Institut de Recherche Sur Le Maghreb Contemporain: Chapitre II. Les Privatisations À

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Le temps des entrepreneurs ? | Myriam Catusse

Chapitre II. Les


privatisations à
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l’épreuve. La
cession des
entreprises
publiques
p. 83-125

Texte intégral
1 Près de vingt ans après le lancement de l’ambitieux
programme de privatisation au Maroc, les bilans que l’on
peut en faire sont contrastés. En termes macroéconomiques
et en tendances générales, le pronostic de D. Ben Ali en 1989
s’est plutôt vérifié :
« En rattachant le secteur public à sa stratégie de
reproduction, l’État confère à son action un contenu qui
transcende l’économie et qui surdétermine le politique. (...)
L’intervention du Makhzen dans la sphère économique par la
médiation du secteur public lui a permis d’instituer des
rapports conformes à l’organisation moderne de l’activité
économique et de normaliser ces rapports par l’intégration
des nouvelles couches en constitution ». (D. Ben Ali, 1989,
128-129).

2 De fait, les richesses se sont concentrées au cours de cette


décennie et des grands groupes ont avantageusement tiré
profit des privatisations : à côté de quelques grandes
entreprises étrangères, un petit nombre de groupes
économiques, dont les dirigeants sont proches du centre de
décision politique, furent les premiers bénéficiaires des
rachats d’entreprises publiques.
3 Mais en détail, ces privatisations furent aussi l’occasion de

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considérables changements. En amont, un discours sur la


citoyenneté économique et les effets du travail publicitaire
ont inscrit la politique de privatisation dans un système de
référence libéral, une « fiction » 1que renforce le ralliement
de ses principaux détracteurs. En aval, la timide émergence
d’une activité boursière engendra de nouveaux
comportements en matière de financement, qui amenèrent
l’oligarchie bancaire, pièce maîtresse du dispositif de
reproduction politico-économique, à s’adapter. Surtout, les
logiques de décharge dont procède la politique de
privatisation ont transformé les modalités de l’action
publique et la géographie de l’équilibre des forces.

Les récits de la privatisation


4 La publicité, singulière de la part de pouvoirs publics peu
rompus à la communication, qui accompagna le lancement
de la campagne de privatisation aida l’entreprise à entrer
dans l’espace public (J.-Ph. Bras, 1995, 201). Elle contribua
au développement d’un nouveau lexique pour décrire les
comportements et éventuellement les évaluer.

Publiciser la privatisation
5 Les deux premiers ministres successifs chargés du dossier,
M. Z. Zahidi (1992-1993) puis surtout A. Saaïdi (1993-1998),
donnèrent de nombreuses interviews aux journaux
marocains, à la télévision, lors de conférences de presse à
l’étranger afin de se faire l’avocat de leur politique et
promouvoir le programme de privatisation à tous les
acheteurs potentiels. Une réelle stratégie de communication
fut mise en œuvre au moment de l’impulsion du programme.
En juin 1995, une publication commença à être éditée,
Transfert, le journal des privatisations au Maroc. Le
ministre, A. Saaïdi, en signa le premier éditorial :
« La politique marocaine de privatisation a été voulue,

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conçue et mise en œuvre, en tant que véritable instrument de


modernisation économique et sociale. Telle était la volonté
de Sa Majesté le Roi qui a donné une vigoureuse impulsion à
cette politique et qui en entoure la mise en œuvre de sa haute
sollicitude. Au-delà de simples transferts assurant des
ressources supplémentaires aux caisses de l’État, il s’agit bel
et bien d’une profonde réforme, induisant des changements
multidimensionnels. Et comme toute réforme profonde, elle
a suscité des réticences et des interrogations, parfois
légitimes. (...) Mais en dépit de tant d’ingéniosité, de
prudence et de pondération de la part des pouvoirs publics, il
demeure évident que rien ne permettra d’échapper
totalement aux controverses et à l’exigence de transparence.
Conscient du caractère éminemment salutaire de cette
exigence-là, le département de la privatisation s’impose un
devoir permanent de communiquer, de bien communiquer,
de toujours communiquer.
En plus d’une présence, qui se veut forte et vigilante, dans le
champ médiatique à travers les différents supports écrits ou
audiovisuels, le ministère se propose, à côté des publications
et brochures événementielles et spécifiques, de fournir
régulièrement à tous ceux qu’intéresse la privatisation, une
information complète, claire précise et concise »2.

6 En mars 1994, le même ministre proposa un pacte au


syndicat national de la presse : à la charge de son
département de respecter une « transparence totale », aux
journalistes de vérifier l’information et la traiter de manière
objective. Il s’agissait avant tout de rassurer les repreneurs
marocains et étrangers, de couper court aux rumeurs de
corruption et d’arrangement3. Le ministre trouva là le
soutien de ses partenaires étrangers et notamment de
l’USAID, l’assistant technique de son administration :
« La transparence du processus de privatisation était
considérée comme un élément essentiel pour persuader le
public que la privatisation ne serait pas une opération qui
bénéficierait à un petit nombre de privilégiés. De plus,
l’expérience mondiale [montrait] que le succès d’un

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programme de privatisation dépendait largement du nombre


d’informations que reçoivent les investisseurs potentiels ».
(A. Bouazza, 1996/1997, 198).

7 Le thème de « l’indispensable transparence » fut


singulièrement omniprésent dans les premières années de la
privatisation de la part des pouvoirs publics. Il répondait au
contexte de suspicion partagé dans lequel étaient menées les
premières opérations. À titre d’exemple, un rapport de la
mission économique et financière de l’ambassade de France
rédigé en 1993, s’interrogeait laconiquement sur la lenteur
du processus et la stratégie adoptée : « Elles pourraient
indiquer que cette politique se heurte à l’opposition de
certains intérêts »4. Au-delà des milieux financiers, ce
scepticisme fut une arme politique récurrente usée par les
détracteurs des privatisations. En 1996, dans un débat
parlementaire, le président du groupe parlementaire du parti
de l’Istiqlâl mettait de fait en doute la transparence des
procédures :
« Le recours fréquent à ce procédé [les cessions directes] a
créé le doute chez de nombreux Marocains et les a poussés à
penser que certaines opérations de privatisation
représentent une cession d’avantages et d’intérêts ».

8 Dans ce contexte, les deux ministres intervinrent, l’un après


l’autre pour expliquer et défendre les dispositions de la loi,
puis pour présenter les différentes étapes de leur politique,
par exemple lors du lancement des bons de privatisation5.
L’effort s’adressa également aux institutions étrangères : le
ministre des Privatisations se rendit régulièrement à
l’étranger afin de promouvoir son programme et attirer les
investisseurs étrangers, convaincre ces milieux d’affaires des
opportunités qu’offre le Maroc, au détriment de la
concurrence des pays de l’Europe de l’Est ou d’Amérique
latine mais aussi de marchés proches tels que ceux de la
Tunisie, de l’Égypte ou de la Turquie.
9 Le message adressé au public marocain « révéla des

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mutations dans les registres sur la légitimation au Maroc »,


par la déclinaison d’une devise révisée : « La Nation, l’État et
l’Entreprise » (J.-Ph. Bras, 1995, 200). L’idée d’une
« citoyenneté économique », consacrée par le slogan de la
Confédération générale des entreprises du Maroc,
« l’entreprise citoyenne », s’ébaucha.
10 La thématique de la responsabilité apparaît dès le premier
discours royal sur la question. Elle constitue un axe majeur
du dispositif de communication. Les Marocains qui
composent le secteur économique privé sont désormais
désignés responsables du développement économique de
leur pays. Le rôle de l’État se limiterait aux « opérations de
promotion et de régulation » et à « répondre aux besoins
sociaux, éducatifs et infrastructurels de la nation » :
« L’approche libérale du Maroc est fondée sur la conviction
que l’entreprise privée est mieux outillée pour opérer dans
un environnement concurrentiel et que l’État doit se
consacrer en priorité à son rôle d’animateur et de régulateur
de l’économie »6.

11 À partir de 1993, des agences de publicité furent chargées par


les pouvoirs publics de la communication sur les
privatisations en général et sur certaines opérations en
particulier. L’agence Shem’s remporta le marché pour les
grands médias7, tandis que l’agence Public’s, du même
groupe, était chargée de la communication hors média et des
relations publiques. Le message qu’elles s’efforcèrent de faire
passer était double : encourager les acheteurs et faire évoluer
une opinion publique et des médias, majoritairement
opposés aux privatisations8. Si les quotidiens politiques,
organes des partis d’opposition notamment, exprimaient la
méfiance de l’USFP ou de l’Istiqlâl au sujet de la
libéralisation, une nouvelle presse voit le jour à cette époque,
bien plus favorable aux privatisations, L’Économiste en tête
(« le premier quotidien économique du Maroc »), créé en
1991 et dont l’ONA est l’un des principaux partenaires

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financiers, salua ce dispositif médiatique. Le ministre des


Privatisations faisait partie de son tour de table :
« Un outil audio-visuel à vocation pédagogique, et adapté en
fonction des cibles et de leur niveau de responsabilités a été
conçu à cet usage, en vue de présenter la finalité du projet.
Être rationnel, se montrer didactique, rassurer d’abord,
mobiliser ensuite, montrer que le salarié pourra progresser
au sein de l’entreprise privatisée, tels sont les objectifs de
cette communication destinée aux salariés des
9
privatisables » .

12 Au moment de la première diffusion des bons de


privatisation puis lors de la vente de la société pétrolière
SAMIR, des messages publicitaires furent tournés par des
membres de l’équipe du film marocain qui venait de
remporter un franc succès, À la recherche du mari de ma
femme10. L’un des comédiens, B. Skirej, se fit le chantre de
l’opération :
« Il s’agit d’un message public. (…) J’ai la certitude que les
privatisations sont l’avenir du Maroc et un nouveau souffle
pour l’économie marocaine. Alors il faut exploiter le succès et
le capital de confiance qu’accorde le public à mon
personnage de Haj, considéré comme un héros »11.

13 Comme le note J.-Ph. Bras, qu’il s’agisse des discours


officiels, des déclarations ministérielles, ou des campagnes
de publicité, le message contenait les mêmes leitmotiv : « Les
privatisations, c’est bien pour vous, c’est bien pour nous ».
Le slogan « Soyons actionnaires du progrès » s’accompagnait
d’un logo, une étoile rouge et verte à cinq branches,
traduisant, selon ses concepteurs, l’idée d’un « grand projet
national mené en commun ». Cela suggérait la conciliation
des intérêts privés et de l’intérêt collectif grâce à la
participation d’un nombre important d’investisseurs, tous
concernés – comme potentiels responsables ou bénéficiaires
– par la croissance économique du pays. L’objectif
d’engendrer le développement d’une classe moyenne est sans

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cesse rappelé, relayé par les discours plus académiques sur


les privatisations :
« Les démarches néopatrimoniales n’englobent pas
seulement les espaces de l’État. Le grand capital privé
bénéficierait également de multiples avantages par rapport
au petit et moyen capital. La logique générale du pouvoir
économique au Maroc serait d’avoir constamment conduit à
une clientélisation de la société et à la satellisation des
groupes sociaux par l’État producteur/redistributeur. Dans
ce cadre, la privatisation exprimerait un esprit libéral de type
nouveau. La désétatisation de l’économie qu’elle incarne
serait-elle le meilleur cadre de dépassement du clientélisme
d’État ? Ou l’espace le mieux approprié dans les conditions
actuelles à son redéploiement ? ». (A. Saaf, 1995, 176).

14 Comme pour ancrer ces images et représentations


construites à travers ces médias, les enquêtes par sondage,
nouvelle technique au Maroc, sont utilisées pour accréditer à
leur tour de la prise de conscience publique et collective du
bien-fondé et de la pertinence politique des privatisations.
En 1993, par exemple, L’Économiste publiait les résultats
d’une enquête effectuée par l’agence Sunergia auprès de
« cadres de Rabat et Casablanca », pour qu’ils jugent le
lancement de la campagne de privatisations12. Chefs
d’entreprise, cadres supérieurs, cadres moyens, gros
commerçants, ou exerçant des professions libérales, ils
représentaient la population a priori ciblée par les
privatisations.
15 Selon les résultats publiés avant la première opération de
cession, ces cadres se prononçaient majoritairement pour
l’opération, mais mettaient en cause son caractère
confidentiel. Ils redoutaient avant tout qu’elle ne soit suivie
de vagues importantes de licenciements. La majorité d’entre
eux associaient les privatisations à la libéralisation, à la
libération de fonds d’État pour les secteurs sociaux et surtout
à l’amélioration de la gestion des entreprises. Une petite
majorité faisait confiance à l’administration pour réaliser le

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meilleur profit dans la vente et assurer le respect du cahier


des charges par l’acheteur ou les acheteurs du noyau dur.
16 Les privatisations furent-elles pour autant les « véhicules
d’une éducation économique et financière du citoyen » (N.
Ibn Abdeljalil, 1996-1997, 99), l’occasion de dispenser ou de
mettre en forme une pédagogie de l’économiquement
correct ? Certains louèrent le dispositif, à l’instar de ce
professeur de gestion :
« Jamais l’information économique et financière n’a été aussi
largement diffusée en quantité comme en qualité que lors de
ces 3 dernières années. (...) Le citoyen marocain a
aujourd’hui quotidiennement accès à une masse
d’informations économiques et financières de bon niveau,
qu’il peut capitaliser. Nous pouvons parler, me semble-t-il,
de la naissance d’une culture économique et financière ».
(Ibid., 100).

17 Si l’existence de la publicité, le développement d’un espace


de débat public représente a priori un gage de contrôle par
l’opinion publique sur le pouvoir politique, ils sont aussi des
instruments de manipulations conscientes ou non, ou du
moins de domination, en particulier là où l’exercice de la
critique publique connaît de sérieuses contraintes (A.
Cottereau, 1992). Dans le cas des privatisations marocaines,
les valses-hésitations autour du « bon usage » de la publicité
soulèvent plusieurs interrogations. Au-delà des contraintes
qui pèsent sur la critique publique au Maroc, une question
délicate reste celle des risques que représenterait pour l’élite
économique une totale publicité sur les procédures : alors
que les activités économiques sont largement mues par des
arrangements, parfois des pratiques clientélistes, le savoir-
faire réside justement dans la capacité à jouer de réseaux
non seulement pour faire pencher la balance de son côté,
mais aussi en amont afin d’avoir accès à l’information. Pour
les dirigeants des grands groupes privés, proches du pouvoir
politique, disposant de moyens de pression sur

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l’administration, il n’était pas forcément opportun de


soumettre les procédures de cession des entreprises
publiques au tribunal d’une critique publique.

«Corporate Governance»: un nouveau


gouvernement de l'entreprise?
18 Parallèlement au vocabulaire de responsabilisation du privé
à l’égard de l’intérêt collectif, décliné parfois sous
l’expression de « citoyenneté économique », se sont
développées ces mêmes années, dans les colonnes de presse
comme dans une production à vocation plus universitaire13,
de nouvelles thématiques qui illustrent le changement de
paradigme, des manières de dire et de penser l’activité
économique. La thématique de la « Corporate Governance »
en est un bon exemple. Empruntée aux experts des
institutions internationales, en particulier la Banque
mondiale et le Fonds monétaire international, la formule
connut un certain succès dans les années 1995-1997, au
moment où s’accéléraient les privatisations. Elle était alors
employée à double escient : pour asseoir l’effort de réforme
du secteur public 14 et pour annoncer ou justifier a posteriori
les modifications de la loi sur les sociétés anonymes.
19 Aux dires de ses promoteurs, elle désigne un rééquilibrage
des rapports de pouvoirs au sein des organes de direction des
entreprises15. Elle serait d’actualité lorsque se développent le
marché boursier et l’actionnariat, lorsqu’il convient de
prévoir ou de reconnaître l’existence de contre-pouvoirs et de
dissidence au sein d’entreprises considérées jusqu’alors
comme mono-lithiques (A. Drissi, 1995). Le ministre A.
Saaïdi, lui-même, s’exprima sur la question, en conférant
une connotation explicitement politique et libérale du
concept. Il s’agissait pour lui d’établir :
« La constitution de l’entreprise, au même sens qu’un État a
une Constitution, permettant de partager les pouvoirs et de
définir les règles de contrôle des uns par les autres »16.

