D-02-02 - La Supranationalité de L'organisation Pour L'harmonisation en Afrique Du Droit Des Affair

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Ohadata D-02-02

La supranationalité de l’Organisation
pour l’Harmonisation en Afrique du
Droit des Affaires (OHADA)
(Article à paraître à la Revue burkinabé de droit N° 37 1er semestre 2000)

Djibril ABARCHI
Docteur en Droit privé
Maître assistant à la Faculté des sciences économiques et juridiques de Niamey
2

Sommaire
Introduction
I-La supranationalité politique
A-Fondement de la Compétence législative du Conseil des Ministres
A-1- Le transfert de la compétence au Conseil des Ministres résulte de la volonté des
parlements
1°)- La manifestation de volonté des parlements.
2°)- L’unité et l’intégration africaines commandent l’abandon de souveraineté
A-2- De l’inopportunité d’un parlement communautaire
1°) - Pour respecter les exigences de l’unification du droit
2°)- Les contraintes économiques des Etats justifient l’inopportunité d’un parlement.
B- Les limites du transfert de compétence au Conseil des ministres
1°)- Incertitudes sur les limites du droit des affaires
2°)- La compétence résiduelle des parlements nationaux.
II-La supra nationalité judiciaire
A-Compétence de la CCJA
1°)- La supranationalité dans la fonction contentieuse
2°)- La fonction résiduelle des juridictions nationales de cassation.
B-Problématique du transfert de compétence à la CCJA
III-La supranationalité normative
A-La cohabitation pacifique entre actes uniformes et le droit national
B- La cohabitation conflictuelle entre le droit harmonisé et les autres normes
B-1- Conflit entre droit harmonisé et normes de droit interne
1°)- Contrariété avec une norme écrite
* Caractérisation de la contrariété
* Portée abrogative de la contrariété
2°)- Contrariété avec les usages et coutumes
B-2- Conflit avec d’autres normes de droit international.
1°) - Conflit en raison d’un élément d’extranéité
* Caractérisation de l’élément d’extranéité
* Principe de solution
3

2°)- Le conflit sans élément d’extranéité.


Conclusion

Résumé
Alors que depuis le 1er janvier 1998 certains actes uniformes pris en application du traité de
l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des affaires ) sont entrés en
vigueur et que les juridictions dans certains pays ont déjà commencé à les appliquer, l’on commence
déjà à s’interroger lors des différentes rencontres internationales ou nationales, sur la dimension
supranationale de l’institution. Pourquoi et comment un Conseil de Ministres peut-il exercer au
niveau communautaire un pouvoir normatif dans un domaine relevant en droit interne de la
compétence du pouvoir législatif ? , quelles places respectives occuperont désormais les juridictions
nationales de cassation et la Cour commune de justice et d’arbitrage ( CCJA) dans le contentieux né
de l’application des actes uniformes après la création de ce nouvel ordre judiciaire ? , et comment
appréhender désormais la coexistence Droit harmonisé et droit uniforme dans le nouvel ordre
juridique communautaire ? Autant de questions abordées dans cet article qui n’a pas la prétention
d’avoir épuisé un sujet aussi vaste.
4

Introduction

Les objectifs nobles que se sont fixés les 16 Etats membres de l’Organisation pour
l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) ont suffisamment été mis en
lumière1 pour que l’on ait besoin d’insister outre mesure. Comme on l’a déjà relevé, la
naissance de l’OHADA apparaît comme une œuvre juridique salutaire présentant plus d’un
avantage2 . En tant que moyen d’intégration juridique, cette organisation traduit une prise de
conscience des Etats membres, de l’enjeu que représente le mouvement inéluctable de la
mondialisation des échanges, et dans lequel s’inscrit parfaitement la naissance de cette
institution.
Cependant, à l’heure où elle prend son « envol » avec l ‘entrée en vigueur des premiers
actes uniformes, l’OHADA, organisation supranationale, suscite déjà certaines interrogations
voire des inquiétudes que l’on peut parfaitement comprendre. Cela est inhérent à toute
innovation. Et l’OHADA. constitue assurément une œuvre innovatrice de par ses règles et
mécanismes, qui viennent troubler dans leur tranquillité intellectuelle, de nombreux juristes
(qu’ils soient praticiens ou théoriciens du droit), habitués à évoluer dans un cadre juridique
qui, pour être souvent le lieu de prédilection des lois ancestrales et souvent vétustes, appelle
moins d’effort. Beaucoup s’en accommodent fort bien et répugnent tout bouleversement
obligeant à sortir de la routine, pour s’imprégner de nouvelles règles.
Assurément, pour tous les habitués d’un droit interne parfois négativement stable,
l’avènement de l’OHADA est source d’efforts intellectuels supplémentaires à fournir, et
perturbe l’environnement juridique existant.
Sans aller jusqu’à dire que l’OHADA, par les différents mécanismes institutionnels
qu’elle met en œuvre, au stade de l’élaboration du droit ou de son interprétation, apparaît
comme une révolution, on peut au moins affirmer qu’elle bouscule certaines habitudes qui

1
-Voir entre autres J. François GAULME, l’intégration régionale dans le cadre de la zone franc : un mouvement
promoteur, marchés tropicaux 15 novembre 1991 p.2921 ; JFC et DGS, vers un droit unifié des affaires pour
toute la zone Franc, Tribune de l’expansion, du vendredi 4 octobre 1991 ; Joseph ISSA-SAYEGH, L’intégration
juridique des Etats africains dans la zone franc, Recueil Penant N°823,1997, 5 et s. et N°824, 1997,125 et s ;
Tristan Gervais de LAFOND, Le traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, Gazette du
palais 2à et 21 septembre 1995, p.1 et s.
2
-Comme le relève Paul Gérard POUGOUE, Présentation générale et procédure en OHADA, Presses
universitaires d’Afrique, Yaoundé 1998, collection Droit uniforme, p.5, « l’intégration juridique élimine les
5

désorientent quelque peu tous ceux qui, du droit des affaires, n’ont toujours connu que les
règles du droit interne.
L’OHADA c’est aussi et surtout un droit international, secrété par un organe
spécifique qui vient se superposer aux normes internes. , une nouvelle organisation judiciaire
découlant de la création d’une Cour commune de justice et d’arbitrage. ( CCJA)
Ce nouvel ordonnancement juridique et judiciaire qui a donné lieu à plusieurs.
rencontres est sujet d’importants débats qui mettent en lumière les difficultés que pose déjà
la supranationalité de l’OHADA tant du point de vue institutionnel que du point de vue
normatif.
.
A vouloir rendre compte de celles-ci et sans prétendre apporter tous les éclairages
permettant d’élucider les nombreuses interrogations on pourrait entreprendre une analyse de
sa dimension supranationale.

Partant de ce que cette supranationalité de l’OHADA se manifeste d’abord du point de


vue organique par une prééminence des institutions communautaires sur les institutions
nationales, ensuite du point de vue normatif parce qu’un droit communautaire, soutenu par
l’idée d’intégration et d’unification, entraîne une suprématie des normes communautaires sur
les normes internes nous aborderons la question par l’analyse de :
- la supranationalité politique découlant des prérogatives reconnues au Conseil des ministres
de l’OHADA ;
- la supranationalité judiciaire tenant aux prérogatives dévolues à la Cour commune de justice
et d’arbitrage ;
- la supranationalité normative découlant de la prééminence du droit communautaire des
affaires, sur les droits nationaux. ;

S’iI est vrai que sur le plan organique l’OHADA se matérialise par un secrétariat
permanent, une Ecole supérieure de la magistrature, un Conseil des ministres et une Cour
commune de justice et d’arbitrage, notre propos se limitera aux deux derniers organes
d’autant plus que c’est à leur sujet que la question de la supranationalité revêt une certaine
importance.3 Le premier organe, le Conseil des ministres, parce qu’il est le support des

conflits des lois et renforce la sécurité juridique et la coopération judiciaire » « favorise le rapprochement des
peuples et œuvre pour une meilleure coopération politique ».
3
-Ainsi que le précise d’ailleurs l’article 3 du traité le secrétariat permanent auquel est rattachée l’école
régionale de la magistrature, ne fait qu’assister le Conseil des ministres.
6

décisions politiques de l’OHADA, traduit la supranationalité politique de cette organisation


(I) alors que le second, dont le rôle est plutôt technique, parce qu’il s’agit d’un organe
juridictionnel soulève la question de la supra nationalité judiciaire (II). Si l’un secrète les
normes applicables et l’autre se charge de les interpréter pour éviter la diversité de sens, les
normes elles-mêmes doivent être analysées dans leur dimension supranationale. (III).
-
1- La supranationalité politique

