Édouard Jourdain-Le Sauvage Et Le Politique-Jericho
Édouard Jourdain-Le Sauvage Et Le Politique-Jericho
Édouard Jourdain-Le Sauvage Et Le Politique-Jericho
LE SAUVAGE ET LE POLITIQUE
ISBN 978-2-13-084433-4
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Dépôt légal — 1 édition : 2023, février
© Presses Universitaires de France / Humensis
170 bis, boulevard de Montparnasse, 75014 Paris
Ce travail a pris forme à la lumière d’une
naissance, celle de Galaad, et à l’ombre d’un décès,
celui de David Graeber. Ce livre leur est dédié.
e
Chef de la tribu de Tiavéa au début du XX siècle sur l’île d’Oupolou dans
les Samoa, Touiavii souhaitait ardemment découvrir l’Europe et connaître la
vie des hommes blancs. Les « Papalaguis », comme on les appelait dans les
mers du Sud. Littéralement : les « pourfendeurs du ciel » – les Aborigènes
voyant dans les voiles de leur bateau un trou dans le ciel. Enrôlé dans une
troupe folklorique, il parcourut l’Europe de long en large, observa et prit
des notes. Lorsqu’il revint à Oupolou, Touiavii accorda son amitié à
l’Allemand Erich Scheurmann, né en 1878 à Hambourg, qui passa deux
années à Samoa, de 1914 à 1915, et rapporta les entretiens qu’il eut avec
lui. En 1920, il écrivait à la fin de la préface de son ouvrage consacré aux
propos du chef de la tribu :
La guerre mondiale nous a rendus sceptiques envers nous-mêmes, nous commençons aussi à voir
les vraies valeurs et à douter que nous puissions réaliser notre idéal profond dans cette culture-là.
Ne nous considérons donc pas comme trop cultivés, descendons un peu du haut de notre esprit
vers la façon simple de voir et de penser de cet insulaire des mers du Sud, qui n’est chargé
d’aucune formation européenne et, encore intact dans son ressenti et dans son regard, peut nous
aider à reconnaître comment nous nous sommes privés du sens du sacré, pour créer en échange
1
des idoles mortes .
Les propos qui vont suivre entendent éviter cette double impasse morale
qui conduit à une double impasse politique : il ne s’agit ni de considérer le
sauvage comme une figure archaïque qui justifierait a contrario la nécessité
des institutions des sociétés industrielles, ni de le considérer comme une
référence idéalisée conduisant à rejeter les acquis de la modernité. Dans une
perspective de compréhension et d’évaluation, il s’agira davantage avec le
sauvage de reconcevoir la notion de politique, notamment au vu des
nouvelles données qui s’imposent à nous : crise écologique, crise de la
représentation, crise du capitalisme, crise de l’État. Le sauvage, en nous
faisant faire un pas de côté, nous permet alors de jeter un œil nouveau sur
nos institutions et nos mœurs. Il crée des brèches dans ce qui nous paraît
aller de soi et nous ouvre à de nouvelles altérités parfois insoupçonnées.
Comme le soutenait l’anthropologue Margaret Mead :
Si nous admettons qu’il n’y a rien de fatal, rien d’irrévocable dans nos conceptions, et qu’elles
sont le fruit d’une évolution longue et complexe, rien ne nous empêche d’examiner nos solutions
traditionnelles une à une et, à la lumière de celles qui ont été adoptées par les autres sociétés, d’en
5
éclairer tous les traits, d’en apprécier la valeur et, au besoin, de les trouver en défaut .
La soumission du chef
Qui dit sociétés sans État ne dit pas pour autant sociétés sans pouvoir.
Toute la question consiste à savoir ce que l’on entend par ce pouvoir, et
quelles sont les modalités qui organisent ses rapports avec ces sociétés. S’il
est tout à fait concevable de concevoir des chefs et même des rois sans État,
il convient alors de cerner les mécanismes qui conjurent l’émergence d’un
appareil administratif coercitif séparé de la société, mais aussi de détecter
les signes pouvant être conçus comme autant de potentialités expliquant
cette émergence.
Si les Occidentaux pouvaient à la fois s’émerveiller ou s’effrayer des
mœurs pour eux étranges des sauvages, il est un point sur lequel ces
derniers s’accordaient et qui leur paraissait tout à fait absurde au vu de leur
organisation. Comment était-il possible que les Blancs acceptent d’obéir à
la volonté d’un seul homme ? Cette soumission à l’arbitraire échappait
complètement à leur conception du bon ordre des choses. Non qu’ils ne
fussent pas soumis à des dieux, à des coutumes ou à la loi des ancêtres,
mais se soumettre à l’arbitraire d’un semblable était pour eux inconcevable.
Le chef dans les sociétés sans État ne se situe pas au sommet d’une
pyramide hiérarchique de laquelle découleraient ses ordres. Il ne conçoit
pas la société comme un tout organique semblable à un corps à qui il
commanderait. Il occupe davantage une fonction parmi d’autres. Comme le
souligne Maurice Leenhardt, « jamais on n’envisage que le chef est la
“tête”, selon l’étymologie du mot chez nous. Il n’est pas la tête d’un
gouvernement, mais ceux qu’il délègue sont la “face” d’une activité
particulière16 ». Pas de métaphore du corps dirigé par une tête donc, mais
un visage qui ne peut se substituer aux autres, renvoyant à une tâche
particulière. « Les coloniaux cherchaient la tête ; ils ne trouvèrent que des
17
visages », remarque Jean-Claude Monod. Mais alors à quoi bon la
nécessité d’un chef ? « Le chef est d’abord un porte-parole, au sens
18
propre . » Il parle au nom de la communauté, notamment en jouant le rôle
de diplomate dans les relations intertribales, mais surtout il dit la loi qui
tient lieu de fondement à la société. Cette loi lui préexiste et l’oblige : en
aucun cas il ne saurait la modifier ou se poser lui-même comme son
créateur, ce qui apparaîtrait aux yeux de tous comme une folie d’ordre
égocentrique et arbitraire. D’une certaine manière, la société des sauvages
consacre une certaine forme de légicentrisme, radicalement hétéronome, qui
doit prévaloir sur toute forme de décisionnisme. « Le législateur est aussi le
fondateur de la société, ce sont les ancêtres mythiques, les héros culturels,
les dieux. C’est de cette Loi que le chef est le porte-parole : la substance de
son discours, c’est toujours la référence à la Loi ancestrale que nul ne peut
transgresser, car elle est l’être même de la société : violer la Loi, ce serait
altérer, changer le corps social, introduire en lui l’innovation et le
changement qu’il repousse absolument19. » L’archê, c’est-à-dire le principe
premier de commandement, ne se trouve pas dans le chef mais dans la Loi.
Le chef n’en est que le relais, lui conférant un prestige qui n’est pas
accompagné pour autant d’un pouvoir coercitif. La contestation du chef est
donc tout à fait possible et légitime dans ces sociétés : en cela il existe bien
la notion d’altérité qui vient dégager un jeu à partir duquel est concevable la
créativité. Il n’en reste pas moins que loi des ancêtres vient fixer des limites
à ce jeu. La figure du chef comme singularité est donc toute relative.
Lorsqu’un chef est condamné à mort par la société, ce n’est pas le système
d’organisation sociale qui est remis en cause et remplacé par un autre, mais
bien un individu dont on estime qu’un autre sera plus à même de préserver
ledit système. C’est en ce sens que l’on peut comprendre ce propos de
Claude Lévi-Strauss : « Le chef apparaît comme la cause du désir du groupe
de se constituer comme groupe, et non comme l’effet du besoin d’une
20
autorité centrale ressenti par un groupe déjà constitué . » Il apparaît alors
comme une résultante faisant figure de clé de voûte d’un système de
croyances portant la communauté, « dépositaire jaloux d’un savoir honoré
jusqu’au vécu le plus humble, à demeurer le protecteur fidèle de ses dieux
21
et le gardien de leur loi ». Le pouvoir du chef est donc toujours pris à la
fois dans les mailles de la loi des ancêtres et dans celles de la communauté
dont il ne peut s’extraire en prenant une hauteur surplombante. En cela, il
n’est pas tant un juge prenant des décisions de justice tranchées qu’un
médiateur qui tente d’accorder des parties lorsqu’existent des litiges. S’il
peut délimiter des territoires de chasse ou donner des orientations de
déplacement, cela se fait toujours avec l’assentiment de la communauté. Il
existe bien le cas des guerres où le chef peut faire valoir son autorité, mais
s’il est tenté d’en abuser il est vite rappelé à l’ordre. Souvent le chef est un
guerrier, or tout le tragique de son statut consiste en ce qu’une société ne
désire pas toujours faire la guerre. Sans cette activité, son prestige peut
avoir tendance à diminuer mais s’il tente de mener sa communauté à la
22
guerre contre son gré, son destin se réduit toujours à une mort certaine .
La parole est liée au pouvoir. Dans tous les États, le chef de
gouvernement a un droit à la parole qui suppose sa capacité à donner des
ordres et à exiger l’obéissance. Dans les sociétés primitives, la parole du
chef n’est pas un droit mais un devoir, elle n’est pas commandement mais
palabre rappelant des coutumes à tel point intégrées par les individus qu’ils
n’y prêtent guère attention. La parole trace ainsi la démarcation entre le
pouvoir qui réside exclusivement dans la société et dans l’institution du
chef. « Le devoir de parole du chef, ce flux constant de parole vide qu’il
doit à la tribu, c’est sa dette infinie, la garantie qui interdit à l’homme de
23
parole de devenir homme de pouvoir . » Cette dette en termes de pouvoir
l’est aussi en termes économiques. En effet si le chef peut se prévaloir d’un
certain prestige qui lui confère certains avantages (notamment en termes de
possession de femmes), il se paye d’une obligation de prodiguer des biens à
la communauté. Cette obligation rend compte d’une dette contractée par le
chef envers la société, dont il ne pourra jamais complètement s’acquitter. La
dette est ainsi au cœur de la relation qui unit le chef à la société. Détenir le
pouvoir suppose la possibilité d’imposer un tribut. Or, dans les sociétés
primitives, c’est la communauté qui détient ce pouvoir qui l’impose au chef
en le piégeant dans son désir de prestige. Le sens de la dette permet ainsi
d’évaluer la différence entre sociétés sans État et sociétés avec État : dans le
premier cas, la chefferie est endettée envers la société ; dans le second, c’est
la société qui l’est envers une institution qui a approprié le pouvoir. Dans
les îles Fidji, Marshall Sahlins rapporte cette anecdote : « En tant que chef
de clan, il ne pouvait lui-même ouvrir le coffre pour y prendre les dents de
cachalot. C’était là le rôle du héraut, le “visage de la terre” (matanivanua),
24
représentant la collectivité auprès du chef . » Un chef influent peut bien
recruter des individus pour contribuer à l’édification de certains biens
collectifs par exemple, mais en aucun cas ils ne sont dépendants de lui. Les
rétributions qu’ils peuvent recevoir en nature ne constituent jamais une
nécessité qu’ils avaient pour vivre convenablement puisque chacun a la
possibilité de subvenir à ses propres besoins. Par conséquent, les personnes
à l’initiative de tels travaux n’ont aucun pouvoir de contrainte et tout un
chacun peut refuser d’y prendre part.
Pourquoi si peu de marge de manœuvre laissée au chef ? Pourquoi tant de
dispositifs minorant son pouvoir de décision ? Parce que les sociétés
primitives « ont très tôt pressenti que la transcendance du pouvoir recèle
pour le groupe un risque mortel, que le principe d’une autorité extérieure et
créatrice de sa propre légalité est une contestation de la culture elle-
25
même ». En effet, la transcendance du pouvoir résulte toujours d’une
forme d’état de nature qui n’est soumis à aucune norme. Il s’agit alors de
trouver le moyen de le piéger, ou tout du moins de le circonscrire au mieux.
C’est en réservant au chef le lieu prédéterminé du pouvoir qu’il est possible
de le contrôler. Il faut que ce lieu soit défini afin que la société puisse dire :
« Voilà, le chef c’est lui, et c’est précisément lui qu’on empêchera d’être le
chef26. » Ce que les Indiens cherchent à éviter, c’est que n’importe qui
arrive en déclarant : « le siège du pouvoir est vide donc je peux m’en
emparer de manière à ce que ce soit moi qui commande. » Le schéma est ici
inverse à l’idée moderne développée par Claude Lefort selon laquelle le
propre du pouvoir en démocratie est de laisser symboliquement vide la
27
place du pouvoir . Cette vacuité serait alors révélatrice du fait que
personne ni quoique ce soit (y compris une idée) n’est naturellement
disposé à occuper le pouvoir. Autrement dit, le propre du lieu du pouvoir en
démocratie serait d’être radicalement indéterminé. C’est tout l’inverse dans
le cas des sociétés primitives : le lieu du pouvoir est prédéterminé pour
pouvoir être contrôlé par la société et par le religieux.
Peut-on pour autant parler de « société contre l’État » comme le soutenait
Pierre Clastres ? Il est en effet difficile d’imaginer qu’une société puisse
anticiper quelque chose qu’elle ne connaît pas. Et pourtant il est possible
d’avancer une hypothèse pour expliquer cette thèse forte. Ces sociétés
n’étaient pas exemptes de relations interindividuelles violentes ou de
coercition : qu’il s’agisse des pratiques de viol collectif ou des vendettas,
certaines éruptions permettaient aux sauvages d’entrevoir les faces sombres
de la condition humaine. Mais c’est précisément parce qu’il existait en leur
sein de telles relations que l’on peut supposer qu’ils craignaient de les voir
s’ériger en institutions. D’une certaine manière, le dialogue imaginé par
l’anarchiste Errico Malatesta dans sa brochure Au café de 1913 fait écho au
raisonnement des sauvages sur ce point :
Louis. – Mais quoi ! Les hommes sont mauvais par nature, et s’il n’y avait pas les lois, les juges et
les gendarmes pour nous tenir en respect, pires que les loups, nous nous dévorerions entre nous.
Georges. – S’il en était ainsi, ce serait une raison de plus de ne donner à personne le pouvoir de
28
commander et de disposer de la liberté des autres .
Autrement dit, ce qui doit être conjuré, c’est un pouvoir sans borne dont
le remède serait pire que le mal : parce que tout individu qui a du pouvoir
tend à en abuser, il est nécessaire de l’assigner à un lieu qui sera
drastiquement limité et contrôlé. Pour autant, il existe toujours la possibilité
que ce pouvoir déborde du corset qui lui est dédié. Car si le chef ne travaille
29
pas pour commander, mais bien « au sens propre, pour la gloire », son
prestige n’en est que plus important et peut avoir pour effet d’entériner des
dissymétries dans l’échange : « Un chef peut acheter un objet de grande
valeur pour cent paniers de tubercules alors qu’un homme du commun
30
devrait en offrir mille pour l’acquérir . » De plus, si son prestige lui enjoint
d’être généreux, cette générosité n’est pas exempte d’une dépendance lui
procurant un avantage. Poussé à son paroxysme en effet, « le don fait
l’esclave, disent les Esquimaux, comme le fouet fait le chien ». David
Graeber et David Wengrow, reprenant l’hypothèse de Franz Steiner,
estiment par exemple que le renforcement du pouvoir des chefs a pu se faire
via l’hospitalité et le droit d’asile : en recueillant et en prenant soin des plus
faibles (ce qui inclut aussi bien l’orphelin que le handicapé) dans sa
demeure, le chef s’adjoignait ainsi une cour susceptible de remplir le rôle
31
d’une police . Il existe d’autre part de multiples types de chefferies qui ont
plus ou moins de pouvoir, entre la figure du chef et celle du roi que nous
allons voir. C’est le cas par exemple des Big Men, que l’on retrouve chez
les Papous. S’ils ont des pouvoirs considérablement limités comme dans la
chefferie « classique », ils se détachent néanmoins des autres hommes non
par la qualité de leur être mais par la quantité de leurs pouvoirs : « Tel un
banian qui, bien qu’il soit le plus gros et le plus grand de la forêt, reste un
arbre comme les autres. Mais, simplement parce qu’il dépasse tous les
autres, le banian porte davantage de lianes et de racines, fournit davantage
32
de nourriture pour les oiseaux, et protège mieux du soleil et de la pluie . »
Les attributs du privilège et de la singularité demeurent toutefois à la
hauteur des obligations qu’ils supposent, confortant ainsi toujours un sens
de la dette propre aux sociétés sans État.
La résonance de l’État
Avec ou sans État, les sociétés sont dotées de centres de pouvoir, mais
tandis que les sociétés sans État organisent leur inhibition, l’État organise
leur résonance. « On n’a plus n yeux dans le ciel, ou dans des devenirs
végétaux ou animaux, mais un œil central ordinateur qui balaie tous les
49
rayons . » Dans les sociétés sans État par exemple, on retrouve
régulièrement la distinction entre les « gardiens de la terre » et les chefs de
telle sorte que soient conjurées l’émergence de la propriété foncière et sa
50
concentration dans les mains d’une autorité . Au contraire, avec l’État, les
centres de pouvoir ne sont pas distingués pour être inhibés mais ils sont à la
fois mis en relation (comme la ville et la campagne) et séparés d’un
extérieur (par des frontières), de manière à constituer progressivement la
chair de l’Un.
Aussi le pouvoir central d’État est-il hiérarchique, et constitue un fonctionnariat ; le centre n’est
pas au milieu, mais en haut, puisqu’il ne peut réunir ce qu’il isole que par subordination. Certes, il
y a une multiplicité d’États non moins que de villes, mais ce n’est pas le même type de
multiplicité : il y a autant d’États que de coupes verticales en profondeur, chacune séparée des
autres, tandis que la ville est inséparable du réseau horizontal des villes. Chaque État est une
intégration globale (et non locale), une redondance de résonance (et non de fréquence), une
51
opération de stratification du territoire (et non de polarisation du milieu) .
Du sacrifice en clair-obscur
Conjurations cannibales
Du chaos au rite
Le guerrier capture alors un vaincu et lui dit : « Il est comme mon fils »,
108
ce dernier répondant : « Il est mon père chéri ». La victime doit devenir
un membre de la Cité. Les victimes les plus appréciées faisaient partie des
populations les moins éloignées, considérées comme intégrées dans une
même famille. Les autres, comme les Yopi ou les Tarasques, ne sont pas
dignes d’être sacrifiés : « Ces pays sont très lointains et en outre notre dieu
n’aime pas la chair de ces gens barbares. Il la tient pour du pain blanc et
dur, du pain sans saveur, car, je le répète, ce sont des gens barbares qui
109
parlent des langues étranges . » Dans la guerre, on a affaire à un ennemi.
Dans le sacrifice à une victime. Pour que l’ennemi devienne une victime, il
est nécessaire qu’il soit proche et le devienne plus encore en étant intégré
un moment dans la communauté. Plus la victime est proche, plus le
sacrifice aura de la valeur et des effets, comme en témoigne le sacrifice par
Agamemnon de sa fille Iphigénie pour que les vents soient favorables à sa
flotte prête à débarquer à Troie. Si l’être humain est au plus proche,
l’animal peut aussi jouer son rôle dans le sacrifice, à condition bien souvent
d’être domestiqué. Or à l’origine de toute domestication, il est au préalable
nécessaire de maîtriser un élément fondamental du sacrifice : le feu. D’où
l’origine du terme « holocauste », de « holos », tout, et « kaulein », brûler.
Domestiqué environ 350 000 ans avant notre ère, le feu est ambivalent,
venant du ciel (le soleil et la foudre) mais aussi des profondeurs de la terre
(éruptions volcaniques), pouvant réchauffer, éclairer et cuire mais aussi
110
détruire . Dans les mythes, le feu n’est jamais simplement découvert : il
est souvent volé et l’humanité doit payer le prix de ce vol, d’où notamment
les sacrifices. On comprend dès lors la place importante que devaient
occuper les responsables de l’entretien du feu dont l’une des fonctions est
l’immolation. Or « il faut remarquer que, dans les sacrifices proprement
dits, les animaux carnassiers, ou stupides, ou étrangers à l’homme, comme
les bêtes fauves, les serpents, les poissons, les oiseaux de proie, etc.,
n’étaient point immolés. On choisissait toujours, parmi les animaux, les
plus précieux par leur utilité, les plus doux, les plus innocents, les plus en
rapport avec l’homme par leur instinct et leurs habitudes. Ne pouvant enfin
immoler l’homme pour sauver l’homme, on choisissait dans l’espèce
animale les victimes les plus humaines, s’il est permis de s’exprimer ainsi,
et toujours la victime était brûlée en tout ou en partie, pour attester que la
peine naturelle du crime est le feu, et que la chair substituée était brûlée à la
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place de la chair coupable ». L’animal bouc émissaire n’est pas coupable
en tant que tel, mais il endosse symboliquement la culpabilité des hommes.
Pourquoi la question de la domestication est-elle cruciale ? Parce qu’elle
renvoie aux rapports de domination entre la nature et les hommes, ainsi
qu’entre les hommes. Dans les sociétés des chasseurs-cueilleurs, la nature
offre la vie aux individus en leur procurant ce dont ils ont besoin. Avec la
domestication, c’est la reproduction de la vie qui devient centrale. Ce
pouvoir sur le feu, puis sur les plantes et les animaux, se paye d’un nouveau
rapport aux dieux : parce que les hommes ont pris, ils doivent rendre,
préservant ainsi l’ordre cosmique. En cela il existe un lien entre domesticité
et sacrifice du bouc émissaire, lié à une transcendance, que l’on ne retrouve
pas dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs où le sacrifice s’effectue
davantage sur le monde de l’horizontalité, via notamment le cannibalisme,
pour s’assurer de l’équilibre des forces entre le monde visible et invisible
(conjurant notamment la violence des morts sur les vivants).
Vers 12 000 avant notre ère, le climat se réchauffe, ouvrant l’ère
mésolithique propice à la domestication. Certaines domestications ont
avorté, comme celles des antilopes ou des élans. D’autres appelés
« parasites » profitent de la présence humaine sans que ce soit réciproque,
c’est le cas des souris, des pigeons, des puces, etc. Le plus ancien animal
domestiqué ne l’est pas pour sa viande : il s’agit du loup qui va devenir le
chien. En formant une meute avec l’homme, ils forment un tandem de
coopération : le chien lui offre une protection tandis que l’homme lui
fournit chaleur et nourriture. La domestication peut donc être l’objet de
deux possibilités : l’assistance mutuelle ou le sacrifice. Dans ce dernier cas,
la domestication de l’animal consiste à inclure l’animal d’abord sauvage au
sein de la communauté humaine pour en faire un proche, procédant d’une
humanisation qui lui donnera de la valeur aux yeux des dieux. Aussi ne
peut-elle se réduire à un motif d’ordre strictement économique. Edward
112
Evans-Pritchard montre par exemple dans son étude sur les Nuer que
l’élevage ne consiste pas tant à produire du bétail consommable qu’à se
procurer des bêtes à sacrifier. Le sacrifice de l’animal permet de s’assurer
de la bienveillance des forces invisibles pour assurer la fécondité de la terre,
mais aussi de racheter les péchés ou le pouvoir qui a été volé aux dieux. En
cela les animaux sacrifiés constituent une forme de monnaie permettant
d’obtenir la paix. Ainsi du bœuf qui dans l’antiquité était l’animal le plus
sacrifié et en même temps une monnaie de référence entendue comme unité
de compte (et non monnaie d’échange). Un autre rapport au temps vient
alors s’introduire avec le sacrifice dans la mesure où il va concerner la
gestion d’un « stock » d’animaux domestiqués : « Pour quiconque se livre à
la domestication, tuer est un acte précis de discernement qu’on effectue
avec un œil tourné vers l’avenir. Cet acte est tributaire de l’acceptation
collective d’un gain “différé”, et dépend aussi de l’acquisition par le groupe
de techniques complexes de reproduction et de la présence concomitante
113
d’un habitat fixe . » En cela le sacrifice de l’animal domestique
accompagne ou renforce l’institution de formes d’accumulation
économique (le cheptel) et symbolique (concentrée entre les mains de celui
chargé de l’office).
Le sacrifice dans les sociétés sans État peut donc prendre plusieurs
formes qui consistent toutes à concevoir par un processus de différenciation
un ordre où les forces sont équilibrées selon une certaine idée du cosmos.
Dans cette perspective, la violence est régulée de telle sorte que l’objet du
rituel sacrificiel peut différer, montrant à chaque fois une ambivalence en
termes de protection et de menace. Chez les chasseurs-cueilleurs, ce n’est
pas le monopole de la violence légitime qui prévaut mais la guerre et la loi
qui vont permettre le sacrifice des victimes via notamment le cannibalisme.
