Histoire Littéraire Du XXe Siècle-2016
Histoire Littéraire Du XXe Siècle-2016
Histoire Littéraire Du XXe Siècle-2016
HISTOIRE LITTÉRAIRE
DU XXe SIÈCLE
Conception graphique : Atelier Didier Thimonier
Mise en page : Belle Page
Avant-propos ................................................................................. 7
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Sommaire
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Sommaire
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Sommaire
Si loin, si proche : le XXe siècle littéraire, avec ses avant-gardes, son goût
du roman, ses grandes mobilisations politiques et ses débats brûlants
est encore notre contemporain, et ses contours commencent à peine à
se figer, à l’heure du « présentisme » (F. Hartog nomme ainsi la ten-
dance contemporaine à tout rapporter au présent le plus immédiat) et
de l’accélération de l’Histoire. Le regard est donc encore myope, et si les
grands moments du siècle dernier, ses temps forts, ses grandes œuvres
semblent aujourd’hui se détacher de plus en plus nettement, il faudra
se garder des affirmations trop définitives.
À la difficile question des seuils du siècle, on évitera ici de répondre
de façon trop tranchée ; les brisures de l’Histoire ne recouvrent pas for-
cément les mouvements de l’histoire littéraire, même si elles s’y articulent
intensément au siècle dernier. De la mort de Mallarmé (1898) au retour
critique de la fiction (vers 1980) ? Cela conduirait à désigner nettement
ce siècle comme celui d’une crise du sujet et de la représentation. Des
élans nouveaux de 1913 à la nouvelle ère ouverte par l’année 2001, qui
marque l’entrée dans un nouvel antagonisme mondial, minant l’optimisme
béat des mondialisations et autres globalisations culturelles ? Ce serait
exclure les premières œuvres vitalistes du siècle ou les récits critiques de
Gide… On s’en tiendra, tout simplement, aux bornes les plus arbitraires,
de 1900 à 2000, pour saisir les formes, les moments, les lieux où se
redéfinit une certaine idée de la littérature.
Si le XXe siècle est bien le siècle de toutes les expérimentations litté-
raires, jusqu’à l’épuisement peut-être, il serait également caricatural de ne
suivre que la crête des avant-gardes. Il faut non seulement rappeler que
le moderne, la rupture, la transgression, la nouveauté sont des valeurs
essentielles du siècle passé, mais aussi que, à chaque moment de l’his-
toire, se superposent des rythmes différents selon les genres et selon les
générations d’écrivains. L’histoire littéraire n’est ni linéaire, ni régulière.
Le tempo de l’histoire du roman n’est pas le même que celui du théâtre
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Avant- propos
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Avant- propos
une bibliothèque feuilletée à tout allure, dont seuls les titres, quelques
citations parfois, une brève amorce de présentation seront donnés. À
chacun de poursuivre ses lectures, et de peupler le paysage ainsi rapi-
dement esquissé.
Littérature critique, inquiète, parfois exploration des limites ou de
l’impossible, la littérature du XXe siècle n’en est pas moins une littérature
extraordinairement vivante et diverse ; la bibliothèque est bigarrée et
bruyante, même si elle ménage des espaces de silence et de recueille-
ment. Les proportions en sont considérables, l’édition de textes nouveaux
étant en constante croissance depuis la fin du XIXe siècle. Nous devrons
nous contenter, dans l’espace disponible, de signaler seulement quelques
aspects de la littérature la plus conventionnelle ou la plus stéréotypée, et
nous nous limiterons à la littérature française, en indiquant brièvement
les influences les plus notables des littératures étrangères.
Une perspective générale :
les grands enjeux
du XX siècle littéraire
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Dire la vie, penser le monde :
objets de la littérature
au XX siècle
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1 Dire la vie, penser le monde : objets de la littérature du XX e siècle
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Dire la vie, penser le monde : objets de la littérature du XX e siècle 1
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2 Le statut précaire de la littérature, entre diffusion de masse et exigence esthétique
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Le statut précaire de la littérature, entre diffusion de masse et exigence esthétique 2
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Le statut précaire de la littérature, entre diffusion de masse et exigence esthétique 2
La visibilité de l’écrivain
Les questions de sociabilité, de médiatisation et de consécration ne sont
pas propres au XXe siècle. Le prestige social et mondain d’un Barrès, d’un
Anatole France, ou même de Gide et bien plus tard de Sartre n’ont rien de
nouveau. Ce qui est nouveau, c’est l’importance de l’exposition de l’écrivain,
sa visibilité potentielle – qui détermine, en retour, le choix du retrait, du
secret, sinon de l’invisibilité (c’est le choix de Blanchot, tout au long de sa
vie d’écrivain, mais aussi celui de Michaux, de Beckett, de Gracq, de Des
Forêts, et de nombreux écrivains importants du siècle – et l’on constate
que le choix de l’invisibilité va de pair avec l’exigence esthétique et éthique
la plus haute). La publicité de l’écrivain déborde largement la posture
de l’intellectuel, héritée de l’affaire Dreyfus, que de nombreux écrivains
endossent, à droite comme à gauche, dans les moments de polarisations
idéologiques les plus forts (débats sur la « Défense de l’Occident » en 1927,
mobilisations antifascistes puis pour la défense de la culture entre 1933 et
1939, guerre froide, guerre d’Algérie, mai 1968, etc.). D’ailleurs, après l’âge
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2 Le statut précaire de la littérature, entre diffusion de masse et exigence esthétique
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3 Penser et écrire avec l’Histoire au temps des catastrophes
Les Grands cimetières sous la lune (1938) de Bernanos, s’élevant contre les
exactions franquistes en Espagne, ou à des essais venant en leur temps,
comme Les Réflexions sur la question juive de Sartre, qui, bien que négli-
geant sans doute la dimension intellectuelle et culturelle de la judéité,
et se contentant d’allusions rapides aux camps de concentration, a le
mérite de réfléchir, en 1946, sur l’antisémitisme. Le Bloc-notes de François
Mauriac (1952-1969), Les Chroniques algériennes (1939-1958, publiées
en 1958) de Camus, Le Captif amoureux (1986) de Genet prennent en
charge, dans une forme qui semble inventée pour son objet, les brûlures
de l’histoire contemporaine.
Ce sont donc les conditions de la prise de parole dans la littérature
qui font débat tout au long du siècle, renvoyant à la hantise, héritée du
siècle précédent, de la littérature pure. Il faut à tout prix dédouaner
la littérature de toute forme de compromission à l’égard d’exigences qui
lui seraient exogènes, ne pas se soumettre aux valeurs du conformisme
bourgeois, de la réaction, du nationalisme – la position de Barrès puis
de Maurras, dans les années 1910-1930, est très marginale, et à peu près
exclue par les écrivains les plus exigeants dans leurs choix esthétiques. Les
exigences esthétiques et éthiques touchant à l’écriture littéraire semblent
alors interdire toute contamination politique de la littérature, et La NRF
de Gide et de Rivière, puis de Jean Paulhan, portera longtemps cette
conviction. L’œuvre doit être autonome, et ne se soumettre à aucune
idéologie préalable, sous peine de n’être qu’un discours déguisé sous
une fiction.
Pourtant, après la Grande Guerre, alors que déferle le flot des écrits
de témoignage, surgit une première fois la question d’une responsabilité
littéraire inscrite dans la forme même. L’ouvrage de Jean Norton Cru,
Témoins, essai d'analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en
français de 1915 à 1928 (1929), au-delà de l’inventaire et de la recension
critique, propose également une réflexion sur les conséquences de la
reconfiguration littéraire à l’égard de la vérité historique. Le choix du
style, le choix de la composition, le recours à la fiction, explique-t-il,
tout cela modifie radicalement la nature du témoignage, qui ne peut plus
prétendre à la véracité, quelle que soit sa sincérité, du fait de l’esthéti-
sation de l’expérience réelle. Ainsi, la première grande mise à l’épreuve
de la force de la parole littéraire face aux horreurs de l’Histoire conduit
à la prise de conscience d’une difficulté fondamentale : l’engagement
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Penser et écrire avec l’Histoire au temps des catastrophes 3
littéraire est pris entre deux feux, les valeurs éthiques et esthétiques
de la littérature pure, d’une part, le risque de déformer le réel dans
l’esthétisation littéraire, d’autre part.
