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« La vie est une succession de leçons qu’il faut


vivre pour comprendre. Tout est énigme, et
la clef de l’énigme est une autre énigme. Il y a
autant d’oreillers d’illusion que de flocons dans
une tempête de neige. »
R. W. Emerson

Quand il publie La Conduite de la vie, en


1860, Ralph Waldo Emerson est déjà l’un des
intellectuels les plus importants de la jeune
République américaine. Dans deux de ses essais
les plus célèbres, il exprime la tension entre
la volonté et la réalité : comment changer le
monde avec la force des idéaux face à la résistance
des forces naturelles et sociales. Ils auront une
profonde influence chez le jeune Nietzsche.
Comme si les écrits d’Emerson avaient le pouvoir
de mettre en action la pensée philosophique de
tout un chacun, de lui faire découvrir sa propre
manière de ressentir le destin et les illusions, et
de lui faire trouver, pas à pas, une manière de
conduire sa vie.
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Collection dirigée par Lidia Breda

Du même auteur
chez le même éditeur

La Confiance en soi
Société et solitude
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Ralph Waldo Emerson

La destinée
et les illusions
Deux essais tirés de
La Conduite de la vie

Traduction de l’anglais (États-Unis)


par Marie Dugard,
révisée et annotée par Laurent Folliot

Préface de Paolo D’Iorio

Rivages poche
Petite Bibliothèque
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Retrouvez l’ensemble des parutions


des Éditions Payot & Rivages sur

payot-rivages.fr

Couverture : Tempête dans la neige de W. Turner


© Akg Images

© Éditions Payot & Rivages, Paris, 2019


pour la préface, la présente traduction française
et la présente édition

ISBN : 978-2-7436-4726-1
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Préface

Concord, Massachusetts, 8 décembre 1860 : un


des intellectuels les plus représentatifs de la jeune
république américaine, fils de pasteur et orphelin
depuis l’âge de huit ans, pasteur lui-même puis
démissionnaire en désaccord avec l’Église, célèbre
conférencier, chef de file du mouvement trans-
cendantaliste et partisan d’une émancipation
face à la culture européenne, publie La Conduite
de la vie, un recueil composé de neuf parties inti-
tulées : « La destinée », « La puissance », « La
richesse », « La culture », « Le comportement »,
« La vénération », « Remarques en passant »,
« La beauté », et « Les illusions ». Ce livre est
issu d’une série de conférences prononcées sous
différents formats tout au long des années 1850,
au cours de la période très troublée qui va du
Fugitive Slave Act du 18 septembre 1850, sta-
tuant sur le retour des esclaves fugitifs à leurs
propriétaires, à l’éclatement de la guerre civile, le

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12 avril 1861. Convaincu de la gravité de la crise


entre le Nord et le Sud, Ralph Waldo Emer-
son s’est de plus en plus impliqué dans l’action
publique et dans la campagne pour l’abolition de
l’esclavage. Cet engagement traverse les pages du
volume et marque une évolution philosophique
et culturelle par rapport aux conceptions trans-
cendantalistes qu’il avait exprimées en 1836
dans son célèbre écrit intitulé « La nature1 » ou
dans les cycles de conférences des années 1830
et 1840.
De nouvelles idées sont dans l’air qu’Emerson
capture, interprète et exprime dans ses essais :
l’individualisme démocratique, le caractère
concret et déterminé (pragmatique, dira-t‑on
plus tard), l’optimisme de l’époque de la fron-
tière et en même temps les résistances, les limites
politiques, éthiques, voire biologiques qui s’op-
posent à l’épanouissement de l’individu. C’est
le sujet de deux essais que nous présentons ici.
Emerson y évoque la tension entre la destinée et
la puissance individuelle, et nous enseigne à che-
vaucher le dragon du fatum en utilisant sa force
à notre avantage, car nous sommes nous aussi

1. Voir Emerson, « La nature », in La Confiance en


soi, Paris, Rivages, coll. « Petite Bibliothèque », 2018,
p. 17‑97.

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un fragment de la destinée. Dans ces essais, se


manifeste le caractère dominant de toute l’œuvre
d’Emerson : la confiance obstinée en l’homme, la
volonté de former des hommes entiers, de renfor-
cer la puissance et le caractère de l’individu et de
transformer l’expérience en sagesse et la sagesse
en action. Une volonté qui se construit sur un
fond de scepticisme et sur la conscience du carac-
tère illusoire de nos aspirations : « Nous nous
éveillons d’un rêve pour entrer dans un autre. Les
jouets, sans doute, sont variés, et leur degré de
raffinement est fonction de la qualité de la dupe.
Il faut une belle amorce pour l’homme intellec-
tuel ; on amuse aisément les sots. Mais chacun a
sa propre folie pour drogue, et la parade conti-
nue à toute heure, avec musique, bannières et
insignes1. »