Dans les sociétés sans État où la figure du roi prédomine, c’est davantage le
roi et la figure du bouc émissaire qui vont conjurer le chaos. Chaque fois
cependant le risque d’emballement de la violence guette, par la vengeance
chez les chasseurs-cueilleurs, par l’élimination des boucs émissaires dans
les sociétés monarchiques. La fonction pharmacologique du sacrifice réside
alors en ceci qu’elle protège de la violence mais ne l’élimine pas : elle joue
sur des vases communicants (entre les violences des morts et des vivants) et
parfois en crée (le bouc émissaire) avec plus ou moins d’efficacité.
L’équilibre est toujours fragile et il en faut peu pour basculer dans la terreur
du tous contre un ou de l’Un contre tous, comme en témoignent les
e
tragédies du XX siècle où l’État représenta la menace principale et non la
protection. Comment une telle tragédie est-elle possible ? Parce que plus le
sacrifice est important, plus l’adhésion est profonde. Il en est ainsi des
dieux comme des rois et des nations. Telle est l’une des terribles leçons des
sauvages. Il en est une autre aussi : comme le notait l’anthropologue Mary
Douglas, « la solidarité est un vain mot si elle n’implique pas de
114
sacrifice ». Le sacrifice porte vis-à-vis du lien social la même
ambivalence que l’on retrouve avec la dette. En effet, on peut distinguer la
dette verticale, imposée par une institution ou une communauté à des
individus, et la dette horizontale, signe d’une interdépendance morale où
chacun est le débiteur spontané de l’autre. Il en est de même avec le
sacrifice, que l’on peut dissocier entre le vertical, qui est l’œuvre autoritaire
d’une institution ou d’une communauté qui veut faire croire que le sacrifice
de certains est la condition du lien social, et l’horizontal, qui lorsque la
situation l’exige résulte de la libre manifestation réciproque du don de soi.
III
Le chamane et le prophète
Pour Aristote, contrairement à Homère, les rêves ne sont pas envoyés par
les dieux. Ils ne sont tout au plus qu’une pâle copie déformée de la réalité.
Celui qui dort rejoint un monde qui est tout personnel. Mais comme le
souligne Charles Stépanoff, « cette idée est pourtant très singulière : dans la
plupart des autres sociétés, les rêves […] ont pour rôle d’ouvrir l’individu à
une vie sociale avec les morts, les esprits et les dieux. Avec les philosophes,
le rêve se replie sur lui-même, une porte de communication entre les
hommes et le monde se referme. L’anti-onirisme grec est une exception et
nous sommes les héritiers de cette exception115 ». Dans les sociétés sans
État, les rapports avec l’invisible occupent une place centrale. Cette
médiation est assurée par les chamanes, dont on peut se demander, en
fonction des modalités de leur capture de l’imaginaire, s’ils ne préfigurent
pas la naissance de l’État ou tout du moins une de ses premières conditions
d’émergence. « Un chamane est un individu à qui un groupe confie
certaines interactions avec les existences non humaines du milieu du fait de
116
ses capacités personnelles, à la fois sensorielles et corporelles . » En cela,
il se distingue du prêtre qui tient sa légitimité non pas de ses capacités mais
de l’investiture d’une organisation religieuse. Par ailleurs, Dieu est présent
partout alors que les esprits sont localisés dans les sociétés animistes. Il faut
venir vers eux ou les faire venir à soi. C’est pour mener à bien une telle
opération que le chamane est une figure indispensable, constituant
l’interface entre le monde visible et le monde invisible. Le chamane n’a
toutefois pas les mêmes fonctions et les mêmes statuts selon les différentes
sociétés sans État. En étudiant les cas des chamanes en Sibérie, Charles
Stépanoff distingue ainsi deux types de société auxquelles sont associés
deux types de chamanes : les sociétés hétérarchiques et les sociétés
hiérarchiques. Dans les sociétés hétérarchiques, la fonction de chamane est
accessible à tous et est considérée à égalité avec les autres fonctions de la
société. Le chamane ne détient pas le monopole des rituels de la vie
religieuse (bien souvent ce sont les chefs de famille qui en prennent la
charge) : il se contente de soigner et d’être consulté pour ses dons de
voyant. Dans les sociétés hiérarchiques, le chamane détient le monopole de
la vie religieuse et des relations entre humains et non-humains, couvrant
une grande partie des relations de la vie quotidienne (protéger des
accidents, assurer le succès, conduire les âmes des morts, garantir à la
communauté l’accès à ses besoins fondamentaux, etc.). Il devient alors un
être indispensable en permettant aux individus de se sentir protégés. Son
prestige lui confère une position de surplomb propre à celle du diplomate
alors que le chamane des sociétés hétérarchiques occupe la place plus
modeste de traducteur. Or, « comprendre la confiscation de l’exploration
des mondes par la diplomatie hiérarchique est une question anthropologique
117
majeure ». Il se joue en effet déjà là quelque chose qui relève d’une
appropriation de l’imaginaire et de la constitution d’un monopole
symbolique qui constituent un réquisit à la formation de l’État. Quels sont
les caractéristiques et les dispositifs qui permettent de différencier ces deux
modalités de relation à l’invisible ? Dans les sociétés hétérarchiques, la
simple capacité personnelle permet de légitimer l’activité de chamane qui
se limite à des cures et à de la divination, bien souvent prodiguées aux
membres de la communauté à titre gracieux. Dans les sociétés hiérarchiques
au contraire, le chamane est investi lors d’un rituel collectif. Souvent
rétribué pour ses services, entretenant ainsi des relations d’obligation et de
dettes, le chamane par son activité dirige des rituels communautaires
118
comme des sacrifices collectifs , et se porte le garant des bonnes relations
entre le monde visible et le monde invisible, entre les humains et les non-
humains. Ce n’est pas pour autant que le chamane peut faire ce que bon lui
semble : « Si les profanes délèguent au chamane leur relation à l’invisible,
ils lui imposent un invisible collectivement défini qui rendra possible la
119
coordination des imaginaires dans le rituel . » Dans le chamanisme
hétérarchique, le chamanisme ne relève pas tant du statut que de
l’expérience et de la pratique. « Le chamanisme hétérarchique est un monde
où il existe un continuum de compétences entre spécialistes et non-
120
spécialistes et où les positions sont réversibles . » Dans le chamanisme
hiérarchique, au contraire, les profanes sont fermés au monde invisible,
alors que le chamane est ouvert à ce monde. Cette répartition des
compétences est renforcée par le fait que la fonction de chamane s’hérite,
contribuant ainsi à essentialiser la répartition des places au sein d’un ordre
qui se veut naturel. Cette configuration sociale est illustrée notamment par
le fait que les mythes du chamane se distinguent des mythes des gens
ordinaires : alors que les premiers font appel aux ancêtres chamanes pour
justifier leur position, les seconds font appel aux « Mères » démiurges qui
121
ne doivent pas être approchées par les premiers . Ces différences de statut
et de fonction se traduisent particulièrement dans le dispositif employé par
le chamane, en l’occurrence celui de la tente sombre ou de la tente claire.
Dans le chamanisme hétérarchique prévaut le dispositif de la tente
sombre : dans l’obscurité, tout le monde est convié à dialoguer avec le
monde invisible. Dans le chamanisme hiérarchique prévaut le dispositif de
la tente claire : seul le chamane a les yeux fermés, et donne à voir aux
individus, qui se sont pressés autour de lui les yeux ouverts, les images qui
lui viennent de l’au-delà. Stépanoff résume cette différence de relation qui
préside dans ces deux types de société comme suit :
La tente sombre est un espace métamorphique acentré où l’officiant s’efface pour permettre aux
participants de communiquer avec les non-humains ; la tente claire, elle, donne à voir la
communication du chamane avec des non-humains. Quand le chamane appelle les esprits dans la
tente sombre, le schéma relationnel stipulé est dyadique connectant directement participants et
esprits. Au contraire, la tente claire exalte une relation triadique où l’intermédiaire, le chamane,
est le nœud indispensable où s’établissent les relations entre les hommes et leur
122
environnement .
Or cette interaction entre acteurs que l’on retrouve dans les pratiques
magiques ne vise pas à combler ce qui ne peut se dire mais à mobiliser des
puissances pour dominer l’univers ou préserver l’équilibre des forces en son
sein. Les pouvoirs magiques sont bien réels précisément parce qu’ils
permettent de façonner la réalité et par là contribuent à constituer les
individus en sujets. D’où le paradoxe du fétiche que l’on peut considérer
« comme ce qui donne l’autonomie que nous ne possédons pas à des êtres
142
qui ne l’ont pas non plus mais qui, de ce fait, nous la donnent ». Le
processus de création se paye ainsi d’un double processus d’autonomie :
celle du créateur et celle de la créature, qui peut amener à une double
illusion : celle du créateur absolument maître de sa créature, ou celle de la
créature absolument séparée du créateur. En réalité les puissances
catalysées et manipulées par l’homme lui échappent toujours en partie,
vivant leur vie propre, mais elles demeurent le produit d’un faire qu’il peut
défaire et refaire. Il en est ainsi des idoles, de la monnaie, des nations, des
marques d’entreprise, etc. Entre les deux illusions, l’équilibre est précaire et
sur la corde raide l’homme, comme un funambule, peut basculer vers l’un
ou l’autre absolu (la maîtrise totale rationaliste où la magie n’existe pas, ou
la maîtrise du réel par un grand Autre monopolisant les pouvoirs magiques).
Comme le souligne Chesterton :
La folie consiste en une préférence pour le symbole plutôt que pour ce qu’il représente. […]
L’argent, par exemple, est un symbole : il symbolise le vin, les chevaux, les beaux vêtements et
les hautes maisons, les grandes villes du monde et la tente silencieuse au bord de la rivière.
L’avare est un fou, parce qu’il préfère l’argent à tout cela ; parce qu’il préfère le symbole à la
réalité. Mais les livres aussi sont un symbole ; ils symbolisent le sentiment qu’a l’homme de
l’existence, et l’on pourrait du moins soutenir que l’homme qui en est venu à préférer les livres à
la vie est un fou du même genre que l’avare. Un livre est évidemment un objet sacré. Dans un
livre, il ne fait aucun doute que les plus gros bijoux sont enfermés dans le plus petit des coffrets ;
mais il n’empêche que la superstition commence quand on donne au coffret une valeur plus
143
grande qu’aux bijoux .
Qui dit société sans État dit société sans classe sociale. Il était un temps
où cette idée de société sans exploitation, à l’origine de l’histoire voire
avant l’histoire, préservait encore l’espoir de retrouver par les moyens de
l’abondance une réconciliation de l’homme avec lui-même. Cette théorie
marxiste, développée par Friedrich Engels dans L’Origine de la famille, de
la propriété et de l’État, supposait un premier stade de l’histoire, appelé
communisme primitif, caractérisé par l’absence de propriété privée et la
rareté. C’est par le développement des moyens de production et leur
exploitation de la nature que les hommes, pour pallier cette rareté, se
seraient divisés en classes sociales, certains ayant accaparé lesdits moyens.
Mais l’histoire étant déterminée par l’infrastructure économique, minée par
les contradictions entre les classes, il serait inéluctable que le dernier stade
de l’exploitation, le capitalisme, s’effondre pour laisser place à une nouvelle
société sans classe, cette fois caractérisée par l’abondance rendue possible
par le développement historique des moyens de production. Une fois ce
nouveau communisme advenu, ce qui tient lieu de superstructure (le droit,
les institutions, la politique, la religion) n’aurait plus lieu d’être car sa
fonction se réduisait à justifier la division en classes sociales et à réguler
leur conflit. Désormais la seule loi qui vaudrait serait : « De chacun selon
ses capacités, à chacun selon ses besoins. » La boucle serait bouclée. Mais
le communisme à venir n’advint pas, et en guise de société sans classe les
régimes se réclamant du marxisme étaient d’autant plus divisés qu’ils
niaient les divisions structurelles entre ceux qui détenaient les moyens de
production – le pouvoir politique –, et ceux qui en étaient dépourvus.
Inversement, dans les régimes capitalistes, il est entendu que l’inégalité
ayant toujours existé, y compris dans les sociétés premières, il est bien
présomptueux de pouvoir imaginer une société sans classe. On voit poindre
ici tout l’enjeu des débats sur la question économique dans les sociétés sans
État : à savoir s’il est possible ou non d’envisager une organisation de la
société conjurant des rapports structurels d’exploitation. Si une société sans
État ne suppose pas nécessairement l’absence de rapports de domination,
tout du moins ne les érige-t-elle pas en institution. Il en est de même du fait
qu’elles sont sans classe : si cela ne les dispense pas de possibles inégalités,
tout de moins ne les érige-t-elle pas en institution. À l’encontre d’un
mythique communisme primitif ou d’un mythique état originaire
inégalitaire, une restitution plus fidèle de l’organisation économique des
sociétés sans État peut nous permettre de dessiner certaines conditions
permettant d’envisager à nouveaux frais une société sans classe, médiée par
des institutions préservant des usurpations.
Il convient tout d’abord de convenir d’un fait : toutes les sociétés sont
marquées par des inégalités. Il en est ainsi « entre hommes et femmes, entre
jeunes et vieux, entre chefs et suiveurs, mais toutes n’organisent pas les
182
inégalités de façon hiérarchique ». C’est le cas des sociétés sans État : les
coutumes, la répartition de la propriété et l’échange sont conçus de telle
manière qu’aucun individu ne puisse accaparer des richesses ou acquérir un
statut qui lui donne une légitimité institutionnelle pour commander ou
exploiter le reste de la société. « Là où chacun est en même temps
183
relativement supérieur et inférieur, dans l’absolu, tous sont égaux . »
Cette égalité est à la fois politique et économique, et plus précisément
économique parce que politique : l’absence d’institution conduisant à une
relation personnelle de commandement-obéissance conjure l’accaparement
autoritaire des moyens de production par quelques-uns conduisant à la
division entre classes sociales. Certains comme Nurit Bird-David refusent
pourtant de qualifier les sociétés de chasseurs-cueilleurs d’« égalitaires »
dans la mesure où cela occulterait « trois aspects importants de leur
existence – la parenté, l’animisme et les échelles sociales –, lesquels
remettent en cause, individuellement et collectivement, cette
184
qualification ». Ces aspects manquent cependant en grande partie leur
cible et n’invalident pas ceux qui sont les plus intéressants pour contribuer à
penser l’égalité. Certes, les individus ne se conçoivent comme tels
qu’enchâssés dans des rapports communautaires qui peuvent être
hiérarchisés en fonction du degré de parenté. Pour autant, ce serait une
erreur d’y opposer une supposée égalité libérale qui ne conçoit l’individu
qu’en monade isolée exposée à une multiplicité de hiérarchies arbitraires.
Quant à l’animisme, nous avons pu en effet avoir un aperçu des
appropriations de l’imaginaire par les chamanes, nous y reviendrons dans le
chapitre portant sur la nature, mais certaines formes d’inégalités induites
par cette métaphysique permettent aussi de réinterroger dans une
perspective davantage égalitaire le rapport entre nature et société. Enfin,
l’argument de l’échelle comme prétexte pour invoquer l’incomparabilité des
sociétés de chasseurs-cueilleurs et les sociétés modernes demeure en réalité
185
largement impensé malgré quelques travaux qui montrent que ce n’est
pas tant la question de la taille qui détermine la forme politique que la
forme politique qui détermine la question de la taille. Il est en effet tout à
fait possible de penser de grands ensembles égalitaires (en termes de
territoire et de densité de population) dès lors que leur organisation est
polycentrique. Pour autant, des formes d’inégalités existent en effet dans les
sociétés primitives qui paraissent d’autant plus marquantes qu’elles sont
frappées d’illégitimité dans le mouvement d’égalisation moderne des
conditions. Il s’agit principalement de l’inégalité d’âge, entre les jeunes et
les vieux, et sexuelle, entre les hommes et les femmes. Les plus vieux
disposaient en effet d’une autorité naturelle, y compris au sein de la fratrie
où le rang de l’aîné lui conférait une aura particulière. Les hommes les plus
mûrs avaient souvent la possibilité de monopoliser les femmes au détriment
des plus jeunes qui ne pouvaient s’unir qu’à un stade avancé, souvent vers
la trentaine, après avoir été initiés. « La concentration des épouses entre les
mains de la minorité âgée, et la position d’autorité qu’elle induisait,
constituaient bel et bien une forme de domination, durement ressentie par
les jeunes célibataires. Celle-ci a parfois pu mener à des explosions de
violence mettant aux prises des effectifs certes limités en valeur absolue
mais qui, rapportés à la taille de ces sociétés, constituent d’authentiques
186
guerres civiles . » Les privilèges des anciens ne se réduisaient pas à leur
pouvoir sur les femmes au détriment des plus jeunes. Ils comptaient aussi
un certain nombre de passe-droits d’ordre économiques, concernant par
exemple l’accès à la nourriture. « Les vieillards sont respectés de quiconque
les connaît, et ce respect va jusqu’à mettre de côté pour eux les racines les
plus recherchées et les parties les plus tendres du gibier dans toutes leurs
187
chasses, si lointaines qu’elles soient . » Cette position ne relève
néanmoins pas d’un coup de force qui conduirait à faire régner l’arbitraire
de quelques-uns. Elle est en effet acceptée par la communauté dans la
mesure où elle s’inscrit dans une tradition qui fait autorité. Tradition dont
les coutumes peuvent certes servir d’exutoire à certains qui ne se privaient
pas d’exercer une certaine violence voire un certain sadisme par exemple
lors de rituels d’initiation, comme chez les Aborigènes d’Australie :
Par exemple, chez les Aranda du Sud et de l’Est, pour ces cérémonies totémiques mineures, on
décorait les jeunes hommes arrogants dans la chaleur écrasante du plein été, et on les obligeait à
procéder en position assise ou agenouillée, sur un sol dur ou pierreux qui leur brûlait et leur
lacérait les genoux et les fesses. Ces actes devaient être poursuivis aussi longtemps que le chœur
des anciens jugeait bon de déclamer les versets cérémoniels. Les chanteurs, eux, étaient bien sûr
assis à l’ombre et prenaient plaisir à prolonger le calvaire des jeunes gens aussi longtemps qu’ils
188
le désiraient .
Charles Darwin notait ainsi dans son voyage en Terre de feu, concernant
les indigènes, que « si on donne une pièce d’étoffe à l’un d’eux, il la déchire
en morceaux et chacun en a sa part ; aucun individu ne peut devenir plus
201
riche que son voisin ». Dans certaines sociétés, les flèches étaient
échangées afin que l’on ne sache pas qui était celui qui avait décoché celle
qui avait atteint l’animal. De la sorte, il ne pouvait y avoir de prétendant à
202
l’animal tué qui était partagé entre tous . En règle générale, le chasseur ne
peut manger son propre gibier : s’il en avait la possibilité, cela fragiliserait
la solidarité du groupe qui se fragmenterait comme autant d’individus
supposés autosuffisants. L’évolution du rapport à la propriété peut se
retrouver dans le partage de la viande selon que les sociétés sont plus ou
moins sédentarisées : dans des sociétés comme celle des Aborigènes
d’Australie, le chasseur est dépossédé du gibier dès qu’il rentre au camp
pour être déposé puis distribué par un ancien. Les beaux-parents du
chasseur ont le droit de s’approprier son gibier sans condition. Chez les
Inuits ou chez les San, plus sédentarisés, le gibier chassé est distribué par le
chasseur qui l’a obtenu. Il doit se plier à des règles strictes mais il n’en
demeure pas moins qu’il s’agit de sa proie. Pour autant, « de même que le
partage évite l’écueil de la dette et du même coup la subordination d’une
personne à une autre, la possession de certains biens essentiels assure
203
l’autonomie du sujet ». Tout n’appartient donc pas à tous comme le
laisserait supposer l’idée mythologique d’un hypothétique communisme
primitif. En effet la possession de biens est intégrée dans l’économie
égalitaire de partage des sociétés premières : Woodburn par exemple montre
que les Hadza peuvent tout perdre à l’occasion des jeux de hasard, à
l’exception de leurs arcs et leurs flèches qui demeurent indispensables pour
204
la quête de nourriture . Les personnes s’appropriant le bien d’autrui ou de
la communauté peuvent même être sévèrement punies, voire tuées, comme
chez les Andamanais ou les Bushmen. L’auteur de vol peut ainsi être frappé
d’une malédiction désignée par exemple par le hau chez les Maoris.
Cependant, le vol ici dépasse ce que nous appelons l’atteinte à la propriété
privée. En effet ce qui déclenche le hau est le fait de détenir des biens aux
dépens d’autrui. Souvent le hau désigne l’excès, le surplus, comme si ce
que nous désignons nous modernes par « bénéfice » ou « profit » était
d’emblée suspect et devait circuler pour ne pas nuire à son détenteur. Le
hau ne s’applique pas qu’aux hommes, mais aussi aux animaux, à la terre, à
la forêt et aux maisons du village, compris alors comme principe de
fécondité. « De même que dans le contexte profane de l’échange, le hau est
le bénéfice d’un bien, de même en tant que qualité spirituelle, le hau est le
principe de fertilité. Dans l’un et l’autre cas, le bénéfice acquis par l’homme
205
doit être restitué à sa source – afin qu’elle demeure source . » Aussi est-il
nécessaire de bien distinguer deux types de catégories de biens dans les
sociétés primitives : la première, constituée de biens mobiliers comme les
maisons ou les jardins, pouvaient être considérés comme des biens
personnels, nous dirions « privés » ; la seconde, comme les champs ou les
biens naturels étaient en général des biens communs qui ne pouvaient faire
l’objet d’exploitations et de transactions sans l’assentiment de la
communauté. Kaj Birket-Smith rend compte de cette distinction dans son
observation des Inuits : « En principe, la situation est celle-ci : la possession
personnelle est conditionnée par l’usage réel de la propriété ; un homme qui
ne se sert pas de sa trappe à renards doit permettre à un autre de la placer ;
au Groenland un homme qui possédait déjà une tente et un oumiak ne
pouvait pas encore en recevoir par héritage, car il était entendu que
personne ne pouvait réclamer et utiliser plus d’un exemplaire de pareils
206
objets . » Chaque famille a le droit, en tant que membre de la société à
laquelle elle appartient, d’avoir accès aux ressources communes. Si des
terres sont réparties, une part lui est attribuée. La propriété n’est pas
exclusive et ressort d’un droit d’usage qui interdit toute possibilité de
propriété foncière et donc de rente foncière. Il peut bien y avoir des
inégalités dans la mesure où le rendement des terres n’est pas le même,
mais une personne qui travaille la terre ne pourra jamais être expropriée,
quand bien même deviendrait-elle esclave. Le problème de la faim et de la
misère n’apparaît réellement qu’avec l’avènement de la propriété foncière.
Les différences de rapport au droit de propriété entre la société indienne
et la société occidentale pouvaient se cristalliser à l’occasion de contrat
passé entre les deux parties, occasionnant souvent des malentendus.
Prenons le cas par exemple de William Pynchon. Le 15 juillet 1636, ce
marchand de fourrure a acheté un morceau de terrain du village d’Agawam,
comme en témoigne son contrat qui est l’un des premiers de l’histoire
américaine attestant d’une transaction avec les Indiens. Pynchon en
achetant ces terres pensait en avoir le droit d’usage exclusif, chose
inconcevable pour les Indiens qui voyaient dans cet achat un droit d’accès à
l’usage de la terre sans qu’il soit exclusif. Cet usage, qui était soumis à des
faisceaux de droits issus de coutumes qui pouvaient varier d’une tribu à
l’autre, prit finalement fin avec l’appropriation souveraine de ces territoires
par la Couronne anglaise, mettant un terme par la même occasion aux
207
possibles malentendus sur les termes du contrat . Cette manière
d’envisager la régulation collective des ressources se retrouve dans la
longue histoire des communs, remise en valeur notamment par les travaux
208
d’Elinor Ostrom . S’ils continuent à perdurer et à connaître un certain
regain d’intérêt, ils ont été largement mis à mal par l’émergence du
capitalisme et de l’État avec le phénomène des enclosures209. Ils peuvent
cependant demeurer une source d’inspiration et de réinvention. En
accordant la propriété avec un principe d’usage non excluant et non absolu
il devient possible de la concevoir à nouveau frais dans un monde commun
où la préservation de ce qui compte fait l’objet d’une gestion collective
conjurant l’abus de la propriété, comme ce fut le cas d’une certaine manière
chez les sauvages. Comme le souligne Proudhon, « ce n’est ni dans son
principe et ses origines, ni dans sa matière qu’il faut chercher la raison de la
propriété ; à tous ces égards, la propriété, je le répète, ne peut rien nous
210
offrir de plus que la possession ; c’est dans ses fins ». La propriété n’est
donc pas un droit de l’homme comme semblent l’entendre les déclarations
des droits de l’homme de 89, 93 et 95. Elle est avant tout une fonction, et
« c’est parce qu’elle est une fonction à laquelle tout citoyen est appelé,
comme il est appelé à posséder et à produire, qu’elle devient un droit : le
211
droit résultant ici de la destinée, non la destinée du droit ». Or, cette
destinée ne saurait être que politique dans la mesure où elle est traversée de
part en part par des enjeux collectifs.
