Cinéma Italien Schifano
Cinéma Italien Schifano
Cinéma Italien Schifano
LE CINÉMA ITALIEN
DE 1945 À NOS JOURS
Sous la direction de Francis Vanoye
Du même auteur
Luchino Visconti. Les Feux de la passion, Plon-Perrin, 1987 (rééd. en poche, Flam-
marion, coll. « Champs contre champs », 1989). Grand Prix de la biographie de
l’Académie française 1988.
Le Guépard. Luchino Visconti, Nathan, coll. « Synopsis », 1991.
Visconti, une vie exposée, Gallimard, coll. « Folio », 2009 (éd. augmentée).
3. Avatars du mélodrame.......................................................................... 54
3.1. Larmes d’amour et crimes d’honneur..................................... 55
3.2. Des films en costumes au film historique.............................. 57
4. Pulcinella et Colombine ou le retour aux masques................. 59
4.1. Les acteurs ....................................................................................... 60
4.2. La vérité théâtrale.......................................................................... 61
4.3. La commedia dell’arte..................................................................... 61
5. Commedia dell’arte et néoréalisme rose......................................... 62
6. La réalité au service du cinéma : Fellini et Antonioni.............. 66
6.1. Federico Fellini................................................................................ 66
6.2. Michelangelo Antonioni................................................................ 68
6.3. Deux trahisons................................................................................ 69
7. Dynamique du néoréalisme................................................................ 71
3. 1
958‑1968 : Les grandes années
du cinéma italien......................................................................... 75
1. L’Italie du « boom » et ses miroirs................................................. 75
2. Le miracle cinématographique.......................................................... 77
3.Vie et mort des filons............................................................................ 81
3.1. Du péplum au western................................................................. 81
3.2. Des modèles américains ?............................................................ 86
3.3. Mythologie italienne du western............................................... 87
4. De La Grande guerre (1959) à La Grande bouffe (1973) :
le temps de la comédie........................................................................ 91
4.1. Une commedia dell’arte contemporaine................................... 92
4.2. Comédie de l’histoire................................................................... 94
4.3. Comédies du miracle.................................................................... 96
5. Les pôles de la modernité :Visconti, Fellini et Antonioni....... 99
6. Une modernité primitive : Pasolini................................................ 103
7. Les enfants du néoréalisme :
un cinéma critique et politique....................................................... 105
8. Les fils rebelles : un cinéma de subversion................................. 108
9. Les années 1960 : un âge d’or ?....................................................... 114
4. 1969‑2011 : Une odyssée collective.......................... 117
1. Des années de plomb aux années Berlusconi : le contexte...... 117
1.1. Cronaca nera.................................................................................... 117
1.2. Dictature médiatique.................................................................. 119
Sommaire 9
Glossaire.................................................................................................... 167
Bibliographie......................................................................................... 181
Index des figures majeures du cinéma italien........ 185
1. de l’opéra au cinéma
Au xixe siècle, c’est l’opéra qui est l’art italien par excellence ; c’est en lui
que se manifestent au plan culturel les forces démocratiques qui, dans
le reste de l’Europe, s’expriment sous la plume de V. Hugo, de Byron,
Mickiewicz, Pouchkine. Dans un pays morcelé où l’Autriche au Nord, les
Bourbons au Sud exercent censure et répression, la nation italienne et
ses rêves d’unité* territoriale et politique commencent de prendre forme
sur les champs de bataille et sur les scènes lyriques de la Scala à Milan, de
la Fenice à Venise, du San Carlo à Naples. Quoique les livrets de Verdi
soient pour bon nombre empruntés à Shakespeare et que leurs actions se
situent dans la Jérusalem et la Babylone du vie siècle av. J.-C. (Nabucco),
dans l’Espagne du xvie siècle (Ernani, Don Carlos), dans la Gascogne et
l’Aragon du xvie (Le Trouvère), le caractère national-populaire de ses
mélodrames ne laisse aucun doute, ni la puissance subversive et les
ferments de révolte contre le pouvoir des usurpateurs, des envahisseurs
et des mauvais pères que communique aux foules confondues une telle
musique. L’ouverture fameuse de Senso (Visconti, 1954) met en jeu
les larges ondes de résonance qu’imprime dans la mémoire collective
toute œuvre de Verdi. Car, historiquement, Risorgimento* et Résistance
entretiennent des correspondances immédiatement sensibles à tout
spectateur italien.
