Emerson Sublime Ordinaire
Emerson Sublime Ordinaire
Emerson Sublime Ordinaire
Emerson
Le sublime ordinaire
CNRS ÉDITIONS
15, rue Malebranche – 75005 Paris
© CNRS ÉDITIONS, Paris, 2015
ISBN : 978-2-271-08523-8
ISSN : 1248-5284
À Flaminio, Nadia et Joachim
« Si les étoiles n’apparaissaient qu’une nuit sur mille,
comme les hommes les vénéreraient ! »
Emerson, Nature.
Introduction
Le mythe Emerson
expérience, pas un seul fait n’était passé dans sa doctrine. Cet homme
avait labouré et planté, parlé, acheté et vendu ; il avait lu des livres, il
avait mangé et bu ; sa tête lui faisait mal, son cœur palpitait, il sou‑
riait et souffrait, et pourtant il n’y avait dans tout son discours pas un
soupçon, pas une allusion au fait qu’il ait jamais réellement vécu. Il
n’en empruntait pas un seul élément à l’histoire réelle. Le vrai prédi‑
cateur peut être repéré au fait qu’il parle aux gens de sa vie – une vie
passée au feu de la pensée 24.
Dans de nombreuses entrées de son Journal Emerson parle de
ses doutes, de ses hésitations, de ses peurs, de ses incertitudes, de
son manque de confiance. L’exposé si détaillé de ses émotions par‑
ticipe de son intention de revenir à l’âme, de découvrir les rouages,
les mécanismes, les lois complexes et invisibles qui l’animent. Cette
narration de soi qui nous prend à témoin et nous place au plus près
possible des vibrations de sa personnalité nous implique nous aussi.
Le récit attise notre curiosité et tour à tour émeut, étonne, agace,
dérange. Le récit en « je » d’Emerson par lequel il se cherche
lui-même et se construit, nous convoque. Emerson se raconte et
nous raconte, donnant ainsi raison à l’une de ses grandes convic‑
tions : le plus intime est le plus universel. Il l’affirme dans son essai
« Histoire » : « Il n’y a pas d’Histoire à proprement parler ; seu‑
lement de la Biographie 25. »
Ce ton nouveau qu’Emerson cherche à donner est celui d’une
voix spécifique qui se livre, à l’instar de ce prédicateur qu’il appelle
de ses vœux ; une voix transparente à la nature et à sa propre nature,
sans masque et sans mensonge, une voix qui engage et met à nu la
personne qui parle. La voix d’Emerson « se fait entendre » dans
sa biographie. En réaction critique à Poésie et vérité, souvenirs de
ma vie, le récit en partie autobiographique de Goethe, l’un de ses
auteurs de prédilection, Emerson déclare : « Une autobiographie
doit être un livre de réponses personnelles aux grandes questions
de notre temps. » Et le penseur de poursuivre au sujet de l’intellec‑
tuel : « Doit-il être un intellectuel ? Les infirmités et le ridicule de
celui-ci sont bien visibles. Doit-il se battre ? Doit-il demander aux
riches ? Doit-il valoriser la vie ascétique ou la vie commune ? Doit-il
priser les mathématiques ? Lire Dante ? Platon ? La cosmogonie ?
Que doit-il dire au sujet de poésie ? Qu’est-ce que l’astronomie ?
Qu’est-ce qu’une religion ? Ecoutons maintenant ce qu’il peut
dire sur le gouvernement et la politique. Faut-il payer des impôts,
enregistrer les titres de propriété ? Est-ce que l’autobiographie de