Quand bien même des stocks étaient constitués au sein de villages pour
pallier notamment les mauvaises récoltes ou pour aider les villages alentour,
ils ne conduisaient pas nécessairement à une appropriation privée. Si
souvent le chef en avait la responsabilité, c’est toujours dans les limites du
contrôle de la communauté où « l’obligation de partage s’impose à
237
tous ». La notion et la fonction de stock diffèrent donc selon
l’organisation sociale. Cette variation se retrouve notamment dans la
pratique du potlatch consistant à distribuer voire dilapider les ressources,
souvent issues d’un stock, à destination de la communauté : alors que dans
les sociétés hétérarchiques, il fait l’objet d’un contrôle social rigoureux,
dans les sociétés hiérarchiques, il peut aussi servir d’instrument pour les
élites qui y voient un instrument de conjuration d’un espace marchand d’où
peuvent potentiellement émerger des élites concurrentes. Pour que le stock
puisse faire l’objet d’une appropriation privée au nom de tous, il est
nécessaire que certains individus soient perçus comme détenteurs d’un
pouvoir légitime qui cautionne la préemption. Ce n’est pas alors la richesse
matérielle en tant que stock qui constitue la cause de l’émergence
d’autorités coercitives et l’inégalité de statuts, mais bien plutôt la rencontre
du stock avec une autorité déjà conçue comme telle. Dès lors, l’autorité en
question va transformer le statut et la fonction du stock en en faisant l’objet
d’une ressource de pouvoir personnel, et le stock va transformer le statut de
l’autorité en la détachant définitivement de la communauté pour lui
conférer une position de surplomb. De cette manière, le stock et l’autorité
se sacralisent l’un l’autre en se coupant des relations d’échange propres au
social. La relation entre stock et autorité se retrouve par ailleurs avant
même la constitution de richesses à proprement parler dès lors que des
individus, comme le chamane ou le chef, opèrent des formes de stockage
symbolique externes qui rendent compte de leurs liens privilégiés avec les
non-humains. Le « stockage symbolique externe » apparaît 40 000 ans
avant notre ère, notamment dans les grottes, où les hommes y font alors
figurer une véritable cartographie de leur imaginaire. Aussi « les inégalités
de richesse ne se transmuent en domination sociale que si elles
s’accompagnent d’un mode de division des compétences rituelles
238
impliquant un accès inégalitaire à l’invisible ». Par la constitution
réciproque de la sacralité du stock et de l’autorité, la politique tient alors
lieu d’une nouvelle géographie : en effet « le processus de concentration
239
résulte pour une part du fait qu’il y a un centre ». À l’espace homogène
traversé par une multitude de forces cosmiques vient alors se greffer un
point fixe et absolu autour duquel la société va s’organiser. Le territoire
devient alors l’objet d’une fondation : la fondation du monde sécurisé par le
stock (qui peut faire aussi bien l’objet d’une redistribution alimentaire que
de sacrifices) contre le chaos.
De la graine au grenier
Ce n’est pas pour autant que toute trace d’animisme disparaît. Il existe
toujours une dialectique ou une tension entre le principe unificateur de la
souveraineté théologique lié à un principe commun de la nature et les
relations « personnelles » qui caractérisent les liens entre le paysan et les
êtres naturels qui composent son milieu. Il faut attendre la réforme
protestante à l’aube de la modernité pour que cet équilibre vacille au profit
exclusif du premier terme. En opérant en effet une radicalisation de la
transcendance de Dieu, par la suppression notamment des intermédiaires
avec le croyant, elle « est moins vecteur du monde moderne et industriel par
sa conception du travail et de l’argent, que par sa destruction culturelle de
l’animisme. La religion paysanne a disparu avant que ne disparaisse la
242
paysannerie ».
L’inégale répartition du développement de l’agriculture dans le monde
peut quant à elle s’expliquer en partie dans le rapport des sociétés à leur
potentialité de domestication : dans les cent à deux cents ans qui suivirent
l’arrivée de Christophe Colomb, 95 % de la population indienne du
Nouveau Monde fut décimée par la maladie. Pourquoi sont-ce les Indiens et
non les Européens qui ont été vulnérables aux nouvelles bactéries
rencontrées ? Près de 80 % des grands mammifères sauvages des
Amériques avaient disparu à la fin du dernier âge glaciaire il y a 13 000 ans,
ne permettant la domestication que de cinq animaux (le dindon, le lama, le
cochon d’inde, le canard et le chien), ce qui était infime comparé aux
animaux domestiqués en Eurasie à partir desquels ont pu proliférer les
maladies infectieuses et donc l’immunisation progressive des
243
populations . Cette pauvreté en termes de domestication animale explique
en partie pourquoi l’agriculture ne s’est pas développée autant qu’en
Eurasie (peu d’engrais animal, pas de bêtes pour pousser les charrues, etc.).
Il en est de même en Afrique subsaharienne où les plus grands mammifères
(zèbres, gnous, rhinocéros, hippopotames, girafes et buffles) sont demeurés
à l’état sauvage. Ce n’est que dans un temps plus récent que les espèces
domestiquées en Eurasie (vaches, moutons, chèvres, etc.) sont arrivées en
Afrique.
Les premiers pas en régime d’économie agricole permirent une
augmentation de la population mais le travail était plus dur, les épidémies
plus fréquentes, la paranoïa plus importante (il fallait protéger les stocks), la
richesse alimentaire réduite, les risques de mauvaise récolte élevés. Les
animaux domestiqués voient croître leur taux de mortalité à la naissance
ainsi que le nombre de leurs maladies liées à une mauvaise alimentation et à
leur confinement. Leur taux de fécondité cependant explose et permet de
compenser ces pertes. D’une certaine manière, il en est de même pour
l’homme qui connaît avec la naissance de l’agriculture des séquelles
similaires à celles des animaux qu’il a domestiqués : troubles
musculosquelettiques, pathologies osseuses liées à un régime alimentaire
pas assez diversifié, augmentation des infections liées à la forte densité, etc.
Il est d’ailleurs significatif que le sens littéral du mot « parasite » vienne du
grec ancien para (à côté) et sitos (blé ou pain). Le politologue James
Scott résume ainsi ce constat : « La révolution néolithique a entraîné un
appauvrissement de la sensibilité et du savoir pratique de notre espèce face
au monde naturel, un appauvrissement de son régime alimentaire, une
contraction de son espace vital et aussi, sans doute, de la richesse de son
244
existence rituelle . » Malgré la détérioration de la condition humaine, la
hausse de la démographie rend difficile un retour en arrière : il faut
désormais travailler dur pour nourrir l’ensemble de la population. Beaucoup
de sociétés de chasseurs-cueilleurs refusèrent ce mode de vie, au point que
les deux sociétés cohabitèrent sans doute pendant plusieurs millénaires,
mais cela au prix de guerres qui virent finalement la victoire des
agriculteurs notamment en raison de leur force démographique. Il importe
toutefois ici de distinguer la technique de l’économie : les chasseurs-
cueilleurs peuvent bien connaître des techniques propres à l’agriculture
mais ils n’ont pas pour autant développé une économie de l’agriculture. Ils
peuvent bien avoir connu des techniques de conservation de la nourriture
mais ils n’ont pas pour autant développé une économie du stockage. Le
passage de la technique à l’économie suppose une disposition transitoire
d’ordre politique. Ainsi, si les techniques se diffusent et peuvent être
imitées, leur généralisation n’est pas automatique, quand bien même elles
seraient connues. Entre ici une composante qui va à l’encontre du seul
déterminisme économique : celle de la conjuration morale et politique.
Les Yukaghir de la haute Kolyma connaissent fort bien l’élevage de rennes pratiqué par les Even,
mais ils l’ont obstinément refusé jusqu’à nos jours, car ils regardent comme un péché la prise de
possession de ces animaux appartenant, selon eux, aux esprits-maîtres. Ce faisant, les Yukaghir
sont loin de se soumettre aux « nécessités de leur reproduction matérielle ». Au contraire, ils
compromettent sévèrement leurs chances de survie pour se conformer aux exigences de leurs
245
principes moraux .
L’écriture de la valeur
Les plus anciens systèmes d’écriture ont avant tout servi à une chose bien
précise : conserver de l’information sur des stocks gérés par une
administration centralisée. C’est donc à des gestionnaires que l’on doit la
naissance de l’écriture, c’est-à-dire à des scribes, des comptables, mais
aussi des devins chargés de la lecture des signes du monde. En tant
qu’inscription de l’invisible dans le visible, l’écriture ouvrait ainsi un
univers immense à l’ensemble des individus pour lesquels la parole et le
récit étaient centraux. La comptabilité ajoutait au contrôle et à
l’interprétation du monde, comme formidable instrument de signification et
de pouvoir. Elle apparaît avec l’événement révolutionnaire dans l’histoire
de l’humanité que constitue la naissance de l’agriculture. Avec cette
dernière naissent l’excédent, puis la nécessité pour les individus de stocker
cet excédent. L’écriture est « née pour des raisons comptables, pour que
l’on puisse consigner sur des tablettes les quantités respectivement déposées
dans les greniers communs par les agriculteurs. Ce n’est pas un hasard si les
sociétés qui n’ont pas eu besoin de développer l’agriculture comme les
Aborigènes d’Australie et les autochtones de l’Amérique du Nord – parce
que le gibier et les fruits suffisaient largement à couvrir leurs besoins – ont
246
inventé la peinture et la musique, mais pas l’écriture ». C’est avec donc
la consignation comptable qu’apparaissent la dette et la monnaie. Les
administrateurs des temples ont ainsi conçu des systèmes de comptabilité
pour garder une trace des ressources et des mouvements de stocks. Aussi la
monnaie a-t-elle très peu servi à l’origine comme moyen d’échange mais
comme unité de compte, de manière à notifier la valeur des dettes et des
achats. Les échanges se faisaient en règle générale via un système de
247
crédit . Ce n’est qu’exceptionnellement qu’a lieu le troc, notamment
lorsqu’il n’existe pas de confiance préalable entre les sujets de l’échange,
ou lorsque les systèmes monétaires s’effondrent.
La comptabilité constitue donc le vecteur de la création de l’écriture qui
enregistre la variation des stocks et des flux dans un contexte où
l’agriculture devient l’objet d’administration des temples au sein des cités-
États émergentes. Nous retrouvons ainsi en Mésopotamie, plus de 3 000 ans
avant notre ère, des instruments de comptabilité, des bulles, à l’origine de
l’écriture : les bulles enveloppes ont la forme de bourses en argile qui
contiennent de petits objets appelés calculi, à l’origine de notre « calcul »,
permettant de compter, de dénombrer des denrées ou des biens. Cela peut
aussi être des sceaux, souvent synonymes de signatures, qui font davantage
appel à des figures ou à des images conférant parfois une dimension
magique. Or, « sans enfermement des calculi dans le ventre des bulles
enveloppes, nul passage de l’invisible au visible n’eût existé et l’écriture
248
des langues n’eût point pris son essor ». Pourquoi donc rendre invisibles
les calculi ? La bulle enveloppe était avant tout un outil de contrôle
permettant de revenir à un document comptable exact en cas de litige entre
des parties, qu’il s’agisse de transferts de biens, de conservation de denrées
dans un palais, etc. Ainsi, pour s’assurer de l’honnêteté d’un
accompagnateur de biens (que la tradition mésopotamienne appelait
« messager »), il arrivait que l’on casse la bulle enveloppe afin de s’assurer
qu’il n’avait pas subtilisé de biens lors de son voyage. La bulle enveloppe,
en plus d’être un instrument de comptabilité, est donc aussi un instrument
de contrôle ou de pouvoir doublé selon nous d’un instrument de crédit (du
verbe credere, croire) : en effet, l’invisible ici va de pair avec la notion de
confiance qui peut être mise à l’épreuve grâce au bris de la bulle. « Dans la
mesure où l’empreinte d’un sceau-cylindre sur une bulle signifiait la
signature d’un sujet responsable, évoquant une législation et donc, le cas
échéant, une répression, il est possible de dire que l’on a commencé à écrire
parce que les comptages notés maintenaient l’ordre social, surtout dans une
société en rapide accroissement démographique. Ils situaient chacun à sa
place et donnaient à voir les relations entre les humains, et celles des
249
humains face aux dieux . » La comptabilité s’inscrit dans une cosmologie
relative à un ordre maintenu par une autorité politique et religieuse. Elle va
ainsi émerger comme un instrument de contrôle central de l’administration
qui va enregistrer ce qu’elle considère comme une unité de compte ayant de
la valeur (dont la représentation comptable peut changer, comme nous le
verrons dans le chapitre sur la nature).
L’élite fait un usage de l’écriture permettant à la fois de soustraire des
informations au public par une communication limitée à un cercle d’initiés
et de publiciser ce qu’est la loi de manière à ce que le peuple ne puisse s’y
soustraire. Comme l’observe Claude Lévi-Strauss, « c’est une chose étrange
que l’écriture […]. Le seul phénomène qui l’ait fidèlement accompagnée est
la formation des cités et des empires, c’est-à-dire l’intégration dans un
système politique d’un nombre considérable d’individus et leur
hiérarchisation en castes et en classes […]. Elle paraît favoriser
250
l’exploitation des hommes avant leur illumination ». A contrario, à
Athènes, c’est la parole qui est au centre de la cité et notamment du procès.
L’écrit est marqué du soupçon lié à l’abus de pouvoir exercé par les tyrans
qui l’utilisent pour mieux se soustraire à la visibilité des citoyens. C’est
pourquoi l’écriture est avant tout confiée aux esclaves, dont l’exclusion de
la citoyenneté permet de conjurer le monopole de l’écrit par un tyran. « Le
tyran et l’esclave sont à cet égard les deux emblèmes symétriques d’une
même menace, associée à l’univers de la scripturalité, qu’il convient de
251
mettre à distance en la reléguant à l’extérieur du champ civique . » Il
importe cependant de noter que l’écriture est ambivalente et ne se limite pas
à un instrument de domination. L’écriture instaure en effet une distance à la
loi, notamment orale, qui permet aussi sa critique, comportant « du même
coup la virtualité d’une interprétation, du fait qu’elle n’est plus imprimée
dans le corps voyant et que le regard, la pensée qu’il recèle, se détachent de
ce qui lui est signifié – tandis que l’écriture primitive enfouit en chacun et
scelle un commandement qui ne sera jamais pensable et pas même
252
appréhendable comme commandement ». Elle contribue aussi à diviser
le pouvoir notamment par le système de signature et contre-signature.
Lorsque le roi signe un ordre, cet ordre est contresigné par un secrétaire qui
sera lui-même contresigné, etc. La contre-signature fragmente le pouvoir,
développe les contrôles (le roi est contrôlé par le pouvoir du contreseing),
mais surtout dissout les responsabilités : en effet, quand bien même le roi
serait fou, cela n’engagerait de toute façon pas sa responsabilité puisque
celle-ci serait endossée par la contre-signature de son ministre. En réalité, le
système de la contre-signature se développe dans toutes les strates de l’État
afin que les fonctionnaires se sentent protégés : « Les ministres eux-mêmes
sont intéressés à la perpétuation de cette routine ; ils sont heureux de
contresigner mais aussi d’être contresignés parce qu’ils sont aussi couverts
par celui qui contresigne, parce qu’ils ont peur d’être mis en cause pour les
actes du roi. Ils ont peur, en amont, de ne pas avoir de preuve du fait que ce
sont des actes royaux et, en aval, d’être les derniers responsables.
253
Autrement dit, ils veulent être garantis vers le haut et vers le bas . »
L’écriture peut aussi devenir un instrument aux mains du peuple, comme en
témoigne par exemple l’invention de l’écriture hangeul vers 1443 par le roi
e
Sejong le Grand, – l’écriture officielle de la Corée. À partir du VI siècle, les
caractères chinois s’imposent en Corée sous le nom de « hanja ». Seule
l’aristocratie et les lettrés de l’administration sont capables de les lire : on
en compte plusieurs dizaines de milliers. Le roi Sejong, désireux de
remédier à l’illettrisme de son peuple, décide alors de créer une écriture
accessible à tous. C’est ainsi qu’en 1446, il publie un traité intitulé hunmin
jongum qui signifie « Sons corrects pour l’éducation du peuple » et qui
deviendront l’hangeul. Les intellectuels et les aristocrates s’opposent
fortement à cette écriture : elle permettrait de donner un pouvoir trop
important au peuple. Elle est interdite dès 1504 par le successeur de Sejong
le Grand, Yeonsangun, pour être finalement réhabilitée en 1894. Entre-
temps, elle survit grâce aux personnes non éduquées qui continuent à
e
l’utiliser. Au XVII siècle, elle fait naître la littérature féminine qui est
largement méprisée par les élites du pays. Son emploi se généralise
finalement après la Seconde Guerre mondiale et permet alors à la Corée
d’être parmi les pays les plus alphabétisés du monde. Mais ce qui va
permettre de démocratiser radicalement l’écriture est la création de
l’alphabet qui va contribuer au passage d’une écriture ésotérique réservée à
des initiés à une écriture exotérique partagée par tous. Il est inventé dans le
pays de Canaan par l’adaptation des hiéroglyphes égyptiens en utilisant le
premier son du nom sémitique de l’objet représenté par le hiéroglyphe. Les
premiers États cananéens à faire usage de l’alphabet étaient les cités
phéniciennes qui le diffusèrent sur le pourtour méditerranéen, permettant
notamment les naissances de l’alphabet grec et araméen. Il serait erroné
cependant de considérer que l’écriture constitue un bien acquis
définitivement par les sociétés. Il était courant que des effondrements
institutionnels entraînent avec eux dans l’oubli les systèmes d’écriture :
ainsi par exemple des « âges obscurs » de la Grèce, de 1100 av. J.-C. à 700
av. J.-C., dus à des invasions, des guerres civiles ou des crises écologiques,
où finalement les Grecs réassimilèrent l’écriture grâce à l’alphabet
phénicien. La fuite de l’État ou l’effondrement de ce dernier
s’accompagnait alors de la perte de l’écriture pour plusieurs raisons : les
élites qui disposaient de ce savoir pouvaient choisir de s’assimiler à l’État
conquérant, elles pouvaient aussi choisir d’accompagner les résistants en
dissimulant et oubliant à terme l’écriture qui était désormais assimilée à une
institution oppressive, ou plus prosaïquement, la dispersion et les nouvelles
formes de nomadisme induites par la fuite rendaient inutile un tel système.
On retrouve ainsi dans beaucoup de traditions orales de ces peuples sans
État l’idée selon laquelle l’écriture est un bien perdu associé à la ruse d’une
domination politique qui l’a détruite ou subtilisée. Ainsi, lors de sa fuite
devant les expéditions militaires, la légende dit que les Akha ont perdu
l’écriture car ils « mangèrent leurs livres en peau de buffle lorsqu’ils eurent
254
faim ». Il en est ainsi de l’écriture comme de l’État : à l’origine
institutions précaires, elles étaient souvent susceptibles de disparaître. Ce
n’est que progressivement qu’elles purent se renforcer, notamment grâce à
l’impôt.
Polémologies sauvages
Altérités ennemies
Alors que pour Hobbes, l’État est contre la guerre, la société primitive
298
inverse cette proposition en affirmant que « la guerre est contre l’État ».
L’atomisation de l’univers tribal est certainement l’un des facteurs qui
explique l’impossibilité de l’émergence de l’État dont la fonction est
d’unifier le réel pour mieux réduire sa complexité et ainsi l’autonomie de
ses composantes. La guerre est alors dans les sociétés primitives le
« principal moyen sociologique de promouvoir la force centrifuge de
299
dispersion contre la force centripète d’unification ». Que cette
conjuration par la guerre soit consciente ou inconsciente importe peu, ses
effets n’en sont pas moins réels. D’une certaine manière, nous retrouvons
un schéma similaire avec les cités grecques de l’Antiquité qui sont sans
cesse en rivalité, en lutte et souvent en guerre les unes contre les autres.
Cette rivalité est à la fois le signe et la condition de l’indépendance des cités
qui peuvent chaque fois affirmer leur physionomie propre, notamment en
sauvegardant leurs propres dieux. La guerre qu’elles mènent conjure alors
la forme impériale que les Grecs retrouvent chez les Perses et qui
annoncerait la fin de leur modèle. Pourquoi dans ces conditions la guerre
favorise-t-elle l’éparpillement et non la fusion ? Un élément de réponse
réside dans la faible densité de la population : les communautés peuvent
alors trouver refuge dans d’autres territoires, mais à mesure que cette
densité augmente une telle fuite devient plus problématique : les vaincus se
300
voient alors envahir et imposer des tributs . Un autre élément de réponse
est politique : les différentes communautés élaborent un jeu complexe
d’alliances de manière à préserver un équilibre des forces qui ne conduise
pas l’émergence d’une hégémonie. La guerre met alors « en question
l’échange comme ensemble des relations sociopolitiques entre
communautés différentes, mais elle le met en question précisément pour le
301
fonder, pour l’instituer par la médiation de l’alliance ». Le rapt des
femmes est ici central. Le beau-frère devient un ennemi qu’il faut abattre et
si ce n’est le cas, vivre en présence de sa menace potentielle. Il est aussi
possible de se procurer les femmes par un échange pacifique, mais la visite
demeure comme « une guerre que l’on évite de se faire. […] On ne va pas
se faire la guerre, on va la mimer302 ». C’est pourquoi le processus de
réconciliation et d’échange est toujours précédé d’un rituel où les deux
groupes armés se font face et déposent leurs armes L’exogamie vient alors
équilibrer l’économie générale de la guerre : l’échange de femmes et les
mariages entre les différentes communautés permettent la constitution
d’alliances qui, si elles limitent l’autonomie des sociétés, leur procure aussi
un avantage en termes sécuritaires. Elles ne sont plus entourées uniquement
d’ennemis potentiels mais aussi d’alliés. La violence peut alors parfois être
évitée, dès lors que le mariage devient la guerre comme continuation par
d’autres moyens. Les Kwakiutl disent ainsi que « les chefs font la guerre
303
aux princesses des tribus ». Ce qui est anticipé dans les sociétés
primitives, c’est le coup de trop, ou la guerre en trop qui ferait basculer
d’un système à un autre en franchissant le seuil conjuré. Ce dernier coup est
la limite à ne pas franchir pour permettre la reproduction de l’agencement
social. Ce qui était conjuré dans les sociétés primitives est totalement
investi par l’État : c’est la violence illimitée et ultime, celle qui constitue
304
l’acte fondateur une fois pour toutes . Comment dès lors expliquer la
possibilité du franchissement de ce seuil pourtant si redouté ? Clastres lui-
même s’est interrogé sur les possibilités d’un emballement de la guerre qui
mettrait fin au modèle social des sociétés primitives, notamment dans son
séminaire à l’École pratique des hautes études qui portait en 1976-1977 sur
« les effets sociologiques qui résultent de l’emballement de la machine
guerrière, en certaines circonstances, dans une société primitive ». Il
émettait l’hypothèse suivante : « Le guerrier est par essence condamné à la
fuite en avant. La gloire conquise ne suffit jamais à soi-même, elle demande
à être sans cesse prouvée, et tout exploit réalisé en appelle aussitôt un
305
autre . » Deleuze dans Mille plateaux approfondit cette intuition :
1) la machine de guerre est l’invention nomade qui n’a même pas la guerre pour objet premier,
mais comme objectif second, supplémentaire ou synthétique, au sens où elle est déterminée à
détruire la forme-État et la forme-ville auxquelles elle se heurte ; 2) quand l’État s’approprie la
machine de guerre, celle-ci change évidemment de nature et de fonction, puisqu’elle est alors
dirigée contre les nomades et tous les destructeurs d’État, ou bien exprime des relations entre
États, en tant qu’un État prétend seulement en détruire un autre ou lui imposer ses buts ; 3) mais,
justement, c’est quand la machine de guerre est ainsi appropriée par l’État qu’elle tend à prendre
la guerre pour objet direct et premier, pour objet « analytique » (et que la guerre tend à prendre la
bataille pour objet). Bref, c’est en même temps que l’appareil d’État s’approprie une machine de
guerre, que la machine de guerre prend la guerre pour objet, et que la guerre devient subordonnée
306
aux buts de l’État .