Au xxe siècle, le cinéma se fait l’héritier de cette vocation culturelle
du mélodrame à exprimer, émouvoir et unifier la conscience civile et
12 Le cinéma italien de 1945 à nos jours
1. Le terme italien de « film » sera employé ici pour différencier l’existence des genres à
durée limitée et celle des genres stables comme la comédie.
14 Le cinéma italien de 1945 à nos jours
La revue et l’avant-spectacle
La revue est une forme de spectacle née en France dans la seconde
moitié du xixe siècle. Elle y connaît son apogée à la Belle Époque. Intro-
duite en Italie sous le nom de « Café chantant », elle triomphe dans
les années 1920 grâce au talent de comiques comme Ettore Petrolini,
fameux pour ses dons d’improvisateur et pour ses interprétations de
rôles de crétin, Isa Bluette, Erminio Macario qui s’imposera également au
cinéma à partir des années 1930, en particulier dans Accusé, levez-vous !
(1939) de Mario Mattoli sur un sujet et des gags concoctés par l’équipe
du Marc’Aurelio. Plus tard, Aldo Fabrizi, Carlo Dapporto et surtout Anna
Magnani et Totò poursuivent la tradition. Après la guerre, ce type de
spectacle tend à la comédie musicale ou se transforme en représen-
tation de sketches satiriques dénués de toute recherche décorative.
Entièrement fondée sur la présence des acteurs, la revue est une succes-
sion de numéros de chant et de danse alternant avec des intermèdes
comiques. Le spectacle suit un fil directeur ténu, généralement inspiré
de l’actualité et des chansons à la mode. Il s’ordonne autour de deux
personnages pivots, le capocomico ou chef de troupe, doté d’une verve
plébéienne et d’une agressivité réaliste, et la « soubrette » qui apporte
un élément de charme et de rêve. Fellini et Lattuada ont construit Les
Feux du music-hall (Luci del varietà, 1950) autour de ces deux person-
nages, interprétés par Peppino De Filippo et par Carla Del Poggio1. On
trouve une évocation de la revue dans plusieurs films, de Café chantant
(1954) de Camillo Mastrocinque à Poussière d’étoiles (1973) d’Alberto
Sordi, mais la structure épisodique de ce spectacle a souvent été trans-
posée telle quelle dans les films comiques (avec Totò notamment) ou
dans des films spectaculaires comme le fameux Carosello napoletano (Le
Carrousel fantastique, 1953 – fig. 1) d’Ettore Giannini.
L’avant-spectacle a pris naissance dans les années 1930. Il s’agissait à
l’origine d’accompagner d’intermèdes comiques et de numéros de
variétés la projection de films, dans des salles de second ou de troi-
sième ordre. Le genre connut une période faste entre 1930 et 1940
puis, les goûts du public évoluant et l’inspiration se tarissant, l’avant-
spectacle disparut. Il a constitué un lieu de formation fondamental pour
les acteurs de revue ensuite passés au cinéma comme Aldo Fabrizi,
Totò, Anna Magnani, mais aussi un lieu inépuisable d’inspiration pour
Fellini qui, dans Fellini Roma en 1971, consacrera une de ses plus belles
séquences au théâtre Baraonda, pendant la guerre.
1. C. Viviani a étudié l’influence de la revue sur Fellini dans « Les sunlights de Fellini et les
feux du music-hall » (Études cinématographiques, n° 127‑130, 1981).
Introduction : Retour vers le futur 15
3. Un cinéma national-populaire
D’une façon générale, la renaissance prodigieuse d’un cinéma réduit
à néant par la défaite est passée par la conquête et l’annexion de
tous les territoires promettant la rencontre avec le public le plus
large, le plus sevré d’images et d’émotions de l’Europe entière. D’où
le mélange caractéristique de versatilité d’un cinéma qui exploite un
filon après l’autre (selon que le public rêve d’aventures, de violence,
d’exotisme, d’érotisme) et aussi de fidélité au genre qui survivra
seul et au prix de multiples transformations : la comédie. Autre fait
notable, la rencontre très visible, jusqu’à la moitié des années 1970,
entre la culture cinématographique et la culture littéraire, qu’il