7 Revue Sociotexte
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SOMMAIRE
NTRODUCTION
Si la poésie est l’art d’écrire des vers pour enchanter l’esprit, il n’en demeure pas moins
que son matériau basique est le mot à partir duquel le poète édifie son texte pour traduire son
rapport au monde. Dans cette perspective, se faisant une virtuose du langage, le poète choisit
les mots, dans bien de cas, pour leurs qualités sonores qui concourent à suggérer toutes les
sensations et la sensibilité du poète. Il en est de même pour Rimbaud sous la plume duquel les
mots se muent en notes sonores pour suggérer un condensé mélodique dans son écriture
poétique. Ce constat détermine un ensemble d’interrogations qui est de savoir comment les
mots sont traités dans l’art poétique rimbaldien pour induire la mélodie. Comment structurent-
ils le texte pour engendrer la musicalité qui fait de certains textes de Rimbaud un vaste réseau
harmonieux. Et quel est le sens de la profusion de la musicalité dans son langage poétique. Ces
différentes interrogations sont autant de points saillants que nous analyserons au moyen de la
stylistique et de la sociocritique. Pour mieux cerner notre sujet qui fait du mot le fondement
mélodique dans l’expression poétique rimbaldienne, il s’impose à nous de définir les notions
de « mot » et de la « musicalité ».
I- POUR UNE APPROCHE THEORIQUE DU MOT ET DE LA
MUSICALITE
La définition du lexème « mot » n’est pas aisée. Cela tient en partie de sa délimitation et
de sa constitution qui se laissent appréhendées difficilement par les linguistes. Comme segment
du discours, la difficulté de sa saisie provient en partie de son articulation comme élément
systémique du langage dont la morphologie peut paraître complexe. M. Arrivé note en effet que
« La notion traditionnelle de mot est l’une de celle qui ont sollicité le plus constamment
l’attention des linguistes. Dans une langue telle que le français, il n’est possible de donner une
définition à la fois simple et rigoureux du mot qu’au niveau de la manifestation graphique, où
le mot est le segment du discours compris entre deux espaces blancs » (Arrivé, 1986, 393).
Dans le domaine de la lexicologie, la définition du mot qui restreint celui-ci entre deux
blancs, montre ses limites tant le mot peut être constitué de plusieurs lexèmes en rapport avec
la préfixation et la suffixation. Ce qui étend ses limites et commande le terme de morphème
en vue de pallier cette insuffisance définitoire. Ainsi, « Dans la langue envisagée comme
système […], le mot est évacué au profit du morphème, dont les limites ne se confondent
nécessairement avec celles du mot » dans la perspective de M. Arrivé.
Pour A. Arnaud (1834, p.95), « Les mots sont des sons distincts et articulés dont les
hommes ont fait des signes pour marquer ce qui se passe dans leur esprit ». R. Lagane (1989,
p.24) définit le mot comme « […] la plus petite unité significative capable d’être à elle seule un
constituant de n’importe quel groupe du nom ou groupe du verbe, selon le cas. » Selon G.
Guillaume (1977, p.36), « Un mot résulte de l'association d'un sens donné à un ensemble de
sons donnés susceptible d'un emploi grammatical donné ». La définition de Guillaume expose
le mot sous trois angles : phonétique, sémantique, grammaticale. Ce qui fait intervenir dans la
notion de mot le volet de la phonation qui fait appel aux sonorités émanant des différentes lettres
présentes dans la réalisation du mot pris comme un segment du discours.
De ce qui précède, nous définissons le mot comme une masse de lettres formant un
segment autonome du discours, doué de sens, limité à gauche et à droite par un blanc, et dont
la fonction est de structurer une phrase grammaticale.
Dans l’exposition de son rapport au monde, l’homme mobilise le mot pour traduire sa
perception de l’univers et les effets qu’il provoque sur son âme. Cela se traduit par la belle
parole qui peut être véhiculée par l’oralité ou fixée sur un support physique à partir de l’écriture.