L’objectif premier de l’OHADA étant de régler le problème de la disparité des normes


juridiques en matière de droit des affaires à l’intérieur de l’espace juridique des Etats
signataires du traité de Port -Louis, il va de soi que cette harmonisation qui est en réalité, une
unification, malgré la terminologie adoptée pour désigner l’organisation, implique un
organe législatif commun aux parties prenantes.
Les promoteurs de l’OHADA ont choisi de confier à un Conseil des ministres cette
compétence pour édicter les normes qui caractérisent le droit communautaire à savoir les
actes uniformes. Or, l’on sait qu’en droit interne, la plupart des constitutions des Etats
membres reconnaissent aux parlements compétences pour ce qui est des matières constituant
le domaine du droit harmonisé. Du coup, on peut, comme certains l’ont soutenu, reprocher au
système législatif de l’OHADA de porter une entorse à la distribution constitutionnelle des
compétences, en ce qu’il confère aux membres de l’exécutif la compétence qui revient de
4
droit aux représentants élus des peuples. En somme, l’OHADA consacrerait une
supranationalité de son organe législatif en portant entorse aux dispositions
constitutionnelles des Etats membres et spécialement là où les matières relevant du droit des
affaires sont du domaine de la loi..
L’on a parfois entendu certains tenants du respect de la séparation stricte des pouvoirs
(lors des rencontres de sensibilisation sur le droit harmonisé) souhaiter qu’à défaut de

4
-Consulté sur la question, le Conseil constitutionnel sénégalais avait estimé dans un considérant qui mérite
d’être rapporté qu’il ne résulte du transfert de compétence au Conseil des ministres ou à la Cour commune « ni
changement du statut international du Sénégal en tant qu’Etat souverain et indépendant, ni la modification de
son organisation institutionnelle ; que le dessaisissement de certaines de ses institutions -Cour de cassation, mais
aussi l’Assemblée nationale- n’est ni total ni unilatéral, qu’il s’agit donc en l’espèce, non pas d’un abandon de
souveraineté mais d’une limitation de compétences qu’implique tout engagement international et qui, en tant que
telle, ne saurait constituer une violation de la constitution, dans la mesure où celle-ci, en prévoyant la possibilité
de conclure des traités, autorise, par cela même, une limitation de compétence » 16 décembre 1993, Penant
numéro 827 spécial OHADA, mai à Août 1998 p.225 note Alioune SALL
7

pouvoir respecter certaines formules plus conformes à la distribution des compétences,5


l’OHADA adopte une procédure de ratification préalable des actes uniformes par les
parlements. L’adoption d’un corps de règles relevant normalement de la compétence des
Assemblées nationales n’aurait pas dû- regrette-t-on- être transférée aux membres de
l’exécutif, surtout quand on sait qu’elles sont directement applicables. Cette procédure ne
serait pas conforme à la distribution constitutionnelle des compétences.
..
C’est une critique qui peut être recevable lorsqu’on se borne tout simplement à
considérer les seules dispositions constitutionnelles qui opèrent une répartition des
compétences entre l’exécutif et le législatif. Mais à se fonder uniquement sur les dispositions
qui fixent le domaine respectif de la loi et du règlement, l’analyse ferait figure de
raisonnement inachevé. Et pour logique qu’il soit, le reproche ne résiste à pas à un examen
plus approfondi du fondement de la compétence législative du Conseil des Ministres de
l’OHADA. (A)
A cette considération il faut ajouter un argument supplémentaire qui atténue la
critique adressée au mécanisme législatif de l’OHADA ; le transfert de certaines compétences
au Conseil des ministres ne dépouille pas totalement les parlements des Etats membres de
l’OHADA de toute prérogative en matière de Droit des affaires. (B)

A- Fondement de la compétence législative du Conseil des ministres

Il n’est pas besoin de parcourir les dispositions constitutionnelles des 16 Etats


membres de l’OHADA pour circonscrire le débat. Inspirées presque toutes du modèle
français, elles opèrent un partage de compétences entre le législatif et l’exécutif sensiblement
identique. C’est de la compétence de l’organe législatif que relève la fixation de certaines
règles ou de certains principes fondamentaux 6

5
- Les promoteurs avaient le choix entre plusieurs formules consacrées à travers le monde, en matière
d’intégration juridique. On connaît à cet égard l’exemple de l’Union européenne. Pour l’élaboration. du droit
communautaire il est institué, dans un souci de recherche d’une certaine légitimité, un Parlement européen
doublé d’une commission avec un processus décisionnel. relativement complexe. Sur le système européen voir
Joël Rideau Droit institutionnel de l’Union et des communautés européennes, 2è édition LGDJ Paris 1996.
6
- Il en est ainsi par exemple des règles- du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et
commerciales d’une part, et la fixation des règles relatives à la détermination des crimes et délits ainsi que des
peines qui leurs sont applicables, l’organisation des tribunaux judiciaires et administratifs et la procédure suivie
devant ces juridictions etc... autant de matières qui entrent dans le champ du droit communautaire
En établissant un parallèle avec le domaine du droit harmonisé on peut relever qu’aux termes de
l’article 2 du traité de l’OHADA « entrent dans le domaine du droit des affaires, l’ensemble des règles relatives
au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux
voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de
8

Pour prendre l’exemple du Niger c’est l’Assemblée nationale qui a traditionnellement


compétence en matière de droit des affaires. Il n’est dérogé à ce principe que lorsqu’en vertu
d’une loi d’habilitation, l’exécutif est amené temporairement à « s’immiscer » dans le
domaine de compétence du législateur et à énoncer des règles par voie d’ordonnance, qui
doivent être ratifiées par la suite.
Si l’on peut parler en pareille circonstance d’immixtion, cette forme d’intrusion de
l’exécutif dans le domaine compétence du législateur ne fait pas l’objet d’hostilité
particulière de la part des tenants de la séparation stricte des compétences qui se consolent
fort bien de la procédure de ratification ultérieure des actes ainsi posés.

On sait - il est vrai- que cette ratification est plus ou moins acquise d’avance par le
jeu d’une certaine solidarité entre l’exécutif et sa majorité au Parlement, lorsqu’il en dispose.
La loi d’habilitation et la procédure de ratification qui est son corollaire, atténuent ainsi donc
le « pêché » de l’intrusion temporaire de l’exécutif dans le domaine de compétence réservé
au législatif.
Même s’il confère aux Ministres chargés de la Justice et des Finances des Etats
membres, compétence permanente pour édicter des règles directement applicables, relevant
normalement du domaine des élus du peuple, le système législatif de l’OHADA et les actes
uniformes qui en découlent demeurent à l’abri de critiques pour plusieurs raisons
fondamentales :
En premier lieu, du point de vue juridique la compétence du Conseil des ministres
trouve en réalité sa source dans l’autorisation du parlement (A-1)
-En second lieu, on peut avancer un argument d’opportunité. La création d’un
Parlement de l’OHADA qui eu pu être la formule satisfaisante pour les tenants d’un certain
parallélisme dans le transfert des compétences ne s’accommode guère des exigences de
l’unification du droit et des contraintes économiques des Etats(A-2)

A-1-Le transfert de compétence au conseil des ministres résulte de la volonté


des parlements

A la lumière de la procédure suivie on ne peut soutenir que les parlements des Etats
membres ont été anormalement dépouillés de leur compétence au profit de l’organe législatif

l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports et toute autre matière que
le Conseil des ministres déciderait à l’unanimité d’y inclure.... ».
9

communautaire. L’abandon de souveraineté réalisé est un acte de volonté du


Parlement.découlant des exigences de l’unité et l’intégration africaine

1è)- La manifestation de la volonté des parlements

La constitution nigérienne, comme celle des autres Etats en général,


subordonne l’engagement définitif de l’Etat dans certaines relations de droit international.7 au
respect d’un certain formalisme tendant à obtenir l’accord de volonté des élus du peuple, et
au-delà le peuple lui-même qui les a mandatés.

C’est ainsi que l’article 119 prévoit que « les traités de défense et de paix, les traités et
accords relatifs aux organisations internationales, ceux qui modifient les lois internes de
l’Etat et ceux qui portent engagement financier de l’Etat ne peuvent être ratifiés qu’à la suite
d’une loi ».
Quatre catégories de normes internationales sont ainsi soumises, en raison de leur
objet, à l’obligation d’une intervention législative pour leur ratification. Il s’agit :
-des traités de défense et de paix ;
-des traités et accords relatifs aux organisations internationales
-ceux qui emportent modification les lois internes,
-et ceux qui portent engagement financier pour l’Etat.
Le traité de l’OHADA répond aux trois derniers critères énoncés par la constitution
nigérienne et doit donc être soumis au parlement pour ratification. En effet ce traité consacre
la naissance d’une organisation internationale ; (art. 46 du traité) il emporte modification des
lois internes stricto sensu.8, et comporte des engagements financiers découlant de la
participation financière de l’Etat nigérien au fonctionnement des institutions de l’OHADA. (
art.43 du traité)
Cette formalité ayant été accomplie, la loi matérialise l’accord du parlement, et
consacre ainsi l’abandon par les députés de certaines de leurs prérogatives.

