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ENJEUX

Réduire les émissions de CO2


en protégeant les forêts :
l’ambition du mécanisme REDD+
La REDD+ (Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation des forêts)
s’est installée dans l’architecture des négociations climatiques comme un des principaux
outils pour réduire les émissions de gaz à effets de serre (GES) liées aux forêts.
Très vite, il est apparu nécessaire de tenir compte d’autres secteurs dans le mécanisme,
notamment l’agriculture. Comment s’est déroulée sa mise en place ? Quels sont les acteurs
impliqués ? Quelle est la prise en compte effective de l’agriculture dans le processus ?
Tour d’horizon des enjeux et illustration en République Démocratique du Congo.

À
l’échelle mondiale, les forêts, et par- (RED) dans les pays en développement se Une constellation
ticulièrement les forêts tropicales, transforme après la COP13, en 2007, en Ré- d’acteurs impliqués
jouent un rôle fondamental dans duction des Émissions due à la Déforestation La mise en place du processus REDD+ re-
le cycle global du carbone. En absorbant le et à la Dégradation (REDD) dans les pays en quiert une multitude d’acteurs : les États,
dioxyde de carbone (CO2) au moment de la développement. La notion de “dégradation” les porteurs des projets REDD+, les struc-
croissance des arbres, elles agissent comme permettant désormais de tenir compte de la tures ayant des outils de méthodologies et
des “poumons de la biosphère”. Elles contri- déforestation de faible ampleur résultant de de certifications, et enfin les acteurs direc-
buent également au stockage du carbone via la coupe sélective du bois, où la forêt initiale tement ou indirectement responsables de
la biomasse, le sol (sous forme de matière est maintenue sur place mais avec une faible la déforestation. Les activités REDD+ se dé-
organique et de minéraux carbonatés), le provision de ses services habituels. D’autres roulent en trois étapes : préparation, mise
bois mort ou encore la litière, c’est-à-dire le éléments seront incorporés par la suite, en œuvre et paiement basé sur les résultats.
dépôt de matière organique morte jonchant aboutissant à la REDD+ en 2008. La compo- La phase préparatoire est caractérisée par la
la couche supérieure du sol. Ce stock de car- sante “+” met l’accent sur la conservation compréhension du processus et sa traduc-
bone des forêts peut évoluer en fonction de des stocks de carbone forestiers, la gestion tion en réalité par les instances nationales
facteurs naturels, comme la mort des arbres durable des forêts et le renforcement des et infranationales (provinciales et locales). La
anciens ou malades, la croissance des autres capacités de stockage de carbone des forêts seconde est supposée faire l’objet de projet
mais aussi de facteurs anthropiques. Ces (notamment via le reboisement et la réhabi- pilote où les mécanismes de paiements pour
derniers se traduisent par une pression sur litation des terres). services environnementaux sont testés, et la
la ressource forestière : la déforestation par dernière phase est celle pendant laquelle le
la pratique de l’agriculture et la construction En marge de la négociation, des efforts ont mécanisme devient pleinement fonctionnel
d’ infrastructures et l’exploitation des bois été faits pour synthétiser la littérature des avec les paiements effectifs.
(œuvre et énergie). Différents mécanismes et travaux sur la déforestation et voir com-
protocoles ont été élaborés à l’échelle inter- ment mieux la caractériser pour en venir Comment est financée la REDD+ ?
nationale pour réduire les émissions de C02, à bout. Le cadre logique qui en résulte se Le financement du mécanisme se veut à la
et agir sur le changement climatique par at- doit d’appuyer les pays à mieux définir les fois public et privé et implique des acteurs
ténuation (p. 5), c’est le cas de la REDD+. causes directes et indirectes du phéno- nationaux et internationaux. Depuis 2008,
mène, et l’agriculture apparaît, notamment plus de cinq milliards de dollars ont été en-
Protéger les forêts, au-delà du potentiel de en Afrique centrale comme un des facteurs gagés pour les fonds multilatéraux finançant
réduction des émissions globales est aussi majeurs. À ce jour, 55 pays ont inclus des ac- la REDD+, dont 26 % ont été alloués à l’Afrique
nécessaire pour assurer la pérennité d’une tivités REDD+ dans le cadre de leurs contri- sub-saharienne. Aujourd’hui, de plus en plus
multitude de services environnementaux butions déterminées au niveau national et des projets financés par les fonds multila-
indispensables à la réalisation des droits le mécanisme est reconnu par l’Accord de téraux soutiennent à la fois l’adaptation et
humains. En effet, en plus de leurs fonctions Paris comme fort potentiel pour l’atténua- l’atténuation, de sorte que beaucoup d’entre
régulatrices et productrices, ce sont aus- tion. Initialement RED était un outil simple eux ne sont pas spécifiquement étiquetés
si des espaces d’habitations, des espaces de calcul de bilans Co2 des forêts qui per- “REDD+”, ceci explique une baisse notable
culturels, esthétiques, des lieux associés à mettait d’obtenir des incitations financières des fonds à partir de 2019.
l’histoire des sociétés, à leurs spiritualités et suite à des efforts fournis, via les marchés
à leurs cultes. du carbone. Depuis son lancement, le méca- En Afrique sub-saharienne, le plus gros bé-
nisme qui se concevait comme simple, peu néficiaire du financement total de la REDD+
De RED à REDD+ cher et facile à mettre en œuvre, s’est beau- est la République démocratique du Congo
Lancée en 2005 lors de la COP11, la Réduc- coup transformé et se révèle plus complexe (RDC), pour laquelle le montant de projets
tion des Émissions dues à la Déforestation qu’ initialement prévu. approuvés a atteint 263 millions de dollars. Le

