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Réponses à la violence quotidienne dans une société démocratique

Figures de l’interculturel
dans l’éducation

Council of Europe Publishing


Editions du Conseil de l’Europe
Figures de l’interculturel
dans l’éducation

Jean-Michel Leclercq

Projet intégré «Réponses à la violence quotidienne


dans une société démocratique»

Editions du Conseil de l’Europe


Edition anglaise :
Facets of interculturality in education
ISBN 92-871-5088-5

Les vues exprimées dans la présente publication sont celles de l’auteur ; elles ne
reflètent pas nécessairement celles du Conseil de l’Europe.

Tous droits réservés. Aucun extrait de cette publication ne peut être reproduit,
enregistré ou transmis, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit –
électronique (CD-Rom, Internet, etc.), mécanique, photocopie, enregistrement ou de
toute autre manière – sans l’autorisation préalable écrite de la Division des éditions,
Direction de la communication et de la recherche.

Conception : Atelier de création graphique du Conseil de l’Europe

Editions du Conseil de l’Europe


F-67075 Strasbourg Cedex

ISBN 92-871-5013-3
© Conseil de l’Europe, décembre 2002
Imprimé dans les ateliers du Conseil de l’Europe
PROJET INTÉGRÉ «RÉPONSES À LA VIOLENCE QUOTIDIENNE
DANS UNE SOCIÉTÉ DÉMOCRATIQUE»

Tous les Européens se sentent concernés par la violence et ses répercussions.


La sécurité individuelle est quotidiennement menacée en de nombreux lieux
et circonstances : à la maison, à l’école, au travail, lors de manifestations
sportives et dans la rue. Alors que la violence et la peur de la violence
affectent la qualité de la vie de toute la population, certains groupes de
personnes peuvent être perçus comme des cibles particulières, comme les
femmes, les enfants et les personnes âgées, ainsi que les migrants, les réfugiés
et les groupes ethniques.
Le projet intégré «Réponses à la violence quotidienne dans une société démo-
cratique» a été mis sur pied par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
pour répondre aux inquiétudes largement partagées qu’engendre la violence,
en mobilisant les ressources de l’Organisation en la matière sur une période
de trois ans (2002-2004). Le projet entend aider les décideurs et autres acteurs
à mettre en œuvre des politiques cohérentes de sensibilisation, de prévention
et de répression adéquate pour lutter contre la violence au quotidien. Ces
politiques doivent être formulées et appliquées de manière à respecter les
droits de l’homme et l’Etat de droit, seule condition pour que règne un sentiment
de sécurité en Europe.
Figures de l’interculturel dans l’éducation est le deuxième titre d’une série
proposant des recommandations ou des instruments pour la mise en œuvre
d’activités ou de projets du Conseil de l’Europe sur le thème de la prévention
de la violence. Cette série inclut également des documents de réflexion ou/et
de synthèse sur les différents thèmes couverts par le projet intégré.

3
SOMMAIRE
Page

Avant-propos ......................................................................................... 7
Introduction .......................................................................................... 9
I. L’interculturel comme confrontation à la différence dans la lutte
contre les discriminations ............................................................. 13
L’intégration socioculturelle des migrants par l’école dans le respect
de leurs spécificités .......................................................................... 13
La prise en compte de la diversité de tous les élèves par les systèmes
éducatifs ........................................................................................... 19
Des «anciennes» aux «nouvelles» minorités .................................. 21
II. L’interculturel comme communication dans un contexte de
pluralisme des langues et des médias ........................................... 25
Diversité des langues, diversité des cultures ................................... 27
Le dépassement de la diversité grâce à la communication .............. 29
Identité et multiculturalité ............................................................... 32
Du pluralisme linguistique au pluralisme des médias ..................... 34
III. L’interculturel comme réflexion critique sur l’histoire dans
l’Europe d’aujourd’hui ................................................................. 39
Enseignement de l’histoire et lutte contre les stéréotypes et les
préjugés ............................................................................................ 40
Les dangers du repli nationaliste ..................................................... 42
La réconciliation dans l’interculturel ............................................... 45
IV. L’interculturel comme participation aux valeurs de la citoyenneté 49
La dimension européenne et l’éducation pour l’Europe .................. 50
L’interculturel, chemin de la citoyenneté ........................................ 52
Citoyenneté, pluralisme et interculturalité ...................................... 55
V. L’interculturel comme pratiques pédagogiques innovantes ...... 59
Les incidences de l’interculturel sur les contenus de l’enseignement 59
Interculturel et compétences ............................................................ 63
Le pensé et le vécu de l’interculturel dans la formation continue des
enseignants ...................................................................................... 65

5
Figures de l’interculturel dans l’éducation

Conclusions ........................................................................................... 69
L’unité de l’interculturel dans la diversité de ses figures ................. 69
L’interculturel comme stratégie et pratiques d’une même politique 70
Les fondements de l’interculturel .................................................... 70
L’interculturel à l’échelle européenne ............................................. 73
La conjugaison de la proximité et de la distance ............................. 75
Les perspectives pour la résolution des conflits .............................. 76
Bibliographie ......................................................................................... 79

6
AVANT-PROPOS

Les événements récents, qu’il s’agisse de l’ébranlement profond de la


communauté internationale après le 11 septembre 2001 ou d’autres événe-
ments plus limités dans leur ampleur, ont encore accentué l’importance de
la prise en compte de la diversité culturelle de l’Europe dans toutes les
dimensions de la vie sociale et politique.
La promotion du dialogue interculturel est l’une des priorités du Conseil de
l’Europe.
La reconnaissance et l’affirmation de la diversité culturelle, non seulement
des citoyens européens mais de tous ceux qui sont amenés à vivre sur le sol de
notre continent, sont l’un des messages essentiels de l’Organisation depuis
son origine.
L’éducation est une composante essentielle de toute politique à long terme de
renforcement et d’amélioration des relations entre religions, cultures, commu-
nautés ou visions du monde ; c’est surtout un moyen efficace de prévenir des
conflits.
Les travaux du Conseil de l’Europe dans ce domaine ont porté notamment sur
l’enseignement de l’histoire, les politiques linguistiques et l’éducation à la
citoyenneté démocratique. Ils ont visé à développer dans chacun de ces
secteurs le pluralisme des approches, le respect de la diversité ainsi que
l’autonomie de jugement et la prise en compte de la diversité des cultures, des
communautés et des régions dans la vie quotidienne des écoles.
Sur la base des recommandations adoptées dans ces trois secteurs par le
Comité des Ministres, de propositions concrètes et d’exemples de bonnes
pratiques mis en évidence dans les travaux de l’Organisation, des mesures ont
d’ores et déjà été prises dans la plupart des Etats membres, en particulier dans
le cadre de l’élaboration de nouveaux manuels d’histoire, de la formation des
enseignants, de l’adoption de politiques linguistiques tenant compte du droit
à la différence, ainsi que dans la formation à la citoyenneté démocratique,
dont la dimension interculturelle est une composante essentielle dans
l’Europe d’aujourd’hui.
L’acquis de ces travaux fait l’objet du présent ouvrage qui en fait la synthèse
mais pose également des questions et propose des orientations dans ce
domaine.

7
Figures de l’interculturel dans l’éducation

Dans ce contexte, il s’agit d’une contribution majeure au projet intégré


«Réponses à la violence quotidienne dans une société démocratique», dont
l’un des objectifs centraux est de définir des moyens pratiques de développe-
ment de relations harmonieuses au sein de toutes les diversités qui caracté-
risent l’Europe, unie par ailleurs par des valeurs fondamentales partagées
dont le Conseil de l’Europe est plus que jamais le dépositaire et le défenseur.

Walter Schwimmer
Secrétaire Général
du Conseil de l’Europe

8
INTRODUCTION

L’interculturel peut se définir comme l’ensemble des processus destinés à


établir des relations entre des cultures différentes. L’objectif est que les
groupes et les individus qui se réclament de celles-ci dans une même société
ou dans un ensemble géopolitique puissent nouer des liens fondés sur l’équité
et le respect mutuel. Il est naturel que cette préoccupation se manifeste avec
une force particulière dans l’éducation où, sauf à de très rares exceptions, la
compréhension entre des points de vue différents et leur rapprochement ont
toujours été des finalités proclamées. Il est encore plus naturel qu’au Conseil
de l’Europe, avec l’importance accordée à la défense de la démocratie et des
droits de l’homme, ce souci de l’interculturalité marque en profondeur toutes
les initiatives en matière d’éducation.
Ainsi, lorsqu’on examine la place faite à l’interculturel dans les travaux du
Conseil de l’Europe sur l’éducation, c’est une métaphore musicale qui vient
aussitôt à l’esprit. Celle d’un thème et de ses variations qui se développent à
travers toute une partition, dont la cohérence apparaît plus propice à la saisie
de nuances que de contrastes appuyés. Ce thème de l’interculturel est en effet
présent dès les réflexions initiales du Conseil sur les problèmes d’éducation et
on le retrouve aujourd’hui dans les démarches les plus récentes se reliant à ce
domaine. Par ailleurs, dans les déclarations officielles, comme dans les
rapports ou autres documents auxquels donnent lieu les activités en matière
d’éducation, ce thème est omniprésent tout en paraissant mal dissociable en
approches très distinctes les unes des autres. La nécessité d’adopter une
perspective interculturelle est également invoquée à propos de l’attention
particulière à réserver à certains groupes, à propos des contenus de l’ensei-
gnement ou des méthodes pédagogiques à prévoir, ou encore s’agissant des
valeurs à promouvoir. C’est une raison de plus pour que l’interculturel ne se
présente pas sous des modalités bien dissociables.
Laisser l’interculturel dans cette non-différenciation risque pourtant de
comporter de sérieux inconvénients tant pour la conception à s’en faire que
pour la portée à lui reconnaître. Il est à craindre que dans ce cas on s’en
remette à celui-ci comme à un facteur qui expliquerait tout comme une cause
universelle. Or, cela incite trop clairement à se satisfaire d’interprétations
superficielles et illusoires. Pour y échapper, il conviendrait, tout en évitant de
laisser l’interculturel dans l’indistincte ubiquité affichée au premier abord, de
pouvoir le saisir dans une multiplicité de facettes qui appartiendraient bien au

9
Figures de l’interculturel dans l’éducation

même objet mais qui se livreraient séparément, compte tenu de leur point
d’aperception et de l’éclairage donné.
C’est dans ce sens qu’il paraît possible d’envisager des figures de l’inter-
culturel qui ne le scindent pas en aspects n’ayant presque rien en commun
mais renvoient seulement chacune à des caractéristiques correspondant à
une orientation prédominante qui n’exclut pas les autres. Quand il s’agit
d’évoquer la situation des migrants ou celle des «nouvelles» minorités en
Europe centrale et orientale, la figure de l’interculturel mise en avant est celle
de la confrontation aux différences pour relever les incompréhensions ou les
conflits que celles-ci provoquent, et y chercher des issues. Quand il s’agit de
découvrir la diversité des langues ou l’importance des médias, la figure de
l’interculturel qui s’impose est celle qui se centre sur les enjeux de commu-
nication et les implications du pluralisme linguistique ou de l’éthique de
l’information.
S’il faut repenser la mémoire du passé qui vaut à chaque civilisation ses
angoisses et ses connivences, ou ses antipathies, la figure de l’interculturel qui
ressort est celle axée sur la redéfinition des identités et l’amélioration de la
compréhension mutuelle. Quand on s’inscrit dans la perspective de la partici-
pation à un patrimoine commun avec la dimension européenne de l’éducation
ou d’aspects liés à la promotion du civisme et de la démocratie, c’est une
figure dont le centre de gravité est la référence à des valeurs qui entre en jeu.
Enfin, il va de soi que ces vues sur l’interculturel, comme on pourrait aussi les
dénommer, doivent également aboutir à des mesures permettant de les
concrétiser ; on ne saurait donc oublier une autre figure indispensable, celle
des pratiques qui doivent découler des choix proposés.
Le passage par ces registres, allant en somme de l’idéal d’une éducation inter-
culturelle aux procédures d’une pédagogie interculturelle, permet d’appré-
hender au mieux des rapports d’intérêts et de forces qui jouent toujours
ensemble mais dont certains s’affirment davantage que d’autres selon la
nature des problèmes abordés, les époques ou d’autres influences. Ainsi
peuvent se discerner des inflexions qui, en dévoilant la diversité de points de
vue inhérente à la perspective interculturelle et aux analyses qu’elle suscite,
facilitent une plus claire définition de sa nature et de ses emprises.
Telle semblait être la démarche à adopter pour retracer assez commodément
la place et le rôle de l’interculturel dans les conceptions de l’éducation qui ont
prévalu au Conseil de l’Europe pendant les quelque cinquante années qui se

10
Introduction

sont écoulées depuis sa création. Il fallait ces repères pour être en mesure
d’effectuer les regroupements qui s’imposaient entre des décisions et des
initiatives dont on devine la multiplicité. Cela était nécessaire tant pour éviter
des énumérations qui auraient été fastidieuses que pour ne pas tomber dans
des répétitions lassantes.

On pourrait certes discuter du bien-fondé du choix de ces figures de l’inter-


culturel que révéleraient les démarches du Conseil de l’Europe. On pourrait
sûrement en allonger la liste et sur celle-ci en retenir d’autres que celles
auxquelles on a voulu s’arrêter ici. Ces figures ne devaient pourtant pas être
trop nombreuses de manière à ce que chacune corresponde non pas à une
démarche particulière mais à un problème qu’on puisse considérer comme un
aspect important de l’interculturel. C’était aussi un bon moyen, dans l’évoca-
tion d’une démarche, de ne pas trop s’enfoncer dans ses détails et de prendre
un minimum de recul pour en saisir le ressort essentiel. On a l’impression d’y
réussir quand, par exemple à propos de l’éducation des migrants, on s’attache
plus à la notion de différence qu’au contact entre la culture du pays d’origine
et celle du pays d’accueil, car c’est de toute évidence le vécu d’une altérité de
part et d’autre qui provoque les difficultés à surmonter. En outre, il faut
rappeler que les figures, bien qu’elles soient distinctes, ne sont pas coupées
les unes des autres et en quelque sorte se chevauchent. Elles ne s’excluent
donc pas et laissent d’avance une place à celles qu’il faudrait éventuellement
réintroduire. En l’état, elles apparaissent néanmoins comme une formule
possible pour maîtriser une information presque pléthorique et éviter de la
répartir trop artificiellement entre des rubriques étanches.

Au terme de cet exercice, il restera toutefois une question à se poser, celle de


savoir si le traitement de l’interculturel qu’on aura cru pouvoir identifier au
Conseil de l’Europe possède une spécificité propre par rapport à d’autres
organisations ou d’autres milieux s’étant intéressés à la question. Celle-ci est
trop importante pour qu’on ne tente pas d’apprécier l’originalité de la manière
de la poser ou de la résoudre.

11
I. L’INTERCULTUREL COMME CONFRONTATION À LA DIFFÉRENCE
DANS LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

La confrontation à la différence est sans aucun doute une des figures les plus
significatives de l’interculturel. Affirmée dès les premières initiatives du
Conseil de l’Europe à propos de l’éducation des migrants, elle bénéficie
jusqu’à aujourd’hui d’une attention forte due en particulier, après les boule-
versements politiques de 1989, à l’apparition de «nouvelles» minorités
qui pouvaient sembler relever de problématiques assez analogues à celles qui
avaient prévalu pour les migrants. Mais cette figure ne s’applique pas seule-
ment dans ces deux cas. Elle a également concerné très tôt toutes les popula-
tions scolaires qui risquaient d’être désavantagées et infériorisées si ne leur
étaient pas offerts les types d’études et de formation correspondant à leur pro-
fil qui n’était plus celui de leurs aînés ou de groupes plus favorisés.

Il n’est donc pas étonnant que l’analyse des ressources apportées par la
perspective interculturelle pour la prise en compte des différences dans l’édu-
cation ait constitué un axe majeur de la réflexion à laquelle se sont étroitement
associés de nombreux spécialistes du «choc des cultures1». C’est ce qui a
permis en même temps l’élaboration d’une véritable théorie de l’interculturel
envisagé sous cet angle et une analyse solidement fondée des situations.

L’intégration socioculturelle des migrants par l’école dans le respect de


leurs spécificités

Le Conseil de l’Europe s’est très précocement attaché à assurer aux


élèves issus de l’immigration une éducation susceptible de compenser la
situation défavorable que leur valent de nombreux facteurs politiques, socio-
économiques et culturels. Il n’a jamais abandonné cette préoccupation.

Dès 1969, une résolution des ministres de l’Education souligne l’importance


de la préscolarisation des enfants de migrants pour surmonter les handicaps
liés à un environnement qui risque de provoquer des déficiences de la capacité
d’expression aussi bien dans la langue d’origine que dans la langue du pays
______
1. Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Carmel Camilleri et Margarit Cohen-Emerique, Chocs
de cultures : concepts et enjeux pratiques de l’interculturel, L’Harmattan, Paris, 1989 ;
C. Camilleri était du reste un des chercheurs les plus sollicités sur la question, notamment au
Conseil de l’Europe.

13
Figures de l’interculturel dans l’éducation

d’accueil1. La même résolution insiste sur la nécessité d’adapter l’ensei-


gnement préscolaire et l’enseignement primaire aux besoins particuliers de
ces enfants. En 1971, une résolution2 demandera que, parmi les priorités
du programme de travail du «Committee of Senior Officials» soit inscrite
l’éducation des migrants.
En 1974 est organisée à Strasbourg la Conférence ad hoc sur l’éducation des
migrants, à laquelle sont représentés non seulement les dix-huit Etats signa-
taires de la Convention culturelle européenne du Conseil de l’Europe mais
également de nombreux représentants d’autres organisations internationales
(Unesco, OCDE, BIE…) et d’instances impliquées dans les phénomènes de
migration. Après cette conférence, l’intérêt pour l’éducation des migrants
progresse de manière très significative. En 1975, 1977 et 1979, chaque session
de la Conférence des ministres de l’Education donne lieu à une substantielle
résolution à ce sujet.
Celle de 19753 sur l’éducation des migrants, la plus détaillée, correspond bien
à son titre. Elle prône l’accès le plus large à l’éducation pour les migrants et
leurs enfants, tout en prévoyant les mesures nécessaires pour l’égalité des
chances, comme un apprentissage satisfaisant de la langue du pays d’origine et
de celle du pays d’accueil ou une offre d’enseignement général et de formation
professionnelle adaptée à la situation particulière de cette population. N’est
pas non plus oubliée l’importance de l’éducation permanente pour en même
temps faciliter l’intégration dans le pays d’accueil et permettre dans les
meilleures conditions un retour éventuel dans le pays d’origine. Pour les élèves
sont recommandées la création de classes d’accueil et d’adaptation, l’attribu-
tion de bourses pour tous les niveaux d’études, l’utilisation de livrets scolaires
standardisés et la reconnaissance de l’équivalence des diplômes délivrés. A ce
moment la mobilité à l’intérieur de l’Europe est en effet déjà d’actualité et sa
possibilité doit éviter aux immigrés d’avoir un horizon limité à un seul pays, ce
qui serait également une forme de ségrégation. La résolution mentionne aussi
l’opportunité d’assurer aux enseignants et aux éducateurs la formation néces-
saire pour une prise en charge satisfaisante des élèves issus de l’immigration.
La participation de leurs parents à la vie de l’école est par ailleurs encouragée.
L’ampleur de la tâche, dont on a bien conscience, explique qu’aux plans
______
1. Conférence permanente des ministres de l’Education (désignée ci-après sous le sigle CPME),
1969, Résolution no 3.
2. CPME, 1971, Résolution no 2.
3. CPME, 1975, Résolution no 2.

14
Confrontation à la différence

national et international soient préconisées les recherches et les expérimenta-


tions nécessaires afin de disposer des soutiens indispensables pour faire face à
un contexte très nouveau exigeant des efforts dans de multiples directions non
empruntées jusque là.
La résolution de 19771 exprime une volonté forte de poursuivre dans la même
voie, malgré les effets négatifs de la récession économique et l’ampleur de la
tâche qu’il ne faut pas sous-estimer. Pour éviter les discriminations, il apparaît
de plus en plus opportun d’accorder une importance majeure à toutes les
formes d’éducation que peuvent recevoir les migrants, depuis le préscolaire
jusqu’aux formations professionnelles. Les efforts sur l’éducation permanente
ne doivent pas non plus se relâcher, pas plus que ceux pour réduire les déca-
lages socioculturels entre les migrants et les autres parties de la population. Or,
ce sont des problèmes qui, pour recevoir des solutions satisfaisantes, doivent
conduire à une étroite coopération internationale. Celle-ci est en effet indis-
pensable tant pour disposer de toute l’expertise souhaitable que pour éviter un
gaspillage fréquent de ressources par des projets concurrents ou faisant double
emploi.
Quant à la résolution de 19792, elle insistera à nouveau sur la plupart des points
mentionnés dans les deux précédentes mais s’attachera particulièrement à
deux aspects : l’éducation à assurer aux femmes de l’immigration pour leur
permettre d’échapper à leur infériorisation et de jouer pleinement leur rôle
dans la famille, et notamment auprès des enfants ; la place à donner à l’ap-
prentissage dans toutes les formations professionnelles pour rendre celles-ci à
la fois plus efficaces et plus accessibles. Par ailleurs, en écho à des points de
vue déjà exprimés dans les deux résolutions précédentes, seront indiqués les
bénéfices à attendre de contacts culturels plus étroits entre les migrants et la
population du pays d’accueil. Le resserrement de ces contacts devrait per-
mettre de mieux familiariser les migrants avec la langue de leur pays d’accueil
et de mieux faire percevoir à celui-ci l’enrichissement qu’il peut attendre de la
culture des migrants.
En 1984, le Comité des Ministres adopte la recommandation3 sur la formation
des enseignants à une éducation pour la compréhension interculturelle, notam-
ment dans un contexte de migration qui, au-delà d’une préparation mieux
______
1. CPME, 1977, Résolution no 1.
2. CPME, 1979, Résolution no 1.
3. Recommandation no R (84) 18 du Comité des Ministres.