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20 De fait, les privatisations en tant qu’opérations de transfert


de capitaux s’accompagnèrent nécessairement de
transformations des modes de gestion de l’entreprise, de
partage du pouvoir, en particulier quand les actionnaires se
multiplièrent. Alors que les entreprises privées marocaines
étaient réputées être gérées de façon « familiale », la
privatisation des entreprises publiques devait conduire, en
théorie du moins, à une réflexion sur les relations de pouvoir
au sein de ces nouvelles structures privées. Les discours sur
la « Corporate Governance » suggéraient l’idée que la
privatisation s’accompagnerait d’une « rationalisation » de
l’entreprise, d’une « réforme des mentalités »17, d’une
« modernisation de la culture d’entreprise », d’une « remise
en question de la légitimité des technostructures »18, voire
aux yeux de certains « d’un transfert de démocratie »19. Alors
que le nombre d’actionnaires se multipliaient, le mode de
gestion de l’entreprise devait se démocratiser, lisait-on entre
les lignes. Ce type de message s’adressait tant aux salariés
des entreprises privatisées et en particulier aux syndicats
inquiets quant aux conséquences sociales du transfert des
unités, qu’aux actionnaires potentiels pour les inciter à
investir.
21 Dans la Déclaration pour l’éthique de l’entreprise qu’elle
rend publique en automne 1998, la Confédération générale
des entreprises du Maroc (CGEM) inscrivit d’ailleurs la
« bonne gouvernance » de l’entreprise parmi ses
préoccupations majeures :
« Face à la mondialisation et aux exigences de la
compétitivité, l’entreprise, de même qu’elle œuvre pour sa
mise à niveau technique, managériale et financière, [la
CGEM] invite au respect par tous des règles éthiques dont les
principaux fondements sont : (...) La bonne gouvernance
comme mode de gestion des affaires, basée sur le respect des
biens sociaux, la sauvegarde des intérêts des actionnaires et
la responsabilité pleine et entière à leur égard »20.

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22 Alors que l’administration et les entreprises publiques


souffrent d’une image qui sans cesse se détériore
(« budgétivores et polluantes » 21selon la Banque mondiale,
« État dans l’État », « pléthoriques », « engorgées »,
« paralysées », « en proie à la corruption »), la privatisation
des entreprises serait à l’opposé l’occasion de réveiller et de
provoquer des pratiques et des comportements innovants en
matière économique mais aussi sociale et politique. Le
raisonnement peut aller plus loin : paradoxalement ce serait
grâce à l’effet d’entraînement provoqué par les privatisations
que l’administration pourrait se réformer afin de mieux
servir l’intérêt général22.
« “Moins d’État, mieux d’État” est devenu ainsi un mot
d’ordre, pour ne pas dire une doctrine dont l’aboutissement
final serait l’amenuisement du rôle de l’“État Providence”
dans un système basé essentiellement sur les dogmes du
libéralisme et le renforcement du rôle de l’initiative privée ».
(M. Assouali, 1996, 139).

23 Le discours sur la gouvernance d’entreprise fut assourdi


devant l’injonction des agences internationales à la « bonne
gouvernance »23. Sans revenir sur les usages contemporains
pléthoriques de ce concept, soulignons néanmoins que ses
chantres interrogent eux aussi les entrecroisements entre
public et privé et les interrelations entre une multitude
d’acteurs présents sur la scène internationale, dans des
espaces nationaux ou dans des sphères spécifiques. Il est vrai
qu’il a contribué à un renouvellement des approches
théoriques, notamment pour l’analyse des politiques
urbaines. Mais ce sont les institutions internationales,
spécialement la Banque mondiale et le PNUD, qui ont
vulgarisé et diffusé la notion de gouvernance ou, plus
exactement, de « bonne gouvernance ». Dans les années
1990, il s’agissait, pour accompagner la mise en place des
Programmes d’ajustement structurel, de qualifier des
situations de pouvoir dans des pays dont les structures

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étatiques demeuraient faibles, aux yeux des experts de ces


institutions financières. L’usage du terme de
« gouvernance » plutôt que celui de « gouvernement » a
plusieurs significations.
« La notion de gouvernance présente le mérite de mettre
l’accent sur les transformations de l’action publique : la
diminution relative de la capacité d’action des États ; la crise
de légitimité de la sphère publique ; l’intervention à tous les
niveaux de l’action publique d’agents et d’institutions du
secteur privé ; l’importance nouvelle du paradigme du
marché ». (F. X. Merrien, 1998, 68).

24 Il s’agit d’abord de rendre compte des transformations de


l’action publique. Mais comme l’indique F. X. Merrien, la
théorie de la gouvernance se situe plus du côté de l’idéologie,
voire du prophétisme, que de celui de l’analyse.
25 « La manière dont fonctionne l’argumentation sur la
gouvernance fait apparaître une tendance marquée au
fonctionnalisme. Toutes ces études se situent dans une
perspective de développement nécessaire et inéluctable. (…)
La gouvernance est le one best way qui s’impose, et elle
passe notamment par une dédifférenciation entre le public et
le privé et l’application des recettes de la nouvelle gestion
publique » (Ibid.), au détriment de divergences manifestes.
26 « Idiome parfaitement cosmopolite » (A. Pagden, 1998, 16),
il offre à ceux qui l’emploient un système de référence
suffisamment lâche pour justifier la teneur de leurs actions.
Pour les autorités publiques, les mots de la gouvernance ont
d’ailleurs acquis une valeur idiomatique, fortement valorisée.
Les pouvoirs publics marocains, par exemple, en firent un
usage remarquable pour accompagner la politique de
décentralisation à l’orée des années 2000 (M. Catusse, R.
Cattedra et M. Idrissi-Janati, 2004). Pour les acteurs locaux,
il entre dans leur vocabulaire comme l’une des manières
formalisée et valorisée de décrire un rapport prescriptif au
politique, c’est-à-dire à l’organisation de rapports de

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pouvoirs24. Et nous y reviendrons plus loin, c’est pour s’être


justement exprimé sur la « gouvernance » dont il déplorait le
« flou » et la « dilution des responsabilités » que H. Chami,
président de la CGEM, fut l’objet d’une levée de bouclier à
l’automne 2005, notamment de la part de l’entourage royal
(voir chapitre V).
27 Les récits qui accompagnèrent, sous forme publicitaire ou
dans des cercles plus confinés, la vente des entreprises
publiques marocaines, pour avoir des effets de sens,
manifestant le renouveau – ou au contraire l’éculé comme
nous le verrons – ne sont qu’une des facettes de ce qui se
joua dans la réforme et continue de se jouer. Les références
se télescopent dans un nouvel imaginaire de l’économie où,
par plusieurs truchements, l’entreprise privée paraissait se
parer de vertus recherchées, dans le meilleur des mondes du
moins. Dans le champ du politique – et pas seulement de la
politique – les privatisations furent (et continuent d’être)
l’instrument de rapports de forces d’une part, de modes de
régulation de l’économique et du politique d’autre part.

Reproduction du capital, concentration des


pouvoirs
28 Les contradictions entre le discours et les représentations
construites sur les privatisations et le bilan économique et
politique de leur mise en œuvre sont à l’image des tensions
qui caractérisent le tournant libéral au Maroc. Tandis que se
compose l’image d’une entreprise privée dynamique,
innovante, concourant à la satisfaction des intérêts collectifs
de la nation, le bilan des privatisations est l’objet de
polémiques plus ou moins feutrées. Rien n’est moins sûr que
les privatisations aient brisé les monopoles et les situations
de rente, encore moins engendré un nouvel entrepreneuriat.
29 Un retour sur les modalités juridiques et concrètes des
privatisations montre que ces procédures de cessions ont
renforcé l’assise économique de certains groupes privés

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puissants, tout en favorisant le développement de nouvelles


structures et pratiques économiques. Dans tous les cas, les
privatisations des entreprises publiques marocaines ont
contribué à recomposer le paysage économique du Royaume.
Les polémiques qu’elles suscitèrent mirent en évidence les
enjeux politiques du processus et leurs conséquences sur la
réforme des structures du pouvoir.

Bilan global des rachats


30 Les données officielles diffusées par le ministère des
Finances et des Privatisations permettent de tracer les
grands traits des transferts déjà effectués. Les premières
cessions ont commencé en 1993. Sur les 114 entreprises
désignées par la loi de privatisation, 63 avaient été cédées en
2003, à la veille de l’annonce d’une nouvelle vague de
privatisation par la loi des finances de 2003 du
gouvernement D. Jettou 25 et 71 en 2006. Une large part avait
été cédée avant la nomination du gouvernement
« d’alternance » : 36 sociétés et 18 hôtels. Mais les plus
importantes opérations, en termes de recettes, sont
relativement récentes : en 2001, 2004 et 2005 la
privatisation de Maroc télécom, en 2003 la Société
marocaine de construction automobile, en 2006 celle de la
Régie des tabacs. Selon le ministère des Finances et de la
Privatisation, les recettes totales s’élèvent à environ 82
milliards de dirhams (environ 8 milliards d’euros)26. Ces
opérations ont entraîné la libéralisation de secteurs tels que
ceux des banques, du pétrole, des télécommunications 27 ou
des tabacs et ont incontestablement drainé des
investissements étrangers (M. Hattab Christmann, 2007).
Parallèlement à ces opérations, comme nous l’avons
souligné, d’autres formes de privatisation se sont
développées.
31 Le ministère des Finances et des Privatisations affirme que
51,6 % des recettes ont été générées par appel d’offres,

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32,7 % par attribution directe, 15,15 % ont été réalisées par


offre publique à la Bourse des valeurs de Casablanca et 0,6 %
par participation des salariés28. En moyenne, la contribution
des privatisations sur la période 1993-2003 au budget
général de l’État a été de 5,8 % des recettes ordinaires (hors
privatisations), avec des pics de 24,5 % en 2001 (vente de
Maroc ) et de 13,8 % en 2003 (vente de la Régie des tabacs).
Jusqu’en 2000, l’ensemble des recettes des privatisations
était affecté au budget de l’État. Depuis 2001, une part
importante est transférée au Fonds Hassan II pour le
développement économique et social29. Grâce aux
privatisations, assure le ministère des Finances et des
Privatisations, le Maroc est passé du quatrième au premier
rang des pays arabes destinataires d’investissements
étrangers directs, devançant l’Égypte et l’Arabie saoudite.
Sur le continent africain, le pays se placerait juste après
l’Afrique du Sud et le Nigeria30. Cet investissement direct
étranger se tourne essentiellement vers les secteurs des
télécommunications, de l’industrie et de l’immobilier (du fait
de la vente des hôtels). Quatre-vingt-deux pour cent de la
recette globale des privatisations proviennent, jusqu’en
2006, d’acheteurs étrangers : près de 60 % des recettes sont
issues d’investisseurs français, 18 % marocains et 9 %
espagnols.
32 Les privatisations ont eu également un impact sur le marché
financier et la bourse de Casablanca : depuis 1989, la
capitalisation boursière a été multipliée par 83,4 passant de
5 milliards de dirhams à 417 milliards de dirhams au 29
décembre 2006. Cinquante-quatre pour cent de la
capitalisation de la Bourse de Casablanca concernent les
sociétés privatisées31.

Un «capitalisme des copains»?


33 Le tableau 3 décrit les principaux transferts. Il met
clairement en exergue de grandes tendances : la part du

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capital étranger dans les opérations de rachat ; l’usage des


procédures d’attributions directes de gré à gré dans une
grande majorité des cas. Ces tendances se confirment à
l’observation de ce qui s’est passé lors des transferts moins
importants. Lorsqu’on examine plus en détail l’identité des
acheteurs marocains, il apparaît également de façon
frappante que ces ventes ont contribué à concentrer les
capitaux et à densifier dans un mouchoir de poche des
relations d’interdépendances économiques et politiques : les
opérations ont été fructueuses pour un nombre limité
d’investisseurs nationaux ou internationaux. Loin de
l’extension du capital privé et de l’émergence d’une nouvelle
classe moyenne, elles ont accentué le pouvoir économique
d’un petit nombre de groupes qui se sont en quelque sorte
partagé le gâteau, non sans heurts et disputes. Dans cette
perspective, la politique de privatisation nourrit des alliances
pour le profit, à coup de cooptation et d’exclusion. La « loi
d’airain » de la recherche de rente (S. Heydeman (éd.), 2004,
16) trouva un terreau fertile et entretint sans aucun doute un
« capitalisme des copains » : un système de relations entre
hommes d’affaires et bureaucrates qui « s’allient dans des
cliques pour rechercher des bénéfices mutuels en influençant
le mode d’intervention de l’État dans l’économie »32. La part
des relations personnelles y joua un rôle déterminant et
préserva des situations de monopole de facto.
34 La mise en vente des sociétés publiques fut également le
théâtre de stratégies à plusieurs coups où les alliés d’hier
purent devenir de redoutables adversaires. Les intérêts de la
famille royale y furent particulièrement bien servis. La
rivalité qui opposa à la fin de la décennie 1990 le groupe
Benjelloun, l’un des principaux bénéficiaires des
privatisations, à l’ONA, peut se lire, par exemple, comme une
mise en garde contre le trop appétit d’O. Benjelloun. Il en est
de même dans le secteur des télécommunications, l’un des
plus rémunérateurs des privatisations. En 2005, l’ONA

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devient l’actionnaire de référence de Maroc Connect, filiale


de Wanadoo, fournisseur d’accès à Internet. Cette dernière
obtint en 2006 une licence de téléphone mobile en 2006,
sous un nouveau nom « WANA ». Elle devint le troisième
opérateur téléphonique du pays, derrière Maroc télécom et
Meditelcom. Sur ce marché porteur, l’ONA n’avait pas
participé aux différentes étapes de la privatisation de Maroc
télécom. Dans les milieux d’affaires à Casablanca, la
naissance de WANA (« et moi » en marocain) donna lieu à
plusieurs blagues sur les ambitions tous azimuts du groupe
ONA. Rivalités, duels, vengeances parfois, divisèrent ce
monde des affaires, pourtant lié par des intérêts objectifs,
par des alliances parfois matrimoniales, etc. Si
« globalement » les privatisations purent sceller le partage
d’intérêts communs en détail, elles furent aussi les vecteurs
de querelles, de clivages, d’exclusion parfois.
35 Laissons de côté les grands groupes étrangers et français en
particulier qui, remportant les plus gros marchés, sont les
principaux bénéficiaires de ces opérations. Regardons plutôt
comment la privatisation du secteur public a transformé le
monde des affaires marocain. L’ONA, « la perle de la
couronne » (M. Diouri, 1992, 178), est certainement le
principal gagnant national des privatisations par l’entremise
du rachat de la Société nationale d’investissement (SNI),
privatisée en 1994. Près de vingt ans après l’adoption de la
loi sur les privatisations qui annonçait l’avènement d’une
nouvelle génération d’entrepreneurs dans le Royaume, les
conseils d’administration des sociétés privatisées et des
sociétés publiques connaissent des homonymies frappantes.
Les tours de table se ressemblent et les hauts cadres circulent
entre ces groupes industriels ou financiers. Si l’on s’en tient à
cette échelle d’analyse, il est évident qu’à la faveur des
privatisations n’ont été éliminées au Maroc ni les pratiques
de chevauchement de pouvoir et d’accumulation économique
ni les logiques de recherches de rente. Bien au contraire. Les

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opportunités ouvertes à de nouveaux investisseurs sont rares


et le régime marocain n’échappe pas au constat de B.
Dillman : « plus ces régimes dérégulent plus ils re-régulent
en déterminant précisément qui peut bénéficier de ces
changements et rejoindre des coalitions de redistributions »
(B. Dillman, 2001, 202).
Tableau 3. Liste des principaux transferts

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Note 33
36 Au regard des opérations d’ores et déjà effectuées, deux
catégories d’acheteurs se distinguent : ceux qui bénéficièrent
du droit de préemption, actionnaires précédents ou
directeurs des sociétés publiques et des grands groupes
privés marocains.
37 Ceci s’explique à la fois par des raisons politiques et des
raisons plus structurelles, liées aux modalités d’accès au
crédit et au financement. La structure du système bancaire
marocain, organisée de façon oligarchique, longtemps
dominée par un important secteur financier public (M. Saïd
Saâdi, 1989, 50) associé à de grands groupes privés, fut un
frein certain à l’émergence d’un actionnariat élargi. Ce
« favoritisme d’État » (O. Toscer, 2003) bénéficia à une
poignée de grands groupes qui jouèrent de la promiscuité
qu’ils pouvaient entretenir avec la technocratie d’État.