La littérature et le peuple
Le début des années trente voit émerger une autre difficulté : la question
du rapport de la littérature au peuple. On passe ainsi du « Pourquoi
écrivez-vous ? », de la revue dadaïste Littérature en 1919, au « Pour qui
écrivez-vous ? » de Commune, revue « de l’association des écrivains et des
artistes révolutionnaires », en 1933, avec ce commentaire d’Aragon et
de Nizan sur le précédent de 1919 : « La question […] s’imposait alors
comme l’expression même de l’idéalisme et de l’individualisme dans la
littérature, et l’autocritique pessimiste de cet idéalisme et de cet indi-
vidualisme. ». Mais désormais, affirment-ils, l’écrivain est « inscrit dans
les échanges sociaux ».
Devenir-peuple de la littérature, langue du peuple, littérature pour le
peuple, littérature sur le peuple, appel à une littérature prolétarienne
(écrite par le peuple, pour le peuple) ou défense d’une littérature
populiste (écrite sur le peuple, et lisible par tous) : les formulations
sont nombreuses, pour tenter de conjurer un insupportable fossé entre
la littérature la plus exigeante et le public le plus vaste. Certes, le sur-
réalisme, dès le Manifeste de 1924, incarne déjà un tournant éthique
de la littérature, radicalement déportée vers le monde, le réel, et vers
la révolution – il s’agit de changer la vie, et non pas seulement d’écrire ; la
littérature y est un moyen d’accéder à une réalité plus riche. Mais
la révolution surréaliste surtout faite de rêves et de mots reste ignorée
du peuple, y compris après la conversion massive au communisme de
ses protagonistes.
C’est sous l’aspect, consensuel, de la « défense de la culture » que se
rejoignent les militantismes politiques, à l’heure des grandes mobilisa-
tions antifascistes des années trente, et les réflexions sur de nouvelles
pratiques. Aragon et Nizan théorisent le réalisme socialiste (écrire le
réel avec sobriété, pour chanter la révolution communiste en marche),
Malraux médite sur les valeurs de la littérature dans sa préface au Temps
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3 Penser et écrire avec l’Histoire au temps des catastrophes
La responsabilité de l’écrivain
En temps de guerre, la littérature affronte la radicalité de la censure et
les risques de la compromission – certains, tels Brasillach ou Drieu, s’y
perdent sans retour. L’épreuve polémique est décisive : choix du silence,
du retrait, qui vaut refus absolu (ou prudence mesurée, c’est selon),
conversion stylistique et formelle (c’est le cas de Malraux), engagement
physique dans la lutte armée (Jean Prévost, René Char), résistance intellec-
tuelle et littéraire (Aragon, Éluard, Mauriac, etc.). À l’heure de l’épuration,
des jugements du Comité national des écrivains sur ceux qui se sont
compromis, et des règlements de comptes, la question ressurgit forcément :
comment définir la responsabilité de l’écrivain, dans ses écrits, quant aux
questions politiques ou éthiques de son temps ? Si Paulhan lui accorde
la liberté la plus grande – qui n’est pas une irresponsabilité absolue, la
position de Sartre est tout autre. En affirmant que la littérature agit sur
le monde et sur la société, qu’elle ébranle les consciences et modifie les
conduites, Sartre lui donne un immense pouvoir. Il fustige en 1945, dans
la « Présentation » des Temps modernes, la « tentation de l’irresponsabilité »
dont se rendirent coupables les « écrivains bourgeois » et les « tenants
de l’Art pour l’Art », précisant même ceci, qui marqua les esprits : « Je
tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit
la Commune parce qu’ils n’ont pas écrit une ligne pour l’empêcher. »
Cela va de pair avec une exclusion de la poésie, dans Qu’est-ce que la
littérature ? (1948), comme modalité du langage ne permettant pas ce
dévoilement du réel propre à la littérature authentique.
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4 Le siècle des avant- gardes : les vertiges du sujet
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Le siècle des avant- gardes : les vertiges du sujet 4
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4 Le siècle des avant- gardes : les vertiges du sujet
La primauté de l’écriture
La fragmentation, l’inachèvement, le goût de l’éclat et des contradictions
traduisent cette impossibilité de cerner un sujet qui ne cesse d’échapper
– fiction à laquelle on refuse désormais de croire, plutôt. C’est par la
recomposition perpétuelle que certaines œuvres parviennent à fixer les
vertiges du moi, telles celles de Michaux (de Lointain intérieur, 1938, à
Connaissance par les gouffres, 1961), ou de Leiris (de L’Âge d’homme à la
vaste entreprise de La Règle du jeu inaugurée par Biffures, 1948). Dans
le roman, les questions de voix narrative dominent ; comment restituer
les soubresauts de la pensée et des sensations, sinon par une syntaxe
brisée (ce sera le patron du monologue intérieur) ? Comment restituer
les vacillements de l’être, dans ses relations avec autrui, sinon par le
tournoiement des points de vue (Les Faux-monnayeurs, de Gide), ou
l’invention d’une sous-conversation (Sarraute) ? Le collage, le montage,
les techniques inspirées des romans étrangers, en particulier russes et
américains, ou venues du cinéma, brisent les linéarités narratives pour
mieux contester la douteuse superposition de la chronologie du récit et
de sa logique propre, et pour exhiber la juxtaposition incohérente des
événements qui heurtent continûment une conscience (Malraux, Sartre).
La question de l’intime devient centrale, dès lors qu’elle est devenue
aussi urgente qu’impossible. L’intime renvoie à un imaginaire postro-
mantique, comme l’a montré A. Girard, et répond à la découverte de
l’individu : « Après avoir renversé toutes les valeurs établies, les ordres,
les classes sociales, Dieu, les règles de l’art, après avoir institutionnalisé le
changement, il ne restait plus qu’un seul absolu, le plus fragile de tous,
le moi, ou qu’un seul refuge, l’intimité triomphante ou modeste. » Après
Michaux, après Leiris, l’intime n’est plus ni un absolu, ni un refuge : il
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Le siècle des avant- gardes : les vertiges du sujet 4
Le XXe siècle est sans doute, plus encore que le XIXe siècle, celui du
triomphe sans partage du genre romanesque. Mais c’est aussi le siècle
de toutes les interrogations sur le genre, sur son statut, ses enjeux, son
rôle, sa puissance. Protéiforme, comme au XIXe siècle, il reste un lieu de
cristallisation incontournable des enjeux culturels et politiques du temps ;
essentiellement lié à la démocratie, il dit la crise de l’individu moderne,
il révèle toutes les ressources de l’imaginaire, il pointe les défaillances
de la vie collective. Genre de tous les savoirs, il diffracte les hésitations
et les désillusions d’une société en perte de repères ; genre éminemment
malléable, il permet toutes les expérimentations langagières, tous les jeux
de (dé)-composition du récit. Fiction immersive (où se joue avant tout
un investissement imaginaire et affectif du lecteur, véritablement pris
par le récit qu’il lit) ou gageure esthétique, chambre d’échos intime ou
roman-monde, série d’instantanés fulgurants ou puissant élan continu,
le roman ne cesse de se redéfinir tout au long du siècle.