7
-Il ne faut cependant pas occulter que l’article 118 de la constitution prévoit la possibilité pour le Président de
la République de négocier et ratifier seul, sans le concours du parlement certains traités et accords internationaux
qui ne font pas partie de l’énumération de l’article 119
8
- C’est bien la loi au sens strict qu’il faut entendre ici, car au regard des dispositions constitutionnelles un
accord qui n’aurait pour conséquence que la modification des dispositions réglementaires, ne devrait pas être
soumis aux parlementaires pour ratification.
10

La ratification du traité de l’OHADA emporte donc pour chacun des parlements des
Etats parties, dévolution de ses prérogatives, non pas à l’exécutif de chacun des Etats, mais à
un organe communautaire, qui assure les fonctions politiques, par son action législative, le
conseil des ministres de l’OHADA. Qu’il soit composé de membres de l’exécutif qui exercent
des prérogatives relevant sur le plan du droit interne de la compétence des parlementaires,
cela ne devrait pas faire oublier que le Conseil des ministres de l’OHADA, malgré sa
dénomination peut énoncer des normes relevant du domaine de la loi sans que cela soit perçu
comme une violation de l’ordre constitutionnel. Il faut rappeler que même si les règles de
procédure en matière d’habilitation ne sont pas observées, la ratification du traité par
l’Assemblée nationale doit être interprétée comme une habilitation permanente des membres
de l’exécutif. On n’ira pas cependant jusqu’à la confusion. Les actes uniformes sont
d’application directe, et ne font pas l’objet d’une procédure de ratification. Le parlement n’y
conserve aucune emprise directe. Néanmoins, on peut considérer que tout ne lui échappe pas.
On sait en effet que les députés ont toujours un pouvoir de contrôle de l’action
gouvernementale. De cette prérogative qu’ils tiennent de la constitution et qui est plus ou
moins efficace suivant les types de régimes politiques en place, on doit parfaitement
concevoir qu’ils puissent interpeller les ministres de la justice et des Finances sur le contenu
de tel ou tel acte uniforme et demander au besoin qu’ils envisagent une demande de révision.
Car les actes uniformes, il faut le rappeler, demeurent comme tout acte juridique susceptibles
de modification.
- L’autorisation parlementaire découle elle-même des impératifs d’unification et
d’intégration africaine.

2è)- L’unité et l’intégration africaines commandent l’abandon de souveraineté

En prenant l’exemple du Niger, on peut relever que le constituant nigérien a, sans


doute plus que tout autre, marqué la volonté de voir le pays s’engager dans la voie de
l’intégration. Un titre spécifique est consacré à la question. Titre au sein duquel il est
clairement inscrit que « la République du Niger peut conclure avec tout Etat africain des
accords d’association ou de communauté emportant abandon partiel ou total de souveraineté
en vue de réaliser l’unité africaine. »
Dans le corps du même texte on y ajoute que l’Etat nigérien « accepte de créer avec
ces Etats des organismes intergouvernementaux de gestion commune, de coordination et de
11

libre coopération » ayant pour objet entre autres »l’harmonisation de la politique


économique financière et monétaire ».
En signant le traité de l’OHADA le 13 octobre 1993, le Président de la République
n’a fait que poser un acte qui s’inscrivait parfaitement dans les prescriptions
constitutionnelles de la 3è République reprises mot à mot dans celle de la 4è République. Bien
plus, il remplissait ainsi un acte du serment solennel qu’il avait prêté, et par lequel il s’était
engagé entre autres à « ne ménager aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine ».9

A-3- De l’inopportunité d’un parlement communautaire.

Dans la mesure où il est question de disposer d’un droit uniforme, un organe législatif
supranational, commun aux Etats devient une nécessité (1è). Au-delà de cette exigence liée à
la nature des normes, la solution présente un avantage sur le plan économique et financier, au
regard de l’état de déconfiture financière dans lequel se trouve la majorité des Etats membres
de l’OHADA.

1è)- Pour respecter les exigences de l’unification du droit

. L’unification du droit que l’OHADA est censé réaliser serait compromise, si


les actes uniformes avaient un contenu variable suivant les Etats. Dès lors on peut s’interroger
sur l’opportunité d’une procédure de ratification par les parlements. Une telle formalité aurait
pour conséquence un dépeçage des actes uniformes.
C’est donc avec raison que les promoteurs de l’OHADA ont pris deux mesures
radicales : l’exclusion de toute ratification ultérieure des actes uniformes d’une part, et celle
des réserves de l’autre.10
La solution est certes assez rigoureuse. Mais cette rigueur découlant aussi bien de
l’exclusion des réserves, que de celle de la procédure de ratification des actes uniformes, est
compensée par leurs conditions d’adoption.
Aux termes de l’article 8 du traité « l’adoption des actes uniformes par le conseil des
ministres requiert l’unanimité des représentants des Etats parties présents et votants ». Une

9
- Article 41 de la constitution de la 3è République, repris aujourd’hui encore par la constitution de la 5è
République ( article 39)
10
-L’article 54 du traité énonce : « Aucune réserve n’est admise au présent traité ». Ce qui revient à dire
qu’aucun Etat partie ne peut par exemple décider d’une dérogation à telle ou telle disposition d’un acte
uniforme.
12

seule réticence suffit donc à mettre en échec le projet de texte. Mais il faut être présent et
voter contre, car « l’abstention ne fait pas obstacle à l’adoption des actes uniformes »11. De
cette façon les Etats se sont ménagés une voie pour préserver la pérennité de l’institution. Car
si la règle majoritaire devait prévaloir dans un système où les réserves ne sont pas admises,
on peut craindre qu’à défaut de pouvoir satisfaire certaines exigences impératives, certains
n’optent pour le retrait de l’institution.12

2è)-- Les contraintes économiques des Etats justifient l’inopportunité d’un parlement
.
Si les critiques consistant à percevoir le Conseil des ministres de l’OHADA comme
un organe ayant confisqué les prérogatives des parlements est concevable sur le plan
théorique, l’option des promoteurs de l’OHADA n’est pas moins une solution réaliste
S’ils n’ont pas cédé au mimétisme qui les aurait conduit à la mise sur pied d’un
parlement,13 c’est sans doute aussi pour tenir compte de certaines réalités de l’action
législative en Afrique
Au surplus l’absence d’un parlement ne peut être considérée comme une
entorse dommageable, à la souveraineté des Etats ou au principe de la séparation des pouvoirs
étant donné les limitations énoncées dans le traité.
. On eût fait preuve d’un dogmatisme juridique anachronique et porteur de difficultés
financières inutiles si, faisant fi de la réalité de la situation économique des Etats, l’on s’était
évertué à vouloir transcender la distribution des compétences telle qu’elle est définie dans les
constitutions des Etats à l’échelle communautaire dans le seul but de respecter le principe de
la séparation des pouvoirs.
De plus, à observer la réalité de la vie parlementaire dans les Etats, il est aisé de
relever que celle-ci se caractérise en règle générale par une certaine passivité de l’organe
législatif. Dans la plupart des pays- et cela est sans doute inhérent à la jeunesse des
démocraties qui y ont vu le jour depuis les années 90, les parlements, initient rarement les
propositions de lois. Au demeurant, du fait de la technicité de certaines matières, le contrôle

11
-Article 8 in fine du traité.
12
-Il est vrai que celle-ci ne peut s’opérer avant 10 ans à partir de l’entrée en vigueur du traité (article 62 du
traité)
13
-Le modèle européen aurait pu les influencer.
13

parlementaire sur les projets gouvernementaux est souvent illusoire. Les députés bien
souvent n’y apportent que des amendements de pure forme.14
Dans ces conditions, confier à des membres de l’exécutif un pouvoir législatif à
l’échelle communautaire ne mérite guère « une levée de bouclier ». Au surplus, s’il fallait
s’engager, pour respecter le principe, dans des élections de membres d’un parlement de
l’OHADA, il n’est pas démontré que les considérations développées en théorie, qui consistent
à faire valoir que l’élu, du fait de la légitimité dont il est investi, représente et défend mieux
les intérêts des citoyens, sont une vérité immuable. Qui pourrait soutenir sans risque d’être
démenti qu’un député défend nécessairement mieux les intérêts nationaux qu’un ministre,
alors que l’on sait que c’est presque toujours les membres de l’exécutif qui concluent les
conventions internationales, les parlements se bornant à les ratifier presque de manière
mécanique, au nom du respect du formalisme constitutionnel ? .