Du devenir chose
Commençons par ce paradoxe : « C’est dans les sociétés que nous avons
l’habitude de considérer comme les moins hiérarchisées et les moins
oppressives que se rencontre la pire condition de l’esclave et c’est dans
celles que nous avons tendance à qualifier de despotiques que se rencontre
334
la plus favorable . » Pourquoi ? Parce que dans les sociétés égalitaires,
l’esclave est l’objet de l’arbitraire de son maître, qu’il s’agisse de l’individu
ou de la société dans son ensemble. Leurs rapports peuvent bien être
codifiés par des coutumes et des traditions, mais il n’empêche que le statut
d’Autre radicalement extérieur, et donc inférieur, de l’esclave, est
proportionnel à l’égalité de statut des membres de la société qui l’asservit. Il
se trouve alors toute une gamme de relations entre le maître ou la société et
l’esclave qui relève d’un rapport variable au politique en général et à l’État
en particulier. Dans de nombreuses sociétés sans État par exemple, nous
retrouvons des morts d’accompagnement qui pour Alain Testart constituent
les prémisses d’une relation de pouvoir et de dépendance que l’on retrouve
dans l’esclavage. Il s’agit d’un lien entre un individu qui a de l’importance
et d’autres qui doivent l’accompagner dans la mort, comme dans la vie, par
soumission fidèle. Or, avec la bureaucratisation de l’État, les morts
d’accompagnement tendent à disparaître car elles représentent autant de
fidélités personnelles à des maîtres susceptibles de menacer le pouvoir
e
central. C’est le cas par exemple en Chine dès le V siècle av. J.-C., alors
que cette pratique subsiste en Afrique noire jusqu’au XIXe siècle. Les
fonctionnaires, corps anonyme, tendent alors à remplacer les servitudes
individuelles. Dans un premier temps, le roi protège l’esclave contre
l’arbitraire du maître en l’intégrant davantage dans la société. Cette
« protection » résulte de l’effet collatéral d’une stratégie : le pouvoir central
doit capturer les forces qui le menacent ou le limitent. Les rois transforment
alors les esclaves en « captif royaux ». L’objectif est simple : émanciper un
individu qui n’est rien en le rattachant symboliquement à la figure du roi
(par exemple en recevant son nom patronymique) qui s’assure ainsi une
fidélité servile contre les élites menaçantes de son royaume. En effet ces
derniers sont susceptibles de concurrencer le pouvoir du roi en ayant un
pouvoir de domination directe sur les hommes. Qui plus est, ce pouvoir de
domination se soustrait au pouvoir du roi dans la mesure où l’esclave n’est
pas sujet du roi : il ne paye pas d’impôt et n’est pas astreint au service
militaire. Il obéit à son maître avant d’obéir au roi. Pour remédier à ce
pouvoir privé qui représente une menace pour le pouvoir public, le roi
limite le pouvoir des maîtres et protège l’esclave, au point parfois de le
transformer en sujet. Aussi, dans les royaumes puissants, en règle générale,
le droit de vie et de mort sur les esclaves est réservé au roi et retiré aux
maîtres. Dans le royaume d’Abomey (Dahomé) par exemple, les esclaves
appartenaient au roi quand bien même pouvaient-ils être distribués aux
grands qui n’avaient pas le droit de les mettre à mort. Chez les Aztèques où
le sacrifice est central, l’esclave qui passait la porte du palais se trouvait
immédiatement affranchi en la présence du souverain. Il ne pouvait être
335
arrêté par ses maîtres s’il parvenait à s’échapper du marché . Le contrôle
progressif des esclaves par le souverain s’accompagne ainsi du monopole
par l’État de la peine de mort. Il est ainsi significatif que l’abolition de
l’esclavage en France en février 1848 soit allée de pair avec l’abolition de la
peine de mort en matière politique. Dans certaines grandes sociétés
esclavagistes, l’intégration par la royauté des esclaves a pu peu à peu
s’institutionnaliser à mesure que se dessinaient les contours de l’État, les
esclaves occupant de hautes fonctions dans l’armée comme relais d’un
pouvoir royal contre lequel ils pouvaient éventuellement se retourner, par
336
exemple dans l’Afrique de l’Ouest médiévale . C’est pourquoi avec la
bureaucratisation de l’État et le développement de la légitimité légale
rationnelle, ce corps autonome des esclaves fonctionnaires devait être
éliminé. En 1811, Méhémet Ali, vice-roi d’Égypte, supprima ainsi les
mamelouks qui régnaient sur le pays depuis six cents ans. De même, le
corps des janissaires, de plus en plus important et privilégié, et bien que
e
tenu à l’écart du pouvoir, devient une menace à partir du XVI siècle. Il est
éliminé en 1826 par le sultan de l’Empire ottoman Mahmûd II. Dans ces cas
de figure, l’esclavage a contribué à l’émergence de l’État dont la stratégie a
consisté à capturer et à monopoliser l’esclave marchandise et l’esclave
comme tribut de manière à s’adjoindre des forces fidèles consolidant sa
puissance. Néanmoins, la reconnaissance juridique du corps d’esclaves
intégrés dans l’État allait devenir à terme une menace incompatible avec sa
bureaucratisation.
Il en est autrement dans la Grèce antique où les esclaves domestiques
étaient conçus comme un corps permettant de conjurer l’émergence de
l’État. L’administration de la cité grecque antique était assurée par des
esclaves, par définition exclus de la communauté, ce qui témoigne comme
l’avance Paulin Ismard « d’un refus de l’État qui est au fondement de
337
l’expérience démocratique athénienne ». Ces esclaves publics, les
dêmosioi, sont la propriété collective de la cité et non la propriété privée
d’un souverain ou d’une personne en particulier. Cette appartenance à la
sphère civique se retrouve jusque dans la chair de l’esclave qui est marquée
par l’empreinte de la sphragis, qui désigne aussi le sceau public. Ils
proviennent essentiellement des marchés d’esclave et non de la guerre.
Maîtrisant l’écriture, à la différence de beaucoup de citoyens, ils sont mis à
distance dans la mesure où une telle expertise constitue une potentielle
menace pour l’équilibre des institutions, consacrant ainsi la séparation entre
technique et politique dans la cité. Les dêmosioi avaient plusieurs
fonctions : ils pouvaient ainsi certifier des comptes et contrôler alors
l’activité des magistrats, mais aussi garantir l’authenticité des monnaies en
circulation, constituer le corps policier, participer aux chantiers publics en
tant qu’ouvriers (routes, théâtres, etc.) ou encore être au service des
sanctuaires. Le fait de confier ces tâches importantes aux esclaves (par
exemple être garant des échanges monétaires) permettait de ne pas briser
l’ordre égalitaire des citoyens en réservant l’inégalité de l’expertise à une
catégorie d’individus exclus du champ politique, conjurant ainsi la
corruption qui était moins concevable chez les dêmosios exclus du champ
social. Dans l’esclavage moderne, au contraire, il est inconcevable que
l’esclave soit instruit, encore moins expert : le savoir est avant tout l’affaire
de ceux qui ont les capacités d’administrer. L’accès au savoir par la
réminiscence de l’esclave que l’on retrouve dans la célèbre scène du Ménon
s’oppose au savoir démocratique qui passe par la délibération. En cela, le
voile d’ignorance de Rawls, où chaque individu isolé doit faire abstraction
de sa condition sociale pour concevoir le juste, trouve son origine
davantage dans cette conception épistémologique que l’on retrouve chez
l’esclave que chez le citoyen.
Pour la Grèce antique, ce que l’on appelle le « paradoxe finleyien »
consiste à avancer que plus la cité se démocratisait plus l’esclavage se
développait, l’abolition de l’esclavage interne pour dette demandant pour
compensation un fort esclavage externe. En réalité, c’est sans doute en
raison de la position impérialiste d’Athènes et du développement des
marchés d’esclaves que la possibilité d’abolir l’esclavage pour dette a été
338
possible . Cela ne répond toutefois pas à la question de la nécessité d’un
esclavage développé (qu’il soit interne ou externe) dans la société
démocratique. C’est que le recours aux esclaves permettait de masquer
l’écart entre l’administration et la vie démocratique, leur invisibilité
339
permettant de cultiver cette illusion d’identité entre les deux . En leur
confiant les tâches bureaucratiques, la cité s’assurait qu’elles soient
conformes à la volonté du demos. Cette manière de s’assurer une telle
subordination relevait d’une conjuration : celle de l’émergence d’un État
autonome qui puisse se retourner contre cette volonté. « Si l’esclave est au
cœur du fonctionnement du politique, c’est que son existence permet de
conjurer toute forme de représentation, que la communauté civique ne peut
penser que dans les termes d’une séparation, voire d’une dépossession. Or
cet exorcisme grandiose ne pouvait s’accomplir qu’au travers d’une autre
340
dépossession, celle dont les esclaves étaient les victimes . » Si les
esclaves publics grecs ne se sont jamais constitués en corps autonome,
comme les mamelouks, c’est parce qu’aucune reconnaissance ne leur était
accordée en tant que communauté, la seule qui vaille et par rapport à
laquelle ils étaient définis étant celle des citoyens. À l’époque de la Grèce
antique il n’existe pas de personnalité juridique de la cité telle qu’elle peut
exister avec l’État moderne. Il n’existe pas par conséquent de propriété
publique entendue au sens de propriété de l’État. D’une certaine manière,
les esclaves publics relèvent d’un commun. Le maître de l’esclave public
341
n’est pas la somme des citoyens mais « une entité bien fantomatique » :
la cité, qui tend à se confondre avec les dieux, les esclaves publics étant
entretenus à la fois par les caisses de la cité et des sanctuaires. Cela
explique notamment pourquoi l’esclave peut trouver refuge dans ces
derniers. Il est notable en effet que dans beaucoup de villes grecques et
romaines existaient des lieux d’asylie où les esclaves pouvaient se réfugier.
Il s’agissait pour la plupart du temps de sanctuaires qui pouvaient les
protéger contre les mauvais traitements de leurs maîtres. Les prêtres
émettaient alors un jugement qui pouvait conclure que l’esclave pouvait
rester et se mettre au service du sanctuaire. Le maître pouvait toutefois
convaincre son esclave de rentrer avec lui en lui promettant de le traiter
avec davantage d’humanité. Diodore rapporte que de tels serments étaient
respectés par le maître en ce qu’ils étaient garantis par la crainte des
342
dieux . Euripide atteste ainsi de ces pratiques dans Les Suppliantes : « La
343
bête fauve a la grotte pour refuge, l’esclave, les autels des dieux . » Cette
protection par les dieux va trouver un nouvel élan avec l’émergence du
monothéisme. Nous retrouvons ainsi dans la loi hébraïque (Lévitique et
Deutéronome) trois nouveautés qui n’ont pas d’antécédent dans l’histoire de
l’esclavage : premièrement, la violence des maîtres est limitée (les esclaves
doivent par exemple être libérés s’ils ont l’œil crevé) ; deuxièmement, le
devoir d’hospitalité est un devoir envers les esclaves en fuite (alors que le
code Hammourabi sanctionne de mort une telle action) ; troisièmement, les
femmes esclaves prises comme épouses ne peuvent être vendues, et si elles
sont répudiées doivent être affranchies. Ces dispositions sont peu ou prou
les mêmes dans l’islam. Dans le christianisme, l’esclave est la figure de
l’émancipé, la charité qui est inconditionnelle et n’attend rien en retour
devant remplacer le don qui appelle le contre-don avec tous les risques de
servitude pour dette qui peuvent s’ensuivre. François Hartog rend ainsi
compte de la prédisposition théologique critique de l’institution
esclavagiste : « Quand une cause produit un effet qui, en langage
aristotélicien, ne peut atteindre son telos (finalité), c’est qu’il y a un défaut
dans la cause. Pour avoir créé des hommes sans la capacité suffisante de
recevoir la foi et de se sauver eux-mêmes, il faudrait admettre un défaut de
344
Dieu . » L’esclavage demeure cependant, comme une pratique ancrée qui
peine à disparaître, en témoigne l’ambiguïté de la position des papes
comme Paul III qui adresse le 29 mai 1537 au cardinal Juan de Tavera un
bref apostolique, Pastorale officium, dans lequel il affirme que les Indiens
ne doivent pas être réduits en esclavage, quand bien même ils ne seraient
pas chrétiens, mais ne dit rien sur la traite des Africains. Les États
européens en viennent néanmoins à reléguer peu à peu l’esclave hors de
leur territoire, comme en témoigne l’édit royal de 1315 selon lequel tout
e
esclave qui aborde le sol français devient libre. À la fin du XVIII siècle, il
n’existe plus d’esclave sur les territoires français et anglais mais celui-ci
continue à faire l’objet de traites transatlantiques.
L’esclave fait donc l’objet d’une double position dans son rapport à l’État
– conjuration ou fortification –, liée à la conception que la société a du
politique. Dans le premier cas, nous sommes en présence de société sans
État dont nous pouvons distinguer schématiquement deux configurations :
avec ou sans administration. Dans les sociétés sans État ni administration
que l’on retrouve chez les sauvages qui connaissent la domestication,
l’esclavage est exogène et endogène. Il peut à tout moment surgir de la
société pour briser une égalité de statut fragile, notamment pour dette ou
pour infraction. Néanmoins, en appartenant à la communauté dans son
ensemble ou à des maîtres, les esclaves ne peuvent faire l’objet d’une
appropriation monopolistique préfigurant l’État. Chez les Grecs, qui
constituent une société sans État dotée d’une administration, l’égalité de
statut des citoyens est consolidée par l’abolition de l’esclavage pour dette
au profit de l’esclavage exogène, le citoyen n’ayant pas le droit de devenir
esclave. S’opère alors une division entre l’expertise réservée à
l’administration et la politique aux citoyens, de sorte que cette
administration demeure à la fois soumise et exclue de la polis qui ne saurait
tolérer qu’elle prenne une place prédominante au point de devenir un État.
Dans le second cas, nous sommes en présence de société à État, où
l’esclavage va contribuer au développement de sa puissance. Favorisant
l’émergence de rapports d’autorité et de dépendances qui vont conduire à la
concentration par le roi d’un monopole du droit de vie et de mort aux
dépens des maîtres privés, il devient ainsi l’objet d’une capture en tant
qu’impôt par le tribut ou en tant que soldat et garde rapprochée. Mais cette
reconnaissance en tant que corps autonome et intégré (qu’on ne retrouve
pas chez les Grecs) peut s’avérer dangereuse pour le pouvoir qui à terme en
vient à l’éliminer. C’est que l’État a davantage besoin de sujets que
d’esclaves pour remplir ses caisses et faire la guerre : pour que chacun
puisse payer des impôts, chacun doit avoir la capacité juridique de
posséder ; et pour que chacun puisse porter les armes, chacun doit avoir la
capacité juridique de citoyen.
VIII
Variations territoriales
Les territoires sont toujours marqués par des limites qu’il est impensable
de franchir. Si le territoire en effet peut appartenir en commun à la
communauté, donnant libre accès à chacun de ses membres par exemple
pour la chasse, il est inconcevable d’aller chasser sur le territoire d’une
autre communauté. Chez les Kariera par exemple, une tribu du nord-ouest
de l’Australie, « la seule exception à cette règle semble avoir concerné le
cas où un homme était en train de suivre un kangourou ou un émeu et
franchissait les limites du territoire de ses voisins, et pouvait alors le
rattraper et le tuer. Chasser ou ramasser des végétaux sur les terres d’un
autre groupe constitue un acte de transgression et était jadis susceptible
d’être puni de mort. L’importance attachée à cette loi semble avoir été si
348
grande que ces cas de violations étaient très rares ». Dans le même ordre
d’idée, les tribus guayaki au Brésil voient chacune en l’Autre un Étranger
potentiellement dangereux qu’il est nécessaire d’éviter. Si la chasse les
emmène au point qu’ils retrouvent des traces n’appartenant pas à leur
groupe, ils rebroussent chemin de peur de recevoir une volée de flèches.
« Chacun surestimant à plaisir l’esprit belliqueux de l’autre, les deux tribus
étaient ainsi parvenues à coexister pacifiquement, toutes deux s’enfermant
sur leur territoire respectif, par peur des horribles représailles dont les autres
349
n’auraient pas manqué de punir toute violation de frontières . » Cet
attachement à la terre est ainsi signifié dans des rituels symboliques que
l’on retrouve par exemple chez les Nuer : si un homme doit s’établir dans
une autre tribu, il doit d’abord boire un peu de sa terre natale dissoute dans
de l’eau qu’il mélange progressivement avec la terre de sa nouvelle tribu
pour dissoudre peu à peu les liens qui l’y attachaient. Des sites pouvaient
délimiter nettement deux territoires destinés à des zones de pêche ou de
chasse. Dans le Massachusetts, par exemple, les Indiens avaient dénommé
un site « Chabanakongkomuk » qui peut être traduit par « tu pêches de ton
côté, je pêche du mien, personne ne pêche entre les deux – et tout ira pour
350
le mieux ». Des fortifications peuvent même apparaître dans les sociétés
sans État qui voient leur dimension sédentaire s’accentuer. C’est le cas par
exemple des Iroquois dont on date les premiers sites palissadés entre 800 et
1000 dans le sud-ouest de l’Ontario et entre 1000 et 1100 dans la région de
New York. Plusieurs explications de l’émergence de ces fortifications sont
avancées : la protection contre les autres tribus, contre les intempéries et les
animaux, ou comme marqueur social d’intégration symbolique du
351
village . À cela s’ajoute une dimension religieuse du territoire liée à la
manière dont se définit la société sans État. La religion est en effet
constitutive d’une identité qui rend difficile voire impossible toute forme de
conversion. Cela est particulièrement prégnant dans les sociétés de l’oralité
qui n’ont pas développé de système d’écriture, les religions écrites pouvant
connaître au contraire une certaine expansion grâce au texte (la
transmission et l’adhésion se faisant plus facilement). L’organisation interne
du territoire est ainsi largement liée à cosmogonie particulière qui peut être
bouleversée si cette organisation est changée. Les missionnaires, dans leur
travail de conversion du Nouveau Monde, ne s’y étaient pas trompés
comme le souligne Claude Lévi-Strauss dans Tristes tropiques : « La
distribution circulaire des huttes autour de la maison des hommes est d’une
telle importance, en ce qui concerne la vie sociale et la pratique du culte,
que les missionnaires salésiens de la région du Rio das Garças ont vite
appris que le plus sûr moyen de convertir les Bororo consiste à leur faire
abandonner leur village pour un autre où les maisons sont disposées en
352
rangées parallèles . » L’équilibre traditionnel des forces, en étant rompu
par une puissance du dehors, s’effondre pour ensuite se reconstituer sur de
nouvelles bases. Dans un premier temps néanmoins le chaos contamine le
corps social en le coupant de son pouvoir qui reposait sur les solides assises
de son espace sacré, tout empreint de rituels protecteurs. Car comme le
précise Van Der Leeuw, « est espace sacré un lieu qui devient un
emplacement lorsque l’effet de la puissance s’y reproduit ou y est renouvelé
par l’homme. C’est l’emplacement du culte. Que cet emplacement soit une
maison ou un temple, il n’importe. Car la vie domestique est, elle aussi, une
célébration qui se répète toujours, dans le cours régulier du travail, des
repas, des purifications, etc. Ceci fait comprendre que l’homme s’attache
353
avec une opiniâtre persistance aux places où il a une fois pris position ».
Entre le nomade et le sédentaire, il existe ainsi une différence d’ordre
métaphysique médiée par leur rapport au territoire : le nomade, avec sa
tente, voit le ciel et la terre réunis dans une forme d’harmonie, fût-elle
traversée par des forces en tension, tandis que le paysan, dans sa maison,
voit une opposition entre le ciel et la terre, comme il expérimente une
354
résistance lorsqu’il laboure son champ . Si le sédentaire voit dans le local
l’incarnation du sacré, se représentant l’absolu dans un centre (par exemple
le Temple), le nomade a un sens de l’absolu lié à la ligne et non au point.
Or, cette ligne peut tendre à l’universel dès lors qu’elle a pu transfigurer un
point lui donnant un appui pour son essor (par exemple La Mecque ou
Jérusalem), d’où le rapport ambigu des nomades avec les grandes religions :
La migration est un rite en elle-même, une catharsis « religieuse », révolutionnaire au sens le plus
strict car chaque installation et chaque départ représentent autant de nouveaux commencements.
[…] Il est paradoxal, mais pas surprenant, que les grandes religions – le judaïsme, le
christianisme, l’islam, le zoroastrisme et le bouddhisme – furent prêchées devant des peuples
355
sédentaires qui avaient été nomades .
S’il existe donc bien toujours une distinction voire une opposition entre
les nomades et les sédentaires, il n’en demeure pas moins un enjeu de
mutation ou de transfiguration de leurs modes d’existence dû à des
modalités de rencontre liées notamment aux grandes religions ou à
l’émergence de l’État. Tout consiste alors à correctement saisir en quoi
consistent ces modalités. En premier lieu, il importe de souligner qu’elles
ne relèvent pas d’une continuité ou d’une progression « naturelle » ou
inéluctable.
Plusieurs facteurs sont souvent avancés pour expliquer l’émergence de
l’État qui relèvent du quantitatif comme la démographie, ou de la technique
comme l’agriculture, qui constitueraient autant de phénomènes inéluctables
auxquels la volonté de l’homme devrait se plier. En réalité, ces phénomènes
font bien souvent l’objet d’un contrôle de la part des sociétés. Les
migrations par exemple ne sont pas tant liées à un manque de ressources ou
d’espace qu’à un choix politique : celui de refuser de dépasser un certain
seuil démographique dans un village, compris entre 100 et 200 habitants, de
manière à ne pas être confronté aux problèmes que pose l’organisation des
masses humaines. C’est ainsi que très régulièrement, les processus
d’urbanisation s’interrompent, comme si un certain seuil était
infranchissable : c’est le cas de villes ukrainiennes et moldaves au
cinquième millénaire avant notre ère, des cités mycéniennes au deuxième
millénaire avant notre ère, de celles de la vallée de l’Indus vers 1700 ou
encore des villes celtes à la moitié du premier millénaire. Ces migrations se
réalisent alors comme de véritables mouvements conjurant l’État. Quant à
l’agriculture, elle n’a pas toujours constitué une condition nécessaire à la
sédentarité : les premiers villages que l’on retrouve lors de la période du
Natoufien (vers 11000 avant notre ère) au Proche-Orient étaient composés
de chasseurs-cueilleurs qui ont vécu deux mille ans ainsi avant d’inventer
l’agriculture. Au Japon par exemple, les Jomons étaient des chasseurs-
cueilleurs qui vécurent cinq mille ans de manière sédentaire avant d’adopter
un mode de production agricole. Les chasseurs-cueilleurs n’ont cependant
jamais créé de ville, d’État ou de classes sociales. L’agriculture pouvait
exister aussi sans qu’existent d’État ou de classes sociales, comme ce fut le
cas chez les Germains d’Europe occidentale. De la même façon, des États
pouvaient exister sans que la métallurgie du bronze ait été inventée, comme
en Égypte, chez les Mayas ou chez les Aztèques. Ce n’est donc pas la
technique ou la démographie qui vont déterminer l’émergence de telle ou
telle forme politique : s’il peut y avoir corrélation, on ne saurait y voir un
lien de causalité. C’est davantage dans la condition politique, y compris
dans ce qu’elle comprend de métaphysique, que l’on peut appréhender les
mutations. « Par un simple agrandissement, le village n’aurait jamais pu
devenir une cité : celle-ci n’était-elle pas la représentation symbolique d’un
monde nouveau, pas seulement une agglomération humaine, mais la
356
matérialisation d’un cosmos sous l’égide de ses dieux . » Il existe ainsi
des seuils de consistance qui permettent de passer d’une forme politique à
une autre, passage qui induit un nouveau rapport au territoire. Les villes, par
exemple, constituent des nœuds par lesquels passent des flux avec les routes
qui les traversent ou la mer qui les borde. Elles se situent au point
d’équilibre entre l’espace fixe et limité du sédentaire et l’espace lisse du
nomade, propice à la circulation des hommes et des marchandises. « Les
villes sont des points-circuits de toute nature, qui font contrepoint sur les
lignes horizontales ; elles opèrent une intégration complète, mais locale, et
de ville en ville. Chacune constitue un pouvoir central, mais de polarisation
357
ou de milieu, de coordination forcée . » Avec l’émergence de la forme
État un nouveau seuil est franchi, marquée par un nouveau rapport
ambivalent au territoire. Bourdieu, témoignant de son expérience en
Kabylie où l’unité des villages apparaissait comme factice, « construite » en
quelque sorte par l’autorité coloniale, remarquait que l’État faisait
prédominer l’appartenance territoriale sur l’appartenance lignagère de
manière à faciliter l’allégeance : « C’est le cousin qui est remplacé par le
358
voisin . » En réalité il ne s’agit pas tant d’une territorialisation à
proprement parler que d’un changement de modalité de rapport au
territoire : le rapport premier à la terre déterminé par les lignages fait l’objet
d’une déterritorialisation par l’État qui territorialise d’une autre manière,
afin que le rapport de l’individu au territoire corresponde à une sujétion vis-
à-vis de l’administration. Deleuze et Guattari rendent ainsi compte de ce
phénomène :
Quand la division porte sur la terre elle-même, en vertu d’une organisation administrative,
foncière et résidentielle, on ne peut dès lors y voir une promotion de la territorialité, mais tout au
contraire l’effet du premier grand mouvement de déterritorialisation sur les communautés
primitives. L’unité immanente de la terre comme moteur immobile fait place à une unité
transcendante d’une tout autre nature, unité d’État ; le corps plein n’est plus celui de la terre, mais
celui du Despote, l’Inengendré, qui se charge maintenant de la fertilité du sol comme de la pluie
du ciel, et de l’appropriation générale des forces productives. Le socius primitif sauvage était
donc bien la seule machine territoriale au sens strict. Et le fonctionnement d’une telle machine
consiste en ceci : décliner alliance et filiation, décliner les lignages sur le corps de la terre, avant
359
qu’il y ait un État .