Le XXe siècle va donc s’ouvrir sous le signe de la « crise du roman »
(M. Raimond), qui va durer jusque dans les années vingt, alors que font
défaut tant la confiance dans le développement économique et dans la
prospérité sociale qui accompagne et soutient l’œuvre de Balzac, que la
ferveur scientifique qui justifie celle de Zola. Le roman est devenu une
véritable industrie, et l’abondance des parutions rend de plus en plus
difficile non seulement d’identifier les œuvres majeures, pour la critique
contemporaine, mais aussi de classer cette production, qui semble pour
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La crise du roman, de l’avant- guerre aux années 1920 5
Un renouveau en 1913
C’est autour de 1913 que se dessinent de nouvelles ambitions pour le genre,
tout à fait déterminantes pour la suite : à la recherche des rénovations
possibles d’un genre qui apparaît dans l’impasse, et qui aboutit à diverses
propositions sur le « roman d’aventure », répond la publication du début
de La Recherche du temps perdu, de Proust, avec Du côté de chez Swann, du
Grand Meaulnes d’Alain-Fournier, de A.O. Barnabooth, son journal intime,
de Larbaud, et de Jean Barois, de Roger Martin du Gard. Pour Jacques
Copeau, « dans l’aptitude à raconter de longue haleine des aventures »
réside « la disposition romanesque par excellence » (La NRF, 1912). Jacques
Rivière précise : il faut rompre tant avec le symbolisme qu’avec le roman
psychologique, et faire « le récit d’événements qui ne sont pas contenus
les uns dans les autres », sous la forme exclusive d’actes et de paroles (La
NRF, 1913). Ampleur, énergie de la vie même, saisie du réel dans son
accomplissement : le nouveau roman devra rompre avec les artifices et
les conventions du roman d’analyse, se défier des grossissements épiques
comme des complaisances fabuleuses, pour « reconnaître que l’aventure
est partout, et qu’il suffit de regarder avec certains yeux la vie humaine
pour la voir s’installer, s’éployer, éclatante d’imprévu, dans le royaume de
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Expérimentations narratives
Au cours des années 1920, les débats sur le roman s’intensifient dans
les grandes revues littéraires. On affirme la supériorité du roman étran-
ger, celui de Dostoïevski, de Tolstoï, de George Eliot, pour le passé, de
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La crise du roman, de l’avant- guerre aux années 1920 5
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6 Les années 1930 : un âge d’or du roman
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Romans de l’existence
L’heure est donc à l’impératif moral, à l’engagement, à la réflexion sur le
sens de l’Histoire, sur la capacité des individus et du peuple à changer
le monde. Les romanciers tentent de dégager une morale de l’action,
et proposent également de nouvelles manières d’écrire la vie vécue, col-
lectivement, dans l’angoisse de l’Histoire. Un tragique de l’absurde com-
mence ainsi à s’inscrire dans le roman de la fin des années trente. Avec
La Nausée (1938), Sartre renoue avec les expérimentations formelles des
années vingt, tout en contestant radicalement leurs ambitions initiales :
dire la vie comme aventure. Un journal intime fictif livre la genèse d’une
œuvre toujours à venir, ce qui était déjà au principe des récits de Proust
et de Gide. Mais alors que le protagoniste, Roquentin, découvre l’évi-
dence trompeuse du sens que prend une vie dès lors qu’on la raconte,
il éprouve progressivement l’absence de sens de sa propre existence : sa
vie, et le monde entier avec elle, rien n’a de nécessité. « Tout est gratuit,
ce jardin, cette ville et moi-même. Quand il arrive qu’on s’en rende
compte, ça vous tourne le cœur et tout se met à flotter. » L’aventure est
ici intérieure, et, plus exactement, existentielle ; ce qui fait événement,
ce qui arrive à Roquentin, c’est une prise de conscience saccadée de sa
propre contingence, qui suscite la nausée. Il finira par renoncer à l’écri-
ture de son livre, et par quitter Bouville, cette petite ville de province à
la viscosité malsaine – renversement de la promesse proustienne d’une
œuvre à venir, négation de l’ouverture infinie des possibles à la fin des
Faux Monnayeurs (qui s’achevait ainsi : « Je suis bien curieux de connaître
Caloub »), sinon deuil du romanesque ?
Avec Sartre, le roman ne s’interroge plus sur le sens de la vie, mais
sur le fait de l’existence. La découverte du héros engage seulement son
rapport au monde, mais aussi éventuellement celui du lecteur. Il n’y a
pas de secret du monde à déchiffrer – c’est la fin du projet du roman
réaliste – mais seulement l’absurdité de l’existence à mesurer – c’est
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Les années 1930 : un âge d’or du roman 6
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7 La poésie dans tous ses états (1900-1940)
1905 et 1910. Le vers y est conçu comme pulsation de vie, le verset est
la manifestation profondément émotive d’un souffle affranchi de toutes les
rigidités métriques – soumis seulement à la puissance du sacré. Péguy,
Jammes, Claudel, ces « trois grands lyriques » (Mauriac) font ainsi de
l’écriture poétique une recherche du rythme et du souffle, visant l’uni-
versel, mais dans ses incarnations les plus vives, tout contre le réel.
« Les mots que j’emploie, Ce sont les mots de tous les jours, et ce ne
sont point les mêmes ! Vous ne trouverez point de rimes dans mes vers
ni aucun sortilège. Ce sont vos phrases mêmes. » écrit ainsi Claudel en
1911 (« La Muse qui est la Grâce », Cinq grandes Odes).
L’esprit nouveau
Débordement, ivresse, recherche d’un nouveau rythme, de nouvelles
figures : tout cela caractérise aussi les œuvres de Victor Segalen – explora-
teur de l’ailleurs, assez proche en cela du consul Claudel – dans ses Odes
de 1922. Alors que les Stèles (1912) et les Peintures (1916) éprouvent
les limites d’une forme et la tentation d’un figement, tout contre le
silence, les Odes renouent avec le débordement du chant, s’ouvrant à
la totalité du monde en un lyrisme cosmique dépourvu d’affectation.
La sacralisation paradoxale d’une poésie retrempée dans le monde entier,
concret et prosaïque : tel est aussi le projet de Larbaud dans Les Poésies
de A.O. Barnabooth (1913, encore, pour les derniers textes), et celui de
Cendrars dans La Prose du transsibérien. L’aventure, la vitesse, et leurs
envers, l’errance et l’éclatement sont au cœur de « l’esprit nouveau »
incarné par ce dernier, et, mieux encore, par Apollinaire, qui prononce
la conférence « L’Esprit nouveau et les poètes » en novembre 1917. La
poésie y est requise par la modernité, dans toutes ses manifestations
concrètes ; la « liberté encyclopédique » du poète doit révéler la vérité
moderne et s’accorder au présent, à ses opacités et à ses fulgurances.
Cela peut conduire à une forme de réduction du poétique au plus
insignifiant, au plus banal – mais l’ombre du poète, ce « piéton boiteux
du siècle nouveau » (Jean-Michel Maulpoix), peut malgré tout révéler et
restaurer la beauté du monde : « Le matin par trois fois la sirène y gémit/
Une cloche rageuse y aboie vers midi/Les inscriptions des enseignes et des
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La poésie dans tous ses états (1900-1940) 7
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7 La poésie dans tous ses états (1900-1940)
Le surréalisme
On retrouve cette primauté décisive du geste même de l’écriture sur
toute forme d’intentionnalité dans le surréalisme, nouvelle avant-garde
surgissant avec fracas au beau milieu des années vingt, moins éloignée
qu’il n’y paraît d’abord des réflexions de Valéry et des débats sur la
« poésie pure » définie comme repli vers l’intériorité et recueillement
désintéressé du poète. Le surréalisme, c’est « un automatisme psychique
pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par
écrit, soit de tout autre manière, le fonctionnement réel de la pensée.
Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison,
en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale » (André Bre-
ton, Manifeste du surréalisme, 1924). Le constat initial est cependant le
même, sans doute, celui d’une « crise de l’esprit », au lendemain de la
guerre, auquel répond d’abord l’aventure dada (1915-1921), puis cette
proposition radicale : changer la vie, transformer le monde, en faisant
de la littérature une manière d’être. Dans sa « période héroïque » (Mau-
rice Nadeau), le surréalisme propose ainsi une véritable méthode, para-
doxale dans ses attendus mêmes. Ce programme-limite ne trouve guère
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La poésie dans tous ses états (1900-1940) 7
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7 La poésie dans tous ses états (1900-1940)
Comme pour le roman, sans doute, le tournant qui ouvre le XXe siècle
du théâtre, se situe en 1913, et comme pour le roman encore, La NRF
joue un rôle déterminant. Jacques Copeau publie en effet son « Essai
de rénovation dramatique » dans la revue de septembre 1913, et fait
placarder sur les murs de Paris un vibrant appel au « Public nouveau »,
à la veille de la création du Vieux Colombier, s’ouvrant sur ces mots :
« Si vous aimez le théâtre, Si vous avez conscience que l’art du théâtre
puisse être en dignité, en beauté, l’égal des autres arts, Si vous avez
honte et dégoût de le voir de jour en jour s’avilir dans l’insignifiance,
la bassesse, le cabotinage et la spéculation… » Et le manifeste de La
NRF se conclut ainsi : « Nous ne sentons pas le besoin d’une révolution.