Au-delà de toutes ces constatations qui militent en faveur de l’atténuation des


critiques faites au système législatif de l’OHADA, il est une autre réalité qui va dans le même
sens. Il s’agit du financement des charges liées aux institutions de l’OHADA. La plupart des
pays membres traversent une crise économique et financière qui commande aux Etats de faire
l’économie des structures budgétivores. Un parlement de l’OHADA serait une charge
supplémentaire démesurée par rapport à l’importance de l’action législative qui se résumerait
à quelques actes uniformes ponctuels.15

Il faut donc louer le refus du mimétisme et du dogmatisme des promoteurs de


l’OHADA, quand on sait surtout que le transfert de souveraineté qu’implique l’organisation,
ne touche qu’une infime partie des prérogatives des parlements. Au demeurant les matières
abordées ne font pas partie des questions que les députés considèrent comme étant de
première importance pour s’offusquer de ce qu’elles ont échappé à leur contrôle. 16 S’il est
besoin de le prouver, on pourrait bien se demander pourquoi l’activité commerciale de la
plupart des pays africains est demeurée, après plus de trente années d’indépendance sous le

14
-Dans l’exemple du Niger, les projets de lois consacrant respectivement les différents livres du nouveau
code de commerce (celui-ci en compte quatre) soumis à l’examen du parlement, n’ont fait l’objet que de
quelques rares amendements mineurs.
15
-Le problème du financement de l’OHADA qui reste déterminant pour sa viabilité, fait dire à André AYOHO(
rapporté par Marie France BAUD, dans l’article « Zone franc, un cadre juridique commun » dans
l’hebdomadaire Jeune Afrique N° 1985, du 26 janvier au 1er février 1999, p.69, que l’OHADA « ne réussira que
si les institutions qui l’animent ne sombrent pas dans l’indigence »
16
- Il en serait ainsi des questions budgétaires et fiscales ou encore celles liées à la défense et la sécurité.
14

régime des lois datant des années 1800, au vu et au su des différents parlements qui se sont
succédés au fil des décennies.17
En tout état de cause, les parlementaires conservent encore une main mise sur le droit
des affaires dans leurs pays respectifs, si tant est que le droit des affaires restent un sujet de
préoccupation des différents parlements.

B-Les limites du transfert de compétence au Conseil des ministres

Le dessaisissement des parlements nationaux au profit du Conseil des ministres est


réduit dans sa portée à deux points de vue :
D’abord du fait des limites du droit harmonisé qui demeurent floues, ensuite parce que
les députés ne sont pas en réalité interdits de légiférer dans le domaine du droit des affaires.

1è) - Incertitudes sur les limites du droit des affaires.

Il est très facile d’affirmer que le traité de l’OHADA n’opère un transfert de


compétence aux institutions communautaires qu’à propos du droit des affaires. Mais la lecture
de ce texte laisse perplexe quant à la détermination des matières que recouvre cette
terminologie. La notion de « droit des affaires » telle qu’envisagée par le traité est plus vaste
que le contenu de la matière telle qu’on a l’habitude de l’appréhender dans les manuels de
droit. On y voit souvent que le droit commercial en parlant de droit des affaires.

Si le traité de l’OHADA porte sur le droit des affaires, il ne le définit pas. Les
limites du droit harmonisé restent très flexibles.
. L’article 2 qui donne la liste des matières entrant dans le domaine du traité n’est pas
exhaustif. Il vise particulièrement « l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au
statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et voies
d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au
droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des
transports » Mais il se termine par une formule qui ouvre la porte à l’élargissement de la
matière en ajoutant que « toute autre matière que le conseil des ministres déciderait » d’y

17
-Beaucoup de pays ont évolué sous le régime défini par le code de commerce de commerce de 1807 jusqu’à
une date récente. Les réformes lorsqu’elles sont intervenues, l’ont parfois été à l’instigation des partenaires
extérieurs qui exigent l’assainissement du cadre juridique.
15

inclure peut être considérée comme faisant partie du droit des affaires à harmoniser. , pourvu
que celle-ci soit conforme à l’objet du traité.18
A cette source d’incertitude, s’ajoute une autre. Le droit des affaires tel qu’envisagé
par l’OHADA, a nécessairement des liens avec d’autres matières tel le droit civil, et la
procédure civile. Cette dernière matière étant déjà abordée dans l’acte uniforme sur les voies
d’exécution. Dès lors les députés continueront certainement encore d’intervenir dans les
matières relevant du droit des affaires, dans la mesure où le droit harmonisé ne couvre pas
pour l’instant l’intégralité du champs de toutes ces matières adjacentes.

2è)- La compétence résiduelle des parlements nationaux.

Le droit harmonisé des affaires on le sait, a seulement une primauté sur le droit
national. Le traité n’enlève pas aux parlements nationaux le droit de continuer à légiférer.
Mais les lois antérieures aux actes uniformes, comme celles qui viendront à être promulguées,
lorsqu’elles sont en conflit avec les actes uniformes ne sauraient être invoquées. Elles sont
frappées de caducité.19
Les parlements conservent donc une compétence que l’on peut qualifier de résiduelle
ou de subsidiaire, dans la mesure où leur pouvoir décisionnel se trouve seulement limité par
les actes adoptés par le conseil des ministres de l’OHADA.20 La reconnaissance à cet organe
d’un pouvoir législatif en matière de droit des affaires laisse encore toute la latitude aux Etats
pour édicter des normes dans le domaine du droit des affaires, à la seule condition que celles-
ci ne soient pas en contradiction avec le droit harmonisé.

Les parlements nationaux continueront également d’intervenir sur les points de droit
que le traité ou les actes uniformes laissent à la compétence des Etats bien que faisant partie
du droit des affaires. Il en est ainsi de la fixation des peines applicables à certaines infractions
pénales définies par les actes uniformes.

18
-Selon les termes de l’article premier du traité, celui-ci a pour objet « l’harmonisation du droit des affaires
dans les Etats parties, par l’élaboration et l’adoption de règles communes, simples modernes et adaptées à la
situation de leurs économies, par la mise en œuvre de procédures judiciaires appropriées et par l’encouragement
au recours à l’arbitrage pour le règlement des différends contractuels »
19
-La primauté du droit harmonisé rappelle celle du droit communautaire européen. Cette primauté réaffirmée
depuis l’arrêt COSTA( CJCE arrêt du 15 juillet 1964, Recueil de la Cour de justice et du tribunal de première
instance 1964, p.1141) opère à l’égard du droit national antérieur et postérieur. Sur la question voir Joël Rideau,
op ; cit.
20
- Pour plus de précision sur cette question cf. infra III
16

On pourrait citer également, entre autres, les cas de renvois à la loi nationale relevés
parfois dans les actes uniformes. Pour ne citer que cet exemple, l’acte uniforme sur les voies
d’exécution renvoi à la loi interne pour la détermination des biens réputés insaisissables.
(Article 51)
Dans le même ordre d’idées les règles relatives aux effets de commerce, tout en
faisant partie du droit des affaires sont fixées par un autre droit uniforme, celui édicté par
l’UEMOA.21
L’on sait également que certains actes uniformes laissent hors de leur champ
d’application certaines entreprises. Il en est ainsi par exemple de l’acte uniforme sur les
sociétés qui dispose que les sociétés soumises à un statut particulier demeurent sous
l’empire des règles qui leurs sont spécifiques.22
Cette compétence résiduelle des parlements n’est d’ailleurs pas sans incidence sur la
distribution de compétences entre les organes judiciaires des Etats membres et la CCJA..