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pays a d’ailleurs été le premier du continent qu’offrent les terres forestières nouvellement du coton, des céréales, des légumineuses à
à se munir d’un mécanisme REDD+, dès 2009. défrichées ou des jachères forestières de graines. Les zones d’altitude ont un climat
L’enjeu est très important : la RDC est respon- longue durée. La pression foncière générée relativement tempéré propice aux cultures de
sable de plus de 60 % de la forêt du Bassin du par la forte croissance démographique et la café, de thé, à l’élevage, etc.
Congo, deuxième massif forestier du monde faible productivité ainsi que par la demande
après l’Amazonie et premier “poumon de la mondiale pour des produits comme le cacao, L’agriculture de la RDC est majoritairement
planète” en matière de séquestration car- l’huile de palme, le coton, le caoutchouc, ou caractérisée par une productivité extrême-
bone. Il couvre 270 millions d’hectares et le le café ont eu pour effet d’accroître sensible- ment faible, des coûts de commercialisation
rythme de déforestation, bien que croissant, ment la pression sur les forêts. exorbitants et des marchés quasi inacces-
est évalué à 3 % par an. Les principaux parte- sibles. Le transport fluvial est utilisé par
naires financiers de la REDD+ en RDC sont au- La nécessité de promouvoir de nouvelles intermittence, en fonction du niveau des
jourd’hui le Congo Basin Forest Fund (CBFF), pratiques agricoles est aujourd’hui largement eaux. Les capacités limitées de stockage et
le Forest Carbon Partnership Facility (FPCF), le partagée, mais cela continue de poser de de traitement empêchent les agriculteurs
programme ONU-REDD, l’Union européenne, nombreux défis. Tenir compte de l’ensemble d’attendre la saison sèche pour accéder aux
le Programme d’Investissement Forestier (de des facteurs directs et indirects est donc né- marchés et écouler leurs produits. Les mau-
la Banque mondiale), ainsi que le Central cessaire pour adapter les plans de réponses vaises infrastructures et les difficultés admi-
African Forestry Initiative (CAFI, co-financé et les mécanismes tels que la REDD+ de façon nistratives (notamment la prolifération des
par plusieurs bailleurs sous le leadership de efficiente. barrages routiers) constituent des obstacles
la Norvège). Plus de dix ans après la mise en majeurs au développement commercial.
place de REDD+, les résultats sont plus que REDD+ en RDC :
mitigés. Pour assurer une mise en œuvre ef- des tentatives de réponses Mais l’agriculture ne bénéficie que de moins
ficace de la REDD+, il est nécessaire d’avoir aux enjeux du secteur agricole de 2 % du budget de l’État et est confrontée au
une compréhension des relations complexes En RDC, près de 70 % de la population active manque d’infrastructures de base, d’organisa-
entre les causes de la déforestation et de la est employée dans l’agriculture. Le potentiel tion de producteurs, de financement des agri-
dégradation des forêts, les agents et institu- agricole du pays qui est colossal est pour l’ins- culteurs et des activités de transformation.
tions à l’échelle nationale. tant largement sous-utilisé : sur les 80 millions
d’hectares (ha) de terres arables (au sein des- Des alternatives
L’agriculture en cause quels sont comprises les forêts), seuls 9 à 10 % parfois impopulaires
Les rapports provenant de la majorité de pays sont actuellement cultivées. La grande diversi- Les projets REDD+ ont considéré l’agriculture
engagés dans le processus REDD+ désignent té agro-climatique, l’abondance et la régulari- itinérante sur brûlis comme une utilisation
l’agriculture comme principal moteur de la té des pluies, et la présence d’eaux de surface non durable des terres. Ainsi le Plan d’Inves-
déforestation. En Afrique centrale, comme en grande quantité permettent en théorie une tissement REDD+ de la RDC vise à examiner
dans de nombreux pays tropicaux, une production très diversifiée. La cuvette centrale et à appuyer les modalités pour réduire la
bonne partie des activités agricoles s’opère offre des conditions climatiques favorables à déforestation et à mettre en valeur les sa-
dans les marges forestières, notamment sous la culture du palmier à huile, de l’hévéa, du vanes. Pour ce faire, il faut appuyer de ma-
forme d’agriculture itinérante sur brûlis, qui café, du cacao, de la banane et du manioc. Les nière adaptée et spécifique l’évolution des
permet de profiter de la fertilité naturelle zones de savanes sont favorables à la culture systèmes de culture.

