L'incroyable destin de Marie-Blanche de Polignac, fille unique de Jeanne Lanvin au formidable talent lyrique
Fille unique et égérie adorée de la couturière Jeanne Lanvin, cette musicienne s'est réinventée en comtesse dans le Tout-Paris de l'entre-deux-guerres. Une histoire racontée par Virginie Girod*.
Passer la publicitéAvez-vous déjà remarqué qu'arrivant sur le site de la maison Lanvin, deux petits personnages, une mère et sa fille, dansent une joyeuse ronde ? Certaines lectrices reconnaîtront le logo du parfum Arpège, créé en 1927. Dessinés par Paul Iribe, les deux petits personnages stylisés sont inspirés d'une photo de Jeanne Lanvin et de sa fille, âgée d'environ 10 ans.
Sur le cliché, le duo porte des robes noires coordonnées et des mitres créées à l'occasion d'une fête de mardi gras. Arpège est un hommage de la célèbre couturière à sa fille, Marie-Blanche de Polignac, pour célébrer ses 30 ans. Mais la jeune femme ne s'est pas toujours prénommée ainsi…
Un modeste rêve
Jeanne Lanvin a elle-même 30 ans quand elle donne naissance à Marguerite, sa fille unique. Elle est déjà à la tête d'une boutique de chapeaux prospère. Celle qu'on surnommait enfant «le petit omnibus», car elle livrait les créations de sa première patronne, est née dans la misère. Se contenter de devenir modiste dès l'âge de 13 ans semblait raisonnable, mais Jeanne a trop de talent et d'ambition pour se satisfaire d'un poste d'ouvrière.
Elle économise sou après sou, en se privant de tout, dans l'espoir d'ouvrir un jour son propre commerce au faubourg Saint-Honoré, ce nouveau quartier entre la Madeleine et la Concorde, à Paris, où s'installent tous les créateurs qui aspirent à fournir la bourgeoisie de la Belle-Époque. Son rêve, modeste pour l'heure, se concrétise en 1889. Sept ans plus tard, la cheffe d'entreprise épouse un dandy d'origine italienne qui se fait passer pour un aristocrate. Emilio di Pietro est un croqueur de diamants, mais il a au moins le mérite de faire un enfant à Jeanne.
Égaler la mère
En même temps qu'elle élève sa fille, la modiste développe son commerce en imaginant une ligne de vêtements. Son enfant, sa poupée blonde, devient sa petite mannequin. Elle lui confectionne des robes et la fait poser pour le fils Nadar, qui réalise ses réclames. Mais les photos sont insuffisantes pour étendre sa clientèle.
Pour toucher les dames du Triangle d'or, Jeanne promène sa fille entre les Champs-Élysées et les squares de la rue de Marigny. Marguerite, à son corps défendant, attire tous les regards avec ses toilettes à volants empesés, ses manteaux d'hermine et ses chapeaux ornés d'élégantes garnitures. Les mères de famille raffolent du style de l'adorable fillette et fréquentent bientôt la maison Lanvin. Mais aux fanfreluches, Marguerite préfère les partitions…
Talent rare
Elle a en effet un talent rare pour le piano et le chant. Enfant choyée, elle épouse à 19 ans l'un des petits-fils de Clemenceau, un ami d'enfance rencontré dans les jardins de Marigny. Puis elle convole en secondes noces avec le comte de Polignac… qui la rebaptise Marie-Blanche. La nouvelle aristocrate se consacre désormais à l'art et à l'oisiveté. En 1946, après la mort de sa mère, elle hérite de l'empire Lanvin.
Il lui est impossible d'égaler sa mère, mais elle maintient la maison à flot quand le jeune Christian Dior démode les créateurs d'avant-guerre. La comtesse, disparue en 1958, aura l'intelligence de céder la direction artistique au couturier Antonio Castillo, perpétuant ainsi l'œuvre de Jeanne Lanvin, dont le nom est encore aujourd'hui associé au luxe et à l'élégance à la française.
(*) Découvrez d'autres personnages historiques avec Virginie Girod dans le podcast Au cœur de l'Histoire et tous les week-ends à 15 heures sur Europe 1.
Tancrède Behl
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Sur la photo, Marie-Blanche de Polignac a 20 ans et non 10 ans.