Alternances
Selon un schéma historique linéaire, il est souvent convenu que le
sédentaire succède naturellement au nomade. En réalité, nous retrouvons
dans l’histoire de nombreux exemples de dialectique entre ces deux formes
de modalités d’organisation sociale qui parfois se fondent en une seule par
un procédé d’alternance. Nous retrouvons par exemple dans de nombreuses
sociétés des modalités d’organisation qui vont différer selon les rythmes
saisonniers. Gobekli Tepe est un site qui vu le jour au sud-est de l’Anatolie
il y a 12 000 ans, bien avant la révolution néolithique (8000 av. J.-C.). Il est
constitué d’une vingtaine d’enceintes mesurant entre 10 et 30 mètres de
diamètre, avec en leur centre des piliers de 5 mètres de hauteur. La
construction d’un tel édifice a dû requérir la force de plusieurs centaines
d’individus. Il est frappant de constater que les animaux représentés ne sont
pas des animaux domestiques, ce qui conduit à penser que les sociétés ayant
édifié ce site sont des sociétés de chasseurs-cueilleurs. Ensuite, nulle part ne
figure de gravures de figures féminines, comme on en trouve dans les lieux
dédiés à la fécondité, mais on trouve en revanche des coffres entre les
piliers dont on suppose qu’ils renferment des crânes, qui peuvent porter à
penser qu’il s’agissait d’un lieu sacré consacré à la mort, voire à des
sacrifices. Un tel édifice dédié à des rituels religieux montre que les tribus
de chasseurs-cueilleurs n’étaient pas isolées et qu’elles connaissaient des
mouvements alternatifs de nomadisme et de sédentarisation où elles
pouvaient se réunir à l’occasion de fêtes religieuses propices à leur
fédération. Beaucoup d’autres sites comme Dolní Věstonice, dans le bassin
de Moravie, ou encore Stonehenge, témoignent de regroupements à grande
échelle, annuels ou biannuels, après dispersion des groupes pour aller
chercher de la nourriture lorsque la saison était moins clémente. Si lors de
la saison festive il pouvait y avoir l’apparition d’un roi, il disparaissait une
fois la saison terminée. L’établissement de ces variations saisonnières est
important dans la mesure où elles montrent que dès le début de l’histoire de
l’humanité, diverses organisations sociales sont expérimentées de façon
consciente. Dans son Essai sur les variations saisonnières chez les Eskimos,
Mauss montre par exemple qu’en été, les Eskimos ont l’habitude de migrer
en familles, habitant dans des tentes de manière dispersée, souvent à
plusieurs jours de marche. Ils suivent les phoques et les morses qui ont
aussi l’habitude de se déplacer l’été. Les cérémonies religieuses sont
réduites à quelques rituels privés et les biens à des possessions
individuelles. Inversement, l’hiver est une saison où le collectif est le mode
d’organisation dominant : les maisons regroupent plusieurs familles, les
rituels religieux prennent toute leur importance et les biens sont partagés au
sein de la communauté. La société eskimo oscille ainsi autour de deux pôles
politiques opposés mais tout aussi complémentaires pour elle. La variation
politique saisonnière ne permettait cependant pas a priori que la phase plus
communautaire entérine une hiérarchie implacable : « De fait, il est pour le
moins délicat de tyranniser au mois de janvier quelqu’un qui va redevenir
362
votre égal au mois de juillet . » Même chez les peuples les plus nomades,
qui sont sans doute ceux que l’on nomme les « nomades marins », nous
retrouvons un rapport à un lieu fixe. Ainsi des Moken, au large des côtes
thaïlandaises et birmanes, qui partagent leur cycle annuel en deux phases :
durant la saison sèche, où ils pêchent en petite flottille et se déplacent sur de
longues distances, et durant la saison des pluies, où ils se posent sur un lieu
fixe à partir duquel ils vont pouvoir développer une vie sociale et
363
cérémonielle intense .
Il existe aussi des phénomènes de réversibilité où les sociétés passent du
sédentarisme au nomadisme. Même dans certaines sociétés sans État, nous
pouvons retrouver le mythe de gouvernements fixant leur sédentarité avant
de devoir errer à la suite d’une catastrophe. C’est le cas par exemple des
Guayaki et des Guarani, qui sont des tribus rivales très proches. Les
derniers sont plus sédentaires que les autres mais tous vivent dans la forêt.
Or, un mythe relate leur commune origine sous la domination d’un État : ils
vivaient en effet « ensemble sous le gouvernement de Pa’i Rete Kwaray, les
Dieux au corps de Soleil. Un jour les Guayaki apparurent complètement nus
à la danse rituelle ; Pa’i Rete Kwaray, furieux, les apostropha, jetant sur eux
sa malédiction, et les dispersa à travers la forêt. C’est pour cette raison
qu’ils ont vécu errants et sauvages jusqu’à présent364 ». Le retour à une vie
sauvage, dans de nombreuses civilisations prémodernes, était relativement
courant et constituait une forme de primitivisme secondaire, les individus
ayant déjà connu l’existence de l’État. Le peuple akha par exemple, que
l’on retrouve notamment dans les montagnes de Chine et qui est compte
environ 2,5 millions de personnes, est un peuple qui a connu l’État issu
d’une expédition guerrière étrangère et qui garde dans sa tradition la
mémoire d’une institution à conjurer. Ils aiment ainsi à se rappeler la
e
légende de Dzjawbang, un roi du XIII siècle prétendument akha, qui fut
exécuté par son peuple lorsqu’il tenta d’imposer le recensement nécessaire
à la conscription et à la levée d’impôts. Leurs rites chamaniques consistent
ainsi à sortir l’âme du « labyrinthe du dragon » que l’on retrouve dans les
basses terres et qui représente l’appareil d’État. Pour y parvenir, il est
nécessaire de sacrifier un cochon ou un gros animal, comme c’était le cas
lors du rituel d’émancipation d’un esclave. La Zomia, étudiée par le
politiste James Scott, offre de nombreux exemples de ce phénomène. Elle
représente une vaste étendue de hautes terres, aussi appelée massif du Sud-
Est asiatique, à la périphérie de l’Asie du Sud-Est continentale, de la Chine,
de l’Inde et du Bangladesh, qui s’étend sur environ 2,5 millions de
kilomètres carrés, soit environ la superficie de l’Europe. Cette zone
constitue un espace refuge pour échapper aux États des vallées, et
notamment à l’expansion de l’État han. Les populations des vallées
considèrent que les populations des montagnes ne sont pas civilisées. Ce
sont pour elles des sociétés grossières et barbares qui sont arriérées au sens
littéral du terme dans la mesure où elles n’auraient pas encore intégré la
riziculture, l’écriture et le bouddhisme qui sont les marques de la
civilisation. En réalité, ces populations ont déjà connu ces attributs mais
s’en sont délibérément défaites. C’est aussi le cas pour les nomades des
365
steppes d’Asie centrale qui étaient d’anciens cultivateurs ou des Berbères
366
du Haut Atlas qui étaient dans une stratégie antigouvernementale (c’est
ainsi que l’histoire marocaine distingue le pays makhzen qui signifie « la
norme » du pays siba qui par opposition est « hors norme »). Les
constructions hiérarchiques ne sont donc pas irréversibles et ne sont pas
nécessairement liées à une échelle qui voudrait que plus la population est
importante plus le pouvoir devrait être coercitif (ce qui supposerait par
ailleurs que nous devrions vivre sous des régimes de plus en plus
dictatoriaux en raison de la hausse de la démographie). La cité de
Teotihuacan dans la vallée de Mexico, par exemple, comprenait une
population d’environ 120 000 individus vers 200 après J.-C. Elle connut à
cette époque un tournant en renonçant aux sacrifices humains et en
instaurant un vaste complexe égalitaire de logements assorti de conseils
367
d’habitants qui dura environ quatre cents ans . Autre exemple : en 5000
av. J.-C., on retrouve avec la civilisation de Trypillia, aux confins de la
Moldavie et de l’Ukraine, un ensemble de villes regroupées autour de 23
colonies de plus de 100 hectares, et certaines qui dépassaient les 300.
Aucune trace de hiérarchie sociale n’a été établie dans ce qui constitue le
plus grand et le plus ancien complexe urbain connu d’Europe. Nous
noterons par ailleurs que cette absence de stratification sociale était
marquée par l’absence de division entre campagne et ville, cette division
entraînant presque systématiquement un lien de subordination de la
première à la seconde (comme c’est souvent le cas avec les premières cités
de Mésopotamie).
Ces phénomènes dialectiques entre nomadisme et sédentarité, contraints
ou choisis, montrent que souvent les sociétés connaissent plusieurs formes
d’organisation politique. Elles sont comme un éventail d’options gravées
dans leur mémoire que les sociétés peuvent plus ou moins refouler dans des
zones inconscientes, et voir ressurgir au moment opportun.
Oppositions
Rencontre
Lorsqu’il parle des deux sociétés, Foucault utilise tour à tour les notions
de « race » ou de « nation » pour les qualifier, ce qui a fait l’objet de
nombreux malentendus et l’a conduit à passer sous silence ce qui les
distingue fondamentalement. Pour rendre véritablement intelligible cette
lutte qui est en même temps une rencontre ayant donné naissance à l’État, il
convient de nommer ses deux protagonistes : le nomade et le sédentaire.
Si Kojève n’emploie pas non plus les termes, il offre néanmoins une
analyse semblable à celle que développera Foucault : « L’État naît
généralement là où une bande de conquérants s’établit dans un pays conquis
et asservit les Aborigènes. […] Le chef des vainqueurs est donc
premièrement Chef (par rapport à ses “égaux”) et deuxièmement Maître
(par rapport à ses “sujets”, aux Esclaves, aux vaincus). C’est en étant
388
simultanément Chef et Maître qu’il est chef d’État ou Souverain . » Mais
c’est sans doute dans l’ouvrage trop peu connu de Franz Oppenheimer sur
l’État que l’on retrouve ramassée dans une métaphore originale l’intuition
suivante :
La race paysanne inerte et attachée au sol est l’ovule, la tribu pastorale nomade le spermatozoïde
de cet acte de génération sociologique : et son résultat est l’arrivée à maturité d’un organisme
social supérieur, plus fortement constitué (intégré) et possédant une division organique plus
parfaite. On peut prolonger le parallèle à l’infini. La façon dont d’innombrables spermatozoïdes
harcèlent l’ovule jusqu’à ce que l’un d’eux, le plus fort ou le plus heureux, découvre et conquière
le mikropyle, peut être comparée aux luttes de frontières qui précèdent la formation de l’État ; de
même la force d’attraction magique qu’exerce l’ovule sur les spermatozoïdes rappelle l’attraction
389
qu’a la plaine fertile pour les enfants du désert .
En résumé, l’État vient fixer une stabilité d’ordre sédentaire notamment
avec des frontières, mais conserve toujours le mouvement issu de la
machine de guerre nomade dont il est issu. C’est pourquoi il est toujours
potentiellement annexionniste et parfois si difficile de le distinguer des
empires. En effet les États, lorsqu’ils ne sont pas empêchés par les forces
sédentaires qui subsistent en eux, ne sont peut-être que des empires dont les
velléités ont été réduites par la coercition de l’ordre international. En
d’autres termes, au regard de Totalité et infini d’Emmanuel Levinas, qu’est-
ce que le sédentaire, si ce n’est la totalité incarnée, enracinée dans les
sillons objectifs de la terre qu’il laboure ? Et qu’est-ce que le nomade, si ce
n’est l’infini incarné, trouant l’espace et repoussant les limites jusqu’au
ciel ? Si tel est le cas, alors l’État est la résultante de l’infini qui a fait un
enfant à la totalité sans son consentement. L’infini n’est pas à proprement
parler intégré, il est géniteur au même titre que la totalité, et en cela ne
permet pas de concevoir l’État comme un Tout suturé, tandis que la totalité,
en opposition à l’infini, ne peut neutraliser totalement les forces chaotiques
qui demeurent en l’État.
IX
Faire avec la part sauvage du monde
Le spectre de l’animisme
Il n’en reste pas moins que le sauvage maîtrise parfaitement son milieu
qu’il connaît intimement. Ses techniques lui permettent de laisser une
moindre trace de manière à s’assurer qu’il ne perturbera pas un équilibre
dont il dépend. Certains groupes, par exemple, nomadisent pour préserver
l’environnement en changeant régulièrement de campement, permettant
ainsi à la faune et à la flore de se reproduire en ayant un impact minime.
Leurs mythes conservent ainsi un savoir ancestral concernant
l’interdépendance organique entre humains et non-humains dans l’optique
de garantir l’équilibre du cosmos : c’est ainsi qu’en Thaïlande les Karens
réservent des champs aux animaux sauvages en compensation de leur
exploitation de la forêt, ou encore que les Mongols livrent leurs cadavres
aux loups, envoyés par le Ciel Éternel Tengger, qui leur permettent de
401
protéger la steppe . Chez les Indiens, le rapport à l’animal chassé est
toujours empreint d’un rituel qui lui est dû : il est salué lorsqu’il est tué et
on chante sur sa dépouille en son honneur. Autrement dit, l’animal ne se
réduit pas à de la nourriture : c’est un être envers lequel on est en dette. Une
fois tué, on le fait à nouveau exister en parlant de lui. Un nom particulier lui
est attribué, scellant ainsi un pacte tacite entre les hommes et les animaux :
« Vivre de la forêt en évitant la démesure, respecter le monde qui est un
402
pour le conserver généreux ». S’il arrivait qu’un chasseur tue de manière
inconsidérée un animal en transgressant un tabou, il ferait rapidement
l’objet d’une vengeance de la part d’un esprit soucieux de rétablir
l’équilibre des forces. Ce rapport au monde est constitutif de l’animisme qui
consiste pour Descola à attribuer des « propriétés sociales aux non-humains
403
du fait d’une intériorité partagée avec les humains ». Les peuples
animistes peuvent ainsi penser qu’ils sont plus proches de certains non-
humains avec qui ils partagent un monde commun que des humains de
culture différente avec qui ils ne communiquent pas. Descola rapporte que
les Achuar se comportaient avec les plantes et les animaux comme s’ils
étaient avec eux dans une relation d’ordre familial : « Les plantes cultivées
étaient traitées comme des parents consanguins, les animaux chassés étaient
traités comme des parents par alliance, chacun étant censé se conformer au
système d’obligation que ces relations impliquent404. » Les animaux
peuvent ainsi habiter des maisons, se marier, avoir des chefs au même titre
que les humains. Pour les peuples amazoniens, il existe aussi un grand
partage mais qui est inversé : ce n’est pas l’homme qui se détache de la
nature mais la nature qui se détache de l’homme. À l’origine, tous les
animaux sont humains, et ils ont conservé un esprit qui leur confère la
propriété de personne. Alors que l’anthropologie occidentale considère que
les humains ont une origine animale, les Amérindiens pensent ainsi que les
animaux ont une origine humaine. Ce renversement de perspective induit un
rapport singulier au monde. Pour Viveiros de Castro, les Amérindiens ont
un point de vue différent de celui des Occidentaux dans la mesure où il
n’existe pas pour eux une nature mais une pluralité de natures. Le
relativisme culturel moderne repose sur l’idée que le monde est identique,
autrement dit qu’il n’existe qu’une nature qui fait l’objet de différentes
perceptions constituant autant de cultures. Or pour les Amérindiens, il
n’existe pas de multiculturalisme qui suppose diverses représentations d’un
monde commun, mais bien un multinaturalisme :
Tous les êtres voient ou « représentent » le monde de la même manière ; ce qui change, c’est le
monde qu’ils voient. Les animaux ont les mêmes valeurs et idées que les humains : leurs mondes,
comme le nôtre, tournent autour de la chasse, la pêche, la cuisine, les boissons fermentées, des
É
rites et des guerres, des chamanes, des chefs, des esprits et des cousines croisées… Étant humains
en leur département, les êtres non humains voient les choses comme « nous humains » les voyons.
Mais les choses qu’ils voient sont autres : ce qui pour nous est du sang, sera pour un jaguar de la
bière de manioc ; ce qui pour les âmes des morts est un cadavre pourrissant, sera pour nous du
manioc en train de fermenter ; ce que nous voyons comme un marécage boueux, sera pour les
405
tapirs une grande maison de cérémonie .
Aussi est-ce pour cette raison que le souverain tient les attributs à la fois
de Dieu et de la bête (comme le renard et le lion chez Machiavel). Si Dieu
et la bête sont exclus de la convention politique, c’est parce qu’ils ne
parlent pas le même langage que les hommes. Tout au plus Dieu peut-il
passer une convention par l’intercession de ses lieutenants. Or c’est bien là
selon Derrida que l’on peut concevoir au mieux la nature absolue de la
souveraineté : le souverain étant délié du langage humain ne répond jamais,
il est délivré de toute obligation de réciprocité et donc de responsabilité, il
est au-dessus de l’humanité, au-dessus des lois, « il ressemble à la bête, et
même à la mort qu’il porte en lui, comme cette mort dont Lévinas dit
419
qu’elle n’est pas le néant, le non-être mais la non-réponse ». La bête et le
souverain se ressemblent. « Et pourtant, s’ils se ressemblent, ce ne sont pas
420
des semblables . » La bête est encore de cette terre, elle incarne en
quelque sorte la part immanente de la souveraineté moderne qui fait la part
belle à la ruse (le renard) et à la force (le lion). Cette logique d’une
dimension naturelle réservée au souverain, poussée jusqu’au bout, peut
conduire jusqu’à l’interdiction de la reproduction afin de s’assurer du
monopole du pouvoir qui ne peut souffrir des allégeances potentiellement
rivales. C’est ainsi que les fonctionnaires des États dynastiques sont très
souvent des étrangers voire des esclaves contraints au célibat et en règle
générale à la non-reproduction, l’eunuque constituant l’exemple le plus
abouti. De cette manière l’allégeance au pouvoir de la dynastie est totale :
aucune famille ne vient s’interposer. Il faut éliminer toute possibilité de
rivalité vis-à-vis du pouvoir. L’Empire Ottoman avait trouvé une solution
radicale à ce problème en éliminant les frères du roi dès son avènement. En
cela, comme le souligne Bourdieu, « on voit bien que l’État se construit
contre la nature, que l’État, c’est l’antiphysis : pas de reproduction, pas
d’hérédité biologique, et pas de transmission, même de la terre, alors que le
421
roi et sa famille sont du côté du sang, de la terre, de la nature ». L’État est
une entité sauvage qui a le pouvoir de domestiquer.
Cette dimension étatique de la nature conçue comme déliaison est allée
de pair avec une conception capitaliste de la nature conçue comme altérité
radicale dont la dimension d’extériorité va pouvoir prêter le flanc à une
e
ambivalence oscillant entre exploitation et sanctuarisation. Aux XVII -
e
XVIII siècles, la nature s’autonomise et devient l’objet d’une admiration
d’ordre esthétique lorsqu’elle n’a pas été modifiée par l’homme, comme
e
c’est le cas des montagnes qui encore au milieu du XVII siècle étaient
422
considérées comme des difformités pour peu à peu être exaltées . C’est
ainsi que la notion de « paysage », mot qui n’existe pas dans les langues
latines et grecques, fait son apparition. La représentation que l’on se fait de
la nature sauvage comme altérité radicale va alors devenir largement
tributaire de la dualité temporelle qui traverse le capitalisme entre le temps
de loisir et le temps de travail. Le travail est considéré comme une nécessité
aliénante à laquelle on ne peut échapper pour subvenir à ses besoins. Pour
échapper à cette condition qui n’est pas remise en question, l’individu va
chercher dans le loisir et dans la nature de quoi se ressourcer : la nature
sauvage sera alors conçue comme l’antithèse de tout espace où la main de
l’homme a pu œuvrer. Aussi peut-on affirmer avec Pierre Madelin que « le
fétichisme primitiviste de la nature sauvage est l’envers symétrique, dans le
temps libre des loisirs et de la consommation, du fétichisme industriel de la
423
marchandise qui préside au temps de travail et de la production ». Aussi
est-ce pourquoi la nature est souvent valorisée dans son « authenticité » qui
se veut vierge (la montagne, la forêt tropicale) tandis que la nature ordinaire
que l’on trouve dans les campagnes, souvent lieu d’une activité productrice,
424
sera « délaissée et abandonnée à la barbarie industrielle ». Qui plus est, la
nature sauvage constitue l’échappatoire à l’idée des autres comme enfer, la
ville comme société. N’ayant pu faire en sorte que la société soit vivable, on
s’en évade. Il n’est pas anodin que cette dichotomie entre nature sauvage et
e e
société se retrouve particulièrement à la fin du XIX siècle et au début du XX
aux États-Unis, marqués à la fois par une économie capitaliste en plein
développement et une nature encore largement préservée. C’est ainsi
qu’apparaît la notion de « wilderness », qui va conduire les défenseurs de la
nature sauvage à miser sur le tourisme pour contrer le développement
industriel, avec cette idée que la démocratisation de l’accès à des parcs
naturels permettrait de la sauvegarder. Seulement, l’industrie du tourisme
est aussi une industrie, avec tout ce qu’elle a pu entraîner en termes de
pollution, de développement des infrastructures routières et de déformation
des paysages – par exemple la coupe des arbres pour offrir des vues
panoramiques. Du parc au parking, il n’y a qu’un pas. D’autre part, la
constitution d’espaces vierges et protégés a pu conduire à l’expulsion des
autochtones de leur territoire. Ce fut le cas par exemple du peuple hava
425
chassé du Grand Canyon du Colorado . En cela la conception d’une
nature sauvage et vierge, quand bien même elle était bel et bien occupée par
des individus depuis des temps ancestraux, a pu être considérée comme
tributaire d’une idéologie raciste. L’anthropologue Roderick Neumann a
identifié quatre caractéristiques de l’histoire des parcs nationaux qui
relèvent d’« enclosures de conservation » propres à l’État moderne : la
première est la négation ou l’ignorance d’une occupation humaine sur le
territoire. La deuxième est la justification de l’éviction des populations
locales pour des raisons écologiques (dégradation environnementale,
surchasse, surpêche, etc.). La troisième est l’héritage de la gestion coloniale
de l’espace pour les États postcoloniaux qui ont continué dans la
perspective d’une prétendue modernisation à ségréger des populations et à
les couper de leurs ressources. Enfin, la quatrième est le phénomène
d’enclosure qui a accompagné les parcs nationaux, coupant les populations
de certaines de leurs ressources traditionnelles, comme c’est souvent le cas
avec l’interdiction de la chasse qui est une pratique courante permettant
notamment de survivre aux périodes de disette. La nature sauvage a
cependant pu aussi constituer un espace ouvrant un interstice de protection
et d’émancipation : ainsi des marrons, les esclaves qui s’échappaient des
plantations, ou des résistants qui trouvaient dans la forêt un lieu de repli.
Malgré l’Anthropocène, il existe ainsi des espèces dites « férales » qui
arrivent à se glisser à travers les interstices de la société industrielle pour
reprendre le cours de leur vie, notamment dans les espaces urbains. On
observe alors que se met en place une dialectique entre domestication et
ensauvagement de la nature au sein de l’économie capitaliste qui tente de
continuellement repousser les limites biologiques notamment par des
innovations techniques.
L’ambition d’une maîtrise rationnelle totale peut alors conduire à
l’effacement de la nature comme altérité, conduisant alors à une substitution
totale de l’homme à la nature, et parachevant ainsi paradoxalement l’idée
démiurgique de domination que l’on retrouvait en germe dans la conception
dualiste moderne. Crutzen, le créateur de la notion d’Anthropocène, est de
ceux qui expriment le mieux cette logique : « Les vieilles barrières qui
séparaient la nature de la culture s’effondrent. Ce n’est plus nous contre la
“Nature” mais nous qui décidons ce qu’est la nature et ce qu’elle deviendra.
426
[…] Dans cette nouvelle ère, la Nature, c’est nous . » On en arrive alors à
une mystique régressive de la fusion qui, poussée jusqu’au bout, aboutit à
une artificialisation complète de la vie. En effet comme le souligne Renaud
Garcia, « sciences et fantasmes de fusion vont de pair ; Prométhée (qui
cherche à plier la nature à la puissance scientifique et technique) et Narcisse
(qui fuit la séparation et aspire à être délivré de toute tension existentielle).