Facteurs directs et indirects de la baisse de la couverture forestière en RDC en 2018

L'AGRICULTURE L'UTILISATION DU BOIS L'EXPLOITATION


FACTEURS • Agriculture itinérante sur brûlis • Production de charbon de bois MINIÈRE
• Agriculture permanente • Exploitation illégale
DIRECTS • Exploitation industrielle de bois d’œuvre
Source : MEDD (2018), tel qu’adapté de Geist and Lambin (2001)

Déforestation
LES ASPECTS
INSTITUTIONNELS
LES INFRASTRUCTURES ROUTIÈRES
• Politique
• Gouvernance
• Facilitent l'accès aux forêts et les fragmentent • Guerres
LA CROISSANCE
DÉMOGRAPHIQUE
FACTEURS • Expansion des villes et de leurs LES FACTEURS
infrastructures LES FACTEURS BIOPHYSIQUES ÉCONOMIQUES
INDIRECTS • • Fragmentation forestière et forêts dégradées
Augmentation de la demande • Chômage
en charbon de bois • Accès et exploitation facilités • Pauvreté

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ENJEUX
En termes de développement aussi bien que principe de traçabilité, de transparence et rapide les émissions liées aux forêts. Au-delà
de REDD+, on doit viser une meilleure gestion de contrôle et s’applique à tous les acteurs de l’exemple congolais, il apparaît que 10
de la fertilité du sol permettant un allonge- de la chaîne. Par ailleurs elle est ancrée sur ans après son lancement, le processus s’est
ment des jachères voire une stabilisation la responsabilité des entreprises et prévoit transformé au contact de réalités complexes,
complète au travers d’une bonne gestion des des sanctions en cas de fraude, elle s’appuie impliquant une multitude d’acteurs aux inté-
pratiques agricoles : intégration de l’arbre et sur la définition des concepts de “zéro défo- rêts variés. Les réformes, nécessaires, ont
du petit élevage dans le paysage agricole, uti- restation”, “déforestation importée”, “forêt” et néanmoins été utiles pour permettre aux pays
lisation d’intrants biologiques et de variétés tient compte des contextes sous régionaux et tropicaux de contribuer aux transitions écolo-
améliorées, usage du biochar, gestion des nationaux. giques attendues du secteur forestier et des
itinéraires techniques (promotion d’associa- secteurs rattachés, comme l’agriculture.
tions et rotations adéquates). Des voix s’élèvent pour apporter des critiques :
De telles évolutions ont déjà été expérimen- cette loi ferait fi de la déforestation légale (par
tées et se développent, de façon encore ti- exemple la volonté étatique de transformer
mide : (i) l’agroforesterie en savane ayant son espace forestier pour développer une Denis Jean Sonwa
vocation à favoriser la durabilité de la pro- filière agricole) et pourrait pénaliser collec-
duction agricole et du bois énergie, (ii) le tivement les acteurs des chaînes de valeur
développement des cultures pérennes qui agricoles locaux. Si cette loi est critiquée par
fixent l’agriculture de rente et mobilisent une certains acteurs, comme les privés, pour son
main-d’œuvre plus importante, (iii) le déve- approche, il n’en reste pas moins que la défo-
loppement de l’agriculture vivrière mécani- restation importée est un enjeu notoire de la
sée en savanes aujourd’hui abandonnées et lutte contre le changement climatique. Il reste CIFOR Cameroun
(iv) la diffusion des variétés améliorées sont alors à la mettre en œuvre en considérant les
autant de pistes qui peuvent, moyennant des contextes des pays et les acteurs au cas par
appuis bien ciblés diminuer le tribut payé par cas. Des conséquences économiques impor- Richard Sufo Kankeu
les forêts à l’agriculture congolaise. Concer- tantes devraient survenir pour les pays pro-
nant le développement des cultures pérennes ducteurs (notamment en Afrique centrale) si
en zones forestières, il implique des choix en les acteurs ne s’adaptent par rapidement à ces