Ce qui procède, bien des fois, par des analogies dont les mots sont les vecteurs se transformant
de facto en reflet pour traduire une idée, une réalité abstraite inhérente à la vie intérieure, et la
perception du locuteur dans le domaine de la création littéraire. C’est cette image à laquelle
renvoient les mots à partir de ses sonorités et des représentations qu’elle suggère dans l’esprit
du lecteur que Saussure appelle le signe à deux pendants, comme le résume M. Aquien :
« A la correspondance entre une idée et un mot, Saussure substitut la notion de signe
linguistique, représenté non plus par un segment graphique discernable par « les blancs », mais
par une image acoustique à isoler dans une chaîne continue de sons. L’unité linguistique de base
n’est plus le mot mais le signe qui a deux faces indissociables – le signifié (concept) et le
signifiant (image acoustique) - et qui désigne […] aussi bien des unités minimales que des unités
complexes que Saussure appelle syntagmes » (Aquien, 1993, p.184).
De fait, ces syntagmes se transmuent en signes sonores dont l’émanation codifie le réelle en
intégrant une nouvelle fonctionnalité. Ce qui fait dire à Sonia Branca-Rossof que « Le mot peut
donc être appréhendé comme unité phonétique, comme unité fonctionnelle abstraite, comme
unité sémantique.»1
Dès lors, dans le discours littéraire, le mot quitte sa fonction utilitaire pour accéder à sa
dimension esthétique consistant à engendrer la belle parole qui enchante l’âme de l’homme.
Cette fonction trouve un terreau fertile dans le domaine de la poésie où le mot devient le
matériau de création de poète. Dans cette perspective, le mot dans sa mobilisation ne va plus de
l’avant. Il prend des détours, se renferme sur lui-même dans une sorte d’autarcie pour proscrire
la linéarité du discours où le sens est donné de facto. C’est bien cette articulation du mot dans
la poésie que traduit M. Aquien quand il postule que :
« La poésie moderne, avec son désir d’échapper à la linéarité du discours, tend à restituer le mot
dans sa plénitude en ne limitant pas au un seul plan des signifié et d’une avancée syntagmatique
qui va, selon la logique rationnelle classique, d’idée en idée sans que le mot y soit valorisé dans
sa totalité et pour lui-même » (Aquien, 1993, p.185).
La dimension poétique du mot ne tient pas dans le mot. Elle émane de l’usage qu’en fait
le poète en fonction de sa sensibilité et de son rapport à l’univers. La poéticité du mot est
l’apanage de l’imaginaire du poète qui peut lui permettre de traduire les réalités qui échappent
à la raison et à la conscience claire, en y injectant des valeurs pour en faire le vecteur de son
expression, selon l’attente du poète. A cet effet, M. Aquien écrit que
« Le propre du mot poétique n’est donc pas toujours dans sa rareté ou dans son appartenance à
un type de lexique particulier, […] mais bien plutôt dans la valeur que lui accorde un certain
poète selon une certaine orientation qui relève du système propre de l’œuvre […] que H.
Meschonnic appelle « l’intention de poésie » (Aquien, 1993, p.186).
En effet, l’intention poétique rimbaldienne est d’emprunter à la musique ses effets pour rendre
plus expressif ses pensées afin de traduire avec le plus d’objectivité possible ses sensations et
son rapport au réel. Dans cette perspective, il fait de la musicalité l’un des fondements de son
langage poétique. A quoi ramène la notion de musicalité ?