15
Figures de l’interculturel dans l’éducation

adaptée des maîtres à leur travail avec les élèves de l’immigration, cadre très
précisément l’approche interculturelle en soulignant qu’elle fait partie des
«politiques éducatives qui encouragent l’ouverture d’esprit et la compréhen-
sion des différences culturelles1». En 1985, la Conférence permanente des
ministres de l’Education reviendra une nouvelle fois sur la question dans une
Déclaration sur l’éducation des migrants, pour indiquer que le développement
éducatif et culturel des migrants appelle la dimension interculturelle avec ce
qu’elle implique de respect mutuel, et de tolérance et de compréhension inter-
culturelle de la part des enseignants2.

Ces textes annonçaient les considérations qui allaient prévaloir dans le projet3
du CDCC sur «L’éducation et le développement culturel des migrants» lancé
en 1981 et conclu en 1986. Comme son titre l’indique, ce projet envisage les
problèmes relatifs aux migrants sous un angle beaucoup plus large que celui de
la seule scolarisation des élèves. Celle-ci n’est qu’un aspect des démarches à
entreprendre en faveur de la population des migrants pour lui épargner les
ségrégations et les exclusions. Un programme éducatif et culturel global est à
bâtir pour par exemple assurer l’accès à l’emploi des hommes et des femmes,
ou pour viser à l’amélioration de la situation féminine. Il s’agit de réunir une
information sur la migration dans les sociétés européennes pour en même
temps dégager les caractéristiques de situations mal connues et apprécier leurs
multiples conséquences dans tous les secteurs de la vie sociale, à commencer
bien entendu par ceux de l’enseignement et de la formation.

L’originalité des conclusions du projet est d’affirmer que des solutions satis-
faisantes et efficaces ne sauraient intervenir si ne sont pas définis au préalable
les cadres conceptuels dans lesquels elles se situent. C’est pourquoi le rapport
final, au lieu de s’attacher aux mesures concrètes, qui avaient pu être appré-
ciées auparavant dans des études de cas ou des expérimentations, qui se
prolongeront du reste par la suite, privilégie les considérations de principe.
Car pour les responsables du projet les solutions retenues auraient peu de
chances d’aboutir aux résultats recherchés sans un éclairage précis de ce
qu’elles doivent viser et pourquoi.
______
1. Ibidem, paragraphe 2.7.
2. CPME, 1985.
3. Par projet on entend au Conseil de l’Europe un programme de recherches et d’activités décidé
par le Conseil de la coopération culturelle (CDCC) qui s’étend sur plusieurs années, donne lieu à
diverses activités (réunions d’experts, séminaires, symposiums…) et aboutit à des publications
dont un rapport final.

16
Confrontation à la différence

Or c’est précisément l’option interculturelle qui apporte cet éclairage, qui


découle de quatre constats : «a. la plupart de nos sociétés sont devenues multi-
culturelles et le seront de plus en plus ; b. chaque culture a ses spécificités,
comme telles respectables ; c. le multiculturalisme est potentiellement une
richesse ; d. pour qu’il le devienne concrètement, il faut instaurer une inter-
pénétration entre toutes ces cultures sans gommer l’identité de chacune d’entre
elles, mettre le multiculturel en mouvement pour le transformer véritablement
en interculturel, avec tout le dynamisme que celui-ci implique (en termes de
communication et d’interaction notamment1)». Seule cette conception peut
étayer le refus du racisme et de la xénophobie, le refus des positions d’exclu-
sion, le refus des pratiques de ségrégation2, et doit inspirer toute initiative dans
l’éducation des migrants, pour ne pas tomber dans les illusions ou les faux-
semblants. La vigueur du ton s’explique, il faut sans doute le rappeler, par les
réticences qu’avaient à l’époque de nombreux pays à s’engager dans cette voie
que seuls, comme le mentionne ce rapport final, quelques pays européens sui-
vaient, tels les Pays-Bas et la Suède. D’où l’impérieuse nécessité de conjuguer
la réflexion et la pratique pour tenter de lever les obstacles qui empêchent de
passer de ce qui existe à ce qui serait souhaitable.
On doit rappeler ici que, si dans les sociétés européennes ont souvent continué
à se manifester des préventions et des hostilités à l’encontre des populations
immigrées, en revanche dans les systèmes éducatifs les messages de ce projet
ont eu un indéniable écho. L’enseignement aux migrants de leur langue et de
leur culture d’origine s’est généralisé et, fréquemment, chez les élèves du pays
d’accueil, un intérêt s’est éveillé pour celles-ci. Cela a pu s’opérer grâce sur-
tout aux efforts de chefs d’établissement ou d’enseignants qui ont profité
d’orientations données à leur formation initiale ou de programmes de forma-
tion continue directement inspirés de la recommandation de 1984. Dans la
ligne de celle-ci, le nombre de nouveaux enseignants issus de l’immigration a
également progressé. Mais vingt ans après le projet, un tel bilan risque de
paraître à certains obsolète en raison de l’évolution de l’immigration, devenue
ou très temporaire, ou au contraire sans vraie perspective de retour dans le pays
d’origine. De la sorte, beaucoup de considérations pourraient paraître dépour-
vues d’actualité ou concerner davantage un multiculturalisme de fond que la
situation même des migrants.

______
1. Projet no 7 du CDCC, L’éducation et le développement culturel des migrants, Conseil de
l'Europe, 1986, p. 9.
2. Ibidem, p. 8.

17
Figures de l’interculturel dans l’éducation

A vrai dire, dans le texte précité qui insiste précisément sur le multicultura-
lisme marquant désormais nos sociétés, on trouverait sans peine la preuve qu’il
reste applicable à la période la plus contemporaine. Mais c’est aussi pourquoi
il vaut mieux se focaliser sur son mérite d’avoir installé l’interculturel au cœur
de la réflexion sur les politiques éducatives au Conseil de l’Europe pour des
raisons dont l’évidence s’impose. Car le recours à la perspective interculturelle
dans l’analyse des objectifs à assigner à l’éducation et dans la mise en œuvre
des pratiques pour atteindre ceux-ci ne fait qu’un avec le respect des valeurs
prônées par le Conseil de l’Europe. Entre le point de vue de l’interculturalité et
les droits de l’homme, le lien est indéfectible puisque, c’est la pierre angulaire
de l’interculturel, la différence ne doit jamais constituer un euphémisme de
l’infériorité1. Il va aussi de soi que cette attitude à l’égard de l’autre ne peut
qu’induire la tolérance tout autant nécessaire pour le dialogue et la compré-
hension mutuelle que pour la reconnaissance des qualités respectives des par-
tenaires dans un cadre démocratique. L’exploration de la notion d’interculturel
à laquelle procède ce projet, avec le concours des spécialistes les plus appré-
ciés dans le domaine, apporte des fondements théoriques et éthiques dont on ne
saurait se passer dès lors qu’on aborde des questions liées au multiculturalisme
de nos sociétés. Le projet, à ce titre, grâce aux pistes qu’il ouvre, mérite bien
d’être qualifié d’œuvre pionnière.

Une de ces pistes conduira en particulier à aborder le cas des Tsiganes. Les
Tsiganes connaissent en quelque sorte de manière permanente la migration et
l’immersion dans d’autres populations. Pour cette raison, ils font l’objet de
préjugés et de ségrégations fort tenaces. Ce sera l’occasion de retrouver des
problèmes analogues à ceux rencontrés à propos des migrants et d’aborder de
nouveaux horizons touchant aux droits des minorités ou au statut des langues.
En 1969, une recommandation de l’Assemblée consultative, qui allait devenir
l’Assemblée parlementaire, attire l’attention sur la discrimination dont pâtis-
sent les communautés tsiganes et, en 1983, le Conseil de la coopération cultu-
relle organise un premier séminaire international dans lequel la scolarisation
des enfants tsiganes occupe une large partie du programme. Une série d’autres
séminaires suivront, celui de 1989 qui aura précisément pour thème «Vers une
éducation multiculturelle : la formation des enseignants ayant des élèves tsi-
ganes». Jean-Pierre Liégeois, dans son ouvrage Roma, Tsiganes, Voyageurs,
signale bien les bénéfices à attendre de l’adoption d’une telle optique quand il
______
1. Comme cela est dit expressément dans Critical approach to the media in civic education,
Conseil de l'Europe, 2002, p. 32.

18
Confrontation à la différence

écrit : «Tsiganes et Voyageurs ont été jusqu’à présent inventés dans les repré-
sentations que chacun s’en fait. Il est urgent qu’ils soient maintenant reconnus
dans leur originalité et leur richesse, car la coopération dans le respect mutuel
reste la condition difficile mais indispensable d’une amélioration et de leur
existence, et d’une coexistence enrichissante.» La correction des préjugés
s’impose et l’information dans les rapports entre les deux sociétés constitue un
important facteur de prévention des conflits. Avec la concertation, elle permet
de transformer les oppositions de principe en différences mieux comprises1. Ce
sont des lignes que l’on aurait pu trouver pratiquement dans le rapport final du
projet sur l’éducation des migrants. Elles montrent encore mieux toutes les
perspectives qui s’ouvrent lorsque l’on aborde des questions comme les effets
pervers des préjugés et la nécessité d’y renoncer pour rendre possible une
reconnaissance pacifiée des différences. C’est à vrai dire le thème clé de
l’approche interculturelle qui s’affiche ici de manière très symptomatique,
thème qui va se décliner par la suite dans de multiples registres ou contextes,
et ne perdra jamais son inspiration première : modifier les visions ou les
conceptions faussées, et des conversions d’attitude pour que les différences
entre les sociétés et les personnes deviennent des occasions de dialogue au lieu
de nourrir des conflits sans issue.

La prise en compte de la diversité de tous les élèves par les systèmes


éducatifs

A plusieurs reprises, le projet sur l’éducation des migrants faisait remarquer


que cette catégorie d’élèves n’était pas la seule à présenter des besoins parti-
culiers. Il signalait que, pour de multiples raisons, dans la population scolaire
non immigrée, on retrouvait des profils auxquels les contenus d’enseignement
et les méthodes pédagogiques devaient s’adapter. Il fallait le voir et le dire pour
éviter aux migrants la reconnaissance d’une spécificité qui n’aurait été qu’une
aggravation de leur isolement et pour enclencher une évolution des politiques
éducatives afin de répondre aux nouvelles exigences de l’époque. De fait, on a
bien assisté au Conseil de l’Europe à une prise en compte plus large des diffé-
rences, avec de nombreuses initiatives concernant les élèves qui requéraient un
traitement particulier. Ainsi s’affirmait le souci général de veiller à ce que des
élèves ne pâtissent pas dans leurs parcours scolaires des difficultés auxquelles
ils pouvaient se heurter dans leur vie personnelle, familiale ou sociale.
______
1. Liegeois, Jean-Pierre, Roma, Tsiganes, Voyageurs, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1994,
p. 305.

19
Figures de l’interculturel dans l’éducation

Bien entendu, les handicapés ont bénéficié de l’attention qu’ils méritaient et ont
fait l’objet de nombreuses décisions, bien avant la recommandation de 1992 du
Comité des Ministres, sur la prise en charge systématique du handicap dans tous
les secteurs de la société. Mais il est sans doute ici inutile de s’étendre davan-
tage sur ce sujet tant cette intervention et bien d’autres en faveur des handicapés
s’inscrivaient naturellement dans le droit fil des préoccupations du Conseil de
l’Europe et débordaient largement le domaine de l’éducation.
Apparaîtra très tôt une volonté d’adapter le système scolaire pour aider les
élèves à surmonter les désavantages liés à leur milieu d’origine. En 1969, une
résolution des ministres de l’Education demande que, dès le préscolaire et dans
le primaire, des ajustements soient prévus pour tenir compte des difficultés
particulières rencontrées par certains enfants dans leur environnement social et
culturel pour s’adapter à un nouveau contexte1.
Une généralisation de la fréquentation du préscolaire reste la meilleure
manière de compenser les décalages initiaux et d’offrir à tous l’égalité des
chances. A cette période décisive pour le développement de l’enfant, la capa-
cité d’accueil doit donc être accrue. La préscolarisation doit être mise à profit
pour pallier les difficultés d’expression, surtout orale, liées aux déficiences de
l’environnement social et culturel, et éviter l’isolement auquel l’enfant est
exposé par son habitat et ses conditions de vie familiale.
Les liens entre le préscolaire et le primaire sont à resserrer pour ne pas impo-
ser de rupture trop brutale dans l’atmosphère de l’enseignement. L’école
primaire doit prolonger les démarches du préscolaire en se centrant sur le déve-
loppement personnel de l’enfant et en l’associant à son éducation, plutôt qu’en
se fixant sur des normes arbitraires. L’enfant est à prendre tel qu’il est et non
tel qu’on voudrait qu’il soit.
Dans le secondaire du premier cycle également, de plus en plus inclus dans la
scolarité obligatoire, il faut éviter les orientations trop précoces vers des études
générales ou des formations professionnelles qui risquent de pénaliser les
élèves originaires de milieux peu familiarisés avec le fonctionnement des
établissements et avec les conséquences de leurs choix.
L’analyse s’approfondira avec l’identification d’autres obstacles à éliminer
pour que certains élèves ne soient pas désavantagés dans le déroulement
de leur scolarité. En 1969, la Conférence permanente des ministres de
______
1. CPME, 1969, Résolution no 3.

20
Confrontation à la différence

l’Education salue la pertinence d’un rapport sur les élèves moins doués pour
les études académiques1. Il s’agit principalement du deuxième cycle du secon-
daire. Pour faciliter l’accueil à ce niveau, surtout à une époque où s’instaure
une fréquentation de masse des écoles secondaires, y compris dans le cycle
supérieur, il importe d’assouplir et de diversifier l’offre. Il faut prévoir de nou-
velles combinaisons d’études académiques et de formations professionnelles.
Il faut pour cela que les curriculums comportent plus de possibilités de choix
et d’options. Des formules spéciales sont à mettre au point pour les élèves
retardés dans leur progression. L’orientation et le conseil pédagogique sont à
développer pour éviter que les jeunes s’engagent dans des voies où ils risquent
l’échec par manque d’aptitudes ou d’intérêt. L’évaluation sera moins traumati-
sante et plus éclairante si elle s’effectue au sein de l’établissement au lieu
d’être une sanction purement externe. Par ailleurs, pour améliorer l’insertion
des élèves que l’atmosphère traditionnelle de l’école rebute, s’impose l’intro-
duction de l’expérience du travail, de tâches communautaires et d’activités
récréatives. Le développement de relations entre l’école et la famille est égale-
ment à favoriser.
L’enseignement supérieur ne sera pas oublié dans cette panoplie de mesures à
prendre pour éviter que des groupes soient relégués dans des formations ou des
conditions d’études ne leur convenant pas, en raison de leurs antécédents ou de
leur profil de départ. La capacité d’accueil des établissements d’enseignement
supérieur doit augmenter sans que la qualité des études diminue. Des
programmes de bourses doivent être organisés en faveur de clientèles financiè-
rement démunies2. Ces mesures doivent être l’aboutissement d’une large
coopération internationale et européenne, comme du reste celles qui concer-
nent les migrants.
Les considérations sur la diversité des élèves s’inscrivent dans une optique très
comparable à celle qui a été appliquée aux migrants. Il s’agit d’éviter que des
différences induisent l’infériorisation et d’empêcher une uniformité des règles
et des pratiques qui ignore les spécificités.

Des «anciennes» aux «nouvelles» minorités


L’élargissement de la perspective à l’égard de la situation des migrants s’est
produite aussi dans la manière d’aborder la situation des «nouvelles minorités».
______
1. CPME, 1969, Résolution no 2
2. CPME, 1964, Résolution no 4.

21
Figures de l’interculturel dans l’éducation

On entend par cette expression non pas des populations dont la situation serait
plus récente que celle des travailleurs immigrés en Europe occidentale, mais
des populations dont les conditions d’existence ont été profondément affectées
par les changements survenus dans l’ex-Union soviétique et en Europe cen-
trale et orientale. A une époque où les passeports mentionnaient la citoyenneté
soviétique ou celle d’une autre entité politique et une nationalité, ces minorités
avaient des statuts divers, qui allaient de l’assimilation forcée à une reconnais-
sance de principe de leur autonomie, ou d’un encadrement légalisé à une dis-
crimination sans ambages. Elles faisaient néanmoins partie d’un ensemble
géopolitique où ne se manifestaient pas avec évidence et avec force des ten-
dances centrifuges. Mais la rupture des liens qui tenaient ces ensembles a pro-
voqué la résurgence ou l’extension de conflits, et cela d’autant plus qu’en
Europe centrale et orientale la plupart des Etats avaient un long passé de
coexistence difficile entre groupe majoritaire et groupes minoritaires. Des phé-
nomènes de ségrégation et d’exclusion ont été constatés, qui paraissaient com-
parables à ceux dont souffraient les migrants en Europe occidentale. Ainsi, si
la présence de l’immigré a été la première réalité prise en compte, les évolu-
tions récentes, en particulier dans les pays du centre et de l’est de l’Europe,
mais également à l’Ouest, ont modifé cette approche en élargissant très forte-
ment la perspective interculturelle1.

La figure de l’interculturel mise en lumière ici devrait permettre d’élucider des


principes inspirant des démarches et des mesures concrètes susceptibles de
remédier aux distorsions. Car il serait peu profitable d’offrir à une minorité des
programmes d’études donnant toute la place souhaitable à sa langue et à sa
culture si c’est seulement pour insister sur son altérité en soulignant sa spécifi-
cité. Seule son inclusion dans la gamme des différences lui donnera la possibi-
lité de passer au registre de la multiculturalité, où les différences cessent d’être
des oppositions et des infériorisations.

Dans cet ordre d’idées, on insistera sur le danger d’«autoségrégation» que peut
comporter la création d’écoles pour les minorités qui signifient pratiquement
l’apparition de sous-systèmes éducatifs autonomes, alors qu’il convient surtout
de négocier un nouveau contrat social avec de nouvelles règles de coexistence
et de nouveaux rapports entre majorités et minorités2. Soulignons également la
______
1. Audigier, François, Pratiquer la diversité culturelle dans l'éducation, Conseil de l’Europe,
1997, p. 14.
2. Droits de l’homme et minorités dans les nouvelles démocraties européennes : les aspects
éducatifs et culturels, Conseil de l’Europe, 1996, p. 35.

22
Confrontation à la différence

difficulté à procéder aux réorientations nécessaires dans un dispositif tant que


celui-ci n’aura pas évolué dans ce sens. En fin de compte, il faut choisir entre
la dynamique interculturelle et la «déconstruction ethnique». Le modèle de la
coexistence de cultures parallèles et de populations tenues de cohabiter sur un
même territoire est en permanence menacé par les surenchères extrémistes et
les rivalités interethniques. Au contraire, la dynamique interculturelle se fonde
sur une nouvelle vision de la culture qui conduit au respect de l’interculturel
naturel des sociétés modernes marquées par les échanges, les métissages et les
emprunts réciproques, au refus de polariser entre majorité et minorité. Cette
vision laisse percevoir une complémentarité des différences et des similitudes,
et des situations d’interaction et d’interdépendance. Dans un tel contexte,
l’éducation joue au mieux son rôle, celui d’inculquer des attitudes et des com-
pétences qui ne contribuent pas vraiment à la reproduction d’un modèle cultu-
rel original, conservé à l’état pur, mais bien plutôt à la mise en lumière de tous
les contacts existant entre les diverses cultures1. En d’autres termes, il s’agit de
développer une éducation de toutes les cultures à la différence plutôt qu’une
éducation différente selon les cultures. «L’éducation interculturelle n’est pas
un problème de publics spécifiques. C’est une éducation de tous au paramètre
culturel, minoritaires ou majoritaires, dans une réciprocité de perspectives2.»
Les trois analyses précédentes montrent que les démarches applicables à la
population des migrants peuvent être étendues à toutes celles pour lesquelles
une différence par rapport à l’ensemble d’une société signifie un risque de mise
à l’écart et de traitement défavorable ou discriminatoire, en particulier dans le
domaine de l’éducation. La première figure de l’interculturel évoquée ici est
donc une attention à une différence, pratiquement toujours marquée négative-
ment, qui doit être valorisée aussi bien dans le groupe qu’elle concerne qu’à
l’extérieur de celui-ci. Elle implique d’abord un regard porté sur l’autre pour
mieux le connaître et mieux l’aider à se rétablir sans aliénation, dans une iden-
tité reconnue par les autres. L’interculturel est d’abord la perception de tout ce
qui peut séparer une culture d’une autre, surtout quand l’une est minoritaire et
l’autre majoritaire. Mais l’interculturel est aussi une prise de conscience de la
concertation à conduire avec ceux qui, dans la société considérée ou ailleurs,
sont confrontés au même problème, afin d’y apporter des solutions valables.
L’interculturel est ainsi au départ en même temps un rapport à une autre culture
dans la culture généralement scindée où s’effectue l’observation et un rapport
______
1. Audigier, François, op. cit., p. 33.
2. Gelpi, Ettore, Education des adultes, démocratie et développement, Conseil de l’Europe, 1996.

23
Figures de l’interculturel dans l’éducation

à toutes les autres cultures qui donnent à cette observation et aux solutions qui
en sortiront toute leur portée. Le Conseil de l’Europe insiste sur cette nécessité
d’une coopération internationale, pour apprécier à la fois les solutions natio-
nales et la validité des initiatives destinées à remédier à leurs insuffisances.

24
II. L’INTERCULTUREL COMME COMMUNICATION DANS UN CONTEXTE
DE PLURALISME DES LANGUES ET DES MÉDIAS

Le domaine linguistique a donné lieu au Conseil de l’Europe à des initiatives


encore plus nombreuses et plus précoces que celles concernant les migrants.
Selon l’article 2 de la Convention culturelle européenne de 1954, chaque pays
encourage l’étude de la langue des autres et celle de sa langue par les autres.
Dans son sillage, non seulement les recommandations de l’Assemblée parle-
mentaire ou du Comité des Ministres, mais aussi des résolutions de la
Conférence permanente des ministres de l’Education se sont succédé à un
rythme très serré jusqu’à la période la plus récente. Elles ont également
concerné tous les aspects de l’apprentissage des langues étrangères, soit dans
les systèmes éducatifs formels, soit dans d’autres structures destinées à
l’accueil de publics particuliers, notamment des adultes. En outre, ces prises
de position officielles ont bien entendu donné lieu à la mise en chantier de
plusieurs projets ayant approfondi les multiples implications politiques,
socio-économiques et culturelles de l’enseignement des langues étrangères et
défini les méthodes les plus pertinentes pour son expansion et son efficacité.
L’ouverture à Graz en 1994 du Centre européen pour les langues vivantes doit
aussi s’interpréter comme la consécration de l’importance majeure de ce
secteur tant dans les choix politiques du Conseil de l’Europe que dans son
programme d’activités.

