Textes Sur Le Travail

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 3

Dire que le travail et l'artisanat étaient méprisés dans l'antiquité parce qu'ils

étaient réservés aux esclaves, c'est un préjugé des historiens modernes. Les
Anciens faisaient le raisonnement inverse : ils jugeaient qu'il fallait avoir des
esclaves à cause de la nature servile de toutes les occupations qui pourvoyaient
aux besoins de la vie. C'est même par ces motifs que l'on défendait et justifait
l'institution de l'esclavage. Travailler, c'était l'asservissement à la nécessité, et
cet asservissement était inhérent aux conditions de la vie humaine. Les
hommes étant soumis aux nécessités de la vie ne pouvaient se libérer qu'en
dominant ceux qu'ils soumettaient de force à la nécessité. La dégradation de
l'esclave était un coup du sort, un sort pire que la mort, car il provoquait une
métamorphose qui changeait l'homme en un être proche des animaux
domestiques. C'est pourquoi si le statut de l'esclave se modifait, par exemple
par la manumission, ou si un changement des conditions politiques générales
élevait certaines occupations au rang d'afaires publiques, la « nature » - de
l'esclave changeait automatiquement.

L'institution de l'esclavage dans l'antiquité, au début du moins, ne fut ni un


moyen de se procurer de la main-d'oeuvre à bon marché ni un instrument
d'exploitation en vue de faire des bénéfces ; ce fut plutôt une tentative pour
éliminer des conditions de la vie le travail. Ce que les hommes partagent avec
les autres animaux, on ne le considérait pas comme humain. (C'était d'ailleurs
aussi la raison de la théorie grecque, si mal comprise, de la nature non
humaine de l'esclave. Aristote, qui exposa si explicitement cette théorie et qui,
sur son lit de mort, libéra ses esclaves, était sans doute moins inconséquent
que les modernes n'ont tendance à le croire. Il ne niait pas que l'esclave fût
capable d'être humain ; il refusait de donner le nom d' »hommes » aux
membres de l'espèce humaine tant qu'ils étaient totalement soumis à la
nécessité.) Et il est vrai que l'emploi du mot « animal » dans le concept
d'animal laborans, par opposition à l'emploi très discutable du même mot
dans l'expression animal rationale, est pleinement justifé. L'animal laborans
n'est, en efet, qu'une espèce, la plus haute si l'on veut, parmi les espèces
animales qui peuplent la terre.

— Hannah ARENDT, Condition de l'homme moderne,


1958.
(....) en quoi consiste la dépossession du travail ?

D'abord,dans le fait que le travail est extérieur à l'ouvrier, c'est-à-dire qu'il


n'appartient pas à son être ; que, dans son travail, l'ouvrier ne s'afrme pas,
mais se nie ; qu'il ne s'y sent pas satisfait, mais malheureux ; qu'il n'y déploie
pas une libre énergie physique et intellectuelle, mais mortife son corps et
ruine son esprit. C'est pourquoi l'ouvrier n'a le sentiment d'être à soi qu'en
dehors du travail ; dans le travail, il se sent extérieur à soi-même. Il est lui
quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il n'est pas lui. Son travail n'est
pas volontaire, mais contraint. Travail forcé, il n'est pas la satisfaction d'un
besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du
travail. La nature aliénée du travail apparaît nettement dans le fait que, dès
qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, on fuit le travail comme la
peste. Le travail aliéné, le travail dans lequel l'homme se dépossède, est
sacrifce de soi, mortifcation. Enfn, l'ouvrier ressent la nature extérieure du
travail par le fait qu'il n'est pas son bien propre, mais celui d'un autre, qu'il ne
lui appartient pas ; que dans le travail l'ouvrier ne s'appartient pas à lui-même,
mais à un autre. Dans la religion,l'activité propre à l'imagination, au cerveau,
au cœur humain, opère sur l'individu indépendamment de lui, c'est-à-dire
comme une activité étrangère, divine ou diabolique. De même l'activité de
l'ouvrier n'est pas son activité propre, elle appartient à un autre, elle est
déperdition de soi-même.
On en vient donc à ce résultat que l'homme (l'ouvrier) n'a de spontanéité que
dans ses fonctions animales : le manger, le boire et la procréation, peut-être
encore dans l'habitat, la parure, etc., et que, dans ses fonctions humaines, il ne
se sent plus qu'animalité : ce qui est animal devient humain, et ce qui est
humain devient animal.
Sans doute, manger, boire, procréer, etc., sont aussi des fonctions
authentiquement humaines. Toutefois, séparées de l'ensemble des activités
humaines, érigées en fns dernières et exclusives, ce ne sont plus que des
fonctions animales.

— Karl MARX, Économie et philosophie, Ébauche d'une


critique de l'économie politique,Le travail aliéné.
Il faut observer que le mot valeur a deux signifcations diférentes ;quelquefois
il signife l'utilité d'un objet particulier, et quelquefois il signife la faculté que
donne la possession de cet objet d'en acheter d'autres marchandises. On peut
appeler l'une, Valeur en usage, et l'autre, Valeur en échange. - Des choses qui
ont la plus grande valeur en usage n'ont souvent que peu ou point de valeur en
échange ; et, au contraire, celles qui ont la plus grande valeur en échange n'ont
souvent que peu ou point de valeur en usage. Il n'y arien de plus utile que l'
eau, mais elle ne peut presque rien acheter ;à peine y a-t-il moyen de rien
avoir en échange. Un diamant, au contraire, n'a presque aucune valeur quant à
l'usage, mais on trouvera fréquemment à l'échanger contre une très grande
quantité d'autres marchandises. (…)

Ainsi la valeur d'une denrée quelconque pour celui qui la possède, et qui
n'entend pas en user ou la consommer lui-même, mais qui a l'intention de
l'échanger pour autre chose, est égale à la quantité de travail que cette denrée
le met en état d'acheter ou de commander.
Le travail est donc la mesure réelle de la valeur échangeable de toute
marchandise (....).Elles [les marchandises] contiennent la valeur d'une certaine
quantité de travail, que nous échangeons pour ce qui est supposé alors
contenir la valeur d'une quantité égale de travail. Le travail a été le premier
prix, la monnaie payée pour l'achat primitif de toutes choses. Ce n'est point
avec de l'or ou de l'argent, c'est avec du travail, que toutes les richesses du
monde ont été achetées originairement, et leur valeur pour ceux qui les
possèdent et qui cherchent à les échanger contre de nouvelles productions, est
précisément égale à la quantité de travail qu'elles le mettent en état d'acheter
ou de commander.

— Adam SMITH, Recherches sur la nature et sur les causes


de la richesse des nations, 1776.

Vous aimerez peut-être aussi