La musicalité dénote de ce qui a un caractère musical ou des qualités de ce qui est
musical. Littré (1063, p.788) le définit comme ce « Qui a un rapport avec la musique ». Quant
J. Girodet (Bordas, 1985, p.2111.), il l’approche comme ce qui a « Un caractère musical ou
ressemblance avec la musique ». De fait, provenant du latin à la fin du XIIe siècle, ce mot est
tiré musica et du grec mousikê « musique », c’est-à-dire « l’art des Muses » (E. Littré, 1963,
p.1660) en rapport avec la poésie, la philosophie, la culture et la musique. De manière pratique,
la notion de musique se rapporte à une expression artistique « qui utilise les phénomènes
vibratoires sensible à l’ouïe (voix humaine, instruments…) et qui, en principe, essaie de créer
des œuvres qui soient des combinaisons harmonieuses ou expressives de ces sons » (Girodet,
1985, p.2111). Elle est définie par E. Littré (1963, p.788) comme la « Science ou emploi des
sons qui entre dans une échelle dite gamme. » Ainsi, il apparait que la musique embrasse un
champ étendu, regroupant plusieurs disciplines et arts. L’un des arts dans lequel la musique
parait la plus prégnante est la poésie qui semble tisser avec elle un lien dont les origines se
1
Sonia Branca-Rosoff, Le mot comme notion hétérogène, http://syled.univ-paris3.fr/individus/sonia-
branca/articles/79b_le_mot_BRANC., p.2, Consulté le 02/05/2019.
perdent dans le temps. Il semble que l’une a été constituée pour l’autre. Cette accointance entre
la musique et la poésie remontant aux temps immémoriaux est énoncée A. Vaillant :
« Au temps primitifs quand l’homme s’éveilla dans un monde qui vient de naître, la poésie
s’éveille avec lui. En présence des merveilles qui, l’éblouissent et qui l’enivrent, sa première
parole n’est qu’un hymne […] Il s’épanche, il chante comme il respire » (A. Vaillant, 1992,
p.17).
Aborder le rapport de l’art poétique à la musique revient, en réalité, à remonter à
l’Antiquité où Socrate et Platon faisaient de ces deux arts l’un le pendant de l’autre. De fait,
l’art poétique et la musique étaient les faces d’une même médaille. Bien plus tard, traversant le
Moyen Age leur proximité se consolide pour être pulvérisée durant le siècle des lumières
pendant lequel l’on distingue la poésie et la musique comme des arts autonomes. Ce que signifie
M. Gribenski quand il écrit :
« Les relations elles-mêmes sont très anciennes et peuvent être décrites comme une progressive
séparation : de l’Antiquité grecque et du Moyen Âge, où musique et poésie formaient une unité,
à l’époque moderne où la poésie cesse d’être nécessairement chantée et où les relations entre
poètes et musiciens se font volontiers conflictuelles, cette séparation n’a cessé d’aller
s’accentuant » (M. Gribenski, 2008, p.113).
La démarcation de l’art poétique et de la musique prend fin dans la deuxième moitié du XIX e
siècle sous la férule du mouvement symboliste. Les symbolistes, sous l’impulsion de l’analogie,
percevant derrière chaque réalité qui imprègne le sens de l’homme une autre réalité en
filagramme, font de la musique le vecteur de l’expression de l’indicible, de l’émotion que la
parole n’arrive pas à traduire dans sa totalité. Dès lors, la musique recouvre sa proximité avec
la littérature dans le domaine de la poésie.
« De ce point de vue, le symbolisme apparaît à la fois comme un nouvel âge d’or des relations
entre poésie et musique et comme le point culminant d’une rivalité, c’est-à-dire d’une séparation
– contestation par certains poètes de l’hégémonie de la musique, appropriation de la poésie par
certains musiciens, dans la mélodie française en particulier. » (M. Gribenski, 2008, p.113)
Durant cette période s’élabore la théorie de la musique qui fonde les principes de l’art
musicale innervant l’art poétique. Cependant, il faut noter que le rapport entre poésie et musique
n’est pas établi de facto. La difficulté de l’intrication de ces deux arts est déterminée par divers
approches. De fait, ce rapport est établi à partir de plusieurs disciplines que sont la linguistique,
la littérature comparée et la musicologie, comme le résume M. Gribenski en ces termes :
« Au XXe siècle, la réflexion sur les relations entre littérature et musique est notamment marquée
par les travaux de l’esthéticien Étienne Souriau, des comparatistes Calvin S. Brown et Steven Paul
Scher. Avec le livre marquant de Brown (1948), les recherches musico-littéraires passent ainsi du
domaine de l’esthétique comparée dans celui de la littérature comparée, pour s’y développer durant
toute la seconde moitié du siècle. Toujours dans le versant littéraire, il est remarquable que, si la
linguistique s’intéresse à la question, les études métriques touchant à la musique concernent, à de
rares exceptions près, la chanson, le chant populaire ou la comptine, mais rarement à la musique
vocale savante (lied, mélodie, opéra, etc.) » (Gribenski, 2008, p.14).