De plus, si cet enseignement scolaire ou extrascolaire a longtemps concerné


presque exclusivement les langues majoritaires, l’attention accordée aux
autres langues n’a pas cessé d’augmenter. Les efforts pour étendre l’ensei-
gnement des langues d’origine des migrants à au moins une fraction des
élèves du pays d’accueil en a été une première manifestation, même si de
sérieux obstacles ont été rencontrés. Sur ce plan, la Charte européenne des
langues régionales ou minoritaires de 1992 marque une étape décisive.

Quand il s’agit d’élucider le rôle de l’interculturel dans les politiques et les


pratiques éducatives, on devine l’intérêt de l’examen de ces questions rela-
tives à l’enseignement des langues étrangères. L’interculturalité s’y impose
immédiatement puisque tout contact d’une personne avec une autre langue
que la sienne constitue d’emblée un contact avec une autre culture, et peut-
être surtout pour beaucoup de jeunes une première occasion de sortir de leur

25
Figures de l’interculturel dans l’éducation

univers habituel. Une autre figure de l’interculturel apparaît ici, celle de la


communication, sans laquelle cet accès à un autre univers et le contact avec
d’autres individus et d’autres groupes ne pourraient avoir lieu.

Cette figure liée à l’étude des langues étrangères est à rapprocher de la figure
précédemment évoquée. En effet, si la communication est ici indispensable
pour atteindre l’autre, elle s’effectue dans un contexte marqué par la diffé-
rence en raison de l’extrême diversité des langues pratiquées qui en même
temps crée une situation de fait et invite, voire contraint, à faire des choix.
Toutes les langues ne peuvent pas être enseignées ou apprises pour de
multiples raisons : des raisons plutôt matérielles comme le temps disponible
dans les programmes ou les ressources mobilisables, des facteurs liés à
l’information et à la communication comme l’image attachée à une langue par
son supposé degré de difficulté ou de diffusion. Tout cela nous rappelle avec
force que la communication est aussi une confrontation à la différence, avec
toutefois une connotation particulière. Au lieu de devoir cerner, comme dans
la figure précédente, une altérité presque imposée, on est ici face à l’«étran-
geté» de personnes et de pays dont il faut se rendre plus familiers.

Dès lors, on voit bien se dessiner l’itinéraire à suivre pour explorer cette figure
de l’interculturel que représente la communication. Il convient d’abord de
mesurer à quel point la diversité des langues en Europe peut poser des pro-
blèmes d’apprentissage afin d’éviter des isolements inacceptables et nocifs,
provoqués par les difficultés de communication. Il faut ensuite voir comment
cette diversité peut être surmontée et surtout comment peuvent être instaurées
vis-à-vis de ces langues des attitudes qui n’interdisent ni les relations équi-
tables ni la compréhension mutuelle. Mais on pressent aussi que le problème
risque de ne pas se poser dans les mêmes termes pour les langues majoritaires
et les langues minoritaires dont la situation particulière devra donc être aussi
évoquée.

Pour essentielle qu’elle soit, la communication ne saurait pourtant être réduite


à son aspect linguistique. Les médias lui donnent d’autres vecteurs et même
d’autres langages, à travers notamment l’image imprimée, télévisuelle ou
cinématographique. A la pluralité des langues fait ainsi pendant celle des
médias, marquée par une concurrence dont on mesure sans peine qu’elle ne
peut pas être débridée sans exposer les utilisateurs à la manipulation et à la
désinformation. Il faut ainsi aux médias une éthique qui est aussi celle de la
communication.

26
Communication dans un contexte de pluralisme

Mais la communication linguistique n’est pas dispensée d’éthique.


L’utilisation d’une langue n’est jamais neutre. La langue transmet toujours un
message socioculturel pourvu de sens et de valeur. Les interlocuteurs ne
peuvent se comprendre sans respect mutuel, respect qu’il faut sauvegarder
pour passer de la pluralité des langues au pluralisme des langues, mettant
celles-ci sur un pied d’égale estime. Ce pluralisme des langues n’est pas
dissociable de celui des médias, lui aussi décisif pour la défense des droits de
l’homme et de la démocratie.

Diversité des langues, diversité des cultures

La diversité des langues en Europe en tant que reflet de la diversité des


cultures est une réflexion largement menée au Conseil de l’Europe. En 1982,
une recommandation du Comité des Ministres soulignait que «l’étude des
langues des autres Etats membres permet de comprendre le mode de vie et les
formes de pensée des autres peuples, ainsi que leur héritage culturel1».
L’article 2 de la Convention culturelle européenne signale déjà la relation très
étroite entre une langue et une histoire et une civilisation.

Rapidement sera évoquée en Europe l’image de la mosaïque des langues. Si


cette impression pouvait prévaloir dès les années 1950, les évolutions ulté-
rieures allaient l’imposer avec encore plus de force et d’évidence. Bien avant
la rédaction de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires,
on commençait à prendre en considération les langues d’origine des popula-
tions immigrées et certaines langues régionales revendiquant une place long-
temps occultée par la ou les langues officielles. La fin de l’univers soviétique
accentuera le phénomène d’une manière autrement dramatique. Des langues
nationales qui, comme celles des pays Baltes ou de l’Ukraine, étaient restées
confinées derrière des frontières presque imperméables et supplantées au plan
international par la seule langue officielle vont pouvoir prétendre à une nou-
velle reconnaissance et en principe à une nouvelle diffusion. La fin des
contrôles oppressifs dans plusieurs Etats va inciter des minorités à revendi-
quer la levée des obstacles à la pratique de leur langue comme les Turcs de
Bulgarie ou les Albanais du Kosovo. Simultanément, presque partout, la
décentralisation va dynamiser les régionalismes et les langues régionales
______
1. Recommandation no R (82) 18.

27
Figures de l’interculturel dans l’éducation

comme cela a été le cas en Espagne avec l’essor de la pratique des langues des
communautés autonomes, ou même en France avec la place faite à l’ensei-
gnement du breton ou du corse.

En 1982, le projet «Politiques linguistiques pour une Europe multilingue et


multiculturelle» lancé par le Conseil de l’Europe a donc pour vocation de
refléter la diversité linguistique de l’Europe et de traiter simultanément des
différents types de langues utilisées dans le continent, à savoir les langues des
minorités autochtones, les langues de migrants, les langues «étrangères» et
les langues officielles des Etats membres1.

Il y a là comme un parti pris d’étendre au maximum la variété des langues à


prendre en considération, un souci semble-t-il de ne pas se contenter d’une
interculturalité trop facile. Car, pour pleinement jouer le rôle qu’on en attend,
l’interculturel doit permettre de dépasser des contrastes ou même des opposi-
tions en offrant de ceux-ci une nouvelle vision et non pas un moyen de s’y
soustraire. L’autre doit rester ce qu’il est avec ses spécificités, continuer à être
perçu comme tel et non pas transposé dans la ressemblance avec celui qui
veut entrer en contact avec lui. Or le risque est fréquent de voir cette démarche
toujours difficile se contenter d’être formelle et artificielle, atténuant ou mini-
misant les différences telles qu’elles existent dans la réalité ou telles qu’elles
sont perçues. On comprend ainsi, à propos de la diversité linguistique en
Europe, la volonté d’échapper à cette facilité, d’autant plus qu’il serait tentant
de rapprocher certaines langues minoritaires ou régionales d’autres langues
dominantes, à des fins de compromis ou de synthèses permettant de mini-
miser la diversité.

On pourrait vouloir réduire la diversité des langues en invoquant par exemple


la possibilité de regroupements par familles de langues ou en se centrant sur
quelques «grande» langues de communication à enseigner en priorité. Les
projets conduits par la Division des langues vivantes du Conseil de l’Europe
comme celui sur l’apprentissage des langues face à l’enjeu de la diversité
n’hésitent pas à mentionner la nécessité de préserver cette variété pour décou-
vrir en même temps les héritages culturels qui s’y rattachent. A propos des
langues modernes, il faut donc accorder une importance particulière à la

______
1. La diversité linguistique en faveur de la citoyenneté démocratique, Conseil de l’Europe,
2000, p. 6.
2. Ibidem, p. 130.

28
Communication dans un contexte de pluralisme

société européenne multilingue et à l’éducation interculturelle2, et avoir des


réserves à l’égard de méthodes d’enseignement axées exclusivement sur la
communication, qui ne laisseraient plus de place aux études littéraires et
culturelles1.
Mais si l’on doit accepter la diversité linguistique, on doit aussi veiller à ce
que la langue ne soit pas un instrument de pouvoir et d’exclusion2, et que les
réseaux de la société ne deviennent pas monolingues. Ce n’est pourtant pas
une raison pour que la langue tourne à l’obsession d’une identité perçue de
manière trop étroite, se conjuguant avec le rejet de l’autre et de la différence3.
La Résolution no 2 (1969) du Comité des Ministres indiquait déjà que la diver-
sité linguistique faisait partie du patrimoine culturel européen et que loin
d’être un obstacle à l’unité, elle devait, grâce à l’étude des langues vivantes,
devenir une source d’enrichissement intellectuel. La direction demeure la
même dans le nouveau contexte d’une Europe élargie, dans laquelle la diver-
sité linguistique, entre autres, est encore plus marquée et plus difficile à gérer.
Dans cette Europe, cependant, l’interculturel peut encore mieux prouver sa
pertinence devant des différences qu’on ne saurait sous-estimer.

Le dépassement de la diversité grâce à la communication


L’interculturel, au plan de la politique et de la pratique linguistiques, appelle
tout autant le développement de la communication. La découverte des richesses
de la pluralité linguistique et culturelle doit aller de pair avec la participation
à celles-ci des couches les plus larges.
Il est vrai qu’en Europe les langues, dans leur multiplicité, constituent des
obstacles aux bonnes relations qui doivent exister entre les populations du
continent, et il faut les réduire dans toute la mesure du possible. La résolution
du Comité des Ministres de 1969 y invite en estimant que pour parvenir à une
véritable unité de vues entre les pays d’Europe, il faut supprimer les barrières
linguistiques qui les séparent. Auparavant, la Conférence permanente des
ministres de l’Education avait précisé que la levée de ces obstacles était indis-
pensable non seulement pour le développement personnel des individus et
pour le devenir de l’Europe, mais également pour l’intensification de la
coopération internationale dont dépend le progrès économique et social4.
______
1. Ibidem, p. 105.
2. Ibidem, p. 14.
3. Ibidem, p. 15.
4. CPME, 1961, Résolution no 6.

29
Figures de l’interculturel dans l’éducation

Les conséquences sur le plan de l’enseignement sont multiples dont deux méri-
tent particulièrement de retenir l’attention ici parce qu’elles se relient très
directement à une perspective interculturelle qui facilite des contacts dans
l’équité. Il faut généraliser l’enseignement des langues vivantes dans les sys-
tèmes d’éducation et de formation car, dans la situation que connaît l’Europe,
cet enseignement doit s’adresser à tous et non plus seulement à une élite. La
multiplication des contacts dans tous les domaines, l’accroissement de la
mobilité des personnes, la nécessité d’échanges d’expériences au plan inter-
national dans tous les secteurs exigent que tous les publics puissent accéder à
des connaissances en langues étrangères. Par ailleurs, précisément pour tenir
compte du profil de ces nouveaux publics et répondre aux nouveaux besoins,
une profonde transformation de la pédagogie des langues étrangères s’impose.
Il est indispensable de donner la priorité à la pratique orale et au travail sur des
textes en rapport avec la vie quotidienne des sociétés contemporaines pour que
la maîtrise des langues facilite concrètement les relations des autochtones
avec les divers milieux étrangers. Pour assurer la démocratisation de l’étude
des langues étrangères qu’il faut opérer à grande échelle et rapidement, de
véritables révolutions pédagogiques s’imposent. Il faut notamment donner la
priorité à l’acquisition des bases du lexique et des structures grammaticales.

C’est ce qui conduira le Conseil de l’Europe à s’engager en pionnier dans la


définition encore jamais entreprise de niveaux-seuils précisant le vocabulaire
et les tournures indispensables à acquérir pour pouvoir commencer à commu-
niquer et progresser ensuite avec succès. On avait bien connu des méthodes
pour inculquer rapidement des éléments de base de langues étrangères, mais
il s’agissait d’une première initiation pratique après laquelle des approfondis-
sements étaient pratiquement impossibles. C’est ce qui doit être évité grâce
aux niveaux-seuils qui assurent des connaissances fondamentales mais à par-
tir desquelles seront possibles des développements de plus en plus riches. Il y
avait là encore une préférence pour l’interculturel avec le souci d’une équité
refusant la distinction entre des apprentissages sommaires et définitifs pour
certains et de véritables études pour d’autres.

Bien d’autres mesures nécessaires à la modernisation de l’enseignement des


langues vivantes pour le rendre mieux accessible à tous seront préconisées,
telles que la réduction des effectifs par classe ou le recours aux moyens
audiovisuels. Ces évolutions doivent permettre, comme le rappelle la Réso-
lution no 2 (1969) du Comité des Ministres, que la connaissance d’une langue
ne soit plus un luxe pour une élite mais un moyen d’information pour tous. Le

30
Communication dans un contexte de pluralisme

projet «Apprentissage et enseignement des langues vivantes aux


fins de communication» lancé en 1982 affirme pleinement ces orientations,
orientations qui avaient été clairement précisées lors de la Conférence «Vivre
le multilinguisme européen». Au regard du Rapport langues vivantes 1971-
1981, la conférence démontrait que la politique européenne en matière de
langues vivantes avait essentiellement pour objectif de faciliter la communi-
cation et les échanges entre Européens de langue maternelle différente, en vue
de favoriser la mobilité, la compréhension réciproque et la coopération en
Europe, et d’éliminer les préjugés et la discrimination1.

Ces préoccupations d’ordre plutôt pratique n’interdiront pas que parallèle-


ment soient poursuivies des finalités liées aux bénéfices à attendre de la
composante culturelle des échanges linguistiques. C’est ce qu’indique bien la
Recommandation 814 (1977) de l’Assemblée parlementaire selon laquelle
«la connaissance des langues est non seulement indispensable à la communi-
cation entre Européens, mais […] elle doit aussi permettre la compréhension
réciproque des valeurs culturelles». On retrouve là une nouvelle fois l’axe
majeur de l’interculturel qui en même temps mène à l’altérité et incite à
découvrir avec l’autre des proximités insoupçonnées. La poursuite des activités
dans ce domaine de l’apprentissage des langues montrera que, sans s’écarter
de l’importance légitime à accorder au perfectionnement des apprentissages
en vue d’améliorer des capacités de communication, il est possible de prendre
en compte tous les arrière-plans qui confèrent au message échangé une
complexité dont on ne saurait se désintéresser. C’est ce qui se vérifie avec le
projet lancé en 1989 «Apprentissage des langues et citoyenneté européenne»,
qui insiste sur la contribution à attendre d’échanges linguistiques assumés
dans toutes leurs dimensions pour stimuler le respect des droits de l’homme
et de la démocratie. La pédagogie des échanges avec les multiples formes de
contacts entre élèves, enseignants et établissements sera aussi une occasion de
constater l’exceptionnelle richesse des idées et des attitudes qui se manifeste
lors de la rencontre avec des interlocuteurs n’utilisant pas la même langue que
celle des hôtes qu’ils reçoivent. Dans ces conditions, il faudra de plus en plus
considérer l’apprenant comme un intermédiaire culturel et admettre qu’un
concept d’apprentissage des langues pour une citoyenneté européenne devrait
promouvoir les aspects suivants : le développement de la tolérance mutuelle et
l’intérêt envers autrui, l’échange de points de vue, l’ouverture à la commu-
______
1. Vivre le multilinguisme européen, conférence, conclusions et recommandations, Conseil de
l'Europe, 1982, section III.1.1.1.

31
Figures de l’interculturel dans l’éducation

nication, à de nouveaux modes de vie, à de nouvelles opinions – l’autonomie


de l’apprenant et l’apprentissage autonome – l’arrière-plan socioculturel
d’une langue1.
Le même point de vue est appliqué dans le programme «Liens» qui, comme
son nom l’indique, s’attache à faciliter la communication entre les milieux
éducatifs sous les formes les plus diverses, en utilisant les moyens les plus
variés. Dans ce programme, il est en effet précisé qu’on a une tendance natu-
relle à considérer les échanges comme un moyen d’améliorer les compétences
linguistiques mais qu’il serait préférable de voir la langue comme un moyen
pour l’échange plutôt que l’échange comme un moyen pour la seule pratique
de la langue2. C’est dans un esprit similaire qu’a été conçu le Portfolio des
langues, un dossier dans lequel l’apprenante ou l’apprenant consigne ses
capacités en langues étrangères, évaluées par des diplômes reconnus ou
acquises grâce à des expériences diverses. Il va de soi que beaucoup d’expé-
riences sont liées à tout ce qui dépasse la simple communication, elle-même
inexistante si l’on entend par là un échange de messages purement informatifs
se suffisant à eux-mêmes.

Identité et multiculturalité
La communication linguistique est toujours une rencontre avec une identité,
généralement qualifiée de culturelle, qui correspond à un contexte socio-
culturel lié à une langue. La langue appartient à ce contexte, ce que ses
locuteurs ne peuvent ignorer. Mais on sait bien également que, depuis le
XIXe siècle, dans cet attelage de la culture et de la langue, la primauté
reconnue ou exigée va souvent à la langue qui devient alors le support et le
critère de l’identité culturelle, avec parfois une charge revendicative qu’on
s’explique aisément. Si une langue est considérée comme n’ayant pas la place
ou le statut qu’elle mériterait, c’est l’identité d’un peuple et d’une culture qui
est menacée et la défense de celle-ci passe par la défense de la langue. Une
large partie de l’histoire européenne est celle de cette lutte. Aujourd’hui, la
lutte n’est plus seulement, comme au siècle dernier, un combat entre des
langues dominantes et des langues opprimées, voire interdites. Elle est égale-
ment la lutte entre des langues dominantes menacées par la suprématie de
l’une d’entre elles. Toutes les conditions sont alors réunies pour que chaque
______
1. La compétence socioculturelle dans l’apprentissage et l’enseignement des langues, Conseil de
l'Europe, 1997, p. 14.
2. Liens et échanges scolaires en Europe – Vade-mecum, Conseil de l'Europe, p. 14.

32
Communication dans un contexte de pluralisme

identité linguistique et culturelle se replie sur elle-même comme dans un


sanctuaire assiégé où la langue peut devenir l’âme jalousement protégée de la
communauté et le code secret protégeant celle-ci des dangers extérieurs.

Dans ce cas, la fonction communicative de la langue se réduit dramatique-


ment et l’interculturel devient plutôt de l’«intraculturel», car, au lieu de
découvrir l’autre et s’adapter à lui, on butte sur une identité agressive, refer-
mée sur elle-même, finissant par interdire tout contact autre que superficiel et
par laisser les choses en l’état.

Le Conseil de l’Europe, dans la ligne des réflexions déjà évoquées sur les
anciennes et nouvelles minorités, a bien mesuré la gravité du problème, ce qui
explique l’intérêt croissant porté aux langues minoritaires dont la situation a
donné lieu à divers bilans, parfois très récents1. De ces travaux il ressort que
des mesures ont permis d’améliorer la place laissée à des langues minoritaires
dans l’éducation, utilisées pour l’enseignement de certaines matières. Mais,
pour autant, on ne saurait sous-estimer les multiples obstacles qui s’opposent
à une véritable égalité de traitement entre une langue dominante, à tort ou à
raison qualifiée souvent de nationale, et des langues minoritaires. Le désen-
clavement des langues minoritaires et régionales risque donc de rester relatif
en dépit des efforts qui peuvent être fait par les gouvernements ou la société.

C’est ce qui, aux yeux du Conseil de l’Europe, doit faire privilégier un autre
choix, celui du multiculturalisme2, la seule voie pour rétablir des relations
d’équité dans un dialogue interculturel rééquilibré et revigoré grâce à une
refonte de la notion d’identité. La perspective multiculturelle substitue en
effet une vision polycentrique à l’opposition de deux identités culturelles, très
fréquemment en position de duel. Il faut que les identités culturelles, au lieu
de vouloir s’affirmer dans une absolue singularité, acceptent de se retrouver
dans une pluralité où elles se placent sur un même plan dans des relations
d’égalité et de reconnaissance réciproque. Il faut que chaque identité cultu-
relle, en harmonie avec cet environnement, s’accepte comme plurielle et donc
partage avec d’autres certaines de ses caractéristiques à titre réciproque. Dès
lors, la langue reste une caractéristique importante mais elle peut se partager
______
1. Voir «Résultats d’une enquête préliminaire sur la diversité linguistique en éducation : obstacles
et solutions possibles», in La diversité linguistique en faveur de la citoyenneté démocratique,
Conseil de l’Europe, 2000.
2. Voir «Le glissement vers le multiculturalisme et les fondements pour une démocratie
plurielle», in Leclef, Daphné, La gestion de la diversité culturelle, Conseil de l’Europe, 1997,
chapitre II.2.

33
Figures de l’interculturel dans l’éducation

comme d’autres aspects, des données économiques ou des éléments du patri-


moine artistique. Il restera également à accepter que l’identité n’ait plus la
solidité et la pérennité d’un matériau unique mais que, dans le réseau d’inter-
dépendances et d’interrelations où elle se situe, elle connaisse des évolutions
dans la perception qu’elle a d’elle-même et des autres, et donc aussi dans sa
réalité même.
Le passage au multiculturalisme évite de bloquer une relation interculturelle
dans une tentative de dialogue entre deux interlocuteurs inconciliables. Pour
illustrer cela, au lieu de jeter un pont entre deux rives, on doit créer un réseau
multipolaire et multidirectionnel. En même temps il convient de mesurer les
limites de la communication : trop étroitement ciblée, la communication
laisse en effet de côté la poursuite de relations interculturelles riches et
complexes. Pour s’élargir et s’approfondir dans un mouvement sans fin, la
communication reste un effort permanent d’investigations, de rapproche-
ments et de conciliations. De ce fait elle n’est jamais un résultat que rien
ne vient remettre en cause. La part d’incommunicable qui simultanément la
stimule et la retient doit être réduite.