Nous avons, pour cela, les yeux fixés sur de trop grands modèles. Nous
ne croyons pas à l’efficacité des formules esthétiques qui naissent et
meurent, chaque mois, dans les petits cénacles, et dont l’intrépidité est
faite surtout d'ignorance. Nous ne savons pas ce que sera le théâtre de
demain. Nous n’annonçons rien. Mais nous nous vouons à réagir contre
toutes les lâchetés du théâtre contemporain. En fondant le Théâtre du
Vieux-Colombier, nous préparons un lieu d’asile au talent futur. »
Où en est donc le théâtre, à l’orée du siècle, pour susciter ainsi un tel
besoin de mise au point ? Il faut d’abord préciser que, depuis le milieu du
XIXe siècle, les tentatives de rénovation du théâtre se succèdent – drame
romantique, puis propositions naturalistes et symbolistes – pour contrer
un verrouillage institutionnel et esthétique qui empêche tout renouveau
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8 Tentatives de rénover la scène dramatique (1900-1940)
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Tentatives de rénover la scène dramatique (1900-1940) 8
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8 Tentatives de rénover la scène dramatique (1900-1940)
Le théâtre de Claudel
De fait, pour P. Pavis, le théâtre français reste finalement peu novateur
et profondément « logocentrique », assez peu influencé par le théâtre
étranger contemporain, paradoxalement très présent sur les grandes scènes
(Ibsen, Pirandello, Strindberg). Il demeure un théâtre très littéraire, carac-
térisé par la primauté du texte, qui est d’une certaine façon donné à lire et
à voir sur une scène toujours conçue comme le lieu d’une re-présentation
(d’une exposition) des discours. Une exception, peut-être, avec l’œuvre
de Claudel, qui semble se jouer des contraintes dramaturgiques, grâce à
la puissance de sa langue poétique et à la ferveur proprement pathétique
qui porte ses personnages.
L’éternelle histoire d’une femme prise entre les hommes est l’occasion
de déployer une ample parole lyrique, dans Partage de midi (1906),
tout comme les forces cosmiques et la rédemption (L’Annonce faite à
Marie, 1912) ou les apories d’une spiritualité heurtée à l’Histoire, dans
la trilogie composée de L’Otage (1911), du Pain dur (1918) et du Père
humilié (1920), qui défait le destin antique pour proposer une véritable
tragédie moderne. Avec Le Soulier de satin (1929), Claudel touche au
drame total, à la fois mystique et bouffon, où se dévoile la conception
d’une souffrance qui régénère l’homme, ainsi ramené à sa finalité ori-
ginelle – du drame d’amour au drame mystique. Le théâtre y devient
un mystère où une assemblée se laisse entraîner et convaincre, même
s’il faudra attendre 1943 pour voir cette « action espagnole en quatre
Journées », d’une longueur et d’une complexité inédites, enfin montée.
Le rêve d’un rituel populaire, à la fois désacralisé et magique, éclate
dans son Prologue : « Les acteurs de chaque scène apparaîtront avant que
ceux de la scène précédente aient fini de parler et se livreront aussitôt
entre eux à leur petit travail préparatoire. Les indications de scène, quand
on y pensera et que cela ne gênera pas le mouvement, seront ou bien
affichées ou lues par le régisseur ou les acteurs eux-mêmes qui tireront
de leur poche ou se passeront de l'un à l'autre les papiers nécessaires.
[…] Je suppose que ma pièce soit jouée par exemple un jour de Mardi
gras à quatre heures de l'après-midi. Je rêve une grande salle chauffée
par un spectacle précédent, que le public envahit et que remplissent
les conversations. » À l’audace folle d’un texte baroque, répond ainsi la
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Tentatives de rénover la scène dramatique (1900-1940) 8
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9 Interventions : essais et autres formes non fictionnelles (1900-1940)
Valéry, où se polissent d’un même élan une langue et une pensée : L’Âme
et la danse (1921), Variétés (1924-1944), les Cahiers… L’essai permet alors
l’absorption du lyrisme dans une prose savante ; Valéry a l’ambition de
donner chair à la réflexion. Le grand critique de La NRF, Thibaudet,
publie également des essais à portée historique et politique (La République
des professeurs, 1927) et des essais sur la littérature (Le Liseur de romans,
1925, Réflexions sur la littérature, 1938). Drieu la Rochelle propose une
forme originale, associant ce que l’on nommera bien plus tard l’autofic-
tion et des réflexions géopolitiques en un même élan lyrique (Le Jeune
Européen, 1927), s’intéressant également à la démographie, aux grandes
oppositions idéologiques, à la littérature. La diversité d’objets y est tout
à fait représentative non pas tant d’un dilettantisme de l’essayiste, que
d’une foi affichée dans la capacité de l’écriture à dire (et à changer) le
monde (Genève ou Moscou, 1928).
Il ne faut pas négliger la force d’intervention de l’essai, qui traduit la
nouvelle définition de l’écrivain comme intellectuel, comme en témoigne
exemplairement Notre Jeunesse, de Péguy (1910), qui, en toute conscience
de l’insaisissable réalité, cherche vaille que vaille à refonder l’unité d’une
France déchirée dans l’espace du texte. Cela va de l’enquête à forte colo-
ration idéologique (Les Jeunes gens d’aujourd’hui, 1913, signé Agathon) à
la dénonciation d’une Trahison des clercs soumis à la logique politique
et opportuniste de leur temps (Benda, 1927), en passant par les textes
vibrants appelant à l’arrêt des hostilités de Roman Rolland (Au-dessus
de la mêlée, 1915) ou, dans un camp opposé, La Défense de l’Occident
de Massis (1927). Citons encore, de Bernanos, un virulent essai de cri-
tique culturelle (La Grande Peur des bien-pensants, 1931) et le déchirant
pamphlet antifranquiste, Les grands cimetières sous la lune (1938), ou les
importantes réflexions sur la définition de l’intellectuel et son rapport au
peuple et à la culture, proposées par Guéhenno (Caliban parle, 1928),
Berl (Mort de la pensée bourgeoise, 1929) ou Nizan (Les Chiens de garde,
1932). Genre profondément ancré dans son temps, l’essai est rythmé
par les enjeux contemporains, ce qui constitue l’envers de sa désinvol-
ture apparente. Il propose ainsi une réponse spécifiquement littéraire à
ces temps d’« inquiétude et de reconstruction », pour reprendre le titre
d’un essai de B. Crémieux (1931), qui définit sa méthode par l’inven-
taire et la passion. Le diagnostic, ou la méditation, propose de son côté
M. Angenot dans son ouvrage sur La Parole pamphlétaire ; « être une
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Interventions : essais et autres formes non fictionnelles (1900-1940) 9
voix parmi leurs voix », celles des ouvriers, celles des exclus, celles des
sans-voix, revendique Nizan (Les Chiens de garde) ; et c’est cette voix
non autorisée, ou autorisée par la seule littérature qui porte l’essai de
la première moitié du siècle.