Naumbourg, Thuringe, début 1862 : un jeune


homme de dix-sept ans, fils de pasteur, orphelin
de père à l’âge de quatre ans, élève du prestigieux
lycée de Pforta, imbibé de culture classique et
humaniste, destiné à devenir pasteur comme
son père et comme son grand-père, est inquiet.
Dans son Journal, il commence à s’interroger sur
la relation entre l’environnement et l’individu,

1. Voir « Les illusions », infra, p. 95.

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entre le pouvoir de la religion, de la morale, de la


tradition et l’énergie d’un jeune homme qui veut
créer et habiter un monde nouveau. Il trouve par
hasard, probablement conseillé par un camarade
du lycée, un petit livre tout juste traduit en alle-
mand intitulé Die Führung des Lebens, dont le
premier chapitre est consacré à Das Fatum et le
dernier aux Illusionen ; un livre qui n’aura pas de
succès en Allemagne, comme les autres titres de
son auteur : trop optimiste, trop américain, ou
trop semblable à certains textes de Goethe – qui
possède l’original n’a pas besoin de la copie. Mais
notre jeune antiquisant, qui ne découvrira Platon
et Schopenhauer que quelques années plus tard,
lit en un souffle La Conduite de la vie. Cette pre-
mière lecture philosophique nourrit sa réflexion
sur sa relation avec la religion, sur sa place dans
le milieu familial, sur sa vocation : il rédige des
extraits du livre, il prépare un résumé pour ses
amis et puis il se lance lui-même dans l’écriture
de deux courts essais sur Fatum und Geschichte
et Willensfreiheit und Fatum (Fatum et histoire et
Liberté de la volonté et fatum). Ce jeune homme
s’appelle Friedrich Nietzsche et son destin est
de devenir l’un des philosophes les plus impor-
tants de la grande culture européenne de la déca-
dence et d’influencer de diverses manières toute

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la culture du xxe siècle1. À travers Nietzsche, qui


continuera à lire et relire les livres d’Emerson au
cours de sa vie, une partie de la philosophie, des
images littéraires, du tempérament et de la self-
reliance emersoniens se diffuseront dans la philo-
sophie européenne2.
Emerson a écrit La Conduite de la vie pour
prendre position dans une situation difficile,
dans une période historique où la tension entre

1. Voir Friedrich Nietzsche, Werke. Kritische Gesam-


tausgabe, G. Colli et M. Montinari (éd.), Berlin/New York,
1967, notes posthumes 13[6‑8] 1862 ; 15[17, 36] 1863 ;
et 16[23] 1863.
2. Le rapport entre Nietzsche et Emerson a été signalé
notamment par Charles Andler dans les années 1920
(Nietzsche, sa vie et sa pensée, vol. I, p. 228‑247). Martin
Heidegger, en revanche, a sciemment occulté ce rapport
et a même dénoncé aux autorité académiques son col-
lègue Eduard von Baumgarten, trop américanisé et avec
des sympathies sémitiques, qui étudiait les exemplaires
des livres d’Emerson annotés par Nietzsche. De même
aux États-Unis, le nom d’Emerson n’apparaît ni dans
l’ouvrage célèbre d’Arthur Danto en 1965 (Nietzsche as
Philosopher), ni dans celle d’Alexander Nehamas en 1985
(Nietzsche : Life as Literature). L’étude la plus complète à
ce jour sur le rapport entre Nietzsche et Emerson est celle
de Benedetta Zavatta, Individuality and Beyond. Nietzsche
reads Emerson, Oxford, Oxford University Press, 2019, qui
traite également de la « collective amnesia » des deux côtés
de l’Atlantique.

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le vieux et le nouveau monde croissait chaque
jour. De son côté, le jeune homme allemand doit
lui aussi se donner du courage : au sein d’une
société immobile, encadré dans une école d’élite
dont l’organisation rappelle le modèle des aca-
démies de cadets de l’armée prussienne, bien
qu’imprégnée du souffle vivifiant de la culture
classique, il songe à se libérer du christianisme
et à affronter l’inévitable rupture avec sa famille.
Il est en train de lire le théologien rationaliste
Karl von Hase et L’Essence du christianisme de
Feuerbach. Mais c’est Emerson qui parvient,
depuis l’autre rive de l’Atlantique, à lui trans-
mettre l’énergie, le courage et le bonheur dont il
a besoin ; comme sa formation classique, du plus
profond de l’histoire, il lui donne la force intel-
lectuelle, critique et philologique pour accom-
plir sa libération.
La lecture d’Emerson reviendra régulière-
ment dans les moments de changement pro-
fond de sa vie et de sa philosophie, quand
Nietzsche devra trouver le courage pour traver-
ser une nouvelle métamorphose de sa pensée.
Par exemple en 1878, quand il prend congé de
sa phase wagnérienne et de l’idéologie de Bay-
reuth, Emerson l’accompagne dans cette tran-
sition difficile au cours de laquelle Nietzsche

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