Du pluralisme linguistique au pluralisme des médias


La perspective multiculturelle doit aussi permettre de passer de la pluralité
des langues au pluralisme linguistique, qui, entre autres conditions, implique
le pluralisme des médias.
La pluralité linguistique est le constat de la coexistence de plusieurs langues
sur un territoire ou différents territoires. Le pluralisme linguistique est la
volonté de reconnaître à ces langues une égalité de principe en dépit des sorts
contrastés que peuvent valoir à chacune son statut ou son niveau de diffusion
et d’usage. Ce pluralisme n’efface pas les écarts entre les situations de
langues majoritaires et celles de langues minoritaires, mais évite de transfor-
mer ces écarts en hiérarchisations et de négliger la valeur symbolique à accor-
der à certaines initiatives, notamment dans le domaine de l’éducation où, à cet
égard, la loi du tout ou rien serait souvent le plus mauvais choix. Entre un
bilinguisme ou un plurilinguisme officiellement admis et la pratique d’une
langue réduite au milieu familial, il faut laisser place à des paliers intermé-
diaires, comme des écoles utilisant une langue d’enseignement unique ou
d’autres utilisant plusieurs langues selon les matières. L’éducation est aussi
un domaine perfectible sur le plan de la situation des langues étrangères,
minoritaires ou régionales. Les démarches de l’administration ou des familles

34
Communication dans un contexte de pluralisme

ont toujours plus de chances d’aboutir si elles cherchent davantage à instaurer


ou préserver des équilibres qu’à trancher entre des situations de concurrence.

On ne saurait oublier ici les médias en raison des nombreux retentissements


qu’ils peuvent avoir sur les plans linguistique et culturel. Comme le souli-
gnent les recommandations et les conclusions de la Conférence «Vivre le
multilinguisme européen», il faut «mieux définir le rôle de chacun des médias
dans l’apprentissage des langues […] diversifier les médias mis à la disposi-
tion des enseignants […] envisager l’élaboration d’ensembles didactiques
multimédia1». Tous les apports possibles de la presse, de la radio, de la télé-
vision et des nouvelles technologies sont ainsi repérés. De son côté, la
Résolution no 1 de la Conférence des ministres de la Culture de 1984 souligne
l’importance des médias pour «préserver ou développer les identités cultu-
relles spécifiques». Cependant, maints indices incitent à penser que cela est
loin d’être toujours le cas.

Il a fallu ainsi insister fortement sur la nécessité pour les médias de bien
veiller à jouer ce rôle et recommander le développement d’une éducation aux
médias permettant des recours face à des formes ou des contenus de commu-
nication se détournant de la mission attendue. Des insuffisances seront
dénoncées à maintes reprises. On constate, à propos des migrants, que les
médias ont souvent imposé un traitement inégalitaire, ce qui a raréfié ou
marginalisé les informations qui les concernent le plus directement2. Le projet
«Démocratie, droits de l’homme, minorités : les aspects éducatifs et culturels»
soutiendra que dans les journaux, à la radio, à la télévision, les groupes mino-
ritaires sont presque toujours victimes de présentations à la fois insuffisantes
et biaisées. Bien entendu, la langue de ces groupes reste la plupart du temps
absente des colonnes des quotidiens ou des programmes de radio et de télé-
vision. De plus, les journalistes apportent souvent une note folklorique aux
situations rapportées, ou même les abordent d’une façon telle qu’elles provo-
quent des réactions de rejet. C’est surtout le cas avec les populations immi-
grées, mais les autres groupes minoritaires bénéficient rarement d’un
traitement plus avantageux. L’entrée en lice de médias de proximité ou de
stations de radio communautaires peut pallier l’inconvénient du recours à la
seule langue de large diffusion et permettre de recueillir des témoignages plus
directs et plus fiables. Ce n’est toutefois pas à coup sûr la meilleure solution
______
1. Vivre le multilinguisme européen, op. cit..
2. Voir Perotti, Antonio, Plaidoyer pour l’interculturel, Conseil de l’Europe, 1994, p. 113.

35
Figures de l’interculturel dans l’éducation

parce qu’elle peut entraîner une «ghettoïsation1». En somme, il faut convenir


que «les médias présentent davantage la réalité qu’ils ne la reflètent, et cette
représentation élude le plus souvent la pluralité de vues et la pluralité des
formes culturelles2».

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’une éducation aux médias soit
indispensable. Car s’il est vrai que des mass media libres, pluralistes, ont un
rôle important à jouer dans l’éducation, trop de messages par leur facture ou
leur teneur interdisent qu’il en soit ainsi. En même temps qu’un large recours
aux médias est encouragé, la prudence à leur égard s’impose donc. Dès 19613,
la CPME signale les bénéfices à attendre de la télévision pour l’éducation des
adultes et, en 19624 , les étend à toutes les formes d’éducation. Cependant, en
1987, une recommandation de l’Assemblée parlementaire encourage l’intro-
duction dans les écoles de cours sur l’«appréciation critique des productions
de la télévision et des médias5» et, tout récemment, le projet «Education à la
citoyenneté démocratique» est revenu à la charge avec un séminaire sur l’ap-
proche critique des médias dans l’éducation civique6. En tout cas, l’éducation
aux médias, préconisée dès l’école primaire dans le sillage du projet sur l’édu-
cation des migrants, fait désormais partie des activités du Conseil de l’Europe
et l’objet de publications7 et de nombreux stages de formation continue pour
les enseignants8.

La figure de l’interculturel comme communication se trouve de la sorte en


même temps réaffirmée et quelque peu retouchée. La communication est bien
une dimension fondamentale de l’interculturel, ce par quoi l’interculturel se
manifeste le plus clairement, par la mise en contact de personnes, de groupes,
d’institutions appartenant à des cultures différentes. Les médias, toutefois, en
substituant le texte et l’image aux situations matérielles de communication et
en les démultipliant n’apportent pas forcément la facilité d’échange qu’on
aurait pu attendre et dont les nouvelles technologies font encore davantage
______
1. Voir Leclef, Daphné, op. cit., p 61.
2. Audigier, François, op. cit.
3. CPME, 1961, Résolution no 4.
4. CPME, 1962, Résolution no 4.
5. Recommandation 1067 (1987).
6. Critical approach to the media in civic education, Conseil de l’Europe, 2002.
7. Voir Masterman, Len, Le développement de l’éducation aux médias dans l’Europe des années
80 et Masterman, Len et Mariet, François, L’éducation aux médias dans l’Europe des années 90.
8. Voir par exemple les rapports des deux stages DECS/SE/BS/Donau(93) 1 et DECS/SE/
DHRH(95) 15.

36
Communication dans un contexte de pluralisme

miroiter l’espoir. La communication peut sembler «naturellement» inter-


culturelle grâce à l’internationalisation des informations à laquelle il suffit
de s’abandonner pour rencontrer d’autres personnes et d’autres cultures.
Pourtant, la communication devient plus difficile. Non pas tellement à cause
de la masse des informations à assimiler, mais en raison des précautions à
prendre pour vérifier leur exactitude et surtout la véracité de leurs interpréta-
tions dans un domaine où les faits en eux-mêmes n’ont qu’une valeur relative.
Une culture est avant tout un ensemble de significations et de symboles qui
peuvent être littéralement détruits par une vision erronée. C’est ce que devrait
éviter l’éducation aux médias. Il en résulte que si la communication lin-
guistique exige de longs efforts pour maîtriser la langue puis l’utiliser à
bon escient, la communication qui recourt aux médias en exige de bien
plus sérieux, du moins de la part de ceux qui les utilisent. La prudence, voire
la méfiance, sont de règle, et la communication qu’on aurait envisagée
essentiellement comme ouverture à l’autre pourrait devenir résistance et peut-
être même fermeture à celui-ci. Il faudrait tout au moins savoir discerner
la vraie communication de la fausse, la communication réelle de la pseudo-
communication, et donc en fin de compte distinguer l’interculturel, qui est la
rencontre ou la confrontation de cultures appréhendées dans leur qualité
intrinsèque, de l’interculturel factice, lié aux rapprochements artificiels vidés
de sens.

Tout cela nous rappelle que les figures de l’interculturel peuvent se distinguer
mais qu’elles ne sont pas complètement dissociables. Nous avons ici une
bonne illustration du phénomène. La figure de la communication se colore
d’une dimension critique que l’on retrouve, fortement accentuée et d’une
plus grande portée, dans l’approche de l’interculturel par la connaissance
historique.

37
III. L’INTERCULTUREL COMME RÉFLEXION CRITIQUE SUR L’HISTOIRE
DANS L’EUROPE D’AUJOURD’HUI

Si l’interculturel comporte toujours une dimension critique, c’est à propos des


démarches de la connaissance historique que celle-ci s’affiche le plus nette-
ment. Dès le début de ses activités, le Conseil de l’Europe a prêté une atten-
tion particulière à la connaissance historique. Selon le préambule et l’article 2
de la Convention culturelle européenne, chaque Etat membre, outre l’appren-
tissage des langues étrangères, doit encourager l’étude de sa propre histoire et
de celle des autres pour apporter «sa contribution nationale à l’héritage
culturel de l’Europe». Cet engagement doit s’étendre à l’étude des civilisa-
tions qui, à l’époque, s’effectue encore pour la plus large part dans le cadre de
l’histoire. Celle-ci a donc une véritable importance stratégique pour que
soient respectés et mis en œuvre les idéaux et les principes sur lesquels se
fonde l’action du Conseil de l’Europe. La Recommandation 1283 (1996) de
l’Assemblée parlementaire relative à l’histoire et l’apprentissage de l’histoire
en Europe réaffirme, dans son article 2, que l’histoire «a un rôle politique clé
à jouer dans l’Europe d’aujourd’hui».
On devine les obstacles à surmonter pour arriver à cet objectif. Dans l’immé-
diat après-guerre, comme le révélera l’examen des manuels scolaires, les
situations ne sont pas toujours évoquées avec une objectivité suffisante pour
qu’elles soient envisagées sans refus ni blocages. La guerre froide renforcera
ces préventions. La période récente n’est pas non plus exempte, comme dans
les Balkans, de débats passionnés qui risquent de compromettre les chances
d’examiner avec sérénité les événements du passé ou du présent. Du reste,
toutes ces incertitudes ont été retracées lors du Colloque sur l’apprentissage
de l’histoire en Europe, organisé en liaison avec l’adoption de la recomman-
dation déjà mentionnée1.
C’est dire combien la figure de l’interculturel comme réflexion critique s’im-
pose naturellement dans la vision historique, et tout particulièrement dans
les enseignements scolaires. Il est en effet à peine nécessaire de rappeler, que
dans les divers pays, les programmes d’histoire sont considérés comme
essentiels pour la transmission du patrimoine national. On évite difficilement
la question de savoir si les analyses historiques respectent bien les règles
______
1. L’histoire et l’apprentissage de l’histoire en Europe, Assemblée parlementaire, Conseil de
l’Europe, 1996.

39
Figures de l’interculturel dans l’éducation

supposées les régir. Ces préoccupations seront présentes dans toutes les
réflexions sur l’enseignement de l’histoire, et tout particulièrement dans le
projet «Apprendre et enseigner l’histoire de l’Europe du XXe siècle», lancé
en 1996, qui a donné lieu à la production d’un important matériel pédago-
gique devant aider les enseignants d’histoire à ne pas tomber dans ces travers.

Enseignement de l’histoire et lutte contre les stéréotypes et les préjugés


Au lendemain de la guerre, une des orientations les plus indispensables à don-
ner à l’enseignement de l’histoire était de le mettre à profit pour surmonter de
multiples idées préconçues qui avaient exacerbé les passions et les violences
pendant le conflit, et avaient laissé des séquelles bien visibles après. Il fallait
s’efforcer de faire à nouveau se rencontrer des pays et des cultures qui
n’avaient plus eu de contacts pendant des années, que la rencontre soit sous un
autre regard, détaché d’impressions erronées1.
Il y avait là une amorce de la mise en relation d’univers presque résolus à
s’ignorer et les prémices des résultats qu’on pouvait attendre de ces rappro-
chements. L’interculturel se présentait bien comme une voie possible de la
réconciliation. Depuis lors, de nombreuses initiatives ont pu montrer qu’il
offre toujours un recours contre les formes ouvertes ou larvées de xéno-
phobie, de racisme ou de nationalisme. En 1995, le Conseil de l’Europe a, du
reste, encore jugé opportun de publier une synthèse des travaux menés dans
cet esprit2.
Il fallait toutefois reconnaître aussi que la réalité des situations pouvait être
déformée autant par une information insuffisante que par une information
biaisée. La perspective interculturelle était seulement viable si les différentes
cultures qu’elle devait mettre en contact bénéficiaient toutes d’un éclairage
satisfaisant. Sur le plan de l’enseignement de l’histoire, comme en fait sur
celui des autres matières, il fallait donc que, comme on le rappelait depuis
longtemps, les élèves de chaque pays acquièrent un minimum de connais-
sances sur les autres.
C’est bien entendu à propos de l’histoire européenne que les lacunes paraî-
tront d’abord devoir être comblées. Entre 1953 et 1958, plusieurs conférences
internationales seront organisées afin d’identifier les oublis les plus graves
______
1. L’ouvrage de E. Bruley et de E. H. Dance, A history of Europe, Sythoff, Leyde, 1960, retrace
les conclusions des réunions tenues à ce sujet entre 1953 et 1958.
2. Contre les stéréotypes et les préjugés, Conseil de l’Europe, 1995.

40
Réflexion critique sur l’histoire

dans les manuels scolaires et d’envisager les moyens d’y remédier. Des sémi-
naires de formation continue des enseignants sur le thème de «L’Europe à
l’école» seront organisés, durant lesquels il s’agira aussi de voir comment un
minimum de connaissances sur les divers pays du continent éviterait des igno-
rances trop criantes et les idées fausses qui en découlent. Les efforts ne se
limiteront pas pour autant à l’Europe. D’autres séminaires, d’autres actions de
formation continue pour les enseignants sur le thème «Le monde à l’école»
aborderont des horizons trop souvent délaissés comme l’Amérique du Nord et
du Sud, ou l’Asie. Parallèlement, l’éducation au développement fournira
l’occasion d’évoquer des régions encore plus rarement présentées aux élèves.
Cet élargissement était nécessaire pour éviter que l’interculturel tombe dans
un européocentrisme, qui correspondrait à sa propre négation.

De cette manière, c’est comme une fonction réparatrice de l’interculturel qui


s’exerce pour que les cultures favorisées par les rapports de force ou les
hasards n’accaparent pas toute l’attention au détriment des autres. Cette fonc-
tion-là sera bien visible dans les démarches qui se proposeront de faire préva-
loir, sur des événements ou des périodes, un point de vue différent de celui
qu’ont pu imposer ceux qui étaient supposés être le plus directement concer-
nés. On proposera par exemple des «Orientations pour une présentation de la
Révolution française dans une perspective européenne» qui devront rendre
acceptables par un groupe d’enseignants en majorité non français une
chronologie et des analyses de la période qui pourront s’écarter sensiblement
des points de vue généralement adoptés par les historiens ou les professeurs
d’histoire français. Ici, l’interculturel s’installe dans les regards croisés
comme y incitait la Recommandation no R (84) 18 du Comité des Ministres
sur la formation des enseignants à une éducation pour la compréhension
interculturelle, notamment dans un contexte de migration. Le groupe majori-
taire et le groupe minoritaire peuvent se retrouver sur le même plan en échap-
pant aux appréciations unilatérales qui créent inévitablement des distances et
des oppositions.

Si dans ces cas-là la fonction critique de l’interculturel peut s’exercer avec


une relative aisance, il y en a bien d’autres où elle semble contrainte de
se transformer en revendication ouverte, peu disposée aux concessions. Ce
changement de registre a déjà pu être perçu à propos des migrants qui, en
dépit d’un séjour prolongé dans un pays d’accueil, continuaient de souffrir du
préjudice d’une trop incomplète reconnaissance de leur spécificité. Mais
depuis la fin des années 1980, les groupes susceptibles d’exprimer une telle

41
Figures de l’interculturel dans l’éducation

revendication deviennent de plus en plus nombreux avec la résurgence des


minorités en Europe centrale et orientale ou les affrontements en Europe du
Sud-Est. Pour ces raisons, on pouvait s’attendre à une radicalisation du carac-
tère revendicatif que peut prendre la fonction critique de l’interculturel. Comme
l’indique à juste titre le projet «Démocratie, droits de l’homme, minorités : les
aspects éducatifs et culturels», il ne saurait y avoir de «vision interculturelle de
l’histoire» s’il n’a pas été possible «pour tous d’acquérir et d’intégrer l’exis-
tence et les éléments fondateurs de la diversité culturelle1», en d’autres termes
si chaque minorité ne bénéficie pas simultanément d’une connaissance de sa
propre histoire et de celle des autres. L’histoire des minorités devrait donc être
introduite dans tous les programmes d’histoire afin que les minorités, grâce à la
redécouverte d’elles-mêmes, et les groupes majoritaires, grâce à l’abandon de
leurs ignorances et de leurs préjugés, puissent de concert retrouver, dans une
interculturalité restaurée, la bonne entente et le respect mutuel.

Le Conseil de l’Europe a bien conscience de l’importance à accorder à de


telles démarches sans faux-fuyants ni faux-semblants. Dès ses premières
lignes, la Recommandation 1283 (1996) de l’Assemblée parlementaire
énonce : «Tout individu a le droit de connaître son passé ainsi que de le désa-
vouer. L’histoire est l’un des moyens de retrouver ce passé et de forger une
identité culturelle. C’est aussi une porte ouverte sur l’expérience et la richesse
du passé et d’autres cultures. L’histoire est une discipline qui développe l’ap-
proche critique à l’information et l’imagination contrôlée2.»

Les dangers du repli nationaliste

On sait pourtant que l’ethnocentrisme et tous ses prolongements peuvent tou-


jours compromettre cette approche en inspirant des conceptions de supériorité
ou des formes de mauvaise foi qui enferment ceux qui les professent dans le
refus du dialogue et l’intolérance. La nationalisme, dans ses multiples mani-
festations, a depuis longtemps fait preuve de ses fâcheuses capacités à cet
égard.

Les nationalismes sont indissociables d’un maniement si contestable de l’idée


de nation et de la conception à se faire de l’histoire nationale qu’on ne peut se

______
1. Leclef, Daphné, op. cit., p. 58.
2. Recommandation 1283 (1996) de l’Assemblée parlementaire relative à l’histoire et l’appren-
tissage de l’histoire.

42
Réflexion critique sur l’histoire

dispenser de mettre en garde contre les interprétations erronées auxquelles


celles-ci peuvent conduire. Le séminaire déjà cité sur l’histoire et l’apprentis-
sage de l’histoire en Europe revient à maintes reprises sur les ambiguïtés de
l’histoire nationale. D’un côté elle se justifie dans la mesure où «personne ne
peut contester à une communauté le droit à son histoire1». Mais, d’un autre
côté, l’histoire nationale incite à transformer des mythes en contre-vérités
dangereuses, surtout quand elles se retrouvent dans les médias et les pro-
grammes scolaires pour devenir souvent des instruments de manipulation.
L’identité coulée dans le moule national a ainsi tendance à se replier sur elle-
même et à éviter les contacts avec toutes les réalités ou tous les interlocuteurs
qui pourraient ne pas conforter son évidence indiscutable.
Il faudrait donc adopter un concept plus souple de l’Etat-nation. Il n’est pas
question que, sous l’effet de forces centrifuges destructrices, l’Etat-nation soit
privé de l’unité et de l’originalité auxquelles il peut prétendre sur de multiples
plans. Mais il faudrait qu’il devienne moins monolithique et plus ouvert à des
relations en profondeur avec des voisins proches ou lointains, même s’ils ont
pu être à une époque considérés comme des ennemis invétérés. Pour tenter de
nuancer le monolithisme national, le Conseil de l’Europe a réservé dans ses
activités sur l’enseignement de l’histoire une place croissante à l’histoire
locale pour mieux faire accepter l’idée d’une coexistence normale entre une
identité nationale et des identités régionales. Par ailleurs, l’accent mis sur la
nécessité d’accéder à une vision européenne de l’histoire a eu comme objec-
tif de relativiser les conflits en les faisant apparaître comme appartenant à une
époque révolue.
Les dangers d’une focalisation sur un modèle national sans souplesse sem-
bleront devoir être particulièrement dénoncés après 1989 quand de forts
courants nationalistes verront le jour en Europe centrale et orientale. Dans ce
contexte, il faudrait alors convenir qu’«un enseignement de type nationaliste,
loin de consister simplement à familiariser les étudiants avec l’histoire de leur
groupe national et de leur nation, leur propose une vision partiale ou stéréo-
typée de l’histoire de leur nation afin de leur inculquer […] qu’ils sont à
certains égards supérieurs aux autres groupes ou nations, que leur parti-
cularité ne peut s’exprimer que par le biais d’une domination politique du
pays, au mépris des autres nationalités qui peuvent y vivre2». Les évolutions
______
1. Leclef, Daphné, op. cit., p. 21.
2. La compréhension mutuelle et l’enseignement de l’histoire européenne : défis, problèmes et
stratégies, Document CC-AD/HIST(95)16, Conseil de l'Europe, 1996, p. 22.

43
Figures de l’interculturel dans l’éducation

intervenues en Europe du Sud-Est conduiront à des constats encore plus alar-


mants : «Il y a une tendance à présenter l’histoire de la nation comme si c’était
une continuité sans rupture liant le présent au passé le plus éloigné. Toute dis-
continuité dans l’histoire est présentée comme une aberration. On insiste plus
sur le caractère unique de la nation que sur l’héritage partagé avec d’autres.
On insiste sur l’homogénéité (de la population, de la culture, de la langue et
du patrimoine) ; la diversité ethnique et culturelle est ignorée. Il y a aussi une
tendance à mettre un fort accent sur les conflits – aussi bien ceux qui illustrent
de glorieuses victoires que ceux qui justifient en permanence la peur, le
besoin de défense, la haine – plutôt que sur les périodes de coexistence paci-
fique et de coopération mutuelle1».