Renforcer les interdépendances du monde des affaires


38 À la faveur des principaux transferts, le grand capital
marocain s’est recomposé et réorganisé. Hormis la CIOR
(cimenterie), rachetée à 51 % par le premier cimentier
mondial, le groupe suisse Holderbank, Jorf Lasfar (la
centrale d’électricité du sud de Casablanca, reprise par un
consortium ABB/CMS), la SAMIR et la SCP, les deux
raffineries de pétrole extrêmement convoitées, finalement
cédées au groupe saoudien/suédois Corral Petroleum suite à

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un appel d’offres restreint34, les principales grandes


entreprises publiques marocaines ont été rachetées
schématiquement par les grands groupes du Royaume. En
effet, les privatisations successives de la SNI puis de la
BMCE ont offert à l’ONA et au groupe Benjelloun, en
particulier, l’opportunité de racheter de nombreuses parts et
actions lors des opérations de rachat suivantes, par effet
d’entraînement et de participations croisées. Ils purent
renforcer « des positions acquises » et se diversifier tous
azimuts (M. Saïd Saâdi, 2006, 400). Pour l’ONA, ce fut
l’occasion de déployer une « stratégie multisectorielle [dans]
l’agroalimentaire, les mines, l’automobile, la pêche hautière,
l’industrie textile, la finance, le tourisme l’immobilier, la
communication et les hautes technologies » (Ibid.).
39 En novembre 1994 la Société nationale d’investissement
(SNI) était privatisée. Depuis 1966, elle était détenue à 67 %
par l’État marocain. Société de portefeuille, elle était alors
présente par plus de quarante sociétés dans l’économie
marocaine. Son transfert fut l’occasion de dynamiser la
Bourse de Casablanca. Il devait aussi permettre de créer une
concurrence de taille à l’ONA. C’est l’inverse qui se produisit.
40 Seize pour cent des actions de l’État étaient cédées suite à
une offre publique de vente, 51 % de son capital par appel
d’offres : 35 % furent rachetées par un groupe de 18 banques
privées marocaines et étrangères, dominées par la Banque
commerciale du Maroc (BCM)35.
41 Or, la BCM était contrôlée depuis 1988 par l’ONA, dont le
PDG, F. Filali était également vice-président de la BCM,
tandis que A. Alami, PDG de la BCM était vice-président de
l’ONA36. Ainsi, la SNI, par le biais des privatisations, est
entrée dans le groupe ONA. Suite à cette privatisation, l’ONA
développa trois pôles 37 en intervenant activement dans les
opérations de privatisations suivantes :

un pôle agroalimentaire, mené par Brasseries du Maroc,

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Lesieur et la COSUMAR. Cette dernière avait été


privatisée avant la loi sur les privatisations ;
un pôle assurance et finance, constitué notamment
grâce au rachat d’actions Crédit EQDOM (société de
finance et de crédit à la consommation) privatisé par
introduction à la bourse des valeurs de Casablanca en
1997 et Maroc Leasing ;
un pôle cimenterie-énergie qui s’est développé autour
de Lafarge Maroc, détenu à 50 % par Lafarge France et
50 % par la SNI.

42 Fin décembre 1996, la SNI avait un portefeuille de 28


sociétés dont 16 cotées en bourse. À elles seules, elles
représentaient plus de 20 % de la capitalisation boursière.
Parallèlement, d’autres holdings adoptèrent la même
stratégie. Si bien que progressivement se tissa une toile
complexe de participations croisées des principaux groupes
privés marocains, dont les intérêts devinrent de plus en plus
interdépendants38.
43 La privatisation du secteur bancaire constitua une étape
déterminante dans la recomposition des équilibres entre les
groupes. Elle se traduisit par une concentration bancaire au
profit de trois banques principales : le groupe Banque
populaire, qui reste encore largement public, la Banque
marocaine du commerce extérieur (BMCE) privatisée en
1995 et Attijariwafabank, groupe bancaire constitué d’un
rapprochement entre deux banques privées en 2003, la
Wafabank et la Banque marocaine du commerce (BMC) au
profit du groupe ONA.
44 Schématiquement, avant privatisation, le secteur bancaire
était organisé de façon « oligarchique » (C. H. Moore, 1988,
256). On le décrivait comme un « cartel »39, un « groupe
d’usuriers »40. Les banques publiques y étaient dominantes,
souvent nationalisées au moment des marocanisations.
45 Parmi elles, la Banque marocaine du commerce extérieur

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(BMCE) et la Banque populaire du Maroc (et son réseau de


banques populaires régionales) jouaient le rôle de caisses de
dépôt classiques. C’étaient les fers de lance de l’intervention
de l’État dans le financement à court terme de l’économie. La
première avait pour mission de concourir au développement
du commerce extérieur et la seconde de financer la PME. À
leurs côtés des organismes spécialisés publics finançaient des
secteurs d’activité particuliers : l’industrie pour la Banque
nationale pour le développement économique (BNDE),
l’agriculture pour le Crédit agricole du Maroc, l’immobilier
pour le Crédit immobilier et hôtelier (CIH). Quant à la Caisse
des dépôts et de gestion (CDG), c’était la plus importante des
institutions financières du pays, centralisant l’épargne
liquide et notamment les fonds de la Caisse nationale de
sécurité sociale et de la Caisse d’épargne nationale (N.
Benamour Lahrichi, 1988, 230).
46 Cinq autres banques, anciennement françaises,
marocanisées dans les années 1970, opéraient dans le privé,
monopolisant « le reste des parts de marché qui sont tout à
fait stables, proposant des ententes profitables au sein de
l’oligopole financier, tout en parlant de concurrence » (C.H.
Moore, 1988). Si les interrelations financières y étaient
complexes, néanmoins, grossièrement, à la veille des
privatisations, la famille Kettani avait des parts importantes
dans la Wafabank, le groupe Karim Lamrani dans le Crédit
du Maroc, et M. Benkirane dans la BMCI. C. H. Moore
s’étonnait en 1987 que l’ONA soit peu présent dans le secteur
bancaire à la fin des années 1980 (Ibid., 259). Le holding
pénétra le secteur par le biais de la BCM, seule banque privée
non associée à un groupe familial.
47 Les deux banques publiques les plus importantes, la BCP et
la BMCE furent inscrites sur la liste des privatisables.
D’autres privatisations suivirent. Ces banques ne faisaient
plus partie désormais du secteur « stratégique »41. Toutefois,
afin d’éviter le contrôle en cascade des banques, toute une

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série de conditions étaient prévues par la loi : les repreneurs


devaient être un groupe de quatre actionnaires au moins,
toute personne détenant plus de 20 % du capital d’une
institution bancaire était exclue a priori des opérations. La
nouvelle loi bancaire rendait incompatible la présidence
d’une banque et la présence dans le conseil d’administration
d’une autre institution financière42.
48 La BCP ne fut timidement engagée dans les privatisations
qu’après sa transformation en société anonyme en 2002. La
BMCE, en revanche, fut très rapidement cédée. Elle avait été
créée en 1959. Son capital et sa gestion associaient l’État et
des institutions publiques ou semi-publiques majoritaires
(50,01 %) d’une part, et des personnes physiques marocaines
et des établissements de crédits étrangers d’autre part43.
49 Son schéma de transfert de la BMCE prévoyait la cession de
14,01 % du capital à travers la Bourse des valeurs de
Casablanca, de 3 % aux mains des salariés et des 26 %
restants par voie d’appel d’offres. C’est le groupe Benjelloun
qui prit le contrôle de la Banque publique en avril 199544, par
le biais de la Royale marocaine d’assurance (RMA).
50 O. Benjelloun, qui était présent dans le conseil
d’administration de la BCM et de la BMCI, devient PDG de
cette nouvelle banque privée en juin 1995. Rapidement, il fut
nommé président du Groupement professionnel des banques
marocaines (GPBM)45, en remplacement de l’ancien
dirigeant de la BMCE, A. Juwahri46. Il en partagea la
direction avec A. Alami, vice-président et PDG de la BCM.
Autrement dit, l’association professionnelle des banques se
voyait codirigée par le groupe Benjelloun et le groupe ONA.
51 Par la RMA, le groupe Benjelloun avait déjà investi le
domaine bancaire puisqu’il détenait des participations à la
BMCI, à la BCM, au Crédit du Maroc et à la SMCE, ce qui
ouvrait à ses dirigeants la porte des conseils d’administration
de ces institutions financières. La RMA avait déjà pris 5,8 %
dans le noyau dur de la SNI et avait racheté les 15 % de la

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BMCI cédés par le groupe ONA. La BMCE était également


présente, à hauteur de 26,49 %, dans le capital du Crédit du
Maroc, et un consortium mené par la même banque s’est
porté acquéreur de la BNDE.
52 La privatisation de la SNI et de la BMCE, en particulier, ont
manifestement permis à ces grands groupes privés, par le
biais de leurs banques et institutions financières, de
s’attribuer d’importantes cessions lors des premières années
de la privatisation. En effet, un rapide survol des opérations
suivantes révèle leur présence quasi systématique dans la
plupart des noyaux durs des repreneurs :

La SAMIR fut cédée au groupe étranger Corral


Petroleum. Néanmoins, 30 % des parts furent
introduites en bourse sous forme de bons de
privatisation dont une part importante réservée aux
Banques.
La SONASID, plus grand laminoir du Royaume et
distributeur de produit sidérurgique, bénéficiant
jusqu’alors d’un monopole dans le secteur, fut rachetée
en octobre 1997 par un tour de table comprenant la SNI
(20 %), le groupe espagnol Marcial Ucin (8,5 %) et des
« institutionnels marocains », selon la formule
consacrée, (33,5 %) qui regroupent en réalité,
approximativement à parts égales : Mamda-MCMA
(compagnie d’assurance), Al Wataniya (filiale du groupe
français GAN, et première société d’assurance privée au
Maroc), Al Amane (société d’assurance, dont la maison-
mère est AXA-UAP et détenue à 15 % par la SNI), la
BCM, la RMA, la CIMR, la CAA (Compagnie africaine
d’assurance du groupe ONA47) et le Marocco Fund.
Trente-cinq pour cent des parts ont été cédées en juin
1996 par offre publique d’achat.

53 À côté des groupes Chaâbi, Kettani, Karim Lamrani ou


Akhennouch par exemple, l’ONA et le groupe Benjelloun

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surent particulièrement tirer profit des privatisations.


L’entrecroisement de leurs intérêts respectifs s’est d’abord
intensifié au cours des premières opérations de transfert.
Mais à partir de 1998 un bras de fer eut lieu entre les deux
grands groupes à propos du rachat d’Al Wataniya, société
d’assurance, finalement tombée dans l’escarcelle du groupe
Benjelloun48. Compte tenu du portefeuille de la compagnie
d’assurance Al Wataniya, cette opération bouleversait
certains équilibres. Après avoir emporté, contre l’ONA, le
marché de cette compagnie d’assurance, le groupe utilisa le
marché boursier pour accroître sa participation à la SNI, en
1998-1999, jusqu’à posséder le quart des actions du groupe.
Certains allèrent jusqu’à émettre l’hypothèse d’une prise de
contrôle de l’ONA lui-même. Cette offensive du groupe
Benjelloun donna lieu au printemps 1999, à ce que certains
journalistes qualifièrent de « guerre des affaires » : tandis
que la question du contrôle de la SNI semblait en jeu avec
celle du partage du marché des assurances, les dirigeants des
deux groupes se lancèrent dans une bataille rangée. Non
seulement les ambitions du groupe Benjelloun furent
freinées mais il vit son empire bancaire chanceler les années
suivantes.
54 En 2003, la nouvelle surprit certains. La BCM rachetait le
groupe financier Wafa ainsi que Wafa Assurance de la
famille Kettani, deuxième compagnie du secteur de
l’assurance. Cela permit à la BCM et à l’ONA, de se hisser à la
tête du secteur de la banque. Ils doublèrent ainsi le puissant
groupe public des banques populaires. Et ils se posèrent en
dangereux concurrent face au groupe BMCE de O.
Benjelloun qui avait montré quelques velléités d’expansion.
En 2003, la Banque centrale refusa d’ailleurs à la BMCE
l’offre que lui fit la Caisse d’épargne française d’entrer dans
ses parts. Ce rachat « surprise » qui fit naître un
« mastodonte bancaire marocain » 49intervint au moment où
l’ex-ministre des Finances de l’ajustement structurel, ex-

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président de la BMCE avant privatisation, A. Juwahri, soit


nommé à la tête de la Banque centrale marocaine. Un
nouveau patron, M. Majidi, homme d’affaires propriétaire du
réseau d’affichage urbain, FC Com, que Mohammed VI
s’était choisi comme secrétaire particulier, arrivait également
à la tête de la SIGER, qui contrôle par là l’ONA et
Attijariwafa Bank. Ceci ne fait que réactualiser le constat de
R. Leveau dans les années 1980, en donnant un rôle pivot à
l’ONA :
« Le secteur bancaire public ou privé peut être sensible aux
recommandations. Aucun entrepreneur marocain n’a pu
occuper une place importante dans le secteur privé depuis
l’indépendance sans l’accord personnel du souverain. Parfois
son intervention prend la forme d’une invitation à s’occuper
de telle ou telle entreprise, en association avec un partenaire
étranger, avec l’offre d’un appui personnel ou financier ». (R.
Leveau, 1984, 17).

55 Dans le secteur bancaire comme dans d’autres domaines, les


privatisations semblent ainsi avoir fourni un canal privilégié,
dans un cadre légal et sous la bienveillance des organisations
internationales, pour la recomposition des grands groupes
privés du pays. Les relations d’interdépendance entre ces
derniers et vis-à-vis du politique se sont confirmées ou
délitées. Dans ce dernier cas, la concentration du secteur
bancaire privatisé souligne un effort pour faire contrepoids
aux appétits des banques étrangères présentes au Maroc par
le bien de leurs filiales et de leurs participations dans les
banques privatisées. Elle montre également comment le
politique, ici l’autorité politique du Palais, mais aussi ses
intérêts privés, intervient dans la réorganisation d’un secteur
nodal.
56 La concentration du capital dans un nombre réduit de
groupes se double, dans de nombreux cas, d’une homonymie
de la composition des conseils d’administration (des
entreprises publiques ou privées)50. Deux ordres

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d’explication doivent être pris en compte. D’une part, les


témoignages recueillis le suggèrent, les polémiques citées
l’illustrent et le confirment, la prégnance de pratiques
arbitraires et discrétionnaires de clientélisme dans la
redistribution du patrimoine public. D’autre part, c’est l’effet
logique et mécanique des structures mêmes du système de
financement et de crédit, dominé par des banques détenues
par les principaux groupes privés, qui joue, par le biais du
contrôle des sociétés de bourse.