[…] Intégré dans la totalité, l’individu ne fait plus l’expérience d’une
altérité qui lui permettrait de prendre la mesure de sa liberté, vécue dans la
tension avec ce qui n’est pas elle. Un peu comme la colombe mystifiée de
Kant, qui s’imagine voler bien mieux dans le vide alors que son vol n’est
427
libre qu’en raison de la résistance de l’air ». Notre relation à la nature ne
saurait se réduire à une souveraineté bienveillante. La condition de son
altérité suppose que l’on conçoive des limites à l’empire humain qui, y
compris dans une perspective paternaliste et protectionniste, peut conduire
au déséquilibre des écosystèmes et à la disparition d’espèces : ainsi par
exemple des lions de mer surprotégés aux abords des plages de Californie
qui, de par la hausse de leur population, en viennent à menacer l’existence
des truites arc-en-ciel. « S’il est nécessaire de mieux faire avec la nature, il
est également urgent de préserver des espaces et des territoires où les êtres
428
de nature peuvent faire sans nous . » Par ailleurs, la nature apprend à
composer avec ce qui se présente à nous sans que nous l’ayons
nécessairement choisi, tirant alors l’ego d’un entre-soi pour le rappeler à
l’altérité. La seule modalité des affinités électives a en réalité une bien
faible capacité à ouvrir à l’Autre dans la mesure où elles conduisent souvent
à ne se lier qu’au même : les individus choisissent bien souvent le similaire,
le proche, de manière à réduire le risque des mauvaises rencontres, pour
finalement constituer une bulle hermétique et illusoirement confortable. La
nature, notamment dans sa dimension sauvage, nous rappelle qu’il existe
une altérité irréductible avec laquelle nous devons toujours composer,
quand bien même elle nous paraîtrait monstrueuse. La nature en effet n’est
pas bonne en soi, elle peut aussi représenter des dangers, d’où l’invention
de légendes qui avaient pour but de protéger des risques auxquels les
individus les plus vulnérables pouvaient s’exposer. C’est ainsi par exemple
qu’en Basse-Bretagne, les parents, pour éloigner les enfants des rivières
afin qu’ils ne s’y noient pas, leur racontaient que les grosses libellules qui
les avoisinaient étaient des serpent-aiguille-volante qui cousaient les yeux
des enfants. Un monde commun ne suppose en effet pas nécessairement que
toutes les relations soient des coopérations. Il peut bien exister des relations
conflictuelles dès lors qu’elles s’inscrivent dans un monde habitable. Il
s’agit alors de « démanteler l’agencement écopolitique d’humains et de
429
non-humains qui entretient cet état du monde inhabitable ». En effet, la
remise en question du dualisme nature/culture ne prédispose pas
nécessairement à une mise en échec des agencements capitalistes, comme
en témoignent des entreprises d’agrobusiness qui envisagent désormais les
plantes ou le sol non plus comme des ressources mais comme des
« collaborateurs », en intégrant des produits comme des « biostimulants »
430
qui augmentent les capacités immunitaires . De cette manière, l’économie
capitaliste est en mesure de concevoir des « coproductions » par une
interdépendance entre les vivants qui permet l’accumulation du capital.
C’est à cette fin que des non-humains peuvent être « enrôlés », comme le
sucre pour ses vertus addictives, le soja pour sa croissance, etc. « L’ennemi
n’est pas le dualisme ou le naturalisme des modernes, mais la relation de
valeur. […] Il ne s’agit alors pas de défendre simplement les relations au
vivant, mais certains régimes de relation contre d’autres431. »
La nature telle qu’on la connaît dans notre vie de tous les jours est une
nature qui s’est appauvrie de génération en génération, tant et si bien que ce
qui nous apparaît comme le point de référence à protéger ne cesse de se
dégrader sans que l’on s’en aperçoive véritablement. C’est pourquoi il est
nécessaire que puisse continuer à exister la part sauvage de la nature. Mais
pour cela il convient d’échapper à quelques travers pour appréhender cette
nature, tels que le double déni de l’altérité ou d’un continuum commun,
l’homogénéisation qui ne rend pas compte de la pluralité, sa qualification
par ce qu’elle n’est pas, ou encore son instrumentalisation (autant de
précautions à prendre par ailleurs dans toute conception du rapport à
432
l’autre) . Comme le soulignait Alfred North Whitehead, « les bords de la
nature sont toujours en lambeaux ». Il s’agit alors de savoir de quoi sont
composés ces lambeaux et d’évaluer constamment ce qui constitue ces
bords. Dans cette perspective, il est nécessaire de dépasser à la fois le
monisme et le dualisme comme nous y invite Murray Bookchin :
Il est éminemment naturel pour l’humanité de créer une « seconde nature » à partir de son
évolution au sein de la « première nature ». Par seconde nature, j’entends le développement d’une
culture uniquement humaine, avec une grande variété de communautés humaines
institutionnalisées, des techniques humaines effectives, des langages hautement symboliques et
des sources d’alimentation soigneusement gérées. Le dualisme sous toutes ses formes oppose ces
deux natures l’une à l’autre, les déclarant antagonistes. Le monisme, en retour, dissout souvent
l’une dans l’autre – que ce soit le libéralisme, le fascisme, ou plus récemment, le biocentrisme qui
se rapproche grandement d’un antihumanisme misanthropique. Ces idéologies monistes diffèrent
principalement en ce qu’elles veulent dissoudre la première nature dans la seconde, ou la seconde
433
nature dans la première .
Ê
Tenter de réunir l’ineffable « ouverture à l’Être » d’Heidegger et la banale « écologie » de
cafétéria d’un Barry Commoner – avec sa maxime qu’il n’y a « pas de repas gratuit » dans la
nature – est au mieux immature, au pire insidieux. Ce serait comme de nous demander de
descendre des Alpes bavaroises pour se rendre dans un centre commercial du New Jersey, sans
438
même avoir à se déboucher les tympans .
De la démocratie sauvage
Variations démocratiques
Il existe ainsi une ambivalence primordiale dans les sociétés sans État qui
peut être illustrée par la conception de la naissance : si elles sont marquées
par la volonté de maintenir l’équilibre d’un ordre sans cesse menacé par
l’irruption de l’Autre, il n’en demeure pas moins que cette confrontation à
l’Autre induit la possibilité de l’intégrer dans une cosmogonie où la société
en tant qu’auteur de son histoire décide de lui donner un sens positif et non
pas seulement négatif. Dès lors que la société ne se perçoit plus simplement
comme un sujet habitant le monde mais comme un sujet qui peut le
transformer, l’histoire devient le terrain privilégié de l’homme.
L’émergence de l’État a ici sans doute précipité les choses en tant que
machine qui a cristallisé l’imaginaire de maîtrise du réel, devenant alors un
catalyseur de l’avenir. « Ainsi l’État est-il devenu cet accoucheur privilégié
de nos lendemains, investi de la mission entre toutes capitale, de figurer, de
donner corps de par ses ressources d’organisateur et ses virtualités
planificatrices, à la domination des hommes sur ce devenir dont ils savent
qu’il les constitue de part en part, et dont il leur faut désespérément essayer
514
de se concilier, à défaut de se soumettre, la force créatrice . » Ce n’est
cependant pas tant l’État qui s’est mis à faire l’histoire que la société qui, en
créant l’État, s’est représentée à travers lui comme actrice historique, avec
les tensions voire les conflits toujours sous-jacents entre État et société. Cet
imaginaire social a trouvé son point d’acmé aux débuts de la modernité, où
le rapport au temps est d’autant plus tourné vers le futur que le grand
homme n’est plus loué comme un exemple pour ce qu’il a fait mais pour ce
qu’il a anticipé. Ainsi lorsque l’Académie décide de remplacer en 1758 les
concours d’éloquence par l’éloge des hommes célèbres, ce n’est pas à la
manière des anciens, où comme pour Plutarque il s’agit de donner une leçon
d’art de vivre avec une morale qui prépare à l’action, mais dans une
perspective où le grand homme, comme le remarque l’historien François
Hartog, « annonce un avenir que la théorie de la perfectibilité de l’humanité
devra permettre d’atteindre, grâce, notamment, à l’action des hommes de
génie. Au fond, la vie du grand homme raconte un moment d’accélération
du temps, qui se marque dans sa propre vie à lui (précocité du grand
515
homme) ». Peu à peu, cependant, la longue durée comme horizon, passé
ou futur, s’est peu à peu évanouie de notre concept d’histoire pour laisser
place à l’événement. L’injonction présentiste est désormais celle-ci : « il
faut faire événement », y compris pour prévenir, guérir ou commémorer
l’événement qu’est la catastrophe. Ainsi, « avec la démultiplication de
l’événement, c’est aussi et paradoxalement la croyance en l’Histoire qui se
trouve remplacée par une croyance en l’Événement, n’ouvrant que sur lui-
même et déclenchant aussitôt des flots de commentaires tautologiques516. »
En ce cas, l’événement pris dans ce présentisme ne serait-il pas significatif
d’un appauvrissement de l’expérience du sensible ? Le rapport au temps des
sociétés sans État est lié à des points de repère concrets et une expérience
dont la singularité ne permet pas d’être convertie en unité abstraite. Ce
rapport empirique au temps vaut tout autant pour l’espace, différant en cela
des modernes pour qui les lieux, les techniques, les aliments, doivent être
517
homogènes de manière à « être chez soi partout », ce qui les dispense
d’attention. Pour autant, il convient de distinguer ici différents régimes
d’expérience comme on peut distinguer différents régimes d’historicité. Les
propos du chef Touiavii sont éclairants lorsqu’il décrit le rapport du
Papalagui au cinéma : « Dans cette pièce sombre il peut, sans honte et sans
que les autres voient son regard, s’immerger dans une vie illusoire. Le
pauvre peut jouer au riche, le riche au pauvre, le malade peut s’imaginer en
bonne santé, le faible se croire fort. Chacun peut ici dans l’obscurité
absorber les images, pour vivre dans une vie factice ce qu’il ne vivra jamais
518
dans sa vie réelle ». Il est possible ici de faire du chef Touiavii un
précurseur de Guy Debord dans sa critique de la société du spectacle mais il
est possible qu’il se joue autre chose : ce qu’il n’admet pas, c’est
l’inadéquation entre le réel et le virtuel. L’ordre du réel est naturel et l’on ne
saurait le concevoir autrement, à moins de le travestir. Le moderne, lui, a
radicalement remis en cause la notion d’ordre naturel : tout devient
virtuellement possible, au point d’en oublier parfois le réel.
Pour Claude Lévi-Strauss, toutes les sociétés sont des sociétés dans
519
l’histoire qui ont des rapports différents au temps . Il n’est cependant pas
si simple de décorréler complètement le rapport au temps et l’histoire
entendue comme régime d’historicité. Pour autant, il est possible de
retrouver dans toute société des failles ou des brèches qui traversent ces
deux dimensions. Elles constituent des faisceaux de forces, pourrait-on dire,
centrifuges et centripètes, faisant naître des projections et des attractions à
partir d’elles-mêmes, dans des mouvements de compositions et de conflits,
à travers l’Histoire et la vie quotidienne, le perceptible et l’imperceptible.
Les brèches sont à la fois (et paradoxalement) toujours radicalement
nouvelles et dépendantes des failles qui les ont précédées, en vertu
notamment d’un processus d’association sélective et analogique que Daniel
Colson illustre par exemple en montrant comment les événements de la
commune de Paris ont rencontré les événements de la révolution
520
espagnole . Dans le même ordre d’idée, plusieurs historiens affirmèrent à
partir des années 1980 que la Constitution américaine, et notamment sa
structure fédérale, avait été inspirée en partie par la Ligue des six nations
iroquoises. Ce n’était pas un hasard si les révoltés de Boston s’étaient
déguisés en Indiens mohawks pour jeter le thé par-dessus bord. Ils
trouvaient dans les traditions des autochtones et dans leur conception de la
liberté et de l’égalité des échos et des inspirations tout aussi valables que les
521
classiques références à la tradition occidentale . Au-delà de l’objectivité
de l’Histoire et de la subjectivité des histoires il existe ainsi des brèches qui
ouvrent sur des mondes futurs riches des potentiels passés. Ces brèches, qui
sont autant d’appels aux possibles, introduisent alors le chaos pour
réenvisager l’ordre du temps, et par-là même l’ordre des choses.
Claude Lévi-Strauss, dans Tristes tropiques, affirmait ainsi la dimension
politique de l’anthropologie :
Si les hommes ne se sont jamais attaqués qu’à une besogne, qui est de faire une société vivable,
les forces qui ont animé nos lointains ancêtres sont aussi présentes en nous. Rien n’est joué ; nous
pouvons tout reprendre. Ce qui fut fait et manqué peut être refait : « l’âge d’or qu’une aveugle
superstition avait placé derrière [ou devant] nous, est en nous. » La fraternité humaine acquiert un
sens concret en nous présentant dans la plus pauvre tribu notre image confirmée et une
522
expérience, dont, jointe à tant d’autres, nous pouvons assimiler les leçons .
Une société est capable de perdurer dans son être parce qu’elle réussit à
tenir le défi du politique : si nous sentons que la nôtre est au bord de
l’effondrement, c’est parce que nous n’avons pas réussi à redéfinir les
données du politique par un nouvel équilibre des forces induit par une
cosmogonie dont l’enjeu consiste à évaluer et sélectionner ce dont le passé
est porteur grâce aux forces imaginaires que porte le réel afin d’envisager
un futur plus juste. Comment dans ces conditions concevoir notre rapport à
l’histoire ? Ursula Le Guin, dans Danser au bord du monde, nous propose
de faire à nouveau un pas de côté en évoquant les peuples des Andes de
langue Quechua. Alors que pour nous l’avenir est devant nous et le passé
derrière nous, ce qui suppose pour apercevoir ce dernier de nous retourner,
pour eux le passé étant déjà connu se trouve logiquement sous leur nez. Le
futur ne pouvant être vu, il se trouve derrière leur dos. C’est par conséquent
530
en se retournant qu’ils sont susceptibles d’entrevoir où ils vont . D’une
certaine manière, ce raisonnement fait écho à cette philosophie politique de
l’histoire de Charles Péguy qui demeure plus que jamais d’actualité :
Une pleine révolution, il faut littéralement qu’elle soit plus pleine, s’étant emplie de plus
d’humanité, il faut qu’elle soit descendue en des régions humaines antérieures, il faut qu’elle ait,
plus profondément, découvert des régions humaines inconnues ; il faut qu’elle soit plus
pleinement traditionnelle que la pleine tradition même à qui elle s’oppose, à qui elle s’attaque ; il
faut qu’elle soit plus traditionnelle que la tradition même ; il faut qu’elle passe et qu’elle vainque
l’antiquité en antiquité ; non pas en nouveauté curieuse, comme on le croit trop généralement, en
actualité fiévreuse et factice ; il faut que par la profondeur de sa ressource neuve plus profonde,
elle prouve que les précédentes révolutions étaient insuffisamment révolutionnaires, que les
traditions correspondantes étaient insuffisamment traditionnelles et pleines ; il faut que par une
intuition mentale, morale et sentimentale plus profonde elle vainque la tradition même en
traditionnel, en tradition, qu’elle passe en dessous ; loin d’être une super-augmentation, comme
on le croit beaucoup trop généralement, une révolution est une excavation, un approfondissement,
531
un dépassement de profondeur .
Ce travail a pu d’abord voir le jour grâce à la confiance renouvelée de Laurent de Sutter. Il est
aussi le fruit de rencontres et discussions avec de nombreuses personnes parmi lesquelles Gwénaël
Glâtre, Léo Marty, Adriana Escosteguy-Medronho, Amina Hassani, Pierre Bance, Erwan Sommerer,
Monique Rouillé-Boireau, Thomas Lindemann, Emmanuel Dupont, Philippe Chanial, Pierre Crétois,
Frédéric Coste, Gauthier Jourdain, Nicholas Saul, Matthieu Calame, Gwendal Châton, Sébastien
Carré, Stéphane Vibert, Rémi Astruc.
Notes
1. Erich Scheurmann, Le Papalagui. Les paroles de Touiavii, chef de la tribu de Tiavéa dans les
îles Samoa (1920), Benaix, Présence Image Éditions, 2001, p. 12.
2. Max Weber, Le Savant et le Politique, Paris, 10/18, 1963, p. 125.
3. Christian Marouby, Utopie et primitivisme, Paris, Seuil, 1990, p. 125.
o
4. Sergio Paulo Rouanet, « Regard de l’autre, regard sur l’autre », Diogène, 2001/1, n 193, p. 10.
5. Margaret Mead, Mœurs et sexualité en Océanie, Paris, Plon, 1963, p. 549.
6. Voir Pierre Clastres, La Société contre l’État, Paris, Éditions de Minuit, 1974, p. 16.
7. Robert Deliège, Une histoire de l’anthropologie, Paris, Seuil, 2013, p. 54-55.
8. Élisée Reclus, L’Homme et la Terre, Paris, Librairie universelle, t. VI, 1905, p. 504.
9. Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Paris, Éditions de Minuit, 1972, p. 231.
10. G. K. Chesterton, Hérétiques, Paris, Climats, 2010, p. 130.
11. Christophe Darmangeat, Conversation sur la naissance des inégalités, Marseille, Agone, 2013,
p. 22-23.
12. Michel Foucault, Il faut défendre la société, Paris, Seuil/Gallimard, 1997, p. 174.
13. Ibid., p. 175.
e e
14. Michel de Certeau, La fable mystique, I. XVI -XVII siècle, Paris, Gallimard, 1982, p. 279.
15. Cité in James C. Scott, Zomia, ou l’art de ne pas être gouverné, Paris, Seuil, 2013, p. 286.
16. Maurice Leenhardt, Do kamo. La personne et le mythe dans le monde mélanésien, Paris,
Gallimard, 1947, p. 190.
17. Jean-Claude Monod, Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ? Politiques du charisme, Paris,
Seuil, 2012, p. 149.
18. Pierre Clastres, « Entretien avec l’Anti-mythes », in Pierre Clastres (Collectif), Sens et Tonka,
2011, p. 28.
19. Pierre Clastres, Archéologie de la violence. La guerre dans les sociétés primitives, Paris,
Éditions de l’Aube, p. 55-56.
20. Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955, p. 367.
21. Pierre Clastres, La société contre l’État, op. cit., p. 140.
22. Si Vercingétorix a échoué devant César, ce n’est d’ailleurs pas tant pour des raisons de qualités
personnelles que parce que les Gaulois ne lui obéissaient que lorsqu’ils étaient d’accord avec lui.
23. Pierre Clastres, La Société contre l’État, op. cit., p. 136.
24. Marshall Sahlins, La Découverte du vrai sauvage et autres essais, Paris, Gallimard, 2007,
p. 298.
É
25. Pierre Clastres, La Société contre l’État, op. cit., p. 41.
26. Pierre Clastres, « Entretien avec l’Anti-mythes », op. cit., p. 29.
27. Cf. Claude Lefort, L’invention démocratique, Paris, Fayard, 1994.
28. Errico Malatesta, Au café, suivi de Entres paysans, Paris, Phénix Éditions, 1999, p. 90.
29. Pierre Clastres, Préface, in Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, Paris,
Gallimard, 1976, p. 28.
30. Robert Deliège, Une histoire de l’anthropologie, op. cit., p. 208.
31. Voir David Graeber, David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de
l’humanité, Paris, Les Liens qui libèrent, 2021, p. 656.
32. Ian Hobgin, « Native Councils and Courts in the Salomon Islands », cité par Christophe
Darmangeat, in Conversation sur la naissance des inégalités, op. cit., p. 143.
33. James-George Frazer, Le Rameau d’or, tome I, Paris, Robert Laffont, 1981, p. 489-490.
34. Arthur Maurice Hocart, Rois et courtisans, Paris, Seuil, 1978, p. 222.
35. Lucien Scubla, « Roi sacré, victime sacrificielle et victime émissaire », Revue du Mauss, 2003,
o
vol. 2, n 22, p. 199.
36. Arthur Maurice Hocart, Rois et courtisans, op. cit., p. 223.
37. Voir Philippe Descola, « Anthropologie de la nature », Cours au Collège de France, 2016-2017.
Résumé des travaux, p. 442-443.
38. René Girard, La Violence et le Sacré, Paris, Grasset et Fasquelle, 1972, p. 158.
39. Gerard Van Der Leeuw, La Religion dans son essence et ses manifestations, Lausanne, Payot,
1955, p. 116.
40. Philippe Descola, « Anthropologie de la nature », op. cit., p. 448.
41. Voir Luc de Heusch, Pouvoir et religion (Pour réconcilier l’histoire et l’anthropologie), Paris,
CNRS Éditions/Éditions des Sciences de l’homme, 2009, p. 82.
42. Philippe Descola, « Anthropologie de la nature », op. cit., p. 444.
43. Lucien Scubla, « Roi sacré, victime sacrificielle et victime émissaire. », op. cit., p. 206. Nous
soulignons.
44. Voir David Graeber, Marshall Sahlins, On Kings, Londres, Hau books, 2017.
45. L. de Heusch, Pouvoir et religion (Pour réconcilier l’Histoire et l’anthropologie), op. cit.,
p. 146.
46. Voir G. Van Der Leeuw, La religion dans son essence et ses manifestations, op. cit., p. 118.
47. Jean Baudrillard, L’Échange symbolique et la Mort, Paris, Gallimard, 1976, p. 198.
48. Ibid., 1976, p. 221.
49. Gilles Deleuze et Félix Guatarri, Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 257.
50. Voir par exemple les études de Meyer Fortes sur les Tallensi ou Louis Berthe sur les Baduj.
51. G. Deleuze et F. Guattari, Mille plateaux, op. cit., p. 539-540.
52. Jean Daniel Forest, « L’apparition de l’État en Mésopotamie », in L’État, le Pouvoir, les
Prestations et leurs Formes en Mésopotamie ancienne, Actes du Colloque assyriologique franco-
tchèque. Paris, 7 au 8 novembre 2002, éd. Petr Charvát, Bertrand Lafont, Jana Mynářová et Lukáš
Pecha, Univerzita Karlova v Praze Filozofická fakulta 2006, p. 16. Nous soulignons.
53. Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au collège de France, 1989-1992, Paris, Raisons
d’agir/Seuil, 2012, p. 53.
54. Ibid., p. 207.
55. Ibid., p. 434-437.
56. Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde, Paris, Gallimard, p. 69.
57. Christophe Colomb, La Découverte de l’Amérique, I : Journal de bord, 1492-1493, Paris,
Maspero/La Découverte, 1984, p. 117.
58. Voir Pierre Clastres, Chronique des Indiens Guayaki, Paris, Plon, 1977, p. 232.
59. Anecdote rapportée par Sahlins, in La Découverte du vrai sauvage et autres essais, op. cit.,
p. 37.
60. Voir Mondher Kilani, Du goût de l’autre. Fragments d’un discours cannibale, Paris, Seuil,
2018, p. 29-30.
61. Ibid., p. 153.
62. Pierre Clastres, Chronique des Indiens Guayaki, op. cit., p. 271.
63. Voir Pierre Clastres, « Cannibales et anthropophages. Entretien avec le journal Veja », in
Chroniques des Indiens Guayakis, op. cit., p. 123-128.
64. Voir Hélène Clastres, « Les beaux-frères ennemis. À propos du cannibalisme tupinamba », in
o
Destins du cannibalisme, Nouvelle revue de psychanalyse, automne 1972, n 6, p. 71-82.
65. Christian Ferrié, « Les cannibales de Montaigne à la lumière ethnologique de Clastres », p. 24,
disponible sur http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/IMG/pdf/16-_Ferrie.pdf
66. M. Kilani, Du goût de l’autre. Fragments d’un discours cannibale, op. cit., p. 245.
67. Ibid., p. 91.
68. Jean-Pierre Vernant, L’Univers, les Dieux, les Hommes, Paris, Seuil, 1999, p. 15.
69. Brihadaranyaka Upanishad, I.I.I, cité par M. Kilani, Du goût de l’autre. Fragments d’un
discours cannibale, op. cit., p. 78.
70. Lautréamont, Les Chants de Maldoror (1869), in Œuvres complètes, Paris, Éric Losfeld, 1971,
p. 106.
71. Voir Deutéronome 28, 45-58.
72. G. Deleuze, F. Guatarri, Mille plateaux, op. cit., p. 148.
73. Karl Marx, Le Capital, livre I, Paris, Puf, 1993, p. 573. Note 1a.
74. Voir M. Sahlins, « L’apothéose du capitaine Cook », in Michel Izard et Pierre Smith (dir.), La
Fonction symbolique. Essais d’anthropologie, Paris, Gallimard, 1979, p. 307-343.
75. Joseph de Maistre, Éclaircissement sur les sacrifices, Paris, L’Herne, 2009, p. 11.
76. Théodore Theuws, « Naître et mourir dans le rituel luba », Zaïre, XIV (2 et 3), 1960, p. 172.
77. René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Paris, Grasset, 1978, p. 74-75.
78. Georges Dumézil, Mitra-Varuna. Essai sur deux représentations indo-européennes de la
souveraineté, Paris, Gallimard, 1948, p. 25-26.