Un autre danger tout aussi grave, la focalisation sur un modèle national rigide
et intolérant incitant les «nouvelles» minorités à ne pas envisager d’autres
issues. Ainsi se créent des «situations qui risquent d’être explosives2». La
coexistence dans des sociétés plurielles est refusée. Sont reprises des revendi-
cations radicales d’une inspiration comparable à celle des mouvements les
plus nationalistes qui feraient des minorités jadis opprimées de futurs oppres-
seurs si elles en avaient l’occasion. Il faudrait précisément espérer que
l’Europe puisse échapper à une loi du talion maquillée en celle d’un juste
retour des choses.

Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que les professeurs d’histoire, sur-
tout dans les écoles secondaires où les élèves par leur âge sont très réceptifs
aux passions ambiantes, se sentent confrontés à de redoutables défis. Ils
voient l’histoire utilisée pour stimuler le sentiment d’identité dans la majorité
comme dans les minorités, avec la mise en circulation de stéréotypes ou
d’images malsaines et une «position prévalente et dominatrice de l’histoire
nationale». Celle-ci est également exploitée pour alimenter la résurgence du
nationalisme dont «aucune force politique ou sociale puisse compenser la
force» en Europe de l’Est après les brèves effusions consensuelles qui avaient
marqué les journées de soulèvement contre le pouvoir communiste3.
______
1. History and History Teaching in South Eastern Europe, Document DCES/EDU/HIST(99)63,
Conseil de l’Europe, 1999.
2. Les droits culturels au Conseil de l’Europe (1947-1997), Conseil de l'Europe, 1997, p. 27.
3. L’enseignement de l’histoire et la promotion des valeurs démocratiques et de la tolérance,
manuel destiné aux enseignants, Document CC-ED/HIST(96)1, Conseil de la coopération
culturelle, Conseil de l'Europe, 1996, pp. 22-23.

44
Réflexion critique sur l’histoire

La réconciliation dans l’interculturel

Ce diagnostic considère que pour échapper à ces claustrations et ces refus des
initiatives s’imposent1: développer l’histoire globale d’une région ; multiplier
les points de vue sur l’histoire de cette région ; faciliter aux historiens la
poursuite de recherches dans un autre pays que le leur ; établir des échanges
entre les professeurs d’histoire des divers pays ; encourager la pratique de
l’histoire comparée ; faire adopter une attitude critique dans l’interprétation
des événements. Or ce sont bien entendu là toutes les démarches liées à
l’adoption de la perspective interculturelle.

Pour que celle-ci ait les aboutissements recherchés, il est aussi indispensable
qu’elle s’accompagne de rencontres entre les personnes impliquées dans des
situations conflictuelles pour surmonter leurs oppositions ou leur malenten-
dus par le dialogue et la prise de parole. Comme on l’a vu, le processus avait
déjà eu lieu après la seconde guerre mondiale en Europe occidentale. Il a
repris un essor considérable après 1989 et encore plus après les événements
survenus en Europe du Sud-Est. Dans le cadre du Pacte de stabilité en Europe
du Sud-Est, le Conseil de l’Europe a en effet été chargé de coordonner dans le
domaine de l’histoire les efforts en vue de favoriser une meilleure connais-
sance réciproque et une meilleure entente entre les pays de la région. Dans
cette perspective a été prévu un vaste programme de rencontres entre universi-
tés, instituts de recherche, établissements scolaires, ainsi que l’élaboration de
matériel d’information utilisable dans les différents pays. Pour ne citer qu’un
exemple, en 2002 a eu lieu un séminaire sur l’enseignement de l’histoire natio-
nale dans les écoles secondaires d’Europe du Sud-Est, dont l’objectif était
d’amener un groupe d’enseignants des divers pays de la zone à envisager un
moyen de parvenir à des points de vue moins polémiques sur des événements
ou des périodes dont l’appréciation jusqu’ici les oppose radicalement.

La conceptualisation de ce qu’apporte la perspective interculturelle au plan de


la méthodologie historique permet de franchir un pas de plus. Pour l’historien
Robert Stradling2, la démarche suivie devrait se définir comme la «multi-
perspectivité», consistant à admettre la pluralité d’interprétations à laquelle
peut être soumis tout objet de la connaissance historique et qui entraîne moins
______
1. Ibidem.
2. Voir Stradling, Robert, Multiperspectivity in history teaching, a guide for teachers, Conseil de
l’Europe (à paraître) et, du même auteur, Enseigner l’histoire de l’Europe du XXe siècle, Conseil
de l'Europe, 2001, chapitre 10 : La vision plurielle de l’enseignement de l’histoire.

45
Figures de l’interculturel dans l’éducation

sur la voie d’un relativisme généralisé que sur celle de la modestie et de la


tolérance. Car il faut se résoudre à accepter l’idée que la connaissance exis-
tante d’un phénomène n’est qu’une très faible partie de toute la connaissance
possible, et qu’un autre point de vue peut toujours survenir, à condition toute-
fois d’être étayé par l’information autorisant à le soutenir. C’est ce qui fonde
un lien très profond et bien prévisible entre la connaissance historique et l’in-
terculturel. La réflexion historique signifie en permanence une découverte
d’idées, de sentiments et de comportements, que l’observateur doit examiner
comme s’il n’était pas lui-même en mesure de les analyser avec l’objectivité
requise. Mais, en même temps, l’observateur doit rester suffisamment proche
de l’objet de sa recherche pour ne pas manquer le sens de ce qu’il déchiffre.

La nécessité d’une telle démarche a été encore plus nettement affirmée dans
la récente recommandation du Comité des Ministres sur l’enseignement de
l’histoire au XXIe siècle1. Ce texte insiste en effet tout particulièrement sur les
attitudes à développer dans ce sens chez les élèves pour qu’ils aient «la capa-
cité intellectuelle d’analyser et d’interpréter l’information de manière critique
et responsable à travers le dialogue […] et grâce à un débat fondé sur une
vision plurielle, en particulier sur les questions controversées et sensibles2».

La portée de cette recommandation ne se limite pas à ce seul aspect de l’ap-


prentissage de l’histoire. En réalité, elle consacre, synthétise et approfondit
toutes les approches dont la connaissance historique a été l’objet pendant les
deux dernières décennies dans la perspective de l’interculturel, et plus spécia-
lement dans sa dimension de réflexion critique. Elle rappelle bien entendu que
l’enseignement de l’histoire doit «jouer un rôle essentiel dans la promotion de
[…] la tolérance, la compréhension mutuelle, les droits de l’homme et la
démocratie, être un facteur de réconciliation […] entre les peuples». Le texte
met également en garde contre l’exploitation de l’histoire pour la «promotion
des valeurs ultranationalistes, xénophobes, racistes ou antisémites et intolé-
rantes3». Mais l’accent est mis encore plus fortement qu’ailleurs sur les
dérives inacceptables que constituent le recours à des «représentations
erronées de l’histoire», au «discours de haine» déjà stigmatisé par la
Recommandation no R (97) 20 du Comité des Ministres ou aux «falsifications
[…] et manipulations idéologiques4».
______
1. Recommandation Rec(2001)15.
2. Ibidem, annexe, paragraphe 2.
3. Ibidem, annexe, paragraphe 1.
4. Ibidem, «considérants».

46
Réflexion critique sur l’histoire

Ainsi, en écho à la recommandation adoptée en 1996 par l’Assemblée parle-


mentaire, ce nouveau texte témoigne de la poursuite de l’intérêt du Conseil de
l’Europe pour l’enseignement de l’histoire, de l’enseignement interculturel
de l’histoire, et plus généralement dans la mise en œuvre d’une éducation
interculturelle.

L’interculturel réside dans les chances de pouvoir accéder à une «altérité


relative» entre les individus et les cultures. Les individus peuvent conserver
leurs spécificités sans pour autant être voués à des coupures ou des oppo-
sitions radicales. La connaissance historique est sans doute à cet égard
une des meilleures voies à emprunter de par l’extrême richesse qu’elle donne
à la figure de l’interculturel comme réflexion critique. D’une assez modeste
capacité à redresser des erreurs factuelles, comme celles que l’on trouve dans
les manuels scolaires, elle peut devenir une thérapie des idéologies les plus
néfastes.

47
IV. L’INTERCULTUREL COMME PARTICIPATION AUX VALEURS DE LA
CITOYENNETÉ

La perspective et la pratique interculturelles ont toujours été considérées


comme indissociables des valeurs défendues par le Conseil de l’Europe. Nous
l’avons constaté dans le chapitre précédent avec les bénéfices attendus d’un
enseignement de l’histoire soucieux de transmettre un passé commun tout en
respectant l’autre et en veillant à ce que les différences d’opinion, inévitables
et même souhaitables, ne dégénèrent pas en oppositions insurmontables.
L’adaptation aux besoins particuliers des migrants ou d’autres groupes consti-
tuent tout autant des démarches guidées par le souci de faire prévaloir des
attitudes fondamentalement liées au respect des valeurs qui définissent la
mission du Conseil de l’Europe. La volonté de découvrir et de respecter
l’autre renvoie au sens de la démocratie, de la tolérance et des droits de
l’homme, qui doit régir les rapports entre les Etats et les sociétés, ainsi que les
relations entre les personnes en leur sein. C’est leur prévalence qui confère à
l’Europe une spécificité et une dynamique par lesquelles elle doit en même
temps se reconnaître et s’approfondir.
Toutefois, dans les initiatives examinées jusqu’ici, la priorité a été plutôt
d’identifier les pratiques permettant d’assurer le respect de ces valeurs que de
procéder à l’analyse intrinsèque de celles-ci. Une telle analyse risque d’être
facilement accusée de se cantonner dans la théorie. Il est sans doute préférable
de se concentrer sur des pratiques où les valeurs restent lisibles et ne sont pas
laissées dans l’abstraction des principes.
Depuis les années 1990, cependant, les sociétés européennes connaissent des
difficultés incitant à se demander si un rappel vigoureux de ces principes ne
s’impose pas pour rendre les choix plus clairs et les actes plus déterminés. On
constate des «situations de violence, d’oppression et de discriminations
graves qui perdurent et parfois s’amplifient à l’égard de personnes et de com-
munautés en raison de leurs spécificité culturelle1». Le Secrétaire Général du
Conseil de l’Europe tient des propos encore plus alarmistes : «Au seuil du
nouveau millénaire, même les sociétés démocratiques apparemment solides
sont exposées à des risques. Se sentant rejetés, insuffisamment associés aux
décisions qui les concernent, les citoyens, je pense notamment aux jeunes,
______
1. Projet «Démocratie, droits de l’homme, minorités : les aspects éducatifs et culturels», synthèse
et conclusions de la conférence finale, Conseil de l’Europe, 1997, p. 16.

49
Figures de l’interculturel dans l’éducation

manifestent une désaffection inquiétante pour la chose publique ; on sent […]


un désenchantement qui va de pair avec une méfiance croissante, voire un
manque de respect, envers les institutions démocratiques. La corruption,
l’opacité de l’administration, la lenteur de la justice menacent la prééminence
du droit. L’intolérance, le racisme et l’antisémitisme violent les droits
humains […] Toutes ces tendances peuvent favoriser un sentiment de désinté-
gration sociale1.»
Pour faire apparaître de manière plus explicite les principes devant guider les
réflexions et les comportements, la citoyenneté démocratique, concept dont il
faut définir la visée et les conduites qu’il appelle, a été mis au premier plan.
Le projet «Education à la citoyenneté démocratique», lancé en 1997 et
terminé en 2000, a été consacré à cette investigation. Il n’est cependant pas
sans rapports avec le projet «Démocratie, droits de l’homme, minorités : les
aspects éducatifs et culturels», conduit de 1993 à 1997, qui a déjà été
évoqué à plusieurs reprises. En effet, la citoyenneté est devenue un moyen
de reconnaître aux minorités le statut qui consacre leur existence dans des
sociétés multiculturelles sans leur nier les droits les plus essentiels. La dimen-
sion européenne de l’éducation, telle qu’elle a été envisagée dans plusieurs
déclarations officielles et abordée dans le projet «Un enseignement secon-
daire pour l’Europe», représente également un aspect non négligeable de la
rencontre entre l’interculturel et la citoyenneté. Avant d’examiner plus préci-
sément la relation entre l’interculturel et la citoyenneté en tant que telle,
nous allons d’abord la rattacher aux deux autres projets, à savoir la dimension
européenne et l’enseignement secondaire en Europe

La dimension européenne et l’éducation pour l’Europe


A première vue, l’introduction de la dimension européenne dans l’éducation
peut sembler assez éloignée des préoccupations inhérentes à la promotion de
la citoyenneté démocratique. Car s’il est vrai que la dimension européenne
doit être introduite avec le souci de renforcer le sentiment d’appartenance à
l’Europe démocratique, c’est surtout pour une meilleure connaissance du
patrimoine culturel européen qu’elle doit être mise à profit, et donc surtout sur
des aménagements pédagogiques qu’elle repose. Du reste, il est bien précisé
que l’Europe dont il s’agit n’est celle d’aucune organisation politique2.
______
1. Projet «Education à la citoyenneté démocratique», rapport de la conférence finale, Conseil de
l’Europe, 2000, pp. 75-76.
2. Assemblée parlementaire, Recommandation 1111 (1989), alinéa 5.

50
Participation aux valeurs de la citoyenneté

Cependant, si l’on se reporte aux textes officiels qui définissent les objectifs
de cette introduction et à la manière dont celle-ci est conçue dans le projet où
elle prend place, sa relation et avec l’interculturel et avec la citoyenneté
devient immédiatement évidente.

Ce double lien est déjà bien visible à travers la Recommandation 1111 (1989)
de l’Assemblée parlementaire relative à la dimension européenne de l’édu-
cation. Selon ces termes, la dimension européenne de l’éducation se situe
dans le champ même de l’interculturel. Elle doit viser à développer «l’étude
des langues, de l’histoire et des civilisations», «la compréhension mutuelle
entre les peuples d’Europe» et «une meilleure connaissance de l’“autre1”».
L’intérêt pour la citoyenneté est tout aussi immédiat puisque l’introduction de
la dimension européenne se justifie «par l’idée que l’éducation doit préparer
chaque personne à vivre dans une société démocratique, en la rendant capable
d’exercer ses devoirs et responsabilités de citoyen2».

Les documents issus du projet «Un enseignement secondaire pour l’Europe»


vont dans le même sens. La formation initiale des enseignants, indispensable
pour une introduction effective de la dimension européenne dans les ensei-
gnements, doit leur inculquer le sens du pluralisme et du multiculturalisme.
La dimension européenne doit être l’occasion pour les jeunes d’acquérir les
«connaissances, les aptitudes et la mentalité nécessaires face aux grands
défis de la société». Parmi les dossiers pédagogiques réalisés pour offrir des
suggestions aux enseignants désireux d’introduire la dimension européenne
dans leur enseignement figure une Initiation à la citoyenneté. Par ailleurs, la
pratique de l’interdisciplinarité qui doit naturellement découler du recours à
la dimension européenne entraînera une valorisation de l’éducation civique
trop souvent condamnée à la portion congrue. Par exemple, les problèmes
d’environnement, la participation à la vie de la collectivité locale ou la prise
en compte des spécificités régionales devraient trouver une place de choix
dans la formation des jeunes et donc donner une nouvelle impulsion à l’inté-
rêt pour un civisme entendu plus largement et mieux compris. Dans le cadre
du projet a été menée une réflexion d’ensemble sur les programmes de l’école
secondaire qui a également permis d’insister sur la nouvelle place à faire à
tous les aspects liés à l’éducation du citoyen3. Dans ces conditions, il ne fait
______
1. Ibidem, alinéas 1 et 2.
2. Ibidem, alinéa 2.
3. Voir à ce sujet La dimension européenne dans l’enseignement secondaire, Conseil de
l’Europe, 1997.

51
Figures de l’interculturel dans l’éducation

pas de doute que le projet «Un enseignement secondaire pour l’Europe» a


bien marqué une étape pour l’ancrage de la perspective interculturelle et de la
citoyenneté démocratique dans la réflexion sur l’éducation et dans tout projet
de réforme, comme l’illustre bien la remarque selon laquelle la perspective
interculturelle est la clé de la réforme de l’enseignement secondaire1.
Il faut néanmoins noter aussi que la dimension européenne s’inscrit dans une
vision particulière de l’Europe. Non seulement il n’est pas envisagé de se
référer à un modèle politique au sens habituel du terme si ce n’est au modèle
éthique très général fondé sur les valeurs du Conseil de l’Europe. Le contraste
est frappant sur ce point avec la conception de la dimension européenne de la
Commission européenne, qui comporte des orientations pédagogiques assez
comparables à celles du Conseil de l’Europe mais qui doit «contribuer à une
citoyenneté européenne2». La perspective multiculturaliste conduit plutôt à ne
pas sous-estimer les difficultés pour accéder à l’idée d’une Europe dotée
d’une réelle cohérence. «Le parcours européen ne se décline pas avec facilité
et simplicité. Les approches géographique, historique, économique et sociale
conduisent toutes à l’exercice de la nuance3.» Il en résulte souvent que la
distinction entre la dimension européenne et la dimension internationale, ou
même mondiale, de l’éducation donne l’impression de s’estomper. Il faut sans
doute accepter ces ambiguïtés pour ne pas durcir la dimension européenne et
lui faire ainsi renier les principes qui l’inspirent. Elle doit être assez inter-
culturelle pour rester ouverte sur le monde. Elle doit pouvoir revendiquer sa
spécificité comme une des formes possibles et concrètement réalisable de
l’éducation internationale ou mondiale. Les mêmes interpénétrations vont se
retrouver dans l’idée de citoyenneté démocratique.

L’interculturel, chemin de la citoyenneté


«Une conscience élargie4» est justement le titre d’une des études réalisées
dans le cadre du projet «Démocratie, droits de l’homme, minorités : les
aspects éducatifs et culturels», qui apporte également une contribution à la
problématique de la citoyenneté sous un angle particulier. Ce projet n’est pas
______
1. Louis, Robert, The intercultural dimension as an essential factor of secondary education,
Document DECS/SE/Sec(93)19, Conseil de l'Europe, 1994.
2. Livre vert sur démocratie, droits de l’homme, minorités : les aspects éducatifs, la dimension
européenne, Document COM(93)457, Conseil de l'Europe, p. 6.
3. La dimension européenne dans l’enseignement secondaire, op. cit., p. 22.
4. Mangot, Thérèse, Une conscience élargie, analyse de l’évolution conceptuelle et politique
dans la problématique des minorités et de la diversité culturelle, Conseil de l’Europe, 1997.

52
Participation aux valeurs de la citoyenneté

sans rappeler celui de la dimension européenne de l’éducation, mais il ouvre


aussi d’autres horizons. En effet, ce projet a notamment deux objectifs :
«développer l’éducation civique, l’éducation interculturelle, la démocratie
culturelle […] examiner les aspects éducatifs et culturels de la gestion de la
diversité dans une société démocratique1». Comme en témoigne le Plaidoyer
pour une vision interculturelle de l’Europe2, le projet préconise des réorienta-
tions de l’enseignement de la plupart des disciplines dans une perspective
interculturelle qui ne se distingue pas radicalement de celle de la dimension
européenne. L’importance du multiculturalisme dans toutes les sociétés, hier
comme aujourd’hui, et surtout «le fait devenu incontournable de la multi-
culturalité interne de plus en plus généralisée de toutes les collectivités
territoriales» seront aussi très souvent évoqués3. Le projet se centre aussi sur
la situation des minorités, thème certes déjà largement traité dans les travaux
du Conseil de l’Europe, en proposant de recourir aux notions et aux instru-
ments les mieux indiqués pour la décrire, la comprendre et faciliter la solution
des problèmes qu’elle pose. La citoyenneté et l’éducation à la citoyenneté
permettent de donner toute sa signification à l’ancrage des sociétés dans le
multiculturel et l’interculturel.

Dans cette démarche est mise en évidence l’évolution de la notion d’identité.


Que ce soit à propos de la communication ou de l’approche historique, la
conviction s’est établie que l’on ne pouvait pas en rester à la conception d’une
identité monolithique, intouchable et éternelle. Un apport remarquable du
projet est d’avoir longuement explicité tous les facteurs qui obligeaient à
abandonner cette conception au profit de celle d’une identité perçue dans sa
complexité, ses fragilités et ses possibilités de transformation. Il faut d’abord
reconnaître que «l’identité d’un individu est complexe et multiple», que
«toute personne détient un certain nombre d’identités qui correspondent à ses
appartenances ethnique, nationale, religieuse, sociale, politique et culturelle».
L’identité nationale doit être elle aussi réexaminée. Elle est «fonctionnelle»
parce qu’elle «incarne un centre symbolique de points de références histo-
riques et intellectuels». Elle est «relativiste puisque les identités ne sont
jamais immuables ou éternelles, elles fluctuent […] Et enfin pluraliste parce
l’identité est “multiple”, complexe et comporte des “sous-identités4”». Il faut
______
1. Les droits culturels au Conseil de l’Europe (1949-1997), document du projet, p. 99.
2. Leclef, Daphné, op. cit., p. 58.
3. Grosjean, Etienne, Synthèse et conclusions de la conférence finale, Conseil de l’Europe, 1997,
p. 5.
4. Leclef, Daphné, op. cit., pp. 27 et suivantes.

53
Figures de l’interculturel dans l’éducation

en outre accepter l’originalité de l’identité culturelle qui sous certains aspects


peut coïncider avec l’identité nationale, mais aussi la dépasser sur d’autres
plans comme celui de la dimension religieuse1. Elle implique en tout cas les
«libertés inhérentes à la dignité de la personne et intègre dans un processus
permanent la diversité culturelle, le particulier et l’universel, la mémoire et le
projet2». Dans le cas des minorités, il importe bien entendu tout spécialement
de pouvoir miser sur une notion de la citoyenneté qui permette à ce processus
de se dérouler sans encombres. Mais ce serait pourtant adopter une optique
très réductrice que de considérer que seule l’existence de minorités devrait
inciter à ce choix. Avec le multiculturalisme croissant de toutes les sociétés, il
faut presque admettre que les minorités peuvent être partout ou que tous les
groupes sont exposés un jour ou l’autre à être traités comme des minorités
privées de leurs droits. Il faut donc s’en souvenir dans toute entreprise de
définition de la citoyenneté, pour l’envisager dans l’acception la plus inter-
culturelle, c’est-à-dire aussi la plus démocratique, de façon à ce qu’elle soit
bien un droit de cité pour toutes celles et tous ceux qui composent la société
où elle s’applique. Cela peut conduire à distinguer plusieurs aspects, voire
plusieurs types, de citoyenneté comme la citoyenneté politique correspondant
à l’exercice des droits et devoirs civiques traditionnels et la citoyenneté
économique dont la jouissance effective dépendrait d’une insertion socio-
professionnelle réussie. Quoi qu’il en soit, s’impose «une conception élargie
de la citoyenneté, qui laisse place à tous les droits dont sont titulaires ceux qui
habitent un même Etat, un même territoire3».