Les clôtures de l’accès au crédit


57 Les banques marocaines fonctionnant sur des attitudes
monopolistiques sont la courroie principale des mécanismes
de préservation du capital de certaines familles de l’accès au
crédit et de l’investissement. Les jeunes entrepreneurs
interviewés se plaignent de l’attitude des banques à leur
égard. Ces dernières ne consentent à leur offrir des crédits
que s’ils disposent par ailleurs de garanties familiales
importantes.
58 La loi 36/87, modifiée par la loi 14/94 dite « Jeunes
promoteurs », promulguée le 30 décembre 1987, avait pour
objectif de faciliter les procédures d’octroi de crédit et plus
indirectement de créer des emplois. Ambitieuse, cette loi
suscita énormément de déceptions de la part de jeunes
promoteurs incapables de monter leurs projets faute de
financement. Les principales récriminations contre le
dispositif concernent les lenteurs de l’administration (« la
bureaucratie, c’est la bureaucratie »51), l’iniquité des
décisions (« Crédit jeune promoteur ? Non, ça n’était pas
nécessaire. En fait, à la banque, ils connaissaient mon nom,
si bien qu’ils ne m’ont pas trop fait de difficultés. Et les
crédits “Jeunes promoteurs” sont surtout destinés aux PMI
plus qu’aux structures commerciales »52), et d’autre part les
réticences des banques à engager de tels crédits sinon à des
personnes qui, justement, présentent de solides garanties,

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notamment familiales. Ainsi, dans de nombreux cas, les


jeunes investisseurs qui en ont les moyens contractent un
crédit Jeune promoteur et, dans le laps de temps nécessaire
aux procédures d’octroi (dans le meilleur des cas un an au
moins), ils empruntent à leur famille qu’ils remboursent
ensuite, une fois le crédit obtenu ; ce qui permet aux familles
concernées de bénéficier de crédits bancaires sensiblement
avantageux. Selon les témoignages recueillis, seul le groupe
Banque populaire a semblé jouer le jeu en réalisant 65 % des
prêts. Il faut dire que non seulement cette banque d’État est
la première banque du Royaume, mais aussi qu’elle était
dirigée dans les années 1990 par Abdellatif Laraki, lui-même
président du Conseil national pour la jeunesse et l’avenir
(CNJA). Cet organisme avait été créé en 1991 justement pour
s’efforcer de résoudre le problème du chômage des jeunes.
Ceci étant posé, on comprend bien de quelle façon, tant
symbolique que mécanique, l’héritage demeure le canal
privilégié de la reproduction économique et sociale. Le
secteur financier reste une source de financement marginale
pour les entreprises marocaines et notamment le tissu des
PME/PMI53.
59 Comme souvent, c’est ex-post, lorsque des personnages
perdent leur protection ou se trouvent en disgrâce que se
construisent des procès en règle. Cela entretient d’ailleurs
l’idée – certainement plus ou moins fondée – d’une vérité
connue, partagée mais tenue au secret. Cela alimente
également les rumeurs ou les confidences privées qui pèsent
sur le « climat des affaires ». Comme si ces dernières étaient
toutes entachées d’irrégularités répréhensibles. Quoi qu’il en
soit, ce système de financement douteux et fonctionnant en
vase clos fut particulièrement critiqué lorsque Abdellatif
Laraki chuta. En 2002, mis en cause d’abord par la justice
marocaine puis française, il fut condamné pour
« dilapidation des deniers publics, détournements de fonds
et abus de pouvoirs ». À cette occasion, le réquisitoire

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médiatique de ce personnage symbolique et puissant fut


également une mise en accusation du système bancaire
public et des conditions de l’accès au crédit :
« Mais la BCP, ce n’était pas uniquement cela. Elle était
aussi, à partir de 1973, l’instrument financier de la
marocanisation du commerce et de l’industrie. Un
instrument qui devait permettre à l’État de jouer son rôle de
redistributeur de richesses. Mais qui sera mis au service
d’une caste cooptée, sélectionnée et désignée. Cette mobilité
sociale en circuit sociologique fermé a fait de nouveaux
riches, doublés de mauvais payeurs, qui n’avaient de mérite
que leurs certificats de naissance du bon côté. Lorsqu’il n’y
avait plus rien à marocaniser, des personnages dûment
recommandés se faisaient livrer de fabuleux crédits pour de
vrais-faux projets. Bref, ce qui devait être un formidable
levier économique, avec un capital public à hauteur de 92 %,
allait suivre la même courbe, subir la même métamorphose
que d’autres trésors d’Ali Baba, d’autres mamelles
nourricières, directement alimentées par le patrimoine
financier national, telles que le CIH, la CNCA ou même la
SMDE »54.

60 Détenues ou dirigées par un petit nombre de familles, les


banques entretiennent des relations « incestueuses » avec les
pouvoirs publics, selon le journaliste A. Jamaï55. Leur
association, le GPBM, est régulièrement accusée d’agir
comme un « lobby », voire comme un « cartel », protégeant
les intérêts des banques et des grands groupes privés au
détriment de la compétitivité, de l’accès au crédit et de
l’investissement. Dans la décennie 1990, le système bancaire
se privatisa en large partie, mais le résultat fut une
concentration accrue du secteur, tenu par les principaux
groupes repreneurs marocains des privatisations.

Entre ouverture et protectionnisme, la nouvelle bourse de


Casablanca
61 La politique de privatisation a donc posé la question des

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canaux de financement et les possibilités d’émergence d’un


large entrepreneuriat, alors qu’elle était supposée engendrer
une nouvelle classe d’épargnants et d’investisseurs. L’une des
conséquences du processus a sûrement été le développement
par soubresauts de la Bourse des valeurs de Casablanca56.
Cette Bourse existe depuis 1929, mais n’avait pas d’activité
significative. Certains journalistes n’hésitaient pas à la
dénommer « Casablanca cosy and confortable club »57 :
« 4C » que chercha à faire oublier la loi sur la bourse votée
en 1993 58 et le déménagement des locaux de la bourse
depuis l’avenue Mohammed V où elle partageait l’immeuble
colonial de la Chambre de commerce et d’industrie de
Casablanca vers l’avenue des Forces armées royales où elle
s’installa dans un édifice moderne entièrement vitré.
62 Dans le cadre d’une réforme plus large du secteur financier,
avec l’adoption d’une loi bancaire (1993) et l’institution d’un
marché des changes interbancaires (1996), la modernisation
de la bourse de Casablanca passa par la création d’un
dépositaire central des titres, et l’institution d’un régime
général de l’inscription en compte de certaines valeurs. Un
marché des titres de créances négociables et des OPCVMA
fut organisé en 1995 tandis que des bons du trésor et des
bons de privatisations étaient lancés en 1996. À la faveur de
la cession par voie boursière d’une partie du capital des
entreprises publiques, le marché boursier prit de l’ampleur,
l’actionnariat marocain se développa timidement, à l’aide de
nouveaux instruments tels que les bons de privatisation.
Selon les analystes, les privatisations auraient en effet révélé
un gisement d’épargne considérable, hors du circuit
bancaire : l’émergence d’un marché financier à la Bourse de
Casablanca devait permettre en quelque sorte la
bancarisation d’une épargne jusqu’alors improductive.
63 La cotation en bourse des entreprises privatisables constitua
un tournant pour le secteur du financement. Les cessions de
leurs actifs dopèrent un marché boursier encore craintif59.

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Toutefois, le monopole des banques ne fut que


marginalement remis en cause : sur les quatorze sociétés de
bourse agréées en tant qu’intermédiaires habilités à
intervenir à la Bourse des Valeurs de Casablanca, douze
étaient elles-mêmes des filiales de ces banques.
64 Le Conseil déontologique des valeurs mobilières, qui devrait
en être le « gendarme », s’imposa avec difficulté face à la
société privée gestionnaire de la Bourse de Casablanca. En
témoignent certains épisodes où malgré les protestations du
CDVM (ou contre ses recommandations), des opérations
contraires au règlement se déroulèrent bel et bien60.
65 Certaines opérations furent aussi l’occasion de bras de fer
entre de nouvelles sociétés de bourse et le GPBM. L’un des
fondateurs de la société de bourse Upline Securities, futur
fondateur de l’hebdomadaire Le Journal, prévenait dans
l’une des chroniques qu’il tenait à La Vie économique :
« Le pire qui puisse arriver au marché boursier est qu’il offre
l’image d’un repère d’initiés se jouant de la naïveté des petits
épargnants »61.

66 Ce fut le cas de la cession de la société Crédit EQDOM,


société de crédit à la consommation, mise en vente par
l’intermédiaire de l’une des deux seules sociétés de bourse
non affiliées à une banque, Upline Securities. Le récit de
cette opération boursière par l’un de ses acteurs évoque
parfois celui du combat de David contre Goliath. La jeune
société de bourse se heurta selon lui à un accord implicite
entre les banques, les pouvoirs publics et les médias
marocains qui lui refusaient toute légitimité, par exemple, en
refusant de citer son indice de bourse.
« Nous n’avions qu’une seule option : innover, toujours
innover, oser et oser. Par exemple, pour l’évaluation des
entreprises, nous avons proposé nos services au ministère de
la Privatisation. Et là, il y a eu deux événements en même
temps : D’abord, début 1995, une société de crédit à la
consommation, TASLIF nous a contacté parce qu’ils

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voulaient intégrer la bourse. C’était la première société


privée, hors privatisation, qui se cotait en bourse. Nous
avons fait un travail à perte, mais il devait nous permettre de
créer un marché. C’est-à-dire que non seulement, cette
cotation dynamisait le marché, mais en plus, elle était un
symbole. Le problème, c’est que le dahir est sorti très tard.
C’est seulement en mai 1995 que sont sorties les circulaires
d’application pour commencer à fonctionner comme société
de bourse. Cette affaire de TASLIF a été pour nous un acte
fondateur. Parce que TASLIF, C’est ni Benjelloun, ni Kettani.
Donc, c’était un excellent signal à envoyer aux sociétés
marocaines moyennes. Que la Bourse ne concerne pas
seulement la BMCE ou l’ONA.
Mais, en même temps, il y a eu un grand malheur. Nous
étions à la période charnière entre l’ancienne et la nouvelle
loi. Dans l’ancien système, il y avait pour la bourse un comité
technique, de la Bank Al Maghrib. Alors que la nouvelle loi a
créé une autorité, la CDVM. C’est l’Autorité boursière. Mais
la bourse n’était pas encore privatisée. C’était encore un
établissement public. Le CDVM a accepté l’opération de la
TASLIF. Mais le Comité technique a refusé, alors qu’on
pensait vraiment que ce ne serait qu’une formalité, puisque
le CDVM avait donné son accord. […] Ce refus pour la
TASLIF nous a posé de gros problèmes. […] C’est très grave :
ça discrédite complètement le CDVM et le marché financier.
Il faut savoir que la BCM est dépositaire de plus de 90 % des
investissements étrangers au Maroc. Si bien que pour toute
opération, on passe toujours par eux. À chaque fois qu’il y a
un ordre de virement sur notre compte, ils l’encaissent chez
eux, tout simplement. Ils invoquent une directive de la Bank
Al Maghrib. Donc, pour eux, les directives de la banque sont
supérieures à la loi, au dahir. Ils disent : “Il y a un problème,
on ne vous vire pas l’argent”. C’est du détournement de
fonds ! […] Le combat était inégal. Si bien qu’il y avait un
manque de volonté évident de la part du gouvernement, dans
cette affaire. D’ailleurs, elle a été réglée à un plus haut
niveau. C’est sur intervention du conseiller du Roi et du Roi
lui-même »62.

67 On perçoit à travers cet extrait à quel point le développement

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d’un marché bancaire fut le théâtre de rapports de forces


parfois violents. D’un point de vue financier, le bilan des
privatisations n’est pas précisément à la hauteur des
annonces de ses promoteurs. La tendance à la concentration
des richesses s’accompagne d’une reproduction des
comportements. Ce moment, étroitement associé à la
politique de privatisations, inaugura toutefois une
transformation progressive du secteur financier au Maroc
qui se prolongea avec l’adoption d’une nouvelle loi bancaire
en 2006 – renforçant l’autonomie de la banque centrale,
Bank al-Maghrib, et prévoyant son désengagement des
banques publiques – et la sophistication de la législation du
marché des capitaux : en 2003, six nouvelles lois sont votées
à cet effet.
68 Le « diable est dans les détails » dit-on. Il serait de fait
certainement passionnant de se livrer à une « anatomie
politique du détail » (B. Hibou, 2006, 29) à propos du
secteur bancaire marocain, à l’instar de l’enquête fine que B.
Hibou consacre au système bancaire tunisien. Ce que l’on
peut en retenir ici, c’est que si les privatisations et leurs
modalités concrètes ont été un canal privilégié de
pérennisation de pouvoirs financiers dans une période de
déstabilisation économique, elles ont également introduit,
techniquement en particulier, de réelles transformations de
l’économie politique du Royaume. Les institutions de
régulations se déplacent. Le rôle imparti à la banque
centrale, à l’instar de ce que décrit aussi B. Hibou en Tunisie,
s’affirme, indépendamment des problèmes que cela peut
poser en termes de compétences ou d’ingérences. Les
banques publiques sont de moins en moins les sources
principales de crédit des entreprises. La Bourse de
Casablanca est le théâtre d’affrontements entre grands
groupes, que le politique ne peut pas, directement du moins,
totalement manipuler. Tous les dés ne sont pas
nécessairement pipés d’avance, ni les scenarii écrits de bout

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en bout par un pouvoir central intrusif, quand bien même


l’encadrement des privatisations ne laisse que peu de place à
l’improvisation ou au coup de théâtre. Un bel exemple est
fourni par ces rapports houleux que purent entretenir l’ONA
et le groupe Benjelloun, en coulisses surtout, autour
d’opérations de privatisations et de rachats croisés. Ceci me
semble-t-il ne doit pas être interprété comme des dérapages
dans une mécanique bien huilée, mais plutôt comme les
indices d’un marché en équilibre instable. Ses acteurs
évoluent aux marges et les outsiders sont tenus à distance.
Tous les protagonistes doivent faire preuve d’adaptations et
d’inventivité. Malgré tout, les instruments de contrôle
évoluent et par là, les outils de la prise de décision, voire les
moyens de pression. À ce jeu, les modalités de l’action
publique évoluent. Si à la tête des privatisées se sont installés
peu de personnages nouveaux, néanmoins, les sources de
leur pouvoir, les règles – formelles – de l’activité
économique connaissent des mutations significatives.

Aux lisières du public et du privé


69 Il faut admettre que d’autres pratiques entourant la
privatisation expliquent de fait la concentration des capitaux.
Les exemples d’entreprises publiques rachetées par leurs
anciens dirigeants ou actionnaires sont nombreux. Le
domaine de l’hôtellerie ou celui de l’industrie pétrolière, ont
été notamment concernés par ce type de cession. Parfois, les
repreneurs d’aujourd’hui sont les sociétés européennes qui
avaient été contraintes de céder à l’État marocain une
portion importante de leur capital au cours des années 1970,
conformément aux dispositions des lois de marocanisation.
Tant et si bien que certains qualifièrent les privatisations de
« démarocanisation » du secteur public63.
70 Dans cette valse des achats, la distinction entre secteur
public et secteur privé devint encore plus sujette à caution.
Parfois, ce sont les mêmes dirigeants de la société publique

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qui se portèrent acheteurs et continuèrent, après


privatisation, à diriger l’entreprise sous un régime de droit
privé. C’est le cas de SOCHEPRESS, société chérifienne de
presse. Qualifiée de « privatisation interne » par son PDG (et
repreneur) depuis trente ans, elle réunit les caractéristiques
d’une procédure de cession de gré à gré où le transfert de
propriété n’avait plus réellement de sens autrement qu’une
opération financière réussie pour son nouveau propriétaire.
« Dans notre cas, l’État était minoritaire (il avait 40 %) et les
professionnels, c’est-à-dire moi et NMPP, majoritaires. Si on
avait procédé par appel d’offres, il aurait fallu que les
actionnaires soient d’accord. Or, nous ne voulions pas. Si
bien que nous avons procédé par entente directe entre l’État
marocain et moi. Désormais les actionnaires sont NMPP qui
détiennent 50 % de parts et moi et mes enfants en avons
50 %. Et c’est moi qui continue à assurer la gestion de la
société. Ce qui fait que finalement, la privatisation n’a pas
modifié beaucoup de choses dans la stratégie de la société.
Sinon qu’on se sent plus libre par rapport à l’État : c’est-
à-dire qu’on n’a plus à prendre en considération ses
réactions »64.

71 La « paternité » qu’il revendique par rapport à


SOCHEPRESS montre à quel point les images, en tant que
catégories représentées, peuvent s’emmêler autour des
frontières du public et du privé. L’extrait qui suit souligne
également la résilience d’un imaginaire de l’économie où les
règles de la concurrence n’ont qu’une place subalterne :
« Nous étions déjà presque une société privée. Nous étions
une SA comme toutes les autres. L’État était un actionnaire
comme un autre. La seule différence, c’est que nous
n’incluons plus dans notre stratégie les problèmes, les points
de vue ou les incidences de l’État. Avant, on pouvait
interpréter certaines de nos actions comme des actions de
l’État, pour les observateurs ou l’opposition, alors que c’était
faux. Et à l’inverse l’État pouvait prendre certaines de nos
décisions comme des orientations contraires à son intérêt. Il
fallait inclure ce paramètre dans notre stratégie, même si son

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pourcentage n’était pas important. Maintenant notre seule


ligne d’action est celle des actionnaires.
Beaucoup de sociétés ont été privatisées de la même façon,
de gré à gré, cédées aux actionnaires majoritaires. Ça n’a rien
d’exceptionnel. C’est évident. Les candidats à l’achat
d’ailleurs ne se bousculent pas non plus. Et l’État voit bien
que c’est tout l’intérêt de l’entreprise. (…) Avec la nouvelle
loi, qui demande au repreneur de gérer la société comme un
“bon père de famille”, les minoritaires ne peuvent rien faire.
Bien sûr, ils peuvent vous embêter, vous traîner en justice.
Mais pas plus. L’État a bien compris. Il ne fait pas le jeu des
concurrents »65.