La proximité entre la poésie et la musique ne provient pas d’une intrication entre le poète
et le musicien, mais émane de l’emprunt de certaines techniques musicales que le poète imprime
à son écriture poétique. En réalité, la musique ne se pose pas dans le texte poétique de manière
ostentatoire empruntant certains de ses traits définitoires ou ses effets. Elle procède dans
l’écriture poétique par des analogies qui sont en réalités des allusions pour évoquer certains
aspects de l’art musical, ses effets, en vue de traduire le rapport du poète à son univers. C’est
bien cette pratique de l’expression poétique qui fait de la musique son pendant ainsi que le
traduit M. Gribenski :
« La présence de la musique dans la littérature peut se manifester de façon thématique, par référence
à des musiciens réels ou fictifs ou à des œuvres, elles aussi réelles ou fictives et pouvant alors faire
l’objet d’une transposition d’art ; mais elle peut aussi se marquer de façon structurelle, par analogie
avec des formes musicales […] De façon plus générale, la recherche d’une « musicalité» dans la
poésie (en vers ou en prose) ou dans le récit poétique, a parfois été interprétée comme la recherche
d’analogons musicaux, emblématisée par le poème de Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira
le hasard. Il importe toutefois, dans ce domaine, de toujours prendre garde de marquer la frontière
entre analogie et identité sous peine de sombrer dans le confusionnisme » (Gribenski, 2008, p.114).
Après avoir procédé à ce balisage théorique qui permet de cerner la musicalité dans
l’écriture poétique à partir de l’assimilation manifeste ou détourné de certains effets de la
musique dans l’expression littéraire, comment la musique par ses soupçons intègre-t-elle le
langage poétique de rimbaldien ?
2-Le titre : l’ouverture musicale
Le rapport de Rimbaud à la musique est une relation fusionnelle. Sa propension à associer
la musique et la poésie est attestée par les titres de ses textes poétiques. Certains poèmes, à
l’entame, exhalent des relents de musicalité par l’induction de la présence de la notion de
musique dans l’univers qui sous-tend la diègése du poème.
Nous avons entre autres des titres à fort relent musical comme « chant de guerre parisien »,
« A la musique », « Fêtes de la patience », « chanson de la plus haute tour », « Fête de la faim »,
« Fête galante », « Bal des pendu ». Ces titres tels que formulés, de manière insidieuse,
convoquent une aire mélodieuse dans l’univers du poème. Cela est attesté par la présence des
morphèmes articulés dans le syntagme des titres qui suggère la notion de mélodie. Aux nombres
de ces mots, l’on peut noter les mots « chant », « musique », « fête » et « chanson ». Si le chant
renvoie à « une émission de sons musicaux par la voie humaine » (P. Robert, 2009, p.394), la
chanson quant à elle évoque « Une pièce des vers que l’on chante sur un air populaire, et qui
est partagé le plus souvent en stances égales dites couplets » (E. Littré, 1963, p.197). Quant au
mot fête, il ramène à un ensemble de réjouissances soutenues par le bonheur et la gaité au cours
desquelles l’on danse au rythme de la musique. En réalité, ces mots par leur présence à
l’ouverture du poème traduisent un contrat festif entre le lecteur et le texte dont il va
s’imprégner. Ce contrat annonce un environnement investi par la présence de mélodies ou de
sonorités qui font appel à la présence de la musique dans l’aire du poème ou dans l’imaginaire
du lecteur, déclenchant ainsi un univers poétique baigné dans la musique qui enchante avant
d’en attester ou non l’effectivité. Parallèlement aux des titres, chaque mot mobilisé dans
l’espace du poème peut s’avérer comme un véritable condensé mélodique.