Ce projet qui porte sur les aspects éducatifs, liés à la gestion de la diversité
culturelle, accorde toute son attention aux moyens de mettre en œuvre l’édu-
cation requise pour faire prévaloir cette conception de la citoyenneté. Les
craintes que peut inspirer la fragilisation de la cohésion sociale dans la plupart
des pays européens justifient encore davantage qu’on se préoccupe d’une édu-
cation à la citoyenneté qui concerne «le politique à toutes les échelles du
fonctionnement de nos démocraties, du local à l’Etat4». Cette éducation à la
citoyenneté, dans le milieu scolaire, est couramment dénommée éducation
civique, mais elle ne doit plus seulement inculquer les règles de la vie
politique. Elle doit également être «un apprentissage de la vie quotidienne, du
______
1. Ibidem.
2. Ibidem, p. 32.
3. Audigier, François, op. cit., p. 11.
4. Ibidem, p. 33.

54
Participation aux valeurs de la citoyenneté

respect des autres, de la tolérance, de la politesse1». L’ampleur de l’enjeu est


cependant tel que l’école ne peut prétendre y faire face seule. Elle doit pou-
voir compter sur le concours d’autres partenaires, dans le contexte de sociétés
démocratiques menacées par la montée de l’incivilité. L’incivilité, sous toutes
ces formes, est un symptôme d’une profonde et dramatique pathologie, celle
de l’atteinte aux ressorts vitaux de nos sociétés.
Ici encore, l’interculturel permet de poser des questions avec la claire
conscience de ce qu’elles impliquent et de chercher des réponses mieux
adaptées à l’ampleur et à la gravité des situations. C’est l’interculturel qui, par
le biais de la prise en considération des minorités, conduit à envisager la
citoyenneté avec une ouverture qui n’exclut personne. C’est l’interculturel,
directement lié au multiculturalisme, qui propose par le partenariat une
éducation à la citoyenneté qui soit en même temps une préparation à la vie
dans des sociétés démocratiques et un remède contre leurs turbulences.

Citoyenneté, pluralisme et interculturalité


L’éducation à la citoyenneté démocratique sera l’occasion d’aborder une nou-
velle fois ces thèmes mais selon une perspective beaucoup plus large. A par-
tir des travaux antérieurs du Conseil de l’Europe sur la citoyenneté, il faut
élargir les contenus de la citoyenneté pour faire face aux profonds change-
ments des sociétés. Pour parer au danger d’un affaiblissement du civisme, il
est nécessaire de multiplier les lieux et les destinataires de l’éducation à la
citoyenneté. Pour tenir compte des contextes en permanente transformation
auxquels elle est confrontée, il convient de l’envisager désormais comme un
apprentissage à vie.
La globalisation oblige à concevoir la citoyenneté à plus grande échelle. Les
jeunes semblent déjà si peu intéressés par une citoyenneté limitée au cadre
européen2. «La citoyenneté est de moins en moins liée à un territoire parti-
culier» et «dans le contexte d’une prise de conscience mondiale» émerge
une «citoyenneté mondiale3». C’est pourquoi s’impose maintenant la notion
de «citoyenneté globale […] qui est liée au processus de globalisation
mais […] implique beaucoup plus que les seuls aspects économiques de la
______
1. Ibidem, p. 34.
2. Voir le projet «Education à la citoyenneté démocratique», rapport de la conférence finale,
p. 21.
3. Birzea, César, L’éducation à la citoyenneté démocratique : un apprentissage tout au long de la
vie, Conseil de l'Europe, 2000, pp. 10-11.

55
Figures de l’interculturel dans l’éducation

globalisation» et «porte fondamentalement sur la question clé de l’éducation


à la citoyenneté démocratique : comment vivre ensemble dans une société
démocratique globale1?»

En ce qui concerne les lieux d’éducation à la citoyenneté démocratique, ceux


déjà disponibles doivent être améliorés et d’autres sont à développer. Dans les
établissements scolaires, les programmes doivent être actualisés et appliqués
par des enseignants ayant reçu une formation appropriée. L’enseignement
supérieur ne peut plus ignorer l’éducation à la citoyenneté. En outre, celle-ci
doit avoir droit de cité dans le secteur non formel, principalement à desti-
nation des adultes.

Enfin, il faut faire de l’éducation à la citoyenneté démocratique un apprentis-


sage à vie. Car elle est indispensable à la mise en œuvre de la société appre-
nante dans laquelle les possibilités de formation permettront à chacun de
déployer son autonomie et son sens de l’initiative au bénéfice d’une société en
mutation continue. On retrouve ici l’intérêt du Conseil pour l’éducation des
adultes qui a du reste été examinée par le projet intitulé «Education des
adultes et mutations sociales – Pour un développement sans exclusion», qui
n’a pas manqué d’aborder de nombreux aspects liés au civisme et à l’inter-
culturel. La déclaration de la conférence finale du projet rappelle en effet «le
rôle fondamental de l’éducation des adultes pour la promotion d’une citoyen-
neté démocratique et le renforcement des valeurs démocratiques» et pour un
développement harmonieux de femmes et d’hommes ayant en particulier le
«sens de la différence2».

Ces perspectives obligent toutefois à se demander si la citoyenneté à laquelle


on se réfère maintenant n’est pas d’une universalité telle que sa dimension
interculturelle deviendrait très douteuse, puisqu’elle pourrait sembler n’avoir
à mettre en relation que des sous-ensembles et pour cette raison devoir être la
même sous tous les cieux. Pourtant, si la citoyenneté démocratique se définit
par des principes universels, elle se réalise toujours dans des contextes qui lui
confèrent une indéniable singularité. Autant il y a des contextes «englobant,
liés aux phénomènes de mondialisation et qui désignent alors des processus et
des évolutions qui incluent les réalités locales et étatiques», autant il y a «les
contextes des Etats avec leurs traditions, leurs cultures, leurs institutions,
______
1. Projet «Education à la citoyenneté démocratique», rapport de la conférence finale, p. 30.
2. Projet «Education des adultes et mutations sociales», conférence finale, déclaration finale et
annexe.

56
Participation aux valeurs de la citoyenneté

leurs lois […] des espaces et des cadres dans lesquels les citoyens débattent,
s’opposent, confrontent leurs conceptions de la citoyenneté, du pouvoir, de
l’éducation, de la vie ensemble1». A l’échelle mondiale, sur fond de principes
universels qui régissent la citoyenneté en tant que telle, il y a donc une plura-
lité de formes singulières de citoyenneté qui tiennent à l’influence des
contextes où elles se situent. Mais cette pluralité se retrouve dans une même
société où l’appartenance de fait à plusieurs collectivités conduit à une
«citoyenneté multiple». En somme, «on ne peut pas parler de citoyenneté de
façon abstraite. La citoyenneté doit se situer dans un contexte particulier ; elle
n’a de sens, de signification, que par rapport aux besoins d’une société ou
d’un système politique2».

Le concept élargi de citoyenneté qu’impose le monde contemporain n’éloigne


donc pas de l’approche multiculturelle et interculturelle. La meilleure preuve
en est le lien pratiquement indénouable entre l’éducation à la citoyenneté et
l’éducation interculturelle, bien que cette dernière puisse être parfois critiquée
pour son «culturo-centrisme». Car, en tout état de cause, c’est bien la culture,
entendue au sens large de la structure sur laquelle s’inscrivent les attitudes et
les comportements, qui semble être le facteur déterminant de la diversité.
Celle-ci se manifeste dans ce que ce projet appelle les «Sites de citoyenneté»
ou activités de terrain qui sont «au cœur des conceptions et des pratiques de
la citoyenneté plurielle. Une fois reconnus les droits universels élémentaires,
il y a place pour la variabilité, la négociation et la redéfinition3».

C’est une occasion de se convaincre encore plus fortement que cette éduca-
tion à la citoyenneté démocratique se distingue très clairement de tout ce qui
serait un choix politique déterminé. Quand il s’agit de la dimension euro-
péenne ou de la citoyenneté européenne, la question peut toujours se poser de
savoir s’il ne s’agit pas de promouvoir un choix politique particulier. Cela
aurait pu être plausible quand le Conseil de l’Europe défendait la cause de la
démocratie contre le totalitarisme qui régnait à l’Est. Pourtant, même à cette
époque, il y avait moins la promotion d’un régime politique contre un autre
que celle de principes qui s’imposaient dans l’absolu contre des principes en
eux-mêmes inacceptables. Il ne serait concevable de parler de choix politique
______
1. Audigier, François, Concepts de base et compétences clés pour l’éducation à la citoyenneté
démocratique, Conseil de l’Europe, 2000, p. 12.
2. Sites de citoyenneté : engagement, participation et partenariats, Conseil de l’Europe, 2000,
p. 14
3. Ibidem, p. 26.

57
Figures de l’interculturel dans l’éducation

au Conseil de l’Europe qu’à la condition de faire au préalable la distinction


entre le politique comme ce qui se rapporte aux principes fondamentaux
devant régir toute forme de vie sociale et la politique comme ce qui traduit la
mise en application particulière de ces principes dans une situation donnée.
Le Conseil de l’Europe s’est toujours situé au plan du politique et jamais à
celui de la politique. C’est ce qui l’a toujours conduit à dénoncer des situa-
tions qui contrevenaient aux règles les plus élémentaires du respect des droits
de l’homme ou de la démocratie, mais jamais à préconiser des choix liés à
l’adoption de formules particulières d’organisation sociale ou économique.

Dans ces conditions, dans la figure de l’interculturel qui est une promotion de
valeurs, même si cette promotion s’effectue dans le cadre de la citoyenneté,
on ne passe pas pour autant au niveau d’une idéologie qui transformerait en
instruments les ressources apportées. Doivent être respectés les principes qui
découlent de ces valeurs. Celles-ci demeurent ce qu’elles étaient au départ,
c’est-à-dire des guides d’analyse des situations et de mise au point des actions
qui répondent à leurs enjeux. Les valeurs sont les références dont les
conduites individuelles et collectives ont besoin pour dresser des bilans de ce
qui a pu être réalisé et de ce qui reste à faire.

58
V. L’INTERCULTUREL COMME PRATIQUES PÉDAGOGIQUES
INNOVANTES

Pour le Conseil de l’Europe, l’innovation a toujours été considérée comme un


des meilleurs moyens d’opérer les changements qui s’imposent dans l’éduca-
tion. Le projet «L’innovation dans l’enseignement primaire», dont les travaux
se sont déroulés de 1982 à 1987, définit justement l’innovation comme
«l’adaptation d’un système scolaire à un ensemble d’exigences apparaissant
dans notre société1». Or, la perspective interculturelle implique dans le
domaine de l’éducation la nécessité de nouvelles approches et d’innovations
dans la plupart des secteurs. Les contenus de l’enseignement, les finalités des
apprentissages et les modalités de leurs acquisitions doivent être repensés. De
telles évolutions impliquent aussi bien entendu de nouvelles démarches de la
part des enseignants et donc des réorientations de leur formation initiale et
leur formation en cours de service.
Une figure de l’interculturel dont on ne saurait se désintéresser est donc
celle des pratiques pédagogiques. C’est l’occasion d’apprécier l’influence que
l’interculturel peut induire dans les objectifs à assigner à la formation et la
nature des mesures à prendre pour que les objectifs soient atteints. C’est du
reste la voie qui a été empruntée par le projet «L’éducation à la citoyenneté
démocratique».

Les incidences de l’interculturel sur les contenus de l’enseignement


Les diverses initiatives favorisant la perspective interculturelle évoquées pré-
cédemment montrent la nécessité de modifier, plus ou moins profondément,
les contenus de l’enseignement à tous les niveaux.
Cela était déjà le cas avec les programmes «L’Europe à l’école» ou «Le
monde à l’école» qui incitaient même les écoles primaires à combler dans
les programmes d’histoire et de géographie les lacunes dont souffrait la pré-
sentation de certaines parties de l’Europe ou d’autres parties du monde.
L’importance et les réorientations de l’éducation civique seront aussi très
souvent d’actualité. De très nombreuses initiatives similaires concerneront les
écoles secondaires dans lesquelles les réaménagements sembleront encore
plus souhaitables. Les élèves de cet âge ressentent fortement le besoin de
______
1. «L’innovation dans l’enseignement primaire», projet no 8 du CDCC, Conseil de la coopération
culturelle, Conseil de l'Europe, 1987, p. 44.

59
Figures de l’interculturel dans l’éducation

connaissances mieux adaptées au multiculturalisme des sociétés, surtout


compte tenu de leur prochaine entrée dans la vie active. Les activités menées
dans le domaine de l’enseignement de l’histoire seront particulièrement signi-
ficatives, notamment «L’histoire de la nouvelle Europe1» qui donnera lieu à la
définition de nouveaux repères pour les jeunes et leurs enseignants.

Mais c’est avec l’introduction de la dimension européenne que les incidences


possibles sur les contenus de l’enseignement secondaire seront encore plus
visibles. Pratiquement, toutes les disciplines sont concernées. En effet, il
ne s’agit pas seulement d’offrir «une certaine initiation aux institutions
européennes et à leur fonctionnement […] il s’agit d’initier les jeunes au
patrimoine historique, culturel et moral commun à tous les pays européens –
et notamment à l’évolution des notions de démocratie de liberté, de droits de
l’homme2». Ainsi devrait être prévue dans les curriculums une «matière euro-
péenne» qui exigerait une refonte des programmes d’histoire, de géographie,
de sciences sociales et économique, de philosophie, sans parler de ceux de
langues étrangères3.

Le Conseil de l’Europe n’ignore pourtant pas que ses possibilités d’interven-


tion sur les contenus de l’enseignement dans les Etats membres sont limitées.
Il ne peut que formuler des recommandations dont l’effet en matière de pro-
grammes d’études est très incertain. La susceptibilité des différents pays sur
ce plan est grande. La marge de manœuvre de chaque gouvernement est
étroite à cause des nombreux obstacles à surmonter pour modifier même légè-
rement ces programmes. En fait, c’est seulement dans le domaine de l’ensei-
gnement des langues étrangères que le Conseil a été suivi d’une manière
impressionnante, d’abord dans la priorité à accorder à la communication et
ensuite dans l’utilisation des niveaux-seuils pour la rédaction des programmes
et des manuels. Cela s’explique sans doute par l’impression alors très répan-
due chez les responsables politiques et pédagogiques d’un retard considérable
dans la méthodologie de l’enseignement des langues vivantes. Hélas, comme
l’ont déploré les experts du projet «Un enseignement secondaire pour
l’Europe», en dépit de la prise de quelques dispositions officielles en faveur
______
1. Voir par exemple L’enseignement de l’histoire et la promotion des valeurs démocratiques et de
la tolérance, manuel destiné aux enseignants, op. cit. et Histoire sans frontières – Guide pratique
pour les projets pilotes internationaux sur l’histoire dans les écoles en Europe, Document CC-
ED/HIST(96), Conseil de l'Europe, 1996.
2. La dimension européenne dans l’enseignement secondaire, op. cit., p. 43.
3. Ibidem, p. 24.

60
Pratiques pédagogiques innovantes

de l’introduction de la dimension européenne, un pareil sentiment d’urgence


n’existe pas ou pas encore à propos du développement de l’intérêt pour
l’Europe. Cela a très vite conduit à penser qu’il ne serait pas réaliste d’espé-
rer que l’introduction de la dimension européenne se traduise par des modifi-
cations réglementaires des curriculums. Il valait mieux tenter d’exploiter
autrement les programmes existants. La dimension européenne n’a donc pas
été présentée comme une nouvelle discipline1 mais comme un recours accru à
l’interdisciplinarité permettant de procéder aux éclairages recherchés. En
adoptant ce point de vue, loin de se résigner à l’impossibilité du changement,
on pariait au contraire sur des chances accrues d’évolutions grâce à des inno-
vations en profondeur. Le manque d’interdisciplinarité a été en effet couram-
ment dénoncé comme un des obstacles principaux à l’évolution vers une
pédagogie plus ouverte et plus dynamique qui trouverait «les voies et les
moyens pour redonner du sens, de la consistance à un savoir éparpillé2». Les
Dossiers pédagogiques réalisés à titre de documents pilotes pour aider les
enseignants à introduire la dimension européenne dans leurs enseignements
abordent des thèmes – peu traités jusque là – d’une manière qui renouvelle
en profondeur le recours aux diverses disciplines. Avec des dossiers sur «Les
Révolutions industrielles : naissance d’un espace technologique», «Découverte
ou rencontre : l’Europe et la constitution de ses empires ou les conflits en
Europe», «Une base de données économiques européenne», on assiste à de
nouveaux regroupements de connaissances en histoire, en géographie, en
économie, voire en technologie. Si l’on traite «Les droits de l’homme»,
«L’initiation à la citoyenneté» ou comment «Prévenir la xénophobie, le
racisme et l’antisémitisme pour construire une Europe démocratique», on
porte l’éducation civique sur des terrains où elle ne pénètre pas souvent. Si on
traite «La tragédie grecque et son influence sur la littérature et la pensée
européenne», ou «Les Roms (Tsiganes) en Europe» ou encore «Les chemins
de Saint-Jacques-de-Compostelle : une route paneuropéenne», on a toutes
les chances de faire découvrir aux élèves des aspects de leur culture ignorés
à coup sûr par leurs programmes quand ceux-ci sont pris au pied de la
lettre. Les méthodes d’apprentissage de l’histoire préconisées dans la
Recommandation du Comité des Ministres sur l’enseignement de l’histoire au
XXIe siècle, après bien d’autres prises de positions, valorisent notamment une
utilisation plus large et plus formatrice des sources historiques, un recours
accru à la recherche individuelle et collective, l’approche transdisciplinaire
______
1. Voir la Recommandation du Comité des Ministres no R (99) 2.
2. La dimension européenne dans l’enseignement secondaire, op. cit., p. 25.

61
Figures de l’interculturel dans l’éducation

et multidisciplinaire. Ce sont là également de fortes incitations à l’innovation


pédagogique.
Le souci de faire prévaloir la perspective interculturelle et européenne offre
ainsi d’indiscutables possibilités d’innover dans le choix des menus à propo-
ser aux élèves et dans la manière de les servir, sans qu’il soit pour autant
nécessaire d’attendre une hypothétique réforme des programmes officiels
auxquels ces approches européennes ne contreviennent pas mais que sans
conteste elles enrichissent.
Il est rare qu’une innovation n’en entraîne pas d’autres et l’appel à la pratique
de l’interdisciplinarité pour implanter la dimension européenne doit aussi sus-
citer d’autres démarches novatrices. La plupart du temps, l’interdisciplinarité
conduit les enseignants à mieux connaître les élèves. D’abord, ils ont davan-
tage l’occasion d’échanger des impressions à leur sujet. Ensuite, ils s’enga-
gent avec eux dans des projets où ils manifestent plus facilement que dans
les cours traditionnels leurs aptitudes ou leurs difficultés. L’interdisciplinarité
est donc de nature à favoriser le recours à la pédagogie différenciée, si
souvent célébrée comme une condition du succès et du bien-être des élèves, et
malheureusement pas si fréquemment mise en œuvre. Le même phénomène
peut se constater à propos du travail des matières en équipe. Au Conseil
de l’Europe comme ailleurs, l’interdisciplinarité semble incontournable pour
que dans un établissement puisse être suivi un projet éducatif adapté aux
besoins des élèves et sans lequel les efforts des enseignants et des élèves
risquent de pas avoir d’aboutissement. Or, il est bien évident que la pratique
de l’interdisciplinarité reste le meilleur moyen d’amener les enseignants à
ressentir l’absolue nécessité du travail en équipe.
Une des évolutions les plus souhaitables concernent les activités des écoles
qui ne doivent pas se limiter exclusivement à une transmission de connais-
sances. Il est de plus en plus souhaité que les écoles s’ouvrent sur tout leur
environnement proche ou lointain. Il va une fois de plus sans dire que l’inté-
rêt pour l’interculturel est particulièrement propice à cette ouverture puisqu’il
incite en permanence à nouer des contacts avec d’autres personnes, d’autres
milieux que ceux qui sont l’objet de la fréquentation habituelle. L’inter-
disciplinarité qui découle aussi de cet intérêt est pareillement une stimulation
permanente à sortir des murs de l’établissement scolaire, souvent pour trouver
les ressources humaines et matérielles nécessaires à l’acquisition de nouveaux
savoirs ou savoir-faire, et toujours pour élargir des points de vue, répondre à
la salutaire curiosité nourrie de l’interculturel et de l’interdisciplinarité. Les

62
Pratiques pédagogiques innovantes

enseignants ne sauraient bien entendu se dispenser d’accompagner ces évolu-


tions. On attend donc d’eux qu’ils s’impliquent dans les multiples initiatives
en liaison avec ces nouvelles pratiques, comme la collecte d’information et de
documentation, l’instauration de partenariats entre leur établissement et des
instances publiques ou privées, la conclusion d’échanges avec l’étranger. On
mesure ici assez bien l’étendue des profondes transformations issues des
recherches du Conseil de l’Europe sur l’éducation.