II-La supranationalité judiciaire

Partant de l’idée que toute harmonisation du droit serait vaine sinon vidée de son sens
si les juridictions nationales pouvaient avoir chacune sa propre compréhension des actes
uniformes, ou même du traité, l’acte fondamental de l’OHADA répond au souci de
sauvegarder la logique du système en instituant une « Cour commune de justice et
d’arbitrage ». « Un droit uniforme appelle une jurisprudence uniforme » disait M. De
LAFOND.23 Les compétences de cette juridiction mettent parfaitement en exergue la
spécificité de son caractère supranational (A). Cette supranationalité qui s’est traduite par la
dévolution de certaines attributions traditionnelles des juridictions suprêmes nationales à la
juridiction commune n’est pas sans soulever des difficultés qu’il convient d’examiner. (B)

A-Compétence de la cour commune de justice et d’arbitrage

21
- Ainsi que nous l’avions déjà relevé, le droit uniforme de l’UEMOA est consacré par les lois internes de
chaque Etat partie.
22
- Article 916
RIDEAU, manuel de droit institutionnel de l’Union et des communautés européennes, 2è édition LGDJ, Paris
1996, spécialement p. 742 et s.
23
-Tristan Gervais de LAFOND, Le traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, gaz. Pal. 20’
21 septembre1995, p2
17

La Cour commune de justice et d’arbitrage, composée de sept juges élus par le Conseil
de ministres de l’OHADA a pour attributions fondamentales le règlement du contentieux né
de l’interprétation du traité de l’OHADA ou de l’application des actes uniformes. Elle
intervient également en matière d’arbitrage sans être elle-même une juridiction arbitrable.24
De ces attributions, celle relative à l’application des actes uniformes retiendra
particulièrement notre attention dans le cadre de cette analyse portant sur la supranationalité
de l’institution. C’est en effet à l’égard du contentieux né de l’application des actes uniformes
que l’on appréhende mieux la suprématie de son autorité. sur les juridictions nationales.
Il faut relever cependant que la CCJA peut intervenir à titre consultatif pour
l’interprétation des actes uniformes.25 Mais les discussions que peut soulever cette question
au regard du débat sur la supranationalité ne nous paraissent pas fondamentales.
En retenant ainsi la dimension supranationale de la fonction contentieuse comme
point focal d’analyse, on peut mettre en exergue la spécificité de l’ordonnancement
judiciaire de l’OHADA (1è) avant de démontrer par la suite, que cette supranationalité, à
l’instar de celle de l’organe politique de l’OHADA, ne laissera pas pour autant dans
l’inactivité totale, les juridictions suprêmes des Etats en matière de droit des affaires. (2è)

1è)-La supranationalité dans la fonction contentieuse

En tant que juridiction de cassation la CCJA est régie par une procédure particulière.
Lorsqu’elle casse une décision d’une juridiction nationale du fond elle ne renvoie pas. Elle
évoque et statue au fond. Ses arrêts ont autorité de chose jugée et force exécutoire dans les
Etats parties au même titre que les décisions des juridictions nationales.

Les juridictions nationales de cassation se voient ainsi déchargées de leur compétence


traditionnelle en matière de droit des affaires.
Mais pour mieux rendre compte de la dimension supranationale de la CCJA il
convient d’apporter deux précisions :
-d’une part les juridictions nationales de cassation lorsqu’elles sont saisies doivent
suspendre l’examen de la question qui leur est soumise si leur incompétence est soulevée par

24
- Sur la question voir Roland AMOUSSOU-GUENOU, l’arbitrage dans le traité relatif à l’harmonisation du
droit des affaires en Afrique (OHADA), in RDAI / IBLJ n°3, 1996 p321 et s.
18

un plaideur. L’article 16 du traité est assez explicite à cet égard : « La saisine de la Cour
commune de justice et d’arbitrage suspend toute procédure de cassation engagée devant une
juridiction nationale contre la décision attaquée ». « Une telle procédure ne peut reprendre
qu’après arrêt de la Cour commune de justice et d’arbitrage se déclarant incompétente pour
connaître de l’affaire ».
- d’autre part, si elles s’obstinaient malgré tout à rendre une décision, celle-ci serait « nulle et
non avenue » si la Cour commune venait à les déclarer incompétentes.26
A la lumière de ce dispositif, il apparaît que si les juridictions nationales ont au
premier et second degré du contentieux la liberté d’interprétation des actes uniformes, le rôle
unificateur de la CCJA devrait garantir aux plaideurs une certaine sécurité juridique.
L’expertise des juges s’y prête, et leur éloignement de leur milieu social et politique apparaît
comme source supplémentaire d’indépendance dans une société où les contraintes socio-
politiques perturbent souvent le fonctionnement normal de la justice.
Ces avantages ne doivent pas faire oublier les craintes légitimes des plaideurs au
regard de la procédure de la CCJA.
D’aucuns redoutent qu’elle soit une source de dilatoire et de lenteur supplémentaire
de la justice dans le contentieux relatif au droit des affaires. On s’inquiète parfois de
l’éventualité d’une floraison d’un contentieux sur le conflit de compétence entre les
juridictions nationales de cassation et la CCJA
On pourrait également s’interroger avec raison sur la pertinence de la manière dont le
traité en son article 18. envisage le règlement du conflit de compétence entre les juridictions
nationales de cassation et la Cour commune Tout donne à penser que dans l’esprit des
rédacteurs du traité une résistance des juridictions nationales de cassation peut et doit être
envisagée. Sinon, on ne voit pas pourquoi une Cour suprême persisterait à trancher alors que
son incompétence est soulevée par un des plaideurs, et rendre sa décision, sachant que la
Cour commune est saisie de la question.
Même si une décision confirmant la compétence de la juridiction nationale était
rendue après que cette dernière, en méconnaissance de l’exception d’incompétence soulevée a
déjà tranché le litige qui lui est soumis, la question de la validité de sa décision reste posée.
On peut comprendre cependant la formule modérée du traité au regard de la sanction
qu’appelle une résistance des juridictions nationales à la compétence de la Cour commune,

25
- L’administration des Etats parties comme les juridictions nationales peuvent en effet, demander à titre
consultatif, à être éclairées par la Cour commune, sur un point de droit, dans le cadre de l’application des actes
uniformes( (Art.14 al.2 du traité)
26
-Art 18 in fine du traité.
19

puisqu’il n’y a pas d’autres mécanismes de sanction. Mais on ne voit pas raisonnablement
pourquoi les juridictions nationales qui n’ont en principe aucun intérêt direct dans le procès
s’insurgeraient contre la croyance légitime d’un plaideur à leur incompétence.27 Le procès en
matière de droit des affaires est avant tout l’affaire des parties et non celle du juge. On
pourrait cependant parfaitement concevoir que celui-ci puisse vouloir faire justice à l’une
des parties dans l’hypothèse où il apparaît à ses yeux que l’exception d’incompétence
soulevée ne l’a été que dans un but purement dilatoire.
Il est d’ailleurs à craindre que la saisine de la Cour ne soit faite le plus souvent qu’à
des fins dilatoires, quand on sait que malgré cette apparence de transfert de compétence, la
pratique pourrait bien conférer aux juridictions nationales un rôle prépondérant, là où elles
sont censées conserver des fonctions résiduelles.
.
2è)- La fonction résiduelle des juridictions nationales de cassation.

Si le traité est clair sur le transfert de compétence des juridictions nationales de


cassation au profit de la CCJA pour tout ce qui est du contentieux découlant de l’application
du droit harmonisé des affaires, en pratique ce transfert ne peut s’opérer que par la volonté
des plaideurs ou des juridictions nationales. Certes les articles 14 et suivants du traité de
l’OHADA prescrivent la compétence de la Cour commune ; mais cette juridiction ne peut se
saisir d’office d’une affaire. Elle doit être saisie soit par une partie, par voie de saisine directe
en cassation, soit sur renvoi d’une juridiction nationale saisie et se déclarant incompétente,
soit à l’initiative d’un défendeur ayant soulevé l’incompétence d’une juridiction nationale.
Cette dernière pouvant du reste adopter deux attitudes dans ce dernier cas de figure : surseoir
à statuer jusqu’à la décision de la Cour commune se prononçant sur sa compétence ou refuser
de surseoir à l’examen de l’affaire au risque de voir sa décision déclarée nulle et non avenue
dans l’hypothèse où sa compétence est refusée. Quid de l’efficacité de la décision rendue dans
ces conditions, si la compétence venait à être confirmée par la Cour commune. ?

Il suffit donc que dans un contentieux impliquant l’application du droit harmonisé, les
plaideurs portent leur recours en cassation devant les juridictions nationales et que celles-ci

27
Nous convenons cependant que certaines situations vécues au Niger justifient certaines craintes. L’on a encore
à l’esprit la résistance des juges nigériens à l’application du code CIMA (Conférence Internationale des Marchés
d’Assurances). Certains s’étaient arrogés le droit de combattre, par le refus d’appliquer la loi, l’injustice qu’ils
voyaient dans le système d’indemnisation des victimes d’accident de circulation consacré par le code dans son
20

se reconnaissent compétentes, pour que le litige prenne une dimension nationale. ; comme s’il
s’agissait d’appliquer le droit interne. Depuis deux ans que les actes uniformes sont entrés en
vigueur la Cour commune n’a encore rendu aucune décision. On pourrait parfaitement se
demander si la pratique n’a pas choisi de préférer la voie des juridictions nationales au
détriment de la Cour commune. Certes deux ans ne suffisent pas toujours pour épuiser le
contentieux devant les juges du fond. Il en faut encore davantage pour mesurer l’engouement
pour la Cour commune. Mais l’on sait après avoir entendu la voix des avocats, que certains
voient déjà dans le fait de devoir plaider à ABIDJAN, une source supplémentaire de
complication et d’aggravation du coût de la justice, même si le contentieux en cassation
devant la Cour commune reste une procédure essentiellement sur pièce. Cette incertitude dont
l’issue dépendra surtout de l’attachement des juridictions et des praticiens du droit à la
construction et l’homogénéité d’un droit harmonisé est doublée d’une autre qui elle est
d’ordre technique. C’est celle liée à la détermination de la compétence rationae materiae des
juridictions nationales s’agissant du droit des affaires.