72 Loin d’introduire des ruptures franches et significatives, les


privatisations assurèrent avant tout, de ce point de vue, un
passage de témoin dans la continuité. Ainsi, l’une des
premières privatisations, celle de la compagnie de transport
CTM-LN, eut ceci de particulier que les acheteurs étaient
paradoxalement eux-mêmes des établissements publics66.
Quarante pour cent des capitaux ont été mis en bourse, 18 %
étant réservés aux résidents marocains à l’étranger. Aux
observateurs qui s’en étonnaient, le ministre des
Privatisations expliqua : « Ces sociétés sont gérées de
manière privée, même si des fonds publics sont présents et
que les présidences sont assurées par des hommes du secteur
public »67. La journaliste N. Salah renchérit : « Les milieux
d’affaires classent les entreprises dans le secteur public ou
dans le secteur privé, grâce à l’image qu’elles donnent d’elles
dans leur comportement et leurs hommes. Le statut
juridique est moins fort que cette image »68. Ceci contribua à
accentuer le trouble des représentations en complexifiant
encore le sens et la valeur des référents mobilisés.

Hommes d'État et hommes d'affaires


73 Quoi qu’il en soit, la porosité de la frontière entre public et
privé n’a rien de nouveau ni même de spécifique au Maroc.
Bien au contraire, comme de nombreuses frontières, elle est

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justement au cœur de pratiques. Ces dernières, pas


nécessairement transgressives, jouent des mobilités, des
doubles vies ou encore des marchés qu’elle induit. Ainsi,
certains personnages ont construit leur propre fortune privée
dans cet entre-deux frontalier entre la chose publique et
leurs activités privées, entre des responsabilités politiques et
la gestion de fortunes privées.
74 Le parcours de M. Karim Lamrani est un modèle de ces
entrelacs. Il est issu, par son père, d’une famille aisée de
commerçants en soieries fassis, des « chorfa ». Ses
ascendants maternels, les Mernissi sont, quant à eux, des
notables de la ville de Fès. Deux de ses oncles furent Pacha
de Moulay Idriss du Zerkoun pour l’un et président de la
Chambre de commerce et d’industrie de Fès pour l’autre.
Aidé par son oncle maternel, il s’initia rapidement au monde
des affaires, alors que le Maroc était encore sous protectorat
français. Il devint secrétaire général du groupement des
producteurs d’huile d’olive du nord du pays. Il tissa un
réseau de relations françaises et marocaines qui résistèrent à
l’indépendance. En 1956 commença sa carrière « publique »
lorsqu’il fut chargé de mission à l’économie nationale dans le
premier gouvernement du Maroc indépendant. En 1957, il fit
sa première entrée à l’Office chérifien des phosphates,
l’entreprise publique phare du Maroc marocanisé, en tant
que secrétaire général, puis directeur en 195869. Il
démissionna de son poste en signe de protestation contre le
gouvernement le 12 juillet 1960, affichant ainsi son soutien à
l’Union marocaine des travailleurs et au parti de l’Istiqlâl70.
75 Son empire économique personnel se constitua au cours des
mêmes années 1960, à la faveur des marocanisations, à
l’origine par l’entremise d’une participation au capital de la
Compagnie africaine de banque, alors aux mains de capitaux
français. Progressivement, au gré d’une série de rachats et
d’alliances économiques, il construisit un holding financier,
le Consortium financier du Maroc (COFIMAR), auquel

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s’ajoutèrent par la suite deux autres pôles financiers,


SAFARI et SOFIPAR, grâce auxquels il put continuer à
investir dans les marocanisations71. Il devint par là
l’administrateur d’importantes sociétés publiques de
première importance telle que le Crédit du Maroc, Royal air
Maroc, la Banque marocaine du commerce extérieur, l’Union
marocaine des banques. En 1961, il est élu vice-président
puis président de la Chambre de commerce et d’industrie de
Casablanca.
76 Le 12 mai 1967, il est rappelé par Hassan II à la direction
générale de l’OCP qu’il ne quittera plus jusqu’aux années
1990. La croissance de son groupe privé, en parallèle de ses
responsabilités à la tête du plus important groupe public du
Royaume, est exceptionnelle. Au début des années 1980, on
affirmait qu’il aurait pu, grâce à sa seule fortune personnelle,
éponger la dette du Maroc.
77 Parallèlement à cette carrière dans les plus hautes sphères
des affaires, M. Karim Lamrani mena une carrière politique
de « technocrate » affichant toujours une neutralité
partisane. Les allers-retours qu’il effectua sans cesse entre
affaires privées et chose publique sont éloquents et
apparaissent dans son cas comme des ressources
économiques et politiques fondamentales : chaque
oscillation constitue une plus-value dans sa carrière publique
ou privée. Le 23 avril 1967, il était nommé ministre des
Finances. En 1971, dans le contexte d’éveil des mouvements
estudiantins, et suite à l’attentat de Skhirat perpétré contre
Hassan II, celui-ci le désigna Premier ministre. Son
gouvernement avait alors pour mission de « mettre en œuvre
des réformes dans les domaines de l’éducation, du
développement économique, de la justice et de la lutte contre
la corruption ». Il démissionna dans un contexte de grèves et
d’émeutes estudiantines en mars 1972.
78 Très proche du Palais, à la tête du poumon économique du
pays, il est sollicité par Hassan II dans des situations de crise

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politique. Comme dans les années 1970, en novembre 1983,


alors que le Programme d’ajustement structurel est adopté, il
est à nouveau nommé Premier ministre, à la tête d’un
gouvernement de « coalition » qui regroupe des
représentants de six formations politiques, dont l’USFP 72
(qui quitte le gouvernement deux ans plus tard avec les
représentants de l’Istiqlâl).
79 Sa carrière est donc exemplaire de la valse de ces hauts
fonctionnaires et managers d’entreprises, entre différents
offices publics, fonctions gouvernementales et activités
privées : ceux que l’on appela à la fin des années 1990 les
« quadra de choc » 73présentaient des profils semblables.
Bardés de diplômes, ils étaient avant tout des commis de
l’État, entretenant des relations permanentes entre le public
et le privé et illustrant à quel point il serait contre-intuitif de
s’employer à distinguer l’économique du politique. À l’image
de ce qu’Y. Meny qualifie de « pantouflage » dans le cas du
« capitalisme à la française », leurs trajectoires manifestent
en dernière instance une politisation de l’administration et
une fonctionnarisation du politique74.
80 Ainsi, entre 1995 et 1999, l’OCP fut dirigé par M. Chérif.
Diplômé ingénieur civil de l’École des mines de Paris, il
intégra l’ONA en 1970, où il occupa diverses fonctions. En
1975, il fut nommé directeur du département des mines de
l’ONA, puis directeur général des Sociétés minières du
groupe. En 1989, il devint administrateur directeur général
de la Compagnie minière de Guemassa. Puis, il accéda au
poste de directeur général de l’ONA jusqu’en 1993, où il était
désigné ministre du Commerce extérieur, des
Investissements extérieurs et de l’Artisanat. Suite à un
remaniement du gouvernement, il devint ministre des
Finances, jusqu’en 1995 où il accéda à la tête de l’OCP. En
1999, en remplacement de F. Filali rapidement
démissionnaire après son divorce avec l’une des princesses
royales, il fut nommé PDG de l’ONA. À 50 ans, il avait donc

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conduit la politique économique du pays et occupé la


direction de la plus importante entreprise publique du
Royaume (l’OCP) et du plus grand groupe privé (l’ONA).
Durant quelques mois en 1999, il dirigea en même temps ces
deux moteurs de l’économie du pays.
81 Dans certains cas, mais pas toujours, la confusion de la chose
publique et de la fortune privée fut manifeste. Un exemple
pourrait être celui de Azzedine Laraki, médecin issu, lui
aussi, d’une famille de grands bourgeois fassi, ministre de
l’Éducation nationale de 1977 à 1992, Premier ministre de
1986 à 1992, soit au moment où furent mises en place les
institutions de la privatisation. Il lui fut reproché de s’être
particulièrement enrichi à ces postes, où il aurait fait
construire par ses propres entreprises les nouvelles écoles
publiques, se serait arrogé un monopole de fait sur le marché
des équipements scolaires, etc. 75
82 Dans la sociologie de P. Bourdieu, ces personnages seraient
des « dominants-dominants » (P. Bourdieu, 1989, 382) des
héritiers membres de la noblesse d’État et fruits et artisans
de la reproduction. La trajectoire de Driss Benhima est
exemplaire de ces profils. Issu d’une famille de grands
commis de l’État, originaires de la ville de Safi, il est le fils de
Mohammed Benhima, l’un des premiers Premier ministre du
Royaume, mais aussi entre 1960 et 1967, ministre de
l’Agriculture, du Commerce et des Mines, de l’Éducation
nationale, des Travaux publics, de l’Intérieur. Mohammed
Benhima avait aussi été le premier président marocain de
l’ONA en 1969. L’oncle de Driss, Ahmed Taïbi Benhima fut
ambassadeur du Maroc à l’ONU, ministre des Affaires
étrangères et ministre de l’Information. Entré premier major
étranger à l’École polytechnique, Driss Benhima en sort
ingénieur option « économie publique » et intégra
parallèlement l’École des mines à Paris. De retour au Maroc,
il débuta sa carrière à l’OCP en tant qu’ingénieur
d’exploitation à ciel ouvert. À 25 ans, il était nommé chef

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d’exploitation de la mine de Sidi Daoui, alors la plus grande


mine de phosphate du monde. Par la suite, il intégra le
groupe français Air Liquide en tant qu’administrateur de la
société marocaine SMOA (1991). En 1994, il prit la direction
de l’Office national de l’électricité, et en 1997 il est désigné
ministre des Transports, de la Marine marchande, du
Tourisme, de l’Énergie et des Mines. Son passage à la wilaya
(préfecture de région) de Casablanca entre 2000 et 2003 fut
particulièrement remarqué, nous y reviendrons dans le
chapitre suivant. Driss Benhima fut ensuite directeur général
de l’Agence pour le développement des provinces du Nord et
nommé en 2007 président directeur général de Royal air
Maroc.
83 Les va-et-vient de ces personnages entre secteur public et
secteur privé, entre domaine politique et affaires
personnelles ne sont pas exceptionnels. Ces exemples pris
sur deux générations, avant et après l’ajustement structurel,
l’illustrent. Cela nourrit des pratiques clientélistes, des
formes de collusion et ancre, quoi qu’il en soit, les pratiques
de chevauchement au cœur des logiques d’enrichissements et
de réussite. Le passage par l’ONA ou/et l’OCP, en particulier,
fournit les conditions idéales pour tisser les réseaux de
relations nécessaires, le capital économique et le prestige
social, afin de gérer une double carrière, politique et
économique.
84 Cela n’est pas allé sans protestation dans les sphères
publiques et privées. Plusieurs pamphlets, plus ou moins
documentés, dénoncèrent des relations incestueuses entre le
monde des affaires, les hautes sphères du politique et des
intérêts étrangers. On se souvient de À qui appartient le
Maroc de l’opposant M. Diouri, qui, en 1992, insistait sur
l’emprise personnelle du souverain sur des pans entiers de
l’économie marocaine, en particulier par le canal de l’ONA.
Dans Notre ami le Roi paru en 1990, G. Perrault décrivait
entre autres choses les étroites relations entretenues entre

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les intérêts de la couronne et ceux de l’administration et du


grand capital français. Plus récemment encore, en 2006,
deux journalistes français, N. Beau et C. Graciet, dans Quand
le Maroc sera islamiste, reprirent des argumentaires
semblables, dénoncèrent des filières d’enrichissement
illégitimes ou illicites, la collusion d’intérêts à l’échelle
nationale et internationale et des pratiques de corruption
généralisées. On ne peut qu’être frappé par la récurrence de
ces réquisitoires qui mettent l’accent sur les relations
coupables entre l’économique et le politique. En
systématisant l’analyse d’un système décrit comme
pathologique, ils produisent des effets qu’il resterait à mieux
examiner. Certes, il s’agit-là, avant tout, d’ouvrages écrits par
des journalistes français. Certains, les premiers, furent
interdits au Maroc, mais on les lisait néanmoins, du moins
dans les cercles francophones.
85 En termes de ressources politiques, ces thématiques ne
furent pourtant que marginalement exploitées, sinon dans le
cadre par exemple des dernières lettres ouvertes du leader de
l’association ‘Adl wa el-ihssân (justice et spiritualité), Cheikh
A. Yassine, « à qui de droit ». En 2000 il demande au jeune
souverain de « restituer au peuple la fortune fabuleuse de
Hassan II ». Il s’indigne de « la gabegie générale, la misère
pour beaucoup, le confort criard pour quelques-uns, la
corruption comme moyen d’administrer et de gouverner, le
tripatouillage des élections comme institution et pratique
démocratiques, bref la ratatouille makhzénienne ». Quelques
jours plus tard, A. Youssoufi, le Premier ministre socialiste,
surenchérissait en annonçant la traduction en justice de
toutes les personnes accusées de malversation et de
dilapidation des deniers publics.
86 Quoi qu’il en soit, dans des conversations plus privées, pas
nécessairement dans des milieux confinés, la critique est
récurrente, partagée, rarement contredite. Les privatisations
l’ont plus renforcée qu’affaiblie. Pour un cadre à la direction

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des participations financières et industrielles de la Caisse de


dépôt et de gestion, le serpent se mord la queue et les
privatisations s’effectuent à l’opposé de leur objectif affiché :
« Le problème du déficit des établissements publics est avant
tout un problème de gestion : l’incompétence des hauts
responsables qui sont devenus les PDG, DG... éternels et qui,
de ce fait, ne confondent pas la “chose publique” de la “poche
privée”... Aussi, il y a le fameux problème de la corruption,
les pots-de-vin, le féodalisme financier, le clientélisme... Un
PDG qui reste à la tête d’une entreprise pendant deux à trois
décennies, c’est inadmissible dans un pays démocratique, un
État de droit »76.

87 Le principe des privatisations par attributions directes ou de


gré à gré demeure le point de départ des principales
polémiques sur les procédures. Si elles ont été dénoncées par
les représentants des partis d’opposition au Parlement
spécialement, elles ont été également l’objet de controverses
publiques et de procès juridiques qui dévoilent en partie des
mécanismes de cession et d’attribution politiques.
88 En effet aux contournements plus ou moins explicites des
objectifs énoncés par la loi s’ajoutent des pratiques de ventes
de patrimoine public au mépris de la loi : c’est le cas de la
cession en 1997 de l’hôtel Hyatt Regency, un palace de Rabat.
Appartenant à la Caisse des dépôts et de gestion, il fut cédé
au groupe sud-coréen Daewoo qui en confia la gestion au
groupe Hilton. L’hôtel en question ne figurait pas sur la liste
des privatisables. Les parlementaires ne furent pas consultés
sur sa vente et s’en indignèrent. Les autorités politiques se
justifièrent en arguant de la nécessité d’attirer de façon
souple et rapide sur le territoire marocain cet important
investisseur potentiel. La cession de l’hôtel s’inscrivait,
semble-t-il, en réalité dans un package négocié à la
primature et avalisé par le Roi qui, pour clore le marché,
reçut le patron de Daewoo en son Palais. Avant ses sérieux
déboires en France et la fuite de son président et fondateur,

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K. Woo-choong, le groupe coréen investissait non seulement


dans le tourisme mais également dans ses domaines de
prédilection, l’automobile et l’électronique. Les
privatisations, débordant de leurs cadres légaux, furent ainsi
un argument de poids pour les négociations à haut niveau
entre le régime marocain et d’importants groupes
internationaux, au nom du transfert de technologie et de la
création d’emploi.
89 Les conflits suscités par les privatisations, qu’ils soient
exposés publiquement ou gérés à huis clos, me paraissent
circonscrire en large part les termes d’une transformation de
l’économie politique marocaine. On y voit autant qui fait
l’économie du pays, les figures montantes ou installées, les
groupes mis à l’écart ou perdants, que la façon dont les
politiques de privatisations interfèrent sur les modes de
régulation de l’activité économique et sur les conventions qui
les fondent.

