Anne-Cécile Suzanne et Édouard Bergeon : «Quand l'Union européenne fera-t-elle preuve de cohérence ?»
FIGAROVOX/TRIBUNE - L'agricultrice et le réalisateur du film Au nom de la terre dénoncent le report d’un règlement européen visant à lutter contre la déforestation alors que, dans le même temps, l’UE s'apprête à signer le traité de libre-échange Mercosur.
Passer la publicitéAnne-Cécile Suzanne, agricultrice et consultante en stratégie chez Kéa, auteur Les sillons que l'on trace (Fayard, 2024) et Édouard Bergeon, réalisateur du film Au Nom de la terre (2019) et cofondateur Court-circuit circuit court.
La norme qui protège, la norme qui pénalise. La frontière entre les deux n'est jamais très lointaine. L'Union européenne en fait la démonstration avec le règlement européen visant à lutter contre la déforestation importée, qui impose aux entreprises commercialisant sur le territoire européen de veiller, de façon effective, à ce que les produits qu'ils achètent ne contribuent pas à la déforestation ou à l'atteinte de droits humains. Davantage de normes, dirons-nous. Plus de paperasse ! Oui mais des normes qui protègent, des formalités qui produisent un avantage concurrentiel des productions européennes par rapport à des importations déloyales.
Alors moi, Anne-Cécile Suzanne, agricultrice, je dis oui à ces normes-là. Moi, consultante en stratégie pour les secteurs liés aux productions primaires, je dis oui, encore oui, car les entreprises ne peuvent plus considérer la durabilité comme un simple sujet «RSE». Elles se doivent de considérer leurs chaînes d'approvisionnement dans la durée, en engageant leur conversion vers des origines plus sûres, plus maîtrisées. Il y va de leur pérennité dans les prochaines années.
Moi, Édouard Bergeon, fils d'agriculteur, réalisateur de La promesse verte (2024) qui traite des ravages de la déforestation afin de produire de l'huile de palme, je dis oui. Moi, entrepreneur qui accompagne dans leurs récits et leur stratégie les agriculteurs et les entreprises de l'alimentaire, celles qui jouent le jeu pour de vrai et voient plus loin qu'un affichage vertueux «green», je dis oui, encore oui.
En tant que citoyens, nous unissons nos voix pour dire oui à ce règlement européen, parce qu'on ne peut pas continuer à détruire des forêts primaires, en Asie, en Amazonie ou encore en Afrique centrale. Notre colère a donc été grande en apprenant que la mise en application du règlement va vraisemblablement être repoussée d'une année. Nous attendions de l'Europe qu'elle nous protège plus, nous agriculteurs, nous consommateurs, nous citoyens qui respirons à chaque seconde. Ce sera pour plus tard.
L’Union européenne ne parvient pas à faire son choix, entre libre-échange où la ressource naturelle est considérée comme illimitée et où les risques sanitaires sont non maîtrisés, et économie décarbonée et sécurisée.
Anne-Cécile Suzanne et Édouard Bergeon
Pour plus tard alors même que l'Union européenne s'apprête à signer le traité Mercosur, accord de libre-échange qui ouvre les frontières européennes aux produits agricoles d'Amérique du Sud. Vous savez, ce continent où on ne cesse de raser la forêt amazonienne, ce poumon vert planétaire. On marche sur la tête non ? Ce manque de cohérence est dramatique, pour la planète, pour les agriculteurs et pour chacun de nous qui respirons à chaque seconde et mangeons sans obtenir la traçabilité de nos assiettes. Et c'est là que les normes pénalisent et punissent ceux qui les respectent.
Car l'agriculture ne déforeste pas en France, elle replante. Elle n'utilise pas d'atrazine, elle met les bêtes au pâturage, elle développe la conservation des sols. Elle ne déloge pas les populations autochtones, elle participe plutôt au développement rural. Elle s'adapte. Elle innove. Elle nourrit bien. Elle paye des cotisations sociales élevées, elle recrute, elle investit pour le bien-être de ses travailleurs – et de ses animaux. Elle cherche à progresser toujours plus, à réparer des erreurs passées. Mais on lui dit qu'elle est trop chère, on la brade, pour une agriculture importée. Que les cargos naviguent sur des milliers de kilomètres pour transporter des carcasses, du maïs transgénique sans être taxés mais pour un coût écologique hors de prix à moyen terme ? L'Union européenne ne veut pas le voir, quand elle cherche à signer sans vergogne le traité Mercosur. Elle trahit par là même ses idéaux, ses grands principes, ses agriculteurs, mais surtout ses citoyens.
Elle pénalise aussi les entreprises de l'agroalimentaire, du textile, de la distribution, qui lorsqu'elles utilisent des produits vertueux, issus du territoire européen, se voient concurrencées par des acteurs ne pensant qu'au prix le plus bas et au court terme. Alors les usines françaises et européennes continuent à se délocaliser, la valeur ajoutée est comprimée au maximum sans laisser à ces secteurs les moyens d'investir pour l'avenir.
La vraie question est donc : quand l'Union européenne fera-t-elle preuve de cohérence ? Elle ne parvient pas à faire son choix, entre libre-échange où la ressource naturelle est considérée comme illimitée et où les risques sanitaires sont non maîtrisés, et économie décarbonée et sécurisée, où les frontières sont protégées des importations dégradées d'un point de vue environnemental et social. Dans l'entre-deux, incapable de se décider, elle ne fait que sombrer dans des paradoxes qui la mettent à dos de ses citoyens et de ses acteurs économiques. Jusqu'à quand ?
Antoine
le
Non à ce nouveau règlement européen ! Une usine à gaz pour faire plaisir aux bureaucrates de la commission européenne
Jumbo100
le
Quand " l'Union " Européenne fera-t-elle preuve de cohérence ? : Peut etre juste avant d'éclater , mais il sera trop tard
Anonyme
le
Si des agriculteurs pauvres déboisent pour cultiver des palmes huileuses qui ont un bien meilleur rendemant et leur permettent de vivre correctement, PERSONNE n'a le droit de le leur interdire et de les renvoyer dans la misère! Les écolos ont déjà fait interdire le riz doré qui permettrait de sauver des milliers d'enfants dans les pays où il est à la base de la nutrition !