Écritures de soi
L’inventaire et la passion : c’est également selon cette double modalité que
l’on peut évoquer un autre type d’écrit non fictionnel, le récit de voyage,
qui trouve au début du XXe siècle de nouvelles formulations, alors que
s’épuise la veine exotique illustrée par P. Loti (Suprêmes visions d’Orient,
1921), et problématisé par Segalen (Essai sur l’exotisme, 1904-1919). Il se
décline en méditations poétiques sur l’altérité (Segalen, Claudel, Michaux),
en jubilation du cosmopolitisme (Cendrars, Larbaud), en rêveries ou
en hallucinations qui renvoient le voyageur à ses propres obsessions
(Michaux, encore, Leiris dans L’Afrique fantôme, 1934), ou encore en
découverte scandalisée des spoliations coloniales (Gide, Céline) et de la
violence politique des régimes étrangers (Gide, Voyage au Congo, 1927,
Retour de l’URSS, 1936, Andrée Viollis, Indochine SOS, 1935). Le récit
de voyage est propice à toutes les expérimentations esthétiques, et est
toujours une mise à l’épreuve de l’identité de celui qui le fait. Il est aussi
discours fragmenté et précaire sur le monde, sur l’universalité – ou non –
des valeurs, sur l’éblouissement de la découverte. « C’est ainsi que la
possession visuelle des lointains étrangers se nourrit de joie substantielle.
C’est la vue sur la terre promise, mais conquise par soi, et que nul dieu
ne pourra escamoter : – un moment humain » écrit ainsi Segalen dans
Équipée (1929), qui relate un voyage effectué en Chine entre 1913 et
1914. Les années trente voient enfin l’assomption d’un nouveau modèle,
celui de l’écrivain-reporter décrit par M. Boucharenc (Mac Orlan, Kessel,
Hamp, Viollis, Béraud…).
Les écrits personnels, enfin, du récit d’enfance aux autobiographies,
carnets et journaux d’écrivains, commencent à émerger, dans un contexte
globalement peu favorable – la toute-puissante NRF rejette le biographique
sous toutes ses formes, et l’entreprise gidienne de 1920, Si le grain ne
meurt, apparaît relativement isolée. Les récits d’enfance et de jeunesse sont
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9 Interventions : essais et autres formes non fictionnelles (1900-1940)
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10 De l’absurde au Nouveau Roman : les récits de l’après- guerre (1940-1970)
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De l’absurde au Nouveau Roman : les récits de l’après- guerre (1940-1970) 10
femmes. L’aspect érotique est fort peu présent, il ne s’agit pas d’un
roman délibérément subversif ; ce qui compte pour l’auteure est l’analyse
philosophique de la relation à autrui dans le cadre non seulement du
trio, mais aussi de ses ramifications amoureuses, amicales et familiales.
Achevé en 1940, publié en 1942, L’Étranger de Camus est une nouvelle
formulation de la sensibilité moderne, sous le signe de « l’absurde ».
Roman pour temps de désarroi, fondé sur le décalage et la dissonance,
il met en scène une figure opaque, Meursault, qui suscite chez le lecteur
un fort sentiment d’étrangeté avant même le récit central d’un meurtre
commis « à cause du soleil ». Cela tient avant tout au choix d’une « écri-
ture blanche » (Barthes) pour dire le divorce proprement absurde entre
le désir de clarté et de sens d’un individu moyen, et le monde obscur
où il évolue. La condition humaine est celle du condamné à mort, dont
toutes les actions sont vaines. Le roman exprime cette idée dans sa forme
même : une langue élémentaire, qui dérobe toute forme d’explication,
tout horizon métaphysique ; un récit à la première personne, mais qui
se prive de toute confidence, exposant une série de conduites sans le
moindre éclairage psychologique, seulement caractérisées par une indif-
férence marquée à l’égard de toute convention sociale ou morale (ne pas
pleurer à l’enterrement de sa mère devient ainsi le motif essentiel de la
condamnation à mort).
Le récit en crise
À l’indifférence de Camus semble répondre la neutralité de Blanchot,
dont l’écriture se concentre sur quelques événements à la fois minus-
cules et scandaleux, pour traduire leur retentissement dans la sensibilité
des protagonistes. Cette fascination du singulier relève-t-elle encore du
roman ? Blanchot lui-même récuse le terme, dès les années quarante :
Thomas l’obscur entrelace des fragments de vie intérieure, sans intrigue,
et met l’accent sur la transfiguration dans le langage d’une vie diverse,
parcourue d’infimes soubresauts – mais qui n’est plus guère l’objet décisif
de « l’espace littéraire », défini à partir de son « impossible nomination ».
Tout récit est désormais un défi : comment écrire après Auschwitz ? « Un
récit ? Non, pas de récit, plus jamais », écrit Blanchot dans La Folie du
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10 De l’absurde au Nouveau Roman : les récits de l’après- guerre (1940-1970)
Le Nouveau Roman
Est-il possible d’aller plus avant dans la contestation du romanesque,
et dans la décomposition du récit ? Les écrivains qu’on regroupe
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De l’absurde au Nouveau Roman : les récits de l’après- guerre (1940-1970) 10
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10 De l’absurde au Nouveau Roman : les récits de l’après- guerre (1940-1970)
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10 De l’absurde au Nouveau Roman : les récits de l’après- guerre (1940-1970)
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11 La littérature de la guerre et des camps
guerre (La Peau sur les os, d’Hyvernaud, 1949), connaissent un relatif
succès, dans la mesure où ils sont conformes à une certaine attente
sociale, malgré la brutalité crue de l’évocation des misères physiques et
des humiliations.
Mais la publication en 1947 de L’Espèce humaine, par Robert Antelme,
des Jours de notre mort, par David Rousset, premier grand texte sur
l’aliénation absolue dans les camps de la mort, ne suscitent guère l’in-
térêt. Il faudra attendre les années soixante-dix pour que ces textes,
suivis de beaucoup d’autres, puissent être véritablement reçus. Formelle-
ment, ce sont des textes très problématiques – il s’agit non seulement de
savoir comment écrire après Auschwitz, et si c’est possible, mais d’écrire
Auschwitz, hors de tout ordre intelligible, en défaisant la logique propre
du récit, en diluant toute idée même d’un sujet humain. L’indicible et
le contraire même de la littérature ; le régime d’écriture et de lecture de
ces récits est radicalement inédit. Les titres mêmes des récits exposent
leur impossibilité : Les Jours de notre mort, Aucun de nous ne reviendra
(Charlotte Delbo, 1965), Si c’est un homme (Primo Levi, 1947)… Écriture
des lambeaux, du silence et du recueillement, tendue vers l’impensable :
en elle s’incarne la forme tragiquement advenue de la modernité absolue,
qui défait le langage et annihile le sujet. Pour Cayrol, l’écriture issue des
camps peut fonder une nouvelle forme de littérature, dite « lazaréenne »
– sous le signe de la résurrection et de la souffrance, donc. Puisque « la
défiguration humaine a été portée à son comble », la littérature a pour
tâche de se porter tout contre la féérie noire des camps, la part fugace
de rêve et de menace qu’ils laissaient subsister, autour de la mort. Ce
n’était pas le choix de Rousset, qui explique rationnellement l’organisation
des camps, ni même celui d’Antelme, qui creuse la négation de l’humain
dans un univers à la rigidité terrifiante. Cayrol, lui, met l’accent sur la
résistance d’une forme de parole poétique, croisant des voix anonymes,
rassemblant patiemment des traces ténues contre l’absence, dans ses
poèmes comme dans sa trilogie Je vivrai l’amour des autres (1947-1950).
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La littérature de la guerre et des camps 11
Du témoignage à la mémoire
L’œuvre d’Élie Wiesel, celles de Charlotte Delbo, de Primo Levi, et de
Semprun posent une autre question encore, redoutable : celle de la dette
du survivant. Devoir de mémoire, et devoir de silence, le récit restitue
à la fois la brutalité d’une horreur indescriptible, et la conscience vive
de la souffrance, de la mort d’autrui.