Procès exemplaires
90 Bien que largement contrôlées, les privatisations ne furent
pas un long fleuve tranquille. Elles donnèrent lieu à quelques
procès retentissants. Ainsi, au début de 1997, une violente
controverse opposa le ministre des Privatisations à un
homme d’affaires par ailleurs élu d’Essaouira, qui reprochait
au premier de l’écarter systématiquement des opérations de
transfert. Durant l’été 1998, les privatisations retournèrent
sur le banc des accusés quand le nouveau gouvernement
« d’alternance » attaqua en justice les actionnaires d’une
société privatisée en cessation de bilan. L’analyse de ces deux
affaires permet d’examiner les modalités de certaines
opérations : au-delà de leur aspect anecdotique, c’est tout un
système politique et économique qui est mis en accusation.
Au discours policé, volontariste et progressiste des
campagnes de publicité sur les privatisations, à la conversion
tacite de ses pourfendeurs initiaux, s’opposent des

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révélations et des mises en accusation, à travers lesquelles la


question de l’existence ou non d’un État de droit fut
soulevée.

Du Parlement à la Cour suprême


91 Le cas de l’affaire Saaïdi-Chaâbi est central à plusieurs titres.
Si les privatisations ont été l’occasion pour le Palais de
réorganiser des réseaux sur lesquels repose son autorité, la
vente de fleurons du secteur public dont il fut question lors
de ce procès [Shell Maroc, l’hôtel de luxe de Casablanca
Hyatt, la BMCE, ICOZ (Industries cotonnières de Oued
Zem), la société de production d’engrais FERTIMA ou la
SNEP] étaient au cœur de la redistribution du patrimoine
public. La médiatisation de l’affaire lui a donné plus
d’importance encore puisque des journaux prirent
explicitement fait et cause pour l’un ou l’autre des
protagonistes77. Enfin, la controverse est exemplaire par son
dernier avatar : la comparution en justice du ministre des
Privatisations, accusé par son adversaire de « diffamation
par voie de presse, portant atteinte à son honneur, à sa
dignité et à sa considération dont il jouit en tant que
parlementaire et homme d’affaires, et de diffusion de secrets
professionnels ». Dans sa rétrospective de l’année 1997,
Maroc-Hebdo International affirma : « L’affaire Chaâbi-
Saaïdi restera dans les annales de l’histoire marocaine »78.
92 Les conséquences de ce procès qui eut lieu en même temps
que la campagne « d’assainissement » faisait rage 79 sont
modestes. Par son aspect paradigmatique, plutôt que dans
ses aspects plus anecdotiques, cette affaire permit
néanmoins d’examiner les usages sociaux et politiques d’une
morale de la « libéralisation » (M. Catusse, 2000). Le
« procès de la privatisation »80 mit en scène des personnages
exemplaires, et mobilisa une échelle de jugement qui
contribua à fixer les normes de la réforme. Selon le
projecteur choisi, le conflit est apparu tour à tour comme le

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procès de la mise en œuvre d’une politique publique, celle


des privatisations, ou comme la dénonciation des pratiques
d’un homme qui de plaignant devient l’accusé au cours du
litige. Ce qui aurait pu être la critique d’une politique
publique déterminante dans ces années-là s’est rapidement
personnalisé et dépolitisé. Les arguments empruntant à la
justice ou l’éthique se sont substitués à une critique plus
directement politique.
93 C’est en hiver 1996 qu’éclate le scandale. M. Chaâbi est un
homme d’affaires influant à Essaouira, parlementaire
d’obédience istiqlâlienne mais fluctuant dans ses affiliations
politiques. A. Saaïdi, le ministre des Privatisations, est
expert-comptable de formation et a été, quelques années
plus tôt, commissaire aux comptes des sociétés du groupe
Chaâbi avant d’aller exercer pour un groupe concurrent81.
Depuis plusieurs semaines, par voie de presse et au
Parlement, M. Chaâbi s’insurgeait contre certaines des
cessions où il estimait avoir été lésé, et « mis à l’écart de
façon injuste ». Il s’agissait en particulier de la vente de Shell
Maroc, cédée de gré à gré à Shell Petroleum International qui
en détenait déjà 50 % en vertu du droit de préemption et de
l’hôtel Hyatt, cédé par attribution directe à la société
Interdec Maroc, propriété de O. Kabbaj, ancien expert au
FMI, ex-ministre de l’Incitation à l’économie, à la tête de la
Banque africaine de développement. Il affirmait en outre que
le prix de ces privatisations avait été sous-évalué et que les
cessions s’étaient déroulées de façon arbitraire82. À propos
de la vente de l’hôtel, il déclarait dans une lettre ouverte qu’il
y avait eu « manifestement des interventions à ce niveau »83.
Il dénonçait des pressions exercées sur le ministre afin qu’il
« compose »84. Enfin, il déplorait que les « fleurons de
l’industrie » aient été cédés à des groupes étrangers, tandis
que seuls les « canards boiteux » étaient vendus aux
investisseurs marocains.
94 Le ministre entra publiquement dans la controverse en

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novembre 1996 en réfutant les critiques de M. Chaâbi lors


d’un débat parlementaire télévisé en direct. Bien que le
ministre se défende d’emblée de viser une formation
politique, des députés istiqlâliens, menés par le chef de leur
groupe parlementaire, M. el-Khalifa, par ailleurs avocat de
M. Chaâbi, accusèrent le ministre « d’être venu régler ses
comptes avec un homme d’affaires qui jouit de l’immunité
parlementaire ». Ils demandèrent la constitution d’une
commission de contrôle des opérations de transfert, peu
soutenus d’ailleurs par leurs alliés de la Koutla.
95 Le débat se poursuivit par médias interposés pour aboutir au
tribunal de la Cour suprême. Cette dernière débouta le
plaignant, M. Chaâbi. Ses conclusions furent
particulièrement intéressantes puisqu’elles menèrent à un
attendu paradoxal : « M. Chaâbi a bel et bien fait main basse
sur des biens publics ». Le plaignant devenait coupable.
96 En effet, relayé par une presse plutôt favorable, le ministre
dressa à son tour un réquisitoire contre les méthodes de
l’homme d’affaires, réquisitoire repris par le juge. Il l’accusa
d’avoir à plusieurs reprises usé de son statut de
parlementaire à des fins privées, notamment pour les
privatisations, dans l’opération FERTIMA par exemple. Mais
le ministre des Privatisations mettait en cause également la
gestion de la ville d’Essaouira par M. Chaâbi, président du
conseil municipal de la cité du Souss, et principal
investisseur et employeur de la ville85. Il lui reprochait
l’endettement de ses sociétés auprès de la Caisse nationale de
sécurité sociale, l’origine de sa fortune et ses placements à
l’étranger. Il mit en cause son patriotisme. Non seulement
l’homme d’affaires aurait expatrié à l’étranger des capitaux
alors que le pays souffrait d’un manque d’investissement,
mais le ministre laissait également planer le doute sur
l’origine de ces sommes importantes.
97 Pour finir, il exposa les raisons pour lesquelles il estimait
l’homme d’affaires incapable de participer aux opérations de

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privatisations : l’expérience de la cession de la SNEP (Société


nationale de production de chlore, de soude caustique et de
PVC). M. Chaâbi n’aurait pas respecté les engagements
figurant dans le cahier des charges. La SNEP, la seule
entreprise qu’il ait pu racheter, par appel d’offres, en octobre
1993, était l’une des principales sociétés publiques cédées à
un seul repreneur, sans obligation d’aller en bourse et avec
une situation de monopole protégée, inscrite dans le cahier
des charges. Selon lui, M. Chaâbi, qui avait illégalement
augmenté le capital de cette société, n’aurait pas effectué les
investissements prévus, pas plus qu’il n’aurait créé
d’emplois, contrevenant aux dispositions de la loi. Ainsi, le
procès des privatisations intenté par le député d’opposition
et homme d’affaires « malchanceux » fut escamoté au profit
du jugement juridique et médiatique des pratiques
professionnelles du même homme d’affaires.
98 Au-delà des enjeux économiques, la personnalité des deux
personnages, notamment M. Chaâbi, « self made man »,
« homme d’affaires et député » comme il aimait lui-même se
présenter, a déplacé le débat sur un autre terrain que la
critique des modalités de la privatisation : celui de la
constitution des grands groupes privés du Royaume et
spécialement l’utilisation de réseaux politiques, de fonctions
publiques, de passe-droits à des fins strictement privées. Le
procès offrit aussi l’occasion de dessiner une image bicéphale
de l’entrepreneur dans la société : celle du citoyen éclairé,
œuvrant tout à la fois pour sa propre réussite et celle de
l’intérêt général et celle de l’entrepreneur prédateur,
s’immisçant à des fins privées dans les décisions des
pouvoirs publics, bénéficiant de délits d’initiés, etc.
« D’abord ce sont deux personnages hauts en couleurs et qui
marquent leur époque, qui s’y affrontent. Ensuite, ce sont
deux conceptions très différentes de la politique économique
qui se font face : une conception rationnelle de l’État,
appuyée sur des lois, et une ancienne qui préfère jouer de

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pression pour obtenir ce qu’elle désire »86.

99 Ce tableau brossé par le directeur de L’Économiste est


certainement trop simple. Les correspondances retenues
dans les morales de cette histoire ne furent pas
nécessairement les plus logiques : de A. Saaïdi, passé par
l’ONA, ministre des Privatisations et de M. Chaâbi, notable
local, député et homme d’affaires, la ligne de fracture entre
une bonne et une mauvaise façon de faire des affaires
demeure incertaine.
100 « Peut-on être riche et honnête ? » demande N. Kamal, en
première page de l’Opinion, le quotidien francophone de
l’Istiqlâl87. L’éditioraliste de La nouvelle tribune, F. Yata,
prenant parti pour le ministre, croit, pour sa part, déceler
dans la controverse les indices d’une ligne de partage, de
nature éthique, qui transcenderait les catégorisations
communes :
« La ligne de partage, en fait, ne traverse pas l’habituel
clivage droite-gauche, majorité-opposition. Quand M.
Barakat, le ministre chargé des relations avec le Parlement,
s’empressa de désavouer son collègue Saaïdi (assimilé aux
“technocrates”), en affirmant qu’il assumait seul ses propos,
les amis de Chaâbi se retrouvèrent sans l’appui des autres
groupes parlementaires de la Koutla. Ni l’Union socialiste
des forces populaires (USFP), ni le parti du progrès et du
socialisme (PPS) ou l’Organisation de l’action démocratique
et populaire (OADP) ne jugèrent bon de montrer au créneau
pour le député istiqlâlien… Le Maroc en réalité vit une
situation de mutation profonde. Elle caractérise le champ
politique, et les prochaines échéances électorales montrent
que le changement sera au rendez-vous. Elle interpelle
également l’économique […] Seuls le réalisme et l’honnêteté
intellectuelle empêcheront que ne triomphent la démagogie,
les discours faciles, les pratiques douteuses, les ententes
illicites, les cadeaux automatiques, etc. Chacun devra, si ce
n’est déjà fait, choisir son camp »88.

101 Comme on le constate, les chefs d’accusation furent peu

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nuancés, comme pour mieux styliser la nature de la discorde.


C’est en particulier la figure de M. Chaâbi qui défraya les
commentaires et concentra une certaine vindicte. La
description, par certains médias, de ses activités financières,
de son « empire bazaro-industriel », cristallisa les termes du
critique qui monte aisément en généralité. Bien que
personnalisées, ces semonces pouvaient s’adresser à une
grande part des dirigeants de grands et petits groupes
économiques. On le voit d’ailleurs à la même époque, avec le
déclenchement de la campagne « d’assainissement ». Elles
résonnaient dans ce contexte comme autant de menaces
implicites, de procès en suspens.
« Aujourd’hui, le groupe Chaâbi ressemble en fait à un bric-
à-brac sans filières organisées et intégrées, sans cohérence
financière ni industrielle. Depuis les années soixante-dix, et
non pas, comme il le prétend depuis 1948, M. Chaâbi amasse
tout ce qu’il peut et tire sur tout ce qui bouge. […] Une
véritable caverne d’Ali Baba, des milliards de centimes de
dettes dus à la sécurité sociale, aux banques, notamment au
Crédit agricole. Une politique sociale d’un autre âge. Des
méthodes de négociation douteuses. Le pouvoir de l’argent
érigé en force de conviction. Un amalgame entre les affaires
et la politique dans lequel la morale n’est pas toujours
sauve »89.

102 Le même article dressait à l’inverse un contreportrait en la


personne du ministre des Privatisations :
« Rarement, un après-midi à la télévision, on aura assisté à
un débat parlementaire aussi attrayant. Vivant, soutenu et
émouvant. Un ministre allait exécuter, méthodiquement et
scientifiquement, face aux caméras, un homme d’affaires,
accessoirement député, qui confond allégrement sa charge
élective avec son business familial. Du travail propre, net, et
sans bavure. L’exécution s’entend »90.

103 Ces descriptions s’alimentèrent les unes les autres. Pour un


autre journaliste de La Vie économique, M. Mouslim, « il y a
encore des hommes d’affaires dont le seul talent est de

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distribuer des pots-de-vin aux décideurs pour obtenir des


marchés ou l’élimination de concurrents gênants »91. Et
toujours dans les colonnes de La Vie économique, la gestion
de la ville d’Essaouira par M. Chaâbi est dépeinte comme
quasiment mafieuse :
« Sa machine est un véritable rouleau compresseur. L’ex-
député de l’Union constitutionnelle, redevenu istiqlâlien,
s’est présenté avec ses proches sur la liste. Grâce à une
campagne généreuse, il réussit à propulser au conseil
municipal vingt-quatre élus de sa tendance sur un total de
vingt-cinq. […] Le nouveau patron de la ville et de toute la
région n’oublie pas qu’il est homme d’affaires. Le nouvel élu
a des projets “mirifiques” pour Essaouira, dont il saura tirer
un profil direct. […] Mais le plus singulier, c’est que M.
Chaâbi, via Essaouira el-Koubra, société à tout faire,
entretient une quasi-milice de plusieurs centaines de
personnes qui reçoivent un pécule mensuel. Nulle activité
déplaisant au patron ne peut être organisée dans la ville,
sans que ces “masses” spontanément ne la sabotent. Cette
“charité” fait partie du personnage. Miloud ou Mouloud
comme on l’appelle dans la région sait frapper les esprits »92.

104 Finalement, la morale de l’affaire pour les pourfendeurs de


M. Chaâbi serait celle de l’avènement d’une nouvelle éthique
libérale :
« Il suffit uniquement d’une nouvelle procédure pénale
diligentée par l’État qui est, face à l’opinion publique, dans
l’obligation morale de le faire, pour que son système
s’écroule au bénéfice d’un Maroc nouveau. Le Maroc a
changé. Miloud Chaâbi a feint de l’ignorer. Il va payer pour
cette négligence. La politique et les affaires ne faisant pas
bon ménage, notre homme, à la fatuité disproportionnée, va
faire don de sa personne à la nation, en servant d’exemple à
la qualité pédagogique indéniable »93.

105 Pour sa défense, l’homme d’affaires convoqua, quant à lui, la


figure royale et son arbitrage dans un système de
légitimation où l’allégeance prime sur la légalité :

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« Depuis 1964, mes affaires ont pris leur vitesse de croisière.


À cette époque, j’ai eu le grand honneur d’être reçu par S.M.
le Roi, que Dieu le glorifie, le 3 août 1964 à Ifrane au Palais
royal, lors de sa présentation d’un projet de construction
d’une usine de faïence à Kenitra. […] En juin de la même
année, j’ai été reçu par le Roi au Palais royal de Rabat, en
compagnie des membres du bureau de la chambre de
commerce et d’industrie du Maroc ; en ce temps-là, j’étais
président de la CCI de Kenitra. Lors de cette audience, Sa
Majesté, que Dieu le glorifie, nous a octroyé Sa bénédiction
et Son encouragement en nous disant qu’il comptait sur
nous, hommes d’affaires, pour industrialiser notre pays et
créer des emplois. Depuis, je n’ai jamais dévié de cette
voie »94.