79. Giorgio Agamben, Homo Sacer, Paris, Seuil, 1995, p. 74.
80. J. Baudrillard, L’Échange symbolique et la Mort, op. cit., p. 213.
81. Camille Tarot, Le Symbolique et le Sacré, Paris, La Découverte, 2008, p. 743.
82. Georges Bataille, « Commémoration du mardi gras », in Denis Hollier, Le collège de
sociologie. 1937-1939, Paris, Gallimard, 1995, p. 567.
83. G. Agamben, Moyens sans fins, Paris, Rivages, 1995, p. 117.
84. La question du pharmakos apparaît dans le Phèdre de Platon.
85. Jacques Derrida, La Dissémination, Paris, Seuil, 1993, p. 166-167.
86. Ibid., p. 167.
87. Cité par G. Agamben, in Homo Sacer, op. cit., p. 81.
88. Ibid., p. 93.
89. Ibid., p. 121.
90. Le ban est pour Agamben consubstantiel à la fondation de la cité et précède donc tout rapport à
l’étranger. La violence a d’abord lieu au sein d’une communauté avant de pouvoir se « décentrer » ou
s’« élargir » à d’autres communautés politiques.
91. G. Agamben, Homo Sacer, op. cit., p. 37.
92. Alina Reyes, « Mangez-moi, mangez-moi », Edelweiss, décembre 2000-janvier 2001, p. 15.
93. Voir R. Girard, Celui par qui le scandale arrive : entretiens avec Maria Stella Barberi, Paris,
Hachette Littératures, 2006.
94. Pierre-Joseph Proudhon, De la création de l’ordre dans l’humanité., Tops/Trinquier, tome I,
p. 30-31.
95. Ibid., p. 243. Nous soulignons.
e
96. P.-J. Proudhon, Idée générale de la révolution au XIX siècle, Tops/Trinquier, 2000, p. 263.
97. R. Girard, La Violence et le Sacré, op. cit., p. 200.
98. Marcel Mauss, Manuel d’ethnographie, Paris, Payot, 1967, p. 242.
99. J. de Maistre, Éclaircissement sur les sacrifices, op. cit., p. 42.
100. Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, chapitre XXI.
o
101. Leila Babès, « Le couscous comme don et sacrifice », La revue du MAUSS, 1996, n 8,
p. 274.
102. R. Girard, Celui par qui le scandale arrive, Entretiens avec Maria Stella Barberi, op. cit.,
p. 71.
103. R. Girard, La Violence et le Sacré, op. cit., p. 44.
104. Ibid., p. 40-41.
105. J. de Maistre, Éclaircissement sur les sacrifices, op. cit., p. 26.
106. Ibid., p. 28.
107. Diego Duran, Histoire des Indes de Nouvelle-Espagne et des Îles de la Terre Ferme, cité par
Miguel Léon-Portilla dans La pensée aztèque, Paris, Seuil, 1985, p. 216.
108. Voir Michel Graulich, « Les victimes du sacrifice humain aztèque », Civilisations, 50/2002,
p. 92.
109. D. Duran, Histoire des Indes de Nouvelle-Espagne et des Îles de la Terre Ferme, op. cit.,
p. 216.
110. Voir Alain Gras, « Archéologie de l’imaginaire du feu, le principe de précaution des origines
ou de la machine de Marly à la centrale nucléaire », Revue européenne des sciences sociales,
o
n XLIV-134, 2006.
111. J. de Maistre, Éclaircissement sur les sacrifices, op. cit., p. 22-23.
112. Voir Edward E. Evans-Pritchard, Les Nuer, Paris, Gallimard, 1994.
113. Jonathan Z. Smith, Sanglantes origines, Paris, Flammarion, 2011, p. 193.
114. Mary Douglas, Comment pensent les institutions, Paris, La Découverte, 2004, p. 32.
115. Charles Stépanoff, Voyager dans l’invisible. Techniques chamaniques de l’imagination, La
Découverte, 2019, p. 29.
116. Ibid., p. 67.
117. Ibid., p. 417.
118. Voir ibid., p. 190.
119. Ibid., p. 408.
120. Ibid., p. 154.
121. Voir ibid., p. 195.
122. Ibid., p. 122.
123. Ibid., p. 111.
124. Ibid., p. 425.
125. Ibid., p. 420.
126. Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au collège de France, 1989-1992, Raisons d’agir/Seuil,
2012, p. 101-102.
127. Pierre Clastres, La société contre l’État, op. cit., p. 186.
128. Voir M. Notera, Informação das terras do Brasil (1549) : « Lhes diz […] as filhas que as dêm
o
a quem quizerem » (p. 92-93 in Revista do Instituto Historico Geographico Brasileiro, t. VI, n 21,
1844).
129. E. E. Evans-Pritchard, Les Nuer, op. cit., p. 219.
130. Les auteurs estiment par exemple que les démons peuvent causer des catastrophes naturelles,
idée qui est déclarée fausse lors du premier concile de Braga vers 561 dans le canon 8.
131. Silvia Federici, Caliban et la sorcière. Femme, corps et accumulation primitive, Genève,
Entremonde et Senonevero, 2014, p. 256-257.
132. Ibid., p. 264.
133. Michael Taussig, The Devil and Commodity Fetishism in South America, University of North
Carolina Press, 1980.
o
134. Charles Piot, « Des cosmopolitismes dans la brousse », Les Temps modernes, 2002, n 620-
621, p. 240.
135. Keith Thomas, Religion and the Decline of Magic, Charles Scribner’s Sons, 1971, p. 556.
136. Voir notamment Erik H.C Midelfort, Witch Hunting in Southwestern Germany. 1562-1684.
The social and Intellectual Foundations, Stanford University Press, 1972, p. 172 et Silvia Federici,
Caliban et la sorcière. Femme, corps et accumulation primitive. op. cit., p. 288.
137. Voir Francis Dupuis-Déri, Démocratie. Histoire politique d’un mot, Montréal, Lux, 2013.
138. Starhawk, Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique, Paris, Cambourakis, 2015, p. 316.
139. Cité par Angelica Montanari, in Cannibales. Histoire de l’anthropophagie en Occident, Paris,
Arkhê, 2018, p. 140.
o
140. Vincent Descombes, « L’équivoque du symbolique », Revue du Mauss, 2009, vol. 2, n 34,
p. 448.
141. Pascal Sanchez, La Rationalité des croyances magiques, Genève, Droz, 2007, p. 441.
142. Bruno Latour, Sur le culte moderne des dieux faitiches, suivi de Iconoclash, Paris, La
Découverte, 2009, p. 79.
143. G. K. Chesterton, Le Paradoxe ambulant. 59 essais, Paris, Actes Sud, 2004, p. 69-70.
144. Arthur Maurice Hocart, Rois et courtisans, op. cit., p. 309.
145. Pascal Sanchez, La Rationalité des croyances magiques, op. cit., p. 513-514.
146. Jean Pouillon, « Remarques sur le verbe “croire” », in Michel Izard, Pierre Smith (dir.), La
Fonction symbolique, Paris, Gallimard, 1979, p. 43-51.
147. Ibid., p. 50.
148. Pascal Sanchez, La Rationalité des croyances magiques, op. cit., p. 481.
149. Voir Meyer Fortes et Edward E. Evans-Pritchard (dir.), African Political Systems, Oxford
University Press, 1947.
150. Arthur Maurice Hocart, Rois et courtisans, op. cit., p. 311.
151. Voir Joseph Henrich, L’Intelligence collective, Marseille, Les Arènes/Markus Haller, 2019,
p. 158.
152. Pascal Sanchez, La Rationalité des croyances magiques, op. cit., p. 123.
153. Voir Lucas Bridges, Uttermost Part of the Earth, Londres, Hodder & Stoughton, 1948.
154. G. Van Der Leeuw, La Religion dans son essence et ses manifestations, op. cit., p. 212.
155. Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au collège de France, 1989-1992, op. cit., p. 470.
156. Voir Peter Geschiere, Sorcellerie et politique en Afrique, Paris, Karthala, 2005.
157. Edward E. Evans-Pritchard, Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandé, Paris, Gallimard,
1972.
158. Voir Jeanne Favret-Saada, Les Mots, la Mort, les Sorts, Paris, Gallimard, 1994.
159. Ibid., p. 27.
160. David Graeber, Pour une anthropologie anarchiste, Montréal, Lux, 2006, p. 48.
161. Davi Kopenawa, Bruce Albert, La Chute du ciel. Paroles d’un chaman Yanomami, Paris,
Plon, 2010, p. 141.
162. Voir ibid., p. 226.
163. Voir ibid., p. 228-229.
164. Eric de Rosny, Les Yeux de ma chèvre, Paris, Plon, 1981, p. 361.
165. Voir Georges Balandier, Anthropolo-logiques, Paris, Le Livre de poche, 1985.
166. Pierre-Joseph Proudhon, Théorie de la propriété, Paris, Marcel Rivière, 1865, p. 52.
167. Bronislaw Malinowski, Les Jardins de Corail, Paris, Maspero, 1974, p. 90.
168. Laurent de Sutter, Magic. Une métaphysique du lien, Paris, Puf, 2015, p. 43.
169. Giorgio Agamben, La communauté qui vient, Paris, Seuil, 1990, p. 113. Nous soulignons.
170. René Girard, La Violence et le Sacré, op. cit., p. 480.
171. Ibid., p. 400-401.
172. Voir Camille Tarot, Le Symbolique et le Sacré, op. cit., p. 579.
173. Arthur Maurice Hocart, Rois et courtisans, op. cit., p. 260.
174. Thomas d’Aquin, Somme théologique, la, q.110, a.4 ; Jean-Yves Lacoste, « Miracle », in J.-Y.
Lacoste (dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, Puf, 1998, p. 740.
175. Carl Schmitt, Théologie politique, Paris, Gallimard, p. 46.
176. Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », in Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000, p. 433.
177. Pierre-Joseph Proudhon, Du principe fédératif, Paris, Tops/Trinquier, 1997, p. 252.
178. Antoinette Rouvroy, Face à la gouvernementalité algorithmique, repenser le sujet de droit
comme puissance, p. 6. Disponible sur : https://fr.scribd.com/document/195031277/Face-a-la-
gouvernementalite-algorithmique-repenser-le-sujet-de-droit-comme-puissance
179. Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, Puf, 1950, p. 50-51.
180. Adeline Baldacchino, Notre insatiable désir de magie, Paris, Fayard, 2019, p. 74.
181. Ibid., p. 77.
o
182. Charles Stépanoff, « Des inégalités inégales », L’Homme, 2020, n 234-235, mis en ligne le
14 octobre 2020, p. 280.
183. Sharp Lauriston, « The Social Organization Of The Yir-Yoront Tribe, Cape York Peninsula »,
o
Oceania, 1934, n 4, p. 419.
o
184. Nurit Bird-David, « Un cosmos connecté “pair à pair” », L’Homme [En ligne], 2020, n 236,
p. 82.
185. Notamment les travaux de David Graeber, Bernard Manin, Philippe Descola ou Kickpatrick
Sale.
186. Christophe Darmangeat, « Certains étaient-ils plus égaux que d’autres ? I. Formes de
o
domination sous le communisme primitif », Actuel Marx, 2015, n 57, p. 163.
187. Salvado Rudesindo, Mémoires historiques sur l’Australie (1851), Paris, Alphonse Pringuet,
1854, p. 326.
188. Theodor G. H. Strehlow, « Geography and the Totemic Landscape in Central Australia. A
Functional Study » (1940), in Ronald M. Berndt (dir.), Australian Aboriginal Anthropology,
Nedlands, University of Western Australia Press, 1970, p. 116.
189. Bridges Lucas, Uttermost part of the Earth (1948), Londres, Century, 1987, p. 216.
190. Allan R. Holmberg, Nomads of the Long Bow. The Siriono of Eastern Bolivia, Washington,
o
Smithsonian Institution, Institute of social anthropology, Publication n 10, 1950, p. 59.
191. Christophe Darmangeat, « Certains étaient-ils plus égaux que d’autres ? II. Formes
o
d’exploitation sous le communisme primitif », Actuel Marx, 2015, n 58, p. 150-151.
192. Ibid., p. 157.
193. Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, Paris, Gallimard, 1976, p. 59.
194. Voir William Mariner, An Account of the Natives of the Tonga Islands, in the South Pacific
Ocean, John Martin, 1817.
195. Davi Kopenawa, Bruce Albert, La Chute du ciel. Paroles d’un chaman Yanomami, op. cit.,
p. 544.
196. Ibid., p. 546.
197. Charles Mac Donald, L’Ordre contre l’harmonie. Anthropologie de l’anarchie, Paris, Éditions
Petra, 2018, p. 63.
198. Slavoj Zizek, Violence, Paris, Au Diable Vauvert, 2012, p. 88.
199. Zizek s’inspire ici du livre de Jean-Pierre Dupuy, Avions-nous oublié le mal ? Penser la
politique après le 11-Septembre, Paris, Bayard, 2002.
200. Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, op. cit., p. 343.
201. Charles Darwin, Voyage d’un naturaliste autour du monde, Paris, La Découverte, 2003,
p. 247.
202. Voir Lorna Marshall, « Sharing, Talking and Giving : Relief of Social Tensions among !Kung
o
Bushmen », Journal of the International African Institute, 1961, vol. 31, n 3, p. 238.
203. Charles Mac Donald, L’Ordre contre l’harmonie…, op. cit., p. 62.
204. Voir James Woodburn, « “Sharing Is not a Form of Exchange”. An Analysis of Property
Sharing in Immediate-Return Hunter-Gatherer Societies », in Chris M. Hann (dir.) Property
Relations. Renewing the Anthropological Tradition, Cambridge University Press, p. 442.
205. Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, op. cit., p. 273-274.
206. Kaj Birket-Smith, Mœurs et coutumes des Eskimo, Lausanne, Payot, 1955, p. 175.
207. Voir William Cronon, « Borner la terre », in Frédéric Graber, Fabien Locher (dir.), Posséder
la nature. Environnement et propriété dans l’histoire, Paris, Éditions Amsterdam, 2018, p. 48-50.
208. Voir Elinor Ostrom, Governing the Commons. The Evolution of Institutions for Collective
Action, Cambridge University Press, 1990.
209. Voir Édouard Jourdain, Les Communs, Paris, Que sais-je ?, 2021.
210. Pierre-Joseph Proudhon, Théorie de la propriété, Lacroix, 1866, p. 128.
211. Ibid., p. 149.
212. Charles Mac Donald, L’Ordre contre l’harmonie…, op. cit., p. 64.
213. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, op. cit., p. 547.
214. Douglas Oliver, A Solomon Island Society, Cambridge University Press, 1955, p. 82, cité par
Marshall Sahlins, in Âge de pierre, âge d’abondance, op. cit., p. 306.
215. Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, op. cit., p. 319.
216. Cité par Marshall Sahlins in ibid., p. 442.
217. Charles Stépanoff, « Des inégalités inégales », art. cité, p. 272.
218. Edward E. Evans-Pritchard, Les Nuer, op. cit., p. 113.
219. Edward W. Nelson, The Eskimo about Bering Strait, cité par Christophe Darmangeat, in
Conversation sur la naissance des inégalités, op. cit., p. 109.
220. Voir David Graeber, David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de
l’humanité, op. cit., p. 299.
221. Claude Lefort, Préface, Éléments d’une critique de la bureaucratie, Paris, Gallimard, 1979,
p. 23.
222. Claude Lefort, « Machiavel, la dimension économique du politique », in Les Formes de
l’histoire. Essais d’anthropologie politique, Paris, Gallimard, 1978, p. 131 et p. 136.
223. Haidong Wang, « Age-Specific and Sex-Specific Mortality in 187 Countries, 1970-2010 : a
Systematic Analysis for the Global Burden of Disease Study 2010 », The Lancet, Volume 380, Issue
9859, 15 décembre 2012-4 janvier 2013, p. 2071-2094.
224. Voir Stephen Marglin, L’Économie : une idéologie qui ruine la société, Éditions du Croquant,
2014, p. 283.
225. Ibid., p. 295.
226. Ibid., p. 305.
227. Ibid., p. 301.
228. Ibid., p. 315.
229. Cité par Marshall Sahlins, in La Découverte du vrai sauvage et autres essais, op. cit., p. 400.
230. Voir sur ce sujet Sydney Mintz, La Douceur et le Pouvoir. La place du sucre dans l’histoire
moderne, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2014.
231. Sheena S. Iyengar et Mark R. Lepper, « When Choice is Demotivating : Can One Desire Too
o
Much of a Good Thing ? », Journal of Personality and Social Psychology, 2000, vol. 79, n 6,
p. 995-1006. Voir aussi Barry Schwartz, The Paradox of Choice. Why More is Less, New York,
Harper Collins, 2005.
232. Jean Baudrillard, L’Échange symbolique et la Mort, op. cit., p. 224-225.
233. Charles Stépanoff, « Des inégalités inégales », art. cité, p. 276.
234. Cité par Charles Stépanoff, in ibid., p. 271.
235. Voir Alain Testart, Nicolas Govoroff, Valérie Lécrivain. « Les prestations matrimoniales »,
o
L’Homme, 2002, vol. 161, n 1, p. 165-196.
236. Charles Stépanoff, « Des inégalités inégales », art. cité, p. 279.
237. Ibid., p. 271.
238. Ibid., p. 284.
239. Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au collège de France, 1989-1992, op. cit., p. 402.
240. Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés. Essai sur l’homme et l’environnement dans
l’histoire, Paris, Gallimard, 2000, p. 153.
241. Jacques Cauvin, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture, Paris, CNRS Éditions,
2013, p. 105.
242. Matthieu Calame, Enraciner l’agriculture. Société et systèmes agricoles, du Néolithique à
l’Anthropocène, Paris, Puf, 2021, p. 115.
243. Voir Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés…, op. cit., p. 315-317.
244. James Scott, Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers États, Paris, La
Découverte, 2019, p. 106.
245. Charles Stépanoff, « Des inégalités inégales », art. cité, p. 281.
246. Yanis Varoufakis, Mon cours d’économie idéal, Paris, Flammarion, 2016, p. 20-21.
247. Voir David Graeber, Dette. 5 000 ans d’histoire, Paris, Les Liens qui libèrent, 2013, p. 51-52.
248. Clarisse Herrenschmidt, Les Trois Écritures. Langue, nombre, code, Paris, Gallimard, 2007,
p. 83-84.
249. Ibid., p. 81.
250. Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, op. cit., p. 352-354.
251. Paulin Ismard, La Cité et des esclaves. Institutions, fictions, expériences, Paris, Seuil, 2019,
p. 158.
252. Claude Lefort, « Dialogue avec Pierre Clastres », in Écrire à l’épreuve du politique, p. 323.
253. Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au collège de France, 1989-1992, op. cit., p. 474.
254. Cité par James C. Scott, in Zomia, ou l’art de ne pas être gouverné, op. cit., p. 293.
255. James Scott va jusqu’à affirmer que « l’État est à l’origine un racket de protection mis en
œuvre par une bande de voleurs qui l’a emporté sur les autres » (James Scott, Homo domesticus…,
op. cit., note de bas de page, p. 148).
256. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, op. cit., p.559.
257. Pierre-Joseph Proudhon, Théorie de l’impôt, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 17.
258. Ibid., p. 11.
259. Norbert Elias, La Dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Lévy, 1975, p. 150.
260. Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au collège de France, 1989-1992, op. cit., p. 205.
261. Cité par Norbert Elias, in La Dynamique de l’Occident, op. cit., p. 173.
262. David Graeber, Dette. 5 000 ans d’histoire, op. cit., p. 63-64.
263. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, op. cit., p. 555.
264. Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés…, op. cit., p. 409.
265. Pierre Clastres, Archéologie de la violence…, op. cit., p. 16.
266. « Il y a un lien, une continuité, entre les relations hostiles et la fourniture de prestations
réciproques : les échanges sont des guerres pacifiquement résolues, les guerres sont l’issue de
transactions malheureuses » (Claude Lévi-Strauss, Les Structures élémentaires de la parenté, Paris,
Puf, 1967, p. 78).
267. Lawrence H. Keeley, Les Guerres préhistoriques, Paris, Perrin, 2009, p. 56-57.
268. Ibid., p. 57.
e
269. Jean-Jacques Glassner, « La politique dans l'Orient ancien ou la V République avant de
o
Gaulle », Genèses, 2002, vol. 1, n 46, p. 11.
270. Voir Lawrence H. Keeley, Les Guerres préhistoriques, op. cit., p. 147-148.
271. Ibid., p. 207.
272. Christophe Darmangeat, Justice et guerre en Australie aborigène, Smolny, 2021.
273. Lorna Marshall, « Sharing, Talking and Giving : Relief of social tensions among !Kung
o
Bushmen », Journal of the International African Institute, 1961, vol. 31, n 3, p. 235.
274. Christophe Darmangeat, « Aux origines de la guerre », Ballast, 3 décembre 2020. Disponible
sur : https://www.revue-ballast.fr/christophe-darmangeat-aux-origines-de-la-violence/
275. Lawrence H. Keeley, Les Guerres préhistoriques, op. cit., p. 245.
276. Philippe Descola, La Composition des mondes. Entretiens avec Pierre Charbonnier, Paris,
Flammarion, 2014, p. 139.
277. Luc de Heusch, Pouvoir et religion (Pour réconcilier l’histoire et l’anthropologie), Paris,
CNRS Éditions/Éditions des Sciences de l’homme, 2009, p. 102.
278. Max Weber, « Observations intermédiaires » (1916), cité par Domenico Losurdo, in
Heidegger et l’idéologie de la guerre, Paris, Puf, 1998, p. 22.
279. Pierre Clastres, « La guerre dans les sociétés primitives », Recherches d’anthropologie
politique, Paris, Seuil, 2012, p. 273.
280. Pierre Clastres, Archéologie de la violence…, op. cit., p. 85-86.
281. Pierre Clastres, Chronique des Indiens Guayaki, op. cit., p. 191.
282. Pierre Clastres, Archéologie de la violence…, op. cit., p. 56.
283. Jacques Lizot, Le Cercle des feux. Faits et dits des Indiens Yanomami, Paris, Seuil, 1976, cité
par Jean-Louis Déotte, in « Pierre Clastres : l’anarchie sauvage contre l’autogestion », Lignes, 2005,
o
vol. 16, n 1, p. 81.
284. Pierre Clastres, La Société contre l’État, op. cit., p. 62.
285. Camille Tarot, Le Symbolique et le Sacré…, op. cit., p. 820-821.
286. Lawrence H. Keeley, Les Guerres préhistoriques, op. cit., p. 357.
287. Voir Edward E. Evans-Pritchard, Les Nuer, op. cit., p. 151.
288. Ibid., p. 157.
289. Ibid., p. 160.
290. Voir notamment Thomas Lindemann, Causes of War The Struggle for Recognition,
Colchester, ECPR Press, 2010.
291. Christophe Darmangeat, Justice et guerre en Australie aborigène, op. cit., p. 115.
292. Pierre-Joseph Proudhon, La Guerre et la Paix, Antony, Tops-H.Trinquier, tome I, 1998, p. 67.
293. Ibid., p. 104.
294. Ibid., p. 103.
295. Ibid., p. 135.
o
296. Pierre-Joseph Proudhon, Manuscrit Le Droit de la force, f 45.
297. Pierre-Joseph Proudhon, La Guerre et la Paix, op. cit., p. 142. Contre ses adversaires qui
prétendent que sa théorie de la force légitime l’esclavage, Proudhon rétorque : « C’est au contraire
parce que je tiens à remettre en honneur ce droit si longtemps méconnu de la force, que je proteste, à
propos de l’esclavage, contre l’application inintelligente, odieuse, qui en serait faite » et qui « tend à
l’extermination des individus » (p. 184).
298. Pierre Clastres, Archéologie de la violence…, op. cit., p. 90.
299. Ibid., p. 88-89.
300. Voir Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés, op. cit., p. 435-436.
301. Pierre Clastres, Archéologie de la violence, op. cit., p. 77.
302. Pierre Clastres, Chronique des Indiens Guayaki, op. cit., p. 183.
303. Marshall Sahlins, La Découverte du vrai sauvage et autres essais, op. cit., p. 258.
304. Voir Guillaume Sibertin-Blanc, « La théorie de l’État de Deleuze et Guattari. Matérialisme
historico-machinique et schizoanalyse de la forme-État », Revista de Antropologia Social dos Alunos
o
do PPGAS-UFSCar, 2011, vol. 3, n 1, p. 32-93.
o
305. Pierre Clastres, « Malheur du guerrier », Libre, 1977, n 2, p. 88-89.
306. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, op. cit., p. 520-521.
307. Georges Dumézil, Heur et malheur du guerrier, Paris, Flammarion, 1985, p. 129.
308. Ibid., p. 78.
309. Ibid., p. 129.
310. Voir Jean-Paul Demoule, Les Dix Millénaires oubliés qui ont fait l’histoire, Paris, Pluriel,
2019, p. 156.