3-Les mots : un condensé mélodique dans le vers
Les mots comme ressource de la langue sont riches en sonorités qui peuvent servir à
évoquer une multiplicité de sentiments dans le domaine de l’écriture poétique. Les linguistes,
dans leur étude de la langue, révèlent cet aspect du mot à partir de l’analyse des sonorités que
dégage chaque mot à travers l’ensemble des lettres qui le structure à la lumière de la phonétique.
Ainsi, la strophe s’apparente à une portée musicale où les lettres, à travers les sonorités qu’elles
émettent en se répondant les unes les autres dans les mots qui les portent, finissent par provoquer
une harmonie dans l’aire du poème. Cette harmonie imitative, dans une sorte d’analogie à
travers la prégnance des voyelles ou des consonnes, établit des rapports de ressemblance
partielle ou totale entre certaines sonorités pour établir une harmonie poétique que C. Peyroutet
(1994, p.50) définit comme « l’agencement des voyelles et des consonnes [pour] produire des
effets d’harmonie suggestives. Ces effets seraient dus au plaisir articulatoire, d’ordre
physiologique, aux significations des sons, reçus comme des notes de musique et à la rencontre
du son et de la mélodie. ».
De fait, l’harmonie est une caractéristique du langage poétique pour induire la musique
dans la poésie. Cette technique poétique perd ses origines dans l’Antiquité où les aèdes usaient
des instruments de musique comme la lyre pour accompagner les belles paroles qu’ils
proféraient pour enchanter et égayer l’auditoire. A cet effet, dans cette perspective, G. Dessons
(2000, p.33) note que
« Parler de la musique d’un vers, de son harmonie, ou de sa mélodie est chose si courante
qu’on a perdu de vue la nature métaphorique de ce terme. Si bien qu’au lieu d’utiliser le
lexique de l’art musical comme un réservoir de notions subjectives et provisoires, on
finit par croire qu’il y a véritablement « de la musique dans les poèmes, voire dans la
langue elle-même »
Ainsi, l’harmonie poétique peut être un facteur de la musicalité dans la poésie sans que la
mélodie soit effectivement manifeste. Chez Rimbaud, en effet, l’harmonie poétique trouve son
fondement à travers l’adoption les allitérations et les assonances.
3-1 Les allitération et les assonances
L’allitération est une multiplication de phonèmes identiques dans l’espace d’un vers. Ces
phonèmes se rapportent spécifiquement à un ensemble de consonnes identiques. L’allitération
joue un rôle important dans l’édification du vers, car il est l’équivalent d’une phrase musicale
perçu parallèlement à la phrase grammaticale. Dans le cas de notre étude, ce relevé de vers
exhale un ensemble d’allitération qui établit sa présence dans les vers de Rimbaud.
(1) « Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande »
(« A la musique », p.95.
(2) L’homme pâle, le long des pelouses fleuries
(« Rages de Césars », p107)
(3) Les parfums font frissonner sa narine
(« Dormeur du val », p.109.)
Dans le relevé (1), il apparait dans le même vers la présence régulière de la lettre « b »,
tandis que dans le relevé (2) c’est la lette « l » qui se répète. Quant au dernier relevé, l’on
observe une occurrence de la « f ». Ce qu’il faut noter dans ces bouts de vers est la présence
massive des lettres « b », « l » et « f » qui muées en phonèmes /b/, /l/ et /f/ sollicitent l’acuité
auditive du lecteur par la régularité de certaines sonorités suggérées par les phonèmes. Il
s’établit de facto une harmonie imitative qui dénote de la qualité sonore de certaines consonnes
présentes dans les mots mobilisés par le poète instaurant du coup une harmonie sonore dans
l’espace du vers. Cette variété phonique provenant des phonèmes qui sont en réalité des
consonnes engendre une sorte de rythme qui induit la musicalité dans la poésie de Rimbaud.
Qu’en est-il de l’assonance ?