La méditation sur l’identité juive, et sur le destin singulier du peuple
juif, imprègne largement les œuvres romanesques de Cohen, depuis ses
premiers écrits (Solal, 1930, Mangeclous, 1938). L’épreuve de la guerre,
qu’il traverse sans cesser de défendre la cause sioniste, la découverte de
la Shoah, le conduisent à moduler l’imagerie orientaliste de ses écrits,
pour redéfinir les « fictions de la judéité » (M. Decout), avec Belle du
Seigneur (1968), magistral roman-monde, où l’entrecroisement des motifs
romanesques (une ébouriffante histoire d’amour entre Sola et Ariane)
recouvre une profonde réflexion sur l’être-juif, sur l’altérité, et sur la pos-
sibilité d’un vivre-ensemble, prenant ainsi le risque d’une universalisation
de l’expérience juive. Gary, qui commence à écrire plus tardivement, ne
tire pas les mêmes conclusions des atrocités de l’Histoire. Résistant, il
publie d’abord Éducation européenne (1945), fiction très romanesque sur
la Résistance polonaise, avec la bataille de Stalingrad en arrière-fond,
mais, dès les romans suivants (Tulipe, 1946, Le Grand Vestiaire, 1949, et
surtout La Danse de Gengis Cohn, 1967), la figure du Juif déporté devient
essentielle, comme incarnation fantomatique de la mauvaise conscience
de l’Occident, ou de la défaite des humanismes. Cela va de pair avec
une démolition jubilatoire des attendus du roman académique – tant
du côté de l’existentialisme sartrien que du Nouveau Roman, d’ailleurs
(Pour Sganarelle, 1965) ; l’engagement littéraire, fût-il dans la forme, n’est
qu’une vaine promesse ; l’art est ailleurs. La hantise de la dignité humaine,
la mémoire vive de la Résistance et de la Shoah, un pessimisme absolu
transfiguré en dérision magnifique caractérisent cette œuvre inclassable,
jusqu’à l’ultime pirouette du clown, avec l’affaire Émile Ajar (La Vie
devant soi, 1975).
En 1968, la même année que Belle du Seigneur, Patrick Modiano publie
La Place de l’Étoile, fable provocatrice sur les réalités refoulées de l’Oc-
cupation, mêlant pastiches enlevés (de Céline à Rebatet) et notations
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11 La littérature de la guerre et des camps
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12 D’autres voies du récit : jeux avec le romanesque (1950-2000)
Récits poétiques
D’autres formes de renouvellement du genre que les expérimentations
formelles du Nouveau Roman sont à signaler. Paradoxalement, d’abord,
c’est à travers l’imaginaire surréaliste que se trempent certaines des grandes
vocations de la seconde moitié du siècle. Par-delà sa détestation du roman,
le surréalisme aura, comme vision du monde et comme rapport singulier
à l’écriture, infusé le genre, jusqu’à le redéfinir ou le déplacer. Le cas de
Gracq est significatif. Entré en littérature avec un roman étrange et passé
à peu près inaperçu, Au Château d’Argol (1938), il publie ensuite Le Rivage
des Syrtes (1951), Un Balcon en forêt (1958), romans poétiques à l’intrigue
floue, dominés par l’attente, où se rend sensible une fascination pour le
paysage, univers de signes indéchiffrés, et pour la dimension charnelle de
la langue (la sonorité des mots, le rythme de la phrase, le chatoiement
des images…). Dans ses récits postérieurs, l’intrigue, les personnages et
la tension narrative même disparaissent progressivement. Il ne s’agit plus
de faire exprimer par un roman la poésie d’un lieu ; le roman s’exténue
en récit poétique, dans une prose attachée aux sinuosités du monde et
à la diversité de la géographie : Les Eaux étroites (1976), La Forme d’une
ville (1985). Dès 1950, Gracq avait affirmé son choix de « l’engagement
irrévocable de la pensée dans la forme » (La Littérature à l’estomac), cette
forme se dépouillera progressivement de tout romanesque, confinant à
l’essai poétique.
Autres jeux poétiques, sur un registre plus fantaisiste : ceux de l’in-
classable Vian, qui publie L’Écume des jours (1947), satire loufoque et
mélancolique des beaux jours de l’existentialisme, et ceux de Queneau,
qui poursuit une œuvre à la fois fantasque et rigoureuse. Il compose ses
romans selon des principes préétablis, et multiplie à plaisir les notations
réflexives sur la fiction, le personnage, le suspense, sans recourir néces-
sairement à des intrusions d’auteur, mais en les attribuant aux figures
faussement naïves et à peine consistantes qui défilent dans ses romans.
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D’autres voies du récit : jeux avec le romanesque (1950-2000) 12
Le jeu avec le romanesque est donc constant ; le récit, comme ses per-
sonnages, ne cesse de frôler l’aventure (Le Chiendent, 1933, burlesque
transposition du Discours de la méthode, Pierrot mon ami, 1942, avec ses
énigmes policières improbables), de se perdre dans des complications
invraisemblables, mais sans jamais se départir de sa légèreté et de son
humour savant. Féru d’érudition bizarre et de mathématiques, ce membre
du collège de ‘Pataphysique participe à la fondation de l’OuLiPo en
1960 avec François Le Lionnais, et expérimente un « néo-français » dans
Zazie dans le métro (1959), pour ressourcer la langue française dans le
langage parlé, écriture phonétique comprise (on se souvient du célèbre
« Doukipudonktan » qui ouvre le roman). Les Fleurs bleues (1965) pro-
posent un retour au romanesque, croisant le rêve du duc d’Auge, en
1264, et les songeries de Cidrolin, du fond de sa péniche, pour proposer
une réflexion sur l’Histoire, sa téléologie, et les effets de toute mise en
ordre arbitraire du monde par le langage. L’OuLiPo théorise un mode
d’engendrement des textes parfaitement désacralisé : jeux combinatoires,
déplacements, substitutions, collages, pastiches. Des œuvres importantes
sont écrites à partir de contraintes oulipiennes : citons en particulier le(s)
très jubilatoire(s) « romans » La Vie mode d’emploi (1978) de Perec, ou
La Belle Hortense, de Jacques Roubaud (1985). Jacques Jouet, Hervé Le
Tellier, Anne Garréta publient régulièrement des textes oulipiens, codi-
fiés et savants dans leur élaboration, mais aussi d’une grande fantaisie.
Fresques ironiques
D’autres parcours individuels semblent irréductibles à toute forme de
définition. C’est le cas de ceux d’Aragon ou de Giono, grands romanciers
de l’entre-deux-guerres, qui semblent débuter une autre carrière à l’orée
des années cinquante. Invention narrative débridée, collage, effets de cita-
tion et de juxtaposition, la fiction aragonienne explore tous les possibles,
après les plus académiques Communistes. Même La Semaine sainte (1958),
roman historique centré sur Géricault et relatant la fuite de Louis XVIII,
déconcerte le lecteur par le brassage des événements, le tournoiement des
points de vue, l’érudition ébouriffante à chaque page, sans jamais perdre
de vue l’interrogation majeure : qu’est-ce que l’engagement, qu’est-ce que
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12 D’autres voies du récit : jeux avec le romanesque (1950-2000)
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D’autres voies du récit : jeux avec le romanesque (1950-2000) 12
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D’autres voies du récit : jeux avec le romanesque (1950-2000) 12
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12 D’autres voies du récit : jeux avec le romanesque (1950-2000)
Terminal Frigo, 2007), avec les faits divers (Laurent Mauvignier, Dans
la foule, 2006, Régis Jauffret, Sévère, 2010), ou avec les structures du
roman policier ou de la science fiction (chez Manchette, Didier Dae-
ninckx, Tanguy Viel, Maurice G. Dantec, Michel Houellebecq, Volodine).
Il n’y a plus de rapport innocent à l’écriture, tout particulièrement dans
le champ du récit. Sans véritablement en revenir à un romanesque qui
semble désormais porté par le cinéma ou par les séries télévisées, les
récits du tournant des XXe et XXIe siècles, volontiers spéculaires et ludiques,
s’inventent un nouvel espace littéraire, mélancolique et critique.
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Expérimentations
dramatiques (1940-2000) :
jeux de langage
et de mise en scène
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13 Expérimentations dramatiques (1940-2000) : jeux de langage et de mise en scène
de nos pièces », écrit Sartre. Pour J.-P. Ryngaert, les pièces de Sartre ne
constituent cependant pas une rupture dramaturgique : elles « obéissent
aux traditions du drame réussi, dans la construction dramatique comme
dans l’établissement de personnages porteurs de discours rhétorique. »
De même, les pièces de Camus (Caligula, 1944, Les Justes, 1949) pro-
posent dans un style dépouillé et tendu une réflexion exigeante sur les
intrications du politique et du psychologique.