106 En somme, l’affaire se déroula sur trois scènes de discussion


publique : celle des médias, celle du politique (le Parlement)
et celle de la justice. Le basculement de la critique, son
déplacement du Parlement à la Cour suprême ont dépolitisé
le débat sur les modalités de la privatisation. Sa couverture
médiatique, ses accidents politiques et son traitement
juridique forgèrent des éléments normatifs qui
accompagnèrent la formation de représentations
polémiques : l’homme d’affaires parasite, l’homme lige du
« makhzen », le « bourgeois » rentier se voit voué aux
gémonies. D’ailleurs, la controverse se joua quelques mois
avant des élections législatives, où M. Chaâbi perdit son
mandat de député. Par contraste et plus tacitement, la figure
providentielle des scenarii de la libéralisation, celle de
l’entrepreneur, trouva dans ces procès les ferments de sa
formation. Ainsi se configure un espace de sens libéral au
cours des privatisations, indépendamment du déroulement
des procédures concrètes de cessions des entreprises.
L’affaire dénote également d’une tendance à associer les
canons d’une « bonne façon de faire des affaires » à une
« bonne façon de faire du politique ».

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La «banqueroute d'une privatisée»


107 En 1998, l’affaire de la SIMEF, privatisée en 1995, ébranla à
nouveau le cours des privatisations. Avec ICOZ et la révision
du contrat de gestion déléguée de la RAD à Rabat, c’est le
seul cas où le contrat de privatisation fut revu ex-post. Le
gouvernement « d’alternance » venait d’arriver au pouvoir,
avec un nouveau ministre des Privatisations, R. Filali,
membre du parti de l’Istiqlâl. Ce sont les syndicalistes de
l’Union générale des travailleurs marocains (UGTM), très
proche de ce même parti, qui engagèrent une bataille qui
manqua, aux dires de certains journalistes et observateurs
politiques, d’« ouvrir la boîte de Pandore des
privatisations ». Le nouveau gouvernement leur emboîta le
pas, engageant des poursuites contre les différents
actionnaires de la société au nouveau Tribunal de commerce
de Fès.
108 Comme pour marquer l’implication nouvelle du
gouvernement « d’alternance » par rapport aux
privatisations, l’affaire fut exemplaire – et exceptionnelle. Le
procès de la « banqueroute d’une privatisée », dénonça des
méthodes d’enrichissement illégal et souligna la possibilité
de renationaliser l’entreprise.
109 La création de la SIMEF en 1974 par l’Office pour le
développement industriel, l’ODI, établissement public,
participait à la stratégie de substitution aux importations.
Juste avant sa privatisation, la SIMEF, société de fabrication
de moteurs électriques et de pièces de rechange, était réputée
agonisante. Elle fut vendue au dirham symbolique à des
repreneurs qui s’engagèrent en contrepartie à s’acquitter des
dettes de la société. Pour favoriser le redémarrage de son
activité, le ministère du Commerce et de l’Industrie lui avait
donné un privilège : un agrément d’exclusivité pour
fabriquer un cyclomoteur économique. Après plusieurs
démarches infructueuses du ministère des Privatisations,
c’est finalement un consortium de repreneurs mené par M.

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Belghandoria, directeur général de la SIMEF avant cession,


qui emporta l’opération.
110 La fronde syndicale lui reprocha d’abord d’avoir monté de fil
blanc le dossier de privatisation et ensuite de n’avoir pas
respecté le cahier des charges. Les résultats de l’entreprise,
aux dires des accusateurs, avaient soudainement chuté,
lorsque l’entreprise fut inscrite sur la liste des sociétés
privatisables. Sa survie était en outre sérieusement menacée
par un projet concurrent de fonderie à El Jadida, promu par
le même M. Belghandoria avec la collaboration d’A. Petit,
autre protagoniste central du procès. Pour les syndicalistes
de la SIMEF, il s’agissait d’un « plan délibéré de
Belghandoria pour affaiblir la société, menacer les pouvoirs
publics de sa fermeture, afin qu’elle soit cédée aux conditions
qu’il aurait imposées »95.
111 La composition et l’évolution du consortium repreneur
demeure le point central de l’affaire. Il semble que M.
Belghandoria ait convoqué des actionnaires fictifs dans le
tour de table pour s’approprier en réalité la société. S’il ne
détenait au moment de la cession que 5 % des actions, en
1998, il en a 40 %. L’homme d’affaires affirma avoir été
contraint de reprendre ces parts au fur et à mesure que les
actionnaires se désistaient. Les salariés devaient recevoir
gratuitement 10 %, qu’ils affirment n’avoir jamais reçus.
Rapidement, deux des principaux actionnaires s’avérèrent
défaillants : l’un, Vélomoto, affirmait ne pas avoir mandaté
Belghandoria pour acheter en son nom ; l’autre, la société
belge Alexis International évoqua une supercherie : A. Petit
ne pouvait signer en son nom car il avait été licencié pour
« faute grave » un mois avant l’opération de cession.
112 Selon L’Économiste, un accord écrit, publié dans ses
colonnes, liait A. Petit à M. Belghandoria, le premier devant
immédiatement céder au second les titres rachetés au nom
de la société belge96. Dans tous les cas, les commentateurs
s’étonnent du laxisme du ministère des Privatisations dans

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cette opération. Certains évoquent des raisons politiques et


les syndicalistes de la SIMEF rappelèrent qu’au printemps
1998, M. Belghandoria avait quitté la société97, pour un poste
de conseiller auprès de l’Agence du Nord, dirigée par l’un des
principaux responsables des privatisations entre 1991 et
1996.
113 Entre-temps, des conflits avaient éclaté entre les derniers
actionnaires, en particulier entre le PDG de la SIMEF et celui
de la MNC. À la suite des protestations syndicales et face à la
faillite de la société, l’État attaqua en justice l’ensemble des
actionnaires pour non-respect du cahier des charges. La
société fut placée sous administration judiciaire.
114 D’autres affaires virent le jour. Elles permirent, à la suite du
procès Chaâbi-Saaïdi, que soient dévoilées de façon
ostentatoire et médiatique les modalités concrètes de
certaines opérations de cession, spécialement de gré à gré.
Elles recelaient également des enjeux partisans. La prise de
position des organes politiques est de ce point de vue
intéressante. Après mars 1988, Libération et Ittihad al
Ichtiraki, organes de l’USFP, lancèrent quelques pavés dans
la mare des privatisations menées sous les gouvernements
précédents : « C’est l’ensemble des dossiers de privatisation
qu’il faudrait revoir », affirmait l’éditorialiste de Ittihad al
Ichtiraki le 31 août 1998.
115 Plus tard, c’est la mise en accusation du premier ministre des
Privatisations, M. Z. Zahidi, qui défraya la chronique dans le
cadre du scandale financier du Crédit immobilier et hôtelier
(CIH) qui finançait notamment des projets touristiques de
grande ampleur98. Cette grande banque publique dont il fut
nommé président en 1994, après avoir été ministre des
Privatisations, fut au cœur d’une importante affaire de
détournement et dilapidation des biens publics, traitée, fait
exceptionnel, par une commission d’enquête parlementaire
en 2001. En cavale, l’homme tombé en disgrâce mit en cause
un nombre important de personnalités politiques, jusqu’à

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porter plainte contre Mohammed VI lui-même. Quels que


soient les dessous de l’affaire, elle expose à nouveau s’il en
était besoin deux choses : d’une part, l’extrême
compromission d’une élite politico-économique dont les
intérêts croisés se nourrissent mutuellement ; d’autre part, la
mise en accusation persistante des modes de gestion de
l’argent public au cours de ces années de privatisation et une
suspicion diffuse quant aux origines de la richesse. Toute la
décennie 1990-2000 est ponctuée de ces scandales à
plusieurs échelles, de campagne « d’assainissement » en
1996 : procès, audits, enquête discréditant la gestion
publique et incriminant des entrepreneurs et hommes
d’affaires. Ceci à deux tranchants. Ils ancrent, par défaut, le
sentiment que la gestion publique est par essence source de
gabegie, et que la fortune est malsaine. Parallèlement, ils
sont l’occasion de renforcer certaines loyautés, d’écarter des
victimes collatérales de la réforme, présentées tantôt comme
victimes expiatoires de crimes collectifs ou tantôt comme des
loups dans la bergerie, héritiers de « l’ancien système » qu’il
s’agit d’expurger.
116 Si les dessous de certaines opérations sont facilement décrits
au cours de discussions privées, si des cabales sont lancées
contre tel ou tel personnage, les procédures elles-mêmes
restent opaques et très policées pour le grand public. À tel
point que ces quelques affaires, qui ne touchent pas
directement les intérêts des principaux groupes bénéficiaires
des privatisations, sans grande conséquence donc sur le plan
de la redistribution des ressources, peuvent apparaître
comme de simples soupapes face aux critiques et
protestations latentes qui pourraient surgir sur des
transactions beaucoup plus importantes.
***
117 Quinze ans après le déclenchement des procédures de
privatisations, le bilan est mitigé. Les logiques de la décharge
sont manifestes. Les pouvoirs publics se désengagent de la

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gestion directe des principales entreprises publiques du


Royaume et cela dans tous les secteurs d’activité, notamment
dans les secteurs des politiques sociales. L’heure est au tout
privatiser et les interdits idéologiques tombent les uns après
les autres. Il semble convenu qu’il s’agit désormais de
trouver des réponses privées à des problèmes publics. Mais
cela ne signifie pas pour autant que le public se dresserait
contre l’État. Les acteurs « du privé », pour peu que cette
catégorie ait un sens, les « entrepreneurs » si l’on se réfère
aux protorécits qui entourent les privatisations, sont
attendus, espérés, voués aux gémonies par contraste avec
une bourgeoisie « parasitaire », portée au pinacle par une
série de procès médiatiques. Mais ces opérations restent très
étroitement contrôlées par les pouvoirs publics. De façon
technique, les opérations se jouent dans des instances
directement sous les ordres du Palais : pour la privatisation
des entreprises publiques, parfois directement le Palais, en
tout cas la commission des transferts ou l’organisme
d’évaluation dont les quelques membres sont nommés par
dahir royal ; pour la délégation de gestion, la direction des
régies et services concédés qui dépend du ministère de
l’Intérieur ; pour la mise en œuvre de l’INDH, comme nous
allons le voir, des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur
et notamment de la direction des Affaires sociales des
préfectures, etc. À côté des grandes affaires rappelées dans
les pages qui précèdent, beaucoup de témoignages montrent
que les marchés publics et leur concession restent un outil
d’action privilégié pour les pouvoirs publics marocains : outil
économique mais également outil politique dans certains cas
où les relations « dangereuses » que certains hommes
d’affaires peuvent avoir avec la chose publique sont
sanctionnées par l’attribution ou le refus de marché.
118 En termes plus économiques, la domination du secteur
bancaire par des groupes proches du Palais, l’extrême
interdépendance des grands groupes, accentuent les

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possibilités d’encadrement et de maîtrise qui peuvent être


multiformes. Les conflits qui se déroulent à propos des
privatisations permettent autant la discussion des
procédures sur la place publique que l’intrusion avérée ou
plus subreptice des pouvoirs publics, et du Palais en
particulier, où la famille royale joue, à titre privé,
d’importances opérations financières. Les instruments de
contrôle évoluent et les moyens de l’action publique se
transforment : si la privatisation est l’occasion d’une
redistribution directe importante, elle est aussi l’outil d’un
assèchement de ce canal privilégié pour les décideurs
publics. Dans cette perspective, cette période se caractérise
par de substantielles transformations de l’action publique :
les ressources et les outils de cette dernière doivent évoluer.
119 Quant au traitement médiatique des privatisations, il ne fut
pas anodin. D’une part, ce fut l’occasion de « publiciser les
privatisations » : d’en faire un slogan, de fragiliser les
certitudes antérieures à coup de discours d’autorité (« les
privatisations c’est bien pour vous, c’est bien pour nous ») ou
de révélations. Les discours de propagande sur les vertus du
privé réveillèrent-ils l’entrepreneur qui dormait en chacun ?
D’autre part, à côté de la vulgarisation de la nouvelle
orthodoxie du développement, les procès des privatisations
prirent part à une remise en ordre symbolique du monde
social : de nouveaux stéréotypes sont mis en avant, tandis
que les images – parfois incarnées en des personnages – de
l’ordre ancien sont l’objet de virulentes dénégations. Quand
bien même tout le monde n’est pas toujours dupe, cela
contribue à la constitution de nouveaux registres de
légitimation et à une évolution des valeurs dominantes qui
trouvent écho dans les transformations de l’action publique
et dans la « normalisation » du monde des affaires.

Notes
1. Pour reprendre une formule qu’emploie souvent B. Hibou (2006) à

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propos de l’économie politique de ces réformes néolibérales.


2. Saaïdi, « Éditorial », Transfert, n° 1, juin 1995, 1. C’est moi qui
souligne.
3. J. Berraoui, « La communication des opérations de privatisation :
Saaïdi joue la séduction de la presse », L’Économiste, n° 121, 17 mars
1994.
4. Mission économique et financière de l’ambassade de France au Maroc,
Les Privatisations au Maroc, avril 1993, document à usage interne,
photocopié.
5. Par exemple : entretien avec A. Saaïdi, « Les bons de privatisation :
une passerelle vers les actions », L’Économiste, n° 205, 23 novembre
1995.
6. Ministère du Secteur public et de la Privatisation, Guide des
privatisations, 3.
7. En octobre 1994, l’agence Shem’s reçoit la médaille d’argent au
Mondial de la publicité francophone, à Deauville, dans la catégorie des
Campagnes d’utilité publique.
8. Entretien 20 mars 1998.
9. K. Loudiyi, « Privatisations : Shem’s prête pour le lever de rideau. La
batterie des moyens de communication est mise en place »,
L’Économiste, n° 66, 11 février 1993.
10. Réalisé par M. A. Tazi, 1993, Touza production.
11. Cité par M. Chaoui, « Bachir Skiredj : “Je suis un comédien
caméléon” », L’Économiste, n° 207, 7 décembre 1995.
12. Enquête Sunergia-L’Économiste sur la privatisation, L’Économiste, 9
et 16 septembre 1993.
13. Cf. le dossier consacré à la question dans la Revue marocaine d’Audit
et de Développement, n° 4, juin 1995.
14. Par exemple, en juin 1997, le ministère des Finances et des
Investissements extérieurs organisa un colloque sur la « Modernisation
des entreprises publiques : gouvernance et contrôle de l’État », où il
présentait son projet de réforme du contrôle financier des entreprises et
établissements publics, élaboré par un cabinet privé, Masnaoui et Mazars
& Guérard, en invoquant le concept de « Corporate Governance », qui
viserait à renforcer le rôle du conseil d’administration dans les grandes
entreprises publiques.
15. A. Shamamba, « Le gouvernement d’entreprise : un concept pour

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moderniser la culture d’entreprise. Entretien avec O. Pastré, directeur


général de la GP Banque », L’Économiste, n° 183, 8 juin 1995.
16. N. Salah « Corporate Governance. Une “Constitution” qui sécuriserait
le secteur public », L’Économiste, n° 184, 15 juin 1995. Voir aussi les
propos du même ministre dans R. Belkahia et A. Harouchi, 1998, 83-95.
17. Selon M. Kably : « À elle seule la législation ne suffira pas à imposer
les principes de la corporate, une révolution des mentalités des
actionnaires s’impose », in « Corporate Governance. Les réformes
adoptent le concept », L’Économiste, n° 186, 29 juin 1995.
18. O. Pastré, in A. Shamamba, « Le gouvernement d’entreprise : un
concept pour moderniser la culture d’entreprise », L’Économiste, n° 183,
8 juin 1995.
19. N. Salah, « Un transfert de démocratie », L’Économiste, n° 184, 15
juin 1995.
20. CGEM, Déclaration pour une éthique de l’entreprise, point 3,
automne 1998.
21. Kh. Belyazid, « Une étude de la Banque Mondiale sur 12 pays.
Entreprises publiques : la réussite des réformes dépend de la crédibilité
politique des gouvernements », L’Économiste, n° 207, 7 décembre1995.
22. Pour M.A. Hasbi, ministre des Affaires administratives : « L’effort de
reconversion des fonctions de l’appareil d’État vers lequel convergent les
politiques de libéralisation, de déréglementation et de privatisation
poursuivie par notre pays est lui-même inducteur de changements au
plan administratif ». L’Économiste, n° 162, 12 janvier 1995.
23. Voir par exemple pour un exposé intéressant de la généalogie et de
l’évolution du débat sur la gouvernance dans les sciences sociales
contemporaines, le numéro spécial de la Revue internationale des
sciences sociales, n° 155, mars 1998.
24. L’enquête sur la « gouvernance d’entreprise au Maroc » présentée
par R. Belkahia, président de la commission Éthique et Bonne
gouvernance à la CGEM lors du séminaire « Advancing the Corporate
Governance Agenda in the MENA region » (OCDE-GCGF-IFC-CIPE)
s’intéresse en réalité autant aux modes de commandement interne des
entreprises qu’au contexte politique, institutionnel et légal dans lequel
elles évoluent au Maroc. Rabat, 14-15 septembre 2005.
25. Aux lendemains des élections législatives de 1992, où l’Istiqlâl et
l’USFP, les deux partis leaders du gouvernement « d’alternance »,
connurent un essoufflement certain devant la montée en puissance du
Parti de la justice et du développement (M. Bennani Chraïbi et alii, 2004,

