez-vous dans les Fond de la jarre (Le), L Kahéna (La), B (Salim), Mémoires d’un porc-épic, Nuit est tombée
montagnes, B (Maïssa), Algérie (Abdellatif), Maroc Algérie M (Alain), Congo sur Dakar (La), Z
Entre-deux Je, B French Dream, H Kaïdara, H B (Amadou), Mémoires en archipel, B (Aminata), Sénégal
(Souad), Algérie (Mohammed), Maroc Mali (Rabah), Algérie Nuit sacrée (La), B J
Entre les eaux, M (V. Y.), Gare du Nord, D Kalachnikov blues, S, Mendiants et orgueilleux, (Tahar), Maroc
République démocratique du (Abdelkader), Algérie Guinée C (Albert), Égypte Océan noir (L’), W (William
Congo Graines de la douleur (Les), Kaveena, D (Boubacar Boris), Miroir d’un fou, Z (Hacène), Adjété), Togo/Bénin
Envers des autres (L’), A B (Rabah), Algérie Sénégal Algérie Œil du jour (L’), B (Hélé),
(Kaouther), Algérie Grande maison (La), D Lieutenant de Kouta (Le), Monnè, outrages et défis, K Tunisie
Esclave (L’), C (Félix), (Mohammed), Algérie D (Massa Makan), Mali (Ahmadou), Côte-d’Ivoire Œuvre poétique, S
Bénin Grève des bàttu (Là), S F Loin de mon père, T Monsieur le président, S (Léopold Sédar), Sénégal
Et le ciel a oublié de pleuvoir, (Aminata), Sénégal (Véronique), Côte-d’Ivoire (Hamid), Algérie Œuvre poétique I et II, L
O B (Mbarek), Harraga, S (Boualem), Loin de mon village c’est la Montagne du lion (La), T (Abdellatif), Maroc
Mauritanie Algérie brousse, T (Sayouba), (Mustapha), Tunisie Ogresse (L’), K (Nacer),
Étoiles de Sidi Mounen (Les), Hirondelles de Kaboul (Les), Burkina Faso Morceaux de choix, N Tunisie
B (Mahi), Maroc K (Yasmina), Algérie Lune dans un seau tout rouge (Mohamed), Maroc Ombre d’Imana (L’), T
Étrange destin de Wangrin (L’), Homme aux sandales de (La), B (Francis), Cameroun Morituri, K (Yasmina), (Véronique), Côte-d’Ivoire
H B (Amadou), Mali caoutchouc (L’), K (Yacine), Maïmouna, S (Abdoulaye), Algérie Opium et le bâton (L’), M
Fatima ou les Algériennes au Algérie Sénégal Mosso, N (Noël Nétonon), (Mouloud), Algérie
square, S (Leïla), Algérie Homme dit fou (L’), C-Z Maintenant ils peuvent venir, Tchad Oranges (Les), C (Aziz),
Femmes d’Alger dans leur (Florent), Bénin M (Areski), Algérie Moze, R (Zahia), Algérie Algérie
appartement, D (Assia), Incendie (L’), D (Mohammed), Malédiction du lamentin (La), Murambi, le livre des ossements, Oui mon commandant !,
Algérie Algérie K (Moussa), Mali D (Boubacar Boris), Sénégal H B (Amadou), Mali
Feu de brousse, T U Intérieur de la nuit (L’), M Mandat (Le), S Nedjma, Y (Kateb), Algérie Pagne noir (Le), D (Bernard),
T’, Congo (Léonora), Cameroun (Ousmane), Sénégal Côte-d’Ivoire
Nègre Potemkine (Le), N’D
Fille de la Casbah (La), Inyenzi ou les cafards, M Mardochée, A (Kebir M.), Maroc (Blaise), Cameroun Paradis des chiots (Le), T
M (Leïla), Algérie (Scholastique), Rwanda (Sami), Togo
Marrakech, lumière d’exil, Neiges de marbre, D
Filles de Mexico, T (Sami), Jambes d’Alice (Les), N, B (Rajae), Maroc (Mohammed), Algérie Passé devant soi (Le), G
Togo Tchad Mathématiques congolaises, (Gilbert), Rwanda
Ngando, L-T
Fils d’Agatha Moudio (Le), B Jazz et vin de palme, D B (In Koli Jean), République (Paul), République démocratique Passé simple (Le), C
(Francis), Cameroun (Emmanuel), Congo démocratique du Congo du Congo (Driss), Maroc
Fils du pauvre (Le), F Jeune homme de sable (Le), Matins de couvre-feu, B Nos silences, K (Wahiba), Pauvre Christ de Bomba (Le),
(Mouloud), Algérie S (Williams), Guinée (Tanella), Côte-d’Ivoire Algérie B (Mongo), Cameroun
Fleur de Stéphanie (La), Johnny Chien méchant, D Mauvais sang (Le), T Notre pain de chaque nuit, Pays sans ombre (Le), W
M (Esther), Rwanda (Emmanuel), Congo U T’, Congo C-Z (Florent), Bénin (Abdourahman A.), Djibouti