311. Voir Renato Rosaldo, in Sanglantes origines, op. cit., p. 271-272.
312. Jared Diamond, Le Monde jusqu’à hier, Paris, Gallimard, 2013, p. 178.
313. Homer G. Barnett, The Nature and Function of the Potlatch, Eugene, éditeur, 1968, p. 104.
314. Rudolf J. Rummel, Death by Government, Piscataway, Transaction Publishers, 1997.
315. Voir Alain Testart, L’Institution de l’esclavage. Une approche mondiale, Paris, Gallimard,
2018, p. 38-39.
316. Olivier Grenouilleau, Qu’est-ce que l’esclavage ? Une histoire globale, Paris, Gallimard,
2014, p. 245.
317. Voir Alain Testart, L’Institution de l’esclavage…, op. cit., p. 73.
318. Yan Thomas, « L’usage et les fruits de l’esclave. Opérations juridiques romaines sur le
o
travail », Enquête, 1997, n 7, p. 227.
319. L’expression est d’Ernest Lenseigne, citée par Paulin Ismard, in La Cité et ses esclaves.
Institutions, fictions, expériences, Paris, Seuil, 2019, p. 126.
320. Paulin Ismard, La Cité et ses esclaves. Institutions, fictions, expériences, op. cit., p. 131.
321. Olivier Grenouilleau, Qu’est-ce que l’esclavage ?, op. cit., p. 297.
322. Voir Alain Testart, L’Institution de l’esclavage…, op. cit., p. 52-53.
323. Voir Donald Leland, Aboriginal Slavery on the Northwest Coast of North America, University
of California Press, 1997.
324. Voir Alain Testart, L’Institution de l’esclavage…, op. cit., p. 154-155.
325. Alain Testart, Avant l’histoire. L’évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac, op. cit., p. 329.
326. David Naveh, Nurit Bird-David, « How Persons Become Things : Economic and
Epistemological Changes among Nayaka Hunter-Gatherers », Journal of the Royal Anthropological
o
Institute, 2014, n 20, p. 74-92.
327. Ibid., p. 87.
328. Voir George Catlin, Les Indiens d’Amérique du Nord, Paris, Albin Michel, 1992, p. 484-484.
329. Voir Alfred L. Kroeber, Handbook of the Indians of California, Smithsonian Institution,
Bureau of American Ethnology, 1925.
330. Voir Edwin William Smith, Andrew Murray Dale, The Ila-Speaking Peoples of Northern
Rodhesia, Mac Millan, t. I, 1920, p. 398-412.
331. Alain Testart, L’institution de l’esclavage…, op. cit., p. 281.
332. Ibid., p. 287.
333. Claude Meillassoux, Anthropologie de l’esclavage, Paris, Puf, 1998, p. 214-215.
334. Alain Testart, L’Institution de l’esclavage…, op. cit., p. 83.
335. Voir Jacques Soustelle, La Vie quotidienne des Aztèques à la veille de la conquête espagnole,
Paris, Hachette, 1955, p. 101.
336. Voir Olivier Grenouilleau, Qu’est-ce que l’esclavage ?, op. cit., p. 233-235.
337. Paulin Ismard, La Démocratie contre les experts. Les esclaves publics en Grèce ancienne,
Paris, Seuil, 2015, p. 17.
338. Voir Jacques Annequin, « L’esclavage en Grèce ancienne. Sur l’émergence d’un “fait social
o
total” », Droits, 2009, n 50, p. 3-14.
339. Voir Paulin Ismard, La démocratie contre les experts…, op. cit., p. 172.
340. Ibid., p. 215.
341. Ibid., p. 122.
342. Voir Diodore, Bibliothèque historique, 11, 89, 6-8.
343. Euripide, Les Suppliantes, 267-268.
344. François Hartog, Anciens, Modernes, sauvages, Paris, Galaade Éditions, 2005, p. 47.
345. Voir Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, Paris, Zones sensibles, 2011.
346. Arnold Toynbee, L’Histoire, Paris, Gallimard, p. 185-210, cité par Gilles Deleuze, Félix
Guatarri, in Mille plateaux, op. cit., p. 472.
347. Friedrich Engels, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, 1884, trad.
fr. 1952, document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, disponible :
http://classiques.uqac.ca/classiques/Engels_friedrich/Origine_famille/Origine_famille.html
348. Alfred R. Radcliffe-Brown, « Three Tribes of Central Australia », The Journal of the Royal
Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, 1913, vol. 43, p. 146.
349. Pierre Clastres, Chronique des Indiens Guayaki, op. cit., p. 65.
350. William Cronon, « Borner la terre », in Frédéric Graber, Fabien Locher (dir.), Posséder la
nature, op. cit., p. 45.
351. Voir Simon Deschamps-Léger, « Les fortifications chez les Iroquoiens nordiques de 1400 à
1650 de notre ère », Mémoire présenté à la faculté des arts et des sciences de l’université de
Montréal, 14 mars 2017.
352. Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, op. cit., p. 255.
353. G. Van Der Leeuw, La religion dans son essence et ses manifestations…, op. cit., p. 385.
354. Voir Tim Ingold, Marcher avec les dragons, Paris, Zones sensibles, 2013, p. 346.
355. Bruce Chatwin, « Invasions nomades », in Œuvres complètes, Paris, Grasset, 2005, p. 1212.
356. Lewis Mumford, La Cité à travers l’histoire, Paris, Seuil, 1961, p. 49.
357. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, op. cit., p. 539.
358. Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au collège de France, 1989-1992, op. cit., p. 354.
359. Gilles Deleuze, Félix Guattari, L’Anti-Œdipe. Capitalisme et schizophrénie, op. cit., p. 170-
171.
360. Simone Weil, L’Enracinement, Paris, Gallimard, 1949, p. 150.
361. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, op. cit., p. 445.
362. David Graeber, David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de
l’humanité, op. cit., p. 165.
363. Voir Philippe Descola, « Anthropologie de la nature », op. cit., p. 483. À noter que les Moken
se contentent de chasser au harpon et refusent les filets ou les nasses de manière à ne pas constituer
de stocks.
364. Pierre Clastres, Chronique des Indiens Guayaki, op. cit., p. 93.
365. Voir Makhail P. Gryaznov, Sibérie du Sud, Paris, Nagel, 1969.
366. Voir Ernest Gellner, Les Saints de l’Atlas, Saint-Denis, Bouchene, 2003.
367. Voir David Graeber, David Wengrow, Au commencement était…, op. cit., p. 429-438.
368. Voir Matthew Paris, Chronicle, éd. H. R. Luard, Rolls Series (Londres, 1872-1883), vol. IV,
p. 27.
369. Bruce Chatwin, « Invasions nomades », in Œuvres complètes, Paris, Grasset, 2005, p. 1216.
370. James Scott, Homo domesticus…, op. cit., p. 257.
371. Ibn Khaldûn, Discours sur l’histoire universelle. Al-Muqaddima, Sindbad, 1997, p. 214.
372. Cité par James Scott, in Homo domesticus…, op. cit., p. 223.
373. Voir James C. Scott, Zomia, ou l’art de ne pas être gouverné, op. cit., p. 125.
374. D’où le dicton berbère : « La razzia est notre agriculture ».
375. Mikael Gravers, « When Will the Karen King Arrive ? », cité par James C. Scott, in Zomia,
ou l’art de ne pas être gouverné, op. cit., p. 400.
376. Gabriel Martinez-Gros, Brève histoire des empires. Comment ils surgissent. Comment ils
s’effondrent, Paris, Seuil, 2014, p. 170-171.
377. Gilles Deleuze, Félix Guatttari, L’Anti-Œdipe, op. cit., p. 231.
378. David Graeber, David Wengrow, Au commencement était…, op. cit., p. 427.
379. Marshall Sahlins, La Découverte du vrai sauvage et autres essais, op. cit., p. 106.
380. Ibid., p. 182.
381. Gao You, commentaire sur le Huainan zi, VI, p. 10b.
382. Ibn Khaldûn, Discours sur l’histoire universelle. Al-Muqaddima, op. cit., p. 238. Nous
soulignons.
383. Gabriel Martinez-Gros, Brève histoire des empires…, op. cit., p. 21.
384. Ibid., p. 128.
385. Michel Foucault, Il faut défendre la société, Paris, Seuil/Gallimard, 1997, p. 109.
386. Ibid., p. 135.
387. Ibid., p. 209.
388. Alexandre Kojève, La Notion d’autorité, Paris, Gallimard, 2004, p. 75.
389. Franz Oppenheimer, Moyens économiques contre moyens politiques, textes choisis et
présentés par Vincent Valentin, Les Belles Lettres, 2013, p. 402.
390. Julien d’Huy, Cosmogonies. La préhistoire des mythes, Paris, La Découverte, 2020, p. 294.
391. Yinon M. Bar-On, Rob Phillips, Ron Milo, « The Biomass Distribution on Earth »,
Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 2018, vol. 115,
o
n 25, p. 6506-6511.
392. L’Union internationale des sciences géologiques et la Commission internationale de
stratigraphie, qui statuent sur l’échelle des temps géologiques, discutent encore du rajout officiel de
cette ère à l’holocène.
o
393. Christophe Bonneuil, « L’Anthropocène et ses lectures politiques », Les Possibles, 2014, n 3,
p. 1.
o
394. Paul J. Crutzen, « Geology of Mankind », Nature, 2002, vol. 415, n 23, p. 23, cité par
Virginie Maris in La Part sauvage du monde. Penser la nature dans l’Anthropocène, Paris, Seuil,
2018, p. 88-89.
395. Cette expression a été introduite par A. Malm, in Fossil Capital. The Rise of Steam Power
and the Roots of Global Warming, Verso, 2016.
396. Christophe Bonneuil, « Capitalocène, réflexions sur l’échange inégal et le crime climatique »,
o
EcoRev’, 2017, vol. 1, n 44, p. 55.
397. Cité par Michel Sauquet, Martin Vielajus, in L’Intelligence interculturelle, ECLM, 2014,
p. 64.
398. Voir Léna Balaud, Antoine Chopot, Nous ne sommes pas seuls. Politique des soulèvements
terrestres, Paris, Seuil, 2021, p. 208. Aux « saboteurs » et aux « furies » s’ajoutent les
« sécessionnistes », les « indomptés » et les « effondrés ».
399. Bruno Latour, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris,
La Découverte, 2004, p. 65.
400. G. K. Chesterton, Le Paradoxe ambulant, op. cit., p. 294.
401. Voir Michel Barillon, « De la nécessité de sortir du faux dilemme
o
primitivisme/progressisme », Écologie et politique, 2016, vol. 2, n 53, p. 50-51.
402. Pierre Clastres, Chronique des Indiens Guayaki, op. cit., p. 128.
403. Philippe Descola, La Composition des mondes. Entretiens avec Pierre Charbonnier, op. cit.,
p. 160.
404. Ibid., p. 155.
405. Eduardo Viveiros de Castro, « Une figure humaine peut cacher une affection-jaguar »,
o
Multitudes, 2006/1, n 24, p. 47-48.
406. Davi Kopenawa, Bruce Albert, La Chute du ciel. Paroles d’un chaman Yanomami, op. cit.,
p. 653.
407. Ibid., p. 641.
408. Voir ibid., p. 261-262.
409. Voir Viveiros de Castro, Métaphysiques cannibales. Lignes d’anthropologie structurale,
Paris, Puf, 2009, p. 55.
410. Davi Kopenawa, Bruce Albert, La Chute du ciel. Paroles d’un chaman Yanomami, op. cit.,
p. 665-668.
411. Ibid., p. 290.
412. Eduardo Viveiros de Castro, « Une figure humaine peut cacher une affection-jaguar », art.
cité, p. 49-50.
413. Pierre Clastres, La société contre l’État, op. cit., p. 40.
414. Ibid., p. 40-41.
415. Ibid., p. 100.
o
416. Bruno Latour, « Composer un monde commun », Études, 2015, n 1, p. 72.
417. Tim Ingold, Marcher avec les dragons, op. cit., p. 470.
418. Hobbes, Traité de l’homme, cité par Girogio Agamben, in Homo Sacer, op. cit., p. 117.
419. Jacques Derrida, La Bête et le Souverain, tome I, Paris, Galilée, 2008, p. 91.
420. Jacques Derrida, La Bête et le Souverain, tome II, Paris, Galilée, 2010, p. 79.
421. Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au collège de France, 1989-1992, op. cit., p. 415.
422. Voir Keith Thomas, Dans le jardin de la nature, Paris, Gallimard, 1985.
423. Pierre Madelin, Faut-il en finir avec la civilisation ? Primitivisme et effondrement, Montréal,
Écosociété, 2020, p. 134-135.
424. Ibid., p. 135
425. Sur ce sujet voir notamment Guillaume Blanc, L’Invention du colonialisme vert, Paris,
Flammarion, 2020.
426. Propos rapportés par Christian Schwärgel, in « Living in the Anthropocene : Toward a New
o
Global Ethos », Yale environment, janvier 2011, n 360, cité par Virginie Maris, in La Part sauvage
du monde…, op. cit., p. 100.
427. Renaud Garcia, La Collapsologie ou l’Écologie mutilée, Paris, L’Échappée, 2021, p. 117.
428. Virginie Maris, La Part sauvage du monde…, op. cit., p. 238.
429. Léna Balaud, Antoine Chopot, Nous ne sommes pas seuls…, op. cit., p. 56.
430. Voir ibid., p. 162-164.
431. Ibid., p. 167.
432. Pour plus de précisions sur ces impasses à éviter, voir Virginie Maris, La Part sauvage du
monde…, op. cit., p. 198-200.
433. Murray Bookchin, L’Écologie sociale. Penser la liberté au-delà de l’humain, Paris,
Wildproject, 2020, p. 175.
434. Cité par Murray Bookchin, in ibid., op. cit., p. 173.
435. Yohann Chapoutot, Libres d’obéir, Paris, Gallimard, 2020.
436. Barbara Stiegler, Il faut s’adapter, Paris, Gallimard, 2020.
437. Serge Audier, La Cité écologique, Paris, La Découverte, 2021, p. 205.
438. Murray Bookchin, L’Écologie sociale…, op. cit., p. 153.
439. Bruno Latour, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris,
La Découverte, 2004, p. 133.
440. Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Paris, La Découverte, 2017,
p. 19.
441. Ibid., p. 120-121.
442. Bruno Latour, Politiques de la nature…, op. cit., p. 57.
443. Ibid., p. 268-269.
444. Ibid., p. 208-209.
445. Voir Édouard Jourdain, Théologie du capital, Paris, Puf, 2021.
446. Christopher D. Stone, « Should Trees Have Standing ? Toward Legal Rights for Natural
Objects », Southern California Law Review, 1972.
447. Voir Victor David, « La lente consécration de la nature, sujet de droit. Le monde est-il enfin
o
Stone ? », Revue juridique de l’environnement, 2012, vol. 3, n 37, p. 469-485.
448. Philippe Descola, « Humain, trop humain ? », in Rémi Beau, Catherine Larrère (dir.), Penser
l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, 2018, p. 32.
449. Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Paris, Actes Sud, 2020, p. 254.
450. Voir Aliocha Imhoff, Kantuta Quirós, Qui parle ?, Paris, Puf, 2022, p. 163.
451. Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, op. cit., p. 274-275.
452. Léna Balaud, Antoine Chopot, « Suivre la forêt. Une entente terrestre de l’action politique »,
Terrestres, 15 novembre 2018. Disponible sur : https://www.terrestres.org/2018/11/15/suivre-la-foret-
une-entente-terrestre-de-laction-politique/
453. Léna Balaud, Antoine Chopot, Nous ne sommes pas seuls…, op. cit., p. 328.
454. Ibid., p. 371.
455. Aliocha Imhoff, Kantuta Quirós, Qui parle ?, op. cit., p. 281.
456. Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement Anthropocène, Paris, Seuil, 2016,
p. 245.
457. Denis Delestrac, Cargos, la face cachée du fret, 2015 (documentaire).
458. Jacques Richard, Alexandre Rambaud, Révolution comptable, Paris, L’Atelier, 2020, p. 38.
459. Ibid., p. 72-73.
460. Sur la centralité de la comptabilité dans la détermination de ce que sont la valeur et le rapport
entre humains et non-humains dans une société, voir aussi Jacques Richard, Alexandre Rambaud,
Philosophie d’une écologie anticapitaliste. Pour un nouveau modèle de gestion écologique, Laval,
Presses de l’Université Laval, 2022, et Édouard Jourdain, Quelles normes comptables pour une
société du commun ?, Paris, Éditions Charles-Léopold Mayer, 2019.
461. Eric J. Hobsbawm, Les Primitifs de la révolte dans l’Europe moderne, Paris, Fayard/Pluriel,
2012.
462. Hakim Bey, dans son ouvrage classique TAZ (Temporary Autonomous Zone) intègre ainsi les
pirates dans son histoire des zones autonomes temporaires.
463. Voir Antoine Garapon, « L’imaginaire pirate de la mondialisation », Esprit, juillet 2009,
p. 154-167.
464. Marcus Rediker, Peter Linebaugh, L’Hydre aux mille têtes, Paris, Éditions Amsterdam, 2009,
p. 17.
465. Sur ce point voir notamment Jean-Philippe Vergne et Rodolphe Durand, L’Organisation
pirate. Essai sur l’évolution du capitalisme, Le Bord de l’eau, 2010.
466. Barnaby Slush, The Navy Royal : Or a Sea-Cook Turn’s Projector, Londres, 1709, p. VIII,
cité par Marcus Rediker, in Les Hors-la-loi de l’Atlantique. Pirates, mutins et flibustiers, Paris, Seuil,
2017, p. 116-117.
467. Gilles Lapouge, Les Pirates, Paris, Phébus, 1987, p. 177.
468. Voir Tomas Gomez-Arostegui, « The Untold Story of the First Copyright Suit under the
o
Statute of Anne in 1710 », Berkeley Technology Law Journal, 2010, vol. 25, n 3, p. 1247.
469. Voir Lawrence Lessig, « Industries de la culture, pirates et “culture libre” », Critique, 2008,
o
vol. 6, n 733-734.
470. Marcus Rediker, Les Hors-la-loi de l’Atlantique.., op. cit., p. 106.
471. Voir ibid., p. 115.
472. Ibid., p. 217.
473. Cité par Marcus Rediker in ibid., p. 218.
474. Expression qui est apparue en 1883 sous la plume d’Ernest Renan.
475. Voir par exemple, David Graeber, La Démocratie aux marges, Paris, Flammarion, 2018, ou
Amartya Sen, La Démocratie des autres, Paris, Rivages, 2006.
476. Pierre Clastres, La Société contre l’État, op. cit., p. 26.
477. Amartya Sen, La Démocratie des autres, op. cit., p. 26.
478. Tacite, De la Germanie, XI, 1.
479. Ibid., XXII.
480. Cornelius Castoriadis, Démocratie et relativisme. Débat avec le Mauss, Paris, Mille et une
nuits, 2010, p. 45.
481. Charles Stépanoff, Voyager dans l’invisible…, op. cit., p. 408.
482. Pierre Clastres, La Société contre l’État, op. cit., p. 180.
483. Voir Kim Hill, Ana Magdalena Hurtado, Ache Life History. The Ecology and Demography of
a Foraging People, New York, Aldine de Gruyter, 1996.
484. Kirk Endicott, in Thomas Gibson, Kenneth Sillander (dir.), Anarchic Solidarity. Autonomy,
Equality, and Fellowship in Southeast Asia, Yale University Press, 2011, p. 82.
485. Marc Abélès, « Revenir chez les Ocholos », in Marcel Detienne (dir.), Qui veut prendre la
parole ?, Paris, Seuil, 2003, p. 400 et 404.
486. Voir Philippe Urfalino, « La décision par consensus apparent. Nature et propriétés », Revue
européenne des sciences sociales, 2007, XLV-136, p. 64-66.
487. Voir Emmanuel Terray, « Un anthropolgue africaniste devant la cité grecque », Opus. Rivista
internazionale per la storia economica e sociale dell’antichità, 1987-1989, VI-VIII.
488. Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, Paris, Fayard, 1995, p. 29-31.
489. George Orwell, Essais choisis, Paris, Gallimard, 1960, p. 110-111.
490. Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 2019, p. 112.
491. Pierre-Joseph Proudhon, Solution du problème social, Paris, Tops/Trinquier, 2003, p. 91.
492. Voir sur ce sujet Pierre Kropotkine, La Grande Révolution, Paris, Stock, 1909.
493. Pierre Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2014, p. 277.
494. Ibid., p. 269.
495. Tim Ingold, Marcher avec les dragons, op. cit., p. 473.
496. C’était par exemple le cas des « commis de confiance » au Moyen Âge.
497. James Surowiecki, The Wisdom of Crowds. Why the Many Are Smarter than the Few and
How Collective Wisdom Shapes Business, Economics, Society and Nations, New York, Doubleday,
2004.
498. Benjamin Constant, « De la liberté des anciens comparée à celle des modernes », in Écrits
politiques, Paris, Gallimard, 1997, p. 603.
499. Voir notamment Pierre Dardot, Christian Laval, Commun, Paris, La Découverte, 2014.
500. Voir David Graeber, David Wengrow, Au commencement était…, op. cit., p. 116.
501. Cornelius Castoriadis, « Nature et valeur de l’égalité », in Domaines de l’homme. Les
carrefours du Labyrinthe 2, Paris, Seuil, 1986, p. 398.
502. Philippe Descola, Par-delà nature et culture, op. cit., p. 680-681.
503. Ibid., p. 670.
504. Ibid., p. 680.
505. Cité par Marshall Sahlins in La Découverte du vrai sauvage et autres essais, op. cit., p. 392.
506. Ibid., p. 392-393.
507. James C. Scott, Zomia, ou l’art de ne pas être gouverné, op. cit., p. 363.
508. Philippe Descola, Par-delà nature et culture, op. cit., p. 672.
509. Jean Baudrillard, L’Échange symbolique et la Mort, op. cit., p. 208-209.
510. Claude Lefort, Les Formes de l’histoire, op. cit., p. 71.
511. Ibid., p. 71.
512. Ibid., p. 73.
513. Marshall Sahlins, La Découverte du vrai sauvage et autres essais, op. cit., p. 277.
514. Marcel Gauchet, préface à Benjamin Constant, Écrits politiques, op. cit., p. 95.
515. François Hartog, Anciens, modernes, sauvages, op. cit., p. 159.
516. François Hartog, Croire en l’histoire, Paris, Flammarion, 2016, p. 265-266.
517. Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, op. cit., p. 31.
518. Erich Scheurmann, Le Papalagui. Les paroles de Touiavii, chef de la tribu de Tiavéa dans les
îles Samoa, op. cit., p. 107.
519. Voir Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale II, Paris, Plon, 1973, p. 40-41.
520. Voir D. Colson, Trois essais de philosophie anarchiste. Islam, histoire, monadologie, Paris,
Léo Scheer, 2004, p. 342.
521. Voir David Graeber, La Démocratie aux marges, op. cit., p. 73-86.
522. Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, op. cit., p. 471.
523. Gary Snider, Aristocrates sauvages, Paris, Wildproject, 2011, p. 77.
524. Claude Lévi-Strauss, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss par Georges Charbonnier, Paris,
10/18, 1961, p. 63.
525. Charles Reeve, Le Socialisme sauvage. Essai sur l’auto-organisation et la démocratie directe
dans les luttes de 1789 à nos jours, Paris, L’Échappée, 2018.
526. Voir notamment Elinor Ostrom, Gouverner les communs, Paris, De Boeck Éditeur, 2010 ;
Pierre Dardot, Christian Laval, Commun, op. cit. ; Benoît Borrits, Au-delà de la propriété. Pour une
économie des communs, Paris, La Découverte, 2018.
527. Pierre-Joseph Proudhon, La Guerre et la Paix, tome I, op. cit., p. 130-131.
528. Voir Pierre et André Sauzeau, La Quatrième Fonction. Altérité et marginalité dans l’idéologie
des Indo-européens, Paris, Les Belles Lettres, 2012.
529. Pierre-Joseph Proudhon, Système des contradictions économiques, groupe Fresnes Antony de
la Fédération anarchiste, 1983, tome III, p. 163.
530. Voir Ursula LeGuin, Danser au bord du monde, Paris, Éditions de l’Éclat, 2020, p. 171.
531. Charles Péguy, « Avertissement au cahier Mangasarian », in Œuvres en prose, vol. 1, Paris,
Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1959, p. 1378.
532. Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes, Paris, Plon, 2019, p. 12.
533. Voir Aldous Huxley, Retour au Meilleur des mondes, Paris, Plon, 2019, p. 151.
Table
Collection
Page de titre
Copyright
Dédicace
Exergue
Introduction
X. De la démocratie sauvage
Des primitifs modernes en général et des pirates en particulier
Variations démocratiques
Commun, égalité et liberté
Conclusion
Remerciements
Notes
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