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fut constitué par Mohammed VI un gouvernement comportant toujours


des membres éminents de l’USFP et de l’Istiqlâl, mais dirigé par D.
Jettou, sans appartenance politique, industriel, ex-ministre du
Commerce, de l’Industrie, des Finances, et ex-ministre de l’Intérieur.
26. Direction des Entreprises publiques et de la Privatisation,
Privatisation : Bilan et perspectives, ministère des Finances et de la
Privatisation, déc. 2006.
27. Les procédures de privatisation de Maroc et la libéralisation des
télécommunications ont fait l’objet d’une excellente étude par B. Hibou et
M. Tozy, 2002.
28. Direction des Entreprises publiques et de la Privatisation,
Privatisation : Bilan et perspectives, ministère des Finances et de la
Privatisation, déc. 2006, 10.
29. Ibid., 14.
30. Ibid., 15.
31. Ibid., 16.
32. Y. M. Sadowki, 1991, 140, traduit par E. Gobe, 1999, 226.
33. Véolia Environnement est présent au Maroc depuis 2002 via des
contrats de gestion déléguée dans les domaines de la distribution d’eau et
d’électricité, de l’assainissement (Amendis à Tanger-Tétouan, Redal à
Rabat-Salé) et des contrats de collecte d’ordures ménagères et de
nettoiement (Onyx à Rabat, Fès, Oujda et Safi). Parmi ses filiales au
Maroc, le groupe compte également Amanor et Hydrolia, qui œuvrent
dans les domaines du transport du personnel, du curage de réseaux
d’assainissement, de l’électrification urbaine et des travaux d’entretien
d’eau potable. http://www.waternunc.com/fr/vivenE49_2002.htm
34. Le consortium concurrent était Holmir, qui regroupait Total, Shell,
Mobil, des « institutionnels » et des sociétés de distribution locale :
Afriquia, Somepi, Ziz, Salama, Petrom, Somap, Atlas Shara, autrement
dit les principaux groupes privés marocains.
35. Le tour de table comprenait également des établissements tels que
Wafabank, Al Wataniya, la Société générale, la Royale marocaine
d’assurance, la mutuelle Manda-Mcma (Mutuelle agricole marocaine
d’assurance/Mutuelle centrale marocaine d’assurance), Lafarge Copée,
Quantum emergent market (Soros), Framlington Maghreb Fund, le
Marocco-Fund, etc. Le groupe concurrent était constitué des autres
banques marocaines (la BMCE, la CMIR, Crédit du Maroc, la SNEP,
Interfina, Bank al Amal).

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36. En janvier 1988, le CIC-Paris revendit une partie des participations


de la BCM à l’ONA. Cf. Z. Daoud, 1990, 94.
37. M. Kably, « La SNI récolte les fruits de son recentrage »,
L’Économiste, n° 293, 14 août 1997.
38. Il faudrait aussi s’intéresser dans cette perspective au rôle de la
Caisse de dépôts et de gestion, holding public : la recomposition de son
portefeuille, notamment au profit de la SNI ou de banques privées fut un
élément central dans les privatisations.
39. La formule est de A. Jamaï, in « La relance ne dépend pas
uniquement de la baisse des taux », La Vie économique, 21 mars 1997, 5.
40. Entretien 11 mars 1997.
41. Pour A. Jouahri, président de la BMCE (avant privatisation) et
président du Groupement professionnel des banques marocaines
(GPMB) : « La notion même d’instrument stratégique perd beaucoup de
sa signification. L’État de plus en plus se dessaisit de son rôle de
producteur, il assume de plus en plus ses fonctions de régulateur, de
contrôleur. (...) Ces politiques de régulation restent entre les mains de
l’État, cela n’implique pas que les banques qui les appliquent doivent être
des banques publiques. (...) Avec le PAS, tout est allé encore plus vite, ce
qui, à mon sens, a fait émerger davantage la notion d’instrument efficient
plutôt que stratégique » (c’est moi qui souligne), L’Économiste, n° 159,
22 décembre 1994.
42. Nommé à la tête de la BMCE, O. Benjelloun démissionna de ses
fonctions d’administrateur de la BMCI et de la BCM.
43. CIMR, Royale marocaine d’assurance, du groupe Benjelloun, qui
détient 5,28 %, Al Amale pour les institutionnels marocains et Banque
française du commerce extérieur et BEX pour les financiers étrangers. N.
Benamour Lahrichi, 1988, 230.
44. Le groupe familial dirigé par Omar Benjelloun et son frère Othman
s’est essentiellement développé après l’indépendance, dans le domaine
de la construction automobile (leur société Saïda Star auto, a commencé
par commercialiser Volvo, puis General Motors, Bedford, Isuzu, Opel,
Chevrolet, Cadillac et Suzuki. Ils détiennent par ailleurs le monopole du
montage de poids lourds et 65 % du marché des poids lourds et dirigent
Goodyear Maroc). Parallèlement, ils développent un secteur sidérurgie et
travaux publics. Dans le domaine de l’assurance, la RMA leur appartient
à 100 %. Ils ont investi dans l’agroalimentaire avec California Ranch et
dans la production de film, avec Dounia Production.
45. Le GPMB, fondé en 1943 sous le nom de « Comité des Banques »,

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restructuré en 1959, prend le nom de GPMB en 1982.


46. Une sorte de coutume veut que la présidence de ce puissant
groupement professionnel soit occupée par le dirigeant de la BMCE.
47. Le contrôle de la Compagnie africaine d’assurance, la CAA par l’ONA
en mars 1987, est le fruit de la vente par la SNI des 50 % qu’elle détenait
dans le capital de la société d’assurance.
48. Selon le journaliste économique B. Amine, il s’agirait d’un
« exploit » : « Dans les milieux d’affaires, le rachat de la compagnie
d’assurance Al Wataniya par la Royale marocaine d’assurance
s’apparente à un véritable tour de passe-passe. Un astucieux exercice de
relations personnelles, voire d’ententes tacites, qui ne souffrent d’aucune
connotation spéculative. Seule suspicion dans ce dossier, le prix fort payé
par l’acquéreur RMA. L’offre a atteint la somme mirobolante de 4,1
milliards de dirhams. C’est réellement une affaire de gros sous qui relève
de l’exploit. Reste à en saisir l’impact », La Gazette du Maroc, 20-26
janvier 1999, 1.
49. « Et le mastodonte bancaire naquit ! », Le Journal Hebdomadaire, 2
novembre 2003.
50. À titre d’exemple, en 1997, le conseil d’administration de la SNI est
composé de M’Fadel Lahlou (PDG, ex-DG de la Caisse de dépôts et de
gestion), A. Alami (BCM), S. Kettani (Wafabank, « coopté à titre
personnel »), Othman Benjelloun (RMA), A. Chraïbi (Al Wataniya), M.
Bargach (Société générale), Y. Soussen (Manda-MCMA), F. Filali (CAA,
groupe ONA), J. Lefèvre (Lafarge-Copée) et M. Boughaleb (Al Amane).
Le conseil d’administration de la BMCE est composé de Othman
Benjelloun (PDG), Kh. El Kadiri (vice-président, DG de la Caisse de
dépôts et de gestion), M. Boughaleb (Al Amane), M. Mechahouri (RCAR),
Omar Benjelloun (RMA, groupe Benjelloun), M. Lahlou (CIMR), A.
Slaoui, L. Abad (BEE-Espagne), E. Lescar (BFCE-France), G. Solmsen
(Commerzbank-Allemagne), E. Picciotto (Union bancaire privée, Suisse)
et D. Suratgar (Morgan Grenell-Grande Bretagne). H. A. Benjelloun
demeure président d’honneur. Parallèlement, O. Benjelloun est
administrateur-coopté de l’ONA, ainsi que M. Lahlou (SNI).
51. Entretien 4 juin 1996.
52. Entretien mai 1997.
53. Pour une synthèse du paysage actuel, voir Ambassade de France à
Rabat, mission économique et financière, Le secteur bancaire au Maroc,
17 janvier 2006.
54. A. Mansour, « Il était une fois Laraki », Maroc-Hebdo International,

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n° 528, 11-17 octobre 2002.


55. Selon A. Jamaï, « Le financement de l’État marocain dépend
grandement du secteur bancaire, cette donne a en fait conditionné les
rapports autorités-banques, c’est cette incestueuse relation qu’il va falloir
briser en promouvant les nouveaux métiers sur le marché financier », in
« La relance ne dépend pas uniquement de la baisse des taux », La Vie
économique, 21 mars 1997, 5.
56. Ainsi, le chiffre d’affaires quotidien du marché des actions a été
multiplié par 200 entre 1989 et 1998, passant de 0,05 million de dollars à
12 millions de dollars. Sur la même période, la capitalisation boursière a
été multipliée par plus de 30, passant de 0,55 milliard de dollars à 17
milliards de dollars (de 2,5 % du PIB en 1989 à 37,4 % en 1997). Les
petits porteurs sont passés de 10 000 à 317 000 ». Source : « Bourse : les
bonnes affaires de la privatisation », Le Journal, 3 juillet 19/99, 39.
57. La Vie économique, 7 mars 1997.
58. La nouvelle loi institue les conditions de fonctionnement des sociétés
de bourses, un Conseil déontologique des valeurs mobilières pour
assurer la protection de l’épargne et l’encouragement à la naissance de
nouveaux produits financiers à travers les OPCVM et les FCP. Le marché
boursier est décloisonné et son ouverture à de nouveaux intervenants
(sociétés de bourses, SICAV, fonds communs de placement...), réaffirmée
et consolidée par la loi relative aux titres de créances négociables. Malgré
les difficultés de mise en route, la Bourse de Casablanca se hisserait au
deuxième rang des Bourses africaines, après celle de Johannesburg.
59. En 1995, les offres publiques de vente des sociétés privatisées ont
représenté 21 % de la capitalisation boursière et 37 % du volume des
transactions. À très peu d’exception près, les seules introductions en
bourse opérées depuis 1993, date de la réforme de la Bourse de
Casablanca, l’ont été dans le cadre du programme de privatisation.
60. On pourrait citer l’exemple de la fusion entre la Wafabank et Uniban,
ou encore l’épisode de l’introduction en bourse de Taslif puis celle de
Crédit EQDOM.
61. La Vie économique, 17 janvier 1997.
62. Entretien 1er avril 1997.
63. Par exemple, N. Salah, « La privatisation fait tomber la
marocanisation », L’Économiste, n° 67, 18 février 1993.
64. Entretien 13 février 1997.
65. Idem.

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66. Les principaux nouveaux actionnaires constituant le noyau de


référence sont la Banque centrale populaire (BCP), première banque du
Royaume, privatisable mais toujours dans le giron du secteur public,
Interfina, Bank al Amale, Asma Invest, la CIMR (la Caisse
interprofessionnelle marocaine de retraite) et Al Amane. Seule la Bank al
Amale pouvait alors être classée sans conteste dans le secteur privé.
67. Cf. N. Salah, « Débats sur la nature du noyau de référence.
Privatisation : le déroulement de la vente CTM-LN », L’Économiste,
n° 81, 27 mai 1993.
68. Ibid.
69. Pour cet ensemble d’indications biographiques : cf. la rubrique « Les
hommes », Maghreb, n° 48, nov. 1971, 14.
70. D’ailleurs, J. Waterbury (1970, 131) le classe, à l’orée des années
1970, parmi les hommes d’affaires sympathisants de gauche.
71. Pour une analyse précise des étapes de la constitution du groupe
Karim Lamrani, voir M. Saïd Saâdi, 1989, 148 et ss.
72. A. Bouabid, secrétaire général de l’USFP y est ministre d’État sans
portefeuille tout comme Mohammed Boucetta, secrétaire général du
parti de l’Istiqlâl, Mahjoubi Aherdane, président du Mouvement
populaire, Moulay Ahmed Alaoui, un proche de Hassan II, Maâti
Bouabid, le précédent Premier ministre, Mohammed Bahnini, et le
syndicaliste Mohammed Arsalane Jadidi, chef du Parti national
démocrate.
73. Par exemple Kh. Hachimi Idrissi, « Les Quadra de choc », Maroc-
Hebdo International, n° 257, 18 janvier 1997 ; ou encore J. B.,
« Compétitivité et mobilité, le credo des moins de quarante ans », La Vie
économique, 14 juin 1996, 20-22.
74. Y. Mény, 1992, 99 et ss.
75. Voir à ce sujet N. Beau et C. Graciet, 2006.
76. A. Kennouch, « Privatisation : la rentabilité publique a garanti le
succès des privatisations », L’Économiste, n° 163, 19 janvier 1995.
77. Pour aller vite, L’Économiste, dont A. Saaïdi était alors au conseil
d’administration et Maroc-Hebdo International se sont rangés dans les
rangs du ministre des Privatisations, et ont dressé un réquisitoire contre
l’homme d’affaires. Ce dernier, député Istiqlâl, a essentiellement utilisé
les colonnes de l’Opinion, organe du parti, pour faire valoir son point de
vue.
78. Maroc-Hebdo International, 27 décembre 1997.

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79. Voir chapitre IV.


80. C’est la formule qu’emploie un journaliste qui suit l’affaire : A.
Chankou, « La privatisation devant la Cour suprême. Chaâbi perd son
procès », Maroc-Hebdo International, n° 278, 14-20 juin 1997.
81. Ce qui conduit d’ailleurs M. Chaâbi à déclarer : « Si l’origine de ma
fortune est douteuse, si j’ai traficoté, c’est alors avec la complicité de
monsieur Saaïdi », L’Opinion, 5 décembre 1996, 1.
82. Les principaux griefs de M. Chaâbi sont dressés dans sa lettre
ouverte : cf. « Miloud Chaâbi répond à Maroc-Hebdo International »,
L’Opinion, 21 octobre 1996, 1.
83. Officiellement son offre, supérieure à celle des repreneurs, a été
déboutée pour deux motifs : sa demande serait arrivée après que la
commission parlementaire a pris connaissance du dossier et son groupe
n’aurait aucune compétence en matière touristique.
84. M. Mouslim, à l’occasion de cette polémique, écrit en conclusion de
son article : « Il y a encore des hommes d’affaires dont le seul talent est
de distribuer des pots-de-vin aux décideurs pour obtenir des marchés ou
l’élimination de concurrents gênants », in « Les vrais enjeux selon A.
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économique, 13 décembre 1996, 15-16.
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90. Ibid.
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95. In « Vers l’annulation du contrat de cession », La Gazette du Maroc,


9 septembre 1998, 11.
96. H. R. et A.D.N., « Les manœuvres et les intrigues de la SIMEF », La
Vie économique, 10 septembre 1998, 12.
97. O. Saeb, « La privatisation m’a ruiné », Libération, 8 septembre
1998, 1.
98. Le traitement de ce dossier fut d’ailleurs l’objet de l’une des études de
cas rassemblées par Transparency International pour son rapport 2007.
Voir TI Maroc, « Royal Power and Judicial Independence in Morocco »,
Transparency International, Global Corruption Report 2007.
Corruption in Judicial Systems, Cambridge, Cambridge University Press,
233-235.

© Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, 2008

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Référence électronique du chapitre


CATUSSE, Myriam. Chapitre II. Les privatisations à l’épreuve. La
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Politique et transformations du capitalisme au Maroc [en ligne]. Tunis :
Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, 2008 (généré le 06
octobre 2021). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org
/irmc/532>. ISBN : 9782821850460. DOI : https://doi.org/10.4000
/books.irmc.532.

Référence électronique du livre


CATUSSE, Myriam. Le temps des entrepreneurs ? Politique et
transformations du capitalisme au Maroc. Nouvelle édition [en ligne].
Tunis : Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, 2008 (généré
le 06 octobre 2021). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/irmc/525>. ISBN : 9782821850460.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.irmc.525.
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Politique et transformations du capitalisme au


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Myriam Catusse

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