Interculturel et compétences
S’agissant des innovations en éducation, il faut toutefois sans doute rappeler
l’intérêt porté depuis longtemps par le Conseil de l’Europe au développement
de compétences plutôt qu’à la simple acquisition de connaissances. C’est
en effet un choix qui n’est pas dissociable de la préférence accordée à la
perspective interculturelle et qui implique également des conceptions très
innovantes.
Cette tendance à donner aux compétences le pas sur les connaissances s’affirme
depuis longtemps. Elle s’est d’abord manifestée à propos de l’apprentissage
des langues étrangères. La communication repose tout autant sur un réseau de
compétences variées que sur la maîtrise de savoirs. Le Portfolio européen des
langues est conçu comme un répertoire de «toutes les compétences linguis-
tiques1» de son titulaire. L’enseignement de l’histoire doit lui aussi valoriser
la construction de «compétences comme le développement de l’esprit cri-
tique, du raisonnement moral et de l’éducation interculturelle» qui sont des
compétences «intrinsèques à l’analyse des preuves historiques2». Le projet
«Education à la citoyenneté démocratique» met au premier plan les «compé-
tences clés» auxquelles cette éducation doit aboutir. De son côté, l’éducation
civique a aussi fourni maintes occasions d’insister sur les compétences dont
elle doit favoriser la construction. Par ailleurs, dans le cadre du projet «Un
enseignement secondaire pour l’Europe», a été organisé un symposium sur
«Les compétences clés pour l’Europe», où la réflexion a porté notamment sur
les compétences politiques ou celles relatives à la participation sociale.
Mais l’originalité principale de ce symposium a été de se demander si les
compétences étaient susceptibles de comporter une dimension européenne
______
1. La diversité linguistique en faveur de la citoyenneté, op. cit., p. 140.
2. L’enseignement de l’histoire et la promotion des valeurs démocratiques et de la tolérance,
manuel destiné aux enseignants, op. cit., pp. 27-28.

63
Figures de l’interculturel dans l’éducation

ou, en d’autres termes, si en Europe les citoyens avaient besoin de compé-


tences particulières pour participer avec profit et succès à leur vie sociale et
professionnelle. Il semble bien que ce soit le cas car, selon une enquête, parmi
les compétences essentielles à ce point de vue, figurent la maîtrise de plus
d’une langue, la capacité de régler les désaccords et les conflits, l’aptitude
à faire preuve d’esprit critique à l’égard d’un aspect ou d’un autre de nos
sociétés, la possibilité d’écouter et de prendre en compte d’autres points de
vue que le sien1. On a donc manifestement l’impression que la vie dans les
sociétés européennes requièrent des compétences particulières et que leur
spécificité tient pour une large part au caractère multiculturel de ces sociétés
et à la nécessité d’y manifester un sens de l’interculturel, de l’ouverture aux
autres et à leurs différences.

Il est à peine nécessaire de rappeler combien le recours à la notion de compé-


tence a été un puissant facteur d’innovation dans l’éducation et la formation.
C’est en abordant les apprentissages sous cet angle qu’il a été possible d’éla-
borer des curriculums centrés sur des objectifs et non plus sur des contenus,
de favoriser la concentration sur les aspects essentiels des itinéraires de for-
mation, d’introduire dans ces curriculums des approches pluridisciplinaires.
Par ailleurs, c’est en misant sur l’acquisition de compétences qu’on avait les
meilleures chances de faire de chaque apprenant l’artisan de ses propres
apprentissages. Le passage par les compétences semblait ainsi le plus sûr
moyen d’apporter aux dispositifs d’enseignement et de formation les change-
ments parfois très profonds dont ils avaient besoin pour s’adapter aux exi-
gences impérieuses de nouveaux contextes. Les formations professionnelles
étaient souvent les premières à aller dans cette direction, car elles avaient
encore plus de raisons de ne pas différer le moment du changement. En s’ins-
crivant dans ce courant en faveur du centrage sur les compétences, le Conseil
de l’Europe souligne bien son souci d’innovation pédagogique. La possibilité
d’envisager une dimension européenne et interculturelle des compétences
confirme également le lien à établir entre la figure de l’interculturel examinée
ici et une pratique pédagogique fortement orientée vers l’innovation. C’est du
reste peut-être cette conjonction entre les innovations et les compétences qui
permettaient d’espérer la meilleure écoute des milieux gouvernementaux et
professionnels, car elle pouvait apparemment laisser la plus grande marge
d’initiative au nom du respect de la diversité des contextes et des traditions,
______
1. Key Competencies for Europe, Conseil de la coopération culturelle, Conseil de l'Europe, 1997,
p. 14.

64
Pratiques pédagogiques innovantes

tout en convainquant assez aisément de l’opportunité des choix à faire, éven-


tuellement selon des modalités différentes.

Le pensé et le vécu de l’interculturel dans la formation continue des


enseignants
La formation des enseignants a toujours été considérée au Conseil de
l’Europe comme le moyen le plus efficace et le plus réaliste d’implanter les
innovations pédagogiques. Le projet «L’innovation dans l’enseignement pri-
maire» le souligne fortement, surtout parce que la «phase démultiplicatrice
indispensable pour diffuser les résultats obtenus dans des recherches ou des
expérimentations1» ne doit jamais être négligée et que les enseignants jouent
sur ce plan un rôle irremplaçable. C’est ce qui a été encore réaffirmé récem-
ment à propos de l’éducation à la citoyenneté démocratique qui requiert «un
besoin particulièrement urgent de formation des enseignants» qui sont «des
obstacles ou des catalyseurs2».
Toutes les initiatives liées à l’interculturel ont donc été marquées par des
programmes très étoffés de formation des enseignants, et principalement de
formation continue, parce qu’ils étaient plus facilement réalisables. En effet,
les décisions en matière de formation initiale relèvent des gouvernements. En
revanche, la formation continue, pratiquée dans presque tous les pays sur la
base du volontariat, a toujours pu comporter des programmes proposés par
des organisations internationales aux termes d’accords avec les autorités
nationales. Le Conseil de l’Europe met depuis longtemps à profit ces disposi-
tions, en particulier pour tout ce qui concerne la sensibilisation des ensei-
gnants à la perspective interculturelle.
L’éducation et le développement culturel des migrants a donné lieu à toute
une série d’actions pour sensibiliser les enseignants à l’opportunité d’une
«formation interculturelle» et d’une «approche interculturelle comme une
dimension importante de l’éducation3». De nombreux stages ayant cet objec-
tif sont organisés, notamment grâce au système de bourses du Conseil de la
coopération culturelle (par exemple à Strasbourg en 1977, à Donaueschingen
en 1979, 1980 et 1981, et à Ankara en 1980). Par ailleurs, un symposium sur
«La formation interculturelle des enseignants» en vue d’améliorer la prise en
______
1. Ibidem, p. 44.
2. Ibidem, rapport final, p. 24.
3. Recommandation no R (84) 18 du Comité des Ministres.

65
Figures de l’interculturel dans l’éducation

charge des élèves de l’immigration s’est tenu à L’Aquila (Italie) en 1982. Les
projets consacrés à l’enseignement des langues vivantes ont réuni pour des
ateliers 1500 formateurs pour le projet «L’apprentissage des langues en
Europe : le défi de la diversité». Le rapport final de ce projet insiste sur
l’extrême importance de la formation des enseignants qui demeure «la clé
pour l’innovation». Le renouvellement de l’enseignement de l’histoire a misé
aussi largement sur des séminaires de formation continue. La même
démarche se constate à propos de l’introduction de la dimension européenne
dans l’enseignement, et encore davantage à propos de l’éducation à la
citoyenneté démocratique. Il faut aussi mentionner les multiples séminaires
convoqués par le réseau Liens et échanges scolaires destinés à assurer aux
enseignants des informations et des possibilités d’action dans un secteur avec
lequel ils n’étaient pas toujours bien familiarisés.

On doit aussi citer dans la formation continue des enseignants les expérimen-
tations qui ont accompagné la plupart des projets. De nombreux aspects de
l’éducation des migrants ont été investi par des opérations pilotes ou des
études de cas pour lesquelles les enseignants de terrain ont été les intervenants
majeurs. Les Sites de citoyenneté ne réunissent pas seulement des enseignants
et ces derniers trouvent là une occasion privilégiée d’approfondir leur
réflexion sur l’enseignement de l’éducation civique ou l’éducation à la
citoyenneté. Il en a été de même avec les expérimentations liées à l’introduc-
tion de la dimension européenne.

Ces actions de formation continue incluent également la mise à disposition de


matériels pédagogiques destinés à enrichir l’information et la pédagogie des
enseignants. Sur ce plan, l’éducation des migrants a aussi permis les pre-
mières avancées avec, pour ne citer que quelques exemples, la réalisation de
dossiers sur la culture des principaux pays d’origine des migrants ou de
comptes rendus sur les opérations d’éducation interculturelle dans certains
pays. Les Dossiers pédagogiques poursuivent le même but pour l’introduc-
tion de la dimension européenne. Le programme «Histoire» va dans le même
sens : les rapports sur ses séminaires se veulent un accompagnement régulier
du travail des enseignants dans leurs classes et les actions entreprises en
Europe du Sud-Est sont encore davantage ciblées sur la production de maté-
riels pédagogiques susceptibles d’avoir les mêmes aboutissements.

Ces divers programmes de formation continue des enseignants n’ont pas


manqué d’avoir d’évidentes répercussions sur les conditions dans lesquelles

66
Pratiques pédagogiques innovantes

l’interculturel pouvait être pris en compte dans les démarches pédagogiques


et être ainsi mieux enraciné dans les politiques éducatives.
Les interventions ou les documents préconisant une perspective intercultu-
relle risquaient toujours de paraître émaner de sphères éloignées des réalités
de l’enseignement, proposant des mesures considérées comme inapplicables.
Et c’était bien entendu une réaction d’autant plus tentante s’il s’agissait de
procéder à des changements auxquels les gouvernements ou certains milieux
étaient réticents parce qu’ils auraient remis en cause des habitudes trop bien
installées. On pouvait bien accepter, déclarer souhaitable, l’intégration des
migrants, mais le fait de modifier radicalement les conditions de leur accueil
dans les systèmes scolaires pour reconnaître effectivement leur différence et
la valoriser pouvait paraître exiger des efforts démesurés qui n’étaient ni
possibles ni souhaitables. Des réactions similaires seront fréquemment enre-
gistrées à propos de l’introduction de la dimension européenne, incriminée de
devoir éternellement modifier les programmes d’études ou de provoquer
l’inquiétude des usagers, ce qu’il valait mieux éviter. Bref, «un décalage trop
important existe souvent entre les politiques et la rhétorique officielle, d’une
part, et les pratiques, c’est-à-dire ce qui se passe réellement sur le terrain,
d’autre part1».
Les actions de formation continue ont eu le mérite d’aider à éviter ces réticences
en convainquant les enseignants que les mesures préconisées étaient bien réali-
sables et qu’elles avaient des bénéfices indiscutables. Ces actions ont donc été
des tests de faisabilité des changements envisagés et ceux-ci ont parfois fait
l’objet de retouches pour les rendre plus acceptables ou plus aisément réali-
sables. Ainsi, dans le cadre du projet «Education à la citoyenneté démocra-
tique», les expériences faites avec les Sites de citoyenneté, auxquelles ont été
associées de nombreuses écoles et leurs enseignants, «donnent des indications
claires sur ce qui est possible2». On pourrait à la limite considérer toutes ces
actions de formation continue comme un processus à plusieurs niveaux d’ac-
coutumance aux changements à opérer pour introduire la perspective intercul-
turelle dans les pratiques éducatives. Accoutumance d’enseignants qui
découvrent cette perspective dans un premier stage auquel ils ont pu participer
sans avoir une idée très précise de ce qui allait leur être présenté. Accoutumance
des collègues qui ont l’occasion de découvrir les nouvelles pratiques de cet
______
1. Projet «Education à la citoyenneté démocratique», rapport de la conférence finale, op. cit.,
p. 23.
2. Sites de citoyenneté : engagement, participation et partenariats, op. cit., p. 39.

67
Figures de l’interculturel dans l’éducation

enseignant. Accoutumance des autorités de contrôle à ces pratiques. Il y a ainsi


toutes les raisons de considérer que, grâce à la formation continue qui lui est
consacrée, la perspective interculturelle se trouve repensée pour être plus faci-
lement et plus réellement applicable au plan des pratiques pédagogiques.
Un autre bénéfice, et non des moindres, de ces stages ou séminaires de forma-
tion continue est qu’ils font aussi vivre l’interculturel par leurs participants.
Ces réunions, même avant 1989, ont permis à des représentants de cultures
assez différentes, en raison de la diversité relative mais néanmoins réelle des
traditions et des situations dans une Europe plus large et plus contrastée que
la Communauté européenne, de se retrouver. Cette diversité s’est bien
entendu encore accentuée après l’effondrement du bloc soviétique, bien que
les pays d’Europe centrale et orientale aient eu le sentiment parfaitement légi-
time de retrouver une Europe à laquelle ils avaient été arrachés. Mais ici
encore on ne pouvait pas ignorer les profondes différences de contextes
encore aujourd’hui perceptibles dans les Sites de citoyenneté, pour reprendre
une nouvelle fois cet exemple. Se manifeste dans ces réunions une évidente
multiculturalité liée à la variété des langues d’origine, des histoires, des reli-
gions, des coutumes et des patrimoines artistiques ou des situations écono-
miques. De plus, les systèmes éducatifs sont également loin d’avoir les
mêmes modalités d’organisation et de fonctionnement. Il est vrai que, de
l’avis de tous, le sentiment de la proximité et la cordialité l’emportent sur
toutes les autres réactions au point que la possibilité d’une distinction entre
une Europe de l’Ouest et une Europe centrale et orientale a disparu. Il n’en
demeure pas moins que ce sont des occasions exceptionnelles d’éprouver ce
qu’est l’interculturel et sans doute de vérifier qu’il est ressenti non seulement
quand on se trouve confronté à une ou des cultures très éloignées de la sienne,
mais également lorsque se trouvent en présence des cultures proches les unes
des autres. Il faut probablement des rencontres de cette nature pour que l’in-
terculturel soit retrouvé dans sa figure de réceptivité à l’autre et à l’altérité, qui
pourrait bien commander toutes les autres. En tout cas, ce vécu est sans aucun
doute l’expérience dont les enseignants ont un impérieux besoin pour être le
mieux susceptibles de savoir ce qu’ils doivent apporter à leurs élèves quand
ils souhaitent les sensibiliser à l’interculturel et de savoir comment les doter
des attitudes et des comportements que requiert sa prise en compte.
Heureusement, le développement des échanges scolaires permet à un nombre
toujours croissant d’élèves de bénéficier eux aussi de cette expérience vécue
de l’interculturel. Mais ce sont d’abord les enseignants qui en mesurent toutes
les richesses et toute la complexité pour l’exploiter ensuite en classe.

68
CONCLUSIONS

L’unité de l’interculturel dans la diversité de ses figures

Y a-t-il une conception unique de l’interculturel ou celui-ci a-t-il plusieurs


formes selon les époques ou les priorités ? Les analyses qui viennent d’être
conduites incitent déjà à retenir la première hypothèse. Les figures de l’inter-
culturel proposées constituent des éclairages différents de l’interculturel, sans
pourtant le décomposer en démarches isolables les unes des autres. La figure
de la communication suffirait à le caractériser. Cette figure risquerait d’être un
fourre-tout dans lequel tout se mélangerait sans qu’il soit possible d’accéder
à la spécificité des diverses manifestations de l’interculturel. Si l’apprentis-
sage des langues est centré sur la communication, il a besoin d’une prise en
compte de l’autre et de réflexion critique pour atteindre les objectifs qui lui
sont assignés et qui vont au-delà de la simple maîtrise de l’expression et de la
compréhension dans la relation avec un interlocuteur.

D’un autre côté, le passage d’un projet à l’autre, le déplacement de l’intérêt


d’un problème à un autre n’entraînent pas de ruptures dans la notion d’inter-
culturel. On a pu le constater quand l’attention privilégiée pour le phénomène
migratoire n’a pas interdit d’aborder la question plus générale de la prise en
compte des différences dans tous les publics scolaires. Le même phénomène
se produit aujourd’hui avec l’élargissement de la réflexion aux nouvelles
minorités qui traduit surtout «la prise de conscience du fait que la multicultu-
ralité est un phénomène durable1». L’accent mis récemment sur la citoyenneté
ne détourne pas des aspects de l’interculturel abordés auparavant.

Quant aux méthodes de travail, elles sont aussi marquées par une forte simili-
tude dans la conduite des projets ou l’organisation des réunions pour leur
déroulement ou leur suivi. Sur le plan intellectuel, la continuité n’est pas
niable non plus. Ainsi, l’importance accordée aux comparaisons entre les
systèmes éducatifs n’a pas varié. Elle avait été soulignée dès 1962 par les
ministres de l’Education2. A l’une des premières études comparatives
commanditées par le Conseil, Primary and Secundary Education, Modern
Trends and Common Trends, de Thomas et Majault en 1964, font aujourd’hui
______
1. Audigier François, Pratiquer la diversité culturelle dans l’éducation, Conseil de l’Europe,
1997, p. 14.
2. CPME, 1962, Résolution no 1.

69
Figures de l’interculturel dans l’éducation

pendants le rapport de Denis Kallen sur L’enseignement secondaire en


Europe – Problèmes et perspectives1, établi dans le cadre du projet «Un ensei-
gnement secondaire pour l’Europe» et les études de cas réunies pour appré-
cier les similitudes et les contrastes dans les stratégies de réformes de
quelques pays2.

L’interculturel comme stratégie et pratiques d’une même politique

La démarche interculturelle doit principalement son unité à deux facteurs.


D’une part, elle est la série des pratiques qui s’inscrivent dans la stratégie pour
la mise en œuvre de la politique de l’Organisation axée sur le respect des
droits de l’homme et le sens de la démocratie. C’est aussi la raison principale
pour laquelle l’extension de la perspective interculturelle à d’autres champs
que ceux où elle s’appliquait initialement ne crée pas de rupture. Les
ministres de l’Education, dans leurs réunions de 1997 et 2000, ont du reste
insisté sur la nécessité et les bénéfices de cette permanence dans les travaux
qui doit permettre aux Etats membres de prendre plus facilement les initia-
tives pour la mise en œuvre des valeurs et des principes fondamentaux du
Conseil. D’autre part, si l’interculturel se livre sous des figures multiples mais
indissociables les unes des autres, c’est parce qu’il s’inscrit dans des projets
ou des activités qui se relient toujours les uns aux autres. La Recommandation
de 2001 sur l’enseignement de l’histoire insiste sur les liens qui unissent le
projet «Apprendre et enseigner l’histoire de l’Europe du XXe siècle» et celui
sur l’«Education à la citoyenneté démocratique». Mais comme le montre le
bilan des divers projets menés à terme, dressé lors de la session de 1997 de la
Conférence permanente des ministres de l’Education, ce sont pratiquement
tous les projets qui entrent en résonance3.

Les fondements de l’interculturel

Il serait néanmoins excessif de ne voir dans l’interculturel qu’un moyen au


service d’une fin, et donc qu’une pratique tributaire d’un sens qui lui viendrait
d’ailleurs. Au contraire, les ouvrages de fond conçus à l’occasion des divers
projets montrent très clairement la nécessité de dépasser une vision purement
pragmatique de l’interculturel pour dégager son originalité et son autonomie.
______
1. Conseil de l’Europe, 1997.
2. Strategies for educational reforms : from concept to realisation, Conseil de l’Europe, 2000.
3. CPME, 1997, Résolution no 1.

70
Conclusions

C’est à quoi s’attachent le Plaidoyer pour l’interculturel d’Antonio Perotti1


ou Differences and cultures in Europe, dû à la collaboration entre Carmel
Camilleri2 et plusieurs autres chercheurs.
La première étude, publiée en 1994, est largement postérieure à la période de
l’intérêt prédominant pour l’éducation des migrants, mais son auteur, qui
s’était très fortement impliqué dans celle-ci, la garde au centre de sa réflexion.
Cela ne l’empêche pas pour autant de dégager les deux préoccupations
majeures qui doivent inspirer toute démarche interculturelle. D’abord la
reconnaissance que toute société est multiculturelle et que, pour cette raison,
tout système éducatif est aussi multiculturel, c’est-à-dire que l’une et l’autre
accueillent des personnes appartenant à des cultures différentes. C’est bien
entendu ce qui rend possible et nécessaire l’interculturel. Mais celui-ci ne se
contente pas d’enregistrer la pluralité des cultures qui coexistent. Entre ces
cultures, il établit des relations qui, sur le fond de leurs différences et de leurs
similitudes, développe une compréhension mutuelle et une estime réciproque
nécessaires à l’émergence d’une autre culture. Dans celle-ci, les cultures
initialement données dans la situation multiculturelle, qui se juxtaposaient
plus ou moins harmonieusement, se rejoignent et se dépassent. C’est la
culture que doit générer l’interculturalité. Dans ce processus, un rôle primor-
dial revient à l’éducation qui doit être interculturelle dans son principe pour
répondre à la situation et aux exigences de la société. Il ne faut donc pas envi-
sager une éducation séparée pour des groupes spéciaux comme les migrants
mais une «coéducation3». C’est aussi pourquoi «l’apprentissage des droits de
l’homme et des valeurs démocratiques» est à privilégier dans les activités
éducatives «pour une prise en compte effective de l’interculturalité4». Car
c’est de cet apprentissage que dépendent les chances de voir se construire la
nouvelle culture qui doit résulter de la démarche interculturelle, sans laquelle
celle-ci ne serait que le vide d’un entre-deux ou une juxtaposition ne permet-
tant aucune synthèse.
La seconde étude s’insère dans le projet «Démocratie, droits de l’homme,
minorités : les aspects éducatifs et culturels», mais pose aussi des questions
d’une portée beaucoup plus générale. Elle s’attache en effet aux notions de
______
1. Conseil de l’Europe, 1994.
2. Differences and cultures in Europe, sous la direction de Carmel Camilleri, avec des contribu-
tions de Francis Affergan, Carmel Camilleri, Jacqueline Costa-Lacoux, Michel Oriol, Conseil de
l'Europe, 1995.
3. Perotti, op. cit., p. 32.
4. Ibidem, p. 96.

71
Figures de l’interculturel dans l’éducation

culture et d’identité culturelle pour rappeler surtout leur principale spécificité


de toujours se former dans une dialectique qui fait osciller entre la nécessité
de se replier sur un besoin d’unité et celui de la communication avec les
autres. D’où cette interrogation : «Aujourd’hui, l’Europe essaie d’effectuer la
définition d’elle-même sur la base de sa propre histoire. Le temps n’est-il pas
venu de regarder au-delà des conceptions de la culture hermétiques et repliées
sur elles-mêmes, et de construire un universalisme relationnel qui inclurait les
différences culturelles au lieu de les nier1?» Ce qui fonde l’interculturel
comme une démarche spécifique c’est qu’il doit tenir compte de la parti-
cularité de l’identité culturelle qui, dans sa diversité, comporte toujours cette
relation complexe entre le même et l’autre.