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Expérimentations dramatiques (1940-2000) : jeux de langage et de mise en scène 13
Le nouveau théâtre
Le dépouillement est plus radical encore chez les dramaturges des avant-
gardes, qu’on a pris l’habitude de regrouper sous l’étiquette commode de
« théâtre de l’absurde » après l’essai de Martin Esslin (1963) : Ionesco,
Beckett, Adamov, Genet, Duras. On préfèrera ici parler de « nouveau
théâtre », pour éviter la confusion entre une rénovation formelle anti-
rhétorique et anti-dramatique, et un contexte philosophique où semble
dominer une pensée dite de l’absurde, portée par Camus et Sartre – mais
dont la dramaturgie est précisément aux antipodes des œuvres ainsi
désignées. Il est en effet tentant de restaurer une forme de cohérence
thématique, historique et idéologique de ces pièces déconcertantes, qui
minent les fondements dramaturgiques du théâtre occidental traditionnel :
l’intrigue et l’enchaînement de ses péripéties, le personnage et sa cohé-
rence psychologique, les dialogues et leur efficacité rhétorique. Par delà
la diversité irréductible des écritures, ce que les avant-gardes des années
cinquante et soixante ont en commun, c’est sans doute un sentiment
tragique de perte – défaillance de l’humanisme après les tragédies de
l’Histoire, défaut radical du langage, absence de toute forme de trans-
cendance en particulier. Que reste-t-il, à l’heure de la rupture du sens,
sinon des objets dérisoires, des corps souffrants, comme abandonnés sur
un plateau presque vide (Beckett, Oh ! Les beaux jours, 1961) ou accu-
mulés à plaisir, presque comiquement (Ionesco, Les Chaises, 1952) – le
burlesque devenant alors la figuration sensible d’une tragédie sans envers.
Beckett (En attendant Godot, 1952) est peut-être, avec Genet, celui
qui incarne le mieux la révolution de l’écriture dramatique. Un univers
clos, volontiers étouffant, où rien n’arrive, où rien ne peut se dire, hors
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13 Expérimentations dramatiques (1940-2000) : jeux de langage et de mise en scène
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Expérimentations dramatiques (1940-2000) : jeux de langage et de mise en scène 13
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13 Expérimentations dramatiques (1940-2000) : jeux de langage et de mise en scène
Expérimentations contemporaines
Les années quatre-vingt voient, plus manifeste que jamais, le triomphe
du metteur en scène ; Chéreau, Vitez, Mnouchkine, Wilson apparaissent
comme les grandes figures du théâtre contemporain. Est-ce au détriment
du théâtre de texte ? Rien n’est moins sûr, à en juger par la fécondité d’un
certain ludisme linguistique, celui de l’Oulipo ou de Valère Novarina, et
par l’affirmation d’une grande tendance contemporaine, celle de l’écriture
fragmentaire et du monologue, qui apparaissent comme de nouvelles
mise à l’épreuve, décisives, de la théâtralité, chez Dario Fo, Enzo Cor-
mann, Jean-Luc Lagarce (Juste la fin du monde, 1990) ou Philippe Minyana
(Chambres, 1993), esquivant les ressources épuisées de la psychologie pour
réinventer de nouvelles épopées à la fois intimes et politiques. Le « théâtre
des paroles » de Novarina déploie une formidable inventivité lexicale,
rythmique, poétique, à l’extrême limite du possible, renouant parfois avec
la frénésie de la liste propre aux grands humanistes (Le Drame de la vie,
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Expérimentations dramatiques (1940-2000) : jeux de langage et de mise en scène 13
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14 Les visages contrastés de la poésie depuis 1940
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Les visages contrastés de la poésie depuis 1940 14
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14 Les visages contrastés de la poésie depuis 1940
La poésie de l’impossible
Pour être fondée en théorie, bien souvent, et accompagnée d’une dis-
cours critique, la poésie, à partir des années soixante, affiche davantage
ses lacunes, ses incertitudes, sa fragilité que des certitudes textualistes
ou politiques (réduites à l’idée de révolution, chez Bernard Noël). C’est
même le cas pour les poètes proches de Tel Quel ou de l’OuliPo ;
Denis Roche (Le Mécrit, 1972) pousse ainsi l’impératif de transgression
jusqu’à son extrême limite – la poésie étant désormais « inadmissible »,
et « n’existe pas » ; la revitalisation nécessaire de la langue passe par une
table rase, mais n’est guère qu’une orientation, et non pas une promesse.
Il s’agit moins de saisir le monde, que de prendre la pulsation de la
vitesse moderne et d’en arpenter les surfaces (Denis Roche défend ainsi
un parti pris photographique de la poésie). Pour Michel Deguy, « la
poésie, comme l'amour risque tout sur des signes » ; geste discret, elle
articule, met en perspective, « épiant l’invisible entre nous », creusant la
différence entre le monde et les mots, pour y trouver l’élan et la menace
qui justifient l’écriture même (Ouï dire, 1966).
La question de l’impossible est donc toujours au cœur du projet éthique
des poètes, mais sans dramatisation excessive ; dite, théorisée par les
avant-gardes, elle donne à la fois la mesure d’une précarité toujours
plus apparente du texte, et devient le gage d’une forme de liberté jubi-
latoire dans le rapport à la langue. On songe, bien sûr, aux oulipiens
Queneau et Jacques Roubaud (« chaque poème n’est qu’une variante »,
Dire la poésie, 1981) dans cette perspective d’un textualisme ludique et
savant. La dimension littéraliste sera au cœur des œuvres d’Emmanuel
Hocquart (Album d’images de la villa Harris, 1978), qui va jusqu’à faire
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Les visages contrastés de la poésie depuis 1940 14
La poésie contemporaine :
explorations dans la langue et mesure du chant
Alors que les années 1980 voient, par un effet de balancement récurrent
dans l’histoire du siècle, un retour du sujet lyrique, la veine littéraliste
et rhétorique se mue en vaste entreprise de démolition des sens convenus,
avec entre autres Olivier Cadiot (L’Art poétic’, 1988), Christian Prigent
(Ceux qui merdRent, 1991) et Valère Novarina (Le Discours aux animaux,
1987). Jean-Marie Gleize pose ainsi l’exigence littérale de la poésie comme
réalisme intégral, en prenant acte de l’ambition infinie de la poésie (être
le réel même) et de son impossibilité : il reste son rapport intrinsèque
à la langue. Signalons encore la corruption ludique – et érotique – de
la poésie chez Jude Stéfan, chez lequel la dérision prend des allures
souveraines, démontant les ressources de la langue sans jamais perdre
de vue la chair mortelle (« tes phrases ont des allures de reine / en os
sans chairs / rejetés aux reflux / encore, encore / (un coup, un poème […]
la plage (la page) un piège à rats sous les étoiles », Prosopopées, 1991).
Le nouveau lyrisme est lui aussi dépourvu de certitude ; venu à l’heure
de la « fin de la poésie », alors qu’il est impossible de s’extraire du monde
et de négliger les vastes territoires déjà arpentés par la poésie, le poète
d’après Michel Deguy est un observateur, rêvant sur les possibilités de
figuration du monde, sans s’interdire aucune forme d’intervention dans
la cité (en témoigne le projet total de la revue Po&sie depuis 1977).
D’autres œuvres témoignent d’un rapport sans doute apaisé au monde,
au quotidien, telles celle de Jacques Réda (Les Ruines de Paris, 1977),
de François de la Cornière, de Ludovic Janvier, ou de Lorand Gaspar,
qui revendique un tissage dynamique entre le monde entier et l’œuvre :
« Mots et images, idées de mots et d’images, se composent, s’articulent, se
dénouent, molécules vivantes de la vie/réseau mobile de cris, de lueurs,
de nœuds d’énergie/d’un flux continu » (Approche de la parole, 1978).