B-Problématique du transfert de compétence à la Cour commune

L’article 14 qui fixe la compétence ratione materiae de la Cour commune vise entre
autres les questions touchant à l’interprétation et l’application des actes uniformes. Mais cette
précision ne suffit pas à lever toute équivoque sur les limites du contentieux relevant
exclusivement de la cour commune et celui relevant des juridictions nationales. La confusion
découle des limites mêmes du droit des affaires.
En effet les litiges susceptibles d’être portés devant les juridictions n’impliquent pas
nécessairement une seule norme. Un plaideur peut parfaitement invoquer à la fois un acte
uniforme et une autre disposition de droit interne, relative aux matières définies comme
relevant du droit des affaires ou non. Le droit uniforme peut même être invoqué de façon
subsidiaire. Devrait-on dans ce cas de figure décider que le recours en cassation doit
nécessairement être porté devant la Cour commune ou doit-on au nom de la subsidiarité du
droit harmonisé reconnaître la compétence à la juridiction nationale de cassation ?
L’hypothèse pratique peut être traduite par un recours en cassation comportant plusieurs
moyens et dont l’un s’appuie sur un acte uniforme.

barème. Les circulaires du Ministre de la justice appelant les juges à appliquer le nouveau code n’ont pas suffit
pour faire plier les juges.
21

Bien plus, on peut s’interroger sur la compétence de la Cour commune lorsqu’une


matière est régie à la fois par une loi nationale et un acte uniforme, dans les termes, non
contraires. L’exemple se présenterait facilement pour les pays disposant d’une législation
récente en matière de droit des affaires. C’est le cas au Niger où le nouveau code de
commerce, spécialement les derniers livres adoptés (le livre III et IV) tiennent largement
compte de ce qui n’était à l’époque de leur élaboration que des projets d’actes uniformes. En
pareille hypothèse les plaideurs disposent finalement d’une option entre le droit interne sur la
base duquel ils peuvent fonder leurs moyens et introduire leur recours devant la Cour suprême
ou le droit harmonisé qui peut servir d’appui pour justifier la compétence de la CCJA. Il faut
rappeler ici que le traité n’interdit pas aux législateurs nationaux de légiférer en matière de
droit des affaires, il s’oppose seulement à la contrariété entre les normes de droit interne et
celle du droit communautaire qui restent prépondérantes en cas de conflit.
C’est dire qu’il y a encore à parfaire les règles de compétence entre les juridictions
internes de cassation et la Cour commune. Ce qui peut être fait par des dispositions clarifiant
davantage les solutions qui doivent prévaloir dans les situations que nous évoquions ici.

III-Supranationalité normative

Le droit de l’OHADA est matérialisé -on le sait -par des actes uniformes, véritables
normes supranationales sécrétées par la plus haute instance politique de l’organisation, le
Conseil des ministres. A peine le droit harmonisé entré en vigueur, on commence déjà à
s’interroger sur l’étendue de cette supranationalité normative. La question revient surtout
lorsqu’il s’agit de leur coexistence avec les normes de droit interne. Le nouvel ordre juridique,
tel qu’il découle désormais de l’interrelation entre droit uniforme et droit interne doit être
envisagé sous deux angles : celui de la cohabitation pacifique d’une part (A) et celui de la
cohabitation conflictuelle entre les deux catégories de normes d’autre part. (B).

. A-La cohabitation pacifique entre les actes uniformes et le droit national

Ainsi que nous l’avions déjà précisé, l’existence d’un acte uniforme dans une matière
donnée ne fait pas obstacle à ce que les législateurs nationaux continuent de légiférer dans le
même domaine. Il n’y a certes aucun intérêt à promulguer des lois là où il existe déjà un acte
uniforme s’il s’agit simplement de reprendre le texte dans les mêmes termes.
22

Une cohabitation pacifique doit s’entendre ici de l’existence de deux sources parallèles
régissant les mêmes situations. Elle résultera donc surtout de la survivance de certaines lois,
préexistant à un acte uniforme ou postérieures à celui-ci, mais qui ne lui sont pas contraires.

L’hypothèse où l’acte uniforme autorise les législateurs nationaux à légiférer sur des
points particuliers qu’il laisse à leur compétence ne doit pas être prise en compte en
l’occurrence, puisqu’elle suppose que le législateur OHADA se soit abstenu d’édicter des
normes communes.
.
Dès lors qu’il n’y a pas contrariété, on devrait admettre que les plaideurs puissent
invoquer indifféremment l’une ou l’autre norme.
Il est vrai que cette solution est de nature à ouvrir la voie à des contentieux portant
sur l’identité des normes, pour peu qu’il existe quelques rajouts ou quelques retraits de mots
dans la rédaction de l’une ou l’autre des normes. Or cette différence rédactionnelle n’entraîne
pas nécessairement contrariété.

Sans prétendre épuiser toutes les hypothèses, on pourrait considérer qu’il y a


contrariété lorsqu’une interdiction, une obligation ou une permission est consacrée par un acte
uniforme sans qu’il en soit ainsi dans le droit interne ou vice versa.
Plus subtile serait l’hypothèse d’une simple suggestion ou une simple faculté formulée
dans un acte uniforme alors que la loi interne prescrit une obligation. En pareille hypothèse la
prudence commande sans doute le recours aux dispositions de l’article 14 du traité qui
reconnaissent aux juridictions nationales et à la l’administration la possibilité de saisir à titre
consultatif la Cour sur les difficultés liées à l’interprétation et l’application des actes
uniformes.
La cohabitation pacifique pourrait également résulter du silence des actes uniformes
sur certaines questions relatives au droit des affaires. Les législateurs nationaux restent libres
de prescrire les dispositions de droit interne qui leur paraissent utiles, malgré le lien avec
d’autres matières objet d’actes uniformes ou même avec d’autres normes de droit
international. Il n’y a pas à proprement parlé cohabitation dès lors que les mêmes points de
droit ne sont pas abordés concomitamment par le droit harmonisé et d’autres normes. On
pourrait prendre l’exemple du droit des procédures collectives où le législateur OHADA, tout
en faisant du syndic la « cheville ouvrière » de la procédure n’énonce aucune mesure relative
à la réglementation de la profession. Celle-ci demeure pourtant une réglementation
23

complémentaire nécessaire à l’efficacité des procédures collectives et pour laquelle un acte


uniforme s’imposait.
Un ordre juridique tel celui qui résulte de la cohabitation comporte pour le justiciable
un avantage. Celui de choisir entre la juridiction communautaire et la juridiction nationale de
cassation.. Mais il a l’inconvénient des incidents de procédure liés surtout à la résolution des
problèmes de contrariété. ; laquelle soulève des difficultés quant à sa détermination.

B-La cohabitation conflictuelle entre droit harmonisé et les autres normes

Le conflit entre le droit harmonisé et les autres normes applicables dans les Etats
parties peut résulter de l’incompatibilité entre les dispositions d’un acte uniforme et les règles
de droit interne d’une part, et d’autres normes de droit international d’autre part.

B-1) - Conflit entre droit harmonisé et normes de droit interne.

D’emblée il convient d’indiquer que par normes de droit interne -il faut entendre aussi
bien les règles écrites que les règles non écrites (usages ou coutumes.) Le traité lui-même ne
distingue pas d’ailleurs entre droit écrit et droit coutumier. L’article 10 parle de « disposition
de droit interne antérieure ou postérieure ».
Cette acception permet de tenir compte de la réalité du droit des affaires qui est une
matière faite de normes écrites et autres usages non écrits.28
Les dispositions d’un acte uniforme peuvent être en conflit avec l’une ou l’autre des
normes
1è) -Contrariété avec la lettre d’une norme écrite
Elle est plus ou moins facile à cerner selon qu’elle apparaît à la lecture de la lettre de
la loi ou qu’il faille remonter à son esprit. Dans un cas comme dans l’autre il se pose toujours
la question de la détermination de la portée abrogative de l’acte uniforme.