Dès lors, l’originalité du Conseil de l’Europe, quant à la nature et le rôle de


l’interculturel, est de le considérer moins comme le moyen d’une politique
que comme le moyen de la déterminer. Si on ne fait pas cette distinction, on
risque d’avoir l’impression que l’interculturel est invoqué à tout propos d’une
manière peu convaincante. On admet sans réticence qu’il soit question d’in-
terculturel quand il s’agit d’organiser l’éducation des migrants ou d’assurer le
respect des droits des minorités. Car le contact entre plusieurs cultures et la
nécessité d’aménager leurs relations sont alors évidents. Il en va de même
lorsqu’il est question de l’étude de langues vivantes ou de l’éducation aux
médias. Mais pourquoi parler de la dimension interculturelle de l’éducation
à la citoyenneté démocratique sinon par un abus de langage confondant
l’interculturel avec l’échelle internationale ou élargissant démesurément son
acception pour désigner toute idée ou toute action se rapportant à plusieurs
pays, à plusieurs cultures ou à plusieurs individus.

Un telle acception n’est pas inadmissible pour le Conseil de l’Europe, parce


que pour celui-ci l’interculturel est partout. Mais ce n’est pas une solution de
facilité. Si l’interculturel est partout, c’est à cause de la qualité propre aux réa-
lités dont il faut partir et sur lesquelles il faut agir. Ces réalités sont des
groupes, des collectivités dont l’identité n’est pas celle d’une substance d’une
totale homogénéité dotée d’attributs donnés pour toujours, mais celle d’«un
processus d’assimilation et de différenciation dans lequel la définition de soi
empiète constamment sur la définition de l’autre2». Chaque individu reproduit
du reste le modèle, comme en témoigne la possibilité pour la psychanalyse de
______
1. Differences and cultures in Europe, op. cit., p. 71.
2. Ibidem, p. 135.

72
Conclusions

créer «les conditions pour que le sujet devienne étranger à lui-même1». On


comprend ainsi qu’en particulier l’éducation et l’interculturel ne soient jamais
dissociables : «La relation humaine la plus élémentaire est interculturelle, et
l’éducation ne peut se concevoir que comme la reconnaissance et l’accepta-
tion commune d’une démarche de métissage consentie et surtout valorisée2.»
L’OCDE considère que «la plupart des programmes d’éducation multicultu-
relle ne sont pas bâtis sur une base théorique claire et solide3». Il semble
difficile d’incriminer du même défaut la démarche du Conseil de l’Europe à
l’égard de l’interculturel. Les ambiguïtés dont celui-ci peut pâtir tiennent le
plus souvent à l’absence de précisions suffisantes sur les définitions de la
culture et les modalités de contacts entre les cultures et leurs répercussions.
Or, sur ce plan, les différents projets réalisent d’heureuses mises au point sur
les aspects les plus cruciaux. C’est ce que fait par exemple l’ouvrage dirigé
par Carmel Camilleri à propos des buts assignables à la recherche de l’inter-
culturalité devant mettre toutes les cultures sur un pied d’égalité sans hiérar-
chisation. Cette étude signale en particulier le choix difficile à faire entre le
relativisme total selon lequel tout se vaudrait et le relativisme contextualisé
qui n’oublie pas que toute culture se définit comme une relation dynamique
entre l’homme et son environnement, et que donc toute solution a une origi-
nalité sans équivalence.

L’interculturel à l’échelle européenne


Ces approfondissements rendent possible une vision mieux fondée de la
notion d’interculturel qui en devient aussi plus générale puisque, comme on
l’a vu, elle ne s’applique plus seulement à une catégorie comme les migrants.
Mais une autre caractéristique de l’interculturel, tel qu’il est envisagé au
Conseil de l’Europe, est qu’il doit s’appliquer d’une manière et à une échelle
lui permettant de conserver sa portée.
L’interculturel ne doit pas pâtir de l’examen de problèmes trop limités à des
aspects techniques de l’enseignement. C’est ce qui peut se produire avec la
prise en compte des besoins particuliers des élèves si l’on s’arrête, comme à
______
1. Nasio, J. D., Cinq leçons sur la théorie de Jacques Lacan, Rivages-Psychanalyse, Paris, 1992,
p. 117, cité par Ardoino, Jacques, in Louis Marmoz (voir note qui suit).
2. Ardoino, Jacques, «De l’altération dans l’interculturel (Interactions, implications)», in
Marmoz, Louis et Derrij, Mohamed, L’interculturel en question – L’autre, la culture et l’éduca-
tion, L’Harmattan, Paris, 2001, p. 16.
3. One School, many cultures, CERI-OCDE, Paris, 1989, p. 71.

73
Figures de l’interculturel dans l’éducation

l’OCDE, aux seuls élèves en difficulté ou aux élèves «à risques» selon la


terminologie la plus couramment utilisée. Alors, même si l’on a le souci de
faire prévaloir l’équité, celle-ci risque de se cantonner dans l’amélioration des
performances et dans l’examen des différences culturelles seulement dans la
mesure où elles peuvent être des obstacles à la réussite. L’objectif est donc
dans ces conditions bien davantage d’amener les élèves à de meilleures per-
formances que de leur permettre de s’épanouir dans la diversité de leurs iden-
tités. Inversement, quand on manie l’interculturalité à l’échelle mondiale,
comme cela se passe à l’Unesco, l’impression initiale d’une grande proximité
avec ce qui est entrepris au Conseil de l’Europe ne dure pas. Le réseau des
clubs Unesco, qui paraît au premier abord un vaste et merveilleux laboratoire
de l’interculturel, s’avère finalement peu propice à de véritables échanges si
ceux-ci s’effectuent au niveau mondial entre des cultures et des civilisations
dont les membres restent la plupart du temps sans contacts réels.

Les échanges, pour se concrétiser, ont apparemment besoin d’aires plus limi-
tées ou tout au moins mieux définies. On comprend bien alors la détermina-
tion du Conseil de l’Europe de ne pas perdre de vue l’horizon mondial de
l’interculturel, grâce par exemple à des opérations sur le Japon ou le Canada,
mais également de pratiquer l’interculturalité de préférence dans l’enceinte
européenne, et pas seulement pour des raisons statutaires. C’est dans le cadre
européen que peuvent exister des différences suffisamment accusées pour que
leur prise en compte et leurs dépassements ne soient pas formels, que les ini-
tiatives ont des chances raisonnables d’avoir des aboutissements parce
qu’elles y ont des objets mieux repérables et mieux tangibles. On retrouve là
le problème souvent évoqué, au Conseil de l’Europe ou ailleurs, à propos des
comparaisons en éducation qui, pour être faisables et profitables, doivent
porter sur des systèmes éducatifs relativement mais pas absolument diffé-
rents. C’est aussi l’occasion de retrouver le thème de la diversité européenne,
réelle sans être excessive. Comme si en quelque sorte l’interculturel devait
s’envisager sur un mode réaliste, entre des cultures dont l’éloignement ou les
fractures sont réductibles. On se retrouve aussi dans la ligne des remarques
réitérées dès les débuts des travaux du Conseil, à savoir que chaque orga-
nisation internationale a ses propres caractéristiques et sa propre culture dont
il doit être tenu compte, en particulier dans les activités de coopération multi-
latérale1.
______
1. CPME, 1975, Résolution no 3.

74
Conclusions

La conjugaison de la proximité et de la distance

Cette préférence pour un interculturel à l’échelle européenne est à relier aux


deux approches les plus fréquentes, qui peuvent paraître au premier abord
opposées. L’une est un contact assez direct entre les cultures en présence et
leurs représentants, comme cela se produit avec l’éducation des migrants ou
dans les diverses formes d’échanges entre personnes et institutions, ou dans
les divers contacts transfrontaliers. L’autre approche est au contraire celle
d’une mise en relation d’interlocuteurs ou de partenaires par des moyens de
communication, que ce soit par exemple une langue ou une source d’infor-
mation. Mais en réalité ces deux approches ne sont pas toujours nettement
dissociables. La pratique d’une langue étrangère peut permettre le recours aux
médias ou la rencontre avec un interlocuteur. Il y a donc toujours dans l’inter-
culturel une conjugaison de la proximité et de la distance, dont l’importance
est à accepter ou à négocier en fonction du contexte.

La proximité de principe et de fait est indispensable pour être sensible aux dif-
férences, car elle seule peut probablement générer la curiosité et la sympathie,
sans lesquelles le pas vers l’autre a peu de chances d’être accompli. Il faut
pour cela une proximité de principe, c’est-à-dire une volonté de proximité qui
éradique la tendance à opposer et hiérarchiser les cultures et les comporte-
ments de leurs représentants. Mais il faut aussi probablement une proximité
de fait au moins relative pour que, grâce à des contacts assez fréquents, ne
soient pas systématiquement surestimés les obstacles à une reconnaissance
effective de la multiculturalité et à une pratique réelle de la démarche inter-
culturelle.

C’est cependant l’existence de ces obstacles et les risques de malentendus ou


de conflits qu’ils peuvent provoquer qui rendent souhaitable la possibilité
d’un espace, lui aussi à la fois de principe et réel, dans lequel les heurts ou les
frictions seront surmontables grâce à une prise de recul.

En d’autres termes, il faut éviter un double écueil et une double illusion : la


croyance en la possibilité d’un état fusionnel dans lequel toutes les cultures se
rejoindraient dans la plus harmonieuse coexistence ou dans le métissage le
plus total et le plus réussi ; l’attente que l’interculturel permette la rencontre
sans failles de tous les individus et de toutes les communautés. L’interculturel,
comme le suggère du reste son préfixe, jette entre les voisins des passerelles
qui ne suppriment pas toutes les distances.

75
Figures de l’interculturel dans l’éducation

Tous les parcours effectués dans l’interculturel montrent l’opportunité de


cette double précaution. Il s’est toujours agi d’intégrer les migrants et non pas
de les assimiler. Je peux réussir à communiquer avec un interlocuteur qui ne
parle pas ma langue, mais, même à un niveau de compétence parfaite, je ne
dois pas oublier qu’il a une autre langue et une autre culture pour ne pas
rechercher une forme de communication impossible sauf dans de très rares
exceptions de bilinguisme intégral. Il est pareillement fort difficile d’aboutir
exactement à la même lecture d’une histoire nationale par les ressortissants de
pays différents. On a de plus tout intérêt à s’assurer que cette nécessité de
conjuguer la proximité et la distance ne reste pas implicite mais ressort en
toute clarté pour éviter les illusions et les déceptions qui ternissent trop de ten-
tatives d’interculturel mal compris et mal engagé.

Les perspectives pour la résolution des conflits

Les conflits sont devenus la condition ordinaire de nos sociétés en raison


de l’hétérogénéité de nos Etats, de nos agglomérations, de nos sociétés où
s’affrontent en permanence des cultures qui se voient ou se veulent dans
l’éloignement ou même l’opposition1. Il ne fait pas de doute que l’inter-
culturel, avec une telle volonté d’aller vers l’autre, sans oublier les limites à
fixer à la démarche pour qu’elle soit acceptable aux deux parties, pourrait
bien constituer une des meilleures issues à ces difficultés. On peut considérer
qu’elles ne tiennent pas seulement à des facteurs culturels auxquels la pers-
pective interculturelle a peut-être le tort d’accorder une importance exces-
sive2. Celle-ci, rendue possible par la pluralité qui caractérise les cultures en
elles-mêmes et par le pluralisme qui doit marquer leurs relations, semble
néanmoins susceptible d’avoir un double bénéfice. Elle offre d’abord un cadre
propice à des échanges dépassionnés mais réels au lieu des négociations
procédurières auxquelles on peut être obligé de se limiter dans les autres
situations. C’est pourquoi elle devrait ensuite permettre d’introduire dans les
conflits une dimension autre que politique, et donc de dépasser la dialectique
chère à Carl Schmidtt de l’ami et de l’ennemi pour s’engager sur un autre ter-
rain, celui où les dialogues seraient plus chaleureux et les solutions peut-être
plus ambitieuses, mais avec peut-être de meilleures chances d’être moins
______
1. Voir Grosjean, Etienne, «Identité culturelle : repère incontournable de l’enjeu démocratique»,
in Particularismes et universalisme : la problématique des identités, Conseil de l’Europe, 1995,
pp. 22 et suivantes.
2. Voir Marmoz, Louis et Derrij, Mohamed, op. cit., p. 43.

76
Conclusions

superficielles et plus durables. C’est en tout cas ce que le Conseil de l’Europe


espère quand il affirme : «L’Europe est une société multiculturelle et il faut
avoir pour cette Europe le projet d’une société multiculturelle impliquant le
décloisonnement, l’interaction, la solidarité entre expressions culturelles,
valeurs, modes de vie et représentations symboliques différents mais complé-
mentaires1.» La démarche interculturelle reste à l’évidence celle qui doit le
mieux permettre à cette Europe de s’affirmer dans l’acceptation de sa plura-
lité et dans son souci de pluralisme. Il n’y a sans doute pas de meilleur moyen
pour favoriser cette démarche qu’une éducation interculturelle dans le plein
sens du terme : dans la perspective d’un apprentissage à vie, assurer aux
jeunes et aux adultes les attitudes et les compétences pour qu’ils soient en
permanence capables d’assimiler les apports des diverses cultures avec
lesquelles ils sont en contact et, grâce à ceux-ci, d’élaborer ce qu’il faut
probablement dénommer «l’interculturalité européenne».

______
1. Particularismes et universalisme : la problématique des identités, op. cit., pp. 14-15.

77
BIBLIOGRAPHIE

Textes officiels
Assemblée parlementaire
Recommandation 1111 (1989) sur la dimension européenne de l’éducation.
Recommandation 1283 (1996) sur l’histoire et l’apprentissage de l’histoire.
Comité des Ministres
Recommandation no R (82) 18 sur les mesures à mettre en œuvre concernant
l’apprentissage et l’enseignement des langues vivantes.
Recommandation no R (84) 18 sur la formation des enseignants à une édu-
cation pour la compréhension mutuelle, notamment dans un contexte de
migration.
Recommandation no R (99) 2 sur l’enseignement secondaire.
Recommandation Rec(2001)15 sur l’enseignement de l’histoire au XXIe siècle.
Conférence permanente des ministres de l’Education
Résolution no 4 sur les recherches sur la formation générale continue et
l’utilisation de la télévision, 1961.
Résolution no 6 sur le développement et l’amélioration de l’enseignement des
langues modernes, 1961.
Résolution no 1 sur les problèmes éducatifs d’intérêt commun pour les pays
européens, 1962.
Résolution no 4 sur l’utilisation de la télévision dans l’éducation, 1962.
Résolution no 4 sur le problème de l’admission des étudiants à l’université,
1964.
Résolution no 2 sur les besoins éducatifs des enfants moins doués pour les
études académiques, 1969.
Résolution no 3 sur la préscolarisation et l’école primaire face à la demande de
possibilité d’éducation pour tous, 1969.
Résolution no 2 sur la mobilité des étudiants et des professeurs dans l’ensei-
gnement supérieur, et la mobilité des chercheurs, 1971.
Résolution no 3 sur la coopération internationale en éducation, 1975.
Déclaration sur l’éducation des migrants, 1985.

79
Figures de l’interculturel dans l’éducation

Résolution no 1 sur les tendances et les problèmes communs de l’éducation en


Europe : conclusions à tirer des projets qui ont été terminés, 1997.

Etudes
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la citoyenneté démocratique, projet «Education à la citoyenneté démocra-
tique», Conseil de l’Europe, 2000.
Audigier, François, Pratiquer la diversité culturelle dans l’éducation, projet
«Démocratie, droits de l’homme, minorités : les aspects éducatifs et culturels»,
Conseil de l’Europe, 1997.
Birzea, César, L’éducation à la citoyenneté démocratique : un apprentissage
tout au long de la vie, projet «Education à la citoyenneté démocratique»,
Conseil de l’Europe, 2000.
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Gelpi, Ettore, Education des adultes, démocratie et développement, Conseil
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Grosjean, Etienne, Synthèse et conclusions de la conférence finale, projet
«Démocratie, droits de l’homme, minorités : les aspects éducatifs et culturels»,
Conseil de l’Europe, 1997.
Leclef, Daphné, La gestion de la diversité culturelle, projet «Démocratie,
droits de l’homme, minorités : les aspects éducatifs et culturels», Conseil de
l’Europe, 1997.
Liegeois, Jean-Pierre, Roma, Tsiganes, Voyageurs, Conseil de l’Europe, 1994.
Mangot, Thérèse, Une conscience élargie, analyse de l’évolution conceptuelle
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projet «Démocratie, droits de l’homme, minorités : les aspects éducatifs et
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Perotti, Antonio, Plaidoyer pour l’interculturel, Conseil de l’Europe, 1994.
Stradling, Robert, Enseigner l’histoire de l’Europe du XXe siècle, Conseil de
l’Europe, 2001.
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Conseil de l’Europe (à paraître).

80
Bibliographie

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Costa-Lacoux, Michel Oriol, Conseil de l’Europe, 1995.
Droits de l’homme et minorités dans les nouvelles démocraties européennes :
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Histoire sans frontières – Guide pratique pour les projets pilotes internatio-
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La compétence socioculturelle dans l’apprentissage et l’enseignement des
langues, Conseil de l’Europe, 1997.
La compréhension mutuelle et l’enseignement de l’histoire européenne :
défis, problèmes et stratégies, Document CC-AD/HIST(95)16, Conseil de
l’Europe, 1996.
La dimension européenne dans l’enseignement secondaire, projet «Un ensei-
gnement secondaire pour l’Europe», Conseil de l’Europe, 1997.
La diversité linguistique en faveur de la citoyenneté démocratique, Conseil de
l’Europe, 2000.
L’éducation et le développement culturel des migrants, projet no 7 du CDCC,
Conseil de l’Europe, 1986.
L’enseignement de l’histoire et la promotion des valeurs démocratiques et de
la tolérance, manuel destiné aux enseignants, Document CC-ED/HIST(96)1,
Conseil de la coopération culturelle, Conseil de l’Europe, 1996.
Les droits culturels au Conseil de l’Europe (1949-1997), projet «Démocratie,
droits de l’homme, minorités : les aspects éducatifs et culturels», Conseil de
l’Europe, 1997.

81
Figures de l’interculturel dans l’éducation

L’histoire et l’apprentissage de l’histoire en Europe, Assemblée parlemen-


taire, Conseil de l’Europe, 1996.
Liens et échanges scolaires en Europe – Vade-mecum, Conseil de l’Europe,
1994.
L’innovation dans l’enseignement primaire, projet no 8 du CDCC, Conseil de
la coopération culturelle, Conseil de l’Europe, 1987.
One School, many cultures, CERI-OCDE, Paris, 1989.
Particularismes et universalisme : la problématique des identités, Conseil de
l’Europe, 1995.
Projet «Démocratie, droits de l’homme, minorités : les aspects éducatifs et
culturels», synthèse et conclusions de la conférence finale, Conseil de
l’Europe, 1997.
Projet «Education à la citoyenneté démocratique», rapport de la conférence
finale, Conseil de l’Europe, 2000.
Projet «Education des adultes et mutations sociales», rapport de la conférence
finale, déclaration finale et annexe, Conseil de l’Europe, 1993.
Sites de citoyenneté : engagement, participation et partenariats, projet
«Education à la citoyenneté démocratique», Conseil de l’Europe, 2000.
Strategies for educational reforms : from concept to realisation, Conseil de
l’Europe, 2000.
Vivre le multilinguisme européen, conférence, conclusions et recommanda-
tions, Conseil de l’Europe, 1982.

Note: Cette bibliographie comprend seulement la liste des ouvrages cités dans l’étude. Elle ne
saurait donc être exhaustive. Si l’on souhaite la compléter, pour les travaux du Conseil de
l’Europe, on peut se reporter à la bibliographie de l’ouvrage d’Antonio Perotti, Plaidoyer pour
l’interculturel (Conseil de l’Europe, 1999) et à la publication de Ruth Goodwin, Documents du
Conseil de l’Europe consacrés à l’éducation interculturelle (Conseil de l’Europe, 1995). Des
informations d’ordre plus général sont données par exemple dans les bibliographies des contri-
butions à l’ouvrage L’interculturel en question – L’autre, la culture et l’éducation, coordonné par
Louis Marmoz et Mohamed Derrij (L’Harmattan, Paris, 2001).

82
Sales agents for publications of the Council of Europe
Agents de vente des publications du Conseil de l’Europe

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L’interculturel est l’ensemble des processus destinés à établir, entre des cultures
différentes, des relations fondées sur l’équité et le respect mutuel. Ces considérations
ont toujours profondément marqué l’action menée par le Conseil de l’Europe en
matière d’éducation, puisque l’Organisation accorde une grande importance à la
défense des droits de l’homme et de la démocratie. La présente brochure, intitulée
«Figures de l’interculturel dans l’éducation», donne un aperçu de cette action et aide
le lecteur à mieux comprendre ces processus en les distinguant les uns des autres pour
lui faire découvrir ce que l’interculturel signifie vraiment.

Les diverses figures de l’interculturel décrites dans la brochure sont les suivantes : la
confrontation à la différence dans la lutte contre les discriminations, la communication
dans un contexte de pluralisme des langues et des médias, une réflexion critique sur
l’enseignement de l’histoire et une pratique pédagogique innovante.

L’auteur, Jean-Michel Leclerq, docteur d’Etat, a enseigné l’éducation comparée


internationale à l’université de Paris-X – Nanterre ; il a écrit de nombreux livres et
articles sur l’éducation en Europe et au Japon.

Le Conseil de l’Europe regroupe aujourd’hui quarante-quatre Etats membres,


soit la quasi-totalité des pays du continent européen. Son objectif est de créer un
espace démocratique et juridique commun, organisé autour de la Convention
européenne des Droits de l’Homme et d’autres textes de référence sur la protection
de l’individu. Créé en 1949, au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Conseil
de l’Europe est le symbole historique de la réconciliation.

ISBN 92-871-5013-3

9 789287 150134
http://book.coe.int
8€/12$US Editions du Conseil de l’Europe

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