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14 Les visages contrastés de la poésie depuis 1940
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15 Le moment terroriste de la théorie littéraire (les années 1960-1970)
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Le moment terroriste de la théorie littéraire (les années 1960-1970) 15
L’essai littéraire
Théorie de la littérature, théorie et littérature : le « pas de deux »
(F. Marmande) est inauguré au lendemain de la guerre, avec les grands
essais de Sartre et de Bataille, qui déplacent l’idée de littérature tout en
aménageant l’écriture de l’essai. La recherche d’une intensité du style,
d’une forme de dramatisation et de pathos dans l’écriture, chez Bataille,
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Le moment terroriste de la théorie littéraire (les années 1960-1970) 15
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16 Écritures des marginalités, écritures de soi (1940-2000)
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Écritures des marginalités, écritures de soi (1940-2000) 16
Écritures de soi
Quelles sont les écritures de soi possibles, à l’heure des grandes expé-
rimentations formelles ? Après Si le grain ne meurt (1920) d’André Gide,
qui place au cœur de son œuvre sa propre personne, peu d’écrits auto-
biographiques importants sont à signaler, jusqu’à L’Âge d’homme de Leiris
(1939). Certes, la première partie du siècle a vu d’autres autobiographies,
plus ou moins romancées (État-civil de Drieu la Rochelle, 1921, Le Pain
des rêves de Louis Guilloux, 1942, pour prendre des exemples de récits
d’enfance profondément divergents), mais l’entreprise gidienne semble
fort isolée dans le paysage français, alors que La NRF affirme son mépris
de l’autobiographique pour mieux célébrer les puissances de l’invention
romanesque, tout colorée de vie vécue qu’elle soit. Qu’on songe aux
pilotis biographiques dans les romans d’Aragon, aux réécritures de la
vie chez Colette, Céline, Drieu, Jouhandeau ou même Malraux tout au
long des années trente : tout se passe alors comme si seul le roman
pouvait raconter une vie, faire sentir le grain de l’existence et traduire
les fulgurances de la mémoire. Tout semble changer, donc, au tournant
des années quarante, et c’est avec retard que se fait sentir l’influence du
récit ironique gidien. Pourquoi l’intime semble-t-il alors devenir d’intérêt
public ? La célèbre préface de L’Âge d’homme, rédigée pour la réédition de
1946 et intitulée « De la littérature considérée comme une tauromachie »,
tout en soulignant la dimension cathartique de la confession, met l’accent
sur le risque inhérent à ce genre d’écriture. La dramatisation, sinon le
tragique, est au principe même du Sabbat de Maurice Sachs (1939), ces
« souvenirs d’une jeunesse orageuse » qui s’ouvrent sur une profession
de foi : « Je les publie parce que je crois à l’absolution que convoie la
confession publique et parce qu’elles pourront peut-être servir à d’autres,
ne serait-ce qu’en montrant qu’il y a certains mauvais lieux dont on
peut quand-même s’échapper. » À la réquisition intime d’une sincérité
absolue, jusqu’au masochisme, Leiris ajoute quant à lui la nécessité d’un
ébranlement des structures du récit, organisant son autobiographie de
manière thématique et poétique, et réinscrivant dans l’ordre de la langue
les brèches de l’inconscient et les images obsessionnelles de la sexualité.
Cette modulation de la forme pour rendre compte d’une vision
propre de sa vie trouvera chez Sartre, dans Les Mots (1963), un autre
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16 Écritures des marginalités, écritures de soi (1940-2000)
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Écritures des marginalités, écritures de soi (1940-2000) 16
t3 août 1914. Déclaration de guerre t1914. Première version de L’Échange, de Claudel.
de l’Allemagne à la France t1915. Au-dessus de la mêlée, de Romain Rolland.
t1916. Le Feu, de Barbusse.
t1917. Le Cornet à dés, de Max Jacob. Parade, de Cocteau,
Satie, Picasso.
t11 novembre 1918. Capitulation de
l’Allemagne
tJuin 1919. Signature du Traité de
Versailles
t10 janvier 1920. Naissance de la
Société des Nations
t1920. Création du Parti Communiste
français
t1922. Mussolini au pouvoir en Italie t1922. Début des Thibault de Martin du Gard. Odes, de Segalen.
t1923. Occupation de la Ruhr, en t1923. Le Diable au corps, de Radiguet. Amants, heureux
représailles du non-paiement des dettes amants, de Larbaud.
allemandes t1924. Manifeste du surréalisme, de Breton. Lewis et Irène,
de Morand.
t1925. Voyage au Congo, et Les Faux-monnayeurs de Gide.
t1926. Le Paysan de Paris, d’Aragon, Capitale de la douleur,
d’Éluard.
t1927. Orphée, de Cocteau. La Trahison des clercs, de Benda.
t1928. Nadja, de Breton. Victor ou les enfants au pouvoir,
de Vitrac.
tOctobre 1929. Krach de Wall Street t1929. Témoins, essai d’analyse et de critique des souvenirs de
combattants édités en français de 1915 à 1928, de Jean Norton
Cru. Les Enfants terribles, de Cocteau. Le Soulier de satin,
de Claudel.
t1930. Charmes, de Valéry. Sido, de Colette.
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Chronologie
tSeptembre 1938. Signature des t1938. Les Grands cimetières sous la lune de Bernanos. Loin-
accords de Munich tain intérieur, de Michaux, La Nausée, de Sartre. Le Théâtre
et son double, d’Artaud.
t1939. L’Âge d’homme, de Leiris. Gilles, de Drieu La Rochelle.
t3 août 1939. Entrée en guerre de De l’abjection, de Jouhandeau.
la France et de l’Angleterre contre
l’Allemagne
t22 juin 1940. Signature de l’armistice
entre l’Allemagne et la France
t10 juillet 1940. Vote des pleins pou-
voirs à Pétain
t3 octobre 1940. Création d’un statut
des juifs en France
tjuin 1941. Entrée du PCF dans la t1941. Thomas l’obscur, de Blanchot. Création clandestine des
Résistance Éditions de Minuit. Madame Edwarda, de Bataille.
t1941. Thomas l’obscur, de Blanchot. Création clandestine des
Éditions de Minuit. Madame Edwarda, de Bataille.
t1942. L’Étranger, de Camus, Les Yeux d’Elsa, d’Aragon, Le
Parti pris des choses, de Ponge.
t15 mai 1943. Création du Conseil t1943. L’Invitée, de Beauvoir. Les Mouches, de Sartre.
National de la Résistance
t25 juillet 1944. Libération de Paris t1944. Aurélien, d’Aragon. Caligula, de Camus.
t5 octobre 1944. Droit de vote des
femmes.
t8 mai 1945. Capitulation allemande t1945. La Folle de Chaillot, de Giraudoux. Fondation des
t6 et 9 août 1945. Bombes atomiques Temps modernes. Début de la publication des Chemins de
larguées sur Hiroshima et Nagasaki. la liberté de Sartre.
tOctobre 1946. Débuts de la
IVe République
tDécembre 1946. Début de la guerre
d’Indochine
120
Chronologie
121
Chronologie
t1981. Victoire de la gauche avec Mit- t1981. Début des Petits traités, de Quignard. 1982. Sortie
terrand aux élections présidentielles. d’usine, de Bon, Pour un oui ou pour un non, de Sarraute.
t1985. La Belle Hortense, de Roubaud. La Moustache, de
Carrère.
tAvril 1986. Catastrophe nucléaire de t1986. Un captif amoureux, de Genet.
Tchernobyl.
t1987. Début des privatisations t1987. Dans la solitude des champs de coton, de Koltès.
(banques) t1988. L’Art poétic’, de Cadiot.
t1989. L’Acacia, de Claude Simon.
t1990. Les Champs d’honneur, de Rouaud, Juste la fin du
monde, de Lagarce.
t1991. Ceux qui merdRent, de Prigent.
t1992. Signature du traité de
Maastricht.
t1995. Attentats islamistes à Paris.
t1997, Dora Bruder, de Modiano. La Honte, d’Ernaux.
t1999. Des Anges mineurs, de Volodine.
Conclusion
123
Conclusion
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Bibliographie
Sur le roman
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Sur la poésie
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PICON (Gaëtan), Le Surréalisme, 1919-1939, Skira 1995 [1976].
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SARRAZAC (Jean-Pierre), L’Avenir du drame. Écritures dramatiques contemporaines,
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