matière d’affectation des terres et peut se mutations structurelles : en cas de non-res-
traduire, dans un premier temps, par la perte pect des consignes, les acteurs pourraient voir
de superficies forestières. Mais il peut se faire leurs produits refusés par le marché européen.
également dans les savanes arbustives et les Université du Mans-France
forêts dégradées, sans impact sur les forêts REDD+, un rendez-vous manqué ?
primaires et les vieilles forêts secondaires. Les Depuis 2009, la RDC a annoncé plusieurs
risques devront être clairement analysés avec réformes portant sur le régime foncier, l’amé-
des expérimentations à petite échelle dans un nagement du territoire et la politique agricole, Lisette Mangaza Nondo
premier temps, avant d’augmenter progressi- afin de créer un environnement institutionnel
vement d’échelle si les résultats sont positifs. favorable à la mise en œuvre de la REDD+.
Pourtant, aucune de ces réformes n’a pu se
Cette approche progressive et contextuelle concrétiser, en raison à la fois des change-
est indispensable car certaines alternatives ments politiques mais aussi d’un manque de
proposées par les programmes REDD+ ne ré- financement, de capacité et de volonté poli-
pondent pas aux besoins des agriculteurs tique. De même, peu d’avancées ont été réa- Université de Kisangani, et Université de Goma RDC
qui expriment leurs mécontentements ou re- lisées entre 2013 et 2019, à cause des conflits
fusent de les déployer. d’intérêts entre acteurs, tant au niveau natio-
nal que local, de l’asymétrie informationnelle, Germain Batsi Toroba
L’enjeu global de la mainmise et de la corruption des élites,
de la déforestation importée ainsi que du contexte pré et post-électoral.
Les conséquences de l’agriculture sur les À ce jour, l’efficacité des activités REDD+ en
forêts ont fait naître ces dernières années une RDC reste hypothétique, compte tenu de l’ab-
conscience collective mondiale pour la lutte sence d’une évaluation d’impact rigoureuse.
contre la déforestation. Ainsi l’Union euro- Cependant, des efforts sur le terrain sont à
péenne (UE) s’est dotée d’une stratégie pour noter, avec un nombre croissant de parties Université de Kisangani, RDC
réduire la déforestation importée. En effet prenantes participant au processus de défi-
l’UE joue un rôle indirect mais massif dans la nition de la politique forestière par rapport
déforestation. Entre 2005 et 2017, les études aux premières années. L’ancienne loi foncière
EN SAVOIR PLUS :
estiment qu’environ 3,5 millions d’hectares de vieille de 50 ans qui ralentissait les efforts de
La plupart des données statistiques fournies sont tirées
forêt ont été détruits en raison de ses impor- développement du secteur agricole et fores- de l’étude suivante :
tations de produits agricoles et forestiers. tier a été revue et validée en novembre 2021 et Kengoum F, Pham TT, Moeliono M, Dwisatrio B, Sonwa DJ.
2020. Le contexte de la REDD+ en République Démocratique
En septembre 2022 le Parlement européen a représente un espoir certain pour la relance du Congo : Causes, agents et institutions. 2e édition.
interdit, à compter de novembre 2022, l’impor- de l’économie. Document Occasionnel 211. Bogor, Indonésie : CIFOR.
http://bit.ly/3gz0zlK
tation dans l’UE de six produits (soja, viande
bovine, huile de palme, bois, cacao et café) si De manière générale, la REDD+ s’est voulue au
Une bibliographie complémentaire est disponible
leur production est issue de terres déboisées départ comme un instrument simple à mettre à l’adresse suivante :
après décembre 2019. Cette loi repose sur le en œuvre par les pays pour réduire de façon https://bit.ly/3FDRxhe

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