* -Caractérisation de la contrariété

28
-Il est vrai que l’on a parfois incorporé dans les codes des usages non écrits sous prétexte de prise en compte
des réalités nationales. Tel est le cas dans le nouveau code de commerce nigérien ou l’on a introduit des
institutions locales consacrées par des usages locaux. L’exemple du « tolmé ou djinguina » sorte de gage, art.
746 ou du « dilali » qui est un intermédiaire de commerce. (Art.501 et s.)
24

Une norme écrite de droit interne (loi ou décret) peut être contraire aux dispositions
d’un acte uniforme parce que les prescriptions respectives des deux textes sont manifestement
incompatibles. La solution du conflit est donnée par l’article 10 du traité (précité) qui
consacre la suprématie du droit harmonisé sur le droit interne, sans qu’il y ait lieu d’ailleurs
de distinguer entre norme impérative et supplétive, puisque le traité n’introduit pas cette
distinction.
. De cet article on en déduit que les actes uniformes ont valeur supra légale, puisqu’ils
29
l’emportent sur les règles de droit interne ; qui relèvent de la compétence du législateur.
Cette nouvelle hiérarchie des normes voudrait désormais que l’on place entre le traité et les
lois internes, les actes uniformes..
Il reste que si l’on prend en compte les dispositions constitutionnelles des Etats
source première de Droit pour la fixation de cette hiérarchie, l’on est conduit inévitablement à
s’interroger sur la nature juridique exacte d’un acte uniforme.
En prenant pour repère la Constitution nigérienne de la 4è République qui n’est pas
différente sur ce point des dispositions des autres Etats, son article 12 énonce que « les traités
ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des
lois.... » On sait alors qu’au dessus des lois il y a les traités. Mais Les actes uniformes ne sont
pas des traités. Ils y sont plutôt issus. Dès lors, en tant que normes dérivées, ils ne sauraient
avoir la même valeur juridique..
Si l’on peut donc avec certitude affirmer que le traité de l’OHADA a valeur supra
légale, et en dire autant des actes uniformes., l’on est inévitablement conduit à y voir une
norme internationale intermédiaire se situant dans la hiérarchie des actes juridiques entre le
traité et la loi.
Cette interprétation s’impose d’autant plus que les actes uniformes, tout en ayant
valeur supra légale ne sont soumis à aucune procédure de ratification à l’instar des traités et
ne sont pas non plus l’objet d’un contrôle de conformité aux constitutions des Etats membres
de l’OHADA qui ne font pas pour l’instant, référence à cette catégorie d’acte s juridiques.
Le fait qu’ils interviennent dans les matières relevant du domaine de la loi n’est pas
un argument suffisant pour leur donner la même force juridique.- Ce serait dénier la
suprématie que leur confère le traité de l’OHADA. On ne peut non plus prendre appui sur ce
prétexte pour les assimiler à la loi et les soumettre au contrôle de constitutionalité qui est
systématique a priori pour certaines d’entre elles, dans la mesure où la Constitution ne vise

29
- cf. supra première partie.
25

que les traités et les lois. 30 Du reste les actes uniformes peuvent évincer la loi ou, pour être
plus précis l’abroger. Non pas en vertu du principe d’anéantissement de la règle la plus
ancienne par la règle la plus récente, lorsqu’elles sont de force juridique égale, mais en vertu
des prescriptions du traité qui confèrent une autorité supérieure aux actes uniformes..
S’il est donc une certitude qu’en vertu des dispositions du traité de l’OHADA les actes
uniformes ont valeur supra légale, il reste que la constitution, ignore les actes intermédiaires
entre les traités et la loi interne. Les considérer comme des « accords » au sens de la
constitution reviendrait à les soumettre au même régime que les traités au regard des
procédures internes qui conditionnent leur entrée en vigueur dans l’ordre interne ce qui n’est
pas l’esprit du traité de l’OHADA..31
Quelle que soit l’issue du débat qui est élevé ici- et qu’on ne peut épuiser dans cet
article- on sait que le législateur OHADA, au-delà des dispositions générales du traité qui
fixent la place des actes uniformes dans la hiérarchie des normes, a donné à chaque acte
uniforme sa portée abrogative.. Parfois en des termes qui sont sources d’incertitudes sur les
limites des textes abrogés. Tel est le cas par exemple de l’acte uniforme sur les procédures
simplifiées de recouvrement et voies d’exécution qui dit abroger «32 toutes les dispositions
relatives aux matières qu’il concerne » alors que l’on y dénote des renvois à la loi nationale
sur certaines questions et qu’il est difficile de circonscrire les matières qui ont un lien étroit
avec le domaine qu’il réglemente.

Dans une seconde hypothèse que nous avons envisagée, la contrariété entre l’acte
uniforme et la règle de droit interne peut apparaître non pas dans la lettre des deux textes
mais dans leur esprit.
Lorsque la prescription de la règle de droit interne n’est pas incompatible avec celle
du droit harmonisé, de par seulement l’esprit, il faut conclure également à une abrogation
implicite.
Il reste à s’interroger dans l’une ou l’autre des deux hypothèses sur la portée de
l’abrogation. Le texte de droit interne est -il anéantit dans la limite des seules dispositions
contraires ou dans son intégralité ?

30
- Les règlements aussi peuvent être l’objet de contrôle de conformité à la Constitution en droit positif nigérien
31
- A ce titre ils doivent être soumis au contrôle de conformité à la constitution. et à ratification
En tout état de cause, dans le contexte juridique nigérien qui admet le contrôle de constitutionalité par voie
d’exception, rien n’interdit à un plaideur de soulever l’inconstitutionnalité d’un acte uniforme. La Cour
constitutionnelle (nouvelle juridiction créée par la Constitution de la 5è République au lieu et place de l’ancienne
chambre constitutionnelle de la Cour suprême) sera alors saisie. Mais l’on sait également que la CCJA est
compétente pour tout litige né de l’application du traité ou des actes uniformes.
26

*- Portée abrogative de la contrariété.

La solution traditionnelle tend à considérer que si la contrariété ne ruine pas


l’économie générale du texte l’abrogation doit être limitée aux seules dispositions qui y sont
entachées. Le reste du texte conservant toute sa validité. Dans le cas contraire il faut
considérer que c’est l’intégralité du texte qui se trouve ainsi implicitement anéanti dans
l’ordre juridique interne.
Mais il faut souligner le danger d’une telle solution. Elle laisse le justiciable dans
l’incertitude sur la portée de l’abrogation. Aussi, est-il préférable que cette incertitude soit
prévenue par le législateur lui-même qui doit mener une recherche systématique des
dispositions incompatibles avec le droit harmonisé et les abroger expressément. Ceci pour
éviter que la recherche du droit interne resté en vigueur ne devienne un véritable « parcours
du combattant. » Telle est semble t-il la méthode déjà adoptée par le législateur sénégalais et
qui mérite d’être saluée.

2è)- Contrariété avec les usages et coutumes.


Comme nous l’avions déjà relevé, le droit des affaires, au sens du traité doit être
entendu dans une acception large, pour ne pas dire spécifique. Il touche jusqu’aux matières
civiles ou commerciales dont certaines peuvent, au moins sur des points précis, être régies par
la coutume ou les usages locaux33. Lorsqu’un acte uniforme venait à entrer en contradiction
avec une coutume ou un usage, c’est toujours par le biais de la règle de la hiérarchie des
normes qu’il faut rechercher la solution. Le raisonnement fondé sur la formulation de l’article
10 du traité que nous avions antérieurement développé pour les normes de droit écrit vaut
pour les règles non écrites. La seule difficulté à élucider vient de ce que contrairement aux
règles écrites, où l’on ne peut déceler systématiquement les contradictions et y remédier à
titre préventif, car les coutumes ne sont pas abrogées par une autre coutume. Il est vrai que
l’on peut édicter une règle écrite pour l’interdire et elle cesse ainsi d’être une règle ayant
force obligatoire. Il n’y a pas de procédure d’abrogation expresse d’une coutume par une
autre. Les coutumes sont abrogées insidieusement par l’évolution des comportements et des
idées.

32
-Article 336
33
-Sur « la place des coutumes dans l’ordonnancement juridique nigérien » voir notre article à paraître dans la
revue nigérienne de droit n°001 août 1999 et la revue burkinabée de droit 2è semestre 1999.
27

L’hypothèse qui se présentera donc en pratique est celle de l’invocation d’une


coutume ou d’un usage devant une juridiction qui pourra alors relever son inefficacité en
raison de sa contrariété à une disposition d’un acte uniforme. Il faut insister cependant sur le
fait que le droit harmonisé n’est pas contre la référence aux usages34 et sans doute aussi les
coutumes. La souplesse de certains actes uniformes qui font référence à titre d’instrument de
preuve à « tout moyen laissant trace écrite » donne à penser d’ailleurs que le législateur
OHADA a bien voulu prendre en compte certaines réalités locales, y compris les usages.35
Autant dans l’ordre juridique nigérien par exemple, les usages et coutumes contraires
aux dispositions internes d’ordre public sont inopérants,36 autant lorsqu’ils font entorse aux
dispositions impératives ou non des actes uniformes, ils doivent subir le même sort. Ils
doivent en définitive répondre à une double condition pour survivre. Etre conformes aux
dispositions internes d’une part, et ne pas aller à l’encontre des actes uniformes d’autre part.