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
105

Pelourinho, M Reine Pokou, T (Véronique), Socle des vertiges (Le), Tout ce bleu, E (Gaston-Paul), Vie et demie (La), S L
(Tierno), Guinée Côte-d’Ivoire N (Dieudonné), Togo T, Congo
Petit Prince de Belleville (Le), Remember Ruben, M B, Congo Transmission (La), E Vie et mœurs d’un primitif en
B (Calixthe), Cameroun Cameroun Soleil des obscurs (Le), S (Eugène), Cameroun Essonne, N N
Phalènes des collines (Les), L Répudiation (La), B (Abdelhak), Maroc Tribaliques, L (Henri), Congo (Pius), République démocratique
(Koulsy), Tchad (Rachid), Algérie Soleils des indépendances (Les), du Congo
Trop de soleil tue l’amour,
K (Ahmadou), Côte- M B, Cameroun Vieux lézard, D (Ousmane),
Photo de groupe au bord du Riwan, K B, Sénégal
d’Ivoire Mali
fleuve, D (Emmanuel), Roi de Kahel (Le), M Tunis blues, B (Ali), Tunisie
Congo Soliloques, K (Yacine), Vieux nègre et la médaille (Le),
(Tierno), Guinée Un attiéké pour Elgass,
Algérie O (Ferdinand), Cameroun
Place des Fêtes, T (Sami), Rue Darwin, S (Boualem), M (Tierno), Guinée
Togo Solo pour un revenant, E Vigiles (Les), D (Tahar),
Algérie Un bus dans la ville, B
(Kossi), Togo Algérie
Pleurer-rire (Le), L (Henri), Rue des petites daurades, F, (Yahia), Algérie
Congo Sommeil de l’esclave (Le), Xala, S (Ousmane),
Algérie Un été à Stockholm, K
B (Mahi), Maroc Sénégal
Polka (La), E (Kossi),Togo Rue Félix Faure, K B, (Abdelkebir), Maroc
Soundjata ou l’épopée mandingue, Yeux baissés (Les), B J
Polyandre (La), B, Sénégal N (Djibril Tamsir), Guinée Un été de cendres, D
République démocratique du (Abdelkader), Algérie (Tahar), Maroc
Sarcelles-Dakar, S (Insa), Sous l’orage, B (Seydou),
Congo Sénégal Zéhéros n’est pas n’importe qui
Mali Un fusil dans la main, un
Port-Mélo, E, Togo poème dans la poche, D (Le), S (Williams), Guinée
Sarraounia, M Spleen de Casablanca (Le), L
Préférence nationale (La), D (Abdoulaye), Niger (Emmanuel), Congo Zeïda de nulle part, H
(Abdellatif), Maroc
(Fatou), Sénégal Un Nègre à Paris, D (Leïla), Maroc
Seine était rouge (La), S SurVivantes : Rwanda, histoire
Princesses, G (Fatima), (Leïla), Algérie (Bernard), Côte-d’Ivoire
d’un génocide, M
Algérie Serment des barbares (Le), (Esther), Rwanda Un reptile par habitant,
Puisque mon cœur est mort, B S (Boualem), Algérie A (Théo), Togo
Talismano, M
(Maïssa), Algérie Seuil, Le Sable, Poésies (Abdelwahad), Tunisie Une enquête au pays, C
Quai aux fleurs complètes (Le), J (Edmond), (Driss), Maroc
Tels des astres éteints, M
ne répond plus (Le), H Égypte (Léonora), Cameroun Une peine à vivre, M
(Malek), Algérie Si Diable veut, D (Mohammed), (Rachid), Algérie
Temps de chien, N
Ramata, N (Abasse), Algérie (Patrice), Cameroun Une si longue lettre, B
Sénégal Si la musique doit mourir, B (Mariama), Sénégal
Temps de Tamango (Le), D
Rapt (Le), B (Anouar), (Tahar), Tunisie (Boubacar Boris), Sénégal Une vie de boy, O
Maroc / Algérie Si tu cherches la pluie, elle vient (Ferdinand), Cameroun
Timimoun, B (Rachid),
Ravisseur, M (Leïla), d’en haut, B (Yahia), Algérie Ventre de l’Atlantique (Le), D
Algérie Algérie Toiles d’araignées, L (Ibrahima), (Fatou), Sénégal
Rebelle, K (Fatou), Côte- Silence des esprits (Le), N’S Mali Verre cassé, M (Alain)
d’Ivoire (Wilfried), Congo Topographie idéale pour Congo
Regard blessé, B (Rabah), Silence des rives (Le), S une agression caractérisée, Vertus immorales (Les), A
Algérie (Leïla), Algérie B (Rachid), Algérie (Kebir M.), Maroc

Bernard Magnier, Panorama des littératures francophones d’Afrique,


Institut français, octobre 2012
www.institutfrancais.com
8-14 rue du Capitaine Scott – 75015 Paris
T +33 (0)1 53 69 83 00 / F +33 (0)1 53 69 33 00

L’Institut français est l’opérateur du ministère des Affaires étrangères


pour l’action culturelle extérieure de la France.

Vous aimerez peut-être aussi