L’assonance est la reprise de sonorité émanant de voyelles identiques. Il faut noter deux
types d’assonance. Nous avons l’assonance en fin de vers quand les voyelles identiques sont
placées à la rime, et l’assonance à l’intérieur d’un vers quand des voyelles identiques se
répartissent sur l’espace d’un vers ou d’une suite de vers dans une strophe ou essaimées sur
l’ensemble du poème. Le relevé ci-dessous expose une suite de voyelles qui dénote de la
présence de l’assonance comme vecteur de la musicalité :
La plupart des rimes dans la poésie classique obéissent à une identité visuelle liée à l’œil et à
une identité sonore liée à l’oreille. Dans le cadre de notre étude, relativement aux relevés pour
illustrer la musicalité dans la poésie rimbaldienne, il apparaît que la rime du point de vue de sa
perception phonique se déploie à travers une régularité sonore fondant l’harmonie dans ces vers.
Dans le premier relevé, nous avons à la rime la constance des sonorités /kãr/ et /vԐrt/. Ces
sonorités sont distribuées selon le schéma classique de la rime embrassée (ABAB). Nous avons
une alternance entre les /kãr/ et /vԐrt/ dans des strophes de quatre vers chacune. Ce qui induit
une réalité sonore qui implique le rythme à partir de la rime. Quant au relevé (2) extrait du
poème « Faim », nous avons à la rime le son /Ԑr/ qui parcourt la fin des différents mots qui
structurent la rime de la première strophe du vers. Cette rime se décline selon le schéma
classique de la rime plate obéissant à disposition AAAA. Cette régularité de la sonorité
2
Peyroutet Claude, 1994, Style et rhétorique, Paris, Nathan.
identique qui irrigue l’ensemble des mots constituant la rime de la strophe avant de changer
dans la strophe inaugure une monotonie fondant le rythme dans ce poème.
Par ailleurs, le rythme chez Rimbaud peut provenir de l’accentuation du vers. La métrique
qui déterminent la quantité de syllabes et la syllabe accentuée ou non accentuée dans un vers
est un vecteur du rythme dans la poésie. Ainsi, la nature du vers dont dépend le nombre de
syllabes peut générer une mesure ample ou restreinte. Chez Rimbaud, la mesure du vers peut
être restreinte :
Ainsi, toujours, vers l’azur noir
Où tremble la mer des topazes,
Fonctionneront dans ton soir
Les Lys, ces clystères d’extases !
(Rimbaud, « Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs I », p.140)
Dans la première strophe du poème « Le dormeur du val », il apparait que les différents vers
comportent chacun 12 syllabes. L’on est en présence d’un vers à 12 pieds dénommé
l’alexandrin. Par ailleurs, la syllabe non accentuée se porte sur la sixième syllabe de chaque
vers situé respectivement à la fin des mots suivants : « verdure », « follement », « soleil »
« val ». La descente de l’intonation au niveau des ces mots sépare les vers en deux parties dont
chacune est dénommée l’hémistiche. La chute de l’intonation à la sixième syllabe de chaque
vers confère une régularité au niveau de l’intonation qui assure le rythme au sein du poème.
Cette constance de l’accent faible porté sur la sixième syllabe confère une monotonie sonore au
texte, incarnant par analogie dans l’expression poétique rimbaldienne la douceur de
l’écoulement de la rivière accompagné d’un bruit berçant produit par les clapotis provenant par
l’écoulement de l’ondée. Ainsi, ici, la musicalité est induite d’abord par l’harmonie du mètre
qui se subdivise en deux parties égales augurant le rythme et, surtout, par le bruit régulier et
berçant de l’écoulement de la rivière qui dénote une atmosphère harmonieuse et paisible dans
laquelle le poète va déployer sa diégèse.