B-2- Conflit avec d’autres normes de droit international

Ce conflit n’est pas envisagé dans le traité. L’article 10 se bornant à viser « toute
disposition contraire de droit interne antérieure ou postérieure ». Mais il va de soi que la
question est inévitable. Une ébauche des principes de solution doit être faite en envisageant
deux facteurs de conflit :
-un conflit né de ce que dans un rapport de droit il existe un élément d’extranéité impliquant
l’application du droit harmonisé ou une autre norme de droit international (1è)
-un conflit entre norme de droit international sans aucun élément d’extranéité (2è)
.
1è)- Conflit en raison d’un élément d’extranéité

Il faut préciser d’abord les circonstances potentielles avant d’envisager le principe de


solution susceptible d’être appliqué.

1-Caractérisation de l’élément d’extranéité.

34
-On y renvoie souvent dans l’acte uniforme sur le droit commercial général ; notamment dans les dispositions
relatives à la vente commerciale. , au bail commercial, et aux intermédiaires de commerce.
35
-La référence à « tout moyen laissant trace écrite est faite entre autres aux articles 109, 11è 140 de l’acte
uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution.
36
- Cela découle de l’article 51 de la loi 62-11 du 16 mars 1962fixant l’organisation et la compétence des
juridictions de la République du Niger.
Sur la question, voir notre article « place des coutumes..... » précité.
28

Certains auteurs avant nous ont déjà relevé la difficulté 37et la question a été soulevée
avec pertinence au colloque organisé par le Barreau de Paris 38 L’hypothèse de conflit entre
le droit harmonisé et une convention internationale donnée souvent en exemple et que nous
envisageons ici donne la mesure des insuffisances que comporte le traité de l’OHADA au
regard du traitement du conflit éventuel des lois. De manière plus concrète on peut prendre
en exemple un contrat de vente répondant aux conditions d’application de la convention de
Vienne par exemple, parce que l’un des cocontractants n’évolue pas forcément dans l’espace
juridique de l’OHADA.

*- Principe de solution.
Pareille éventualité laisse apparaître, comme l’ont souligné MM Fénéon et
Delabriere39 une insuffisance de prise en compte des éléments d’extranéité, spécialement
dans le droit de la vente commerciale. Dans la mesure où les parties n’ont pas, par une clause
expresse, placé leur contrat sous le régime du Droit harmonisé, l’on ne pourra pas imposer au
cocontractant dont l’entreprise n’évolue dans l’espace OHADA l’acte uniforme sur le droit
commercial général. Cette situation qui peut être la plus courante en pratique puisque les
échanges entre opérateurs économiques de l’OHADA ne sont pas les plus nombreux, un
correctif allant dans le sens de l’insertion dans l’acte uniforme des « dispositions prévoyant
l’utilisation de la méthode des conflits de lois »40 s’impose.

b)-Le conflit sans élément d’extranéité


L’hypothèse découle de la ratification par un Etat membre de l’OHADA d’un traité
impliquant une réglementation touchant au domaine du droit des affaires. Il n’y a pas de
difficulté si la matière ainsi réglementée dans un cadre communautaire, tout en abordant une
question relative au droit des affaires, n’a pas déjà été traitée dans un acte uniforme.
La question se posera d’ailleurs avec moins d’acuité si le traité d’intégration
n’implique pour sa mise en œuvre que des lois uniformes adoptées par des parlements

37
- A propos de la vente commerciale, M. Alain FENEON et Antoine DELABRIERE, présentation de l’acte
uniforme sur le droit commercial général, Penant (revue de droit des pays de l’Afrique) numéro spécial
OHADA, mai à AOUT 199, p. 136 et s.
38
-Colloque du 25 mars 1999 sur le thème « L ’harmonisation du droit des affaires en Afrique, réalité pratique,
vers un développement du droit positif harmonisé. » Colloque auquel nous avions pris part ; La question avait
notamment été abordée dans la communication de M. Jean François BOURQUE, sur « L’harmonisation dans
l’application des instruments juridiques internationaux ». Plus récemment encore, elle a donné lieu à
d’importants débats lors du séminaire de formation des formateurs de l’ERSUMA Porto novo 10 au 29 mai
1999
39
- précités, op.cit ibid.
40
- idem
29

nationaux. Celles-ci restant au rang de normes de droit interne, ce sont les actes uniformes qui
prévaudront en vertu du principe de leur suprématie sur les lois internes. Le fait qu’elles aient
été promulguées en application d’un traité ne pourrait changer leur nature juridique. Telle est
la solution à envisager par exemple pour régler un éventuel conflit entre l’ordonnance 96-13
du 4 avril 1996 portant instruments de paiement... » prise en application du traité du 14
novembre 1973 instituant l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) et un acte uniforme.

En revanche, la question devient plus délicate lorsque la règle de droit international


qui se trouve être en conflit avec l’acte uniforme, est un traité. IL en est ainsi par exemple des
dispositions du code CIMA41 consacrées par un traité fixant directement les règles applicables
en cette matière. Ce traité subordonne les poursuites en déclaration de cessation de paiements
contre les compagnies d’assurances à la saisine préalable d’une commission. Or l’acte
uniforme sur les procédures collectives d’apurement du passif ne laisse entrevoir aucun
traitement spécial tenant compte de la particularité de certaines entreprises, en ce qui concerne
la procédure d’ouverture du redressement judiciaire ou de la liquidation des biens. Si l’on
devait y voir là une contradiction entre les deux normes internationales,, la solution à un tel
conflit n’est pas dans le traité OHADA. D’aucuns pensent qu’en pareille hypothèse seul le
recours aux règles générales de résolution de conflit entre traités devrait permettre de trouver
une issue. En l’occurrence, on devrait qualifier la situation de succession de traités et donner
force obligatoire à la norme la plus récente. Le raisonnement est juste si l’on considère que
l’Etat en ratifiant le nouveau traité a pu tenir compte de ses engagements antérieurs et les a
ainsi implicitement dénoncés serait-ce partiellement. Mais la difficulté persiste quand on
sait que dans l’exemple de l’OHADA, toute dénonciation du traité est impossible avant dix
ans. , en vertu de l’article 62 de ce texte.

41
-Conférence Internationale pour le Marché d’Assurances.
L’article 325 du traité instituant une organisation intégrée de l’industrie des assurances dans les Etats
africains ( ratifié par le Niger suivant ordonnance 93-02 du 29 janvier 1993 dispose « la faillite d’une société
régie par le présent code, ne peut être prononcée à l’égard d’une entreprise soumise aux dispositions du présent
livre qu’à la requête de la commission de contrôle des assurances. Le Tribunal peut également se saisir d’office
ou être saisi par le ministère public d’une demande d’ouverture de cette procédure après avis conforme de la
commission de contrôle des assurances
Le Président du tribunal ne peut être saisi d’une demande de règlement amiable qu’après avis
conforme de la commission de contrôle des assurances »
S’il est vrai que l’article 916 de l’acte uniforme sur les sociétés commerciales permet à
certaines catégories spécifiques de sociétés de continuer à évoluer sous un régime juridique propre, c’est au
regard du seul droit des sociétés qu’il faut limiter la portée de cet article. Le droit harmonisé des procédures
collectives ne prévoyant pas de traitement spécial, il faut considérer que les personnes morales visées par
l’article 2 de l’acte uniforme s’y rapportant inclue les sociétés d’assurances
30

CONCLUSION.

.Au terme de l’analyse menée ici, qui est loin d’épuiser la question de la
supranationalité de l’institution, il apparaît clairement que l’ordonnancement juridique et
institutionnel né du traité de l’OHADA, s’il a le mérite de la rénovation du cadre juridique et
se propose de créer un cadre judiciaire plus efficace pour le plus grand bien des économies
des Etats concernés, reste comme toute œuvre humaine, à parfaire. On y gagnerait notamment
à revoir la rédaction de certaines dispositions du traité et des actes uniformes, pour clarifier
certaines zones d’ombre qui pourraient compromettre la sécurité juridique, un des objectifs
fondamentaux de l’institution. Ce pourrait être également l’occasion de fixer sans aucune
équivoque la place des normes communautaires dans l’ordonnancement juridique
international, car l’OHADA, en tant que groupement des Etats est certes un ensemble déjà
assez vaste, mais qui ne peut se passer des relations multiformes qui existent de manière
parfois insidieuse entre l’organisation ou les justiciables pris individuellement dans cet espace
juridique, avec les autres institutions régionales et même mondiales.
..

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