4-Sens de la musicalité dans l’expression poétique rimbaldienne
Régenté par les principes poétiques de Boileau depuis le XVIIe, le XIXe qui se pose comme
celui des bouleversements sociaux, politiques et littéraires engage une refonte de l’écriture
poétique en contrebalançant tous les règles de l’expression poétique. Rimbaud se fait l’un des
pourfendeurs de ces principes surannés en engageant le langage poétique sur des chantiers
nouveaux. L’un des facteurs du renouvèlement de l’expression poétique comme le théorise Paul
Verlaine dans « Art poétique »3 est :
« De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours. »
Ainsi, il proclame la mélodie comme le noyau de la création poétique quand Boileau, lui, fait
de l’alexandrin et de la norme de la clarté l’un des facteurs d’une bonne création poétique.
L’imposition de la musicalité du vers comme fondement de poéticité dans la deuxième moitié
du XIXe siècle engendre une dynamique de rupture avec les principes classiques de Boileau.
Rimbaud s’inscrit dans cette nouvelle perspective pour innover le langage poétique intégrant
une profusion de musicalité dans le vers. Ainsi, l’émanation de la mélodie dans le cadre de la
création poétique s’apparente à un vecteur de l’harmonie. Chez Rimbaud, elle siège dans le
rythme du vers, le sens des mots d’où elle engendre la musicalité. Virtuose du mot, le poète
sonde dans la langue tous les mots susceptibles de lui permettre de traduire toutes ses sensations
avec le maximum d’objectivité. Dans cette optique, la musique devient le premier vecteur de
l’expression poétique rimbaldienne. Bien des fois, la sonorité du mot sert à induire une tonalité
humoristique dans le poème. Ainsi, la réalité évoquée dans le texte poétique n’est plus nommée
par sa dénomination mais par l’impression sonore qu’il provoque dans l’esprit du poète. Dès
lors, la réalité est convoquée à partir du son de certains mots qui peuvent le suggérer à travers
un rapprochement ressemblance dont les sonorités suggérées par les lettres des mots en
deviennent le vecteur.
Dès lors, la mélodie devient un moyen de codification des objets ou des réalités qui
parsèment l’univers réel ou imaginaire du poète. Ce qui fait du timbre du mot un véritable vivier
de signification dans le domaine de la poésie. A cet effet, J. Jaffré (1984, p.11), parlant des mots
et de leur ressource sonore, note que « dans ces modulations de fréquence, d’intensité et de
« tempo », la langue française offre au poète un jeu exceptionnellement riche de moyen
d’expression ». L’une de ces artifices préférés est le calembour qui consiste en un jeu de mots
contenant une similitude de sons mais recouvrant un sens différent. Ainsi les mots par leurs
différentes sonorités sont mobilisés chez notre poète à la fois comme des ressources sonores et
des moyens de codification du sens de ses textes poétiques. Les mots à travers leurs phonèmes
se font sons et sens. Cette pratique permet au poète de générer deux effets dans son langage
poétique. Primo, le son des mots à travers des analogies permet de produire dans sa poésie de
l’humour pour provoquer le rire et la bonne humeur chez le lecteur. Deuxio, la musicalité des
mots bien souvent permet au poète d’aboutir d’une manière douce à la satire de la société en
vue d’en exposer les tares sous l’impulsion sonore des mots qui captent l’esprit par le jeu des
harmonies, afin d’exposer avec plus d’acuité les maux qui minent la société française dans la
3
Cet extrait du poème de Paul Verlaine intitulé « L’Art poétique » est tiré de l’ouvrage de Robert Sabatier,
intitulé La poésie du XIXe siècle, 2-naissance de la poésie moderne paru aux édition Albin Michel en 1977à la
page 219.
deuxième moitié du XIXe siècle sous le couvert de la musicalité émanant de la richesse sonore
des mots.
CONCLUSION
La musicalité dans le langage poétique rimbaldien apparait comme une volonté du
renouvellement d’expression poétique dans une période où la poésie et le vers sont en crise.
Chez lui, la musicalité procède par le rythme, sonorité des phonèmes des mots et l’évocation
de certains termes relevant de l’univers musical. La musique au lieu d’être une simple mélodie
devient un vecteur de la signification permettant au poète de traduire son rapport à l’univers, de
faire la satire de la société de son temps et d’exposer le reflet de sa vie intérieure.
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